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LINGUISTIQUE

Quels sont les MOTS CLÉS de la Linguistique?

R. - Il est difficile de dire si la linguistique peut être réduite à une sélection de mots clés;
mais naturellement elle aussi a ses stéréotypes, et une petite liste de dichotomies de base,
d'oppositions, figurent dans toutes les initiations à la linguistique. Ce sont essentiellement :
LANGUE PARLÉE/LANGUE ÉCRITE;
SYNCHRONIE/DIACHRONIE;
DESCRIPTIF/NORMATIF;
LANGUE/PAROLE;
COMPÉTENCE/PERFORMANCE;
DISCRET/CONTINU;
EXPRESSION/CONTENU;
FORME/SUBSTANCE;
SIGNIFIANT/SIGNIFIÉ.

Ces dichotomies n'ont pas toutes la même utilité, la même actualité, la même origine;
certaines concernent la linguistique générale, d'autres sont plus propres à une de ses
branches ou à une de ses écoles. La linguistique fait aussi beaucoup usage de SYSTÈME de
STRUCTURE de RELATION, d'OPPOSITION; l'essentiel de ce livre a pour but d'illustrer
le sens (par l'emploi) de ces mots. Les premières dichotomies rappelées ici ont déterminé le
champ, le domaine et la signification de cette discipline qu'est la linguistique, on les
commentera très brièvement. Elles sont essentiellement des explicitations détaillées de la
définition de la langue comme un système qui a ses éléments de constitution et ses lois de
fonctionnement; elles signalent ce qui entre et ce qui n'entre pas, dans l'étude de ce système.

1. Langue parlée/ langue écrite

Ainsi l'opposition LANGE PARLÉE / LANGUE ÉCRITE rappelle que, pour les grandes
langues de civilisation, il s'agit là de deux systèmes différents ayant chacun ses règles, et en
particulier (en réaction contre ce qui avait pu se passer auparavant) qu'on ne doit pas partir
de la langue écrite pour décrire la langue parlée. Si un système est premier par rapport à
l'autre, c'est bien celui de la langue parlée, puisque beaucoup de langues existent qui ne sont
pas assorties d'un système écrit, et on considère plutôt maintenant la langue écrite comme
un système de transcription, comme une représentation par un autre moyen, de la langue
orale. Les très nombreuses divergences entre la langue écrite et la langue parlée en français,
par exemple les homophones (par/part). Les homographes (fils dans le fils de son père / fils
dans j'ai cousu avec des fils différents), le code de ponctuation et 1e code d'intonation, les
différences dans l'emploi du vocabulaire, des constructions, des styles. Etc., tout cela fait
l'objet d'enseignement dans les écoles, mais l'exercice constant qui consiste à passer d'un
système à l'autre pour faire acquérir les deux (« il y a un s qui ne se prononce pas», « le son
[o] s'écrit eau, au, ot », etc.) ne doit pas faire oublier que le système de la langue parlée
existe indépendamment des transcriptions dont il fait l'objet, et que ses lois de
fonctionnement lui sont propres. Ainsi, quand on décrit l'accord des adjectifs en disant que
le féminin se forme dans la plupart des cas par addition de e, on n'a rien dit sur la formation
dans la langue parlée (ou on a dit une chose fausse : à l'oral, en effet, la différence entre
[pəti] et [pətit] peut être décrite comme l'addition d'une consonne pour former le féminin à
partir du masculin, ou comme la suppression de la consonne finale au masculin, en aucun
cas il n'est question de e). Ce qu'il faut bien comprendre à propos de cet accent mis sur le
caractère spécifique du système de la langue parlée, c'est que la conscience et la
compréhension de cette opposition, comme celles des suivantes, n'impliquent pas
nécessairement un jugement de valeur : on veut souvent faire dire à la linguistique des
choses qu'elle ne dit pas, ainsi elle ne prône pas le rejet de l'étude de l'orthographe; elle dit
seulement que l'écrit et l'oral sont deux aspects distincts de la langue, elle dit que la
connaissance el l'analyse du système écrit ne donnent pas la connaissance et l'analyse du
système parlé. Ce n est pas une critique (si ce n'est envers la confusion), ce n est pas une
incitation (sinon vers plus de clarté), c'est une constatation.

2. Synchronie/diachronie

Comme l'opposition langue parlée/langue écrite rappelle qu'on ne peut pas traiter d'un
système en parlant d'un autre, de même l'opposition SYNCHRONIE/DIACHRONIE
distingue ce qui relève de l'histoire de la langue et ce qui relève de la manière dont une
langue fonctionne à un moment donné. Aujourd'hui, en France, nous parlons français, nous
communiquons au moyen de cet appareil complexe qu'est la langue française; c est UNE
question de se demander comment cet appareil marche; c'en est une AUTRE, qui n'apporte
aucun éclaircissement pour la première, que de se demander d'où il provient, ou d'où
proviennent certaines de ses parties. Tel locuteur français qui n'a fait que des études
minimales et qui a depuis longtemps oublié ce qu'on lui a appris comme analyse de sa
langue, qui n'a pas la moindre idée des cheminements par lesquels les mots viennent de
formes antérieures, bref qui n'a aucune connaissance historique, parle néanmoins en
obéissant aux règles singulièrement complexes du fonctionnement de sa langue. Décrire ces
principes de fonctionnement qui sont à l'œuvre quand les locuteurs d'une communauté
linguistique parlent à un moment donne, c'est faire une DESCRIPTION
SYNCHRONIQUE. Examiner comment on est arrivé à cet état de langue à partir d'un ou
plusieurs états antérieurs, c'est faire une DESCRIPTION DIACHRONIQUE (synchronique
= «dans un même moment» diachronique = « à travers le temps »). L'une et l'autre étude
ont leur intérêt, leur nécessite, et la description complète d'une langue doit non seulement
contenir les deux, mais il serait aussi souhaitable que l'une puisse permettre de comprendre
et de prévoir l'autre. Elles sont néanmoins bien distinctes dans leur objet, et les
considérations historiques ne peuvent pas tenir lieu d'explication du fonctionnement et de
l'établissement des règles d'une langue à un moment donné. Ainsi il existe en français deux
catégories de mots distinctes, l'adverbe et la préposition, avec un certain flottement pour
quelques termes qui peuvent appartenir aux deux catégories, «prépositions employées
adverbialement» par exemple; pour une description synchronique du français, il importe, en
établissant les faits, de définir quels sont les éléments qui participent ou sont susceptibles
de participer à ce phénomène, les conditions dans lesquelles il se fait et à quel niveau de
langue, bref il convient d'établir les règles de ces constructions. Mais il n'est pas pertinent
pour établir ces règles, qu'appliquent inconsciemment des locuteurs sans connaissance
historique, de relier cette possibilité ou cette impossibilité d'un emploi adverbial d'une
préposition à son origine latine et à son comportement dans la syntaxe du latin. Ce n'est pas
que ceci soit inintéressant, il peut être utile d'opposer les différences syntaxiques des deux
langues, mais cette connaissance historique que n'ont pas les locuteurs n'explique pas le
fonctionnement de la règle chez eux.
Là encore il ne faut pas se méprendre sur la distinction synchronie/diachronie et la
transformer en un programme pédagogique bannissant par exemple l'étude des états de
langue antérieurs au nôtre. Cette opposition n'oppose pas «actuel» à «ancien» : on peut faire
une étude synchronique du français en l660 et on peut faire une étude diachronique du
français au XXe siècle. Il faut cependant remarquer que toute étude diachronique implique
pour être menée à bien que des études synchroniques des états de langue considérés aient
été faites auparavant. Confondre synchronie et diachronie, ce serait fournir, à la ménagère
qui demande un mode d'emploi de les son four autonettoyant un historique du fourneau à
travers les âges.

3. Descriptif / normatif

Ces deux oppositions font apercevoir l'attitude de constat que la linguistique a en face de
certaines données: son objet est d'en rendre compte, d'expliquer le fonctionnement des
règles qui les sous-tendent, ce n'est pas de les modifier, et c'est seulement ensuite que l'on
pourra prendre parti sur les modifications qu'il est souhaitable d'envisager, sur les
conditions de leur apprentissage, ou encore sur l'usage qui est fait de ces règles dans des
situations de communication déterminées. On rejoint là la troisième opposition,
DESCRIPTIF/NORMATIF. La linguistique moderne se définit souvent comme descriptive,
c'est-à-dire que son objet est de décrire comment les gens parlent à un moment donné dans
une communauté linguistique donnée: une grammaire normative, elle, a pour objet de fixer
le bon usage. La langue correcte, bref une norme linguistique. La manière dont on DOIT
parler.

L'opposition descriptif/normatif vient en grande partie du fait que le travail actuellement


accompli par les «linguistes» dans le cadre d'une discipline appelée «linguistique» distincte
de l'enseignement des langues, était précédemment effectué par des grammairiens dont les
études avaient pour but de définir la langue «à enseigner» la tâche de description était aux
mains de ceux qui avaient pour but d'enseigner le maniement de cette langue et qui
dépendaient alors des conditions socio-économiques de l'enseignement lui-même; ils
avaient tendance à exclure de leurs descriptions les structures et les constructions qu'il ne
leur paraissait pas souhaitable de voir s'installer dans l'emploi de leurs lecteurs. Ils se
donnaient en partie pour mission de faire prévaloir l'usage d'une certaine langue,
essentiellement langue écrite, fondée sur une tradition littéraire et confondue avec le
message culturel qu'elle transmettait: cette langue «correcte» était la langue des «bons
auteurs». Beaucoup de linguistes, sinon tous, rejetteraient cette idée que les langues sont
sans cesse menacées de corruption par leurs utilisateurs, mais au demeurant, qu'ils
déplorent ou souhaitent l'évolution de leur idiome, c'est une opinion qui est extérieure et
non pertinente à leur activité de linguistes. L'attitude normative peut être illustrée par cet
exemple tiré d'un dictionnaire : «N. B. Ne dites pas place assise, dites place pour voyageur
assis». Le linguiste cherchera plutôt à établir les conditions dans lesquelles on peut former
et employer des expressions comme celle-ci quel mécanisme d'ellipse et de transfert
s'exerce pour donner place assise, pour quels autres mots le même mécanisme s'exerce (rue
passante), etc.

Ce que l'on a mis essentiellement en évidence avec cette opposition descriptif/normatif,


c'est la distinction entre la recherche ou la science et l'enseignement, entre la description et
la prescription, en partie parce que l'on a considéré que le fonctionnement d'une langue au
sein d'une communauté faisait intervenir des niveaux de langue différents, des situations
diverses de communication, des usages socioculturels, et en partie aussi parce qu'on s'est
aperçu que l'étude de certains types d' «erreurs», de «mauvaises constructions»
couramment employées dans la langue parlée ou familière par exemple ; permettaient de
mieux comprendre les mécanismes et les processus sous-jacents. Ce que l'on a donc rejeté,
c'est l'interférence, dans la description, du souci de préserver et de transmettre une certaine
forme de langue littéraire. Mais on n'a naturellement pas rejeté la notion de règles, ni la
nation de norme. L'étude linguistique tout entière est basée sur la recherche de règles de
fonctionnement. Et quant à la notion de norme linguistique, d'autorité, de ce qu'il faut dire,
elle est présente aussi sous différentes formes dans l'étude linguistique. D'une part, le type
de grammaire que l'on examinera particulièrement dans le chapitre 4 s'est donné pour tâche
de rendre compte de tous les énoncés «grammaticaux» d'une langue, c'est-à- dire tous les
énoncés que les locuteurs de cette langue reconnaîtraient comme bien formés dans leur
langue appartenant à leur langue. On fait donc appel à une sorte de jugement collectif de
norme implicite commune à l'ensemble des membres d'une communauté linguistique. Mais
on voit la différence entre la norme prescrite par une personne soucieuse de maintenir une
certaine forme de langue qu'elle juge bonne, et le jugement collectif, le sentiment commun
à tous les locuteurs sur ce qui appartient ou n'appartient pas à leur langue. Par ailleurs, le
linguiste, faisant intervenir des niveaux de langue et de contextes situationnels, distingue
encore ce que l'on rencontre, ce qui est «normal» dans une situation donnée. Il dit donc
implicitement que certaines constructions ne «conviennent» pas dans certaines
circonstances. Mais, là encore, il y a passage de la norme du prescripteur aux normes des
situations et des utilisateurs ; il y a refus de ne traiter qu'une partie du système linguistique.
4. Langue / parole - Compétence/performance

La notion de «sentiment commun à l'ensemble des membres d'une communauté


linguistique» fait tout naturellement passer aux oppositions LANGUE/PAROLE et
COMPÉTENCE/PERFORMANCE. En prenant dans ces dichotomies ce qu'il y a de plus
actuel et de moins spécifique à chaque école linguistique. on peut dire ceci: ce que le
linguiste à comme données, ce qu'il a en face de lui quand il se met à son travail de
description et ce qu'il a à sa disposition pour évaluer son travail, ce sont les énoncés des
locuteurs, c'est-à-dire des suites de mots prononcés ou écrits par des individus donnés, en
des lieux donnés, à des moments donnés; chacun de ces énoncés est un acte particulier,
spécifique. Mais cependant que moi qui ni tel âge, telle voix, tel caractère, je parle à mon
interlocuteur devant un bureau, dans une pièce définie, d'une question précise, ce que je dis
est à la fois un acte particulier tributaire de tous ces facteurs et de bien d'autres, mais en
même temps j'utilise un moyen de communication général aux francophones, ce que je fais
st une manifestation particulier de l'exercice d'un système général. Je prononce des sons ou
de mots avec ma voix, mes intentions, je fais un ACTE DE PAROLE INDIVIDUEL, que
personne ne pourra jamais reproduire puisque personne ne peut être moi et que l'instant
passé ne peut revenir. Mais en même temps j'utilise la langue, et si j'ai dit «je ne vous
comprends pas», cet acte de parole non reproductible est en même temps un énoncé de ma
langue qui, lui, est parfaitement reproductible; il est reproduit ici même sous sa forme
écrite ; il pourrait l'être sous sa forme parlée; il est un message transmis en un code que tos
les locuteurs français possèdent.

Et ensemble d'élément et de règles que nous mettons en œuvre, que nous exploitons,
auquel nous nous conformons, quand nous parlons (= quand nous faisons des actes de
PAROLE) est la LANGUE. Nus possédons une connaissance qui nous permet de nous
exprimer dans notre langue, c'est notre COMPÉTENCE linguistique ; elle n'a rien à voir
avec la facilité à exprimer des nuances, avec la justesse du mot choisi, avec la plus ou
moins grande disponibilité du vocabulaire, etc.: par définition toute personne, quelle qu'elle
soit, qui parle une langue a cette compétence précisément, de parler sa langue, et cette
COMPÉTENCE est sous-jacente à tous ses actes parole, à toutes ses PERFORMANCES
linguistiques.

Tous les linguistiques n'entendent pas exactement la même chose par ces termes de
langue, parole, compétence, performance, et on voit bien pourquoi : nous avons parlé de
parole individuel ; «individuel» par exemple peut renvoyer soit à «ponctuel, unique», soit à
«caractéristique, spécial» ; ainsi dans la prononciation d'un mot par une personne, il y a le
fait que cette énonciation-là est unique parce qu'elle est due à un individu en un instant
unique du temps, mais elle peut être assez ressemblante aux autre pour que rien ne frappe
particulièrement – ou bien le peut se superposer à cette unicité, des particularités bien
spécifiques à cette personne, ne certaine façon de prononcer caractéristique. De même,
l'assemblage des mots en une phrase peut être considère comme acte individuel, on est dans
la parole ; mais en même temps, cet assemblage se fait en fonction du code, on est doc dans
la langue. Et sous ces termes également interviennent diverse prises de position sur l'aspect
social, le caractère institutionnel, sur l'apprentissage ou l'innéité de ce système.

Mais on peut essayer de voir une sorte de dénominateur commun à ces différentes
utilisations des oppositions langue/ parole et compétence perfomance : c'es la nécessité de
l’abstraction. Le linguiste doit en quelque sorte construire l'objet qu'il cherche à décrire,
établir, derrière tes énoncés concrets, les rapports abstraits qu'il veut expliquer. «On ne peut
aborder l'étude de la performance que lors- qu'on a décrit la compétence (puisque l'une est
la mise en œuvre de l'autre), mais on ne peut avoir accès à la langue qu'à travers l'étude de
la parole.» Face à cette contradiction, certaines écoles linguistiques cherchent à nier la
première partie de la proposition (disant par exemple que seule l'étude des contextes
situationnels peut constituer un point de départ valable), d'autres optent pour des systèmes
formels où la compétence est un moyen de vérifier des hypothèses (et où la performance est
renvoyée à des études ultérieures), mais tous, sous une forme ou sous une autre,
reconnaissent la validité de la distinction entre ce que le locuteur SAIT et ce que le locuteur
FAIT à l'aide de ce qu'il sait. Cette distinction est nécessaire à toute compréhension du
phénomène langage, elle implique ce dédoublement, ce regard sur soit même locuteur, cette
abstraction à lequel nous ferons souvent allusion

5. Discret/continu

Cette même notion d'abstraction se retrouve dans l'opposition DISCRET/ CONTINU.


Le temps est un continuum, nous le découpons en jours, en heures, mais même avec deux
millisecondes il n'y a pas rupture quand on passe de l'une à l'autre. De même le spectre des
couleurs (décomposition de la lumière solaire en rayons que les objets réfléchisse
différemment, ce qui, avec d'autres facteurs, donne les variations de teinte qui sont
perçues) est un continu : Newton y a tracé six frontières, ce sont les «sept couleurs de l'arc-
en-ciel», on peut y tracer douze frontières, car on distingue facilement l'ultra-violet, le
violet, l'outremer, le bleu, le bleu-vert, le vert, le vert-jaune, le jaune, le jaune-or, l'orangé,
l'orangé-rouge, le rouge et l'ultra- rouge. Tous ces noms de couleurs impliquent une
SEGMENTATION du continu. On impose, sur cette gradation continue où le passage se
fait insensiblement d'une extrémité à l'autre, une grille de couleurs différentes, on trace des
frontières, on passe du CONTINU au DISCRET. Cet exemple est classique en linguistique
parce que les langues n'opèrent pas toutes la même segmentation du spectre chromatique,
les sept couleurs de l'arc-en-ciel ne sont pas universelles, mais propres à certaines
communautés utilisant certaines langues, ce qui met particulièrement en évidence
1'intervention de l'analyse, de la structuration opérée. Il en est de même pout les sons:
physiquement, objectivement, on peut faire varier la vibration des cordes vocales de
manière à passer insensiblement, sans rupture nette, de ce qui est perçu en français comme
un b à ce qui est perçu comme un p mais le fonctionnement de la langue ne retient rien de
ce passage insensible et continu : nous interprétons tout ce qui nous parvient dans cette
variation soit comme un b, soit comme un p (si ce n'est pas net, nous refusons d'interpréter).
Le «moitié b, moitié p» n'a pas de sens dans le système fonctionnel qu'est la langue. La
linguistique décrit les «unités» du système; ces unités discrètes résultent du découpage
opéré par la langue dans les substances indifférenciées et continues de la réalité physique;
les éléments d'expression de la langue sont discrets. On a voulu faire prendre conscience ici
de cette idée de continuum physique pour déraciner, si c'était nécessaire, la simplification
selon laquelle «les mots désignent les objets du monde» ou «un b c'est un b» mais la
distinction discret/continu est naturellement implicite dans tout ce qui a été dit et le sera:
dire que les unités ou les éléments sont discrets serait tautologique, si ce n'était un rappel.

6. Expression/contenu - Signifiant/signifié

On vient d'opposer le caractère continu de certaines, substances physiques» au caractère


discret des unités par lesquelles nous percevons ct exprimons ces continus. Ceci oppose
deux plans ou deux aspects, EXPRESSION et CONTENU, qui, dans certaines définitions,
recouvrent aussi FORME et SUBSTANCE. Parler une langue, c'est en un sens produire une
série de bruits avec ses organes vocaux, bruits que l'acousticien peut décrire et que
l'étranger perçoit comme une suite inordonnée de sons, un magma sonore ; mais pour le
locuteur qui parle sa langue, c'est une séquence ordonnée de sons et de groupes de sons,
une suite d'éléments de sa langue organisés en une certaine structure pour exprimer quelque
chose, pour véhiculer quelque chose : on peut ainsi distinguer dans l'étude de la langue un
aspect ou un plan, celui de l'EXPRESSION. L'autre plan ou l'autre aspect est celui de la
«chose» exprimée, signification, idées, situations, faits, réactions, c'est le plan du
CONTENU. Les deux plans sont aussi «réels» l'un que l'autre. Dans les deux cas, il y a une
certaine substance, phonique ou graphique pour l'expression, conceptuelle pour le contenu;
ct dans les deux cas il y a une certaine mise en forme ou structuration de la substance:
répartition en éléments d'expression de la langue (sons et mots) qui se combinent et
s'opposent répartition en éléments de contenu de la langue (unités et groupes d'unités
sémantiques) qui, là encore, se définissent par leurs relations et leurs oppositions. La langue
associe une certaine expression et un certain contenu en SIGNES linguistiques; cette
association est conventionnelle, arbitraire, chaque langue la réalise à sa façon. Cette
association apparaît clairement au niveau du mot, qui est l'unité la plus connue des non-
linguistes bien que ce ne sait pas l'unité d'analyse favorite des linguistes. Le mot est un
signe linguistique, et comme tout signe, il a ces deux aspects, il est expression et contenu.
On appelle généralement la première le SIGNIFIANT, ce par quoi, avec quoi on signifie
quelque chose. La seconde est le SIGNIFIÉ ce qu'exprime, ce que véhicule le signifiant.

SIGNIFIANT/ SIGNIFIE, les deux faces du signe, est encore une dichotomie de base de
la linguistique moderne (surtout européenne), et le caractère ARBITRAIRE du signe
linguistique eu une des choses sur laquelle la linguistique, au début du siècle, a beaucoup
insisté: on peut avoir tendance à s'exagérer l'importance des phénomènes d'onomatopée, ou
du symbolisme phonétique (certains sons seraient «légers», «gais», d'autres seraient
«graves», «triste», les mots désignant des choses gaies auraient des sons gais, etc.). On peut
aussi, au niveau où l'on n'a pas encore beaucoup réfléchi à la question, en arriver à croire,
du fait de la pratique constante de la langue et de ses signes (associations d'un signifiant et
d'un signifié), que les mots ont un lien naturel avec ce qu'ils désignent et que tel objet
s'appelle un livre «parce que c'est un livre» ; en fait c'est un «livre» en français, mais
ailleurs c'est un «book» et c'est aussi «kniga». Il n'y a aucune relation de cause à effet, de
motivation entre le signifié et le signifiant qui le signifie, l'objet ou le concept ne détermine
pas la forme du mot. Au-delà de la nécessité de reconnaître que l'association
signifiant/signifié est arbitraire, conventionnelle, propre à chaque langue, on peut
difficilement aller plus loin avec certitude. On a pu concevoir une sorte de stock
conceptuel, d'éléments innommés de pensée, précédant la langue, stock «universel» (?)
dans lequel chaque langue puise à sa façon, exploitant certains éléments de la même
manière qu'une autre langue, et en négligeant d'autres. On dirait dans ce cas que la langue
donne forme, exprime la pensée. Ou bien on peut soutenir qu'il n'y a pas d'idée existant
avant et indépendamment du mot qui la désigne, que nous n'avons un concept «table» que
parce que notre langue contient le mot table, que c'est l'emploi du mot qui réunit pour nous
en un concept toutes sortes de perceptions et expériences différentes de tables
physiquement différentes, en somme qu'il n'y a pas de pensée sans langue. A ce niveau, il
faut bien le dire, il s'agit d'options philosophiques et on quitte le modeste objectif que nous
nous sommes fixé: présenter certains des principes qui guident l'analyse des linguistes; face
à la tâche de décrire les langues dans l'optique moderne de la linguistique générale.

Remarquez : il est nécessaire la source.

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