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Réflexions sur les paradigmes de l’acte philosophique

par Liubava MOREVA

| Presses Universitaires de France | Diogène

2002/1 - N° 197
ISSN 0419-1633 | ISBN 2-13-052670-4 | pages 96 à 114

Pour citer cet article :


— Moreva L., Réflexions sur les paradigmes de l’acte philosophique, Diogène 2002/1, N° 197, p. 96-114.

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RÉFLEXIONS SUR LES PARADIGMES DE L’ACTE
PHILOSOPHIQUE
par

LIUBAVA MOREVA

Il apparaît maintenant plutôt problématique d’affirmer que


l’homme est encore un être rationnel ou que son activité productive
qui dépasse continuellement la sphère de la destruction et de
l’absurde doit être considérée comme une indication de sa nature
ontologiquement irrationnelle, celle simplement d’un “ bipède sans
plumes ”, selon la définition spirituelle de Platon. Il est inconte-
stable, cependant, que l’homme est un être qui produit en perma-
nence du texte, c’est-à-dire un espace chargé sémiotiquement, sé-
mantiquement et pragmatiquement par son propre être dans le
monde.
Depuis la peinture corporelle rituelle, qui a inscrit notre ancêtre
dans le segment sacralisé du monde naturel, jusqu’aux expériences
sophistiquées modernes de poésie conceptuelle et de prose surréa-
liste avec articulation : telle est l’amplitude apparente de l’espace
textuel. Depuis le babillage du bébé, essayant d’exprimer son état
interne et le moment de rencontrer le monde dans le proto-langage
humain, jusqu’à la divination mystérieuse de la Pythie ou du pro-
phète qui rejoignent les mondes visible et invisible dans leur pro-
pre monde et leurs propres gestes. Tout ce qui prétend à être en-
tendu, vu et compris, en attendant une réponse est une réalité
potentielle du texte. Le texte est ainsi la voie de cristallisation du
contenu proprement humain du monde, le mode d’arrivée de
l’homme au monde à travers et par le verbe, par l’écoute et l’arti-
culation.
Le cerveau humain travaille lui-même dans le mode ontologique
du dialogue interne, de sorte qu’un entraînement interne pousse à
l’expression de soi-même, à l’articulation, à la parole, et finalement
à l’écriture. Le mécanisme de dialogue interne de notre conscience,
déjà mentionné, est soumis à des accidents névrotiques, schizo-
phréniques et d’autres, psychosomatiques provoqués par l’articu-
lation inadéquate de cette impulsion ; en même temps, nous trou-
vons également ici la base de notre capacité unique d’aiguiser les
techniques de réflexion et de perfectionner l’appareil logique. “ Le
dialogue que l’âme entretient avec elle-même ” – c’est ainsi que Pla-
ton définissait la philosophie.
Au tournant du millénaire, l’humanité vient de redécouvrir
quelques vérités anciennes et, sous le poids des torrents d’infor-
mations, se rend compte encore une fois que l’omniscience ne mène

Diogène n° 197, janvier-mars 2002.


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pas nécessairement à la sagesse. Avec une précision presque ma-


thématique, la sphère de ce qui est connu étend les horizons de
l’inconnu, en ramenant l’intellectuel d’aujourd’hui très près de la
confession bien connue : “ Je sais que je ne sais rien ”. À nouveau,
comme jadis, la formule symbolique du Connais-toi toi-même nous
invite de manière pressante et insistante à entreprendre ce voyage
sans fin.
L’être humain d’aujourd’hui est affronté à des mutations graves
dans le système des valeurs de référence et les orientations ontolo-
giques. En dépit de la souplesse de ce système, on devrait prendre
soin de préserver sa force vitale, consistant en une différence es-
sentielle entre le sens descendant et ascendant. Toute indifférence
à cette distinction, toute forme d’insensibilité, toutes les formes de
prise de distance éthique et ontologique, mènent la personne à une
crise d’identité, à une perte totale de la signification de sa propre
existence, à un désastre existentiel. Une relation extrêmement
attentive et sensible avec la tradition est nécessaire afin d’éviter
les dangers du changement de paradigme qui est en train de se
produire (dans le topos de l’Être). Dans ce contexte nous devrions
nous rappeler la parole : “ Soyez vigilants et fortifiez les choses qui
restent, mais qui sont prêtes à mourir, car je n’ai pas trouvé que vos
œuvres étaient parfaites devant Dieu ” (Apocalypse 3 : 2).
Aujourd’hui l’industrie de la mort se cache sous une certaine
culture de la production de “ déchets ” – prêts à jeter, des normes
commerciales bon marché pour la vie, l’amour et la mort. Le rem-
placement intensif des états existentiels profonds par leurs signes,
transforme l’homme en une simple case ou une enveloppe, pouvant
porter des bits d’information qui y sont inséminés artificiellement :
l’homme devient une variable individuelle à l’intérieur du système
algorithmique de l’existence sociale. Les pannes éventuelles dans
ce système sont soignées aussi souvent que nécessaire par des
moyens psychanalytiques, psychédéliques ou autres. Le résultat
courant est une sensation croissante de vide intérieur.
Aujourd’hui on peut entendre la philosophie moderne parler
comme suit : Le passage total à l’état de simulacre de la culture et
de la vie, l’impossibilité de distinguer entre authentique et inau-
thentique, le désastre existentiel – autant de symptômes plus ou
moins évidents de la faillite qui nous attend. Nous maintenons soi-
gneusement des signes de culture, nous intensifions la communica-
tion, et ainsi nous perdons de plus en plus le sens de notre propre
existence. Revivre les valeurs passées ce serait revivre les anciennes
illusions. Derrière nous, il n’y a pas d’anticipations qui ne soient
pas encore réalisées…
Le paradoxe de la “ situation finale ” dans laquelle se trouve ap-
paremment l’homme moderne, lui demande certaines “ stratégies
fatalistes ”. La particularité de la situation dont nous parlons est
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que l’homme est essentiellement retiré de l’espace de vie pour être


jeté dans la zone des signes. Dans cette zone, la saturation des
informations rend la réalité d’un événement absolument indis-
tincte de sa réalité virtuelle. Celle-ci, propagée par les mass-
médias, rend également signifiant/insignifiant chacun de ses mes-
sages.
Une de mes hypothèses est que, en dépit de tout ce qui a été
avancé ci-dessus, la tendance vers une nouvelle synthèse de pro-
duction et de recherche a acquis une importance vitale dans la
culture contemporaine. La conception, l’explication et l’interpré-
tation des intentions de l’intelligence humaine – que le miroir du
discours postmoderne reflète – s’épuisent. L’activation la plus in-
tense de la capacité de production de sens de l’être humain est né-
cessaire pour restaurer l’équilibre perdu entre “ l’absurde contre le
significatif ” – pour empêcher l’être humain de périr dans l’état post-
mortel de sa propre absence.
La nécessité d’une synthèse mentale productive et d’une activité
productrice de sens émerge dans l’interaction croissante entre reli-
gion, philosophie, science et art. En ayant noté que “ nous n’avons
toujours pas obtenu une épistémologie, qui pourrait convenir à l’être
spirituel le plus élevé ” Nicolaï Berdiaev (1874-1948) a mis en évi-
dence la dépendance profonde entre épistémologie et croissance
spirituelle de l’homme. Accepter l’immanence de la cognition dans
l’être et la possibilité d’une croissance créative de l’homme
jusqu’aux états les plus élevés de la spiritualité, n’est pas seule-
ment présupposer un retour aux racines ontologiques de la pensée,
n’est pas seulement demander sa réalisation existentielle, mais
l’animer par l’effort vers la transcendance, c’est-à-dire, la nourrir
de l’énergie d’un auto-approfondissement et d’une ouverture infi-
nis.
La pensée philosophique n’était pas censée seulement dépasser
“ les formes inférieures de communication ” ; il est apparu qu’il ne
s’agit pas uniquement d’un droit, mais d’un devoir pour chacun
d’avoir à léguer quelque chose à un autre être, une tâche dévolue à
l’individualité pour “ enrichir de manière créative la vie ”. Ici,
l’établissement de la personnalité comme fondement de tout être
présupposait avant tout la découverte de l’individualité dans sa
liberté d’affirmer son effort vers l’universel. Ici se trouve le but de
la philosophie “ non pas en créant un système, mais comme un acte
de cognition créative dans le monde ” (Berdiaev N. A., Signification
de la créativité, Moscou, 1916, p. 47).
Il est plus difficile d’assumer la mise en œuvre de la philosophie
comme production d’une activité spirituelle où l’intégrité intérieure
de l’homme n’est pas seulement réalisée, mais également restau-
rée. Ce n’est qu’alors que la philosophie se présentera comme la
libération de l’homme de toute dépression, lui permettant ainsi de
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jouer son propre rôle dans le cosmos, où il est capable d’exprimer la


signification de sa propre vie spirituelle. La philosophie attend que
la communication s’effectue sur la base d’intuitions premières et
dernières, et non sur la base des preuves intermédiaires de la pen-
sée discursive. Il est important de reconnaître la différence essen-
tielle entre quelques formes logiques moyennes de la connaissance
philosophique (qui fonctionne souvent dans la société par pure
résolution de problèmes didactiques) et la philosophie dans le pro-
cessus de sa naissance et de sa vie dans la culture.
Pour M. Bakhtin, comprendre un objet est “ comprendre mon
devoir envers lui (l’attitude que je dois avoir), pour le comprendre
dans sa relation avec moi dans l’unique être-événement, ce qui
présuppose non pas l’abstraction par rapport à moi-même, mais ma
participation responsable ”, ceci veut dire “ saisir la vérité des in-
terrelations ”. (Bakhtin M., Philosophie de l’acte). L’effort de la
réflexion philosophique pour comprendre (et ainsi pour dépasser)
la “ crise de l’acte ” (la division du monde subjectif entre le monde
vital profond et le monde objectivement posé des significations
abstraites) se trouve à l’intérieur de cette crise. Ainsi, le test le
plus vital pour la gnose philosophique est si oui ou non elle est
capable d’être la praxis d’un “ acte spirituel ”.
L’aphorisme de Wittgenstein “ essayer toujours de parler véri-
diquement et, au-dessus de tout, clairement ” et sa proposition
“ dire un mensonge signifie avoir fait le premier pas vers la vérité,
si seulement il a été énoncé de manière distincte et claire ” ne di-
sait sûrement pas toute la vérité sur Wittgenstein lui-même. Après
tout, il avait confessé dans une lettre que son enseignement tel
qu’exprimé dans le Traité sur la logique et la philosophie consistait
en deux parties, dont une avait été écrite et l’autre non, la seconde
étant la plus importante. La seconde partie est le domaine de
l’éthique, qui n’est pas à dire. Ici, seuls le silence et l’acte sont im-
portants. Le caractère multidimensionnel de l’information du texte
devient une totale déformation si celui-ci est considéré sans dimen-
sion éthique. Et aucune perfection stylistique et esthétique ne peut
sauver la situation. Nous devons apprendre à nouveau comment
travailler avec les signes fugaces et obscurs qui ne font que suggé-
rer les sens profonds cachés dans le silence, avec les signes qui
restent toujours hors des “ carnets ”, avec les signes primordiaux de
mort et de vie.
“ Un enfant a dit : c’est quoi l’herbe ? en m’en offrant des poi-
gnées pleines ; comment pouvait-je répondre à l’enfant ? Je ne sais
plus ce qu’elle est ”. Dans ces lignes sans prétention de Whitman,
la naïveté de la question d’un enfant adressée au poète cache en
réalité tout le sérieux du monde qui attend non seulement son arti-
culation, mais également sa compréhension. Un autre poète a une
fois remarqué, pourtant, que si un oiseau se rendait compte de ce
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dont il chante, pourquoi il chante et comment cela se passe dans un


oiseau qui chante, il ne chanterait plus jamais.
Il est dit que l’homme est entré dans le monde tranquillement.
Tandis qu’il s’installait chez lui dans cet espace silencieux et ef-
frayant, qui par son énormité était également doué du pouvoir
d’attirer, il a essayé de domestiquer et de maîtriser cet environne-
ment par le biais du verbe. L’homme a semblé “ faire son nid ” dans
le verbe, dans ses tréfonds sacrés, en traçant les “ cercles ” de son
être, tout comme l’inévitabilité du retour perpétuel à son “ circuit ”.
Le niveau profane du langage avec sa division dénotative entre
“ dénoté ” et “ signifié ” est, sans aucun doute, le résultat d’un déve-
loppement ultérieur. Le fond ontique du langage initial est étroi-
tement relié au mot sauveur, au mot guérisseur, de même qu’au
mot rituel capable de protéger l’homme du malheur et de la peur,
en rendant possible l’impossible. Cette couche du langage est, pro-
bablement, très proche du discours d’un ancien chaman, de la Py-
thie classique et du jurodivyj du Moyen-Âge russe. En dépit de
toutes les différences pouvant exister entre ces expériences de pa-
role et les particularités fonctionnelles de chacune, il existe quel-
que chose qui les rend similaires d’une certaine façon. Il s’agit
d’une certaine expérience mystérieuse consistant en la prononcia-
tion de ces mots secrets et imprévisibles, qui possèdent une énergie
de la plus grande importance. Ce discours par principe non-réflexif,
tout en se réservant le droit au “ non-sens ” immédiat, syntactique
et sémantique et de dépasser les limites, définit en même temps un
espace, un certain lieu où la signification peut être dirigée indirec-
tement, par une déconstruction réflexive et d’infinies interpréta-
tions. Il serait recommandé de se rappeler, cependant, que
l’“ espace délinéé ” par notre tradition ontique non-réflexive peut
s’avérer plutôt misérable. Tel était le cas du bien connu culte reli-
gieux de ceux appelés “ foreurs de trous ” ou “ dyromoljaev ” décrits
par Vladimir Soloviev : “ Après avoir foré un trou dans un coin
sombre d’une cabane en rondins, ils y pressaient leurs lèvres et
disaient plusieurs fois : ma cabane en rondins, mon trou, sauve-
moi ! ” (Soloviev, 1900, p. 8,). On peut faire l’hypothèse que ce ri-
tuel verbal primitif et presque tragi-comique cache une vraie
crainte métaphysique de “ tomber hors du nid ”, de se retrouver
dans un espace non familier, où il n’y a pas de moyen de s’échap-
per, pas de “ foyer ”, là où vous vous sentez désolé et solitaire.
Le chaos silencieux de l’inconnu paraît être dominé par un
“ intellect ” capable de le convertir selon l’ordre de ce qui est connu.
En même temps, même la “ notification ” au monde de l’inévita-
bilité de son entropie et de sa mort, lorsque l’émergence très possi-
ble d’“ îlots de régulation ” est dissoute dans la nécessité de
l’équilibre et de la similarité universels, et la possibilité de diffé-
rentiation disparaît dans le flux du chaos, ne peut pas provoquer
un sentiment de nature tragique concernant la parole. Tout se
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passe selon les lois bien connues : étant absorbé par le chaos,
l’“ ordre ” paraît prévaloir comme si c’était lui-même celui qui avait
prédit un tel décès. Ceci peut être vu comme un point culminant
particulier de l’approche scientifique du monde : en révélant quel-
que chose qui est absolument indépendant de moi, cet ordre établi
des choses qui déclare que la disparition de la possibilité même de
mon existence est incontestable, je me trouve moi-même dans une
position d’extrême résignation et d’imperturbabilité, je me trouve
moi-même comme une particule à peine observable dans le courant
puissant de l’universalité. Maintenant mon attitude est d’être as-
servi, je ne suis que les oreilles et les yeux de quelque chose qui se
passe en dehors de ma connaissance, mon implication propre étant
restreinte à la connaissance du cours des événements “ imma-
nents ” au monde. Toute sorte d’“ ego ” devrait garder le silence. Ici
le monde apparaît devant l’homme à la lumière de la répétition
universelle et la science, comme un élève très appliqué, “ lit ”
l’ontologie des répétitions. “ L’humilité de l’apprenti ” et “ la perfi-
die du connaisseur ” semblent co-exister dans le raisonnement
scientifique : tout en se soumettant à la logique d’un sujet, l’idée
scientifique cherche à faire entrer le monde dans sa propre logique.
Pour dire la vérité, de temps à autre les voix des “ admirateurs
de l’hooliganisme spirituel ” peuvent se faire entendre (comme le
disait Léo Chestov lui-même), en nous rappelant volontiers que
“ l’ordre ” dont les philosophes n’arrêtent pas de rêver pourrait
n’exister que dans les salles de classe et que tôt ou tard le plancher
va se dérober sous vos pieds. “ Et ici, peut-être, Shakespeare peut
se révéler utile. Il vous dira que l’inconnu est ce qui ne peut et ne
doit pas être réduit au connu ”.
Mais, même en supposant que notre devoir de base en ce monde
consisterait réellement dans l’établissement d’“ îlots arbitraires
d’ordre et de régulation ” (N. Winer), c’est-à-dire dans, pour ainsi
dire, l’extraction de la racine de la “ régulation ” à partir de toute
incertitude (en ignorant en même temps le reste en tant qu’erreur
des qualités irrationnelles), tout ceci ne voudrait-il pas dire que
nous ne nous trouvons pas dans une situation d’arbitraire gnoséo-
logique ? Non pas dans le sens que notre connaissance peut n’être
qu’une illusion, emportée par les notions fausses et vraies du
monde, mais dans le sens d’une interrogation sur la qualité et
l’orientation de nos efforts cognitifs. Si l’homme vit dans le monde
qui “ ne se soucie pas de nous ” probablement, aucune défaite ce
sera alors capable de nous priver de la satisfaction d’avoir existé en
ce monde pour un certain temps. L’homme dans l’espace de “ la non
réciprocité ” ontologique, en effet, se trouve lui-même sur une posi-
tion d’opposition résolue et cohérente concernant ses propres ef-
forts pour ajuster ce monde, afin d’y trouver plus de “ satisfaction ”
dans son existence, à l’objectivité totale du même monde. La
“ satisfaction ” même peut se transformer ici en “ agonie ” – une
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indifférence spirituelle de l’homme à n’importe quoi, cette force


terrible et corruptrice du désespoir secret.
Néanmoins, en affrontant la question inévitable “ pourquoi fina-
lement l’humanité existe-t-elle ? ” (certainement, non pas pour
augmenter avec plus ou moins de “ succès ” les conditions fonction-
nellement calculées de son propre “ confort ”, d’autant plus que “ le
calcul ” lui-même peut aboutir à “ l’évaluation des ressources fina-
les ”), l’homme rentre en contact sans le vouloir avec sa propre ex-
périence silencieuse.
Le dialogue externe n’est que le démarreur qui amorce le fonc-
tionnement et le développement indépendants d’une individualité,
déclenche son attitude active envers le monde et Dieu. Le vrai dia-
logue a une intention créative bien mise en évidence. Il est connu
que l’activité créative utilise toujours le dialogue. Mais l’inverse est
également vrai : non seulement la création est dialogue, mais de
même le dialogue est toujours création : être prêt à arrêter les sté-
réotypes, à se lancer dans l’improvisation, etc. La créativité du dia-
logue est destinée non à une création de choses, mais à la création
de relations : la création de l’amour et de l’amitié est le motif cen-
tral de l’ontologie du dialogue. L’improvisation, un moyen essentiel-
lement non-mécanique, est la caractéristique du dialogue vivant.
Au contraire, la présentation systématique est toujours strictement
à une voix et représente un monologue dégénéré et tendu, où le
penseur déballe ses ratiocinations sans accueillir (même sans re-
garder) toute opinion ne faisant pas partie de son système de no-
tions.
L’aliénation ultime entre connaissance et valeurs, science et mo-
ralité, utilité et beauté est reconnue comme une grande menace
pour la culture, l’humanité, et même pour l’existence de la vie sur
terre. Ceci stimule des recherches à la fois théoriques et pratiques
pour arriver à gérer ces ruptures en utilisant les mêmes moyens du
dialogue : l’humanité n’a inventé rien d’autre dans toute son his-
toire.
L’effort de la réflexion philosophique, poussée sans cesse pen-
dant le XXe siècle à s’orienter vers la vie-authenticité (ou la vitalité
authentique ?) de l’homme-dans-le-monde a rendu inévitablement
un caractère problématique au phénomène même de réflexion.
Lorsque la pensée découvre pour elle-même la possibilité d’une
conscience s’élargissant au même pas que la vie (A. Bergson) et
lorsque la théorie de la connaissance et la théorie de la vie appa-
raissent comme inséparables, alors le motif de profonde insatisfac-
tion envers ce qui est appelé la “ logique des solides ” ne peut que
s’accroître. La rangée anémique des expressions du discours logi-
que abstrait est incapable de rendre compte d’une pensée qui es-
saie d’exprimer toute la richesse des nuances de la signification. Le
mouvement dans l’espace clair et strict des structures de concep-
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tualisation et de catégorisation simplifie et fixe un état de faits


prédéterminé. Autrement dit, la pensée qui normalise, régularise
et explique la signification cherche des possibilités pour se renou-
veler dans l’espace de la pensée de formation-de-signification (gé-
nération-de-signification). La pensée désire une parole vivante, qui
ne cache pas la signification dans le terme mais ouvre la possibilité
d’une croissance infinie de la signification.
Étant entrée en contact avec l’atmosphère de “ non-authen-
ticité ” où l’universalité du “ lieu commun ” élimine la possibilité
d’individuation, la pensée philosophique commence à ressentir la
dévaluation réelle de toute universalité, perçue de manière abs-
traite et théorique. Elle cherche des moyens pour trouver, garder
et exprimer la valeur ontologique de l’unique.
Si nous nous demandons s’il est possible de réduire le dévelop-
pement de la philosophie à des filiations de figures de pensée pu-
rement abstraites, de systèmes logiquement complets, de doctrines
et de conceptions, il n’est pas difficile de se rendre compte que
seule la partie des significations appartenant au champ de la phi-
losophie est inclus dans les constructions abstraites et théoriques.
Il est plus difficile d’assumer l’exécution de la philosophie comme
production de l’activité spirituelle où l’intégrité intérieure de
l’homme est non seulement clarifiée, mais également réalisée et
restaurée. Ce n’est que lorsque la philosophie se présente comme
une libération de l’homme de toute oppression, qu’elle peut jouer
son propre rôle dans le cosmos, où l’homme démontre qu’il est ca-
pable d’exprimer l’espace significatif de sa propre vie spirituelle.
Au sens strict, la production philosophique arrive pour exprimer
l’implication du monde intérieur de la mesure de l’homme dans
l’ontologie des événements de l’univers (dans la co-existence de
l’être). Il a été observé plus d’une fois que la “ philosophie attend
que la communication soit réalisée sur la base des intuitions initia-
les et ultimes, et non sur la base des preuves intermédiaires de la
pensée discursive ” (N. Berdiaev). Il est probablement important de
revoir la différence essentielle entre les quelques formes logiques
moyennes de la connaissance philosophique, telles qu’elles fonc-
tionnent souvent en société, pour résoudre des problèmes pure-
ment didactiques, et la vraie origine, c’est-à-dire lorsque la philo-
sophie entame le processus de sa naissance et de sa vie dans la
culture.
Probablement, nous pourrions revoir le rôle de l’intuition en
philosophie, en constatant que l’intuition dans la pensée n’est pas
une étincelle occasionnelle, mais l’essence première de la pensée. La
pensée n’est pas ici un concept, mais l’essence de la chose, reflétée
dans le concept, et participant à travers le concept à l’acte de signi-
fication et de compréhension.
L’intention résultante de la philosophie est la quête de la signi-
fication de l’existence humaine, c’est-à-dire, la recherche de quel-
104 LIUBAVA MOREVA

que chose qui ne peut pas être “ trouvé ”. D’autre part, la vie elle-
même, sans l’intensité de la recherche se retrouve dépourvue de
signification.
Il est connu que la “ signification ” ne peut jamais être décrite,
ou même enregistrée, complètement. La découverte de la significa-
tion n’équivaut nullement à sa possession, car une signification ne
peut pas être “ possédée ” par principe, même si elle montre à
l’homme la voie vers “ l’être ”. La seule forme d’existence de cette
“ signification ” est sa génération, son émergence dans l’espace des
relations inter-subjectives. La “ signification ” est un atome de
compréhension, qui embrasse l’univers de la communication hu-
maine. Selon M. Bakhtin, la “ signification ” est par principe
d’essence personnelle : elle contient toujours une question, une
adresse et l’anticipation d’une réplique. La “ signification ” présup-
pose la présence de deux personnes dans un dialogue minimal. Le
mode de l’existence de l’être humain, au sens propre, consiste dans
la recherche, la découverte et la propagation d’une signification
pour toute chose, y compris pour sa propre vie. C’est tout à fait
autre chose lorsque l’homme, qui ne représente qu’une des possibi-
lités de la génération de signification, se retrouve assez souvent
lui-même non loin d’oublier, de renoncer à ses propres capacités. Il
arrive souvent qu’une difficile route pleine d’efforts, accompagnés
par des doutes spirituels déchirants, soit remplacée par une plai-
sante vallée de contentement de soi-même, la suffisance de soi des-
tructive d’un homme, aidée par l’inertie des forces impersonnelles
et universellement significatives.
On peut supposer que la thématisation philosophique du
“ silence ” est devenue le symptôme de la dévaluation culturelle
totalement désastreuse du fait de “ saisir ” des pensées et des
phrases, de ce cliché puissant, verbal et mental, qui est prêt à rem-
plir tout l’espace des relations de communication idéologiquement
pré-formatives. Pendant que de plus en plus d’idées abstraites de-
viennent la valeur suprême, c’est-à-dire, que les idées tendent à
assumer la forme de l’universalité, le royaume du “ lieu commun ”
devient la place de la communication réelle, et donne à ce “ lieu
commun ” le statut et la puissance de l’universalité. Maintenant,
les “ clichés ” se justifient par eux-mêmes et commencent à détruire
invisiblement la possibilité même de la vie et de la pensée.
L’exploration des voies où la pensée, en essayant de se libérer
des séquences “ habituelles ” fixées par la logique, ne se met pas en
cause seulement elle-même mais également le “ récepteur ” (en
essayant d’extraire sa “ pensée ” hors de la non-pensée), sont explo-
rées non seulement par la philosophie et l’art. Le recherche elle-
même est presque devenue le “ lieu commun ” de la culture
contemporaine.
De manière assez inattendue, la pensée a rencontré l’habileté
croissante de l’espace rendu pragmatiquement technologique (et
LES PARADIGMES DE L’ACTE PHILOSOPHIQUE 105

rationnel ?) de “ parler de tout sans arrêt ”. Même la protestation


contre tous les genres de pensées à clichés et les stéréotypes, en
accaparant l’individualité, se trouve sous l’influence majeure des
formes paradigmatiques codées. En évaluant le caractère
“ raisonnable ” de la conduite humaine, ces formes déterminent
strictement son adaptation fonctionnelle au système. La mesure
même d’une “ action de méditation ” est mise sous le contrôle secret
de la “ signification universelle ”, qui, à la longue, neutralise le
caractère individuel de l’action elle-même. L’objectivation de la
pensée dans le langage est transférée systématiquement (de même
qu’invisiblement) dans les formes grammaticales dépersonnalisées
de la “ voix passive ”, produisant les tout-puissants “ opérateurs ”
linguistiques et mentaux : “ il est pensé ”, “ il est supposé ”, “ il est
généralement accepté ”, “ il est considéré ”, etc.
En même temps, la thématisation philosophique du “ silence ”
est devenue l’expression de la valeur croissante, ou plutôt, de
l’extrême importance de la parole vivante, ce qui s’est manifesté
dans un certain nombre d’aphorismes subtils et tranchants, pro-
fonds et brillants : on est réellement silencieux non pas en se tai-
sant, mais en parlant (Kirkegaard) ; l’homme est devenu, dans une
grande mesure, homme parce qu’il garde le silence sur quelque
chose et non pas parce qu’il parle d’une autre (Camus) ; celui qui se
tait est celui qui peut dire quelque chose (Sartre) ; le silence est la
forme authentique de la parole (Heidegger). Le thème du “ silence ”
a revendiqué l’immersion dans la métaphysique du langage, tout
en mettant à rude épreuve son propre langage métaphysique.
“ Personne ne peut plus parler sérieusement de l’UNIVERS ” – a
remarqué Valéry. Ce mot a perdu son sens premier, tout comme le
mot “ Nature ” s’est retrouvé sans signification ... Ces mots sem-
blent être de plus en plus des mots justes ” (Valéry, 1976, p. 161).
Un autre poète a écrit sur le même sujet de manière encore plus
incisive : “ La répugnance toujours croissante envers le langage,
tout le dégoût de travailler avec des concepts qui sont devenus
vides, l’hostilité envers la philosophie positive provoquent un rai-
dissement au niveau du jargon traditionnel ” (Broch, 1986, p. 379).
La préoccupation pour la parole, pour la vitalité de la pensée, qui
acquiert soudain le ton d’un négativisme irrité, ne change rien à
une situation irrémédiablement usée.
L’expérience poétique apparaît si attirante pour la pensée phi-
losophique cherchant ses racines, non parce qu’une attitude y est
prise envers le langage ou le silence, mais surtout parce que le
langage et le silence eux-mêmes sont exprimés, tandis que la signi-
fication reste toujours vivante dans son ouverture vers l’infini.
À ce propos, on ne peut s’empêcher de se rappeler la confession
de Hölderlin : étant désappointé parce que ses vers étaient sur-
chargés de philosophie, il a remarqué avec peine que “ les poètes
infortunés comme lui-même vont à la philosophie, comme à
106 LIUBAVA MOREVA

l’hôpital ”. Le ton ironique de cette confession commence à être une


“ connotation ” plus fréquente au XXe siècle, avec l’appel de la philo-
sophie à l’art, comme pour soigner ses propres maux, où l’on trouve
non seulement la “ banalité ” des structures logiques et rationnel-
les, mais également la vacuité des moyens du langage. La réflexion
philosophique fait de grands efforts pour surpasser sa propre étroi-
tesse de pensée par les moyens du discours rationnel et déductif ;
elle cherche à secouer l’assurance de soi des buts objectifs et ra-
tionnels de la conscience ayant une orientation pragmatique. Elle
ne se concentre pas seulement sur la quête d’une poétique et d’une
stylistique du texte nouvelles, sur la découverte d’un nouveau lan-
gage, qui “ touchera la réalité ”, mais, à la longue, est incitée par la
nécessité culturelle de protéger cette même culture (la culture de la
pensée, du sentiment, de l’action, de la conscience dans son ensem-
ble et des relations humaines qu’elle éclaire) du danger de la
“ matérialisation ” totale dans les conditions d’une sociométrie
pragmatiquement rationalisée.
Si nous sortons du gigantesque et gothique “ château théorique ”
de la métaphysique du langage et essayons de décrire métaphori-
quement l’image acoustique du verbe où nous vivons, ceci pourra
être caractérisé par la croissance du “ bruit ” – que ce soit le va-
carme mécanique du trafic routier ou tout simplement
l’assemblage articulé des voix émises par les commentateurs de
télévision, radio et autres.
Indépendamment des variations stylistiques de l’“ image ” so-
nore du commentateur (de la neutralité absolue à l’intonation émo-
tionnellement subtile d’un “ ami de la famille ”), l’impression pu-
rement extérieure de la “ vie du monde ” (c’est-à-dire sa totale va-
cuité) restera invariable. Le mot diffusé se transforme lui-même en
un simple refrain qui sert de moyen de mesure pour le transport de
l’information.
Mais je n’ai pas l’intention de me laisser absorber dans la consi-
dération du “ sort ” de l’homme et de son langage reflété dans les
phantasmes des médias. À la longue, il est effectivement possible
que le coloris impressionnant et la bande sonore d’un vidéo-clip
deviendront le modèle de la “ nouvelle vision ”, pour laquelle
“ tout ” sera faisable. Mais il est de la plus grande importance
qu’une chose évidente devienne possible, ce qui sonne comme un
verdict : “ La souffrance, l’amour, l’espoir... les images reliées à ces
sentiments doivent leur puissance au fait que l’homme technologi-
que ne les éprouve pas ” (Read, 1967, p. 31). La conscience artisti-
que retournera plus d’une fois vers les thèmes de vie mentionnés et
les interprétera à sa propre manière. Qu’il s’agisse des personnages
des livres de Robbe-Grillet, habitant l’espace labyrinthe du
manque de distinction réciproque entre objets, événements et
même personnes, réunis sous le terme “ entité physique ”, à cause
de la duplication mutuelle et sans fin des formes, des volumes et
LES PARADIGMES DE L’ACTE PHILOSOPHIQUE 107

des sons. Qu’il s’agisse de “ perspective poétique ” ou de “ la poéti-


que d’un courant de conscience ”, de “ la poétique du rêve ”, des
“ faits ” ou de l’“ absurde ” – derrière tous ces outils et toutes ces
méthodes, derrière tous ces programmes artistiques, étalés si gé-
néreusement, et de leur mise en œuvre, on peut voir la perception
du monde (en dépit de tout) de l’homme vivant qui se révèle dans
l’œuvre d’art. Il y a une quête persistante cherchant l’actualité
immédiate de la parole en tant que réalité où demeure l’humain.
Étant réduit pourtant à la fonction de ligne symptomatique –
“ plus le monde est horrible (et maintenant il est plus horrible que
jamais), plus l’art devient abstrait ” (V. Kandinsky) – c’est un art
facilement avalé par ce monde comme une espèce de tranquillisant
léger. Néanmoins, il s’agit d’un art et non de science ou d’autres
formes rendues rationnelles pragmatiquement, qui “ donne (selon
H. Read) une signification à la vie ”, non pas simplement dans le
sens de surpasser l’aliénation, mais dans le sens de “ réconcilier
l’homme avec sa destinée, qui est la mort... ”, non pas au sens phy-
sique, mais par rapport à “ cette forme de mort qu’est l’indifférence,
l’acédie spirituelle ” (Ibid. p. 34).
Le verbe de l’artiste et celui du philosophe se rencontrent à la
frontière de la responsabilité extrême de l’humanité (de sa propre
individualité, la particularité de l’être) devant l’univers. C’est la
rencontre de la pensée et du verbe dans l’espace spirituel des sen-
sations profondes, éprouvée par l’homme qui est conscient de son
unité avec l’infini de la formation du verbe. C’est ici que la possibi-
lité de la “ gnose de la plénitude de vie ” est acquise ; la possibilité
de ce principe intérieur de cognition, imprégné de l’énergie de
croissance spirituelle de l’homme, où nous observons non pas
l’opposition des mondes intérieur et extérieur, mais leur relation
réciproque. L’acceptation intérieure de la pensée philosophique de
l’opportunité à être réalisée dans une signification morale et artis-
tique représente, en premier lieu, l’opportunité de dépasser la na-
ture théorique auto-contenue, réalisée sous la forme du discours
conceptuel abstrait, l’élimination du “ canon ” logo-centriste, et la
voie de sortie vers une vision nouvelle et constamment renouvelée.
Voici comment la nécessité de la gnose en croissance spirituelle
se déclare : le mouvement de la pensée dans l’espace de la complé-
tude de vie, où l’homme en tant qu’“ être compréhensif émotionnel
et pratique ” est inclus dans le continuum de signification éthique
de l’ontologie de la communication. Ici, la pensée est dirigée vers
l’horizon d’une formation humaine créative libre dans le monde, ici,
l’individuation de la pensée et du verbe représente, en fait, la prin-
cipale universalisation de la signification générée dans l’espace des
relations. Le mutisme de toute “ objectivité ”, tandis qu’il est perdu
dans le silence de notre attention, acquiert l’opportunité de
s’exprimer par la pensée et le verbe. L’instabilité, la variation, la
pluralité, l’abondance de couleurs et la puissance vitale du monde
108 LIUBAVA MOREVA

exigent un regard d’une telle vivacité que le tableau ne pourra pas


se dissiper peu à peu accaparé par la fixité des règles.
Tout en révélant l’essence du rythme même de la formation in-
finie, ceci demande que la pensée soit libre de tout algorithme,
c’est-à-dire, créative de manière vitale, comme création de l’homme
dans la complétude de son habileté à se réaliser lui-même dans le
monde et à réaliser le monde en lui-même, ce qui devrait approcher
le monde dans son intégrité et sa plénitude. Ici, la voie de la pensée
“ abstraite ” et rationalisée scientifiquement ne représente qu’une
des possibilités. Il est, vraisemblablement, important de ne pas
permettre son usurpation du pouvoir, car alors il surgirait des
changements inattendus dans l’ontologie de la pensée et la maladie
de l’absence de vie ne frapperait pas seulement la philosophie.
L’authenticité de quelque chose qui souffre, ressent, partage une
expérience émotionnelle, aime et rêve ne peut pas être remplacée
par la neutralité indifférente de l’universalité objective. Et, vrai-
semblablement, la voie, où plutôt que la logique, c’est l’authenticité
d’un sentiment qui cherche à se révéler (ce qui a conduit l’auteur à
cette idée), ne peut pas être comprise réellement dans le cadre
prudent de la raison discursive, qui conserve sa propre pureté. Ce
n’est qu’ici que l’homme apparaît comme un mélange de chaos et
d’harmonie, comme auto-destruction et auto-création, et tout ordre
est imprégné par la fortune inattendue et imprévisible. L’homme et
le verbe paraissent ici attendre le “ hasard ” de la rencontre réelle.
Il est facile de noter que le conflit a largement dépassé le cadre
de l’épistémologie, pour pénétrer dans la sphère de l’ontologie de la
pensée. La déchirure ne se passe pas entre les différentes capacités
cognitives en termes de quelques échos déjà dépassés sur les
contaminations triviales par le “ vide de la raison ” et
l’“ aveuglement de l’expérience ”, mais cette déchirure se produit à
l’intérieur de la pensée elle-même, dans l’acte même de son accom-
plissement. La réflexion philosophique a souvent saisi cette déchi-
rure, en essayant de trouver un modus vivendi entre intelligence
“ logique ” et “ créative ”, en voyant en celle-ci une opportunité pour
la plénitude vitale de la pensée. La vérité logique de la pensée,
l’évidence irréprochable de ses constructions théoriques, la mesure
de la correspondance entre le “ monde des idées ” et le “ monde des
choses ” qui permet de parler de la relevance de la pensée par rap-
port aux processus (liens, relations) qui s’y reflète, affiche sa pro-
pre “ division en deux ” face au monde vivant. Cette situation nous
fait souvent exclamer avec enthousiasme : “ Sagesse, foi, justice,
patience, bonté sont une affaire, et les mathématiques – c’est tout
à fait une autre affaire. Il n’y a pas de vérité en philosophie qui
serait abstraite, une vérité pour chacun, qui pourrait y jouer son
âme1. ”

1. M. UNAMUNO, Œuvres choisies, en deux volumes, vol. 1, Leningrad, 1981,


LES PARADIGMES DE L’ACTE PHILOSOPHIQUE 109

Mais la même rigueur logique peut considérer que la


“ philosophie contemplant le monde ” ne doit pas être mélangée
avec la philosophie scientifique : “ La science est impersonnelle.
Celui qui y travaille n’a pas besoin de sagesse, mais d’un don de
théoricien. ” Et, si nous sommes libres de préjudices, ce serait pa-
reil si ce même jugement ou un autre arrivait de Kant ou de
S. Thomas d’Aquin, de Darwin ou d’Aristote. Toute “ sagesse ” et
“ doctrine de sagesse ” perd le droit à l’existence dès que la doctrine
théorique correspondante acquiert un terrain significativement
objectif : “ La science a dit son mot, désormais la sagesse est suppo-
sée être enseignée par cette voie2 .”
Nous pourrions même noter que “ en tant que science, la philo-
sophie ne s’est pas encore épanouie, ” mais ainsi nous devrions
faire des efforts plus enthousiastes pour que notre pensée apporte
“ la clarté décisive, les conditions d’une science exacte, naïvement
oubliées ou mal comprises par la philosophie précédente ”. Quelles
sont, du point de vue de Husserl, ces conditions ? Avec une
“ décisive clarté ”, l’idéal logique de la philosophie parle : “ L’es-
sence de la science consiste dans l’unité des fondations, l’unité sys-
tématique, où non seulement les connaissances particulières, mais
les fondations elles-mêmes, et avec lesquelles les complexes plus
hauts des fondations, appelés “théorie”, sont assemblés ”. Et il im-
porte peu de savoir combien loin Husserl est allé, depuis le logi-
cisme initial de son propre point de vue. Ce départ effectué dans le
point principal, à savoir, dans la limitation inexorable de toutes les
recherches phénoménologiques sur la conscience elle-même. Effec-
tivement, pour la Logique, la question concernant la réalité de
l’être est réellement sans importance. L’être du monde peut tou-
jours être remplacé ici par une variable quantifiée.
La phénoménologie pure, comme son créateur l’a souligné plus
d’une fois, peut être une recherche de l’essence, mais non de
l’existence. Mais là où la recherche de l’essence impose un veto à la
recherche de l’existence, la pensée, à n’importe quelle profondeur
d’évidence eidétique qu’elle aille, peut apparaître à tout moment
comme absolument insignifiante, pour un être humain engagé
dans l’existence. À un de ces moments, Husserl lui-même a été
forcé d’admettre : “ La philosophie en tant que science stricte ... –
est un rêve dont on s’est réveillé. ”
Je ne soulève pas la question sur le potentiel heuristique géné-
ral de la méthodologie phénoménologique, sur sa signifiance indu-
bitable pour les méthodes de la réflexion philosophique en général.
Pour moi, ce qui est important est justement de montrer une cer-
taine voie de pensée poussée à la limite, à la nécessité de se trans-

p. 21.
2. E. HUSSERL, La philosophie comme science exacte // Logos. International
Yearly Book in Philosophy of Culture, Moscou, 1911, vol.1, p. 53, 56, 49.
110 LIUBAVA MOREVA

former “ dans-son-autre ”. Ce “ drame ” de l’intelligence classique


est joué selon les règles du style élevé. La première apparence du
principal personnage – le Logos, entouré par les fondations loyales
– se produit avec les feux d’artifice de l’assurance de soi-même :
“ Toutes les fondations possèdent une certaine “forme”... Ni l’arbi-
traire, ni la contingence ne règnent sur les relations de base, mais
la raison et l’ordre, c’est-à-dire, une loi normative ”, “ et la vérité
des inférences est garantie par sa forme ”. De son côté, “ une forme,
un fois ordonnée, rend possible l’existence des sciences ”. En un
seul mot, un ordre est garanti pour le Logos. Et “ lorsque s’établit
un simple sens pour juger ”, le Logos n’est pas “ concerné... par la
question, s’il est supposé faire une quelconque distinction entre le
“bien” subjectif et celui qui est objectif. Il suffirait de noter que
quelque chose est considéré comme ayant de la valeur, comme si
c’était une valeur et même le bien3 ”. Intoxiqué par son propre pou-
voir, le héros ne peut pas s’empêcher de s’exclamer : “ Peut-être,
dans tout cela, il n’y a pas d’idée qui soit plus puissante, plus illi-
mitée, plus victorieuse que celle de la science... Si on la pense dans
sa complétude idéale, ce sera la raison elle-même, qui ne pourrait
souffrir aucune autre autorité à côté ou en-haut4. ”
Mais les joyeux carillons de ces fortes exclamations ne devraient
pas noyer le bruit croissant qui arrive de l’arrière-plan : un mé-
lange indistinct de voix témoignant du “ combat d’une vie contre les
principes mêmes de la forme ... la vie confiante en elle-même désire
se libérer de l’oppression de toute forme ” (G. Simmel). Dès que
“ dans chaque sphère de la vie, la révolte contre toute forme établie
est devenue perceptible ”, la Raison classique, vouée “ à être sous le
signe de la forme, bien-arrondie, auto-suffisante, assurée que cette
façon calme et épanouie est la norme de la vie et des processus
créatifs ”, est forcée de jouer sur certaines scènes, doublée par le
Logos, pour assurer son propre droit à être le sens
unique et la valeur de notre être, de sorte que tous ceux qui
l’entendent se trouvent assurés que tout “ désir de vie ” à se pré-
senter comme une “ force informelle ”, “ dans son immédiateté nue
débarrassée de toutes les formes ” est absolument inatteignable,
car “ toute cognition, tout vouloir, toute création ne peut que rem-
placer une forme avec une autre5... ”.
À ce point, la forme elle-même, que la Raison a appelée, prend
pour ainsi dire une forme plus vitale, plus volumétrique, en sur-
passant la fermeture rigide de l’ordre logique formel. Il pourrait
être rappelé ici que “ chaque personne, parlant sincèrement, ne fait
inévitablement que se contredire ”, et que l’on doit faire attention

3. E. HUSSERL, Recherches logiques. Prolégomènes à la logique pure, vol. 1, par-


tie I, St Pétersbourg, 1890, p. 15, 13, 17, 35.
4. E. HUSSERL, La philosophie comme science exacte, p. 8.
5. G. SIMMEL, Le conflit de la culture moderne, Petrograd, 1925, p. 14, 32, 15,
31, 38.
LES PARADIGMES DE L’ACTE PHILOSOPHIQUE 111

aux avertissements : “ La chose la plus soporifique pour l’esprit


humain est l’adoption d’un système6 ” (Fr. Schlegel), puisque “ la
volonté de système est un manque de sincérité7 ” (Nietzsche). Il
pourrait être admis ici, que “ l’intérêt de la pensée esthético-
philosophique ” n’appartient pas au “ général abstrait et naturel-
lement nécessaire... mais il est dirigé vers un élément vital concret
de toutes les formations historiques des activités culturelles de
l’homme8. ” Et on peut noter que “ le monde compris comme un
objet et la seule réalité, n’a pas de sens ”. Ce qui est important est
d’appeler à l’ordre à temps : ne pas mélanger, à la mode romanti-
que, les “ valeurs de forme de pensée ” et les “ valeurs relatives à
un sujet ” et distinguer entre “ l’ordre de l’être ” et “ l’interprétation
d’un sens9 ”. Autrement, le logos philosophique est mis en danger
par le mélange d’éléments théoriques et esthétiques et “ va chance-
lant sans arrêt entre un raffinement discursif et la création artisti-
que. ”
Revenons aux “ variations ” néo-kantiennes (avec leur dialogue
interne tendu), avec la philosophie de la vie qui nous est néces-
saire. Dans l’école néo-kantienne (l’école de Baden), il y avait une
rencontre ouverte entre les catégories systématiques de rai-
son/intellect parfaitement rodées par les traditions philosophiques
de tout un siècle et des éléments sans restriction venant du monde
intérieur du sujet. En présentant ce tableau au complet, l’exigence
d’une “ compréhension de la vie vécue par les gens ” (Dilthey) n’a
pas seulement fourni des thèmes nouveaux au caractère historique
et culturel de l’existence humaine, mais a mis en évidence les voies
d’une implication nécessaire de, pour ainsi dire, la modalité per-
sonnelle dans le champ de l’attention philosophique. Attrapée par
ce zèle vital, la raison émet des doutes sur la possibilité d’“ ajuster
l’image des relations des choses du monde à un système de
concepts bien ordonné ”, et demande de “ rechercher un lien interne
de toute la connaissance ... non dans le monde, mais dans la per-
sonne. ” Cependant, comme “ la vie de l’individu crée son propre
monde ”, il est du devoir du philosophe de ne rien expliquer, de ne
rien dépareiller, mais seulement de “ décrire les faits que chacun
peut observer en lui-même10 ”. Le vrai caractère noble de cette in-
tention proprement humaniste de la raison qui a ouvert la voie à
des descriptions historiques et culturelles profondes, ne pouvait

6. F. STEPUN, La tragédie du processus créatif (Friedrich Schlegel), // Logos,


Moscou, 1910, vol.1, p. 186.
7. F. NIETZSCHE, Le crépuscule des dieux, St Pétersbourg, 1907, p. 9.
e
8. W. WINDELBAND, La philosophie dans la vie spirituelle allemande du XIX siè-
cle, Moscou, 1910, p. 46.
9. G. RIKKERT, Sur le concept de philosophie //Logos, Moscou, 1910, b.1 p. 27, 58.
10. W. DILTHEY, Types of Weltanschauung and their Appareance in Metaphysi-
cal systems // New Ideas in Philosophy, N. O. LOSSKY (éd.), St Pétersbourg, E. L.
Radlov 1912, p. 123, 126, 135.
112 LIUBAVA MOREVA

pas, évidemment, se monter à la “ ratio ” philosophique, avec sa


propension évidente à chercher analytiquement et dans les der-
niers détails le conditionnement, la justification et l’ordon-
nancement de toute chose ; tandis que la voie de la “ com-
préhension ” et de la “ description ” lui paraissait une source de
subjectivisme et de chaos. Cependant, la philosophie, évidemment,
n’a pas pu mettre de côté la signifiance ouverte et sans limite du
monde intérieur, qui est loin de consister en une simple “ volonté
de cognition ”, mais comprend “ un ensemble infini de nuances
dans les relations des êtres humains avec le monde ”, qui montre à
une personne éprouvant une forte impression la vie à partir d’un
point de vue particulier, où “ le monde est présenté dans une nou-
velle lumière11. ”
L’insuffisance de l’inclination traditionnelle, quoique longtemps
“ naturelle ”, sur le plan philosophique, envers la création d’un
modèle explicatif objectif du “ monde comme un tout ”, est apparue
à tous les niveaux lors de l’application au monde humain. La pléni-
tude naturelle de ce dernier avec le courant d’expériences, d’états
d’esprit, de pensées, de faits et de sentiments rend au moins peu
naturelle toute atteinte de réflexion en vue d’une conceptualisation
analytique pour remplacer le processus de travailler soi-même ces
images de vie.
Mais, étant adopté en philosophie, l’effort envers la clarification
de l’acte intellectuel a été, en même temps, une ouverture vers
l’intersubjectivité universelle, une voie vers la hauteur attirante de
la transcendance, et a établi un vrai caractère anonyme de la pen-
sée, comme si pour la raison établie, toute “ sphère empirique per-
sonnelle ” est dissoute sous la pression de l’intellect tendant à
l’universalité : c’est l’antipode “ le plus pur ” du “ pur moi ” au nom
duquel “ la personne de raison ” telle qu’elle apparaît, ne peut se
permettre que d’“ être un philosophe ”.
Les paradoxes de l’“ éthique de l’intellect ”, fondamentalement
impersonnelle, étaient obligés d’influencer l’existence humaine
elle-même. Et ceci ne signifie pas seulement que “ la personne de
raison ” devrait se réduire elle-même à la fin à un refus infini
d’être quelque chose, en dédiant toute sa pensée au “ plus général
et abstrait ” ; l’universalité anonyme de la pensée arrivée à sa li-
mite connaît tout. Et alors, ce n’est que la confession de M. Teste
qui reste : “ Je supprime le vivant. Je ne garde que ce que je désire.
Mais la difficulté n’est pas là. La difficulté est de préserver ce que
je voudrais demain. ” Et ainsi “ être et voir soi-même : se voir soi-
même voir, et ainsi de suite ”, en ayant finalement pensé à tout
ceci, découvre soudain que “ l’on peut s’endormir à chaque pensée,
le sommeil continue toute idée ... ”. Valéry abandonne non seule-
ment effectivement son personnage dans le calme du sommeil,

11. Ibid., 131, 132.


LES PARADIGMES DE L’ACTE PHILOSOPHIQUE 113

mais affirme également que : “ Vita Cartesii est simplissima ” (la


vie de Descartes est très simple) parce qu’il est censé tout juste
“ penser avec toute l’exactitude possible sur ce que tout un chacun
peut faire. ”
Nous, évidemment, nous ne devons jamais oublier qu’indépen-
damment des voies prises par la philosophie, elles ne seront jamais
faciles. Il nous importe de voir que, à côté de Descartes, la culture
n’a pas engendré en vain les Pensées de Pascal. A côté de la règle
“ de ne s’intéresser qu’aux choses dont notre intelligence paraît
capable, pour en tirer une connaissance fiable et indubitable12 ”, se
renforce la demande “ d’apprendre comment évaluer proprement la
terre, les pays, les cités et soi-même13. ” Très probablement, la plé-
nitude de signification “ exprimée ” dans l’un ou l’autre “ système ”
philosophique, quelle que soit la force des arguments en faveur du
caractère potentiellement universel d’un parmi eux, est à découvrir
(et, peut-être, à être créé) seulement sur la frontière, où une inter-
section d’un ensemble toujours incomplet de positions spirituelles
et cognitives est en train de se réaliser. Et même si l’on imagine
que “ l’un efface ce que l’autre établit ”, la conséquence de cet af-
frontement ne tombera pas du tout dans le vide du cogito,
s’annihilant dans le zéro mathématique, mais dans le sens de
l’infinité “ ∞ ” de l’esprit (s’il faut utiliser dans ce cas le symbole
mathématique le plus exact, selon le conseil de Kant).
L’histoire vivante de la pensée philosophique ne doit pas deve-
nir une archive à travers la bien connue érudition de l’intellect
professionnellement vidé, avec sa propension inébranlable à la
classification des herbiers. La seule chance pour la pensée philoso-
phique de se remplir de sens (c’est-à-dire, d’être une pensée non
seulement dite, mais également entendue, est d’être un point
d’assemblée de sujets unis dans leur différence et aspirant à la
compréhension) est reliée à la capacité de chaque personne vivante
de porter en elle-même toute l’histoire de humanité, comme si
c’était son propre passé. C’est la seule place où une opportunité se
présente, non pas pour transformer le mouvement de la pensée en
un quelconque compendium, qui obtiendrait une collection pano-
ramique d’“ idées ”, mais pour donner une opportunité à l’enre-
gistrement complet du son, sans effacer les voix. Car, non seule-
ment une orchestration est nécessaire, mais également un espace
de notre propre côté. Et, pour ne pas jouer à côté de l’orchestre et,
ce qui est plus important, ne pas remplacer notre mélodie par du
bruit, il n’y a rien de plus important pour la pensée dans son effort
suprême à rendre le son inexprimable, que la capacité d’écouter et
de comprendre ce qui a été déjà exprimé dans sa totalité. Les phi-
losophes doivent toujours essayer à saisir le sens authentique et

12. R. DESCARTES, Discours de la Méthode, // Œuvres choisies, M., 1950, p. 81.


13. B. PASCAL, Pensées, St Pétersbourg, 1889, p. 37.
114 LIUBAVA MOREVA

complet de la philosophie, la totalité de son horizon d’infinité. Au-


cune ligne cognitive, aucune vérité partielle ne doivent être absolu-
tisées et isolées. Ce n’est que par cette réflexion permanente que la
philosophie devient une cognition universelle.

Liubava MOREVA.
(Institut russe pour la recherche culturelle, St Pétersbourg.)

Traduit de l’anglais par Daniel Arapu.

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