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Allemagne: Merkel s’inquiète d’un
déconfinement trop rapide
PAR THOMAS SCHNEE
ARTICLE PUBLIÉ LE VENDREDI 24 AVRIL 2020
Angela Merkel au Bundestag, le Parlement fédéral allemand, le 23 avril 2020. © AFP
Les petits magasins ont commencé à rouvrir en
Allemagne et l’exécutif fait le pari risqué de relancer
en partie l’école le 27 avril. Mais le gouvernement
fédéral, les régions et le parlement débattent encore
des meilleures voies pour déconfiner.
Berlin (Allemagne), de notre correspondant.– En
ce mercredi 22 avril à Berlin, jour très attendu de
réouverture des magasins d’une surface maximale
de 800 mètres carrés, un soleil radieux et le vert
tendre des arbres saturent l’atmosphère, pendant qu’un
vent frais balaye des tignasses qui n’ont pas vu
une paire de ciseaux depuis des semaines. Dans
la Wilmersdorfer Strasse, l’une des grandes rues
piétonnières et commerçantes de l’ouest de la capitale,
l’espoir semble presque au rendez-vous. Mais les
masques faciaux que portent la plupart des passants, un
peu plus nombreux que les jours précédents, calment
l’euphorie.
« Vous ne pouvez savoir à quel point je suis contente de
retravailler. D’être venue ce matin rouvrir le magasin,
c’était presque aussi excitant que si je partais en
week-end », s’amuse Aïcha, une vendeuse de 25 ans
qui travaille chez Deichmann, une grande chaîne de
magasins de chaussures. Ce matin, Aïcha accueille les
clients en leur tendant un carton rempli de jetons. « Il
y en a 40, soit le maximum de clients que nous ayons
le droit d’accueillir dans 800 m2. Quand un client
ressort, il rend son jeton dans la boîte “sortie”. Je le
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désinfecte et le replace dans la boîte “entrée”. Un tel
contrôle est obligatoire si l’on veut pouvoir ouvrir »,
explique-t-elle.
Plus loin, un client se plaint de n’avoir pour choix que
quelques modèles « Homme » dépareillés. « Chaque
Land a un peu adapté les règles. À Berlin, la mairie a
décidé que l’important, c’était que la surface de vente,
et non pas le magasin tout entier, ne dépasse pas les
800 m2. C’est pour cela que nous gardons deux étages
fermés, dont celui pour les hommes », précise Claudia
(45 ans), une autre vendeuse qui avoue, quant à elle,
qu’elle n’est pas du tout aussi ravie que sa collègue.
« Mon mari est diabétique et fait partie des personnes
à risques qui doivent rester chez elles. En même temps,
nous avons bien besoin de mon salaire tout entier »,
estime-t-elle avant de se plaindre du comportement de
certains clients qui oublient vite le mètre et demi de
« distance sociale » recommandé face à l’épidémie.
« Heureusement que les marquages sont là », dit-
elle en montrant les bandes au sol qui imposent un
espacement entre clients devant la caisse. « J’ai un
peu peur que le déconfinement partiel tourne la tête de
ceux qui n’en peuvent plus ou de ceux qui pensent que
tout cela, c’est de l’hystérie », souffle-t-elle.
Angela Merkel au Bundestag, le Parlement fédéral allemand, le 23 avril 2020. © AFP
En accord avec les seize Länder, l’exécutif fédéral
d’Angela Merkel a présenté, le 15 avril, les grandes
lignes du déconfinement. Notamment un calendrier
sommaire pour le redémarrage partiel de l’école (les
27 avril et 4 mai pour les terminales, premières,
troisièmes et CM2) et, sous certaines conditions,
pour autoriser l’ouverture des petits magasins, des
coiffeurs, des concessionnaires automobiles, des
magasins de vélos ou encore des bibliothèques
universitaires.
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Pour certains, c’est « la lumière au bout du tunnel ».
Pour d’autres, comme Angela Merkel, c’est une
expérimentation aussi nécessaire que « risquée ».
La chancelière, qui sait qu’un déconfinement suivi
d’un retour de flamme de la pandémie aurait des
effets dramatiques pour le moral des gens comme pour
l’économie, s’en est prise, lundi dernier, à « l’orgie
de discussions sur l’ouverture » qui se déroule dans
les seize Länder du pays : « Nous ne devons à aucun
moment nous croire en sécurité… Nous sommes loin
d’être tirés d’affaire », a-t-elle déclaré.
Lors d'une nouvelle intervention jeudi au Bundestag,
la chancelière allemande, accompagnée du chef des
députés conservateurs Klaus Brinkhaus, a de nouveau
regretté la manière désordonnée dont les Länder
appliquent des accords sur le déconfinement, pourtant
négociés conjointement la semaine dernière.
Pour Angela Merkel, certaines régions allemandes
« vont bien trop vite » et feraient bien de faire preuve
de patience et de discipline pour traverser la crise liée
à l'épidémie de coronavirus qui n'en est « qu’à son
commencement », a-t-elle averti jeudi.
Klaus Brinkhaus a, de son côté, précisé la pensée de sa
patronne en montrant du doigt le Land de Rhénanie-
Palatinat (ouest) qui, sous prétexte de ne prendre
en compte que les 800 mètres carrés par magasin,
a autorisé la réouverture de centres commerciaux
entiers. Ce alors que des régions voisines, comme la
Sarre, restent très restrictives.
Le chef des députés conservateurs a aussi évoqué
les Länder qui interdisent la tenue de grandes
manifestations pendant que d’autres les maintiennent.
La Bavière vient d'annoncer l'annulation de l'édition
2020 de l'Oktoberfest (6 millions de visiteurs), tandis
que le Schleswig-Holstein (nord) maintient début
septembre, et en version réduite, la « Semaine de
Kiel » (3 millions de visiteurs), un gigantesque
rassemblement de voiliers de courses et de gréements
anciens.
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Le grand test du redémarrage de l’école, à
partir du 27 avril
Si c’est l’État fédéral qui pilote la stratégie globale de
l’Allemagne face à la pandémie, ce sont néanmoins
les seize régions qui sont constitutionnellement
responsables de la gestion des épidémies, mais aussi
de l'éducation (décision sur la réouverture progressive
de l'école), des agences sanitaires et du maintien de
l'ordre (contrôle de l’application des diverses mesures
par les forces de l'ordre). Chaque grande annonce faite
par Berlin, depuis la chancellerie, est donc précédée
d’un sommet entre l’État fédéral et les régions.
Forcément, la lutte contre le coronavirus n’est pas
sans influence sur le travail gouvernemental et les
rapports de force politiques. Les sociaux-démocrates,
les Verts et Die Linke (gauche critique) ont ainsi
dû batailler longtemps pour que les conservateurs
acceptent enfin la création d’une « retraite de base »
afin de freiner l'appauvrissement des retraités les plus
modestes. Début 2020, le projet était aux portes de
l’adoption. Puis la pandémie est arrivée.
Aujourd’hui, sous des prétextes financiers, il a été
repoussé aux calendes grecques par une droite ravie
de l’aubaine. Ce alors même que la ministre de la
défense et cheffe – sur le départ – de la CDU Annegret
Kramp-Karrenbauer n’a pas hésité, mardi, à annoncer
son choix en faveur de l’achat de 93 avions de chasse
Eurofighter et 45 F-18 américains, un projet qui va
coûter des milliards.
« Actuellement, nous avons deux tendances à Berlin,
décrit Johannes Hillje, un consultant politique et
ancien directeur de la campagne des Verts pour
les européennes de 2014. Celle qui domine est
la ligne de la prudence qui s’appuie beaucoup
sur les avis des virologues de l’Institut Robert
Koch. Elle est représentée par Angela Merkel, les
sociaux-démocrates et le ministre-président bavarois
Markus Söder [CSU, droite bavaroise – ndlr]. L’autre
ligne, celle qui prône un retour assez rapide à la
normalité et s’appuie sur les milieux économiques,
est représentée par le parti libéral et le ministre-
président de Rhénanie-du-Nord-Westphalie Armin
Laschet, candidat à la succession de Merkel. »
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Les tenants de la dernière tendance ont beaucoup
poussé en faveur du redémarrage de l’école, préalable
à la relance de l’économie. Cette reprise s'annonce
difficile. « J’ai trois filles dont une qui vient de passer
son premier examen pour l’Abitur [le bac allemand
– ndlr], mardi dernier, avec des gants et un masque,
explique à Mediapart Sabine Menkens, enseignante
d'une école primaire à Berlin. Et une autre qui est
en sixième et fait partie des quelques classes qui
recommenceront le 4 mai prochain. »
« Tout ce que l’on sait pour l’instant, c’est que les
classes vont être divisées par deux, qu’une partie des
cours se poursuivra à la maison et que seules les
matières principales seront maintenues. Est-ce que
les conditions sanitaires seront suffisantes ? Comment
va-t-on faire avec les enseignants et les élèves qui
sont des personnes à risques ? Et comment faut-il
imaginer le retour des petites classes et la gestion des
récréations ? », s'interroge-t-elle.
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L’école pourra-t-elle rouvrir aussi vite, et dans les
conditions souhaitées par les dirigeants politiques
allemands ? Rien n’est moins sûr et l’omniprésente
chancelière n’a cessé de répéter que la légère
amélioration des chiffres de l’Allemagne sur le front
de la pandémie doit être avant tout considérée comme
un moment de répit qu’il faut utiliser pour consolider
les défenses du pays face à la pandémie.
Guidé par cette ligne « prudente », le gouvernement
fédéral travaille donc actuellement sur deux projets
de loi qui devraient rapidement atterrir au Parlement.
L’un concerne les moyens et la méthode pour soutenir
le système médical et hospitalier mais aussi pour
pouvoir réaliser jusqu’à 4,5 millions de tests par
semaine. Le second se concentre sur la création rapide
d’une filière de production de masques.
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