Chapitre I
Je l’ai tout de suite reconnu. Un jumeau, une âme sœur, un alter ego.
Nous avions le même humour, nous partagions les mêmes valeurs et les
mêmes intérêts. Pendant quelques années, notre relation a été très platonique
mais à un moment donné, j’ai fini par sentir qu’il s’éprenait de moi, qu’il
devenait sensible à mon charme tout en se gardant de l’exprimer. J’étais
aussi très attachée à lui mais je ne voulais pas d’une relation avec un homme
marié, encore moins avec un homme de son rang social, par respect pour
moi et pour l’autre femme.
Puis un jour, portés par l’ivresse du classique verre de vin, dans une
ambiance propice au rapprochement, nous avons laissé nos bonnes
intentions de côté. Mon attirance pour lui a eu raison de mes principes et
nous avons cédé: C’était le début d’une liaison dangereuse.
Nous avons vécu une folle passion: les rendez-vous dans l’ombre, le cœur
qui bat la chamade, les courriels enflammés, les coups de fil nocturnes.
Nous volions très haut. Nous étions en phase sur tous les plans: affectif,
sexuel, spirituel et même philosophique. Je l'admirais beaucoup. J’étais fière
qu’un homme d’une telle envergure, d’un tel charisme et d’une telle
influence s’intéresse à moi. Il correspondait en tout point au compagnon tel
que je me le représentais: vif d’esprit, cultivé, intellectuel, tendre, drôle et
attentionné.
Au bout de deux mois, j’ai néanmoins voulu rompre car je souffrais déjà
d’être reléguée au second plan. Son épouse s’interposait entre nous tel un
fantôme, même comme parfois je ressentais aussi de la culpabilité envers
cette femme que je ne connaissais pas. Cependant, à mes yeux notre amour
méritait d’être connu de tous. Quand je lui ai annoncé ma décision de faire
une pause, il m’a répété à maintes reprises, les yeux plantés dans les miens
et le ton solennel: «je t’aime profondément, tu es la femme de ma vie, je ne
te laisserai pas tomber. Attends-moi». Alors j’ai attendu et ce pendant
longtemps, mais les années qui ont suivi m’ont marqué au fer rouge.
Je n’ai pas douté une seconde de sa sincérité. J’étais certaine qu’il allait
honorer son engagement, après tout je le connaissais depuis longtemps. Je
décidai donc de continuer ma relation avec Rémi-X alias «Monsieur Pilou»,
comme j’aime l’appeler. Je l’appelle ainsi parce qu’il a un pilon efficace. Du
haut de ses cinquante-trois ans, il me fait vibrer au lit. Mon Pilou Pilou me
"pile" bien. Il ne voulait pas me considérer comme sa maîtresse, j’étais son
«grand amour». Étais-je naïve ? Non, je ne le pense pas. Je continue de
croire encore aujourd’hui qu’il était sérieusement épris de moi. Il n’était pas
le genre à cumuler les aventures ni à se jouer des femmes.
Sauf que la situation a fini par me rendre dingue. Je dormais mal, je
mangeais peu, je prenais des médicaments, je pleurais tous les jours, mais je
lui cachais toutefois mon désarroi de peur de le faire fuir. Sincèrement, quel
homme marié voudrait d’une fille qui pleurniche ? Quelle sera sa raison de
quitter sa femme pour elle ? Lorsque venait le temps des vacances
familiales, il se sentait coupable et me couvrait de cadeaux. Je redoutais
toujours ces périodes durant lesquelles il se rapprochait de sa famille et
rongée par l’angoisse, j’étais toujours en attente d’un courriel ou d’un coup
de fil. Il me racontait ses balades avec ses gosses et les soupers dans sa
belle-famille. Je l’imaginais avec les siens et moi ça m’anéantissait; Je ne
supportais plus de ne pas être choisie.
J’ai fini par le confronter car je sentais qu’il ne passerait pas aussi
facilement à l’acte. Alors, à l’occasion de l’une de ses missions au Maroc à
laquelle je l’ai accompagné, il m’a finalement avoué qu’il ne quittera pas sa
femme. Il n’existait pas de mots assez forts pour décrire ma douleur. J’ai
senti le sol se dérober sous mes pieds pendant quelques secondes. Après ce
week-end là, le diagnostic de l’hôpital était sans nuance; j’ai dû passer deux
semaines à la maison sans aller au travail. Cette rupture amoureuse me
plongea dans une profonde dépression nerveuse, affectant ainsi gravement
mon état psychologique.
Nous avons coupé les ponts pendant un bon bout de temps, avant de
renouer le contact. Il a fini par me faire les mêmes promesses avec la même
ardeur. «Les choses ont évolué, donne-moi encore un peu de temps» disaitil. Je
pense qu’il voulait y croire. Moi en tout cas j’y ai cru pour une
deuxième fois. Il a d’ailleurs annoncé à sa femme et à ses enfants son
intention de quitter le toit familial. Ses hommes de main avaient déjà requis
les services d’agents immobiliers afin de vendre sa grande propriété. Notre
projet de vie commune prenait forme: je me voyais déjà aussi apparaître à la
télé comme l’épouse de MONSIEUR LE MINISTRE, nous allions vivre
dans une jolie maison, j’avais hâte de le présenter à ma famille dont bon
nombre de membres ignorait notre idylle. Il n’y a aucune fierté à faire valoir
qu’on fréquente un homme qui n’est pas libre. Et puis je n’avais pas envie
d’entendre: «Regardez-moi la djomba ci !» (Maîtresse).
Quelques semaines après avoir dit à sa femme qu’il la quittait, il est
redevenu fuyant. Il s’est mis à espacer nos rendez-vous, son ton vis-à-vis de
moi changea, et il ne faisait toujours pas sa valise. Alors, je l’ai à nouveau
confronté et je me souviens de la scène. J’étais dans une cabine
téléphonique et je cognais sur les parois. Il promit de venir me voir en
personne pour s’expliquer mais ne l’a jamais fait.
Je crois que c’est lorsqu’il a été question de vendre sa propriété qu’il a
reculé. Probable que ses enfants soient aussi bouleversés par une éventuelle
séparation de leurs parents. Je présume qu’il n’a pas supporté le fait
d’incarner à leurs yeux le rôle du méchant qui quitte leur mère.
Je pense que ma principale rivale ici n’était pas seulement sa femme, mais
plutôt une combinaison de facteurs qui se dressaient devant moi: ses
enfants, leur maison, leur chalet, leurs amis, leur confort, leur standing de
vie. Les hommes se définissent beaucoup plus par leur réussite familiale, par
conséquent ils n'oseraient jamais faire éclater cette bulle qui symbolise
l’aboutissement d’un projet de vie. Je lui en veux encore d’avoir fait passer
tout cela avant nous. Il a beaucoup utilisé les enfants pour retarder
l’échéance et, aujourd’hui ils sont adultes et ont quitté le nid familial: lui
non.
Comment faisait-il pour vivre sans moi ? M’aimait-il autant qu’il le
prétendait ? Ça reste à ce jour un grand mystère. J’étais dans l’illusion qu’il
percevait cet amour de la même manière que moi dans l’absolu. Mais non,
je me suis trompée sur toute la ligne. Il est différent de toi Yolande ! Me
disais-je intérieurement. Il a son univers, son jardin secret et sa propre
conception des choses. C’est la conclusion que je tire de cet épisode de ma
vie dont je porte toujours les séquelles. Une partie de moi est abîmée à
jamais.
Je lui en veux d’avoir nourri mon espoir si longtemps. Je lui en veux de
m’avoir trahie à mort. Le salaud ! Je sais aussi que j’ai contribué moi-même
à mon propre malheur. J’ai fait un mauvais choix et je le reconnais, j’ai
gâché ma trentaine.
C’est un épisode de ma vie dont je parle rarement parce que je ne
supporte pas les jugements à l’emporte-pièce. Notre histoire n’est pas celle
d’une fille naïve qui s’est faite avoir par un connard qui trompait sa femme
encore moins celle d’une «voleuse de mari». Cependant, les gens ont
tendance à coller des étiquettes pour se conforter dans leurs préjugés et
pensent qu’il y a le bien d’un côté et le mal de l’autre, alors qu’il existe un
océan de nuances et de subtilités entre les deux. Les Hommes sont si
complexes. Monsieur Pilou, je t’aime encore tu n’as pas idée. Si seulement
tu pouvais le savoir…
Je me nomme Marie-Yolande Abessolo: «Marie-yo» pour les intimes,
«Yoyo» pour mes gars, et «Abess» pour mes amis et connaissances. Je suis
la fille de Marcel Abessolo et de Liliane Mvoua, «Madame Abess». Nous ne
sommes que deux enfants: ma petite sœur Soraya Abessolo et moi. Mon
père est un grand cultivateur de cacao. Nous avons toutes les deux grandi
dans la saveur et la semence du cacao. Je suis 100% Camerounaise et de
l’ethnie Eton. Les Eton appartiennent à la grande tribu des Beti, et sont les
ressortissants de la région du Centre Cameroun. Ils ont la réputation d’avoir
«cinq minutes de folie», de ne bagarrer qu’à l’aide des machettes, d'être
aussi des «mangeurs de savon»: Se sont de «vrais fous» quoi ! Mais bon,
des stéréotypes et des préjugés on en attribue à chacune des tribus dans mon
pays. Nous sommes originaires d’une petite localité appelée Okola.
Okola est une petite ville située à quelques kilomètres de Yaoundé, la
capitale du Cameroun. On pourrait dire que c’est une banlieue de Yaoundé
car en voiture, le trajet est de quarante minutes maximum. C’est dans ce
petit village que moi, Yoyo, j’ai grandi. J’y ai fait mon école primaire et le
lycée classique. Après l’obtention de mon baccalauréat, je suis partie pour
des études universitaires dans la capitale. J’ai intégré l’université de
Yaoundé I à Ngoa-Ekele, plus précisément à la faculté des sciences. Très
brillante comme étudiante, j’y ai décroché ma licence en biochimie. Plus
tard, je me suis mariée à seulement vingt-deux ans avec mon amour de
lycée, Yves Akono. Le mariage a duré trois ans, mais dû au fait que je
n’arrivais pas à faire d’enfants, ma belle-famille s’est mise à me harceler et
à me persécuter. Yves quant à lui, me trompait de gauche à droite. Ne
pouvant plus supporter toutes ces humiliations, j’ai demandé le divorce.
Dans la mouvance de mon amour pour mon mari, j’ai mis ma carrière en
«stand-by» pour lui qui gagnait plutôt bien sa vie et qui avait demandé à ce
que je ne travaille plus. Après le divorce, bien évidemment, j’avais décidé
de reprendre mes études en me présentant au concours d’entrée à la FASA
(Faculté d’Agronomie et des Sciences Agricoles) à l’université de Dschang,
dans la région de l’Ouest du Cameroun. Je passai le concours avec brio et
mention à l’appui. Je fis donc mon entrée à la FASA à l’âge de vingt-cinq
ans en tant que jeune étudiante, divorcée, et sans enfants.
Je noyais mes soucis dans les cahiers et les examens. Le temps passa très
vite et trois ans plus tard, je décrochais mon diplôme d’ingénieur agronome.
Je repris donc la route de la cité capitale où je me suis lancée dans le monde
professionnel. J’ai également fait six mois de cours d’anglais au centre
pilote de Yaoundé dans le but de booster mon CV et être plus compétitive
dans le marché de l’emploi. Étant donné que le Cameroun est un Pays
bilingue, maîtriser les deux langues officielles représente un atout majeur.
Après quelques mois au chômage, j’ai été recrutée comme chef de projet à
l’IRAD (Institut de Recherche Agricole pour le Développement) de
Yaoundé sis au quartier Nkolbisson. J’y travaille depuis près de sept ans.
Je gagne bien ma vie. J’ai eu à rencontrer des personnalités très
importantes du pays dans le cadre de mon travail, y compris Rémi-X.
Aujourd’hui, j’ai trente-cinq ans et c’est le jour de mon mariage.
Assise devant ce grand miroir dans ma chambre, pendant que la
maquilleuse me pomponne et que les gens s’activent de gauche à droite
autour de moi, je passe en revue ma vie de ces cinq dernières années. Tout a
été organisé par mon futur mari: service traiteur, salle de réception, DJ, bref
la totale. Ma robe a été commandée de Paris. Mes parents sont heureux de
voir enfin leur VIEILLE FILLE se marier, d’autant plus qu’ils n’y croyaient
plus. Car après Yves, je suis restée bien silencieuse au sujet de ma vie
amoureuse. Contrairement à moi, ma petite sœur Soraya s’est mariée à un
européen dont elle avait fait la connaissance sur internet et qui l’a fait
voyager. Ils ont aujourd’hui deux enfants. Il y’en a qui savent viser haut.
Tout le monde n’est pas Yolande, la vieille divorcée sans enfants. On dirait
que je ne suis pas une fille Beti, parce que nous sommes reconnues ici au
Cameroun comme étant celles qui sont prêtes à tout pour avoir un blanc. On
aime le confort et la richesse, mais c’est aussi notre faiblesse.
Le cortège de voitures se déplace pour la mairie de Nlongkak (quartier de
Yaoundé). La belle-famille a sa tenue, maman et mes tantes ont la leur. Mes
amies aussi ont la leur. Soraya a tenu à avoir une tenue à elle toute seule, car
dit-elle, elle est ma seule et unique sœur.
Nous arrivons donc à la mairie et nous sommes installés, mon futur époux
et moi. Le maire commence le rituel. Il prêche les leçons sur le mariage, les
conduites à tenir et tout ce qui va avec et enfin, vint la phrase que tout le
monde attendait depuis:
Le maire (s’adressant à mon futur mari): Monsieur Patrice Edou-Mbah,
acceptez-vous de prendre pour épouse mademoiselle Marie-Yolande
Abessolo ? Promettez-vous de l’aimer, de la chérir aujourd’hui demain et
pour toujours ?
Patrice (tout souriant) : Oui je le veux.
La salle: Iyeééééééééé.
Le maire (s’adressant à moi): Mademoiselle Marie-Yolande Abessolo,
acceptez-vous de prendre pour époux monsieur Patrice Edou-Mbah ?
Promettez-vous de l’aimer, de le chérir aujourd’hui demain et pour
toujours ?
Moi (avec un ton ferme): Non, je ne le veux pas.
Un silence de mort règne dans la salle.
Patrice (avec un air relaxe): Oooh chérie, ne fais pas l’intéressante, s’il te
plait !
Le maire (me regardant): Vous avez dit ?
Moi (le visage encore plus ferme): Non ! Je ne veux pas l’épouser.
Patrice regardant l’expression de mon visage, se rendait malheureusement
compte que ce n’était pas une blague.
Lui (haussant le ton): Tu es sérieuse là, Yoyo ?
Moi (le regardant droit dans les yeux): Oh que si, Patrice. Je ne veux pas
t’épouser !
Sa mère se lève de son siège derrière nous et vient nous retrouver devant.
Elle (claquant les mains en regardant son fils): Je t’avais bien dit de ne
pas m’amener cette villageoise. Je savais que ce n’était qu’une petite
sorcière, des mangeurs de savon et des sorciers. Voilà maintenant.
Se tournant vers moi.
Elle: Tu vas l’épouser ma chère !
Elle raconte quoi là ? L’amour n’est pas forcé à ce que je sache. Cette
femme m’énerve. I swear to God, I hate her.
Moi (la regardant méchamment): Je n’épouserai pas votre fils, madame
Mbah !
Les bruits commencent à se faire entendre dans la salle. Les gens
murmurent. Ma belle-famille crie de son côté. Je vois le regard interrogateur
de mon père fixé sur moi. Mais je lui donnerai des explications plus tard.
Monsieur le maire: Que faisons-nous finalement, mes enfants ?
Je n’avais pas articulé ma phrase pour répondre au maire que cette vieille
chipie d’Hélène Mbah posait ce qui lui sert de mains sur moi.
Paf ! Paf !
Madame Mbah, la mère de Patrice venait de m’appliquer une belle paire
de gifle. Je vois maman qui se lève derrière pour venir prendre ma défense.
Maman (s’adressant à la mère de Patrice): Mais vous vous prenez pour
qui ? Vous osez porter main sur ma fille ? Si elle ne veut pas épouser votre
fils, elle a ses raisons à elle.
L’une des choses que j’aime chez maman, c’est que même si elle n’est pas
d’accord avec tes décisions, elle te protège tout d’abord en public. Mais
sache qu’après, tu devras lui donner des explications valables pour justifier
ta conduite.
Ne voulant pas créer un scandale, papa, maman, Soraya et moi avions
regagné la porte de sortie et le chauffeur nous y a pris pour mon
appartement, laissant tous les invités du mariage sans voix.
Je ne voulais pas être sa femme et j’attendais ce moment depuis bientôt
trois ans. Eh oui, je viens de dire "NON" à son altesse, Patrice Edou-Mbah,
qui est en même temps mon patron. Car, c’est lui le directeur général de
l’IRAD où je travaille. C’est d’ailleurs là que nous nous sommes rencontrés
quand j’étais dans mes phases de «break-up-come-back» avec Rémi-X. J’ai
pris la relation au sérieux au tout début mais comme je n’arrivais pas à
concevoir, la mère de Patrice était carrément venue s’installer chez nous. Ils
se sont mis à me mettre les bâtons dans les roues, je vivais un enfer dans ma
propre maison. Je ne pouvais prendre aucune décision dans mon propre
foyer et je n’avais pas le soutien de Patrice. Au contraire, il n’écoutait que sa
mère. Ne pouvant supporter d’être traitée comme la pire des merdes, j’ai dû
me remettre avec Rémi-X, alors qu’on venait de se séparer. Maintenant que
je suis enceinte, Patrice veut m’épouser. Mais, ce qu’il ignore c’est que cet
enfant n’est pas de lui. Il est de Rémi-X qui de son côté, n’est pas au courant
de ma grossesse et je préfère que cela reste ainsi. J’ai souffert pour avoir cet
enfant. À trente-cinq ans, une femme selon la culture africaine devrait déjà
être mariée et mère, ce qui n’est pas mon cas. Je suis plutôt enceinte d’un
membre du gouvernement camerounais, qui me traite comme sa petite
muse. Et là, je viens de dire non à mon patron devant ses amis et sa famille.
********************
Dans la voiture, sur le chemin du retour, mes parents et ma sœur veulent
comprendre pourquoi j’ai dit non, alors que nous avons passé presque trois
mois à préparer ce mariage.
Papa: Tu peux me dire ce qui t’a pris de dire non ? Je te préviens que nous
n’avons pas d’argent à rembourser à la famille Mbah. Où va-t-on prendre
cinq porcs, deux bœufs, vingt-cinq tissus Wax, un sac de kolas, dix cartons
de vin rouge, un réfrigérateur, et une somme de deux millions cinq cent
mille francs CFA ? Alors Yoyo ? J’espère que lorsque tu poses tes actes, tu
pourras les assumer. Car, tout le village a déjà mangé.
Bien évidemment, chez les Eton, la femme coûte assez cher. Pour doter
une fille Eton, il faut bien se préparer; je dirai même des années à l'avance,
parce que ce n’est pas du chocolat.
Moi: Papa s’il te plait, ce n’est pas le moment de parler de tout cela. Je ne
veux pas faire ma vie avec Patrice.
Maman: Mais tu t’es vue Yoyo ? Tu as déjà trente-cinq ans. Quand est-ce
que tu comptes te marier ? Dis-moi, ma fille. Regarde ta petite sœur, elle a
déjà deux enfants.
Ça y est ! Ça recommence. C’est toujours pareil; à la moindre situation,
au moindre faux pas, on me compare à Soraya. Pfff ! Je suis moi, Y-o-l-a-nd-e, à
prendre ou à laisser. Et qui s’y frotte mal s’y pique, comme le grand
Patrice.
LA MAÎTRESSE DU MINISTRE
Assise dans cet avion en direction de Dakar, avec mes deux compagnons:
la poufiasse dévergondée d’un côté, et le baron de l’autre, je ne cesse de
cogiter. Ces mots revenaient sans cesse dans ma tête: «un fantasme»; «une
partie à trois»; et je me posais des questions. Que ferons-nous ? Pourquoi RX
m’infligeait-il une telle peine ? Méritais-je d’être traitée de la sorte après
presque quatre années passées ensemble ? Pourquoi devrais-je souffrir
autant pour un homme qui ne m’épouserait jamais ? Étais-je obligée ? Je
commençais à croire que j’aurais dû dire oui à Patrice quelques semaines
plus tôt.
Le vol ne fut pas long car quelques heures plus tard, le petit jet se posa
finalement sur le tarmac de l’aéroport de Dakar, communément appelée le
Paris d’Afrique de l’Ouest. C’était parti pour une autre aventure parmi tant
d’autres. Avec Rémi, j’avais tellement voyagé et beaucoup appris en
seulement quatre ans. Parfois, je me demandais comment réagissait sa
femme face à tous ces déplacements que faisait son mari. Me connaissaitelle ?
Savait-elle qu’elle avait de potentielles rivales dehors ? Pour quelle(s)
raison(s) acceptait-elle d’être autant cocufiée ? Etait-ce de l’amour ou tout
simplement la peur de perdre tout ce qu’elle avait construit jusqu’ici ?
Nous étions logés à l’hôtel «LE TERRE OU BI», situé en plein centre de
Dakar; une vraie merveille, véritable havre de paix. Tout était mis en place
pour que votre séjour soit inoubliable: restaurant, casino, piscine chauffée,
plage privée, solarium. Le luxe était à portée de main.
C’est avec dextérité que le service bagages de l’hôtel s’empressa de
prendre nos valises pour les porter dans l’immense suite qui était la nôtre.
R-X avait décidé d’aller se relaxer dans la grande piscine. Pendant ce temps,
ma supposée rivale s’agitait dans tous les sens, essayant tout ce qu’elle avait
apporté comme vêtements. Quant à moi, je n’avais qu’une seule envie; celle
de me régaler. Je devais nourrir ces petits êtres qui grandissaient en moi. Et
à ce propos, je ne comptais pas en toucher un mot à Rémi, car s’il apprenait
que j’étais enceinte, il tiendrait à prendre les choses en main et ça ne
m’arrangerait pas évidemment.
Nadia: Pourrait-on faire la paix ?
Moi: Nous ne sommes pas des ennemies, à ce que je sache.
Elle: Et pourquoi m’as-tu crié dessus tout à l’heure ?
Moi: Écoute moi bien je ne discute pas avec des gamines de ton genre.
Alors contente-toi de profiter de ton week-end, s’il te plait.
Elle: Ha ha ha. N’importe quoi !Madame veut être condescendante, je te
rappelle que toi et moi baisons avec le même homme. Alors, n’essaye pas de
monter sur tes grands chevaux.
Moi: Fais gaffe à ton langage ordurier, petite effrontée. Je ne suis pas du
même acabit et encore moins du même rang social que toi.
Elle: wow ! wow ! La jalousie de la femme camerounaise ! C’est toujours
parce que ton type t’a imposé ma présence que tu agis de la sorte ? Ma
mère, je suis là pour pointer mon argent de pension pour le deuxième
semestre et après je me casse. J’ai mon mec à la fac rassure-toi.
Je ne voulais plus discuter avec cette petite. Alors j’ai enfilé une robe
Maxi et je suis descendue au restaurant de l’hôtel pour commander quelque
chose à manger. Je savais à quoi ressemblait la vie de ce genre de filles et
j’osais espérer pour elle qu’elle aurait une fin heureuse. En réalité, R-X et
moi avions commencé à nous fréquenter lors de mes trente et un ans et non
à vingt-quatre.
Pendant que j'ingurgite ma soupe aux carpes, je profite pour passer
quelques coups de fil à mes amours de copines: Magalie et Audrey. Ces
deux femmes sont les prunelles de mes yeux et elles ont toujours été là pour
moi. Magalie je la connaissais depuis la fac sciences, et Audrey est mon
amie d’enfance. Les deux se sont connues par mon intermédiaire et très vite,
nous sommes toutes les trois devenues inséparables.
Quelques temps après ma soupe, je décide de remonter dans la suite pour
voir ce qui était prévu pour la soirée, compte tenu du fait qu’on la passerait
à trois. Très sincèrement, je n’étais pas excitée à l’idée de savoir que cette
petite garce devait partager mon intimité. Mais, c’était aussi le prix à payer
pour côtoyer ces hommes en costume.
Je prends donc l’ascenseur qui me laisse au huitième étage, et je longe le
couloir qui mène dans la chambre. Quelle ne fut pas ma surprise de croiser
la jeune Nadia toute nue dans l’allée. Très vite, j’accourus pour m’enquérir
de la situation.
Moi (toute apeurée): Que se passe-t-il ?
Elle n’arrivait pas à parler et me montrait juste la chambre du doigt. Je ne
comprenais rien. Il est vrai que j’avais passé plus de deux heures au
restaurant en bas. Je me précipitai donc à grands pas dans la chambre et je
manquai de m’évanouir. Il y avait un gros serpent boa étalé sur le lit et il
gesticulait; on dirait qu’il était affamé. R-X quant à lui était assis sur le
divan face au lit. Il transpirait comme l’athlète jamaïcain Usain Bolt après sa
victoire lors des jeux olympiques de 2012. Pourquoi transpirait-il ainsi ?
Était-ce lui sur le lit ? Il changeait sans cesse de couleur tel un caméléon:
tantôt rouge, tantôt bleu, tantôt vert. Était-il un homme serpent ? Était-ce
une partie de lui sur ce lit ? Pourquoi bavait-il au point de ne pouvoir
articuler aucune phrase ? C’était invraisemblable, ce spectacle. Qui l’aurait
cru ? Cet homme imposant qui marche toujours aux côtés des chefs d’Etats,
était là devant moi, réduit à sa plus simple expression. J’avais la peur au
ventre et en même temps la nausée. J’ai juste eu le courage de prendre ma
valise pour me tirer de là au plus vite, avant qu’il ne reprenne ses esprits.
À mon arrivée à la porte d’entrée, le garde du corps vient près de moi
pour essayer de m’empêcher de partir.
Lui: Madame, patron a dit de ne pas vous laisser sortir.
Moi: Tu t’appelles comment déjà ?
Lui: Mamadou.
Moi: Mamadou ? Cela fait combien de temps que tu travailles pour le
patron ?
Lui: Un an déjà madame.
Moi: Je vois. Tu me connais ?
Lui: Non madame.
Moi: Ok. Tu tiens à ton travail ?
Lui: Oui madame.
Moi: Voilà. Alors, tu vas enlever tes mains de ma valise, parce que figuretoi que si tu
ne le fais pas, je dirai au grand patron que tu as essayé de me
violer, ok ?
Lui: Non madame, ne faites pas ça s’il vous plait.
Moi: Laisse-moi donc passer.
Apeuré, il recula me permettant de sortir de la suite tirant ma valise et
celle de Nadia. Je ne l’aime pas du tout mais quand je la regarde, elle me
rappelle Soraya, ma petite sœur.
Une fois au couloir, je la retrouve recroquevillée sur elle-même telle une
tortue.
Moi: Que s’est-il passé Nadia ?
Elle: J’étais dans la chambre, j’essayais mes différentes tenues et je les
classais pour le week-end, quand il est revenu de la piscine il m’a demandé
de me déshabiller. Il disait qu’on allait faire des jeux coquins. Ce que j’ai
fait sans me faire prier puisque je savais que nous étions ici pour nous
amuser. Mais à ma grande surprise, quand j’ai fini il n’était pas dans la
chambre. Je me suis mise à l’appeler; je me disais qu’il était venu te
retrouver en bas. Finalement, il est sorti de la douche et m’a demandé d’aller
verser de l’eau glacée sur moi. Je n’ai pas compris pourquoi, mais je me suis
tout de même exécutée, tout en cogitant. C’est en revenant que j’ai trouvé ce
que tu as vu tout à l’heure dans la chambre. Puis, il m’a demandé de me
faire lécher par ce serpent, si je voulais de l’argent.
Moi: Et qu’as-tu fait Nadia ?
Elle: Je suis sortie en courant sans réfléchir dans le couloir, vu qu’il
commençait lui-même à devenir bizarre. On aurait dit que c’était lui-même
le serpent.
Moi: Écoute, voici ta valise. Tirons nous d’ici !
C’est comme si j’avais percé un abcès en prononçant ces derniers mots.
Elle: Hum ! Vraiment ! Tu crois que je suis aussi naïve ? La situation est
certes bizarre mais je compte bien arriver à mes fins. Pendant des années tu
manges ses sous et tu viens me dire de me tirer quand je suis si proche du
but ? Tu me prends pour qui ?
Moi: Ma sœur, tu es encore si jeune, tu as de l’avenir; ne gâche pas ta vie
pour un acte aussi maléfique s’il te plait. Je pourrai te dépanner si tu veux,
mais il ne mérite pas ton corps.
Elle: Que peux-tu bien me donner ? Toi-même tu grattes les miettes chez
lui et tu veux me donner quoi ? Le plan c’est de rentrer d’ici avec au moins
deux briques (millions) pour que mon gars et moi fassions nos papiers pour
la France. Tu me fais rire toi ! Se faire lécher par un serpent, ça fait quoi ? Je
ferme juste les yeux et c’est parti !
Moi: Ma petite chérie, je t’en prie, partons d’ici. Je côtoie cet homme
depuis des années et c’est la première fois que je vois ce genre de choses,
comme pour te dire que c’est toi la cible et non moi.
Elle: C’est à dire ? Qu’il a peur de te tuer, mais moi oui ?
Moi: Peut-être que ce serpent ne se nourrit que des secrétions vaginales
des jeunes filles de ton âge. Ça ne présage pas quelque chose de bon, Nadia.
Allons avant qu’il ne revienne à lui.
Elle: Pardon, donne-moi ma valise et laisse-moi tranquille. J’ai de grands
projets pour ma vie.
Moi: Tu dis que tu as un copain, alors pourquoi le tromper ?
Elle: Mon copain est celui qui m’a encouragée à le faire et c’est lui qui
m’a également branchée sur ce réseau. C’est donc sérieux entre nous.
Moi: Et que disent tes parents ?
Elle: Quels parents ? Ils vivent au village et attendent que je les sorte de la
pauvreté, raison de plus pour vouloir cet argent.
Moi: Tu n’as pas de frères et sœurs ?
Elle: Un frère qui est en prison. Écoute, ma sœur, arrête de me poser des
questions et laisse-moi avancer s’il te plait.
J’avais mal pour elle. Je pressentais quelque chose de mauvais. Mais que
pouvais-je bien faire face à une jeune fille déterminée à s’en sortir par de
grands moyens, selon elle ? Je me tuais à lui faire comprendre certaines
réalités de la vie par expérience, mais elle s’obstinait à rester. En revanche,
moi je tenais à mes bébés. Alors, je lui ai remis sa valise et j’ai pris la
direction de la sortie. Nos chemins se séparèrent là dans ce couloir.
Je ne connaissais personne dans la ville de Dakar, mais j’avais ma carte
bancaire, mon téléphone et ma bouche; alors pourquoi m’inquiéter ?
À la réception de l’hôtel, j’ai pris quelques renseignements pour des
hôtels moins coûteux afin d’y passer la nuit; et c’est sous un vent sec et
froid que je stoppai un taxi pour l’hôtel que m’avait recommandé la
réceptionniste de l’hôtel le TERRE OU BI.
Une fois dans le taxi, je n’arrêtais pas de réfléchir et de penser à cette
petite qui allait se faire tuer. C’était la première fois que j’assistais à une
scène pareille en compagnie de R-X. Je compris dès lors pourquoi il avait
improvisé un week-end dans la ville de Dakar, parce que si cela avait été au
Cameroun, elle s’en serait très bien sortie.
J’avoue qu’une fois, alors que je l’accompagnais lors d’une mission du
FMI à Genève en suisse en deux mille onze, pendant que nous étions
couchés, j’avais voulu me blottir dans ses bras mais ses mains étaient toutes
molles, on aurait dit quelqu’un qui n’avait pas d’articulations, un invertébré
ou un truc de ce genre. J’avais tout de suite sursauté et Rémi, s’en étant
rendu compte, a tout de suite repris sa forme normale.
Une autre fois, lors des vacances d’été à Saint-Tropez en France, pendant
notre week-end pour fêter ses cinquante ans, dans la matinée sur le volet de
la fenêtre de notre chambre d’hôtel, j’avais aperçu des oiseaux. Je m’étais
tout de suite rappelée ce que disait ma grand-mère: «Les oiseaux suivent
toujours les serpents». Maintenant, toutes ces choses me reviennent à
l’esprit. Seigneur, étais-je en relation avec un homme-serpent depuis tout ce
temps ? Comment faisait-il pour être un homme et un animal en même
temps ? Etait-ce le diable en personne ?
Le taxi arrive à destination et me tire de mes pensées ténébreuses.
Moi: Tenez !
Le taximan: C’est mille cinq cent francs, madame.
Moi: Et depuis quand le taxi coûte aussi cher ?
Lui: Nous sommes à Dakar ici madame, et non à Yaoundé.
Moi: Hey hey, tenez ! Pas la peine de crier.
Lui: Merci madame et bon séjour.
Moi: Merci à vous.
Je sortis en courant m’enregistrer pour ma petite chambre. C’était juste
pour passer une nuit.
Une fois à l’intérieur, je cherchai rapidement le mot de passe du Wifi pour
me connecter et acheter un billet pour Yaoundé à la première heure. Hélas,
mes pensées n’arrêtaient pas de converger vers cette petite. Je m’en voulais
de l’avoir laissée là-bas. Si quelque chose lui arrivait je m’en voudrais toute
ma vie.
Au final, après évaluation et comparaison sur des différents sites, je fis
une réservation à la Camair-co pour le lendemain à douze heures. C’était
avec le cœur en bouillie que je me couchai cette nuit-là, avec la peur de
revoir cet animal dans mes rêves en fermant les yeux.
********************
Le lendemain, je me suis réveillée vers huit heures. J’avais manqué des
appels de papa, Soraya depuis la France, et ceux de Magalie aussi. Mais je
n’étais pas d’humeur à parler à qui que ce soit. Je voulais juste prendre mon
avion et rentrer chez moi, me couler un bain chaud et dormir, pour être
nettement plus en forme le lundi matin, afin d’attaquer ma semaine avec
force et courage.
Une fois debout, je me suis donc dépêchée de prendre une douche et de
filer à l’aéroport. J’avais réservé mon billet, mais je ne l’avais pas encore
payé. Alors, il fallait que je m’y rende pour régler ce qu’il y avait à payer
avant le vol.
Après ma douche rapide, j’enfilai des vêtements propres et pris un taxi
quelques minutes après. Je me demandais comment s’était passée la nuit à
l’hôtel le TERRE OU BI. Je voulais appeler Rémi, mais j’hésitais. Que
s’est-il passé là-bas ? Avait-elle fait ce que lui avait demandé Rémi ? Je
crois que pour obtenir des réponses concrètes à ces questions, il fallait
appeler. Alors d’un coup, je lançai l’appel vers le numéro de Rémi, mais
quelle ne fut pas ma surprise d’avoir Nadia au bout du fil, plutôt que Rémi.
Elle: Oui Yolande, enfin je connais ton nom.
Moi: Tu l’as donc fait petite ?
Elle: Tu peux bien l’imaginer ? Le truc là m’a léché les bêtises et ça avait
un vieux goût.
Moi: Pourquoi gâcher ta vie, Nadia ?
Elle: Gâcher ? Pfff... Ne soit pas parano ma grande.
Moi: Donc tu l’as fait ?
Elle: Oui je l’ai fait, les yeux fermés et …
Je raccrochai, je ne voulais pas entendre la suite. Le taxi me déposa enfin
à l’aéroport et je fis tous mes enregistrements. Douze heures par-là, la
Camair-co décollait pour l’aéroport de Nsimalen à Yaoundé. Je voulais mon
lit, ma couette. J’avais besoin de calme pour me remettre les idées en place.
Rémi était le père de mes enfants; qu’allais-je leur dire dans quelques
années ? Mes bébés votre père est un homme serpent ? Ou alors votre père a
un serpent ? J’étais dégoûtée rien qu’à l’idée d’y penser. Je me suis adossée
sur la vitrine et j’ai fait une petite prière avant de m’endormir.
Une fois à l’arrivée, j’ai tiré ma valise et j’ai emprunté un taxi pour la
Montée Zoé. Quelques minutes après, j’étais chez moi, mon petit nid
m’avait manqué.
J’avais pris le soin de ranger mes vêtements à leur place habituelle,
ensuite j’ai pris mon bain et me suis concoctée un bon plat de légumes
sautés; la meilleure chose que m’avait apprise Liliane Abessolo. Ma maman
savait faire la cuisine, et je m’y prenais comme un vrai chef d’un restaurant
trois étoiles.
Après un bon repas et un paisible repos, vers vingt heures je pris la
décision d’appeler les miens pour me changer les idées. Je commençai par
maman, papa, Soraya, ensuite Magalie et Audrey. Je mourais d’envie de leur
raconter ma soirée.
Moi: Coucou Magalie.
Elle: Oui Yoyo comment vas-tu ?
Moi: Je vais bien ma belle et toi ?
Elle: Ça va ! Juste débordée par le boulot à la clinique.
Moi: Courage chérie. Comment vont mes enfants ?
Elle: Ils vont bien, j’ai eu Audrey hier. Elle voulait aller faire un tour du
côté de Kribi pour un week-end avec nous. Je laisserai les enfants chez la
mère de Brice.
Moi: Oui d’accord, sans soucis. Ça me fera du bien.
Elle: Ok, il faut que je te laisse, on s’appelle en semaine pour faire le
programme.
Moi: Ok ça marche, bisous.
Elle: Bisous.
Magalie est ma copine depuis la fac sciences. Après nos licences en
biochimie, elle a eu le concours d’entrée à la faculté de médecine. Sept ans
après avoir soutenu sa thèse, elle est allée se spécialiser à Dakar et
aujourd’hui elle exerce à l’hôpital général de Yaoundé au quartier Ngousso
en tant que gynécologue. Elle s’est mariée avec Brice Eka, son amour de la
fac. Ils ont eu deux charmants garçons mais le problème dans leur couple est
dû au fait que son mari, professeur de lycée, a toujours tendance à créer
quelques soucis à Magalie parce qu’il gagne moins d’argent qu’elle; et
comme je ne le supporte point, je vais très peu chez elle.
Je lance un autre appel, cette fois c’est Audrey.
Moi: Allô mademoiselle «je sais tout».
Elle: Oui, allô ma grande.
Moi: Comment vas-tu ?
Elle: Je vais bien et toi ?
Moi: Pfff... Ça va. Je croyais que tu étais à Dakar avec le père ?
Moi: Non, je suis rentrée tout à l’heure. Ne m’en parle pas, c’est une
longue histoire.
Elle: J’ai tout mon temps, je suis devant la télé et je m’ennuie.
Moi: Je préfère te la raconter de vive voix chochotte, c’est du vrai fax.
Elle: Wow ! Ok je vois. Magalie t’a dit j’espère, je vous invite pour un
week-end à Kribi.
Moi: Je suis partante, si ça peut m’aider à chasser tout ce que j’ai dans ma
tête, that will be great.
Elle: Ok on se fait donc signe en semaine ?
Moi: Ça marche.
Audrey est avocate. Depuis toute petite, elle a toujours rêvé exercer cette
profession. Alors après le bac, elle s’est inscrite à la faculté de droit à
l'université de Soa où elle a obtenu sa maîtrise en droit avant d’aller faire
deux ans de Master à l’université de la Sorbonne à Paris. Elle en sortira
diplômée en droit des affaires. Elle reviendra rapidement au pays afin de
passer l’examen du barreau, et à l’aide de ses économies elle ouvrira son
propre cabinet. C’est avec beaucoup d’efforts, d’abnégation, de travail, de
persévérance et au prix de sacrifices énormes qu’elle se fera connaître sur la
plateforme juridique camerounaise. Ainsi, à trente-quatre ans seulement,
elle est directrice de son propre cabinet avec à son actif trois juristes qui
travaillent pour elle. Sa conception de la vie est simple: elle ne compte pas
se marier et déteste les enfants. «Madame je sais tout», elle est petite de
taille et très mignonne, mais avec un bagage intellectuel impressionnant.
Ces deux personnes de la gent féminine sont mes perles. Des amies je
n’en ai pas beaucoup, je suis de celles qui pensent que moins tu connais de
personnes, plus tu as la paix du cœur et ressens la joie de vivre.
C’est donc au terme de ma conversation avec elle que le sommeil
m’emporte à nouveau. Les effets de la grossesse de quatre mois
commençaient déjà à se faire ressentir. J’avais décidé d’aller à l’église le
lendemain pour prier. J’avais un grand besoin de me rapprocher de l’Eternel,
le roi des armées.
Jusque-là, je pensais toujours à Nadia. Je ne sais pas pourquoi mais je
pressentais quelque chose de mauvais et me demandais pourquoi elle.
Je suis dans le noir toute pensive, j’ai éteint toutes les lumières et même la
télé; j’ai envie d’arrêter le temps. À cet instant précis, j’aimerais que mon
séjour terrestre prenne fin, j’aimerais être à nouveau la petite fille innocente
et insouciante que sa mère prenait dans ses bras, lui chantait une de ses
berceuses apaisantes, en l’assurant que tout ira bien. Le «monstre» après
qu’il ait fini de me faire ses menaces, est sorti de chez moi, me laissant
plantée au milieu de mon salon. Le visage perdu, le regard dans le vide, j’ai
l’impression que la terre s’est arrêtée de tourner et que ma vie ne tient plus
qu’à un bout de fil. Franchement, il a dit quoi ? Je devrais me contenter de
vivre sereinement avec ce que j’ai vu à Dakar ? Quelle femme normale le
ferait ? Quelle femme vivrait avec un homme sachant pertinemment qu’il a
une double existence ? Qu’il a une facette aussi lugubre ? Et si pendant que
vous faites l’amour ou lors de votre passe-temps quotidien, il lui arrivait de
vouloir prendre sa seconde forme ? NON ! NON ! Je ne peux pas. Je vais
aller voir mes parents ce week-end et tout leur raconter sur cette relation que
j’ai toujours gardée secrète de peur que le monde extérieur ne le sache.
J’avais peur d’être jugée et de renvoyer l’image d’une vulgaire voleuse de
mari puisqu’on n’encense jamais les amantes, les «deuxièmes bureaux»
comme on dit dans notre jargon. Elles sont hautement stigmatisées, car elles
brisent les ménages, les unions que d’autres se sont attelés à construire.
Qu’à cela ne tienne, je vais passer outre ces considérations et me mettre à
nue; de toutes les façons, je suis déjà la risée de la famille surtout qu’après
le mariage raté avec Patrice, on m’a traité de maudite. Alors, pourquoi avoir
peur qu’on m’attribue un nouveau qualificatif ? Je préfère être fustigée que
de me tourmenter, garder ce fardeau en moi et mourir à petit feu.
J’ai beau me retourner dans tous les sens dans mon lit, je ne trouve pas le
sommeil. Je repense à tout ce que j’ai vécu avec Rémi: les voyages, les
cadeaux, les moments passionnés, d’infinie tendresse et d’attention à mon
égard. Pourquoi a-t-il fallu que je découvre que c’est un homme-serpent ? Je
m’étais résolue à demeurer sa maîtresse. J’ai mon boulot, j’aurai bientôt mes
enfants, mon compte bancaire est bien fourni. Je finis bientôt la construction
de ma maison. En somme, je suis déjà suffisamment épanouie comme ça et
je n’ai pas forcément besoin d’un mari pour me sentir comblée. Le rôle de
maîtresse, je l’endosse aisément. Enfin, tout ça c’était avant. Parce que
maintenant, je ne peux plus être sa maîtresse.
Toc toc toc ! Toc toc toc !
Ce bruit provient de la porte centrale.
Je regarde l’horloge accrochée au mur, il est trois heures du matin. Qui
peut bien venir cogner à ma porte à une heure pareille ? Je me lève malgré la
fatigue et je fais un détour à la cuisine pour m’armer d’un couteau. On ne
sait jamais, ce pays est devenu trop dangereux surtout que les statistiques
montrent qu’il y a plus de meurtres par agression. Après m’être munie de
mon arme de protection de fortune, je marche sur la pointe des pieds et je
demande à haute voix:
Moi: Qui est-ce ?
La personne cogne en criant et en pleurant.
Elle: Ouvre-moi Yoyo, s’il te plait, c’est Magalie. Ouvre je t’en prie.
Pfff ! ! Celle-là, je suis sûre que c’est encore une scène avec son
psychopathe de mari, un vrai con, ce gars qu’on appelle Brice. Un homme
qui n’a rien compris à la vie du vingt et unième siècle.
Je me précipite et j’ouvre la porte. Dieu du ciel, elle est maculée de sang
et traîne avec elle ses deux petits garçons Jayden et Sorel, en pleine nuit.
Moi: C’est quoi ça Magalie ?
Elle ne cesse de pleurer; je les fais entrer, je prends les petits et les
conduis dans la chambre. Ils sont épuisés, on dirait qu’ils ont été
brutalement réveillés, les pauvres. Je les installe confortablement dans mon
lit et je reviens au salon avec ma boite à pharmacie.
Moi: Peux-tu me dire ce que tout ceci signifie, Magalie ?
Elle: C’est Brice, Yoyo. Il veut me tuer.
Moi: Magalie tu es trop têtue, on t’a déjà dit de quitter cet homme.
Pourquoi tu te complais à rester mariée avec un homme qui te bat tout le
temps ? Regarde-toi. Tu as le visage parsemé de blessures.
Elle: Yoyo comment vais-je faire ?
Moi: C’est quoi la raison cette fois-ci ?
Elle: Il veut que j’arrête de travailler pour me consacrer à l'éducation des
enfants. Il dit qu’il ne veut plus que la femme de ménage s’occupe d’eux,
parce que je suis tout le temps de garde à l’hôpital.
Moi: Holalaaa ! Tu me fais «chier» Magalie, tu m’énerves ! Arrête de
faire comme une mauviette qui n’a rien dans la tête. Tu as à ton actif un bac
+11, mais tu réagis toujours comme une poule mouillée. Qu’est-ce que
Brice te donne ? Tu es un médecin spécialisé et tu peux t’offrir une vie
décente à toi et à tes enfants. Pourquoi souffrir autant Magalie ?
Elle: Attend, regarde-moi Yoyo. J’ai trente six ans, mère de deux enfants,
tu penses que quel homme voudrait d’une vieille femme divorcée avec deux
enfants ? Je vais abandonner mon foyer pour retourner dans le célibat ? Et
devenir comme toi ?
Moi: Ah bon hein ! C’est là ta seule crainte ? La solitude ? Tu préfères te
morfondre au sein d’un foyer où tu es torturée, chosifiée, quitte à trépasser ?
Alors ne viens plus toquer à ma porte la prochaine fois car s’il t’a raté cette
fois, il ne manquera pas de te tuer la prochaine fois, crois-moi. Et personne
ne te demande d’être la maîtresse d’un homme, j’ai fait mon choix de vie, et
je l’assume pleinement.
Elle: Je ne peux pas quitter Brice, Yoyo, je vais arrêter d’aller à la
clinique. Je veux rester mariée, je ne finirai pas mes jours seule.
Je n’en crois pas mes oreilles ! Pendant que je nettoie ses grosses plaies
faites par son barbare de mari, Madame martèle qu’elle veut arrêter le
boulot pour se dévouer exclusivement à son foyer. C’est incroyable ! A-t-elle
si peu d’amour pour elle-même, pour accepter d’être chosifiée de la sorte et
s’accrocher imperturbablement à son triste sort ? Ah ! Ces femmes battues
se comportent souvent comme si elles étaient envoûtées. Nombreuses sont
celles qui s’entêtent à rester accrochées à leur bourreau jusqu’à ce que
mort s’en suive. C’est fou ça !
Moi: En tout cas, tu fais comme tu veux Magalie, mais la prochaine fois
ne viens pas cogner chez moi. Vas dans ta belle-famille, c’est ce que font les
femmes mariées.
J’ai fini de la secourir, je me suis lavée les mains avant d’aller me coucher
dans la chambre d’amis. Je lui ai laissé ma chambre avec ses enfants.
Magalie a toujours été ainsi depuis la fac, toujours prête à se sacrifier pour
ce connard de Brice; elle préférait prendre son argent de pension pour lui
acheter des paires de tennis de marques. Aujourd’hui, il demande qu’elle
arrête de bosser, c’est pour qu’ils vivent de son modeste salaire de
professeur peut-être ? Et comme d’habitude, madame se plie docilement aux
exigences de monsieur. Je n’ai même plus envie d’y penser avec ma
panoplie de problèmes. En plus, demain c’est lundi, un jour de stress car
avec Patrice, je dois me rendre dans la ville de Mfou pour rencontrer un
client. Alors je me couche tranquillement, j’ai besoin de sommeil.
J’ai dormi d’un coup jusqu’au matin, ce sont les coups à la porte d'entrée
qui m’ont réveillé.
La personne (d’une voix lugubre): Ouvrez cette «putain» de porte
maintenant ! ! ! ! Espèce de ce que je pense.
Ce n’est pas possible je vis dans un monde paranormal ou quoi ? Je me
lève et je reconnais la voix. C’est Brice qui vient comme à son habitude
chercher sa femme, et c’est la troisième fois cette année que je vis cette
scène.
Très en colère, je me lève et ouvre la porte:
Moi: Méfie-toi Brice, tu m’entends ? Je suis ici chez moi et ne viens pas
faire ton bordel ici.
Il me pousse et entre dans la maison en se dirigeant vers ma chambre pour
récupérer ses enfants et sa femme.
Lui: Levez-vous tout de suite ! ! ! ! Nous rentrons à la maison et personne
ne discute.
Magalie s’exécute machinalement, réveille les enfants pour suivre son
maboule de mari. Mince ! J’ai mal pour cette pauvre fille, son manque de
personnalité me dépasse. Mais comment une fille de son rang social peutelle se
laisser mater à ce point ?
Je suis là au salon, la colère monte en moi, déjà je suis énervée à cause de
la situation que je traverse en ce moment et là, cette brute vient en rajouter
une couche en m’imposant ce spectacle ridicule.
Comme une automate, j’entre dans ma cuisine et ramasse ma poêle et je
reviens au pas de course au salon. Pendant que monsieur est en train de tirer
Magalie comme une chienne, je lui assène deux bons coups sur la tête.
Elle: Qu’est-ce que tu fais ? Arrêtes Yoyo ! ! !
Non mais, cette fille est folle ?
Moi: Ici c’est chez moi Magalie, qu’il aille faire sa sauvagerie ailleurs.
Non mais attends ! Tu es certaine que tu vas bien ? Un homme qui te traite
de la sorte et tu oses t’indigner que je lui inflige une petite correction ?
Regarde-toi dans un miroir tu ressembles à quoi ?
Elle: C’est ma vie, laisses moi !
Moi: Ok, sortez donc de chez moi et ne reviens plus toquer à ma porte
même s’il veut te tuer, tu m’entends ?
Elle tire son mari et ils sortent avec les enfants. Je me dépêche de prendre
ma douche et m’habiller pour le boulot, vu que je dois rencontrer un gros
client. J’enfile une robe droite aux rayures blanches et noires, je réajuste
mon brushing et m’enduis de quelques gouttes de parfum, puis je prends la
clé de ma voiture et je démarre à toute vitesse. Je suis déjà en retard à cause
de Magalie et de son mari.
Quelques minutes plus tard, je croise Patrice devant l’IRAD.
Lui: Tu étais où depuis, madame ? Tiens !
Dis t-il en me tendant un dépliant.
Moi: Qu’est-ce que c’est ?
Lui: L’itinéraire pour arriver à Mfou.
Moi: C’est quoi ce cirque Patrice ? Je croyais qu’on y allait ensemble.
Lui: J’ai des réunions aujourd’hui. Je ne pourrai pas.
Décidément ce n’est pas ma journée aujourd’hui. Je récupère le papier et
je prends la route de Mfou situé à quarante-cinq minutes de la capitale. Je
mets de la musique pour m’évader en conduisant. Je suis bien en colère
contre Magalie et je vais la bouder pendant un moment; cette fille est
sacrément énervante.
Vers dix heures, j’arrive à Mfou devant les locaux du supposé gros client.
Je sors de ma voiture et me dirige vers l’entrée principale.
Une dame me sourit à la réception.
Elle: Bonjour, puis-je vous aider ?
Moi: Oui Madame. Je cherche le bureau de Monsieur Ekobena.
Elle sort de sa cabine de réception et m’accompagne jusqu’au dit-bureau
où la secrétaire me demande de m’asseoir dans la salle d’attente.
Pendant que je suis assise, révisant son dossier, il sort de son bureau. Je
manque de m’évanouir littéralement: C’est le jeune étalon que j’ai rencontré
dans la boite de nuit à Kribi ! Oh là !
Il sourit, vu qu’il a bien remarqué mon étonnement.
Lui: Bonjour Yolande. Suivez-moi dans mon bureau, s’il vous plait.
Je me lève de ma chaise tout en espérant fortement que monsieur
Ekobena, mon client, soit peut-être son patron. Mais mon espoir s’éteint net
lorsque je découvre quelques secondes plus tard dans son bureau, des photos
de lui lors de sa soutenance. Mais qui est donc ce garçon ?
Lui: Prenez place madame.
Je m’exécute aussitôt.
Lui: Je vois bien que vous êtes surprise de me voir. La dernière fois je ne
me suis pas complètement présenté: Je suis Jefferson Willis Ekobena.
Moi: Enchantée Jeff, Marie-Yolande Abessolo.
Lui: Enchanté, Marie-Yolande.
Nous commençons alors à discuter sur son projet de construction d’une
grande palmeraie, de ce qu’il lui faut comme budget, comme ressources
humaines, etc. J’apprécie énormément son professionnalisme. Pendant
qu’on bosse, il ne daigne pas évoquer une seule fois notre rencontre en boite
de nuit à Kribi.
Vers midi, les contrats signés et les virements effectués, je suis épuisée et
affamée.
Lui: Vous voulez que l’on aille déjeuner quelque part ?
Moi: Tu peux déjà me tutoyer, vu qu’on va passer les six prochains mois
ensemble.
Lui: Merci Yolande.
J’avais remarqué qu’il aimait ce nom. Il tirait sur Yooolannnde.
Nous sommes donc montés dans sa Lexus blanche, direction le restaurant.
À travers sa manière de conduire il semble connaître les lieux.
Moi: Tu connais la ville apparemment.
Lui: Oui, j’ai grandi ici.
Moi: Ah bon !
Lui: Oui, mes parents vivent ici.
Moi: Ah, ok. Et toi-même tu vis où ?
Lui: Je vis à Yaoundé, mais je bosse ici. J’ai préféré installer mes bureaux
ici pour mieux m’organiser.
Moi: Ok. Donc tu fais le trajet chaque matin ?
Lui: Oui, mais j’ai un chauffeur donc, ce n’est pas trop fatigant.
Moi: Ah, je vois ! Dis-moi, tu as quel âge pour t’engager à investir autant
dans un tel projet ?
Lui: Lol, j’aurai trente-deux ans dans deux semaines.
Moi: Wow ! Je déduis que tu gères plutôt la fortune de papa ?
Lui: Non, pas du tout. C’est juste que j’ai terminé précocement mes
études et j’ai épargné pendant cinq ans. C’est mon rêve depuis ma tendre
enfance.
Moi: Ok. Je vois.
Lui: Je dois t’avouer que je ne pensais plus jamais te revoir, vu que tu
avais refusé de me donner ton numéro de téléphone.
Moi: On peut dire que tu es chanceux alors !
Lui (Tout souriant): En quelque sorte.
On s’installe et on commande. Nous mangeons en discutant de tout et de
rien. Je dois avouer que sa compagnie me fait un bien fou, loin de tout le
stress de ma vie et de la scène de ce matin.
Pendant qu’on mange, il essaye tant bien que mal de me sonder sur ma
vie amoureuse. Je souris, parce qu’au fond de moi je me dis: «S’il savait».
Lui: Alors, c’est quoi le problème ? Je ne vois aucune alliance sur ton
annulaire gauche.
Moi: Hum !
Lui: Cela signifie-t-il que tu es un cœur à prendre ?
Moi: C’est plus compliqué que tu ne le penses.
Lui: J’aime les choses compliquées.
Moi: Je suis enceinte, Jeff.
Lui: Et le père ne veut pas de l’enfant ?
Je ne sais même pas pourquoi je lui dis tout ça. Il ne m’arrive jamais de
raconter ma vie à quelqu’un au premier rendez-vous, encore que ceci n’est
pas un rendez-vous en tant que tel. Ressaisis-toi madame ! Me dit une petite
voix intérieure.
Moi: Écoute Jeff, tu es gentil et jeune, mais je préfère que l’on se
concentre exclusivement sur le boulot, si ça ne te dérange pas.
Lui: Ok. Mais cette fois, je peux tout de même avoir ton numéro de
téléphone ?
Moi: Oui oui, bien-sûr.
Lui: D’accord !
On finit donc de manger et je lui donne mon numéro avant de reprendre la
route de Yaoundé. Je viendrai à Mfou deux fois par semaine pour superviser
le travail fait par les ingénieurs du chantier. J’ai rendez-vous avec mes
parents dans la soirée, chez moi, pour leur parler de mon fameux problème.
Vers dix sept heures, je suis de retour à la maison où je trouve maman qui
cuisine pendant que papa regarde je ne sais trop quoi à la télé. Je me sens
fatiguée, alors je décide de prendre une douche avant d’aborder le sujet avec
eux.
Après ma douche, nous mangeons et nous saisissons l’opportunité de
l’ambiance familiale pour appeler Soraya qui se plaint de ses enfants.
Vers vingt heures, je m’assois donc avec papa et maman comme un
prisonnier sur le banc des accusés.
Moi: Si je vous ai fait venir ici aujourd’hui, c’est pour vous parler de vive
voix d’un problème personnel qui me tient à cœur.
Maman: Hum ! Yolande, tu as encore fait quoi ?
Moi: Je n’ai rien fait, maman.
Papa: Parle ! Nous t’écoutons ma fille.
Moi: Je vois quelqu’un depuis quatre ans.
Maman: Enfin ! Je savais que c’est pour cela que tu as refusé d’épouser
Patrice. Merci ma fille. Mama Philomène m’a déjà humiliée au village à
cause de toi.
Moi: Laisse-moi finir mon propos avant de tirer des conclusions hâtives
maman !
Papa: Vas-y !
Moi: C’est le ministre Rémi-Xenne-D
Mama: Iiiyyyyyyyyééééé ! ! ! ! C’est bien ça ma fille. En plus un
ministre. Ouiiiiiiiii, je savais que tu étais intelligente, pas comme ta sœur
Soraya avec son pauvre blanc là. Je ne sais même pas ce qu’elle fait en
France, celle-là. Elle n’a qu’à rentrer au pays c’est ici qu’il y a le bon
réseau.
Moi: Maman, s’il te plait laisse-moi parler.
Papa: Liliane laisse l’enfant parler, quelles sont ces manières ?
Moi: Et je suis enceinte de lui.
Maman: Il faut donc qu’on se prépare. Je suppose qu’il va venir toquer à
la porte bientôt. Une autre dot pour toi ma fille. Eh Seigneur !
Moi: Maman laisse-moi finir, pardi !
Papa: Parle, Yoyo.
Moi: Mais ce n’est pas un homme bien, et il est marié.
Maman: Il est marié et puis quoi ? Ces hommes ont toujours plus d’une
femme. Et puis de toutes les façons, tu n’es plus toute jeune tu sais ! S’il te
prend comme deuxième femme où est le problème ?
Moi: Mais tu vas me laisser finir, à la fin !
Papa: Liliane si tu ouvres encore ta bouche là, tu vas me sentir. Continue
Yoyo.
Moi: C’est un homme obscur, il appartient à un cercle vicieux. Il est mêlé
à des pratiques pernicieuses.
Je leur raconte tout, la scène de Dakar, la mort de Nadia, la visite de sa
femme dans mon bureau, bref je déballe tout.
Maman: Mais si depuis tout ce temps il ne t’a rien fait, tu crois qu’il peut
encore te faire quoi ? Ça fait quatre ans que tu couches avec lui, il ne s’est
jamais transformé ça veut dire que, quoiqu’il en soit, il t’aime et ne te fera
pas de mal. Il est juste coincé avec sa femme. Peut-être que c’est même elle
la sorcière dans l’histoire. Moi je te dis que c'est elle qui tue les gens et non
lui.
Papa: Je pense que tu dois être liée d’une certaine manière ou d’une autre
à lui parce que ton comportement au mariage de Patrice était inhumain,
dénué de toute empathie. Je n’ai pas reconnu ma fille dans cette posture. À
ton avis, tu n’as pas d’homme dans ta vie pourquoi ? Parce que tu dois être
probablement mariée avec lui dans un monde parallèle. Quelle femme
accepterait la dot d’un homme et préparerait le mariage pendant trois mois,
pour aller le rembarrer et dire non devant monsieur le maire ? Tu es
manipulée et téléguidée par un esprit démoniaque, cet homme exerce un
pouvoir sur toi, tu es sous son emprise, ma fille en gros tu agis comme il le
désire.
Papa parle sans s’arrêter, pendant que maman essaye de le convaincre et
lui montrer le bon côté de la relation. Mais, je sens mon corps me lâcher: La
fatigue, les vertiges, la lumière devient sombre et mes facultés
m’abandonnent progressivement.
Papa: Yoyo, Yoyo Yoyo, tu m’écoutes ? Mince Liliane, cherche les clefs
de la voiture, elle est en train de s’évanouir.
Ma mère fouille mon sac et sort les clefs de la voiture et tous les deux me
portent. Ils me mettent sur le siège arrière et m’emmènent à l’hôpital. Je sais
juste que je me suis retrouvée dans un autre monde où j’ai entendu Nadia
qui criait:
Elle: Sauve-moi Yolande, s’il te plait. Yolande, viens me sauver, je n’en
peux plus. Tout le monde me viole par l’anus, Yolande ! Yolande !
Elle criait et hurlait sans cesse. Mais je ne la voyais pas. J’entendais juste
sa voix.
Je me suis réveillée dans une chambre d’hôpital. Et quand j’ai ouvert mes
yeux, papa et maman étaient à mon chevet, et lui aussi. Il était là, discutant
avec le médecin. Que faisait-il là ? Qui avait appelé Rémi ?
Moi: Où suis-je ?
Papa: Tu as eu un malaise à la maison et ta mère et moi t’avons transporté
ici, à l’hôpital
Moi: Et que fait Rémi ici ?
Maman: Ton assurance maladie porte son nom; alors l’hôpital a informé
son cabinet de ta présence. Apparemment, il connait le médecin. C’est lui
qui t’a inscrite dans cette clinique ?
Moi: Oui
Oh, merde !
Papa: Ma fille, tu es dans de sales draps parce que cet homme a une
influence sur tout ce qui te concerne et tout le monde le connait. Ça ne sera
pas facile, on doit réfléchir sur un bon plan d’attaque. Mais en attendant, tu
dois jouer les filles amoureuses. Ok ?
Moi: Ok, merci papa.
Maman: Hum ! Vraiment il faut au moins qu’il nous donne quelque
chose. Il est quand-même à l’origine de ta grossesse.
Il finit avec le médecin et vient vers nous. Il salue papa et maman et leur
demande de nous laisser seuls.
Lui: Tu as reçu un coup de fatigue et c’est pourquoi tu t’es évanouie. Tu
devras à la longue arrêter de travailler et te trouver une femme de ménage.
Le médecin a dit aussi que tu étais stressée donc, évite de te mettre dans de
telles situations. Par ailleurs, j’apprécierais que tu ne parles pas de ma vie
privée avec tes parents, ok ?
Moi: Ok.
Ah oui, j’avais oublié qu’il possède cette personnalité opaque, il peut très
bien être extra lucide. Il a quatre yeux, comme on le dit communément.
Lui: Bien ! Le chauffeur vous accompagnera chez toi, je ne sais pas
pourquoi tu roules dans cette vieille RAV4 alors que je t’ai fait livrer une
voiture neuve. Evite de me désobéir, chérie.
Il me parle, et j’ai juste envie de fondre en larmes. J’aurais aimé ne pas
être autant amoureuse de lui et l’insulter; mais je n’y peux rien. C’est
comme s’il m’avait envoûtée et on dirait que je suis encore plus amoureuse
de lui qu’auparavant.
Lui: Je vais rentrer et à partir de lundi prochain, je ne veux plus que tu
ailles bosser. Tu as cette semaine pour démissionner, et même tu devrais
arrêter de conduire. Je t’enverrai un chauffeur et une femme de ménage.
Il me fait un bisou sur le front et s’en va en donnant une enveloppe, aux
parents, que maman s’empresse de récupérer. Je repense au songe de tout à
l’heure. Nadia ! ! Où peut-elle être ? Qu’est-ce qu’on lui fait ?
Chapitre VII : On s’aime
Chapitre IX : Provocations
=== Marie-Yolande Abessolo ===