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Vassili Joannidès, Stéphane Jaumier, Séverine Le Loarne

LA FABRIQUE DU CONTRÔLE :
UNE ETHNOMÉTHODOLOGIE DU CHOIX DES OUTILS DE GESTION 87
reçu en juillet 2012 / accepté en avril 2013 par Nicolas Berland

La fabrique du contrôle :
une ethnométhodologie
du choix des outils de gestion
The making of control :
an ethnomethodology
of choosing management
accounting systems
Vassili JOANNIDÈS*, Stéphane JAUMIER**, Séverine LE LOARNE***

Résumé Abstract
Cet article vise à contribuer à la littérature This paper sets out to contribute to the lite-
sur la mise en place des systèmes de contrôle rature on the design and the implementation
de gestion. À cette fin, nous questionnons of management control systems. To this end, we
ce qui est discuté lors du choix d’un système question what is discussed when a management
de contrôle et sur quoi repose in fine la déci- control system is to be chosen and on what deci-
sion. Cet article est fondé sur une approche sion-making eventually rests. This study rests upon
ethnométhodologique de l’Armée du Salut en an ethnomethodology of the Salvation Army’s
France permise par notre double qualité de French branch. Operating in the dual capacity
chercheurs mais également de conseiller auprès of a researcher and a counsellor to management,
de la direction de l’organisation entre 2000 between 2000 and 2007, we have unrestricted
et 2007. Un accès illimité à des données in- access to internal data revealing the backstage of

* Professeur assistant, Grenoble École de Management et Queensland University of Technology


** Doctorant et professeur affilié, Grenoble École de Management
*** Professeur associé, Grenoble École de Management

Comptabilité – Contrôle – Audit / Tome 19 – Volume 3 – Décembre 2013 (p. 87 à 116)


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ternes nous permet ainsi de mettre en lumière management control : discussions and interac-
les aspects méconnus et invisibles du contrôle tions surrounding the choosing of control devices.
de gestion : les discussions et interactions en- We contribute to understanding the arising of a
tourant le choix d’outils. Nous contribuons à need for control, the steps and process followed to
la compréhension de l’émergence du besoin de decide upon a management control system, and
contrôle, des étapes et du processus de choix controls in nonprofits.
d’outils et enfin du contrôle de gestion dans
une organisation à but non lucratif.

Mots clés : Armée du Salut – Systèmes Keywords : Salvation Army – Management


de contrôle de gestion – Comptabilité control systems – Management accounting
de gestion – Ethnométhodologie – Ethnomethodology

Correspondance : Vassili Joannidès


Grenoble École de Management Queensland University of Technology
12 rue Pierre Sémard School of Accountancy
38003 Grenoble CEDEX 4 George Street
France 4000 QLD Brisbane
Vassili.joannides@grenoble-em.com Australie
vassili.joannides@qut.edu.au

Stéphane Jaumier Séverine Le Loarne


Grenoble École de Management Grenoble École de Management
12, rue Pierre Sémard 12, rue Pierre Sémard
38003 Grenoble CEDEX 38003 Grenoble CEDEX
France France
Stephane.jaumier@grenoble-em.com Severine.leloarne@grenoble-em.com

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Introduction
La recherche en contrôle de gestion s’est jusqu’à présent fortement intéressée à l’utilisation au quoti-
dien d’outils déjà existants (Ahrens et Chapman 2002, 2007 ; Ahrens et Mollona 2007 ; Jørgensen et
Messner 2010), soulignant le besoin de travaux ethnographiques sur les pratiques au jour le jour (Hall
2010 ; Hoque et Hopper 1994 ; Wickramasinghe, Hopper et Rathnasiri 2004), y compris les tâches
occultes et le « sale boulot » (Lambert et Morales 2009 ; Morales et Pezet 2010). On sait, en revanche,
assez peu de choses sur les échanges entourant le choix d’un système ou, et encore moins, d’un outil
de contrôle de gestion (How et Alawattage 2012). Ceci s’explique notamment par la confidentialité
présidant à ces échanges auxquels le chercheur pourra très difficilement avoir accès (Irvine 2003 ;
Irvine et Gaffikin 2006) et par la durée incertaine de telles discussions qui ne coïncident pas néces-
sairement avec le calendrier d’un projet de recherche (Lorino 2008). Cet article contribue à combler
ce vide en montrant comment se discute le choix de technologies de contrôle.
Il sera répondu à ce questionnement par une ethnométhodologie (Garfinkel 1967, 1996) des
discussions présidant au choix d’un système de contrôle de gestion par l’Armée du Salut conduite
entre 2000 et 2007. De la discussion de cet examen empirique ressort l’idée d’une fabrique du
contrôle très proche de celle de fabrique du droit telle qu’observée par Latour (2002) dans le cadre
d’une ethnographie du Conseil d’État. Cette approche nous permet de contribuer à la connaissance
en montrant comment naît un nouveau besoin de contrôle, par quel processus un système est choisi
et quelles sont les spécificités du contrôle dans les organisations à but non lucratif.
L’argument est organisé en trois parties. La première positionne l’article théoriquement et métho-
dologiquement. La deuxième rend compte des discussions à l’Armée du Salut lors du choix d’un
système de contrôle. Enfin, la troisième discute les apports de l’examen empirique à la connaissance
en contrôle de gestion.

1. Positionnement de la recherche
Cette recherche s’inscrit dans le prolongement d’appels répétés à des publications traitant du contrôle
de gestion au quotidien. Aussi, cette section présente-t-elle le débat scientifique ainsi que les construits
présidant à cette étude et détaille le choix d’une ethnométhodologie de l’adoption d’un système de
contrôle à l’Armée du Salut.

1.1. Débat scientifique : comprendre le choix d’un système de contrôle


Cette section a pour vocation de présenter les concepts utilisés dans cet article et de les positionner au
sein du débat scientifique dans lequel il s’inscrit : comprendre les discussions relatives au choix d’un
système de contrôle de gestion.

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1.1.1. UN ÉTAT DES LIEUX DE LA RECHERCHE


SUR LA MISE EN PLACE D’OUTILS DE CONTRÔLE
Au sein de la recherche francophone en contrôle de gestion, la plupart des travaux publiés portent sur la
manière dont les contrôleurs de gestion en titre perçoivent certains outils de contrôle de gestion, comme
le budget (Sponem et Lambert 2010), les tableaux de bord (Bescos et Cauvin 2005) ou la comptabilité de
gestion (Cheffi et Nekhili 2011). De rares publications révèlent comment les contrôleurs s’approprient ces
outils pour opérer en tant que médiateurs entre la conception de la stratégie, sa mise en œuvre pratique et
son pilotage financier (Châtelain-Ponroy et Sponem 2007 ; Morales et Pezet 2010 ; Sponem et Lambert
2010). Encore plus rares sont ceux qui montrent comment les contrôleurs de gestion construisent leur
métier en prenant en compte au quotidien l’environnement social et organisationnel dans lequel ils
l’exercent (Bollecker et Niglis 2009 ; Lambert et Morales 2009 ; Lambert et Sponem 2009). En particu-
lier, la recherche francophone en contrôle de gestion ne permet que très peu de comprendre comment se
construit et se diffuse au sein d’une organisation un outil ou un système de contrôle de gestion (Lorino
2008). Pallier ce manque impliquerait que le chercheur accompagne les praticiens dans le cas d’une
recherche-intervention (Cappelletti 2008 ; Savall 1989). En lien avec une activité de conseil, peut alors
être étudiée la mise en place d’un outil dans des PME (Nobre et Zawadsky à paraître) ou les professions
libérales peu équipées (Cappelletti et Khouatara 2009), à la différence des grandes sociétés généralement
étudiées. Mais également, les contextes d’application de la LOLF depuis 2001, de la Revue Générale
des politiques Publiques depuis 2007 ou encore de la Modernisation de l’Action Publique à partir de
2013 offrent un terrain fertile à l’examen de la mise en place d’outils de contrôle dans le secteur public
(Dreveton 2008 ; Dreveton et Rocher 2010 ; Portal, Dreveton et Lande 2012). En revanche, les organi-
sations à but non lucratif sont en reste, la recherche révélant surtout des tensions entre leur mission et le
contrôle de gestion (Châtelain-Ponroy, Eynaud et Sponem 2010 ; Chiapello 1997).
Dans tous ces cas, le chercheur a pu examiner et conceptualiser les origines d’un besoin de contrôle.
Outre les pressions exercées par l’environnement institutionnel (Lorino 2008 ; Scapens 2006), il a
été montré comment le foisonnement de normes et de référentiels suscite un besoin de contrôle dans
les entreprises et organisations publiques. C’est ainsi qu’une tétranormalisation – l’agencement de
normes comptables et financières, de normes sociales, de normes qualité et de normes commerciales
ou techniques – contraint les managers à développer des outils et systèmes de contrôle de gestion de
plus en plus complexes pour entrer en conformité avec ces exigences souvent contradictoires (Bessire,
Cappelletti et Pigé 2010 ; Savall et Zardet 2005).
La rareté de ces travaux peut s’expliquer par la difficulté à combiner une double identité de
chercheur et de consultant (Savall 1989). Pourtant, sur un objet tel que le contrôle de gestion, qui
implique de comprendre le fonctionnement interne de l’organisation et les interactions entre acteurs,
on ne peut qu’appeler à une socialisation prolongée du chercheur dans son terrain (Joannidès 2011).
Ce n’est qu’à cette condition que notre compréhension de la conception, de la diffusion et de l’uti-
lisation du contrôle de gestion dans un contexte organisationnel peut être accrue (Lorino 2008).
Cet article cherche donc à répondre à l’appel de Lorino (2008) pour des recherches montrant le lien
entre émergence d’un besoin de contrôle et discussion de ses contours par les acteurs organisationnels.
Ceci doit nous permettre de comprendre sur quoi portent les échanges et comment se décide le choix
d’un système de contrôle de gestion. Nous espérons ainsi pouvoir proposer une modélisation du pro-
cessus par lequel naît et évolue le contrôle au sein d’une organisation donnée.

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1.1.2. SYSTÈMES DE CONTRÔLE DE GESTION


Les systèmes de contrôle de gestion sont communément compris comme les processus par lesquels des
ressources organisationnelles sont allouées et utilisées dans le but d’atteindre certains objectifs (Berry,
Coad, Harris, Otley et Stringer 2009 ; Chiapello 1996 ; Otley 2001, 2003 ; Otley et Berry 1980).
Ainsi entendus, les systèmes de contrôle de gestion regroupent les outils de la comptabilité de gestion
et technologies utilisés pour produire, traiter et diffuser de l’information quantitative aussi bien que
qualitative pertinente pour le management au quotidien. Aujourd’hui, ils englobent systèmes d’infor-
mations, Enterprise Resource Planning (ERP), Customer Relationship Management (CRM), Supply
Chain Management (SCM), contrôle de qualité, etc. (Free 2008 ; Quattrone et Hopper 2005 ; Seal,
Berry et Cullen 2004). L’ensemble cohérent ainsi formé est coordonné par des routines, des procé-
dures et autres règles permettant la convergence des buts vers un objectif commun (Argyris 1990 ;
Berry et al. 2009 ; Fiol 1991 ; Merchant 1998 ; Otley et Berry 1980). La convergence des buts et des
activités suivie par l’imbrication de technologies de pilotage et d’audit interne peut conduire à inté-
grer des audits opérationnels au système de contrôle (Power 2007, 2009). Aussi, dans cet article, nous
retiendrons une définition large des systèmes de contrôle de gestion, entendus comme les mécanismes
et technologies internes et externes de coordination des activités et individus.

1.2. Ethnométhodologie du contrôle de gestion à l’Armée du Salut


Cet article étant fondé sur une ethnométhodologie du contrôle de gestion à l’Armée du Salut en
France, la présente section a pour objet d’introduire le cas, de présenter les grands principes de cette
démarche peu usitée dans les recherches en comptabilité et contrôle et la manière dont elle a été opé-
rationnalisée pour collecter et traiter les données empiriques.

1.2.1. TERRAIN D’ÉTUDE : L’ARMÉE DU SALUT EN FRANCE


Afin de répondre à la question de recherche que pose cet article, nous avons retenu comme ter-
rain d’étude l’Armée du Salut en France. À la fois congrégation religieuse affiliée à la Fédération
Protestante de France et Fondation reconnue d’utilité publique, elle compte 28 paroisses et 78 éta-
blissements dans le pays. Premier partenaire des pouvoirs publics en matière de politique sociale, elle
fait l’objet de nombreuses délégations de service public pour la gestion d’établissements sanitaires et
sociaux assurée par 3 000 salariés et 800 bénévoles dont 300 paroissiens. Les subventions publiques
représentent plus de 80 % de ses ressources pour atteindre près de 200 millions d’euros par an
(Armée-du-Salut 2012).
Dans sa double qualité de congrégation religieuse et de Fondation reconnue d’utilité publique, elle
organise historiquement son activité autour de l’articulation entre coaching spirituel et travail social,
tel que les soupes populaires, le logement social, l’hébergement d’urgence, les camps de réinsertion
et camps de vacances. Selon la théologie de son fondateur, les fidèles doivent être personnellement
impliqués dans le travail social de leur église soit en tant que bénévoles, soit en tant que salariés
(Booth 1890 ; Le Leu 2001 ; Winston 2000). Ainsi, du travail social sans fondement religieux, tout
comme du coaching spirituel sans travail social, ne serait pas conforme à son identité, puisque c’est
l’articulation des deux qui prend tout son sens.

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En 2000, lorsque l’étude a commencé, les activités de contrôle de gestion étaient partagées par les
différents services et reposaient essentiellement sur la coordination des activités sociales et religieuses
dans les établissements et paroisses. Ceux-ci transmettaient au siège parisien de l’Armée du Salut
les données liées aux opérations de travail social (types d’actions, caractéristiques des bénéficiaires,
nombre de bénévoles et de salariés, fonds levés et dépenses pour chaque activité). Le reporting avait
alors pour principale vocation de contrôler l’implication des paroissiens dans le travail social en sui-
vant l’équilibre entre croyants et non-croyants parmi les salariés et les bénévoles. La préparation des
budgets, la levée de fonds pour des projets d’intérêt national, l’allocation des ressources et la produc-
tion d’informations financières étaient le fait du Directeur Administratif et Financier, du Directeur
des Opérations de Terrain et du Chef de Territoire.

1.2.2. DÉBATS MÉTHODOLOGIQUES AUTOUR


DE LA CONCEPTION DU CONTRÔLE
L’étude de la mise en place effective et a fortiori des discussions entourant le choix d’un système
de contrôle de gestion requiert, comme le soulignent Cappelletti (2008), Joannidès (2011), Lorino
(2008) et Savall (1989), une très grande intégration du chercheur à l’organisation par une immersion
prolongée dans le temps. Celle-ci lui permettra de percevoir et modéliser les interactions formelles et
informelles entre acteurs, les non-dits et le poids des symboles organisationnels dans la conception
d’un système de contrôle de gestion.
Deux grands types d’approches s’offrent alors au chercheur : l’exploitation des pratiques profession-
nelles au premier chef (Cappelletti 2008) ou l’ethnométhodologie de manière plus marginale (Parker
et Roffey 1997) et dans des cas encore plus rares une combinaison des deux (Plane 1999, 2000a).
Fortement empreinte des principes de la philosophie pragmatique, la recherche-intervention est
héritière des travaux sur l’expérience personnelle créatrice de connaissances (Dewey 1938 ; Follett
1924) ou le praticien réflexif (Schön 1983). Ce positionnement méthodologique repose sur deux
postulats (Cappelletti 2008 ; Plane 2000b). En premier lieu, le chercheur doit être en situation de
modifier la réalité, ce pour quoi il doit être mobilisé autour d’un changement qui seul peut révéler les
modalités d’un fonctionnement. En second lieu, le chercheur doit être impliqué dans ce changement
de manière synchrone afin de collecter des données in situ et non rationalisées a posteriori. Ainsi,
les connaissances sont coproduites par le chercheur-intervenant et les acteurs de terrain. Enfin, une
dimension fondamentale de la recherche-intervention, telle que pratiquée pour examiner la mise
en place d’outils ou de systèmes de contrôle de gestion, est que les résultats obtenus doivent ensuite
faire l’objet de suivi, de diffusion et de validation. Conformément à ses origines pragmatiques, la
recherche-intervention doit produire des solutions qui fonctionnent et se perpétuent (Cappelletti
2008).
Le deuxième grand type d’approche est l’ethnométhodologie (Garfinkel 1967, 1996), née en 1967
à l’Université de Chicago concomitamment à la Grounded Theory. Elle répond historiquement au
besoin de produire de la connaissance ancrée dans le vécu des acteurs et dans les pratiques. En ceci,
elle s’oppose à l’approche du MIT (Massachussetts Institute of Technology) consistant à produire des
modèles théoriques purs sans données empiriques (Joannidès et Berland 2008). Développée pour la
recherche en psychiatrie et psychothérapie, cette approche invite le chercheur à marcher sur les pas

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des acteurs, participer à leurs conversations et écrire leur histoire en même temps1. Elle s’inscrit ainsi,
comme la phénoménologie, dans le mouvement de l’interactionnisme symbolique et dans un para-
digme constructiviste (Parker et Roffey 1997 ; Plane 2000a). Elle diffère de la Grounded Theory sur la
nature et la teneur des données collectées. Alors que cette dernière repose généralement sur des entre-
tiens, l’ethnométhodologie est une riche ethnographie (Joannidès et Berland 2008). Enfin, elle dif-
fère de la recherche-intervention en ceci qu’elle n’a pas vocation à produire des résultats pratiques. Elle
peut à ce titre représenter une voie médiane entre observation passive et recherche-intervention, selon
les finalités qu’elle s’assigne (Plane 2000a, 2000b). Cherchant à comprendre la teneur des discussions
internes à l’Armée du Salut concernant le choix d’un système de contrôle de gestion, cette recherche
n’était pas motivée par l’objectif impérieux de trouver une solution à un problème de contrôle de ges-
tion. Ainsi ne sommes-nous pas guidés par les fondements pragmatiques de la recherche-intervention.
Étant clairement motivés par une compréhension de l’intérieur des interactions entre acteurs et de
leurs doutes ou certitudes, nous avons fondé notre recherche sur des principes ethnométhodologiques
(Garfinkel 1967, 1996 ; Quéré 1987).

1.2.3. PRINCIPES ETHNOMÉTHODOLOGIQUES


S’appliquant à l’étude des pratiques quotidiennes et des processus de prise de décision, l’ethnométhodo-
logie implique que le chercheur s’immerge dans le terrain pour une durée suffisante qui lui permettra
d’en acquérir le langage formel et informel ainsi que les réflexes. C’est par ce processus, que Garfinkel
(1967) qualifie d’indexabilité, qui le conduira à devenir un membre de la communauté étudiée comme
les autres vivants et percevant la même réalité que le chercheur pourra comprendre les ressorts impli-
cites et tacites présidant aux relations entre acteurs de terrain. On comprendra aisément que le méca-
nisme de socialisation requiert un temps long rendant l’utilisation de l’ethnométhodologie particuliè-
rement difficile : bien souvent, la durée nécessaire à l’acquisition de la langue et des réflexes du terrain
est incertaine et peut largement excéder celle d’un projet de recherche (Quéré 1987).
Le fait d’acquérir les modes de pensée et d’expression du terrain porte en lui les risques d’un
manque de distanciation de la part du chercheur et ainsi de faible fiabilité du travail mené. Aussi,
Garfinkel (1967) recommande-t-il principalement deux mécanismes assurant la réflexivité de l’obser-
vateur. Le premier consiste dans le fait de travailler en équipe avec d’autres chercheurs moins familiers
du terrain d’étude et de confronter les interprétations des observations faites. Le regard extérieur des
coauteurs doit permettre une montée en généralité par un travail de conceptualisation se situant à
deux niveaux. D’une part, les extraits du travail de terrain sont autant que possible liés entre eux par
des concepts de la discipline de rattachement du chercheur. D’autre part, l’effort de théorisation se
situe après l’exposé empirique sous forme de revue de littérature, de rattachement à un cadre théo-
rique déjà existant et insoupçonné lorsque le travail de recherche a été entrepris ou la constitution
d’un assemblage conceptuel nouveau (Quéré 1987).
Le deuxième mécanisme de réflexivité tient en la narrativité des observations : le travail empirique
doit pouvoir être narré comme une histoire empruntant le vocable du terrain enrichi de concepts
et notions systématiques. Selon Garfinkel (1967), la narration doit reposer sur deux registres : l’un
inspiré du terrain et l’autre académique. Les coauteurs sont là pour garantir le deuxième niveau
de discours tandis que le chercheur immergé doit rendre compte de l’histoire vécue par les uns et
les autres de manière telle qu’ils puissent se remémorer les événements, se reconnaître et adhérer à

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l’interprétation proposée. La plausibilité de l’histoire repose alors sur des interactions avec le terrain
bien après la fin de la collecte des données : il convient alors de leur soumettre les versions intermé-
diaires et définitive du rapport de recherche afin de s’assurer que soient reconnus acteurs, faits et
histoire telle qu’ils l’ont collectivement vécue.
En dépit de ces précautions, plane sur l’ethnométhodologie un risque que le niveau de théorisa-
tion soit faible (Llewellyn 2003). L’effort de théorisation au fil de la narration conduit très souvent
au récit d’une histoire théorique décousue dans la mesure où faire émerger des concepts renvoyant à
des idées ou des construits connus ne permet pas une modélisation holiste systématique des observa-
tions empiriques. En offrant un assemblage conceptuel applicable uniquement au contexte observé
(Bourdieu 1980), l’ethnométhodologie risque de n’atteindre ainsi que ce que Llewellyn (2003) qua-
lifie de théorisation de niveau 3, soit des concepts forgeant seulement le champ lexical et syntaxique
d’une discipline. Aussi, Quéré (1987) propose-t-il de pallier cette faiblesse en offrant une discussion
générique et systémique en sus du premier effort d’assemblage conceptuel au fil de la narration.
Le chercheur est encouragé à discuter tous ces construits une fois qu’ils ont été élaborés. Ceci doit lui
permettre, soit d’identifier des continuités par rapport à des théories déjà existantes, soit de générer
un cadre théorique holiste dans lequel des liens systématiques entre les différents concepts identifiés
au cours de l’investigation empirique peuvent être établis. Dans tous les cas, estime Quéré (1987),
pallier la faiblesse intrinsèque de l’ethnométhodologie requiert une confrontation des observations à
la littérature selon un schéma conventionnel : au travers d’une section ou d’un chapitre de discussion
qui permettra de mettre en évidence les contributions de la recherche.

1.2.4. COLLECTE ET TRAITEMENT DES DONNÉES EMPIRIQUES


Un des auteurs de cette étude est un membre de l’organisation et a, à ce titre, partagé le quotidien, les
tâches et conversations des Salutistes en tant qu’un des leurs pour toute la durée des discussions sur le
choix d’un système de contrôle de gestion (2000-2007). Le travail de socialisation a été entamé bien
avant que ne commence le projet de recherche. Aussi, devenir familier avec le terrain ne devait pas
être un enjeu méthodologique pour cet article.
Du fait de ses qualifications et expériences professionnelles, cet auteur a passé deux jours par
semaine auprès du Chef de Territoire de l’Armée du Salut qu’il a conseillé sur les mécanismes orga-
nisationnels et managériaux de coordination des individus et des activités. Aussi, ce chercheur s’est
trouvé impliqué dans les discussions entourant le choix d’un système de contrôle de gestion lorsqu’un
besoin s’est fait ressentir en juin 2000. Dans ce cadre, il a eu à proposer un calendrier de travail,
organiser de nombreuses réunions avec les acteurs directement concernés par les problématiques de
contrôle (Directeur des Opérations de Terrain, Directeur Administratif et Financier, Secrétaire à la
Qualité, Secrétaire au Bénévolat, Secrétaire à l’Évangélisation, Secrétaire au Travail Social, Secrétaire
en Chef et Responsable du Contrôle de Gestion), en rendre compte au Chef de Territoire et échan-
ger avec lui quant aux conséquences des décisions prises. Également soldat engagé dans une paroisse
à Paris, ce chercheur était impliqué dans de nombreuses activités de terrain liées à la coordination
locale des activités sociales et religieuses de l’Armée du Salut. À ce titre, il a pu échanger de manière
informelle des milliers d’heures avec les différents acteurs.
Les données collectées proviennent de la tenue d’un journal de bord constitué de mémos relatant
chaque événement, chaque échange formel ou informel. En outre, toutes les réunions tenues au siège

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parisien de l’Armée du Salut ont été enregistrées et retranscrites par les services de documentation de
l’organisation. Les minutes et retranscriptions ont fait l’objet de mémos consignés également dans le
journal de bord. À ces données s’ajoutaient la correspondance entre le Chef de Territoire et les diffé-
rents acteurs ainsi que des documents internes relatifs à la question de la coordination des activités.
Pour des raisons de confidentialité, ces documents ne peuvent être restitués ici et ne seront utilisés
que comme éléments permettant de comprendre les possibles liens entre événements. Les autres cher-
cheurs impliqués dans la rédaction de cet article ont contribué à l’effort de distanciation par la trans-
formation des observations en concepts et notions systématiques au cours de la narration. Ce faisant,
nous nous efforçons, conformément aux principes ethnométhodologiques, de restituer l’histoire en
même temps sur deux registres : l’un issu directement de la langue parlée sur le terrain et un autre
empruntant à des concepts et notions connus en contrôle de gestion. En outre, conscients des limites
de la démarche soulignées par Bourdieu (1980), nous suivons la recommandation de Quéré (1987)
en consacrant une section de l’article à la mise en discussion de nos observations.
Le choix des éléments empiriques pertinents pour rendre compte des discussions liées au choix
d’un système de contrôle de gestion a suivi un processus en deux étapes. En premier lieu, les acteurs
devaient identifier quels événements et verbatim proposés étaient représentatifs de la teneur des dis-
cussions liées au choix d’un système de contrôle, lesquels étaient extraordinaires et ainsi non représen-
tatifs. Ces éléments non représentatifs du cas étaient alors laissés de côté. Pour cela, nous avons fait
parvenir aux acteurs de terrain des comptes rendus périodiques de nos travaux et conduit 25 entretiens
libres auprès des personnes impliquées dans le choix du système de contrôle de gestion de l’Armée du
Salut. Dans ces entretiens, nous les invitions à expliquer comment ils pouvaient justifier leur position
lors des différentes réunions sur la discussion des outils de contrôle à mettre en place. Les arguments
donnés lors de l’entretien étaient alors confrontés à ceux développés lors desdites réunions.
En second lieu, les éléments présentés dans cet article devaient expressément renvoyer aux discus-
sions sur le choix d’un système de contrôle de gestion par l’Armée du Salut et à des questionnements
théoriques plus larges sur le choix d’un système de contrôle de gestion. Ce faisant, l’équipe de cher-
cheurs devait s’assurer à la fois de la narrativité du cas dans deux langues (salutiste et académique) et
de la réflexivité des différents acteurs impliqués, eux compris.

2. Le choix d’un système de contrôle de gestion


à l’Armée du Salut
Un besoin de contrôle de gestion à l’Armée du Salut émerge comme la nécessaire réponse à une
situation de crise : la comptabilité financière ne permettant pas de rendre compte de l’utilisation des
deniers publics pour du travail social exclusivement, les discussions mettent à l’épreuve deux options
pour finalement aboutir à une solution satisfaisante.

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2.1. Un problème : rendre compte du respect du principe de laïcité


En 2000, un audit de l’Armée du Salut par des représentants des ministères des Affaires Sociales et
de l’Intérieur souligne un problème dans le management de l’Armée du Salut : le respect du principe
de laïcité dans le cadre de son travail social n’est pas garanti.

2.1.1. IDENTIFICATION DU PROBLÈME : MANAGEMENT ET LAÏCITÉ


Le 19 juin 2000, lors d’une réunion de travail avec le Directeur Administratif et Financier, le Directeur
des Opérations de Terrain, le Responsable du Contrôle de Gestion et le Secrétaire au Bénévolat, le
Chef de Territoire nous fait part d’une inquiétude qui l’anime :
« Les inspecteurs généraux du ministère de l’Intérieur sont venus le mois dernier et ont passé
tous nos processus au peigne fin. Ils ont notamment visité tous nos établissements afin de voir
comment nous parvenons à maintenir les affaires religieuses dans une sphère strictement privée.
Dans le rapport qu’ils ont soumis aux ministres de l’Intérieur et des Affaires Sociales, ils ont
pointé du doigt l’ambiguïté majeure dans notre manière de nous organiser et de remplir notre
mission […] La laïcité est notre contrainte légale et réglementaire. L’Armée du Salut, au nom de
ce principe d’ordre public, ne devrait plus recevoir de subsides publics. Cependant, nous sommes
le principal partenaire du ministère des Affaires Sociales. Si bien que le ministre en personne a
trouvé une solution : notre action sociale peut toujours être financée sur des fonds publics, tandis
que nos activités religieuses ne le peuvent pas. Et ce à condition que nous trouvions un système
nous permettant de prouver à tout moment que les fonds publics reçus sont utilisés exclusivement
pour notre œuvre sociale. Aussi l’objet de cette réunion est-il de réfléchir à une telle solution. »
En tant que congrégation religieuse, l’Armée du Salut voit son action strictement encadrée par la
loi de séparation des églises et de l’État du 9 décembre 1905. Son savoir-faire et son expertise dans le
champ social sont tels que l’organisation s’est longtemps trouvée seule à pouvoir faire l’objet de déléga-
tions de service public (Winston 2000). C’est pourquoi, des inspecteurs généraux envoyés par le minis-
tère des Affaires Sociales ainsi que le ministère de l’Intérieur (en charge des cultes) viennent l’auditer
afin de vérifier que l’utilisation des fonds publics remplit les objectifs de délégation de service public
et est conforme aux principes de la loi de 1905. D’autre part, des auditeurs envoyés par le ministère de
l’Intérieur vérifient que ses opérations et activités, compte tenu de son ancrage religieux, ne troublent
pas l’ordre public. Remettre en cause son financement mettrait en péril de larges pans de la politique
sociale du gouvernement. Un problème se pose alors à l’Armée du Salut : mettre ses opérations en
conformité avec le principe de laïcité.

2.1.2. QUALIFICATION DU PROBLÈME :


BESOIN D’UNE COMPTABILITÉ DE LA LAÏCITÉ
Le problème de mise en conformité avec le principe de laïcité appelle une réponse pratique ayant
des implications concrètes et immédiates en termes de reporting, réagit instantanément le Directeur
Administratif et Financier.

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« Outre le problème de l’organisation des opérations, il faudra aussi rendre compte de


l’utilisation des deniers publics. De mon côté, je ne peux rien faire de plus que ce que je fais
déjà. Je prépare les états financiers et le rapport annuel conformément aux normes comptables
applicables aux Fondations. Comme celles-ci s’appliquent à toutes les Fondations, le dispositif
ne prévoit pas de manière particulière de rendre compte de l’utilisation laïque ou religieuse des
fonds publics. Il n’y a pas de compte pour cela. Y compris dans les annexes, j’ai beau détailler
ce que nous faisons, il m’est impossible de clarifier ce qui est social de ce qui ne l’est pas. »
Il apparaît que la comptabilité financière et la production de rapports annuels ne constituent
pas une réponse satisfaisante au problème du ministre de l’Intérieur. Le Directeur Administratif et
Financier souligne une limite majeure à la comptabilité financière : les normes comptables s’appliquent
à un type d’organisations et ne tiennent pas compte des spécificités des entités composant ce groupe.
Les rapports annuels peuvent clarifier certaines de ces particularités mais à condition que ceci soit
systématique. Une deuxième limite est avancée : les données produites et publiées sont une représen-
tation agrégée des ressources collectées et utilisées mais ne rendent pas compte du détail (McKernan
et Kosmala 2007). Au mieux, des annexes au rapport annuel peuvent apporter un éclairage. Or, dans
le cas de l’Armée du Salut c’est le détail qui s’avère problématique. Le Directeur Administratif et
Financier poursuit son allocution :
« Si nous voulons être exhaustifs, nous perdrons en intelligibilité. Nous avons tant de programmes
que le rapport annuel en serait très long et sa lecture fastidieuse… En définitive, je confirme que
nous devons trouver d’autres manières de prouver que nous utilisons l’argent public uniquement
pour nos œuvres sociales. »
La solution au problème de la laïcité ne pourra être trouvée dans la seule comptabilité financière
et les rapports annuels, jugés insuffisants pour rendre compte de l’action de l’Armée du Salut de
manière pertinente. S’adressant au Responsable du Contrôle de Gestion, le Directeur Administratif
et Financier poursuit :
« Il est évident que je ne peux rien faire. En revanche, je suis certain que ton service [le contrôle
de gestion] peut nous fournir une solution satisfaisante… Je ne sais pas du tout laquelle pour
l’instant. »
Le Chef de Territoire forme alors deux groupes de quatre personnes chargés de proposer des solu-
tions pratiques. En tant que conseiller du Chef de Territoire, nous ne devions être impliqués dans
aucun afin d’éviter un parti pris a priori préjudiciable à la prise de décision finale de notre supérieur.
Trois mois plus tard, le 25 septembre 2000, est organisée une nouvelle journée de travail. Les deux
groupes de travail nous exposent leurs solutions au problème du management de la laïcité dans la
conduite de la mission de l’Armée du Salut.

2.2. Option 1 : Différentiation des activités et direct accounting


Un premier groupe de travail constitué du Secrétaire au Bénévolat, du Secrétaire à l’Évangélisation,
du Directeur Administratif et Financier, du Directeur aux Opérations de Terrain, propose une solu-
tion organisationnelle et comptable laissant en marge la question de la coordination des activités.

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2.2.1. DIFFÉRENTIATION DES ACTIVITÉS PAR UNE SCISSION


EN DEUX ENTITÉS DISTINCTES
Le Secrétaire au Bénévolat, qui dirige le groupe de travail, prend la parole et présente la proposition :
« Nous suggérons de scinder l’Armée du Salut en deux entités juridiques, financières, comptables et
opérationnelles distinctes. D’un côté, il y aurait une Fondation chargée des délégations de service
public, collectant et utilisant les fonds publics exclusivement pour le travail social. De l’autre,
l’église serait financée par les membres de l’Armée du Salut, nos soldats et autres visiteurs de nos
postes [paroisses]. L’église et ses membres se concentreraient alors sur le travail d’évangélisation. »
En différenciant les activités grâce à deux entités juridiques distinctes, les membres de ce groupe
suggèrent qu’il ne devrait y avoir aucun chevauchement de l’une et de l’autre. Le Secrétaire au Bénévolat
explique à l’aide de la figure ci-dessous, projetée sur le mur, que l’Armée du Salut devrait repenser en pro-
fondeur sa manière de conduire sa double mission, son organisation et la coordination des deux activités.

Figure 1
Organiser la différentiation des activités

Cabinet du Chef de Territoire

Église Association caritative

Culte du
dimanche Travail social

Aide
Évangélisation d’urgence

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Par une telle différentiation, il n’y aurait aucune ambiguïté quant à l’objet des différentes actions
entreprises. La conséquence d’une telle forme de management conduirait à produire et utiliser de
l’information relative à chacune de ces activités. Comme chaque entité légale disposerait de son
propre système comptable, chacune des deux pourraient produire et publier des états financiers qui
leur seraient propres. Procéder ainsi permettrait alors de retracer aisément l’utilisation de l’argent
public donné pour le travail social tout en suivant les résultats des actions entreprises. Des ressources
directes et des coûts directs pourraient alors être affectés à l’association caritative ou bien à l’église.
L’argent public n’irait qu’à l’association caritative tandis que les dons faits par les membres de l’Armée
du Salut iraient à l’église. À ce stade, si le financement de l’action sociale semble ne pas poser de pro-
blème particulier, on peut douter de la capacité de l’église à se financer, souligne un pasteur.
« Jusqu’à maintenant nous n’avons jamais fait particulièrement attention à l’origine des
ressources de nos postes [paroisses], dans la mesure où l’argent venait du Quartier Général [le
Siège]. Dois-je comprendre qu’avec votre nouveau système les postes devraient lever des fonds
par leurs propres moyens au travers notamment de la collecte du dimanche, des différents
appels de fonds auprès de nos soldats, legs et autres activités commerciales comme nos ventes
de fripes ? Si c’est le cas, cela signifie que vous avez une foi immense dans notre capacité à
trouver cet argent dont nous avons besoin. Je doute que nous y parvenions. »
Puisque les fonds sont levés par chacune des deux entités séparément, l’allocation des ressources
ne devrait pas poser de problème : toutes les dépenses seraient induites par un programme géré par
l’entité qui a collecté les ressources pour le financer. Ceci ressemblerait alors à une forme de gestion
et de comptabilité directes des ressources et dépenses (Alcouffe et Malleret 2004).

2.2.2. COORDINATION DES ACTIVITÉS ET COMPTABILISATION


DES CHARGES COMMUNES
Pour autant, cette option laisse en suspens la question de la coordination des activités qui est pourtant
le cœur du fonctionnement de l’organisation, comme en témoigne l’intervention d’un représentant
des soldats des paroisses parisiennes convié à la réunion : l’Armée du Salut risquerait alors de perdre
son identité.
« Je vois trois problèmes dans ce que vous suggérez de faire. Tout d’abord, est-il normal que
la fille [la Fondation] remplace et ordonne à la mère [l’église] ? Ce qui va se passer, c’est que
l’église se trouvera de fait subordonnée à la Fondation, ce qui n’est pas du tout conforme à ce
que recommandait William Booth [le fondateur de l’Armée du Salut]. Le deuxième problème
que je vois est que la Fondation et l’église ne travailleront plus du tout ensemble, faisant de
l’Armée du Salut une organisation caritative comme n’importe quelle autre. Enfin, je vois
comment l’association sera financée. Très bien… Mais je ne comprends pas comment vous
envisagez de financer le Quartier Général ou au moins le Chef de Territoire. »
Afin de conjurer ce risque de perte d’identité historiquement fondée sur l’enchevêtrement des
piliers social et religieux, les deux entités devraient faire l’objet d’une coordination par les collabo-
rateurs du Chef de Territoire chargé d’organiser la convergence des buts dans l’organisation par le

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truchement de règlements, de procédures, ou du développement d’une nouvelle culture (Fiol 1991).


Le Chef de Territoire écarte immédiatement cette inquiétude :
« Le Quartier Général, sous ma responsabilité, dirigera et coordonnera les deux entités. »
Nonobstant cette réponse, une limite au modèle de comptabilité et gestion directes se trouve ainsi
présentée : les coûts communs et les coûts indirects, notamment ceux du Siège de l’Armée du Salut, se
trouveraient sans financement. Le système en lui-même inspiré de la logique du direct costing trouverait
alors ses limites. Fort opportunément, le Chef de Territoire garantit une solution de moyen terme :
« L’Armée du Salut Internationale peut subventionner le Quartier Général Territorial et les
coûts fixes dans les territoires où on ne peut pas trouver des ressources par soi-même. J’ai parlé
avec le Général qui est d’accord pour financer notre Quartier Général Territorial pour cinq ans
si besoin est. J’en conviens, cette solution n’est ni pérenne ni viable à long terme. »
Cette troisième source de financement permettrait la différentiation des activités ainsi que la
comptabilité et gestion directes. Si elle permet de résoudre le problème de la laïcité, cette première
option s’avère difficilement viable, en ceci qu’elle mettrait en péril l’identité de l’Armée du Salut et ne
serait financièrement pas soutenable à long terme. Aussi, le Chef de Territoire invite-t-il le deuxième
groupe à exposer son système de contrôle de gestion.

2.3. Option 2 : Comptabilité par activités et Activity-Based Management


Le second groupe, constitué du Secrétaire en Chef, du Responsable du Contrôle de Gestion, du
Secrétaire au Travail Social et du Secrétaire à la Qualité, présente une solution enthousiasmant tous
les participants.

2.3.1. DISTINGUER ET COMPTABILISER DES ACTIVITÉS SOCIALES


OU RELIGIEUSES
Le Secrétaire à la Qualité qui anime l’équipe commence son allocution en rassurant une audience
inquiète.
« Avec notre solution, il n’y aura aucun changement dans la manière dont nous faisons notre
travail et nous garantissons que l’identité de l’Armée du Salut sera préservée. Notre solution
n’aura aucun impact sur la structure de l’Armée du Salut. Nous suggérons de dresser une liste
de toutes nos activités et de qualifier chacune d’elles de sociale ou religieuse. Par exemple,
l’aumônerie dans les établissements sociaux est une activité religieuse, tandis qu’un camp de
vacances organisé par un poste est une œuvre sociale. Avec notre système, nous n’avons pas à
nous préoccuper de qui fait quoi. Ce qui va compter, c’est la nature de l’activité en question :
sociale ou religieuse. »
En soutien de son explication, le Secrétaire à la Qualité projette sur le mur et commente la chaîne
de valeur : le religieux et le social sont deux maillons stratégiques qui doivent être interconnectés.
Ceci se traduit par le fait que la chaîne de valeur de l’Armée du Salut est parfaitement en phase avec
une comptabilité par suivi des activités réparties en centres de responsabilité. Selon ce système, le

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Quartier Général lève des fonds pour l’Armée du Salut et alloue l’argent public à toutes les activités
qualifiées de sociales dans la base de données, tandis que les ressources d’origine privée sont affectées
aux activités qualifiées de religieuses et aux charges communes. On voit ainsi que la solution proposée
semble assez proche d’une comptabilité par activités dans laquelle l’enjeu est d’identifier les activi-
tés consommées par les processus constitutifs de la chaîne de valeur de l’organisation (Alcouffe et
Malleret 2004). Sans pour autant qualifier cette solution de comptabilité par activités, le Secrétaire
à la Qualité en explique le mode opératoire : l’Armée du Salut doit comptabiliser les activités (sociales
ou religieuses) consommées par son action et ainsi les ressources et coûts induits. Le label social ou
religieux deviendrait alors un inducteur de levée de fonds et de coût, poursuit-il :
« En pratique, nous suggérons que chacun des labels social ou religieux ait un compte séparé
chez le Directeur Administratif et Financier. Le compte social est crédité de l’argent public ou
des donateurs précisant qu’ils donnent pour une activité tombant sous le label social. De l’autre
côté, l’argent donné sans objet spécifique ou bien donné par nos soldats irait au compte religieux.
Il serait alors très facile de faire le budget de chacune des activités et d’entrer en conformité
avec les principes de la laïcité. Le budget de l’activité religieuse consisterait alors exclusivement
dans les ressources disponibles sur le compte religieux tandis que celui de l’activité sociale
serait formé par l’argent versé sur le compte social. La coopération entre les deux activités
serait possible dans la mesure où n’importe qui pourrait mener activités sociales ou religieuses.
La différence tiendrait simplement à l’origine des fonds qui serait différente et aux dépenses
permises seulement dans le cadre de ces deux comptes. Aucun transfert de compte à compte
ne serait bien entendu possible. »
Selon la solution proposée, la différentiation se ferait au niveau des fonds levés qui seraient affectés
à un compte, duquel ne seraient ordonnées que les dépenses correspondant au même label (social ou
religieux). En alignant dépenses et fonds levés en fonction de l’activité induisant les deux, ce système
de contrôle rend possible la conduite d’activités conjointes, chacune étant comptabilisée et financée
séparément. Ainsi, c’est l’activité elle-même et non la qualité de l’individu faisant la demande qui
prime. De cette manière, un ministre du culte pourrait entreprendre des activités sociales finan-
cées sur fonds publics de même qu’un travailleur social pourrait consommer des activités religieuses
(comme de l’aumônerie par exemple) financées sur fonds privés. Une forme de comptabilité en partie
double faisant correspondre ressources et dépenses en fonction de l’activité les consommant serait
mise en œuvre (Edwards, Coombs et Greener 2002).

2.3.2. UNE MISE EN ŒUVRE PAR LES PAROISSES ET LES ÉTABLISSEMENTS


Le Secrétaire à l’Évangélisation explique plus avant comment les paroisses seraient affectées dans leur
fonctionnement quotidien :
« Dans les postes, les officiers [pasteurs] devraient alors s’assurer qu’à chacune des activités
développées correspond le label social ou religieux. Il leur faudrait renseigner la base de données
de l’Armée du Salut avec leurs données respectives pour chacune de ces activités. Toute dépense
devrait alors être renseignée par le label social ou religieux correspondant à l’activité concernée.
Les activités religieuses des postes seraient alors financées par des ressources provenant du

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compte religieux du Quartier Général et leurs activités sociales par les ressources provenant
du compte social dans les livres du Directeur Administratif et Financier. Il est crucial que les
officiers dans les postes renseignent rigoureusement la base de données de l’Armée du Salut,
précisant la liste de leurs activités et le label auquel elles correspondent. […] Il reviendrait
alors aux Secrétaires au Travail Social, à l’Évangélisation et au Bénévolat de vérifier ensemble
que pour chaque poste et établissement les activités proposées correspondent bien au même
label. Il conviendra d’harmoniser l’ensemble, afin d’éviter tout retour de l’ambiguïté soulignée
par le ministre des Affaires Sociales. Tout ceci devrait être fait avant la fin de l’année civile
précédente pour que le Quartier Général sache à combien s’élèvent les besoins des activités
sociales et religieuses pour l’année à venir et puisse ainsi préparer le budget. »
Il ressort de cette proposition que le seul changement impliqué par la mise en œuvre d’une compta­
bilité par activités serait d’ordre comptable, conduisant alors comme dans d’autres organisations à but
non lucratif à rendre pasteurs, travailleurs sociaux et autres managers hybrides (Kurunmäki et Miller
2006 ; Miller, Kurunmäki et O’Leary 2008). Outre les tâches quotidiennes liées à leur fonction, les
acteurs de terrain se verraient également chargés d’enregistrer des écritures de comptabilité analytique,
ce pour quoi ils ne sont pas toujours formés. Au Siège de l’organisation, dans un souci de standardisa-
tion et afin de lever les possibles ambiguïtés, les trois personnes en charge des missions sociale et
religieuse devraient vérifier les procédures et données de la comptabilité analytique en validant les pré-
affectations proposées par les acteurs de terrain. Ce faisant, là où la culture organisationnelle et les
valeurs ne suffisent plus, la coordination se ferait par les normes et procédures (Fiol 1991).
Une telle option présenterait le triple avantage de faire entrer l’Armée du Salut en conformité avec
les principes de laïcité tout en lui permettant de maintenir son identité intacte et d’être viable à long
terme. C’est donc sans surprise qu’à l’issue de la réunion cette deuxième option a été retenue.

2.4. Probation, test et enrichissement de l’option 2


L’option 2 retenue put être mise en œuvre assez rapidement après que la décision fut prise. En mai 2002,
à l’occasion de réunions de suivi de la mise en place de cette solution de contrôle de gestion avec le
Chef de Territoire et le Secrétaire à la Qualité, nous nous rendîmes compte que la solution retenue
posait toujours des problèmes de conformité aux principes de laïcité.

2.4.1. TEST NON CONCLUANT : L’OPTION 2


OU LE RETOUR AU PROBLÈME INITIAL
Lors d’une réunion avec le Général en visite en France, le 20 mai 2002, le Chef de Territoire nous
annonce le verdict de la mise à l’épreuve du système de contrôle proposé aux auditeurs des ministères
de l’Intérieur et des Affaires Sociales :
« Ils n’ont pas aimé le système de contrôle de gestion que nous avons parce qu’il ne leur permettait
pas de retracer parfaitement la destination des fonds publics que nous percevions, en particulier
dans le cas de missions pouvant reposer sur des activités relevant des deux labels [social et
religieux] comme un camp de vacances organisé par un poste. Pourtant, ils ont souligné l’effort
que nous avons fourni en mettant en place une comptabilité par activités. Nous avons donc

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jusqu’à leur prochaine visite en 2004 pour trouver une nouvelle solution. Si nous n’y parvenons
pas, nous risquons de gros ennuis que je n’ose même pas imaginer. Je compte sur vous pour
m’aider à améliorer notre système de contrôle qui pourtant a du bon. »
En guise de réponse à cette allocution, le Général annonce le remplacement du Chef de Territoire
par un autre qui était parvenu à régler quelques années auparavant une situation de crise de même
ampleur au Danemark. Il nous mandate pour continuer notre mission auprès du nouveau nommé
du fait de notre connaissance du dossier et des enjeux juridiques, politiques et sociaux. Suite à ce
rassemblement, le nouveau Chef de Territoire organise une réunion avec les deux groupes de travail
la semaine suivante qu’il ouvre de manière très directe :
« Mesdames et Messieurs, nous avons un sérieux problème. Vous le savez mieux que moi,
l’IGAS [Inspection Générale des Affaires Sociales] nous menace de nous retirer le soutien
financier et institutionnel du ministère des Affaires Sociales si lors de leur prochain audit nous
ne sommes pas en mesure d’entrer en conformité avec les principes de la laïcité. Nous devons
revoir entièrement notre structure et notre système de contrôle de gestion. J’attends de vous
que vous parveniez à une solution qui j’en suis convaincu devrait pouvoir emprunter aux deux
propositions que vous avez formulées à l’époque. »
Il semblerait que les auditeurs des deux ministères de tutelle de l’Armée du Salut aient apprécié
l’effort de labellisation et l’esprit d’une comptabilité et d’un management par activités permettant de
distinguer entre le social et le religieux. En revanche, l’intégration de ces activités dans une même struc-
ture semble annuler l’effort de différentiation comptable. Aussi, emprunter aux deux solutions initia-
lement présentées devrait conduire à un mélange de comptabilité par activités et de direct accounting.
Le 17 juin, à l’occasion d’une nouvelle réunion, les membres des deux équipes nous présentaient
une proposition commune. Le Directeur Administratif et Financier, chargé de piloter le groupe de
travail, prend la parole :
« Nous pensons avoir trouvé un modèle nous permettant à la fois de satisfaire aux exigences
de la laïcité et de préserver l’identité de l’Armée du Salut. Concernant la laïcité, nous pensons
que scinder l’Armée du Salut en deux entités et avoir une affectation directe des ressources et
dépenses à chacune est souhaitable. Nous recommandons d’établir une Fondation d’une part
et une congrégation religieuse d’autre part. Sur l’autre aspect, notre identité, il nous semble
indispensable que les deux entités puissent coopérer. Pour cela, nous suggérons d’étendre le
mécanisme aux établissements et postes qui les composent. »
Avec cette solution, les activités sont différenciées et organisées dans un modèle de type direct
accounting comme proposé dans la première option en 2000. En revanche, la coopération des piliers,
indispensable à la préservation de l’identité de l’organisation, conduit à adopter et généraliser l’option
de comptabilité et management par activités, sociales ou religieuses.

2.4.2. COORDINATION DES ACTIVITÉS PAR DES PRIX DE CESSION INTERNE


C’est aux paroisses et établissements qu’il reviendrait d’assurer la mise en œuvre de cette troisième
option, comme l’explique le Responsable du Contrôle de gestion.

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« Nous suggérons que l’argent public soit levé et comptabilisé par la Fondation exclusivement.
Par défaut, ses activités relèveront du domaine social. D’autre part, nous suggérons que la
congrégation soit en charge de la levée de fonds privés. Par défaut, ses activités relèveront du
domaine religieux. Jusque-là, rien de nouveau. Là où notre solution combine les deux modèles
proposés en 2000, c’est que nous estimons que chacune des deux entités doit être en mesure
d’acheter à l’autre certaines activités assurées par cette dernière. Par exemple, la Fondation peut
acheter à la congrégation des activités sociales et inversement la congrégation peut acheter des
programmes religieux à la Fondation. »
Le Responsable du Contrôle de gestion suggère implicitement qu’une manière d’intégrer la double
contrainte de mise en conformité avec la laïcité et la coopération des activités peut consister à mettre
en place des prix de cession interne (Meer-Kooistra 1994 ; Spicer 1988) interdisant toutefois tout
mécanisme de subvention croisée. La complexité d’une telle solution soulève un autre problème que
souligne le Responsable du Contrôle de gestion.
« Ceci étant dit, je pense qu’il y a un autre problème. Il nous faudra être très transparents de sorte
que la congrégation facture ses prestations à l’association au prix qu’elle aurait payé si celle-ci
les avait prises en charge elle-même. À l’inverse, la congrégation devra payer à l’association le
même montant pour l’aumônerie que l’association paierait ses officiers. Indépendamment des
coûts fixes communs aux deux entités, l’enjeu est de nous assurer qu’à travail égal les deux
entités paient le même tarif. »
Alors que la plupart des organisations à but non lucratif utilisent les prix de cession interne pour
la commercialisation de certaines activités (Chia et Koh 2007 ; Ellwood 2009 ; Mackintosh, Jarvis et
Heery 1994 ; Modell et Lee 2001 ; Perera, McKinnon et Harrison 2003 ; Van Helden et Northcott
2010), l’Armée du Salut envisage de les utiliser comme mode de coordination de relations interorga-
nisationnelles. Sur le terrain, paroisses et établissements devront développer des systèmes comptables
et bases de données communs et harmonisés afin que la gestion quotidienne soit facilitée. Même si
de l’emploi croisé est nécessaire, facturer à prix coûtant permet de contourner le risque de subven-
tionnement croisé (Heald 1996 ; Koogler et Stell 1991) qui ramènerait de fait l’Armée du Salut à la
situation initiale.

2.4.3. ENRICHISSEMENTS DE L’OPTION RETENUE


Le système de contrôle de gestion de la congrégation associant activités, ressources et dépenses à un
label social ou religieux s’appliquerait exactement dans les mêmes termes sur le terrain. La cohérence
de l’ensemble et la pérennité d’un tel système de contrôle, poursuit le Responsable du Contrôle de
gestion, nécessiterait alors la mise en œuvre de contrôles supplémentaires :
« Il conviendra alors de communiquer ces données au Quartier Général où nous consoliderons
le tout pour la congrégation d’une part et pour l’association d’autre part. Ensuite, nous aurons
à procéder à la réconciliation des transactions entre les deux entités. Pour ce faire, nous
produirons d’autres états financiers présentant les ressources et dépenses réelles de chacune
d’elles. Au bout du compte, le total des fonds collectés et des dépenses engagées de chacune des
entités devra égaliser strictement les données que nous avions au départ. »

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Ce nouveau système de contrôle de gestion devrait permettre de retracer et vérifier l’origine et


la destination des ressources mobilisées avant la conduite des opérations, pendant et après, assurant
planification, contrôle d’exécution et post-évaluation. On ne sait pas ce qui se passerait en cas de dif-
férence d’une phase à l’autre. On peut uniquement supputer que d’autres outils de contrôle seraient
discutés et mis en œuvre à chaque fois qu’un doute subsisterait quant à l’utilisation des fonds publics.
Convaincu par le système ainsi proposé, le Chef de Territoire décida effectivement de l’adopter
et le mit en place dans les mois qui suivirent. Puis, deux années plus tard, en 2004, après que les
auditeurs des ministères des Affaires Sociales et de l’Intérieur eurent approuvé la nouvelle organi-
sation et le nouveau système de contrôle de gestion, le Chef de Territoire fut nommé dans un autre
pays où l’Armée du Salut traversait une crise de même nature et fut remplacé. Son successeur décida
de prolonger son œuvre. Prenant ses fonctions, il organisa le 27 septembre 2004 une réunion avec
l’ensemble de l’Armée du Salut en France ainsi que les ministres des Affaires Sociales et de l’Intérieur
en personne pour leur présenter son projet :
« Grâce à Dick Krommenhoek [son prédécesseur] et votre travail, nous sommes parvenus à
surmonter la crise que nous traversions et entrer en conformité avec les principes de laïcité tout
en maintenant l’impératif de coopérations entre les deux entités juridiques. Afin de renforcer
les liens avec nos deux ministères de tutelle, j’ai invité le ministre des Affaires Sociales et le
ministre de l’Intérieur en personne à rejoindre le conseil d’administration de l’Armée du Salut.
Ainsi pourront-ils approuver nos budgets et notre stratégie en amont, avant même que nous ne
commencions à mettre en œuvre les opérations. Dieu vous bénisse. »
Diverses réunions de suivi entre 2004 et 2011 avec les différents acteurs révèlent que le contrôle
de gestion de la laïcité mis en place continue de fonctionner. La réponse trouvée à la crise traversée
par l’Armée du Salut a intéressé également les Chefs de Territoires d’un certain nombre de pays
confrontés à des situations de crise similaires. C’est ainsi qu’en 2009 nous avons été sollicités par
l’Armée du Salut néozélandaise pour accompagner ses dirigeants dans la mise en place d’un système
de contrôle de gestion visant à tracer la destination religieuse des fonds reçus. À la demande des Chefs
de Territoire canadien et britannique, un rapport de synthèse de ce qui avait été fait en France et en
Nouvelle Zélande a été produit et est désormais utilisé comme matériel pédagogique dans la for-
mation des pasteurs et chefs d’établissements de l’Armée du Salut depuis 2011. Aussi pouvons-nous
raisonnablement estimer que la réponse apportée en France s’avère pérenne et sert de référence dans
d’autres contextes. Cette postérité du contrôle de gestion de la laïcité en France nous permet de tirer
un certain nombre d’enseignements discutés ci-après.

3. Discussion
À l’instar de Quéré (1987) pour pallier les limites de l’ethnométhodologie, cette section discute le
premier niveau de conceptualisation offert dans l’exposé empirique. Dans un premier temps, nous
discutons de l’influence d’un cadre normatif et réglementaire sur l’émergence d’un besoin de contrôle
de gestion dans une organisation à but non lucratif (3.1). Puis, nous élargissons la discussion aux

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LA FABRIQUE DU CONTRÔLE :
106 UNE ETHNOMÉTHODOLOGIE DU CHOIX DES OUTILS DE GESTION

mécanismes d’émergence d’un besoin de contrôle (3.2) avant de proposer une modélisation des dis-
cussions présidant à la décision de répondre à cette demande sociale et ces pressions (3.3).

3.1. Le contrôle dans une organisation à but non lucratif :


adéquation de l’origine, de la destination et de l’utilisation des fonds
Cette ethnométhodologie du choix des outils de gestion à l’Armée du Salut nous permet de nous
démarquer de la plupart des publications sur le contrôle de gestion dans les organisations à but non
lucratif, ces travaux se concentrant sur les coûts et la recherche de l’efficience (Anthony et Young
1984 ; Cordery, Baskerville et Porter 2011 ; Reiden 2001). Dans le cas étudié ici, une préoccupation
centrale consiste à suivre et piloter la parfaite adéquation de l’origine des ressources (publiques ou pri-
vées) avec leur destination (sociale ou religieuse) et leur utilisation (la nature des activités financées).
Les discussions entourant le choix d’un système de contrôle de gestion ne révèlent en effet pas comme
centrales des préoccupations liées à l’économie, l’efficience ou l’efficacité. Au mieux, comme le sug-
gère l’audit des opérations par le ministère des Affaires Sociales, les questions d’efficacité et d’effi-
cience (ou de qualité) sont intrinsèques à l’activité (travail social) plus qu’à la nature de l’organisation.
En second lieu, on aurait pu s’attendre à ce que la fabrique du contrôle de gestion soit influencée
par les contraintes imposées par la LOLF et la Revue Générale des politiques Publiques du fait que
l’Armée du Salut fait l’objet de délégations de service public. Le cas ne fait pas état de telles influences,
ce qui ne dénie pas pour autant le fait qu’elles puissent refléter un réel enjeu. Seulement, les préoccu-
pations des acteurs de l’Armée du Salut et des auditeurs de ses deux ministères de tutelle portent sur
d’autres types de problèmes (le respect du principe de laïcité). Dans cet ordre d’idées, il apparaît que
dans d’autres organisations non-marchandes, le contrôle de gestion est fortement influencé par les
choix politiques des administrations en finançant les activités. En dépit des exigences d’une nouvelle
gestion publique associées à la LOLF, le contrôle de gestion dans une organisation à but non lucratif
ne découle pas directement de celle-ci (Châtelain-Ponroy 2010 ; Châtelain-Ponroy et al. 2010). Ainsi
peut-on envisager que compte tenu du mode de gouvernance finalement retenu par l’Armée du Salut,
avec la participation du directeur de cabinet des ministres de l’Intérieur et des Affaires Sociales aux
réunions du Conseil d’Administration, les questions liées à la LOLF, à la RGPP ou la Modernisation
de l’Action Publique sont traitées par ailleurs.
Apparaissent dans ce cas de manière très explicite trois pôles normatifs à l’origine du contrôle de
gestion qui ne sont pas sans rappeler les travaux sur la tétranormalisation (Bessire et al. 2010 ; Savall
et Zardet 2005). Il s’agit de normes sociales, de normes techniques et de normes de qualité. L’enjeu de
mise en conformité avec le principe de laïcité révèle une forte pression exercée par la société sur une
organisation telle que l’Armée du Salut du fait de son ancrage religieux et social. En outre, les audits
réguliers de l’organisation par les inspecteurs généraux de ses deux ministères de tutelle mettent en
exergue, pas tant des enjeux liés à la mise en place de la LOLF et des principes d’une nouvelle gestion
publique, que de privatisation de l’action publique. Ceci semble corroboré par le fait que l’étude a été
réalisée avant la finalisation de la mise en œuvre de la LOLF dans les services publics, notamment au
ministère des Affaires Sociales où les travaux sont alors toujours en cours.
On peut deviner en filigrane, par l’évocation des audits menés par le ministère des Affaires
Sociales, des normes de qualité voire des normes techniques régissant la conduite de la politique

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LA FABRIQUE DU CONTRÔLE :
UNE ETHNOMÉTHODOLOGIE DU CHOIX DES OUTILS DE GESTION 107

publique d’action sociale. Si les discussions présidant au choix d’un système de contrôle de gestion à
l’Armée du Salut ne les font pas apparaître explicitement, celles-ci semblent vécues comme un prére-
quis à l’action plus que comme une pression exercée par les pouvoirs publics. Pour autant, la pression
exercée par des normes comptables et financières sur la conduite des opérations semble absente ici.
On constate que c’est précisément parce que de telles normes ne permettent pas de rendre compte
de la mise en conformité avec la norme sociale de laïcité qu’un besoin de contrôle de gestion se fait
ressentir.
Alors que la théorie de la tétranormalisation semble conférer aux quatre grands pôles de normes
une influence équivalente dans la constitution d’un contrôle de gestion, le cas de l’Armée du Salut
indique que l’un d’eux domine et subordonne, voire masque, les autres. Ici, il est manifeste que la
norme sociale est centrale parce qu’elle est associée à un désengagement des pouvoirs publics de la
conduite de la politique sociale. Enfin, la liberté laissée à l’Armée du Salut de proposer une réponse à
la seule problématique de mise en conformité avec la norme sociale de laïcité révèle que l’intégration
d’un seul règlement au fonctionnement d’une organisation peut suffire à motiver la mise en place
d’un système de contrôle de gestion. Ce faisant, nous apportons une nuance à la théorie de la tétra-
normalisation selon laquelle c’est plutôt une profusion de normes, souvent contradictoires, qui serait
à l’origine des systèmes et pratiques de contrôle.
Il semble ici que ce soit un problème d’ambiguïté de la norme sociale de laïcité et une compréhen-
sion de celle-ci par tâtonnements qui caractérisent les discussions relatives au choix d’un système de
contrôle de gestion par l’Armée du Salut. En outre, là où la théorie de la tétranormalisation porte son
attention sur l’influence des normes en elles-mêmes, notre cas révèle que la mise en place d’un sys-
tème de contrôle répond au caractère exécutoire de la réglementation. Puisque c’est le problème de la
laïcité qui cristallise les discussions autour du contrôle de gestion, nous cherchons à établir comment
une question inédite pour une organisation est traitée et conduit à une exécution de l’obligation de
soumission à une norme sociale.

3.2. L’émergence du besoin de contrôle :


situation de crise et identité organisationnelle
La question de l’émergence d’un besoin de contrôle associé à l’exécution d’une norme sociale aux
contours ambigus, comme c’est le cas de la laïcité, présente des similitudes avec les défis que doit rele-
ver le Conseil d’État dans les décisions qu’il prend et avis qu’il rend Au nom du peuple français (Latour
2002). La fabrique du droit par le Conseil d’État est un processus par lequel des acteurs partagent
leur interprétation d’un projet à visée normative et parviennent à un consensus quant aux contours
que celui-ci devrait avoir. Ce processus naît d’un besoin suscité par la soumission à l’institution d’un
cas problématique (projet de loi d’initiative gouvernementale ou cas litigieux de droit administratif)
appelant une réponse pratique pérenne. D’autre part, le droit étant un ensemble cohérent reflétant les
choix politiques d’une société, cette solution doit être en cohérence avec le droit déjà existant et ainsi
alimenter un système juridique. Aussi, le problème doit-il faire l’objet d’une qualification collégiale ;
ses contours et sa portée doivent être clairement identifiés et conceptualisés de manière à envisager
une solution générale et générique applicable au-delà du seul cas d’espèce. C’est ainsi que Latour

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LA FABRIQUE DU CONTRÔLE :
108 UNE ETHNOMÉTHODOLOGIE DU CHOIX DES OUTILS DE GESTION

(2002) observe chez l’intégralité des Conseillers d’État un but commun : trouver une solution opti-
male compte tenu de ce triple objectif (triple contrainte).
Au-delà de l’histoire racontée ici, ce cas montre comment le besoin d’un système de contrôle de
gestion se fait jour. Un cas problématique est soumis à l’organisation : un audit des ministères de
l’Intérieur et des Affaires Sociales demande l’administration de la preuve que le principe de laïcité
est bien respecté par l’Armée du Salut dans la conduite de ses opérations. À cet objectif s’ajoute celui
d’assurer une coordination des piliers social et religieux, socle de l’identité organisationnelle, dans les
activités quotidiennes. La première réunion, animée par le Chef de Territoire, permet de qualifier le
problème : une solution de contrôle de gestion doit être trouvée pour répondre à la demande exprimée.
Le déclencheur d’un besoin de contrôle de gestion, ici une situation de crise, est unanimement
reconnu et accepté par les acteurs organisationnels. Une stratégie de réponse collective au problème
posé et qualifié se déploie alors par la constitution de deux groupes de travail visant à rechercher
une solution qui sera celle de l’Armée du Salut. Ceci révèle une stricte convergence des buts, comme
modélisée par Fiol (1991) selon qui une stratégie collective peut être menée lorsque l’organisation
véhicule des valeurs et une identité fortes auxquelles les acteurs peuvent adhérer sans ambiguïté.
L’impératif de préserver un équilibre entre l’identité religieuse et son bras séculier qu’est le travail
social forme le socle permettant à une stratégie collective d’émerger. Dans le cas de l’Armée du Salut,
il semble que cette identité et ces valeurs soient un élément ayant permis la qualification du problème.
En retour, celles-ci se trouvent réaffirmées et renforcées lorsqu’elles sont soumises à la pression de
normes externes susceptibles de les menacer, si bien que le besoin de contrôle fait l’objet d’une appro-
priation collective sans ambiguïté (Munro 1995).
Au-delà de cet exemple, une situation de crise financière, managériale, opérationnelle ou straté-
gique menaçant la pérennité de l’organisation peut susciter un besoin de contrôle de gestion (Anthony,
Dearden et Bedford 1984). Plus que le problème en lui-même, le déclencheur du besoin de contrôle
tient en la capacité des dirigeants à le qualifier de manière à identifier la nature de la réponse à trou-
ver, comme c’est le cas dans la fabrique du droit.

3.3. Discussions et mises à l’épreuve des faits


On observe, comme dans l’étude de Latour (2002), des schèmes récurrents quant au mode de dis-
cussion relatif à l’adoption d’une solution. Une fois le problème collectivement qualifié et compris
par le Conseil d’État, deux rapporteurs sont nommés pour instruire le dossier et proposer des solu-
tions techniques qui seront ensuite mises en discussion. En formation de jugement, ces solutions
sont éprouvées au bon sens du moment en envisageant aussi largement que possible les conséquences
sociales, pratiques et juridiques de chacune d’elles. Ce faisant, les discussions sont toujours policées et
ne révèlent pas de controverses à l’œuvre dans d’autres contextes. La solution collectivement trouvée
est jugée optimale parce qu’elle aura des conséquences prévisibles qui pourront à leur tour faire l’objet
d’un traitement par l’outil juridique. À ce titre, elle exprime la position de l’institution dans son
ensemble tandis que disparaît l’identité des maîtres des requêtes et des rapporteurs.

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LA FABRIQUE DU CONTRÔLE :
UNE ETHNOMÉTHODOLOGIE DU CHOIX DES OUTILS DE GESTION 109

Pour autant, cette réponse pratique, loin d’être immuable, subit une période probatoire plus ou
moins longue, jusqu’à l’occurrence d’un nouveau cas qui viendra l’éprouver. Soit ce cas remettra
en question l’édifice constitué, appelant à une nouvelle solution significativement différente (revi-
rements de jurisprudence). Soit il soulèvera de nouvelles questions appelant à des compléments de
solution. Ceux-ci, sans surprise, ne seront que des ajustements à la marge, des spécifications ou des
nuances, ajoutant à la sophistication du système. In fine, la mise en œuvre de la solution retenue sera
laissée aux institutions et acteurs de terrain.
L’Armée du Salut devait trouver une solution comptable permettant de répondre à un problème
du même ordre. C’est donc sans surprise que les premiers échanges portent sur les contours d’un sys-
tème comptable permettant de rendre compte de l’utilisation religieuse ou sociale des deniers publics.
Motivés par le but commun de trouver une solution institutionnelle au problème posé, comme dans
le cas des rapporteurs et maîtres des requêtes du Conseil d’État, les membres des deux groupes de
travail voient à leur identité se substituer celle de l’organisation : les options 1 et 2, quoique formulées
par deux groupes de travail distincts, se trouvent progressivement désincarnées afin de devenir l’objet
du travail de l’organisation. En effet, c’est ensemble que les acteurs adhèrent d’abord à l’option 2 qui
préserve parfaitement l’identité de l’Armée du Salut puis sans opposition co-construisent l’option 3
qui emprunte aux deux solutions initialement proposées. Ceci montre bien que le succès d’une tech-
nologie ou d’une idée tient au fait que celle-ci est portée collectivement et n’est en aucun cas incarnée
par un ou plusieurs acteurs (Latour 2005).
Les options proposées par les deux groupes de travail sont discutées collégialement à l’aune des
effets qu’elles produiront et des solutions qui devront alors être apportées. L’option visant à scinder
l’organisation en deux et appliquer une comptabilité directe a ainsi été collectivement rejetée : ses
implications pratiques (l’absence de coordination des deux piliers de l’action salutiste) s’avéraient
imprévisibles, rendant incertaine la nature de la réponse aux problèmes que sa mise en œuvre pourrait
causer. Pour autant, la solution trouvée, comme dans le cas des décisions du Conseil d’État, n’est pas
définitive. Elle fait l’objet, à deux reprises, d’une mise à l’épreuve. Entre 2000 et 2002, la comptabi-
lité par activités est éprouvée et remise en cause dans ses fondements par un audit des ministères de
l’Intérieur et des Affaires Sociales. Une fois une nouvelle solution trouvée, celle-ci a été assujettie à
une nouvelle période probatoire de trois ans jusqu’à ce qu’en 2004 un troisième audit la valide fina-
lement. C’est alors que le système de contrôle a pu commencer à s’enrichir au gré des nouvelles situa-
tions qui se présentaient (comptabilité directe, comptabilité par activités, budgets, contrôle interne,
prix de cession interne, contrôle budgétaire, audit et structures de gouvernance).
Au-delà de cette situation, on peut envisager que le caractère désincarné et ainsi collégial d’une
technologie ou solution soit une clé de la fluidité des discussions entourant sa mise en œuvre (Alcouffe
et al. 2008b). Ceci conduit alors les discussions à porter, non sur les mérites techniques de ladite solu-
tion, mais sur une modélisation de ses effets organisationnels et managériaux. Pour autant que les
conséquences restent relativement prévisibles et contrôlables, l’outil est acceptable. Enfin, un système
de contrôle de gestion n’est jamais un produit fini et est susceptible d’évoluer au fil du temps, s’enri-
chissant de nouvelles technologies répondant à de nouveaux besoins une fois que ses bases semblent
stabilisées (How et Alawattage 2012). Ainsi, la fabrique du contrôle se révèle un projet heuristique
dont l’exécution incrémentale, par ses tâtonnements, reflète un phénomène dialectique. Le tableau
ci-dessous propose une modélisation résumant la fabrique du contrôle de gestion.

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LA FABRIQUE DU CONTRÔLE :
110 UNE ETHNOMÉTHODOLOGIE DU CHOIX DES OUTILS DE GESTION

Figure 2
Les étapes de la fabrique du contrôle de gestion
Étape 4.
Étape 2. Étape 3.
Étape 1. Enrichissement
Test de la solution Probation du
Problématique : Qualification du système de
technique ; système de
L’exécution des du problème contrôle avec
solution contrôle (solution
normes et solution de nouvelles
organisationnelle technique et
technique technologies au fil
et managériale organisationnelle)
de nouveaux cas

Enjeu Trouver une Anticiper les Vérifier que le Adapter le système


solution pratique effets pratiques, système de contrôle de contrôle gestion
à un cas organisationnels et mis en place aux nouvelles
problématique ; managériaux de la réponde bien au problématiques
qualifier le solution technique problème initial et
problème pour puisse résister à des
comprendre crises ultérieures
la nature de
la solution à
envisager

Acteurs Direction, Direction, Direction, Direction,


contrôleurs de contrôleurs contrôleurs de contrôleurs de
gestion de gestion, gestion, contrôleurs gestion, contrôleurs
opérationnels internes internes, acteurs
externes (auditeurs,
consultants,
administrateurs
indépendants)

Solution Outils techniques Simulation de la Si le système répond Enrichissement du


de réponse solution technique à la problématique, système de contrôle
immédiate au et proposition étape 4. de technologies
problème posé. d’une solution Si le système ne additionnelles
globale (un répond pas à la répondant
système). problématique, aux nouvelles
En cas de parfaite retour à l’étape 1. problématiques.
fusion des deux À la prochaine crise,
réponses, étape retour à l’étape 1.
3, sinon retour à
l’étape 1.

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LA FABRIQUE DU CONTRÔLE :
UNE ETHNOMÉTHODOLOGIE DU CHOIX DES OUTILS DE GESTION 111

Conclusion
Cet article montre comment se décide le choix d’un système de contrôle de gestion, s’interrogeant sur
ce qui est discuté et sur quoi repose in fine la décision. Ce faisant, il contribue à la connaissance sur
les aspects méconnus du contrôle de gestion et de ses outils. Une ethnométhodologie des discussions
par la direction de l’Armée du Salut sans interruptions de 2000, lorsqu’un besoin s’est fait sentir,
à 2007, quand le système mis en place fonctionne, permet un accès sans restriction à ces éléments
généralement difficilement accessibles au chercheur. De cette ethnométhodologie nous retirons une
contribution empirique et trois contributions théoriques à la connaissance.
La contribution empirique tient à la richesse des données sur la teneur et l’évolution des dis-
cussions internes relatives au choix d’outils de contrôle de gestion. Le lecteur peut ainsi suivre les
étapes de la fabrication d’un système de contrôle. Les trois contributions théoriques découlent de la
méthodologie retenue. La première contribution théorique est liée à la spécificité du cas examiné et
consiste en un éclaircissement des dimensions de la stratégie et ainsi de l’objet du contrôle de ges-
tion dans une organisation à but non lucratif : la stratégie d’une telle organisation consiste à la fois à
lever des fonds et à conduire la mission. L’objet du contrôle de gestion, plus que le contrôle des coûts
ou la recherche de l’efficience, est d’assurer la correspondance entre fonds mobilisés et opérations à
conduire. En second lieu, cet article montre que la fabrique du contrôle apparaît comme la recherche
d’une réponse pratique à un cas problématique ou une situation de crise. Enfin, nous montrons que
la fabrique du contrôle consiste en la discussion des conséquences de différentes options dont celle
qui aura les effets les plus aisément prévisibles pourra être retenue à titre probatoire jusqu’à s’enrichir
de technologies plus sophistiquées et nombreuses une fois ses bases stabilisées.
Quatre types de recherches peuvent être envisagés dans le prolongement de cet article. En premier
lieu, compte tenu de notre connaissance limitée de la fabrique des systèmes de contrôle de gestion,
il serait souhaitable que le modèle ici proposé soit testé, éprouvé et enrichi par des travaux ulté-
rieurs. Un suivi systématique des acteurs humains et non-humains et de leur influence sur la fabrique
du contrôle fondé sur l’A NT pourrait être envisagé. En second lieu, dans le cas étudié, la fabrique
d’un système de contrôle a été en grande partie guidée par des pressions exercées par l’environne-
ment politique, institutionnel et réglementaire de l’organisation. Aussi pourrait-on envisager que de
futures recherches fondées sur la sociologie néo-institutionnelle cherchent comment la fabrique d’un
système de contrôle est une réponse mimétique aux logiques institutionnelles de l’environnement.
Troisièmement, du fait que les notions de probation et de mise à l’épreuve d’une solution semblent
centrales dans la fabrique d’un système de contrôle de gestion, on pourrait envisager que de futures
recherches se fondent sur les travaux relatifs à la justification (Boltanski et Thévenot 1987), au rôle
des responsables politiques (Boltanski 1993) ou encore à la critique (Boltanski 2009) pour étudier de
manière systématique ces mécanismes. Enfin, cette ethnométhodologie du choix des outils de gestion
soulève une question relative au temps de la recherche et aux conditions de possibilité de familiarité
avec le terrain. Ce faisant, il serait opportun d’étudier la mesure dans laquelle des thèses CIFRE
ou des thèses professionnelles (type DBA) permettraient un développement de l’ethnométhodologie
dans la recherche en comptabilité et contrôle de gestion.

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LA FABRIQUE DU CONTRÔLE :
112 UNE ETHNOMÉTHODOLOGIE DU CHOIX DES OUTILS DE GESTION

Notes
1. Walk their walk, talk their talk and write their
story.

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Vassili Joannidès, Stéphane Jaumier, Séverine Le Loarne
LA FABRIQUE DU CONTRÔLE :
116 UNE ETHNOMÉTHODOLOGIE DU CHOIX DES OUTILS DE GESTION

Annexe : Réunions de travail à l’Armée du Salut


Réunions régulières

Date Lieu Thème Participants

Tous les lundis matins Siège de l’Armée Suivi de la coordination des Chef de Territoire, Secrétaire en
de 7 h 30 à 9 heures, du Salut, bureau activités religieuses et sociales. Chef, Directeur des Opérations
du 6 mars 2000 au du Chef de de Terrain, conseiller du Chef
25 juin 2007. Territoire. de Territoire.

Tous les mardis matins Siège de l’Armée Suivi des effets du contrôle de Directeur des Opérations de
de 7 h 30 à 9 heures, du Salut. gestion sur les opérations. terrain, Secrétaire au Bénévolat,
du 7 mars 2000 au Secrétaire au Travail Social,
26 juin 2007. Secrétaire à l’Évangélisation.

Un samedi sur deux Paroisses et Suivi de la coordination des Chef d’établissement ou de


de 18 h à 19 h du établissements activités ; suivi de la mise paroisse, trésorier, Responsable
11 mars 2000 au (itinérance) en place du contrôle de du Contrôle de Gestion,
30 juin 2007 gestion et des procédures conseiller du Chef de Territoire.
d’enregistrement

Réunions ad hoc

Date Lieu Thème Participants

19 juin 2000, Siège de Information sur l’audit des Chef de Territoire, Secrétaire en Chef,
10h-11h30 l’Armée du ministères de l’Intérieur et Directeur des Opérations de Terrain,
Salut, bureau des Affaires Sociales. conseiller du Chef de Territoire, Directeur
du Chef de Administratif et Financier, Secrétaire au
Territoire. Bénévolat, Secrétaire au Travail Social,
Secrétaire à l’Évangélisation, Responsable
du Contrôle de Gestion.

25 septembre 2000, Siège de Présentation des solutions Les mêmes acteurs.


10h-11h30 l’Armée du au problème de la laïcité.
Salut.

20 mai 2002, Siège de Réunion d’information et Direction, salariés, bénévoles,


18h-20h l’Armée du de prise de fonction d’un paroissiens, le Général et le nouveau
Salut. nouveau Chef de Territoire Chef de Territoire.

17 juin 2002, Siège de Réunion de présentation Les mêmes acteurs que le 19 juin 2000.


10h-11h30 l’Armée du d’une nouvelle solution
Salut.

27 septembre 2004, Siège de Réunion d’information Direction, salariés, bénévoles,


18h-20h l’Armée du pour tous les salariés, paroissiens, le Général et le nouveau
Salut. bénévoles et paroissiens de Chef de Territoire.
l’Armée du Salut.

Comptabilité – Contrôle – Audit / Tome 19 – Volume 3 – Décembre 2013 (p. 87 à 116)


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