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L’invité D&B: Natsionalniy Druzhyny, les


phalanges du “Nouvel Ordre” ukrainien?
Sébastien Gobert on February 14, 2018

°Adrien Nonjon est un étudiant-chercheur français de l’Institut Français de Géopolitique,


spécialisé sur l’Ukraine et l’extrême-droite. Il officie également pour les think tanks Groupe
d’Etudes Géopolitiques (ENS Ulm) et CREER Geneva

Qu’importe les critiques et les doutes – et qu’importe les moyens utilisés – Azov et la
Druzhyna entendent bâtir un projet politique national destiné à relever la société ukrainienne
de ses maux.

Source: Page Facebook Національні Дружини

Présentée en grande pompe le 28 janvier 2018 dans le froid glacial de la place de l’indépendance
de Kiev, au cours d’une prestation de serment aux forts accents militaristes, la “Natsional’ny
Druzhyna” du régiment néo-nationaliste Azov suscite polémiques et débats au sein de la société
ukrainienne.

Faisant l’objet de plusieurs traductions comme “escouades nationales” ou “milices nationales” qui
parfois portent à confusion sur leur place réelle au sein des forces de sécurités ukrainiennes, nous
choisirons volontairement de conserver le terme initial translittéré. Formation militante comptant
selon les sources entre 600 et 700 bénévoles âgés pour la plupart de 20 à 30 ans, la Dryzhyna
nationale reprend une tradition héritée de la Kyiv Rus’ de “veilleurs”, en suppléant la police
ukrainienne au quotidien. La Druzhyna est officiellement déclarée en conformité avec la
législation ukrainienne qui encadre la création et la réglementation de tels groupes de vigilants.
Selon un officiel du ministère de l’intérieur, Ivan Varchenko, “le fait qu’il y a maintenant des
organisations qui veulent s’engager dans ce processus, est absolument légal, ils ont le droit. C’est
avec des représentants de la Police Nationale qu’ils doivent se mettre d’accord sur comment et où
seront-ils affectés, par exemple, des patrouilles dans les rues en alternance avec la Police
nationale”.

Néanmoins, l’inquiétude d’une partie de la société est palpable. Le radicalisme affiché de la


Druzhyna nourrit la crainte de voir l’Etat ukrainien abandonner progressivement le monopole de
la violence légale au profit de formations miliciennes et paramilitaires. Si le dirigeant de la
Druzhyna azovienne, Ihor Mikhailenko, parle d’une volonté profonde “de nettoyer les rues, lutter
contre les trafics d’alcool, de drogue et les établissements de jeux illégaux”, le message semble être
on ne peut plus clair : garantir à travers un “nationalisme moderne” et une force active un nouvel
ordre ukrainien, là où le gouvernement a failli. Au-delà de ces éléments de langage fortement
imprégnés de la réthorique azovienne, que pouvons nous comprendre de ce projet de Druzhyny?

Andriy Biletskiy à la présentation de la Nationalniy Druzhyna. Source: Page Facebook


Національні Дружини

Une nouvelle étape d’Azov dans sa quête de légitimité dans le “chaos ukrainien” ?

Dès ses premiers pas sur le champ de bataille du Donbass en 2014, et jusqu’à son entrée en
politique le 14 octobre 2016 par la création de son parti “Corps National” qui lui a permis de
s’institutionnaliser, le régiment Azov s’est toujours réclamé d’un nationalisme radical dont
l’ambiguïté idéologique a été largement utilisée par ses adversaires (1). Par ses symboles comme le
Soleil Noir et la rune SS “Wolfstangel” (Selon la direction du régiment, cette dernière symbolise les
lettres “I” et “N” pour “Idée de la Nation”), ses codes et le parcours de certains membres au sein
d’organisation sulfureuses comme Tryzub ou C14, Azov est ainsi associé de façon péremptoire et
réductrice à une perception occidentale de l’extrême-droite, voire au néo-nazisme (2). Dans leur
ouvrage “Les Droites extrêmes en Europe” (2015), Nicolas Lebourg et Jean-Yves Camus rappellent
que “l’extrême-droite constitue une catégorie d’analyse propre au cadre politique de l’Europe
occidentale”, où l’on tend à regrouper dans une même matrice idéologique des tendances
diverses (populistes, conservatrices, traditionalistes, xénophobes…) et des pratiques extrêmement
différentes d’une aire géographique à une autre. Sans chercher à relativiser la radicalité de
l’idéologie azovienne, il convient de la replacer dans le contexte de l’espace post-soviétique. Les
pratiques et idéologies des mouvements ultra-nationalistes peuvent y être différentes. Or, une
stratégie délibérée d’assimilation d’Azov à une mouvance néo-nazie s’inscrit dans une tentative de
discrédit et de simplification à l’extrême du nationalisme ukrainien; celui-ci étant ramené à la
simple expérience du IIIème Reich et des horreurs perpétrées en Ukraine pendant la Seconde
Guerre mondiale.

D’autre part, en étant sous le commandement direct du ministre de l’Intérieur Arsen Avakov, et
sous perfusion de donateurs influents, par exemple l’oligarque Ihor Kolomoisky en 2014-2015,
nombreux sont ceux qui s’interrogent sur la finalité réelle de ce mouvement. Azov ne serait-il pas
en fin de compte qu’une simple marionnette au service de desseins beaucoup plus personnels que
collectifs ? Certaines de ces ambiguïtés sont levées progressivement, ou mieux comprises
aujourd’hui. La question reste pourtant ouverte sur la montée en puissance d’Azov, illustrée par la
création de la Druzhyna nationale.

Jalonnée de chocs politiques (remise en cause de la légitimité de son gouvernement,


décentralisation de l’Etat), sociaux (lutte contre la fraude et le poids de l’oligarchie) et d’objectifs
militaires contraignants (redonner à l’armée sa puissance d’autrefois en vue de contenir les
séparatistes), l’histoire récente de l’Ukraine, de 2014 à nos jours, est source de fractures qu’il lui
faut réduire rapidement (3). C’est en exploitant ce chaos ambiant qu’Azov trouve légitimité et
caisse de résonance. Le chef du régiment, Andriy Biletsky, dénonce ainsi une “précarisation du
pays”. La Druzhyna y trouve non seulement sa place et son rôle, mais aussi une partie de sa
légende fondatrice. Elle serait, en tant que milice citoyenne l’ultime rempart de l’Etat ukrainien
face à une série d’agressions intérieures, elles-mêmes orchestrées par la Russie ou l’oligarchie (4).
Il s’agit ici d’une posture adaptée pour clarifier son image et se présenter comme acteur dominant
dans la mise en oeuvre de solutions aux problèmes de fond ukrainiens. En cultivant une image de
proximité, d’empathie, mais surtout de courage et d’abnégation auprès des Ukrainiens, Azov tente
de s’approprier le premier rôle dans les forces investies dans l’avenir du pays.

Par son refus de toute concession aux acteurs du désordre interne ukrainien, on peut donc
aisément comprendre qu’en dépit de leur aura encore minoritaire, Azov et sa Druzhyna puissent
représenter pour certains une alternative crédible, l’étendard du refus de la défaite et de
l’immobilisme, l’oriflamme du retour de l’Ukraine comme nation souveraine.

Source: Page Facebook Національні Дружини

Azov et la Druzhyna nationale : la stabilité par un nationalisme retrouvé?

L’émergence et la structuration d’une milice ultranationaliste comme la Druzhyna azovienne


autour des éléments de crise post-Maïdan et de la guerre dans le Donbass, peuvent être perçus,
pour reprendre les propos des politologues Erwin K. Scheuch et Hans Klingemann, une “pathologie
normale” pour une société industrielle mise à l’épreuve (5). La mutation d’Azov en un mouvement
politique nationaliste notoire et non périphérique dans le paysage politique ukrainien, puis en une
série de structures vigilantes comme la Druzhyna et le Corps Civil est à l’aval d’une logique socio-
politique directement liée au contexte ukrainien: l’essor de la nation sur le plan politique et la
préservation de l’héritage “sain” (les guillemets s’imposent) de la Révolution de Dignité, et ce
dans un contexte de guerre.
Il n’est pas question d’oublier que le mouvement radical Azov dont est issu la Druzhyna puise en
grande partie dans la composante subversive ukrainienne. Mais elle est aussi une force reflet de la
société ukrainienne. Au travers du parcours initial d’Azov et des trajectoires personnelles de ses
combattants et militants, il se dégage au sein de ce mouvement un spectre socio-politico-religieux
étendu, allant des néo-païens aux gréco-catholiques en passant par les supporters de foot et autres
universitaires. Le coeur d’Azov compte ainsi 1500 membres auquel nous rajoutons environ 10 000
adhérents du parti Corps National et les 600/700 membres de la Druzhyna. Selon les estimations
de Bertrand de Franqueville, de l’Université Paris-Sorbonne, datant de février 2017, on comptait
chez Azov 52 membres titulaires d’une licence, 1 docteur, 5 sont doctorants, 13 ingénieurs, mais
aussi 76% sont de greco-catholiques, 19% néo-païens, 1 bouddhiste, 1 musulman et des militants
de confession juive comme le commandant adjoint Vistyp Moshe.

Ces statistiques illustrent la diversité du mouvement, animé par un même désir d’action pour faire
face aux enjeux d’un pays plongé dans l’état d’urgence. Au fil d’entretiens menés avec plusieurs
militants, ceux-ci revendiquent une prise de conscience totale de la nécessité d’agir, de résister,
d’accepter le don d’eux-mêmes pour la “noble cause de la défense de l’identité ukrainienne” (6).
Cette résistance dite “autonome”, revendiquée par les membres d’Azov, fait de ce dernier une
mouvance qui dépasse les différentes sous-cultures existantes en Ukraine. On parlera d’un
“nationalisme social” qui inclut au sein de la nation toutes les personnes ayant un degré élevé de
conscience nationale indépendamment de leurs sous-cultures et de leurs identités. Il ne s’agirait en
aucun cas de personnes exclues de la société, de personnes rejetées et considérées comme
dangereuses, dès lors qu’elles sont insérées dans un tissu social tissé par Azov. Ces militants se
définissaient au départ comme des artisans de la défense ultime du pays et des thuriféraires de sa
stabilité. Selon leurs dires, c’est le contexte de délitement de l’Etat qui les a mobilisés autour d’une
idéologie guerrière et de défense comme l’ultranationalisme ou le néo-fascisme. Nourri par la
guerre et l’incurie du gouvernement actuel, beaucoup ont souhaité prolonger leur activisme dans
un combat intérieur teinté de politique. En filigrane, la conviction que les solutions se trouvent
non chez les élites et les réformes promulguées (les idées ne tombent pas du ciel) mais bien dans la
société ukrainienne et ses structures militantes (l’action quotidienne est mère de toutes les
batailles).

L’affirmation d’une identité nationale ukrainienne qui “hoquetait” il y a encore peu dans les
traumas de l’ère post-soviétique et les difficultés de se penser face à l’Occident et face à la Russie, a
connu un essor sans précédent avec la guerre à l’Est. Avant, les Ukrainiens étaient plutôt organisés
à l’échelle locale, au sein d’un oblast, d’une ville ou d’une communauté, comme l’expliquait
l’historien Ivan Fedyk dans un entretien, en février 2017. Ils s’en réclamaient, et s’installaient dans
une fragmentation subie sinon assumée. Le politologue Konstantin Batozsky rajoute que le
Maïdan, puis la guerre, ont amené à une prise de conscience de l’importance de l’Etat pour le bon
fonctionnement de la vie quotidienne, pour la sécurité collective, pour la défense d’une histoire et
d’un territoire. C’est cette mutation qui a été décisive et a motivé idéologiquement Azov pour
créer la Druzhyna. Cette nouvelle identité nationale, résolument attachée à la défense de l’intégrité
territoriale du pays, doit être défendue à tout prix de toute tentative de subversion intérieure ou
extérieure. Face aux nouvelles zones grises générées par la guerre en Ukraine, face à la menace de
sape russe ou oligarchique, Azov choisit donc d’adapter son discours et son attitude de façon
pragmatique. Il lui incombait de porter ce sentiment national sur l’ensemble du territoire par son
parti et désormais, la Druzhyna. Azov se rêve en fédérateur d’un nationalisme ukrainien retrouvé,
et compte utiliser son aura pour le faire de façon plus paternaliste qu’autoritaire en répondant aux
doléances de la population en matière de sécurité. Cette mue d’Azov est la base même de son
nouveau parcours en politique avec le Corps National.
Source: Page Facebook Національні Дружини

En tant que parti politique, régiment ultranationaliste et force milicienne, Azov fournit trois types
de représentations pour arriver à concilier les populations avec son objectif de réconciliation
nationale :

Celle d’être, en sa qualité de régiment de la Garde nationale ukrainienne et d’auxiliaire de


police, le garant de l’ordre étatique pour lequel il combat. Il serait pour ses soutiens, un
“moindre mal” dans un contexte de guerre et assurerait la sécurité de chacun au nom de l’Etat
ukrainien en dépit de son idéologie et de sa symbolique.

Celle d’être en même temps par sa branche politique une force d’opposition au sein de l’Etat
qui tend à faire valoir l’ensemble des droits et des attentes de la population ukrainienne en
étant proche d’elle. Il exprime la volonté de se donner une nouvelle légitimité, se conformer en
dépit des craintes à la législation. Un des objectifs étant de se forger une image expurgée , bien
loin de celles de l’organisation “Patriotes d’Ukraine” dont on pouvait s’indigner des dérives.

Enfin celle d’être une puissance dissuasive mais tolérante engagée avant tout dans un
processus de Risorgimento (7). Il s’agit ici de bâtir un Etat-nation en se séparant d’un empire,
russo-soviétique en l’occurrence, et des stigmates encore visibles de son ancienne domination.
Ce faisant, le but est d’unir différentes branches longtemps opprimées d’une même nation
(Ukrainiens d’origine russe, Ukrainiens russophones, Ukrainiens ukrainophones, Grecs
pontiques, etc.) pour résoudre les crises d’identité, résister à la “tyrannie étrangère” et fournir
la base d’une nouvelle reconstruction nationale. Les cultures régionales, religions et mémoires
se trouvent ainsi rassemblées au sein d’un même Etat-nation où les nationalistes comme Azov
peuvent s’efforcer de préserver, d’améliorer, transformer ou recréer une identité ukrainienne
expurgée de toute réminiscence du “soviétisme”.

“Natiocratie”, roman national et nation en arme : les piliers azoviens de la renaissance


ukrainienne.

Plongée dans une crise allant bien plus loin que la simple opposition d’une Ukraine occidentale
européanisée à un némésis oriental et russophile, le pays est en proie à une multitude de
représentations qu’Azov souhaite reformater en les rendant conformes à sa vision. Le mouvement
compte sur l’attraction de son parti et de sa Druzhyna pour les appliquer directement sur le
terrain. Partageant l’idée d’un territoire ukrainien souverain, le régiment Azov se démarque du
nationalisme stato-territorial de ses alliés du Pacte national (8). Il épouse une vision de l’Ukraine
chère aux penseurs des années 1920 Yuri Lypaa et Dmitro Dontsov, dépassant ses frontières
juridiques, puissante face à ses voisins, et très conservatrice sur le plan politique. Loin d’être
affranchie d’une certaine vision suprémaciste de l’Ukraine, cette représentation du territoire et de
la nation constitue l’essence même du « nationalisme moderne » vanté par la Druzhyna et ses
affidés.

C’est une “société de corps” qui est le but des transformations vitales pour Azov. La
représentation de l’Ukraine défendue par son chef Andriy Biletsky est une représentation
organique. Elle est forgée autour des écris de Mykola Stsiborskyi (1897-1941) combattant et
théoricien de l’OUN originaire de Jytomyr, ayant développé l’idée de “natiocratie”. Cet Etat sera
autoritaire, et corporatiste (où la société et l’économie sont organisées en groupements défendant
leurs intérêts) mu par une vision élitiste et technicienne —seule capable de favoriser
l’indépendance nationale— mais aussi paradoxalement par une vision assurant le primat du
peuple sur des élites jugées corrompues et népotistes. Il s’agit donc de recomposer l’Etat autour
du principe de “solidarité nationale”, fondé sur le rejet des classes et des partis et sur l’affirmation
de l’individu, membre de la nation qui occupera une place prédéfinie au sein de la société, en
fonction de sa valeur réelle. Cette valeur est étalonnée par ses combats, ses aptitudes physiques et
intellectuelles, ses capacités à nouer des relations avec d’autres. Cette vision est un rejet direct
d’une élite autoproclamée et systémique. Pour les idéologues azoviens, la “natiocratie” induit un
pouvoir segmenté très lié à la valeur reconnue de chaque acteur dans tel ou tel domaine. Dans ce
système très darwinien, les droits et libertés seraient donc calés sur une méritocratie rigoureuse.
On reconnaît dans ce dispositif de la “natiocratie” l’idée d’un Etat nation voulu comme “une entité
en charge des destins de la collectivité nationale”. Pour Azov “la Nation constitue la forme la plus
optimale de l’existence humaine, et l’Etat constitue la forme la plus optimale de l’existence de la
Nation” (9). En d’autres termes il s’agit d’un retour au sens premier de la définition de l’Etat
nation : “la synthèse territoriale, politique voire idéologique de l’Etat et de la nation”. On y
retrouve le caractère dominant de l’Etat nation : sa cohésion nait de caractères ethniques communs
(cf. étymologie) ou de la volonté de vivre ensemble par un “plébiscite de tous les jours” (E. Renan
1882). L’Etat nation reconvoqué et retrouvé par Azov est bordé par d’un système politique sans
concessions pour les élites actuelles et leurs pratiques et surtout par des symboles historiques
(drapeau, hymnes nationaux, héros).

Vecteur principal de cohésion, l’Histoire demeure importante pour Azov dans l’élaboration et la
structuration de l’idée nationale. En temps de crise, la mobilisation du récit historique comme
référence commune à un peuple permet d’exalter son patriotisme en vue de surmonter les
épreuves qui lui sont infligées. L’Ukraine d’Azov est à la fois considérée comme le berceau
civilisationnel slave, mais aussi comme une région martyre des différents empires allant de la
Pologne (révolte des Zaporogues en 1654) à l’URSS. Soit un lieu de confrontation directe et
indirecte entre l’Ouest et l’Est. Ce passé produit inévitablement des forces centrifuges, et c’est par
réaction que se définit l’extrême droite ukrainienne et particulièrement Azov, en vue de bâtir sa
propre représentation de l’Ukraine. Loin d’être une image improvisée dans l’urgence de la guerre,
l’Ukraine d’Azov se doit, en tant que “grande nation” unie, de fédérer l’ensemble de ses individus
grâce à un nouveau roman national mettant en valeur les grandes figures de l’histoire ukrainienne,
longtemps délaissées par le pouvoir. Cette nouvelle histoire puise à la fois dans les récits orientaux
et occidentaux de l’histoire européenne. Référence récurrente dans le nationalisme ukrainien
contemporain, Azov reprend à son compte le modèle de druzhyna, l’ancienne garde prétorienne
du prince de la Ru’s kiévienne : il cultive et renforce une image de fraternité comparable avec ses
propres codes. D’autre part, la démarche d’Azov est une sublimation esthétique de la tradition:
l’héritage des temps les plus reculés comme celui de l’époque ru’ssienne est vu comme un “âge
d’or”. Celui-ci doit être redécouvert à travers les symboles utilisés par Azov. On peut aussi citer le
lieu chargé d’histoire qui a servi à la prestation de serment de la Druzhyna : la forteresse de Kosy
Kaponir.

Source: Page Facebook Національні Дружини

Enfin, Azov n’échappe pas à la quête de l’image symbolique du corps : un corps jeune, en bonne
santé, renvoyant à des notions de capacités et de volonté et d’action. C’est pour cela que la
Druzhyna azovienne doit être au coeur de l’éveil des jeunes générations en Ukraine. Par ses
activités aussi bien militaires que civiles, la Druzhyna espère pouvoir purger la jeunesse d’un
contenu trop soviétisé susceptible de faire émerger une “cinquième colonne pro-russe”. Les
nouvelles générations doivent devenir un moteur fondamental dans l’élaboration du corps
national souhaité. Dynamique et facilement perméable aux images et idéaux forts, la jeunesse
concentre toute l’attention d’Azov qui déploie une offre médiatique, sportive, d’initiation militaire
et d’invitation à une série d’évènements collectifs. Tout semble être mis en oeuvre par le régiment
et son parti pour séduire la jeunesse et la façonner à son image.

Conclusion

Marginalisés depuis l’indépendance de 1991, les groupes d’extrême-droite dits ultranationalistes


ont vu dans le réveil de l’identité nationale ukrainienne, la révolution du Maïdan et la guerre dans
le Donbass un vecteur de renaissance. Nourris par le manque de modernisation de la société post-
soviétique ukrainienne, radicalisés par un climat de violence, une lassitude ambiante et l’absence
de réformes, les nationalistes comme Azov prospèrent. Leurs initiatives et leur radicalité
s’inscrivent comme autant de réponses à un discours de crise lapidaire vis-à-vis d’un Etat fragilisé,
et d’une construction nationale lente et difficile. La violence sous-jacente de l’idéologie azovienne,
ou encore ses racines conservatrices révolutionnaires, ont longtemps été minorés dans la société.
Azov a en effet bénéficié d’un “effet de mode” qui l’associait à un épiphénomène né de ce contexte
de délitement profond. Amnésie collective, manipulation politique ou déni médiatique? Les
critiques virulentes liées à l’apparition de la Druzhyna pourraient amorcer un retournement de
l’opinion publique. Quoiqu’il en soit, il est peu probable qu’il affecte le développement d’Azov et
de ses différents organes, comme la Druzhyna. Le régiment se revendique comme une force
politique aussi légitime que les partis pré-existants. Ses représentants affirment que leur “thérapie
de choc” est à même de répondre aux besoins actuels de l’Ukraine. Qu’importe les critiques et les
doutes – et qu’importe les moyens utilisés – Azov et la Druzhyna entendent bâtir un projet
politique national destiné à relever la société ukrainienne de ses maux.

Source: Page Facebook Національні Дружини

Notes:

(1) UMLAND, Andreas, Voluntary militia and radical nationalism in post-Maidan Ukraine, 50 pages

(2) FEDORENKOK., RYBIY O., UMLAND A., The Ukrainian far right and the ukrainian revolution, 23
pages

(3) GUILLEMOLES A., Ukraine le réveil d’une nation, les Petits matins,Paris, 2015, 211pages

(4) Manifesto : the renaissance of ideology, http://reconquista-europe.tumblr.com


(http://reconquista-europe.tumblr.com), consulté en mars 2017

(5) K. SCHEUCH Erwin, KLINGEMANN, “Theorie des Rechtsradikalismus in westlichen


Industriegesellschaften,” Hamburger Jahrbuch für WirtschaftsundSozialpolitik, vol. 12 (1967), pp.
11–29 et SHEKHOVTSOV Anton., UMLAND Andreas., Ultraright Party Politics in Post-Soviet
Ukraine and the Puzzle of the Electoral Marginalism of Ukrainian Ultranationalists in 1994–2009,
32 pages

(6) FRANQUEVILLE, Bertrand, Le phénomène milicien en Ukraine : le cas du bataillon Azov, Dossier
de recherche de Master 1 de Science Politique, Spécialité Relations Internationales, Année
universitaire 2015-2016, Université Paris I Sorbonne, 40 pages
(7) KUZIO, Taras, Nationalism in Ukraine: towards anew theoretical and comparative framework, Journal
of Political Ideologies N°7, 2002, op.cit p 138

(8) Signé en Mars 2017, la Pacte national est une alliance politique en vue des prochaines élections
législatives et présidentielles, associant Svoboda, Praviy Sektor et le Corps National

(9) Natiocracy : collection of leaflets, Orientyr, Kiev, 2016

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