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Le match Sarkozy-Hollande est suivi de près dans les capitales

européennes
Vus par les partenaires de la France dans l'UE, Nicolas Sarkozy agace,
François Hollande intrigue

Le premier s'est dépensé sans compter pour assurer " le retour de la


France en Europe ", le second est un nouveau venu, attendu au tournant
par les Européens. Le duel entre Nicolas Sarkozy et François Hollande
interpelle les dirigeants des Vingt-Sept, même si rares sont ceux qui, à
l'instar de la chancelière allemande, Angela Merkel, ont pris clairement
parti pour le président sortant, ou choisi, comme le socialiste belge Elio
Di Rupo, de soutenir son challenger.

Nicolas Sarkozy a su surfer sur les crises à répétition subies par les
Vingt-Sept pour asseoir son autorité dès la présidence française de
l'Union européenne, au second semestre 2008. Crise financière,
médiation entre la Géorgie et la Russie, sa réactivité lui a permis
d'imprimer sa marque, avant que le séisme qui ébranle depuis plus de
deux ans la zone euro ne mette comme jamais à l'épreuve l'improbable
tandem qu'il constitue avec la chancelière allemande. Le couple franco-
allemand - la Merkozy - s'est alors imposé comme le véritable pilote de
l'Union européenne, en dépit des tensions multiples suscitées entre
Paris et Berlin par le sauvetage des maillons faibles de l'union
budgétaire, et le reformatage de cette dernière.

Chef de file des pays du Sud, Nicolas Sarkozy a pu pousser des idées qui
lui tenaient à coeur, comme le gouvernement économique, mais c'est
Angela Merkel qui en a déterminé la substance, en exportant sa " culture
de stabilité ". Dans la foulée, M. Sarkozy a cherché à limiter les
transferts de souveraineté, pour placer au centre du jeu les sommets
des 17 chefs d'Etat et de gouvernement de la zone euro, tandis que la
chancelière prône désormais une véritable " Union politique ", de type
fédéral, pour surmonter la crise.

Le style peu diplomatique et les méthodes très intergouvernementales


de Nicolas Sarkozy ont cependant dérouté une bonne partie de ses
homologues européens. " Quand nous nous appelons au téléphone, nous
nous racontons d'abord les méchancetés que Sarkozy a pu dire dans
notre dos ", confiait, fin 2011, un habitué du Conseil européen.

Plus fondamental, M. Sarkozy a, selon ses détracteurs, beaucoup fait


pour transformer le fonctionnement des Vingt-Sept, en donnant le
premier rôle aux Etats, quitte à marginaliser les institutions
européennes, la Commission comme le Parlement.
Il a multiplié les passes d'armes plus ou moins discrètes avec Jean-
Claude Trichet, l'ancien président de la Banque centrale européenne,
dont le rôle dans la crise des dettes a pourtant été déterminant.

En cas de passage de relais à l'Elysée, l'attitude de François Hollande,


peu connu sur la scène européenne, est jugée moins prévisible. "
Personne ne sait vraiment ce qu'il a en tête, même si sa lointaine
filiation avec Jacques Delors est plutôt encourageante ", dit un haut
responsable bruxellois. Ce dernier espère que les socialistes français
ont bel et bien surmonté les divisions apparues en 2005, lors du
référendum négatif contre la Constitution. Sans être vraiment rassuré à
ce stade par leur abstention lors de la ratification du Mécanisme
européen de stabilité, le fonds de secours permanent mis en place
contre la volonté initiale de l'Allemagne pour soutenir les pays dans le
collimateur des marchés.

Les premières prises de position du candidat socialiste sur l'Europe ne


laissent pas non plus indifférents. Son intention de renégocier le pacte
budgétaire pour adjoindre au volet " budgétaire " un volet plus orienté
sur le soutien à la croissance passe mal. Selon un dirigeant européen,
elle tiendrait même du " voeu pieux ", alors que le nouveau traité doit
être signé vendredi 2 mars, et sera donc en phase de ratification.

" Nous ne sommes certainement pas en faveur d'une renégociation ", a


estimé Jan Kees de Jager, le très orthodoxe ministre néerlandais des
finances, un des alliés de l'Allemagne dans la gestion de la crise des
dettes souveraines. " En revanche, si M. Hollande veut mener davantage
de réformes, alors nous serons à ses côtés, qu'il s'agisse de la
libéralisation des services ou des réformes du marché du travail ", a-t-il
ajouté.

" Le paradoxe est que M. Hollande entend donner des gages de son
sérieux budgétaire, mais il s'en prend à l'instrument qui est justement
censé donner du corps à la discipline collective mise en place par les
capitales européennes ", constate pour sa part Yves Bertoncini, le
secrétaire général de la fondation Notre Europe, créée par Jacques
Delors.

Philippe Ricard

Le Monde, 1 er mars 2012


Mécanisme européen de stabilité : la bourde historique de la gauche

Al'Assemblée nationale, les députés de la gauche française et des


écologistes ont commis le 21 février une bourde historique : ils ont fait le
choix de s'opposer ou de s'abstenir lors du vote sur la ratification du
traité créant un outil de solidarité à l'égard des pays de la zone euro qui
ne peuvent plus emprunter, le Mécanisme européen de stabilité (MES).

Depuis 2010, les Verts et les socialistes, au Parlement européen, se sont


battus pour l'existence d'un tel mécanisme. Cette solidarité n'est pas
qu'une question de générosité, mais d'intérêt bien compris. La faillite
d'un Etat européen entraînerait la faillite de nos banques, qui détiennent
nos économies, notre salaire, et, si les déposants sont remboursés, ce
sera avec nos impôts. La création du MES est un premier pas vers une
Europe fédérale avec son propre Trésor public et un budget conséquent.

La non-existence du MES est une aberration que nous avons dénoncée


dès le traité de Maastricht (1992), qui empêchait la solidarité : l'Union
européenne n'avait pas le droit de secourir ses membres en difficulté !
Depuis trois ans, on a donc bricolé pour venir au secours de la Grèce, de
l'Irlande, du Portugal en réduisant, peu à peu, l'hostilité des " populismes
de riches " de l'Europe du Nord qui n'avaient que mépris pour ces pays "
incapables de gérer leur budget ". Nous avons certes dénoncé les fautes
des classes dirigeantes de ces pays. Mais nous n'avons jamais ignoré
que les responsabilités étaient partagées par toute l'Europe.

Après trois ans de négociations avec les gouvernements les plus "
égoïstes ", nous avons un mécanisme, certes imparfait puisque fruit de
compromis, mais qui se tient : un fonds solidaire, empruntant à la place
des pays ayant perdu tout crédit auprès des marchés internationaux,
avec la garantie de l'ensemble de l'Europe. Mais, au moment du vote, les
démagogues refusent la création du MES, mobilisant l'émotion créée par
les plans d'austérité démentiels imposés à la Grèce en l'absence du
MES. " Oui, disent-ils, nous sommes solidaires des Grecs, nous voulons
un MES, mais pas celui-là. " Donc, comme ce MES réel est le résultat du
compromis : pas de MES du tout, et que chaque pays se débrouille...

Que reproche-t-on au MES ? Il y aurait une bonne raison, son couplage


avec un autre traité, à venir : le traité sur la stabilité, la coordination et
la gouvernance de l'Union (TSCG), qui instituerait la " règle d'or " dictée
par la chancelière allemande, Angela Merkel. Ce couplage a été "
convenu " par la déclaration des gouvernements du 9 décembre 2011 et
n'a pas plus de valeur légale. Nous sommes contre le TSCG, nous l'avons
combattu et, d'ici qu'il soit ratifié, de l'eau coulera sous les ponts. Mais
ce couplage ne figure pas dans les articles du traité MES : la déclaration
du 9 décembre 2011 est seulement évoquée dans ses " considérants " !
Une fois le MES ratifié, une fois le TSCG rejeté, le MES existera et il
faudra renégocier le TSCG. On ne peut rejeter le MES que s'il est lui-
même un mauvais mécanisme de solidarité.

Certains critiquent le MES comme une nouvelle technocratie,


irresponsable devant les instances politiques. Eh bien non, pas cette fois
! Les gouverneurs du MES seront les ministres des finances des pays
membres, les administrateurs seront nommés par eux et " révocables à
tout moment " et sa direction est politique. D'autres s'en prennent à la
pondération des décisions et des obligations : proportionnelle à la part
d'un pays dans le PIB de la zone euro. Ils auraient sans doute préféré
proportionnel à la population ? Il est légitime que les fonds structurels
transférés chaque année à l'un de ses membres soient votés par le
Parlement. Mais ici nous parlons d'autre chose : les garanties que
l'Europe peut apporter à un prêteur au profit d'un des leurs. Et la
solidarité exigée doit bien être proportionnée à la capacité de chacun à
se porter au secours du voisin.

D'autres critiquent l'obligation de solidarité : pour bénéficier du MES, il


faut s'engager à apporter sa part à la tontine et la rallonger " sous sept
jours " s'il faut augmenter la mise au profit du voisin. Encore heureux !
C'est le principe même de la mutuelle.

Des critiques s'élèvent enfin contre l'article 12 : pour bénéficier du prêt


mutualisé, il faut accepter une conditionnalité qui sera négociée au cas
par cas. Et c'est là que se lève l'image tragique de la Grèce. Mais soyons
lucides : le problème n'est pas que, lorsque vous empruntez à la place de
votre voisin, vous lui demandiez de prendre des dispositions afin de
pouvoir vous rembourser. Car, si vous ne le faites pas, c'est vous-même
qui ne pourrez pas emprunter ! Le vrai problème est le type de " plan
d'assainissement " proposé. Et ça, ce n'est pas dans le traité, c'est un
objet de lutte... Comme la majorité du peuple grec, qui tient à la
solidarité de la zone euro, mais qui est hostile au plan monstrueux que
lui impose la " troïka ", nous sommes pour une conditionnalité, mais pas
celle imposée à la Grèce, et qui n'est pas dans le traité MES.
Bien sûr, le MES ne réglera pas les problèmes de fond d'une Europe trop
peu solidaire, ni des pays où la fraude fiscale est le sport préféré des
riches. Il intimidera du moins la spéculation, et évitera à la Grèce ou à
l'Irlande l'horreur économique subie par l'Argentine de 2002 à 2005. Le
sort du MES se trouve entre les mains des progressistes français,
majoritaires au Sénat où le texte sera soumis au vote le 28 février.
Laisseront-ils à la droite l'honneur de l'adopter, en se réfugiant à la
buvette ? Ou suivront-ils l'exemple de leurs anciens de 1975 qui, en dépit
de la droite majoritaire, votèrent la loi Veil et le droit à l'avortement?
Jean-Paul Besset, député européen EELV ; Daniel Cohn-Bendit,
coprésident du groupe des Verts au Parlement européen ; Alain Lipietz,
économiste ;Yann Moulier Boutang, économiste ;Shahin Vallée,
économiste
Le Monde, 25 fevrier 2012
Plus rien à perdre

En une semaine, Nicolas Sarkozy s'est dépouillé de ses habits de


président pour redevenir candidat. Le même candidat qu'en 2007, à la
fois pugnace et mobile. Avec lui, c'est un coup à droite avec les
référendums sur les devoirs des chômeurs et l'expulsion des sans-
papiers, puis un coup à gauche avec l'interdiction des " retraites
chapeaux " et des " parachutes dorés ", ou encore l'allégement des
charges salariales sur les bas salaires.

Est-il crédible ? Non, car une proposition chasse l'autre dans un


tourbillon pas toujours bien ficelé. A preuve cette idée de
proportionnelle, qui, à peine évoquée, fait déjà pschitt, car elle est
impraticable au lendemain de l'élection présidentielle. Et il y a le bilan
auquel le renvoie constamment l'adversaire socialiste sur l'air de " que
ne l'a-t-il fait plus tôt ? ". Il y a le Fouquet's, qui vaut à M. Sarkozy
l'étiquette de " président des riches ", un sparadrap qu'une seule
intervention télévisée ne suffit pas à décoller. Il y a enfin la difficulté à
dégager une cohérence : en janvier, la grande priorité était d'alléger les
charges patronales, en février ce sont les charges salariales. En
attendant, le trou de la Sécurité sociale continue de se creuser !

Cependant, M. Sarkozy n'a plus rien à perdre, et c'est ce qui fait sa force.
Ses coups de boutoir visent à déstabiliser François Hollande, qui plane
un peu moins haut dans les sondages. Le candidat-président veut
inverser la courbe des sondages pour que tout redevienne possible. Il
veut rejouer le coup de Jacques Chirac, qui, le 21 février 1995, avait
détrôné l'indétrônable Edouard Balladur. Est-ce faisable ? Pas sûr, mais
c'est redevenu possible. Pour M. Sarkozy, c'est déjà beaucoup, car il y a
un mois la droite craignait qu'il ne se qualifie pas pour le deuxième tour.

C'est le paradoxe de cette campagne : le rejet de M. Sarkozy a beau être


profond et largement partagé, le candidat résiste, parce que son camp
est finalement soudé derrière lui et que, en face, il y a une faille dans la "
force tranquille ".

M. Hollande peine à susciter l'adhésion et à créer le mouvement. Il est


intarissable sur le style de présidence mais fuyant sur le reste. Le
discours du Bourget du 22 janvier a été un moment réussi mais suivi d'un
faux plat qui peut devenir problématique pour lui : hormis les 60 000
postes dans l'éducation nationale, ses propositions n'ont pas vraiment
convaincu, et le nombre d'indécis reste important. C'est pourquoi il se
doit de réagir. On est à un moment-clé, où la dynamique peut passer d'un
camp à un autre.

par Françoise Fressoz

lemonde.fr, 25 fevr.

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