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Sujet I : La conscience de soi est-elle une donnée ou une conquête ?

(Introduction)

La conscience de soi est le savoir qu’a l’homme de soi-même, de son identité, de ce qui fait qu’il est
unique, irremplaçable et différent des autres. C'est elle qui confère à l'homme le statut de sujet et la
capacité de se penser et de penser le monde qui l'entoure comme objet. Néanmoins, cette conscience
de soi est-elle donnée à l’homme une fois pour toutes indépendamment de sa volonté, de ses choix, de
sa raison ? ou au contraire l’homme, comme sujet doué de conscience, est-il appelé à prendre –
indéfiniment – une conscience de plus en plus claire et nette de lui-même ? Autrement dit, la conscience
de soi est-elle innée ou acquise, fixe ou dynamique ?

I- La conscience de soi est une donnée

La conscience de soi est une donnée dans la mesure où ce qui a été donné à l’homme comme sujet
n’a été donné ni à la matière inorganique, ni même aux êtres vivants, qui, de ce fait, ne sont que
choséité selon les termes de Hegel. Seul l’homme est pourvu d’une conscience qui lui permet d’être
présent à lui-même et du monde qui l’entoure. Pascal a ainsi montré l’avantage qu’a l’homme sur
l’univers grâce à sa conscience. Si, par l’espace, l’univers com-prend voire écrase l’homme, celui-ci est
capable de comprendre celui-là par la pensée. Même s’il est infiniment petit et misérable comme un
roseau, l’homme est plus grand que l’univers qui le tue parce qu’il sait qu’il meurt alors que le monde
n’en sait rien. A son tour, Kant souligne que l’enfant possède déjà le « Je » dans sa représentation de lui-
même avant même de pouvoir l’articuler en parole et de le prononcer. Ce « Je » élève l’homme au-
dessus de tous les êtres vivants sur la terre et en fait « un être totalement différent par le rang et par la
dignité de choses comme les animaux dépourvus de raison ».

Ainsi, la conscience de soi, entendue comme une donnée serait cette conscience immédiate qui se
présente comme étant notre relation directe au monde : nous sommes conscients de ce qui nous
entoure, nous percevons les objets et réagissons spontanément à leur présence sans effort de réflexion.
Mais si l’on s’en tient à la conscience de soi comme une donnée, ne court-on pas le risque d’en faire
quelque chose de fixe, d’immobile et d’immuable ? Une telle conscience de soi ne contredit-elle pas le
caractère dynamique et changeant de l’homme, entendu comme un être en devenir ? A l’antipode
d’une vision fixiste de la conscience, il serait bien de savoir si la conscience de soi n’est pas acquise et
conquise au fil du temps dans la mesure où l’homme, porteur de cette conscience, est un être inscrit
dans devenir historique.

II- La conscience de soi est une conquête

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Il est impossible que la conscience soit immuable et donnée une fois pour toutes. Si c’était vraiment
le cas, la conscience serait un objet parmi les objets et contredirait son caractère dynamique, progressif
et historique. Bergson souligne en effet la dimension temporelle de la conscience : en tant qu’elle est à
la fois mémoire et attente, anticipation, la conscience est durée, courant continu, accumulation et
conservation du passé dans le présent tout en étant projection vers le futur. « La conscience est,
affirme-t-il, un trait d’union entre ce qui a été et ce qui sera, un pont jeté entre le passé et le futur ». Or,
je ne peux conquérir que ce qui m’échappe, que ce qui n’est plus là (le passé) et que ce qui n’est pas
encore (le futur). La conscience est donc une conquête par le temps et dans le temps.

Par ailleurs, Sartre place le pour soi au sein de l’existence : temporalité, devenir et contingence. La
conscience de soi est la conscience d’un soi qui n’est pas mais qui devient. Il n’y a pas un soi déjà
construit et que j’essaie de conquérir par la suite. Le soi ne m’est pas donné au préalable comme une
essence qui précède mon existence. La conscience de soi sartrienne est une conscience qui se forge elle-
même, qui se construit indéfiniment. Le pour soi sartrien est ainsi néant d’être et projet, liberté radicale
et contingence qui exclut toute forme de prédétermination par une nature ou une essence qui me
précèderaient et auxquelles je serais obligé de me conformer. « L’homme fait, et en faisant se fait, et il
n’est rien d’autre que ce qu’il se fait », disait Sartre.

A son tour, Hegel a aussi montré que la conquête de la conscience s’effectue de deux manières :
théorique et pratique. D’une part, l’homme qui prend théoriquement conscience de lui-même se
représente et se pense lui-même en s’objectivant : sa conscience théorique lui permet de prendre une
distance de soi par rapport à soi ; il se dédouble en sujet pensant et objet pensé. Ce caractère réfléchi de
la conscience fait qu’elle est ce qui conquiert et ce qui est conquis, sans qu’il y ait un terme à cette
conquête parce que la conscience n’est pas mais devient. La conscience de soi se fait dans et par la
conscience. La conscience de soi est une quête et une conquête interminables.

D’autre part, la conscience de soi pratique se conquiert lorsque l’homme se reconnaît et se fait
connaître dans ce qu’il fait. Il s’objective dans l’objet en imprimant au monde son cachet personnel. La
conscience se reconnaît dans ce qu’elle fait, dans la transformation ou transfiguration du donné
immédiat, dans l’objet produit ou créé, par exemple dans l’œuvre d’art. L’esprit marque ainsi la matière
de son empreinte et se reconnaît dans le fruit de son travail. C’est la reconnaissance de soi dans ce qui
est autre que soi, dans l’objet. C’est en conquérant le monde que l’homme se conquiert. C’est en
conquérant l’objet, en le modifiant, que la conscience de soi s’acquiert et se conquiert.

Toujours dans cette même lignée de la pensée hégélienne, la conscience de soi est une conquête
dans la mesure où elle demande une reconnaissance de l’autre conscience. Je conquiers la certitude
objective de ma subjectivité, de ma spiritualité en conquérant / arrachant la reconnaissance de l’autre
conscience. C’est l’autre conscience qui me donne à moi-même comme esprit. La conquête de la
conscience de soi passe donc nécessairement par la conquête de la reconnaissance de l’autre
conscience de soi.

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Mais si la conscience de soi est une conquête, n’est-ce pas parce qu’il est donné à l’homme d’être
conscient ?

III- La conscience est la conquête infinie de ce qui est donné

La conscience de soi est-elle une donnée ou une conquête ? Le sujet pose une alternative, le choix,
le « ou », entre la donnée et la conquête. D’une part, si l’on s’en tient à voir dans la conscience de soi
seulement une donnée, l’on sombrerait dans une conception fixiste de la conscience qui contredirait son
caractère dynamique. D’une autre part, si l’on considère cette conscience seulement comme une
conquête, l’on admet nécessairement que l’animal ou n’importe quel objet dépourvu de conscience
pourra un jour ou l’autre la conquérir, ce qui est impossible. La conscience de soi comme conquête n’est
possible que parce qu’à la base une conscience est déjà donnée et qu’elle se construit et se parfait dans
le temps et le devenir. Elle est exactement comme l’homme, porteur de cette conscience : il naît homme
mais le devient, il naît libre mais le devient, il naît « conscient » mais le devient.

Ainsi, la conscience de soi est une conquête infinie dans la mesure où je ne cesse de la conquérir,
risquant de la perdre à tout moment, où je ne cesse de me connaître davantage et sans répit. « Homme,
connais-toi toi-même », disait Socrate reprenant la devise de l’oracle de Delphes. Par ailleurs, si l’on
admet avec Freud l’hypothèse d’un inconscient psychique, il serait plausible de postuler qu’on ne cesse
jamais de conquérir sa conscience de soi. L’homme ne vit jamais dans une transparence de soi par
rapport à soi et ne se connaît pas entièrement ; il est toujours plus ou moins étranger à lui-même, à son
essence, à son identité. Il y a toujours une partie de nous-mêmes qui nous échappe et qui reste ignorée
de nous-mêmes. La conscience de soi est une conscience aliénée parce qu’étrangère à elle-même et à
son fond ineffable. Ne s’agit-il pas de ramener au champ de la conscience tout ce qui est inconscient,
méconnu et ignoré ? Telle est la conquête de l’inconscient par la conscience.

(Conclusion)

La conscience est donnée à l’homme, il n’a pas le mérite de l’avoir. Son mérite consiste plutôt à
la conquérir inlassablement, à gagner toujours plus de terrain sur l’inconscience et l’inconscient.

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