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MËMO~RESOfOG~NAUX
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L'ANNÉE SOCIOLOGÎQUE
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l'inceateet aea origines. ~~SL'?~'M La P~-Mbi~n d..


n. 0. SI111btKLCommentles(ormesaoctulea
de eooiolugiogénaralopnblIdadu J.' se main-
au 30juin 18It7.vol. in-8 julllet 1898
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betiXtéme année (U!97.f8118).
DURKHEIM: ne la
at dIAUSS Essai sur la définilion
nature et
des
fonntiondu sacrilico. Analyses.9 vol.
&S~ lu
in·8. !0 fr. Il
T1·Digi~rittet411n~9 (i888-l888). RATZJ!:L:Le act. ta société, l'état.
socialeset la criminalité. STEINMETZ
catlondes
.S~ I)'pessociaux. A>talyaes.vol. irr8 Classif!-
tU fr. Il
Qt!aMén!e <tBB~e (i899-i900) – Hnt'
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CHARMONT Notesaur les causes d'extinctionde la
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MAncc Do
Contributiunà l'olude des reprdaentatwne
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BtBUOTHËQUE DE PHILOSOPHIE
CONTEMPORAINE

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dans la natttre en dans
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SOCIOLOGIQUE

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RICHARD, <))tr)!< de tonn o t'UniMr'itt de )fotd«nm
BOUQLÉ. pmfMMM de philowphie Meittte a t'Uni)rent)M de ToufMte
HUBERT et WAU68. maitres de ceoMMoeM t'&mte de. Htttteit-~ttde*;
L'APtE, chargé de «'urt i'Uni'ertiM de Bofdmm
HUWEDN et E. LÉWV,tmfe.teur. 4 )<t fMtM de droit de Lyo..
AUB)N,intj.mtMf .t't~demie t AortUM
OUROIN, FAUCOMHET. FOUCAULT, HOURTtCa. LALO, PAROOt. F. 8)M)AMO
tjff<);e!t de )'t!))iverNt<i.

SEPTIEME AtfNËE (1903-1903)

1. MÉMOIRES ORIGINAUX

M. HnbMt et N. HtMtt. – <«Kf </<~of<e


~«h~e
.~K~n!~ de la Maf/te.

tt.-AMAt.Y8E8
Des travaux du t" juillet X'MÏ an 30 juin )9U:)..S~cw-
~tt .'y<n<~<. t~ijyietMe, mot'a/e e< ./<M'Mt~M< CttMt-
fte~< <'MM<!M<~Mt.~«~Ao<<)~« mcto<e. Mee)~.

PARÏS
FEUX ALCAN. ËDtTEUR
ANCfENKE HSMAtUtE UHRMËK HAtLHËttK MT <

<08. BOttUVARO 9A)!<T-G)!R!(A)'<t t08

1904
Tem droits f<Mt'e<.
L'ANNÉESOCIOLOGIQUE
1902-1903

PREMÏËRE
PARTIE
MËMOtRES
OR!8!MAUX

ESQUISSE
D'USE
THÉORIE GÉNÉRALE DE LA MAGIE
PM
MM.HMM
HUBERT
et M*M<M.
MAUSS
PoM'ne~<M~t~o~ef la placedontnous~o«~eM dMpoMrdansfAnn~e
ne'M
tiooioto~ique. <tWM <a<M~decdM <M no<e~
et ~))< quenous
dailleurs,
/JMM<fWM, quand n ouer ééditeront
W~M~.

Lestravaux que nous présentonsaux lecteursde t'~tMt~


~ccM~~tMont,avanttout;pour objetd'introduireun certain
nombredenotionsdetihiesdansl'étudedes phénomènesreli-
gieux.Jusqu'àprésent,l'histoiredes religionsa vécu sur un
bagaged'idéesindécises.Elle est déjà riche de faits authen-
tiqueset instructifs, qui fourniront,un-jour,une abondante
matièreà la sciencedes religions.Maisces faitssont classés
au hasard, sousdes rubriquesimprécises; souvent même,
leur descriptionest gâtée par les vicesdu vocabulaire.Les
motsde religionet de magie,de prière et d'incantation,de
sacrificeet d'offrande,de mythe et de légende,de dieu et
d'esprit,etc. sontemployésindiSéremmentles uns pour les
autres. La sciencedes religionsn'a pas encore de nomen-
claturescientifique.Ellea tout bénénceà commencerpar en
arrêterune.Notreambitiond'ailleursn'est pas seulementde
définirdes mots,maisde constituerdesclassesnaturellesde
faitset, une foiscesclassesconstituées,d'en tenterune ana-
E. DMXHNtt.Aanëe:acM.,tMHM3. t
2 L'AXK~Mtût.OOtOCB.<MH90S

lyse aussi explicativeque possible. Ces déSnitioas et ces


explicationsnous donneront des notions scientifiques,c'est-
à-diredes idées claires sur les choseset leurs rapports.
Nousavons déjà. dans'cet esprit, étudié le sacrifice.Nous
l'avionschoisi commeobjet de notre étude parce que, entre
tous les actes religieux, il nous semblait être un des plus
typiques.11s'agissait d'en expliqueriemécanismeet,de plus,
iamultiplicitéapparente des fonctionsauxquelles, le rite une
foisdonné, on le faisait servir; de justifier, en somme, l'im-
portancede la place qu'il tient dans l'ensembledu système
religieux.
Ce premier problème en faisait surgir d'autres auxquels
nousarrivons aujourd'hui. Nousnous sommesrendu compte,
en étudiant le sacrifice,de ce qu'était un. rite. Son univer-
salité, sa constance, la logique de son développementlui
ontdonne,&nosyeux,uneaorte de nécessité,très supérieureà
l'autorité de la convention légale qui semblait suture à
on imposer l'observance. Par là déjà, le sacriuce et, par
extension,les rites en général, nous ont paru profondément
enracinésdans la vie sociale. D'autre part, le mécanismedu
sacrificene s'expliquait,selon nous,que par une application
logiquede la notion de sacré; nous supposionsqu'elle nous
était accordéeet nous en faisionsnotre point de départ; nous
affirmions,en outre, dans notre conclusion,que les choses
sacrées,misesen jeupar le sacrifice,n'étaient pas un système
d'illusionspropagées,mais que c'étaient des choses sociales,
partant, réelles. Nous avions constatéenfin que les choses
sacréesétaient considéréescommeune source inépuisablede
forces,capablesde produire des effetsinfinimentspéciauxet
inanimentvariés. Dans la mesureoù nous pouvonsvoirdans
le sacrifice un rite suffisamment représentatif de tous les
autres,nousarrivionsà cette conclusiongénéraleque la notion
fondamentalede tout rituel, celle dont l'analyse devait être
le terme de nôtre enquête, était la notionde sacré.
Maiscette première généralisationétait boiteuse, parceque
nous la tirions de l'étude d'un fait trop singulier, que nous
n'avionspas assezdépouillé de ses caractéristiquesdifIéren-
tielles. Nousl'avions considéréexclusivementcommeun rite
religieuxet non pas simplement commeun rite. Notreinduc-
tion ne vaut-elledoncque pour les rites religieux,de la qua-
litéreligieusedesquelselle dépendrait?ou peut-onretendre à
toute espècede rites, qu'ils soient religieux ou non? Mais
H. HCBEBTKT M. MAOM. – TH~OBtE O~N~nALB OB LA NAME &

d'abord, y a-t-il d'autres rites que les rites religieux? On J


t'admetImplicitementpuisqu'on parle courammentde rites
magiques.La magiecomprend, en eCet, tout un ensemblede
pratiquesqu'on s'accordepour comparer à celles de la reli-
gion.S'it y quelque part des rites autres que ceuxqui sont
nommémentreligieux,c'est bien là.
Pour vérifieret pour élargir les conclusions de notre tra-
vail, nous avonsdoncétéamenés à faire de la magiel'objetde
notresecondeétude. Si nous arrivons à retrouver à la base
de !a magiedesnotionsapparentéesà la notionde sacré, nous
seronsen droit d'étendreà toute espèce de techniquesmys-
tiqueset traditionnelles,ce qui aura été démontrévrai pour
le sacrifice.Car les rites magiques sont précisémentceux
qui, au premierabord, semblent faire intervenir le moinsde
puissancesacrée.On conçoittout t'intérét de cette recherche
qui doitnousconduirevers'unethéoriedurite en générât.Mais
là ne sebornepas notre ambition.Nous nous acheminonsen
mêmetemps vers une théorie de la notion de sacré; car, si,
dansla magie,nous voyonsfonctionnerdes notionsde même
ordre, nous aurons une tout autre idée de sa portée, de sa
généralitéet ausside son origine.
Noussoulevonsen même temps unediuicutté graveet c'est
une desraisonsqui nous a conduitsà ce travail. Nousavons
dit autrefoisque la notion de sacré était une notion sociale,
c'est-à-direun produit de l'activité collective; d'ailleurs, la
prohibitionou la prescription de certaineschoses paraissent
bienêtre,eneBet,te fruit d'unesorted'entente.Nousdevrions
doncconclureque les pratiques magiques, issues de cette
notionou d'unenotion semblable, sont des faits sociauxau
mêmetitre que les rites religieux. Mais ce n'est pas souscet
aspectque se présentent normalement les rites magiques.
Pratiquéspar des individus isolés du groupe social, agissant
dansiour intérêt propre ou dans celui d'autres individuset
en leur nom,ils semblentdemanderbeaucoup plus à t'inge-
uiositéet au savoir-fairedes opérateurs. Comment,dans ces
conditions,la magie peut-elle procéder en dernièreanalyse
d'unenotioncollectivecommela notionde sacréet l'exploiter?
Noussommesen présence d'un dilemme ou la magie est
collective,ou la notion de sacré est individuelle? Pour
résoudre ce dilemme, nous allons avoir à chercher si les
rites magiquesse passent dans un mUieu social; car, si
nous pouvonsconstater, en magie, la présence d'un pareil
t L'AKXÉE SOCMLOOtQH!.leOï.tMS

milieu,nousaurons, par celamême, démontréqu'une notion


de nature sociale commecelle de sacré, peut fonctionner
dans la magieet ce ne sera plus qu'un jeu de montrerqu'en
réalitéelle y fonctionne.
C'estici le troisièmeprofitque nous nous promettonsde
cetteétude.Nouspassonsde l'observationdu mécanismed'un
rite à l'étude dumilieudesrites, puisquece n'est que dans le
milieu, où se passentles rites magiques,que se trouventles
raisonsd'être des pratiquesde l'individu magicien.
Nousn'allonsdoncpasanalyserune sériede rites magiques,
mais l'ensemblede la magie,qui est le milieu prochain des
rites magiques.Cetessaidedescriptionnous permettrapeut-
être de résoudre prochainementla question si controversée
des rapports do la magieet de la religion. Pour le moment,
nousne nousinterdisonspasd'y toucher,mais nousnenousy
arrêteronspas, pressés que nous sommesd'atteindre notre
but. Nousvoulons comprendrela magie avant d'en expli-
quer l'histoire. Nouslaissonsde côté pour le moment et ·
nousréservonspour un prochainmémoire,ce que ces recher-
chesdoiventapporter de faitsnouveauxà la sociologiereli-
gieuse.Nousavons été tentés, d'ailleurs, de sortir du cercle ·
de nos préoccupationshabituellespour contribuer à l'étude
de la sociologieen général, en montrant comment, dans
la magie, l'individu isolé travaille sur des phénomènes
sociaux.

Le sujet que nous nous sommesassigné commandeune


méthodediSérentede cellequi nousa servi dans notreétude
du sacrifice.ÏI ne nous est pas possible ici, ou plutôt il ne
serait pas fructueux, de procéderpar l'analyse, mêmetrès
complète,d'un nombre, mêmeconsidérable,de cérémonies
magiques. La magie n'est pas en effet, comme le sacri-
fice, une de ces habitudescollectivesqu'on peut nommer,
décrire, analyser, sans jamais craindre de perdre le senti-
ment qu'elles ont une réalité, une formeet une fonction
distinctes.Ellen'est qu'à unfaibledegré une institution elle
est une espècede total d'actionset de croyances,mal défini,
mal organisé,mêmepour celuiqui la pratique et qui y croit.
JIen résulte que nous ne connaissonspas à priori ses limites
et,, partonséqnent,quenousnesommespas enétat de choisir,
à bon escient,des faits typiquesqui représentent la totalité
desfaits magiques.Il nousfaudradoncd'abordfaireunesorte
M. HUBKMTHT M. MAfM. – TM)!f)HMU~SËMAt-EDE LA MAGIE S

d'inventairede cesfaits qui nouspermettrade circonscrireà


peu près le domaine où notre recherchedoit se mouvoir.
Autrementdit, nous ne devrons pasconsidérerindépendam-
mentune sériede rites isolés,mais considérerà la foistout
ce qui constituela magie,on un mot,la décrire et la deunir
d'abord.Dansl'analysequi suivra, nousne seronspas guidés
par l'ordre de successiondes momentsd'un rite. L'intérêt
porte moinsen effetsur le plan et la compositiondes rites
que sur la naturedes moyensd'actionde la magie,indépen-
dammentde leur application,sur lescroyancesqu'elle impli-
que, lessentimentsqu'elleprovoqueet les agents qui la font.
CHAPtTRE PREMtEH

HISTORIQUE ET SOURCES

La magieest depuislongtempsobjet de spéculations.Mais


cellesdes anciensphilosophes,des alchimisteset desthéolo-
giensétant purementpratiques, appartiennentà l'histoirede
la magie et ne doiventpas prendre placedans l'histoire des
travaux scientifiquesauxquels notre sujet a donné lieu. La
liste de ceux-cicommenceavec les écritsdes frères Grimm,
quiinaugurèrentla longuesériedes recherches,&la suitedes-
quellesnotre travailse range.
Dèsmaintenant,il existe,sur la plupart des grandes classes
de faits magiques, de bonnes monographies.Soit que les
faitsaient été collectionnésd'un point de vue historique,soit
qu'ils l'aient été d'un point de vue logique,des répertoires
Immensessont constitués.D'autre part, un certain nombre
de notions sont acquises, telles la notionde survivanceou
celiede sympathie.
Nosdevanciersdirectssontles savantsde l'école anthropo-
logique,grâce auxquelss'est constituéeunethéorie déjà suf-
fisammentcohérentede la magie. M. Tylory touche à deux
reprises dans sa CM<M«!«OK primitive.Il rattache d'abordla
<ïémono!ogiemagiqueàt'animismeprimitif;dansson deuxième
volume,il parle, l'un des premiers, de magie sympathique
c'est-à-direde rites magiquesprocédant,suivantles loisdites
de sympathie,du mêmeau même, du procheau proche,de
l'imageà la chose, de la partie au tout; mais c'est surtout
pour faire voir que, dans nos sociétés,ellefait partie du sys-
tèmedes survivances.En réalité, M. Tylorne donne d'expH.
cationde la magie que dans la mesure où l'animismeen
constitueraitune.DemèmeWilkenetM. SydneyHarUandont
étudié la magie, l'un à propos de l'animismeet du chama-
nisme, l'autre à propos du gagede vie, assimilantaux rela-
tions sympathiquescelles qui existent entre l'homme et la
choseou l'être auquelsa vie est attachée.
t!T M. MAUi! –
)). HUMHXT TH~OBIBOÉK~ALB BB LA MAOtE 7

AvecMM.Frazeret Lehmann,nousarrivons&de véritables


théories.La théoriedo M. Frazer, telle qu'elle est exposée
dansla deuxièmeéditionde son ~amMfM d'or, est, pour nous,
l'expressionla plus claire de toute une tradition à laquelle
ont contribué,outre M. Tylor, sir Alfred Lyall, M. Jevons,
M.Langet aussi M. Oldenberg.Maiscomme,sous la diver-
gencedesopinionsparticulières,tousces auteurs s'accordent
à fairede la magieune espèce de scienceavant la science,et
comm&c'est ta lefonddela théoriede M.Frazer, c'estdecelle-
cique nousnouscontenteronsdeparler d'abord. PourM.Fra.
xer, sont magiques les pratiques destinéesà produiredes
effetsspéciauxpar l'applicationdes deux lois dites de sym-
pathie,loi de similaritéet loi de contiguïté,qu'il formule
de la façonsuivante « Le semblableproduit le semblable; i
leschosesqui ont étéM contact, maisqui ont cesséde l'être,
continuent&agir les unes sur les autres, commesi le con-
tact persistait. On peut ajouter commecorollaire « la
partieestau tout commel'imageest à la chose représentée,»
Ainsi,la définitionélaboréepar l'Écoleanthropologiquetend
à absorberla magiedans la magiesympathique.Lesformules
deM.Fraxersont très catégoriques&cet égard; ellesne per-
mettentni hésitationsni exceptions la sympathieest la
caractéristiquesuffisanteet nécessairede la magie; toustes
rites magiquessont sympathiqueset tous les rites sympa-
thiquessontmagiques.Onadmet bienqu'en fait les magiciens
pratiquentdes rites qui sont semblablesaux prièreset aux
sacrificesreligieux,quand ils n'en sont pas la copie ou la
parodie on admet aussique les prêtresparaissentavoirdans
nombrede sociétésune prédispositionremarquable&l'exer-
cicedela magie.Maisces faits, nousdit-on,témoignentd'em-
piètementsrécents et dont il n'y a pas lieu de tenir compte
dans la définition celle-ci ne doit considérerque la magie
pure.
Decettepremièreproposition,il est possible d'endéduire
d'autres.Tout d'abord,le rite magiqueagit directement,sans
l'intermédiaired'un agent spirituel; de plus, son efficacité
est nécessaire.Decesdeux propriétés,la première n'est pas
universelle,puisqu'onadmet que la magie,danssadégénéres-
cence,contaminéepar la religion,a emprunté à celle-cides
figuresde.dieuxet dedémons; maislavérité de la seconden'a
pas été affectéepar là, car, dans le cas ou l'on supposeun
intermédiaire,le ritemagiqueagit sur lui commesur lesphé-
8 L'ANNA i902.ta03
MCtOMMOUE.
nommes; il force, contraint, tandis que la religion concttie.
Cettedernièrepropriété,par laquelle la magiesemblese dis-
tin gueressentiellementde la religion danstousles ces où l'on
serait tentédeles confondre, reste,en fait, d'aprèsM.Frazer,la
caractéristiquela plusdurableetla plus généralede la magie.
Cettethéoriese compliqued'une hypothèse, dont la portée
est plus vaste. La magieainsi entenduedevientla formepre-
mière de la pensée humaine. Elle aurait autrefois existé&
l'état pur et l'hommen'aurait mêmesu penser, à l'origine,
qu'en termes magiques.La prédominancedes rites magiques
dans les cultes primitifset dans le folklore est, pense-t-on,
une preuvegraveà l'appui de cette hypothèse.De plus, on
affirmeque cetétat de magie est encoreréalisédans quelques
tribus de l'Australiecentraledont les ritestotémiquesauraient
un caractèreexclusivementmagique.La magieconstitueainsi,
à la fois, toute la vie mystiqueet toute la vie scieutiaquedu
primitif. Elle est le premier étagede l'évolutionmentaleque
nous puissionssupposerou constater.La religion est sortie
des échecset des erreurs de la magie. L'homme,qui d'abord
avait, sans hésitation,objectivé ses idéeset ses façons de
les associer, qui s'imaginait créer les choses comme il se
suggérait ses pensées,qui s'était cru mettre des forcesnatu-
relles commeil était maîtrede ses gestes, a fini par s'aperce-
voir que le mondelui résistait; immédiatement,il l'adouédes
forcesmystérieusesqu'il s'était arrogéespour lui-même après
avoir été dieu, il a peupléle mondede dieux. Cesdieux il ne
les contraint plus, maisil se les attachepar l'adoration,c'est-
à-dire par le sacrificeet la prière. Certes,M. Frazer n'avance
cette hypothèsequ'avecde prudentesréserves,mais il y tientt
fermement.Illa complète,d'ailleurs,en expliquantcomment,
parti de la religion, l'esprit humain s'achemine vers la
science;devenucapablede constaterles erreursde la religion,
il revient à la simple applicationdu principe de causalité;
mais dorénavant,il s'agit de causalitéexpérimentaleet non
plus de causalité magique. Nous reprendrons en détail les
divers points de cette théorie.
Le travail de M. Lehmannest une étude de psychologieà
laquelleune courtehistoire de la magie sert de préface. ï!
procèdepar l'observationde faits contemporains.La magie,
qu'il dénnit, « la miseen pratique des superstitions», c'est-
à-dire « des croyancesqui ne sont ni religieuses ni scienti-
fiques», subsistedansnossociétéssous lesformesobservables
Il. HCBBttT ET M. MAMS. TMËOMB O~NËRALEDE LA MAOtE 9U

du spiritisme et de l'occultisme.S'attachant doncà analyser


les principales expériencesdes spirites par les procédésde la
psychologieexpérimentale,il est arrivé à y voiret, par suite,
à voir dans la magie,des illusions, des prépossessions,des
erreurs de perceptionscauséespar dos phénomènesd'attente.
Tous ces travaux ont un caractère ou un défautcommun.
Onn'a pas cherchéà y faire une énumération complètedes
différentessortes de faits magiqueset, par suite, it est dou.
teuxqu'on ait encoreréussià constituerunenotionscientifique
quien embrassel'ensemble.La seuletentativequiaitétéfaite,
par MM. Frazer et Jevons, pour circonscrire la magie est
entachée de partialité. Ils ont choisi des faits soi-disant
typiques; ils ont cru à l'existence d'une magiepure et l'ont
tout entière réduite aux faits de sympathie; mais ils n'ont
pas démontré la légitimitéde leur choix. Ils laissentde côté
une masse considérablede pratiques, que tous ceux qui les
ont pratiquées, ou vu pratiquer, ont toujoursqualifiéesde
magiques,ainsi les incantationset les rites où interviennent
des démonsproprementdits. Si l'on ne tient pas comptedes
vieilles définitionset si l'on constitue définitivementune
classe aussi étroitement limitée d'idées et de pratiques,.en
dehorsdesquellesonneveuillereconnaîtreque des apparences
de magie,encoredemandons-nousqu'on expliqueles illusions
qui ont induit tant de gens à prendre pour magiquesdes
faits qui, par eux-mêmes,ne l'étaient pas. C'estce que nous
attendonsen vain. Nousdira-t-on que les faitsde sympathie
forment une classe naturelle et indépendante de faits qu'il
importe de distinguer? Il se peut; encore faudrait-ilqu'ils
aient donné lieu à des expressions, à des images,à des atti-
tudes sociales suffisammentdistinctespour qu'onpuisse dire
qu'ils sont bien séparésdu reste de la magie; nous croyons,
d'ailleurs, qu'il n'enest pas ainsi. En tout cas, il serait néces-
saire qu'il fût alors entenduqu'on nous donneseulementune
théoriedes actions sympathiqueset non pas de la magie en
général. En somme,personnene nousa donnéjusqu'àprésent
la notion claire, complèteet satisfaisantede la magie, dont
nous ne saurionsnous passer. Noussommes-donc réduits à
la constituernous-mêmes.

Pour parvenir, nous ne pouvons pas nous borner à


t'étuded'une ou de deux magies,ii nous faut enconsidérerà
la fois le plus grand nombre possible. Nousn'espéronspas
10 L'ASN~t!itOOMMatQUB.
<9<2.tMa

en euet déduirede t'analysed'une seule magie, fot-eiiebien


choisie,une espècede loide tous les phénomènesmagiques,
puisquel'incertitude oa nous sommessur les limites.de ia
magienous fait craindrede no pas y trouver représentéela
totalitédes phénomènesmagiques.D'autre part, uousdevons
nous proposerd'étudier des systèmesaussi hétérogènesque
possible.Ceserale moyeud'étabiirque,si variablesquesoient,
suivant les civilisations,ses rapports avec les autresclasses
de phénomènessociaux,la magieM'encontient pas moinspar-
tout lesmémesélémentsessentielset que, en somme,elle est
partout identique. Maissurtout, nous devonsétudier parai-
lèlementdes magiesde sociétéstrès primitiveset desmagies
de sociétéstrès différenciées.C'est dans les premièresque
nous trouverons, sous leur forme parfaite, les faits élé-
mentaires, les faits souches,dont les autres dérivent: tes
secondes,avecleur organisationpi us .complète,leurs insti
tutions plus distinctes, nous fourniront des faits plus intel-
ligiblespour nous, qui nouspermettrontde comprendreles
premiers.
Nousnous sommespréoccupésdo ne faire entrer en ligne
de compteque des documentstrès sûrs et qui nous retra-
cent des systèmes completsde magie. C'est ce qui réduit
singulièrementle champ de nos observations,pour peu que
nous veuillionsne nous attacher qu'à ceux qui appellentun
minimumde critique. Nousnous sommes donc restreints à
n'observeret à ne comparerentreellesqu'un nombrelimité de
magies.Cesontles magiesde quelquestribus australiennes s
cellesd'un certainnombrede sociétésmélanésiennes';celles

1.ArantMSpencer et GiUen, r/te.M M&MoyCfs/fat~MM<


Londres, <8M. t'itta.Pittaet tribusvoisines
duQueensland centrât
W.Roth.Ethnologieui ~Mo~tamongMe~o-M-tV~f~ Ceo<~QKWM.
«Ma~oW~MM. Brisbane.iMt –Kurnai, Murrtn~et tribusvoMuM du
Sa<t.E:tFhonet Howltt,iTcmt~'et and~Mt'txtt,
i~S; OttMtM ~<<~
lianM~, JnJoMt-Ko~ oy tha~aM)'t<~oj/<c~ 1M3,
/w<t<«<e, XIII,t.
p. iM,Mt.Id.~M<<)'0<«t<t M~Mne.jtfM. XVI,p. 32M. W<M
CM ~««fftMattSoH~a~Sott~a~M..f.~1. XVt!,p.30,aq.– CMdneu.
ments
mentapprëeieai
récieuxsontsouventlncomplels,
sont enftonten ce
surtouten ce(tn: Cos les
toi)
tncMt&tions. MMvent fneomptete, quiconcerne
2. MeaBanks,liesSalomon, NouveUeB.Mebrifte~
i M.Codrtngton. r/«~
AfetatM~aM, and
<Ae)f~n<Aw~<o~~<jM<M-e, <89e:autourd e cettetitade
capitole,nousavoMgroupéuncertainnombrod'tndte&UoM ethnogra-
pM<)nM, entreMtrescellesdoM.GmyBar Tanna (PmM~tt~e/'Me ~<M.
<M!«aM /<Meu)a<«)H
/~)'the Mvancement «/'Science,Janvier i<M)!Cf.
I l.
Stdeey Ray, S emo N otes
en</<e ln ~~MMonatM
Tannese, ~)~<))/'«<'
~<AMe~'apAM, t. Vtt,p.2S7,s~.Costravaux,intereMMts
M94, surtout pour
M. HCttfiM si M. M~U~. – TMÉOMEO~ËMt.B DE LA MANK it

de deux des nattons de souche iroquoise, CherokeesetHurons,


et, parmi les magies algonquines, celle des Ojibways*. Nous
avons également pris en considération la magie de l'ancien
Mexique". Nous avons encore fait entrer en ligne de compte
la magie moderne des Malais dés détroits", etdeux des formes
qu'a revêtues la magie dans l'Inde forme populaire contem-
poraine étudiée dans les provinces du Nord-Ouest; forme
quasi savante, que lui avaient donnée certaina brahmanes
de l'époque littéraire, dite védique*. Nous nous sommes assez

ce qu'ils nous apprennent de l'idée de Mena, sont incomplets un ce qui


concerne le dotaitdes rites, les incantations, le régimegénéral de la magie
et du magicien.
i. Chez les Cherokees,nous nous trouvons en présence de véritables
textes, de manuscritsrituels proprement dite, écrits par des magiciens, en
caractère sequoyait M.Mooneya )'ecneiHipres de 550formuleset rituels
Il a réussi souvent t en obtenir los meilleurs commentaires T/« Sac<'e<<
Formulas the C~M~Mi',VU"' ~MHxa!Report o/ Me BtH'MM o/ ~me.
ftMtMB<At<o<<~lSM; T/n M~t~ o/'</MC/<eMteM, XV!H"' ~MM.Bep.B«)'.
~)nM*.?/<)). l'our les ttufona, nous ne nous sommes sorvis que des
excellentes Indicationsde M, Hewttt sur l'orenda, dont on trouvera un
compta rendu plus loin. Les pictogrammes ojtbway (Algonquins),
retraçant les initlationsdans les diverses Mcietes magiques, nous ont été
aussi d'ano grande uU)ite.Ilsont &la fois,dans les travauxde M.Uoftmann
(Vtt"' ~XM.H?p.BMf.Amer. R//<t)., rAeM«/~fM'tMof lhe C~MXt,MS7),
la valeur de textes <c)'[tset de monuments figurés.
Z. Sur la magie mofteainpvoir le M8S. Illustré, en nahuatt et espagnol,
rédigé pour Sahague, publié, traduit, comment' par M. Seter (&t«4e)'et
«ttefZauberer im Alten~~teo, ln )~w)y. a. d. Kgl. Afa<.f. tWAe~ VU.
2. 3/t), dont les renseignementssont oxcellentsmals sommaires.
!Lo)ivrodeW. W. Skeat, Afo/ayJtfa~c.Lond. 1890,contient un excei-
tent répertoire de faits, bien anatyses. bien comptets.observés par i'au-
teur.ourecueiUis dans une notable séried'opusculesmagiques manuscrits.
4. Les Hindous nous ont foumt un corps Incomparabledo documents
magiques hymnes et lormules magiques de M<Aa)txttW« (Ed. Roth
et Whitney, iOSt; éd.aveccomm. de8ayat!a, Bombay,iM5.iMO.t vol. 4';
trad. de M. Webor, iiv. t.Vt, dans lndische Studien, vot. Xt-XYtH;trad.
de M. Henry, llv. Vtt-XtV, Paris, Maisonnouve, lM7~89e: trad., avec
commentaire, d'un choix d'hymnes, BioomneM,~)M< o/' lhe ~Mo~'M'
t~a, in Sa<MW< Bee~ of the J?<M<, vol. XLII); textesrituels du ~«MfMM-
M<nt. (Ë'Jit.Bioomneid,y<)M)-M.c/'</t<~me)'.0)'<M<a<Scc.,M9e, vol. XtV;
trad. parUette, avecnotes,et, pour ainsi dire dettntttvedo M. Ca)and, ~<<- »
~<<:tcAM&!t<AefW<t<e<, Amaterdam, <9M Webef, Omina«M<< Po~en~a.in
~M<H. <<. Ak. d. M~. Berlin, <8M. p. ÏM.ti!) Mals nous n'oublie-
rons pas que ces textesmal datés ne nous représententque l'Kne des tra-
ditions, pour ainsi dire littéraire, de l'une des écolestraAMOM~MM, atta-
citéesà t'Atharva Veda,et non pas toute la magiebrahmanique, ni, plus &
forte raison, toute la magie de t'tnde antique. Pour t'tnde moderne
nous nous sommes surtout servis du recueil do Crooke, The fopxta''
/te«j~<Mt and f<~<o)wo/' ~oW/<e)'nlndia, S vol., Lond. Constable, 1897.
II eonUentuneertatnMmbMdo lacunes, surtout pour les nuances desrites
et les textes de formules.
<2 L'ASX~BSOCtOMO!Qt:B.
1MHM3

peu servi des documents de langue sémitique, sans cependant


les négliger'. L'étude des magies grecques et tatiues'nous
a été particulièrement utile pour l'étude. des représenta-
tions magiques, et du fonctionnement réel d'une magie
bien diCérenciee. Nous nous sommes enfin servis des faits
bien attestés que nous fournissaient l'histoire de la magie
au moyen âge et le folklore français, germanique,
celtique
et finnois.

1. Nous ne connaissonsde la magie assyrienne que des rituels d'exor-


eUme FoMey.taMo~M~M~eMMe,i903.8Mt-tan)ttgiejah'enousn'avons
que des donnée fragmentaires Witton Davies. Jta~fc. DMMa<<o)t and
DemonologyatMo~ ~<e~M~M, ~9!, L. Blau. CM «M~t'M/te ?o«te)'.
«'MM, 1898.– Nous avons I)dM<de côté la magie des AMt«'!t.
Sur h valeur des MorcosgrecqaM et latines, t'an do nous t'oet dMj&
expliqué (H. Muhort, ~fa, in Dictionnaire dell ~H<<?a~ grecques
<'<WMMM de DaMtnberget Sttgtio, Vf. fMe.3), p. 9, Miv.). Nous ,nous
sommes de p)t!MfenceMn'i~ des papyru< magiques,qui nous pn!Mn(eat.
sinon des rituels entiers, du tttuin!)des indications complètes sur un
certain nombre de rites. Nous avons recouru volontiersaux textes des
alchimistes (Bertholot, CoM~foo des o~t'Mf~ ~c<). Nous ne nous
sommesservis <ta'avccprudence des textes de romans et de contesmMi.
qaes.
8. Notre étude de la magie du Moyenâge a été grandementfacilitée
par
les deux eM'itientsouvragettde M. HaMen,dont nousavonsrendu compta
(~H<x'e«)e<o/o~<«, V, p. 22Set suiv.).
CMAt'H'HEU

DÉFINITION DE LA MAGIE

Nous posons,provisoirement,en principe, que la magiea


été suffisammentdistinguée, dans les diversessociétés, des
autres systèmesde faits sociaux.S'il en est ainsi, il y a lieu
de croire que non seulementelle constitue une classe dis-
tincte de phénomènes,mais encore qu'elle est susceptible
d'une définitionclaire. Cettedéfinition,nous devonsla faire
pour notrecompte,car nous ne pouvonsnous contenterd'ap-
peler magiqueslesfaits qui ont été désignéscommetels par
leurs acteursou par leurs spectateurs.Ceux-cise plaçaient &
des pointsdo vue subjectifs,qui ue sont pas nécessairement
ceux de la science.Une religionappelle magiquesles restes
d'anciens cuites avant mêmeque ceux-ciaient cessé d'être
pratiqués religieusement;cette façon de voir s'est déjà im-
poséeà dessavantset, parexemple,un folklorlsteaussi dis-
tingué queM. Skeatconsidèrecommemagiquesles anciens
rites agrairesdes Malais.Pour nous, ne doivent être dites
magiquesque les choses qui ont vraimentété telles pour
toute une sociétéet non pas cellesqui ontété ainsi qualifiées
seulement par une fraction de société. Mais, nous savons
aussi queies sociétésn'ont pasen toujoursde leurmagieune
consciencetrès claire et que, quand ellesl'ont eue, elles n'y
sontarrivéesque lentement.Nousn'espéronsdoncpas trouver
tout desuiteles termesd'unedéfinitionparfaitequi nepourra
venir qu'en conclusiond'un travail sur les rapports de la
magieet de la religion.
La magiecomprenantdes agents, des actes et des repré-
sentations nousappelonsmagicienl'individu qui accomplit
des actes magiques, même quand il n'est pas un profes-
sionnel nous appelons~p~KfoMoM )M~«j')«M les idéeset
croyancesqui correspondentauxactes magiques quant aux
actes, par rapport auxquels nous définissonsles autres élé-
ments de la magie, nous les appelons rites magiques.Il
<4 t.'ANM~B MCMMOtQM.1MMM8

importedèsmaintenantde distinguercesactes des pratiques


socialesavec lesquellesUs pourraientêtre confondus.
Lesrites magiqueset la magietoutentièresont, en premier
lieu, des faitsde tradition.Des actesqui ne se répètentpas
ne sont pas magiques,Des actes l'efficacité desquelstout
un groupe ne croit pas, ne sont pas magiques.La formedes
rites estéminemmenttransmissibleetelleest sanctionnéepar
l'opinion.D'oùil suit que des actesstrictementIndividuels,
commeles pratiquessuperstitieusesparticulièresdesjoueurs,
ne peuventêtre appelésmagiques.
Les pratiques traditionnellesavec lesquelles les actes
magiquespeuventêtre confondussont les actesjuridiques,
les techniques,les rites religieux.Ona rattachéà la magiele
systèmede l'obligationjuridique,pour la raisonque, de part
et d'autre, il y a des mots et des gestesqui obligentet qui
tient, des formessolennelles.Maissi, souvent,les actes juri<
diques ont un caractèrerituel, si le contrat, les serments,
l'ordalie,sont par certains côtéssacramentaires,c'est qu'ils
sont mélangésà des rites, sansêtretels par eux-mêmes.Dans
la mesure ou ils ont une efficacitéparticulière,où ils font
plus que d'établirdes relationscontractuellesentre des êtres,
ils ne sont pas juridiques, mais magiquesou religieux.Les
actesrituels, au contraire,sont,par essence,capablesde pro.
duire autre choseque des conventions;ils sont éminemment
efucaces ils sont créateurs;ils font. Lesrites magiquessont
même plus particulièrementconçuscommetels; a tel
point
qu'ils ont souvent tiré leur nom de ce caractèreeffectif
dans l'Inde, le mot qui correspondle mieuxau mot rite est
.celuide karman, acte; l'envoûtementest même le
/«««)?,
hrtydpar excellence; l e mot allemandde j?aM~ a le même
oens étymologique;d'autres languesencore
emploientpour
la des
désigner magie mots dont la racinesignifiefaire.
Maisles techniques,elles aussi, sont créatrices.Les
gestes
qu'ellescomportentsontégalementréputésefficaces. Acepoint
de vue,la plusgrandepartie de l'humanitéa peineà les dis.
tinguerdesrites.Il n'ya peut-êtrepas,d'ailleurs,uneseuledes
âne auxquellesatteignentpéniblementnosarts et nos Indus-
tries que la magie n'ait été censéeatteindre. Tendant aux
mêmesbuts, elles s'associentnaturellementet leur
est un fait constant;mais il se produiten mélange
proportionsvaria-
blés.En générai,à la pêche,à la chasseet dans
l'agriculture,
la magiecôtoiela techniqueet la seconde.D'autresarts
sont,
)). HÙBBMTET M. MAC! – THÉOBtE OËXÉBAhBBB LA MAOtB iS

pour ainsi dire, tout entiers pris dans la magie.Tellessont


la médecine,l'atehimie; pendantlongtemps,l'élémenttech-
nique y est aussi réduit que possible, la magieles domine;
ellesen dépendent à ce point que c'est dans sonsein qu'eues
semblents'être développes.Nonseulementl'actemédicalest
resté, presque jusqu'à.nos jours, entouré de prescriptions
religieuses et magiques,prières, incantations, précautions
astrologiques, mais encore les drogues, les diètes du mé-
decin, les passes du chirurgien,sont un vrai tissude symbo-
lismes, de sympathies,d'homéopathies,d'antipathies,et, en
réatité, elles sont conçues commemagiques. L'efHcacité des
rites et celle de l'art ne sont pas distinguées, mais bien
penséesen mêmetemps..
La confusionest d'autant plus facile que !o caractèretra-
ditionnel de la magie se retrouvedans les arts et dans les
industries. La série des gestes de l'artisan est aussi unifor-
mémentrégléeque la sériedes gestesdumagicien.Cependant,
les arts et la magie ont été partout distingués, parce qu'on
sentait entre eux. quelque insaisissabledinérence de mé-
thode Dansles techniques, i'etïetest conçu comme produit
mécaniquement.Onsait qu'il réfutte directementde la coor-
dination des gestes, des enginset des agents physiques.On
le voit suivre immédiatementla cause; les produits sont
homogènesaux moyens le jet fait partir le javelot et la
cuisinese faitavec du feu. Deplus, la traditionest sans cesse
contrôléepar l'expérience,qui met constammentà l'épreuve
la valeur des croyancestechniques. L'existenceméme des
arts dépend de !a perceptioncontinue de cette homogénéité
des causes et des effets.Quand une techniqueest à la fois
magiqueet technique, la partie magiqueest cellequi échappe
à cette définition. Ainsi, dans une pratique médicale, les
mots, les incantations, les observancesrituellesou astrolo-
giques sont magiques; c'est là que gtteat les forcesoccultes,
les esprits et que règne tout un monde d'idées qui fait
que les mouvements,les gestes rituels, sont réputés avoir
une enicacitétoute spéctate,dinérentedeleur emcacitéméca-
nique.Ou ne conçoit pas que cesoitt'eftetsensibledes gestes
qui soit le véritable eCet.Celui-cIdépassetoujours celui-là
et, normalement, il n'est pas du mémoordre; quand, par
exemple, ou fait pleuvoir, en agitant l'eau d'une source
avecun hâtou.C'est là le propredes rites qu'onpeut appeler
desactes~'(f<~MWtt< ~'MKc~!<'<M'<~sui generis.
16 L'ASSIS OOOt.tMC~t')!. tBO!<9M

Maisnous ne sommesencorearrivés qu'à définir le rite et


non pas le rite magique,qu'il s'agit maintenantde distinguer
du rite religieux. M. Frazer, nous l'avonsvu, nous a proposé
des critères. Le premierest que le rite magiqueest un rite
sympathique. Or, ce signe est insuffisant. Non seulement
il y a des rites magiquesqui ne sont pas des rites sympa-
thiques, mais encore la sympathien'est pas particulière à
la magie, puisqu'il y a des actes sympathiques dans la
religion.Lorsque le grand prêtre, dans le temple de Jéru-
salem, à la fête de Souccoth, vershit l'êau sur l'autel, en
tenant les bras éievés, il accomplissaitévidemmentun rite
sympathique destinéà provoquerla pluie. Lorsquel'ofBciant
hindou, au cours d'un sacrifice solennel, allonge ou rac-
courcit à volontéla vie du sacrifiant,suivant le trajet qu'il
fait accomplir &la libation,son rite est encoreéminemment
sympathique. Depart et d'autre, les symbolessont parfaite-
ment clairs; le rite semble agir par lui-même; cependant,
dans l'un et dansl'autre cas, il estéminemmentreligieux les
agentsqui l'accomplissent,le caractèredes lieux ou les divi-
nités présentes, la solennitédes actes, les intentionsde ceux
qui assistent au culte, ne nous laissent &cet égard aucun
doute. Donc,les rites sympathiquespeuventêtre aussi bien
magiquesque religieux.
Le second critère, proposépar M. Frazer, est que le rite
magiqueagit d'ordinaire par lui-même,qu'il contraint,tandis
que le rite religieux adore et concilie; Fun a une action
mécaniqueimmédiate l'autre agit indirectementet par une
espècede respectueusepersuasion son agentest un intermé-
diaire spirituel. Maiscette distinctionest encore loin d'être
suHisante car souventle rite religieuxcontraint, lui aussi,
et le dieu, dans la plupart des religionsanciennés;n'était
nullementcapablede se soustraireà unrite accomplisans vice
de forme.De plus, il n'est pas exact, et nousle verrons bien,
que tous les rites magiquesaient eu uneactiondirecte, puis-
qu'il y a des esprits dans la magieet que mêmeles dieux y
figurent. Enfin, l'esprit, dieu ou diable, n'obéit pas toujours
fatalementaux ordresdu magicien,qui duit par le prier.
Il nousfaut doncchercherd'autres signes.Pourles trouver,
procédonspar divisionssuccessives.
Parmi les rites, il y en a qui sont certainementreligieux
ce sont les rites solennels,publics, obligatoires,réguliers;
tels, les fêteset les sacrements.Cependant,il y a des rites de
Il. HUBMT BT M. MAMM. T)t)~)US O~N~KALS DE LA MAOtB H

ce caractèreque M.Frazer n'a pas reconnuscommereligieux;¡


pour lui, toutesles cérémoniesdes Australiens, la plupart
des cérémoniesd'initiation, en raisondes rites sympathiques
qu'elles enveloppent,sont magiques.Or, en fait, les rites de
clans desAruntas, rites dits de l'<Mt<c~tMm<~ les rites tribaux
de l'initiation, ont précisémentl'importance, la gravité, la
sainteté qu'évoquele mot de religion.Les espèceset lesancê-
tres totémiques présents au cours de ces rites sont bien de
ces puissances respectéeson craintesdont l'interventionest,
pour M.Frazer iui-mème. le signe de l'acte religieux. Elles
sont même invoquéesau cours des cérémonies.
l! y a d'autres rites, au contraire, qui sont régulièrement
magiques. Cesontles maléfices.Nousles voyonsainsiqualifiés
constamment par le droit et la religion. Illicites, Ils sont
expressément prohibés et punis. Ici l'interdiction marque,
d'une façon formelle,l'antagonismedu rite magiqueet du rite
religieux. C'est mêmoelle qui fait le caractère magique du
maiéfice, car il y a des rites religieuxqui sont également
malfaisants; tels sontcertains casde <~oo~o,les imprécations
contre l'ennemi do la cité, contrele violateurd'une sépulture
ou d'un serment, enQntous les ritesdemort qui sanctionnent
des interdictions rituelles. On peut mêmedire qu'il y a des
matéuces qui ue sont tels que par rapport à ceux qui les
craignent. L'interdiction est la limite dont la magie tout
entièrese rapproche.
Cesdeux extrêmesforment, pour ainsi dire, les deux pûtes
de la magie et de la religion pôle du sacrifice,pote du malé-
Nce.Les religions se créent toujours une sorte d'idéal vers
lequel montent les hymnes, les veaux, les sacrificeset que
protègent les interdictions. Ces régions~la magie les évite.
Elletend vers le maiéuce, autour duquelse groupentles rites
magiques et qui donne toujours les premières lignes de
l'image que l'humanité s'est forméede la magie. Entre ces
deux pôles, s'étale une masse confusede faits, dont le carac-
tère spécittque n'est pas immédiatementapparent. Ce sont
les pratiques qui ne sont ni interdites, ni prescrites d'une
façonspéciale.Il y a des actes religieuxqui sontindividuelset
facultatifs; il y a des actes magiquesqui sont licites.Cesont,
d'une part, les actes occasionnelsdu culte de l'individu,
d'autre part, les pratiques magiques associéesaux techni-
ques, celles de la médecine,par exemple.Un paysan de chez
nous, qui exorciseles mulots de son champ, un Indien, qui
E. BpMmaw. – Année aocM., 190H9M. 2
18 L'ASXÉESOC[OLOO!QCB.
iM2.t96B

prépare sa médecinede guerre, un Finnois, qui {Manteson


armede chasse,poursuiventdesbuts parfaitementavouables
et accomplissentdesactespermis.La parenté de la magieet
du culte domestiqueest mémotelle que nous voyons,en
Mélanésie,la magiese produire dans la série des actes qui
ont pour objets les ancêtres. Bienloin de nier la possibilité
de ces contusions,nous croyons même devoir y insister,
quitte & en réserverpour plus tard l'explication. Pour le
moment, nousaccepterionspresquela définitionde Grimm,
qui considéraitla magiecomme« une espècede religionfaite
pour les besoinsinférieursde la viedomestiquea. Maisquel
que soit l'intérêt que présentepour nous la continuitéde la
magieet dela religion,il nousimporte,pour le moment,avant
tout, de classerles faits,et, pour cela, d'énumérerun certain
nombrede caractèresextérieursauxquelson puisselesrecon-
naître. Carleur parentén'a pas empêchéles gens de sentirla
différencedesdeuxsortesderi teset de les pratiquerdefaçon
à marquerqu'ils la sentaient.Nousavonsdonc à rechercher
des signes qui nous permettentd'enfaire le triage.
Tout d'abord,les rites magiqueset les rites religieuxout
souventdes agents diCérents;ils ne sont pas accomplispar
les mêmesIndividus.Quand,par exception,le prêtre fait de
la magie,son attituden'est pas l'attitude normalede sa fonc-
tion; il tournele dosà l'autel, il fait avec la main gauchece
qu'il devraitfaireavecla main droite, et ainsi de suite.
Mais il y a bien d'autres signesqu'il nous faut grouper.
D'abord, le choix des lieux où doit se passer la cérémonie
magique.Celle-cine se fait pas communémentdansle temple
ou sur l'autel domestique;elle se fait d'ordinaire dans les
bois, loindes habitations,dans la nuit ou dans l'ombre, ou
dans les recoinsde la maison,c'est-à-direa l'écart. Tandis
que le rite religieuxrechercheen général le grand jour et
le public, le rite magiquele iuit. Mêmelicite, il se cache,
commele maléfice.Mêmelorsqu'il est obligé d'agir en face
du public, le magicienchercheà lui échapper; son geste
se fait furtif, sa parole indistincte; l'homme-médeeiM,le
rebouteux,qui travaillentdevant la famille assemblée,mar-
ntonnentleursformules.esquiventleurspassesets'enveloppent
dans des extasessimuléesou réelles.Ainsi, en pleinesociété,
le magiciens'isole,<<plusforteraison quand il se retire au
fond des bois.Mêmea l'égardde sescollègues,il gardepres-
que toujours son quant à soi 11se réserve. L'isolement,
H. XfMM ET M. MAUM. – TH~ONE OÉSÉKALBM LA MAOM i~

commele secret,est un signepresque partait de la nature


intimedurite magique.Celui-ciest toujourslefait d'unindi-
viduou d'individus agissantà titre privé l'acte et l'acteur
sont enveloppésde mystère.
Cesdivers signes ne (ont, en réalité, qu'exprimer t'irré-
ti}{!<Mitédu rite magique; Il est et on veut qu'il soit anti-
religieux.Entout cas, il ne tait paspartied'un decessystèmes
organisésquenousappelonscultes.Aucontraire,unepratique
religieusemêmefortuite, mêmefacultative,est toujourspré-
vue,prescrite,officielle.Ellefait partied'un culte. Le tribut
rendu aux divinités à l'occasiond'un vœu, d'un sacrifice
expiatoirepour cause de maladieest toujours,en définitive,
un tMxnmage régulier, obligatoire,nécessaire même, quoi-
qu'il soitvolontaire.Le rite magique,au contraire, bienqu'il
soitquelquefoisfatalementpériodique(c'estle casdela magie
agricole),ou nécessaire,quand il est fait en vue de certaines
fins (d'uneguérison, par exemple),est toujours considéré
comme irréguiief, anormalet, tout au moins,peu estimable.
Lesrites médicaux,si utiles et si licites qu'on puisse se te&
'figurer,ne comportent ni la même solennité, ni le même
sentimentdu devoir accompliqu'un saerincoexpiatoireou
nu v«Mfaits à une divinitécurative.Il y a nécessitéet non
pas obligationmorale dans le recours à t'bomme-médecine,
au propriétaire de fétiche ou d'esprit, au rebouteux, au
magicien. “
Cependant,nous avons quelquesexemplesde cuites magi.
(lues.Tel est le culte d'Hécatedans la magiegrecque,celui
de Dianeet du diabledans la magiedu Moyenâge, touteune
partieducultedel'un des plusgrands dieuxhindous,Rudra-
Çiva.Maisce sont là des faits de secondeformation,'etqui
prouventtout simplementque les magiciensse sont fait un
culte pourleurcompte,modelésur lescultesreligieux.
Nousavonsobtenude la sorteune définitionprovisoirement
snCisantedu rite magique. Nousappelonsainsi tout rite qui
nefait p<M partie<<'«?c«~o~<Mt< rite privé, secret, myaté.
rieux et tendantcommelimite vers le rite prohibé. Decette
définition,en tenant comptede celleque nous avonsdonnée
desautresélémentsde la magie, résulteune premièredéter-
minationde sa notion.Onvoit que nousne définissonspas la
magiepar la formede ses rites, maispar les conditionsdans
lesquellesils se produisent et qui marquent la ptacequ'ils
occupentdans l'ensembledeshabitudessociales.
CHAPITRE111

LES ÉLÉMENTSDE LA MAGIE

1
LE )tA6!C!EN

Nousavonsappelémagicienl'agentdesrites magiques,qu'il
fut ou nonun professionnel.Nousconstatons,en eCet,qu'ily
a des rItesmagiquesqui peuventêtre accomplispar d'autres
que par des spécialistes.De ce nombresont les recettesde
bonnefemme.dansla médecinemagique,et toutes les prati-
ques de la campagne,celles qu'il y a lieu d'exécuter sou-
vent aucoursde la vie agricole;de mêmeencore, les ritesde
chasseou depèchesemblent,eu générai,à la portée de tout le
monde. Maisnous faisonsobserverque ces rites sont beau-
coupmoinsnombreuxqu'ils ne paraissent.De plus, ils res-
tent toujoursrudimentaireset ne répondentqu'à des besoins
qui, pour être communs,n'en sont pas moins très limités.
Mômedans les petits groupes arriérésqui y recourentcons-
tamment.il n'y a quepeu d'individusqui les pratiquent réel.
lement.En fait, cette magiepopulairen'a généralementpour
ministresque leschefsde familleoules maltresses de maison.
Beaucoupde ceux-ci,d'ailleurs, préfèrent ne pas agir eux.
mêmeset s'abriter derrièrede plusexpertsou de plus avisés.
La plupart hésitent, soit par scrupule, soit par manque de
confianceeneux-mêmes.On envoit qui refusentde selaisser
communiquerune recetteutile.
C'est,deplus,uneerreurdecroirequete magiciend'occasion
se sente toujours,au momentmêmeoù'il pratique son rite,
dans sonétatnormal. Trèssouvent,c'est parce qu'il cessed'y
être qu'il se trouveen positiond'opéreravecfruit. tl a observé
des interdictionsalimentairesou sexuelles;fi a jeune il a
rêvé; Il a fait tels ou tels gestespréalables;sans compterque,
pour un instantau moins,le rite faitde lui un autre homme.
IL HUBERTET M. MAUM. Tt~OtUE OKtf~ttAt.BM LA MAOtSjtt

En outre, qui se sert d'une formulemagiquese croit à son


égard, fut-elle des plus banales, un droit de propriété. Le
paysanqui dit « la recettede ma grand'mère» est, par là,
qualifiépour s'en servir; l'usage de la recetteconfineici au
métier.
Dansle mêmeordred'idées, nous signalonsle casoù tous
les membres d'une société sont investis par la croyance
publiquede qualitéscongénitales,qui peuventdevenirà l'oc-
casiondes qualitésmagiques tellessontlesfamillesde magi-
ciens dans l'Inde moderne, (Ojhas des Provincesdu Nord-
Ouest, Baigas de la province de Mirzapur).Les membres
d'une sociétésecrètepeuvent encore se trouver doués,par
le fait de leur initiation, de pouvoirmagique; de même,
ceux d'unesociétécomplèteoùl'initiationjoue un rôle consi-
dérable.En somme,nousle voyons,les magiciensd'occasion
ne sont pas,quant à leurs rites, de purs laïques.
Avrai dire, s'il y a desrites qui sont à la portéede tous et
dont la pratique ne requiert plus d'habiletéspéciale,c'est,
très souvent, qu'ils se sont vulgarisés par leur répétition,
qu'ils se sont simpliNéspar l'usure, ou qu'ils sont vulgaires
par nature. Mais, dans tous les cas, il reste au moins
la connaissancede la recette, l'accès à la tradition, pour
donner,à celuiqui la suit,un minimumde qualification.Cette
observationfaite, ondoit dire, en règlegénérale,que les pra-
tiques magiquessont accompliespar des spécialistes.H y a
des magiciens,et leur présenceest signaléepartout où les
observationsont étésuffisammentapprofondies
Nonseulementil y a des magiciens,mais théoriquement,
dans beaucoupde sociétés,l'exercicede la magieleur est
réservé.C'est ce qui nous est formellementmontré par les
textesvédiques on y voitque le ritene peut êtreexécutéque
par le brahman; l'intéressén'est mêmepas un acteur auto-
nome il assiste à la cérémonie,il suit passivementles ins-
tructions, il répète les quelques formulesqu'on lui dicte, H
touche l'officiantdansles moments solennels,maisrien de
plus;bref, il joue le rôleque le sacrifiantjouedans le sacrifice
par rapport au prêtre. Il semble même que, dans l'Inde
ancienne,cette propriétéexclusivedu magiciensur la magie
n'ait pasété simplementthéorique.Nousavonsdesraisonsde
croire qu'en fait cefut un privilègevéritablementreconnuau
brahman par la castedes nobles et des rois, celledes tM.
M~<M;certainesscènesdu théâtre classiquenousen donnent
M t.'AS}i~SOOtOt.OOH)UE.10M.t903

la lapreuve.11est vraif que, dans tout le reste de la société,


fleurit la magie populaire,moins exclusive, mais qui, elle
aussi, a ses praticiens.Une idée semblablea prévalu dans
l'Europechrétienne.Quiconquefaisaitdela magieétait réputé
magicienet puni commetoi.Le crimede magieétait un crime
habituel.Pourl'égliseet les lois,ii n'y avaitpas de magiesans
magicien.

Les~Ma<«A f~Mmagicien. N'est pasmagicienqui veut


it y a des qualitésdontla possessiondistinguelemagiciendu
commundes hommes.Les unes sont acquises et les autres
congénitales;il y en a qu'on leur prête et d'autres qu'ils pos-
sèdenteffectivement.
Onprétendque te magiciense reconnattà certainscarac-
tères physiques,qui le désignentet le révèlent, s'il se cache.
Ondit que, dans ses yeux, la pupille a mangé l'iris, que
l'images'y produitrenversée.Oncroit qu'il n'a pas d'ombre.
Aumoyenâgeon cherchaitsur son corps le «~MMM diaboli.
Il n'est pas douteux, d'ailleurs, que beaucoupde sorciers,
étant hystériques,ont présenté des stigmates et des zones
d'anesthésie.Quant aux croyances concernant le regard
particulier du magicien,elles reposent, en partie, sur des
observationsréelles. Partout on trouve des gens dont le
regardvif, étrange,clignotantet faux, le « mauvaisceii » en
un mot,tait qu'ils sont craints et mal vus.Ils sont tout dési-
guéspour être magiciens.Cesontdes nerveux, des agités, ou
des gensd'une intelligenceanormale pour les milieux très
médiocresoù l'on croit à la magie. Desgestes brusques,une
parole saccadée,des donsoratoireson poétiques font aussi
des magiciens.Touscessignesdénotentd'ordinaire unecer-
taine nervositéque,dans beaucoupde sociétés,les magiciens
cultiventet qui s'exaspèreau coursdes cérémonies.11arrive
fréquemmentque celles-cisoient accompagnéesde véritables
transes nerveuses,de crises d'hystérie,ou bien d'états cata-
leptiques.Lemagicientombedans desextases,parfoisréelles,
en généralvolontairementprovoquées.Il se croit alors, sou-
vent, et paratt, toujours, transporté hors de l'humanité.
Depuisles jongleriespréliminairesjusqu'au réveil, le public
l'observe,attentifet anxieux,commede nosjours auxséances
d'hypnotisme.Dece spectacleil reçoitune impressionforte,
qui le disposeà croireque ces états anormauxsontla mani-
festationd'une puissanceinconnuequi rendla magieefficace.
If. MUBHM'BT M. MAUS~. – TM&OMEO~N~LB M LA MAtMBM

Cesphénomènesnerveux,signesde donsspirituels,qualifient
tel et tel individu pour la magie.
Sontaussi destinés à être magicienscertains personnages
que signalent à l'attention, à la crainteet à la malveillance
publiquedes particularitésphysiquesou unedextéritéextra-
ordinaire,commeles ventriloques,les jongleurset bateleurs;
une infirmitésufBt,comme pourles bossus,les borgnes,les
aveugles, etc. Les sentiments qu'excitent en eux les traite-
mentsdont ils sont d'ordinaire l'objet, leurs idéesde persé-
cutionou de grandeur, les prédisposentmêmeà s'attribuer
des pouvoirsspéciaux.
Remarquonsque tousces individus,infirmeset extatiques,
nerveuxet forains, formenten réalitedes espècesde classes
sociales.Cequi leur donne des vertusmagiques,ce n'est pas
tant leur caractère physique individuelque l'attitude prise
par la sociétéà l'égard de tout leur genre.
Il en est de même pour les femmes.C'est moinsà leurs
caractères physiquesqu'aux sentimentssociauxdont leurs
qualités sont l'objetqu'elles doiventd'être reconnuespartout
commeplus aptes à la magie que les hommes.Les périodes
critiques de leur vie provoquent des étonnemontset des
appréhensionsqui leur font une positionspéciale.Or, c'est
précisémentau momentdela nubilité,pendantles règles,lors
de la gestationet des couches, après la ménopause,que les
vertus magiques des femmes atteignent leur plus grande
intensité. C'estalors surtout qu'elles sont censéesfournir&
la magie soit des moyensd'action, soit des agents propre.
ment dits. Les vieilles sont des sorcières; les viergessont
des auxiliairesprécieux le sang des menstrueset autrespro-
duits sont des spécifiques généralementutilisés. On sait,
d'ailleurs, que les femmessont spécialementsujettesà l'hys.
térie leurs crises nerveusesles fontalors parattre en proie
à des pouvoirs surhumains, qui leur donnent une autorité
particulière. Mais, môme en dehors des époquescritiques,
qui occupent une si grande part de leur existence, les
femmessont l'objet soit de superstitions, soit de prescrip-
tionsjuridiques et religieusesqui marquentbien qu'ellesfor-
mentune classeà l'intérieur de la société.Onles croit encore
plusdifférentesdes hommesqu'ollesne sont; on croit qu'elles
sont le sièged'actions mystérieuseset, par là même,parentes
des pouvoirs magiques. D'autre part, étant donné que la
femmeest excluede la plupart descultes,qu'elley est réduite
34 L'AXK~)!SomuMCtQUE. <90H903

&un rôle tout passif quand olle y est admise,les seules pra-
tiques,qut sont laisséesà son initiative, continentà la magie.
Le caractèremagiquedes femmes relèvesi bleu de leur qua-
lificationsocialequ'il est surtoutaiïaire d'opinion. Il y a moins
de magiciennesqu'on ne le croit. se produitsouventce phé-
nomènecurieux que c'est l'homme qui est magicienet que
c'estla femmequi est chargéede magie.DansF/it/tarM V~«,
les exorcismossontfaits contre les sorcièresalors que toutes
les imprécationsy sont faites par les sorciers.Dans la plupart
dessociétésdites primitives, les vieilles femmes, les femmes,
ont été accuséeset punies pour des enchantementsqu'elles
n'avaientpas commis.Au Moyenâge, et surtout à partir du
xiv' siècle,les sorcières paraissent en majorité; mais il faut
noter qu'onest alors en temps de persécutionet que nous ne
les connaissonsque par leurs procès; cette surabondance
de sorcièrestémoignedes préjugés sociaux que l'Inquisition
exploiteet qu'ellealimente.
Lesenfantssontsouvent,dansla magie,desauxiliaires spé-
cialement requis, surtout pour les rites divinatoires. Quel.
quefoismême,iis font de la magie pour leur propre compte,
commechezlesDieriaustraliens, commedansl'Inde moderne,
quand ils se barbouillentavecde la poussièrerecueilliedans
les tracesd'un éléphant en chantant uneformuleappropriée.
Ils ont, on le sait, une situation sociale toute particulière en
raisonde leur âge et n'ayant pas subi les initiations défini-
ti vos,ils ont encoreun caractère incertain et troublant. Ce
sont encore des qualités de classe qui leur donnent leurs
vertus magiques.
Lorsquenousvoyonsla magieattachée à l'exercice de cer'
taines professions,comme celle de médecin,de barbier, de
forgeron,de berger,d'acteur, de fossoyeur, il n'est plus dou-
teux que les pouvoirsmagiquessont attribués non pas à des
individus,maisà des corporations. Tous les médecins,tous
les bergers,tous les forgeronssont, au moinsvirtuellement,
des magiciens.Les médecins,parce que leur art est méié de
magie et, en tout cas, trop technique pour ne pas parattre
occulte et merveilleux; les barbiers, parce qu'ils touchent
à des déchetscorporels, réguliérements détruits ou cachés
par crainte d'enchantement; les forgerons, parce qu'ils
manipulentune substance, qui est l'objet de superstitions
universelleset parce que leur métier difficile,environné de
secrets, ne va pas sans prestige; les bergers, parce qu'ils
)t. XMEBTM M. MAUM. – TH&)B)K O~&tAM DE LA MAQtBSS

sont en relation constanteavec les animaux, les plantes et


les astres; les fossoyeurs,parce qu'ils sont en contactavec
la mort. Leurvie professionnellemet ces gens à part du
commundesmortelset c'est cette séparationqui leurconfère
à tousl'autoritémagique.– I! est uneprofessionqui metpeut"
être son hommeplus à l'écart qu'aucuneautre, d'autant plus
qu'elle n'estexercéeen généralquepar un seul individuà la
fois pour toute une société, même assez large, c'est cellede
bourreau. Or, précisément, les bourreaux ont des recettes
pour retrouverles voleurs,attraperles vampires,etc.; ce sont
des magiciens.
La situationexceptionnelledes individus, qui ont dans la
société une autorité particulière, peut en faire à l'occasion
des magiciens.En Australie, chez les Aruntas, le chef du
groupe local totémiquo, son maître de cérémonies,est en
mêmetempssorcier. En Nouvelle-Guinée, 11n'ya pasd'autres
hommesinfluentsque les magiciens;il y a lieudecroireque,
dans toutela Mélanésie,le chef, étant un individuà mana,
c'est-à-dire à puissance spirituelle, en relations avec les
esprits, a des pouvoirs magiquesaussi bien que religieux.
C'estsansdoutepar la mêmeraisonque s'expliquent,dansla
poésie épiquedes Hindouset des Celtes,les aptitudesmagi-
ques des princesmythiques. Lofait est assezimportantpour
que M. Frazerait introduit l'étude de la magiedans celle
des rois-prétres-dieux;il est vrai que, pour nous,les roissont
plutôt dieuxet prêtres que magiciens.D'autre part, il arrive
souventque les magiciensont une autorité politiquede pre-
mier ordre; iis sont des personnagesInfluents,souventcon-
sidérables.Ainsi, la situation socialequ'ils occupentles pré-
destineà exercerla magie,et, réciproquement,l'exercicedela
magie lesprédestineà leur situationsociale.
Dans des sociétésoù les fonctionssacerdotalessonttout à
fait spécialisées,il est fréquentque des prêtres soient sus-
pects de magie.Au Moyenâge, on considéraitque les prêtres
étaient spécialementen butte aux attaques des démonset,
par suite, tentés d'accomplirdes actesdémoniaques,c'est-à-
dire magiques.Dansce cas, c'est en tant que prêtresqu'ils
sont magiciens c'est leur célibat, leur isolement,leur con-
sécration,leurs relations avec le surnaturel, qui les singula-
risent et les exposent aux soupçons.La suspiciondont ils
sont l'objet paratt avoir été maintes fois ;ustiÛée.Ou bien
ils se livrent eux-mêmeset pour leur compte à la magie,
~6 L'.tNX&i .SOCtOMOXX.'E. iM:-t9<M

ou bien leur Intervention de patres est jugée nécessaireà


l'accomplissementde cérémonies magiqueset on les y fait
participer, souvent d'ailleurs à leur insu. Les mauvais
prêtres, et tout particulièrement ceux qui violent leur vœu
de chasteté,sont naturellement exposésà cotte accusationde
magie.
Quandune religion est dépossédée,pour les membresde
la nouvelleÉglise, les prêtres déconsidèresdeviennentdes
magiciens.C'estainsi que les Malaisou les Chamesmusul-
mans considèrentle pa~«Myou la p~s, qui sont, en réalité,
d'anciensprêtres.De m6mol'hérésie faitia magie lesCathares,
les Vaudois, etc., ontétetraités commesorciers. Maiscomme,
pourlecatholicisme,l'idéede magieenveloppel'idéede fausse
religion, nous touchons ici à un phénomènenouveaudont
nous réservonspour plus tard l'étude. Le fait en question
nous Intéressepourtant dès maintenant en ce que nous y
voyonslamagieattribuée collectivementdes groupesentiers.
Tandisque,jusqu'à présent, nous avonsvu les magiciensse
recruter dans des classes qui n'avaient, par eiies-mémes,
qu'une vaguevocation magique, ici, tousles membresd'une
sectesontdes magiciens.Tous les Juifs furent des magiciens
soit pour les Alexandrins, soit pour l'Églisedu moyenâge.
DemêmetesétraoRerssont, par le fait,en tant quegroupe,
un groupede sorciers. Pour les tribus australiennes, toute
mort naturelle, qui se produit à l'intérieur de la tribu, est
l'œuvrodes incantationsde la tribu voisine.C'est là.dessus
que reposetout Je systèmede la vendetta.Les deux villages
de Toaripiet Koitapu à Port-Moresby,en Nouvelle-Guinée,
passaientleur temps, nous dit Chalmers,à 's'attribuer des
mateneesréciproques. Lefait est presque universelchezles
peuplesdits primitifs. Undes noms des sorciers dans l'Inde
védiqueestceluid'étranger. L'étranger est surtout celui qui
habite un autre territoire, le voisin ennemi. On peut dire
que, de cepointde vue, les pouvoirs magiquesont été définis
topographiquement.Nousavons des exemplesd'une répar-
tition géographiqueprécise des pouvoirsmagiques dans un
exorcismeassyrien « Sorcière, tu es ensorcelée, je sais
délié; sorcièreélamite, je suis délie; sorcièrequtéenne,je suis
détié; sorcièresutéenne, je suis délie; sorcière luUobieune,
je suisdeiié;sorcièrechannigalbienne,je suis détié.? (Tatiq-
vist, DieAs8yrische BMc~'KM~M~M~M, tv,99.108).Quand
deux civilisationssont en contact, la magie est d'ordinaire
Il. HCBMT BT M. MACM. – THÉORtBO~KALB OB LA MAGIE27

attribuéeà !amoindre.Lesexemplesclassiquessontceuxdes
Uasyusde l'Inde, des Finnoiset desLaponsaccusésrespecti-
vement de sorcelleriepar les Hindouset les Scandinaves.
Toutesles tribus de!a broussemélanésienne ou africainesont
réputéessorcièrespar les tribus plusciviliséesde la plaineet
des rivagesde la mer. Touteslestribusnon fixées,qui vivent
au soind'une populationsédentaire,passentpour sorcières;
c'estencorede nosjours le casdes tsiganes,et celui des nom-
breusescastes errantes de l'Inde, castesde marchands, de
mégissierset de forgerons.Dansces groupesétrangers, cer-
tainestribus, certainsclans,certainesfamilles,sont plus spé-
cialementvouésà la magie.
H arrive d'ailleurs que cettequalificationmagiquene soit
pas donnéetout à fait à tort, car il y a des groupesqui pré.
tendentavoirréellementcertainspouvoirssurhumains, reli-
gieuxpour eux, magiquespour les autres, sur certainsphé-
nomènes.Les brahmanesont paru magiciensaux yeux des
Grecs,des Arabeset des Jésuiteset s'attribuenten effetune
toute puissance quasi divine.Il y a des sociétésqui s'arro-
gent le don de faire la pluieou de retenirle vent et qui sont
connuesdes tribus environnantescommepossédantcesdons.
Ainsila tribu du Mont-Gambier en Australie,qui contientun
clan maitre du vent, est accuséepar la tribu voisine des
Booandikde produire la pluie et le vent à sa volonté; de
mêmeles Laponsvendaientaux matelotseuropéensdes sacs
contenantle vent.
On peut poseren thèsegénéralequelesindividus,auxquels
l'exercicede la magieest attribué,ont déjà, abstractionlaite
de leur qualitémagique, uneconditiondistincteà l'intérieur
de la société qui les traite de magiciens.Nous ne pouvons
pas.généralisercette propositionet dire que toute condition
socialeanormale prépare à l'exercicedo la magie; nous
croyonscependantqu'unepareille induction aurait chance
d'être vraie. Mais nous ne voulons pas qu'on conclue des
faits précédentsque les magiciensont été tous des étran-
gers,des prêtres, des chefs,des médecins,des forgeronsou
des femmes;il y a eu des magiciensqui n'ont pas été recrutés
dans les classes susdites. D'ailleurs,c'est quelquefois,nous
l'avonslaissé entendre, le caractèremêmede magicienqui
qualifiepour certainesfonctionsou professions.
Notre conclusionest que, certainsindividusétant vouésà
la magiepar dessentimentssociauxattachésà leur condition,
28 t/AX~E SOCfOLOGtQCB.<MMM3

les magiciens,qui nefont paspartied'une classespéciale,doi-


ventêtre égalementl'objet de forts sentimentssociauxet que
les sentiments sociaux, qui s'attachentaux magiciensqui ne
sont que magiciens,sont les mêmesque ceux qui font que,
dans toutes les classes précédemmentconsidérées,on a cru
qu'ilyavait despouvoirsmagiques.Or, si cessentimentssont
provoquésavant tout par leur caractère anormal, nous pou-
vonsinduire que le magiciena, entant que têt, une situation
socialementdéunie commeanormale.N'insistonspas davan-
tagesur le caractèrenégatifdu magicien,et recherchonsmain-
tenantquels sont ses caractèrespositifs,ses donsparticuliers.

Nous avons déjà signalé un certain nombre de qualités


positivesqui désignent pour le rôle de magicien,nervosité,
habiletéde mains, etc. On prête presque toujoursaux magi-
ciensune dextéritéet une sciencepeu ordinaires.Unethéorie
simplistede la magiepourrait spéculer sur leur intelligence
et leur malice,pour expliquertoutson appareil par des inven-
tionset des supercheries.Maisces qualités réellesque nous
continuons à attribuer par hypothèse au magicientont
partie de son image traditionnelle, où nous voyonsentrer
bien d'autres traits, qui ont autrement servi Afonder son
crédit.
Cestraits mythiqueset merveilleuxsont l'objet de mythes
ou plutôt de traditions orales qui se présententen général
sous la formesoit de légende,soit de conte, soitde roman.
Ces traditions tiennent une place considérabledans la vie
populairedu mondeentier et constituent une des sections
principales du folklore. Commeie dit le fameux recueil
de contes hindousde Somadeva «Les dieuxontun bonheur
constant,les hommessont dans un malheur perpétuel, les
actions de ceux qui sont entre les hommes et les dieux,
sont, par la diversitéde leur sort, agréables. C'estpourquoi
je vais te raconter la vie des Vidyadhàras c'est-à-dire
des démon?et, par suite, des magiciens(~a~M-~fa-~r~-
Sagara,ï, 47). Maisces conteset ces légendesne sont pas
seulementun jeu d'imagination,un aliment traditionnelde
la fantaisiecollective;leur constanterépétition, au cours des
longuesveillées,entretient un état d'attente, de crainte, qui
peut, au moindre choc, produire des illusions et conduireà
desactes.D'ailleurs,ici, il n'y a pas de limite possibleentrela
fableet la croyance,entre le conte,d'une part, l'histoirevraie
M. HUBERTET M. ttACSS. TH)!oME titSxÉBALEM LA MAOIB 39

et le mytheobligatoirement cru, de l'autre. Aforced'entendre


parler du magicien,on nuit par le voiragir et surtout par le
consulter.L'énormitédes pouvoirsqu'on lui prête faitqu'on
nedoutepasqu'il puisseréussirfacilementà rendre les petits
services qu'un lui demande.Commentne pas croire que le
brahmane,qu'on dit supérieuraux dieux et capable de créer
unmonde,ne puisse,aumoinsà l'occasion,guérir une vache?1
Si l'image du magiciens'enfledémesurémentde conte en
conte,de contouren conteur,c'est précisémentparce que !e
magicienest un deshérospréférésdel'imaginationpopulaire,
soit en raisondes préoccupations, soit en raison de t'intérét
romanesquedont la magieest simultanémentl'objet. Tandis
que les pouvoirsdu prêtre sont tout de suite déunis par la s
religion,l'image du magiciensefait en dehors de la magie.
Ellese constituepar une inanitéde « on dit n, et le magicien
n'a plus qu'à ressemblerà son portrait. Aussi ne devrons-
nous pas nous étonner si presque tous les traits littéraires
des hérosde romansmagiquesseretrouventparmi les carac-
tères typiquesdu magicienréel.
Lesqualitésmythiquesdont il s'agit sont des pouvoirsou
donnent des pouvoirs. A cet égard,ce qui parle le plus à
l'imagination,c'estla facilitéaveclaquellele magicien réalise
toutes ses volontés.Il a la facultéd'évoqueren réalité plus
de choses que les autres n'en peuventrêver. Ses mots, ses
gestes, ses clignementsd'yeux, ses pensées mêmes sont des
puissances. Toute sa personne dégage des effluves, des
influences,auxquellescèdent la nature, les hommes, les
esprits'et lesdieux.
Outrece pouvoirgénéral sur les choses, le magicienpos-
sède des pouvoirssur lui-mêmequi font le principal de sa
force. Sa volontélui fait accomplirdes mouvementsdont les
autres sont incapables.On croit qu'il échappeaux lois de la
pesanteur,qu'il peut s'éleverdans les airs et se transporter
où il veut, en un instant. Il a le don d'ubiquité. Il échappe
mêmeaux lois de lacontradiction.En ~21, Johannes Teuto-
nicus, deHalberstadt,prédicateuret sorcier,a, dit-on, chanté
en une nuit trois messesà la fois,à Halberstadt,à Mayenceet
à Cologne;les contesde cette espècene manquent pas. Or,
sur la naturede ce transport,régne,dansl'esprit des fidèlesde
la magie,une incertitudequiest essentielle.Est-ce l'individu,
de sa personne, qui se transporte lui-même? Est-ce son
double, ou bien son âme qu'il délègueà sa place ? De cette
30 IMX-i&M
L'ANNEESOCtM.OOtQCE.

antinomie, seules !a théologie ou la philosophieont tenté de


sortir. Le public ne s'en est pas soucié.Les magiciens ont
vécu de cette incertitude et l'ont entretenue à la faveur du
mystère dont ils entouraientleurs agissements.Nous-mêmes,
nous n'avons pas à résoudre ces contradictions,qui dépen-
dent de l'indistinction,plus grande qu'on ne pense d'ordi-
naire, qui règne, dans la pensée primitive, entre Ja notion
d'âme et la notionde corps.
Mais de ces deux notions, une seule,celle d'âme, pouvait
prêter à desuffisantsdéveloppements,grâceà ce qu'elle avait
et à ce qu'elle a encorepour nous de mystiqueet de merveil-
leux. L'âme dumagicien'estencore plus étonnante,elle a des
qualités encoreplus fantastiques, plus occultes,des tréfonds
plus obscurs que lesâmesdu commun.L'âmedu magicienest
essentiellementmobileet détachablede soncorps. Atel point
que, lorsque les formes primitives des croyancesanimistes
sont abolies, lorqu'on ne croit plus, par exemple,que les
Ames vulgaires se promènent, pendant le rêve, sous les
espèces d'une moucheou d'un papillon,on conserveencore
cette propriété à l'âme du magicien. C'est même un signe
auquel on le reconnaîtencore, qu'une mouchevoltigeautour
de sa bouche pendant son sommeil. En tout cas, à la
dinérence des autres âmes, dont les déplacements sont
involontaires, celle du magicien s'exhaleà son commande-
ment. En Australie,chezles Kurnai, lors d'une séanced'oc-
cultisme, le « barn envoieson Ameépier les ennemisqui
s'avancent. Pour l'Inde, nousciteronsl'exempledes Yogins,
bien qu'il s'agissed'une mystique encoreplus philosophique
quereligieuse, et encoreplus religieuseque magique.En s'ap-
pliquant (verbe <<;),ils s'unissent (verbe ~) au principe
premier transcendantdumonde,unionoùs'obtient(verbe<t'<~)
le pouvoirmagique~<<M~<). Lessutrasde Pâtanjaltsontexpli-
cites sur ce point et ils étendent mêmecettefacultéà d'autres
magiciens que les Yogins.Les commentairesdu entra, IV,î,
expliquent que la principalesiddhiest la lévitation.En géné-
ral, tout individuqui a le pouvoir d'exhalerson âme est un
magicien; nous ne connaissonspas d'exceptionà cette règle.
On sait que c'est là le principe même de tous les faits dési-
gnés d'ordinaire sous le nom, assezmal choisi, de chama-
nisme.
Cette âme, c'est son double, c'est-à-direque ce n'est pas
une portion anonyme de sa personnne, mais sa personne
Il. )tU))HHTET M. MACM. – TH~OME QÉtt~KALE CB LA MAGM 3t

eiie-même.A sa volonté,elle se transporte au lieu de son


action, pour y agir physiquement.Même, dans certains cas,
il faut que le magiciense dédouble.Ainsi le sorcier dayak
doitaller chercherses médecinesau cours de la séance spi-
rite. Les assistants voientle corps du magicien présent et
cependant11estabsent spirituellementet corporellement,car
sondoublen'e~tpasun pur esprit. Lesdeux termesdu dédou-
blementsont identiques à ce point qu'ils sont rigoureuse-
montremplaçables.Onpeut aussi bien imaginer,en eiïet, que
le magiciense dédoublepour mettre un double à sa place et
se transporterlui.même ailleurs. C'est ainsi qu'on interpré-
tait, au Moyenâge,le transport aérien des sorciers. Ondisait
que, lorsquele magicienpartait pour le sabbat, il laissait un
démondans son lit, un TtcanHM ~o'MOKem. Cedémon sosie
n'étaitautre qu'un double.Cetexempleprouvequecettemême
idéededédoublementpeutconduireà des applicationsexacte-
mentcontraires. Aussice pouvoir fondamentaldu magicien
-t-il pu être conçu de mille manières diuérentes, et comme
comportantuneinfinitéde degrés.
Ledouble du magicienpeut être une sorte de matérialisa-
tionfugitivede son souffleet de son charme, tellequ'un tour-
billon de poussière ou de vont, d'où sort, à l'occasion, une
figurecorporellede sonâme ou de lui-même. Ailleurs, c'est
un être complètementdistinct du magicien,ou mêmepresque
indépendant de sa volonté, mais qui, de temps à autre,
apparaîtpour lui rendre service. C'est ainsi qu'il est souvent
escortéd'un certainnombred'auxiliaires, animaux ou esprits,
qui nesontautresque ses doublesou Amesextérieures.
A mi-cheminentre ces deux extrêmes se trouve la méta-
morphosedu magicien.C'esten réalité un dédoublementsous
l'aspect animal car si, dans la métamorphose, il y a bien
deuxêtres quant à la forme,dansl'essence, ils ne font qu'un.
n y a des métamorphoses,peut-être les plus fréquentes,
où l'une des formes parait annuler l'autre. C'estpar la méta-
morphosequ'en Europe est censé se produire le transport
aérien.Les deux thèmessont même si intimement liés qu'ils
ont été unis dans une seule et même notion. Au Moyenâge,
ce fut cellede.striga,qui vient d'ailleurs de l'antiquité gréco-
romaine la striga, l'ancienne «x' est une sorcière et un
oiseau.Onrencontrela sorcièrehorsdu logissousformede chat
noir, de louve, de lièvre, le sorcier sous forme de bouc, etc.
Lorsquele sorcier ou la sorcière se déplacent pour nuire,
M L'ASIE SOOMMOIQCB.
iM2.tM3

ils le font sous leur forme animaleet c'est dans cet état
qu'on prétend les surprendre. Cependant,même alors. les
deuximagesont conservétoujoursune indépendancerelative.
D'une part, le sorcier finit par garder dans ses vols noe-
turnes sa forme humaine, en chevauchantsimplementson
ancienne métamorphose.D'autrepart, il arrive que la conti- ¡
t
nuité se rompe,que le sorcier et son doubleanimal soient
employés,en même temps, à des actes diuérents. L'animal,
dans ce cas, n'est plus un dédoublementmomentané,mais un
auxiliairefamilier, dont la sorcière reste distincte. Tel est
le chat Rutterkin dos sorcièresMargaretet Filippa Flower,
qui furent brûléesà Lincoln,le mars ~6t9, pour avoiren-
voûtéun parent du comtede Rutland.D'ailleurs, dans tous
lesfaitsqui paraissentêtredesfaitsde métamorphoseabsolue,
l'ubiquité du magicien est toujours sous-entendue on ne
sait, quand on rencontre la forme animale de la sorcière,si
l'on a affaireà elle-mêmeou a unsimpledélégué.On ne peut
pas sortir de la confusionprimitivedont nous parlionsplus
haut.
Les sorcières européennes,dans leurs métamorphoses,ne
prennent pas indiitéremmenttoutes les formes animales.
Elles se changentrégulièrement,qui en jument, qui en gre-
nouille, qui en chat, etc. Ces faits nous laissent à penserque
la métamorphoseéquivaut à une associationrégulièreavec
âneespèceanimale.On rencontrede cesassociationsun peu
partout. Les hommes'médecinealgonquins,iroquoisou che-
rokees,ou même plus généralementles hommes-médecine
peaux-rouges, ont des manitous-animaux, pour parler
ojibway; de même, dans certainesiles de la Mélanésie,les
magicienspossèdent des serpentset des requins serviteurs.
En règle générale, le pouvoir du magicientient, dans ces
divers cas, à ses accointancesanimales.C'est de son animal
jassocié qu'il le reçoit; celui-ciiu! révèleles formules et
les rites. Même, les limites tracées à sa puissance sont
définies quelquefois par cette alliance chez les Peaux-
Rouges,l'auxiliaire du magicienlui confèrepouvoirsur les
bêtesde sa race et sur les chosesqui lui sont reliées c'est
en ce sens que Jamblique parlait de f~~ ~w% et de j~y"~
<:<~qui avaient pouvoirrespectivementsur les serpentset
sur les lions et guérissaientde leurs blessures.
En principe,et sauf desfaits très rares,c'est, non pas avec
un animalen particulier, maisavec une espèceanimaletout
j). MUBEMKT f. MAUSS. M~OMB G~HALE M LA MAO<t! 39

entièrequele magiciena des relations. Par là déjà, celles-ci


ressemblentaux relations totémiques.Faut-ilcroire qu'elles ,a
sonten enet tettes? Ce que nousconjecturonspour l'Europe
est prouvépour l'Australieou l'Amériquedu Nord. L'animât'~
associéest bien.un totem individuel. Howitt nous raconte
qu'un sorcierMurringavait été transporté dans le pays des
kangourous;par le fait, le kangourouétait devenuson totem;
it ne devaitplus en consommerla chair. Il està croireque les
magtciensont été les premierset sontrestés lesderniers&avoir
de pareillesrévélationset, par conséquent,à être pourvus de
totemsindividuels.Il est mômeprobableque, dans la décom-
positiondu totémisme,ce sont surtout des famillesdemagi-
ciensqui onthéritédes totems de clans pour les perpétuer.
Telest le casdo cette-famillede l'Octopus,en Mélanésie,qui
avaitie pouvoirde faire réussir la pèche du poulpe. Si on
pouvaitdémontrera coup sûr que toute espèce de relation
magiqueavecdesanimauxest d'originetotémique,on devrait
dire que, dansle casou il y a des relations de ce genre, le
magicienest quatiné par ses qualités totémiques. Mais on
peut simplementinduire de toutela série des faits, que nous
venonsde rapprocher, qu'il y a là non pas de la fable,
maisles indicesd'une véritableconvention socialequi con-
tribue&déterminerla conditiondu magicien. Contrel'Inter-
prétationquenousdonnonsde cesjfaits,on ne peutpas arguer
decequ'ilsmanquentdans un certain nombrede magies,par-
ticulièrementdans celle de l'Inde brahmanique ancienne.
Car,d'unepart, nousne connaissonscette magieque par des
textes littéraires,quoique rituels, qui sont l'ouvre de doc-
teurs en magie et sont très détachés du tronc primitif;
d'autre part, dans l'Inde même, ce thème de la métamor-
phose n'a pas manqué': contes et JAtakasabondenten his-
toiresdedémonset de saints, et de magiciensmétamorphosés.
Le folklore et la coutume magique hindoues en vivent
encore.
Nousavonsparlé plus haut d'esprits auxiliaires du magi-
cien, maisii est difficilede les distinguer des animaux avec
lesquelsles magiciensont des relationstotémiquesou autres..
Ceux-cisontou peuventêtre pris pour des esprits. Quant aux
esprits,ils ontgénéralementdes formesanimales, réellesou
fantastiques.H y a, de plus, entrele thème desanimauxauxi*
liaires et celuides esprits auxiliaires, cette relation que,
dansl'un et l'autre cas, le pouvoirdu magiciena son origine
E. BMMMf. – AM<!emctot.. 1902-1903. 3
? L'AtHtÉS <MH9<H.
SOCMLOUtQUE.
..s_L_.:1-1__1
en dehors de tui-mémo. Sa qualité de magicienrésulte de
sonassociationavecdes collaborateursqui gardentune cer-
taine indépendanceà son égard. Commele dédoublement,
cetteassociationcomportedes degrés et des formes varies.
Elle peut être tout à fait lâche et se réduire à un simple
pouvoirde communiqueraccidentellementavecdes esprits.
Le magicienconnaîtleur résidence,sait leur langage, a des
rites pour les aborder.Telles sont en générai les relations
avecles esprits des morts,les fées,et autresesprits du même
genre(~r<M~M des Malais,D'MKtaWMt~ des Aruntas,~Mt~
indoues,etc.).Dansplusieursîles de ia Méianésie,le magicien
tienten généralson pouvoirdes âmesde ses parents.
La parenté est unedes formesqu'on prête le plus commu-
némentà la relationdu magicienavecles esprits. On suppose
qu'il a pour père, pour mère, pour ancêtreun esprit. Dans
l'Indeactuelle, un certain nombrede famillestiennent leurs
qualitésmagiquesde pareilleorigine.Dansle paysde Galles,
ona fait descendrede l'union d'un hommeavec une fée les
famillesqui monopolisentles arts apparentésà la magie. 11
est encore plus commun que la relation soit figurée sous
formede contrat, de pacte,taciteou exprès,généralou parti-
lier, permanentou caduc.Uneespècedelienjuridiqueengage
les deux parties. Au Moyenâge le pacte est conçu sous la
formed'un acte, scellépar le sang avec lequelil est écrit ou
signé. C'est donc en même temps un contrat par le sang
Dansles contes,le contratnous apparaîtsouslesformesmoins
solennellesdu pari, du jeu, des courses, des épreuvessur.
montées, dans lesquellesl'esprit, démon ou diable, perd
d'ordinairela partie.
Onaime souventà s'imaginerles relationsdont i! s'agit ici,
sousla forme sexuelle les sorcièresont des incubes et les
femmesqui ont des incubessont assimiléesaux sorcières.
Le fait se rencontre à la fois on Europe,en NouvelleCalé-
donieet sans doute ailleurs. Le sabbat européen ne va
sans relations sexuelles entre les diables présents et pas les
magiciens. L 'unionpeutaller jusqu'au mariage,contrat per-
manent.Ces imagessont loin d'être secondaires;au
Moyen
âge et dans l'antiquité gréco-romaine,elles ont contribué a
former la notion des qualités positives des magiciens.La
striga est en ettet conçuecomme une femme lascive, une
courtisane,et c'est dans les controversesrelativesau cowM-
~M ~mottMMque s'est en bonne partie éclairée notion
Ia~
)). MUa'HtTET M. MAUM. – fH)!oMf! Q~ËHALB RE LA MAUft! ~5

demagie.Lesditïérentes imagespar lesquellesest représentée


l'associationdu démon et du magicien peuvent se trouver
réunies:on racontequ'un rajput, ayantfait prisonnierl'esprit
fémininde la morve, l'amena chez lui et que la descendance
qu'il en eut a, encore aujourd'hui, héréditairementpouvoir
sur le vent! ce même exemple peut contenir à la fois les
thèmesdu jeu, du pacte et de la descendance.
Cetterelationn'est pas conçue commeaccidentelleet exté-
rieure, mais comme affectant profondément la nature phy-
sique et morale du magicien. Celui-ciporte la marque du
diable,sonaitie; les sorciersaustraliens ont la langue trouée
par leurs esprits, leur ventre a été ouvert et leurs entraines
soi-disantrenouvelées.Aux lies Banks,certains sorciersont
eu la languepercée par un serpent vert (m<~).Le magicien
estnormalementunesorte de possédé,il est même, commele
devin, le type du possédé, ce que le prêtre n'est que très
rarement ii a d'ailleurs consciencede l'être et connalt géné-
ralementl'esprit qui le possède.La croyancela possessiondu
magicienest universelle. Dans l'Europe chrétienne, on le
considèresi bien commeun possédé,qu'on l'exorcise;inver-
sement,on tend &considérer le possédécommeun magicien.
D'ailleurs,nonseulementle pouvoir et l'état du magiciensont
communémentexpliqués par la possession,mais encoreil y
a des systèmesmagiques où la possessionest la condition
mêmedel'activité magique.En Sibérie, en Malaiaio,l'étatde
chamanismeest obligatoire. Dans cet état, non seulement le
sorciersent en lui la présence d'une personnalité étrangère
!<lui-même,mais encore sa. personnalité s'abolit tout à fait
et c'est, en réalité, le démonqui parle par sa bouche..Sinous
mettonsà part les cas nombreux de simulation qui, d'ail-
leurs, imitent des états réels et expérimentés, nous trou-
vonsqu'il s'agit là de faits qui, psychologiquementet pby-
siologiquement,sont des états de dédoublement de la
personnalité.Or, il est remarquable que le magicien soit,
dans une certaine mesure, le maitre de sa possession;il est
capablede la provoquer et il la provoqueen effet par des
pratiquesappropriées, comme la danse, la musique mono-
tone,l'intoxication.En somme, c'est une des qualités profes.
sionneilos,non seulement mythique, mais physique, des
magiciens,que de pouvoirêtre possédés et c'est une science
dontils ont été longtempstes dépositaires.Nousnous retrou-
vonsmaintenanttout près de notre point de départ, puisque
3<t L'AXEE MCIUbOCtOUK.fMHM3

l'exhalationde l'amoetl'introductiond'une âme ne sont,pour


l'individu comme pour la société, que deux façons de se
représenterun mêmephénomène,altérationde la personna-
lité, au point de vue Individuel,transportdanste mondedes
esprits, au point de vuesocial.Cesdeuxformesde représen-
tation peuventd'ailleurscoïncider ainsile chamanesiou ou
ojibway,qui n'agit que quand ii onest possède, n'acquiert,
dit-on, ses manitousanimaux qu'au coursd'une promenade
de son âme.
Tous ces mythesdu magicien rentrent les uns dans les
autres. Nousn'aurions pas eu à nous en occupersi longue.
ment, s'iis n'étaient les signes des opinions sociales dont
les magiciens sont l'objet. De même que le magicienest
déuni par ses relationsavec les animaux, de même, il est
définipar ses relationsavecles espritset, en dernièreanalyse,
par les qualitésde sonâme. La liaisondu magicienet de l'es-
prit va d'ailleursjusqu'àlaconfusioncomplète elleest natu-
rellement plus facilequand le magicienet l'esprit magique
portent le mêmenom le fait est si fréquentqu'il est presque
la règle on n'éprouvepasgénéralementle besoinde lesdis-
tinguer l'un de l'autre. On voit par là jusqu'à quel point le
magicienest sorti du siècle 11l'est surtout quand il exhale
son âme, e'est'à-direquand il agit; il appartient alors réel-
lement, commenousle disions plus haut, plutôt au monde
des esprits qu'au mondedes hommes.
Ainsi, mêmequand le magicienn'estpas déjà qualifiépar
sa positionsociale,ii l'e'!tau plus haut pointpar les représen-
tations cohérentesdont it est l'objet.Il est, avant tout, un
hommequi a des qualités,dos relationset, en Bn'de compte,
des pouvoirsspéciaux.Laprofessionde magicienest, en défi-
nitive, une professiondes mieux classées,peut-être une des
premièresqui l'aientété. Elleest si bienaltaire de qualifica-
tion socialeque l'individun'y entre pastoujoursd'une façon
autonomeet de sonpleingré. Onnouscitemêmedes exemples
de magiciensmalgréeux.
C'estdonc l'opinionqui crée le magicienet les influences
qu'il dégage. C'estgrâceà l'opinionqu'il sait tout, qu'il peut
tout. S'it n'y a pas de secret pour lui dans la nature, s'il
puise directementses forcesaux soureesmémesdelà lumière,
dans le soleil, dans les planètes, dans i'arc-en-ciel ou au
scindeseaux,c'est l'opinionpubliquequi veutqu'tt les puise.
D'ailleurs,cette opinionne reconnaltpas toujours à tous les
)). XUBBHTET M. MAMS. – TMÉome Q~~MLt! OK LA MAGIE 37

magiciensdes pouvoirs inimitésou les mêmespouvoirs;la


plupartdu temps, même dans des groupestrès resserrés,les
magiciensont des facultésdiverses. Nonseulementla proies-
sion de magicienconstitueune spécialité,mais encoreelle a,
elle-môme,normalement,ses spécialités.

3°J~w'tMt~ott, ~asociétém~t~c. – Comment,aux yeuxde


l'opinionet pour soi-même,devient-onmagicien? Ondevient
magicienpar révélation, par consécration et par tradition.
Cetriple mode de qualificationa été signalé par les obser-
vateurs,par les magicienseux-mêmes,et très souventii con-
duità la distinctiondediOerentesclassesde sorciers.Le~Xfft
de Patanjati déjà cité (IV, I) dit que « les «<MAt (pouvoirs
magiques)proviennent de la naissance, des plantes, des
formules,de l'ardeur ascétique,de l'extase».
Il y a révélation toutes les fois que le magiciencroit se
trouveren relation avec un ou des esprits, qui se mettent à
son service et dont i! reçoit sa doctrine. Ce premier mode
d'initiation est l'objet de mythes et de contes, les uns et
lesautres ou fort simples oufort développés.Lesplussimples
brodent sur le thème de l'arrivée de Méphistophéiéschez
Faust.Maisil en existe de bienautrement compliqués.Chez
lesMurrings,le futur sorcier (nwrup,esprit) se couchesur la
tombed'une vieille femmeà laquelle il a découpéla peaudu
ventre; pendant le sommeil,cette peau, c'est-à-dire le mxfKp
de la vieillefemme, le transporte au delà do la voûtedu ciel
où il trouvedes esprits et des dieux qui lui communiquent
rites et formules; quand il se révoiiie,il a le corps farci,
commeun sac médecine, de morceauxde quartz, qu'il sait
fairesortir de sa bouche au cours de ses cérémonies;ce sont
lesdonset les gages des esprits. Ici, d'est le magicienqui se
transportedans le monde des esprits; ailleurs, c'est l'esprit
qui s'introduiten lui; la révélationse fait ainsi par posses.
sion,chez les Sioux et chezles Malais, par exemple. Mais
dans les deux cas, l'individu retire du contact momentané
avecl'esprit une vertu permanente.Pour justifier cette per-
manencedu caractère magique, on imagine l'altération pro-
fondede la personnalité dont nous avons déjà parlé. On dit
que les entrailles du magicien ont été renouveléespar les
esprits, que ceux-ci l'ont frappé de leurs armes, l'ont mordu
à la langueet commepreuvedu traitementqu'il a subi, il peut
montrer, dans les tribus de l'Australie centrale, sa langue
38 L'AXN~E SOCIOLOGIQUE. <9M.19M

trouée. Ondit expressémentque le novicemeurt réellement


pourrenattreaprèssa révélation.
Cette idée d'une mort momentanéeest un thème général
del'initiationmagiqueaussibien que del'initiation religieuse.
Maisles magiciensprêtent plus que les autres aux contes
qu'on fait de ces résurrections. Pour sortir une fois pur
hasarddu domainehabituelde nosrecherches, nous citerons
descontesdes Esquimaux de la terre de BaMn. Un homme
voulait devenir angekok,l'angekokinitiateur le tua; it resta
étendu pendant huit jours, geté pendant ce temps, son âme
couraitles protondeursde la mer, du cielet de la terre; elle
apprenaitles secretsdela nature; quand t'a~&oA le réveitta,
en souStantsur chacun de ses membres,il était devenuange-
koklui-même.Nousvoyonslà l'imaged'une révélationcom.
plète en plusieursactes, comprenantune rénovation person.
nelle, le transport dans le mondedes esprits, l'acquisitionde
la sciencemagique,c'est-à-diredela connaissancedel'univers.
C'estau cours de dédoublementsque s'acquièrent les pou-
rvoira magiques,mais, &ta dittérencedescas de chamantsme
où les possessionset les dédoublementsdoivent être renou.
velés, ces dédoublementsinitiatoiresne se produisentqu'une
foisdansla vie du magicien,qui en retire un bénéitcedurable.
Seulement,ils sont au moins une fois nécessaires et même
obligatoires.En eftet, ces représentationsmythiques corres-
pondent bien à des rites réels d'initiation; l'individu va
dormir dans la forêt, sur un tombeau,subit toute une série
de pratiques, se prête à des exercicesd'ascétisme,à desinter-
dictions,à des tabous, qui sont des rites. De plus, l'individu
se meten extaseet rêve, et son rêve n'est pas un pur mythe,
mêmequand le magiciens'initie tout seul.
Mais,le plus souvent, interviennentd'autres magiciens
Chez les Chames, c'est une ancienne p&~tqui procure à
t'initiée ses extases premières. En générât,d'ailleurs, il y a
pour le noviceune véritable ordination,dont les agents sont
les magiciensen exercice.Les Aruntas connaissent,&cotéde
l'initiationpar les esprits, l'initiation par le magicien,qui se
composede rites ascétiques,de frictions,d'onctions et autres
rites accumulés, au cours desquels l'impétrant absorbede
petits cailloux,signes de la puissancemagique, qui émanent
de son parrain. Dansnos papyrusgrecs, nous avonsun long
manuel d'ordination magique, t'd-~ MNO<t<M< (Dietrich,
.t~o.MM,p. t66 sqq.), qui nous exposeen détail. toutes les
If. HUBMT ET M. MAUM. – TH~O!t)B O~KAtE CE LA MAG~E30

phasesd'une semblablecérémonie,purincations,rites sacri-


ilciels,invocationset pour couronner le tout, une révélation
mythiquequi explique le secret du monde.Mais un rituel
aussi complexen'est pas toujoursnécessaire.Il y a ordination
quand il y a simplementévocationen commund'un esprit
(c'est ce qui se passepour les pawotM~ malais des Détroits ou
quand il y a présentationà l'esprit dans un lieu sacré (en
Méiaaésie,par exemple);etc. En toutcas, l'initiationmagique
produit les mêmes effetsqueles autresinitiations;elledéter-
mine un changementde personnalité,qui se traduitau besoin
par un changement de nom. Elle établit uncontactintime
entre l'individu et ses alliés surnaturels, en déBnitiveune
possessionvirtuelle, qui est permanente.L'initiationmagique
se confondd'ailleurs normalement,dans certainessociétés,
avec l'initiation religieuse. Par exemple,chez les Peaux-
Rouges,Iroquois ou Sioux, l'acquisition des pouvoirs de
médecinese fait au momentde l'introductiondans la société
secrète. Nous conjecturons,sans en avoirencorela preuve,
qu'il en est de même pour certainessociétésmélanésiennes?
L'initiation, en se simplifiant, finit parse rapprocherde la
tradition pure et simple. Mais jamais la tradition magique
n'aété une chose parfaitementsimpleet banale.En fait, dans
la communicationd'une formule, le professeur,le novice,
tout l'entourage,s'il y ena un, prennentune attitude extraor-
dinaire. L'adepte est et se croit un étu. L'acteest en général
solennelet son caractère mystérieuxne nuit nullementà sa
solennité. 11 s'accompagnede formes rituelles, ablutions,
précautionsdiverses; des conditionsde tempset de lieu sont
observées;dans d'autres cas, ce qu'ily a de gravedans l'en-
seignementmagiques'exprimeparle fait que la transmission
de la recetteest précédéed'une sortede révélationcosmolo.
giquedont elle parait dépendre.Il'estfréquentque lessecrets
magiquesnesoient pas livréssanscondition.Mêmel'acheteur
d'uncharmen'en peutpas disposerlibrement,horsdesclauses
du contrat; les charmesindûmentlivrésne fonctionnentplus
ouse retournent contre qui les emploie;le folklorede tous
les pays en donne une infinitéd'exemples.Nousvoyonsdans
cescroyancesles signesd'unétat d'espritqui est réalisétoutes
les fois que se transmettent des connaissancesmagiqués,
mémo les plus populaires. Ces conditionsde transmission,
cette espèce de contrat, montrent que, pour être donné de
personne à personne, l'enseignementn'en fait pas moins
M L'Atttf~ iOtM9M
SOCIOLOOIQUE.

entrer dans une véritablesociétéfermée.Larévélation,l'ini-


tiationet la tradition sont,à ce point de vue, équivalentes;
ellesmarquentformellement,chacuneà sa façon,qu'un nou-
veaumembres'agrègeau corpsdes magiciens.
Ce N'est pas seulementl'opinion qui traite les magiciens
commeforment une classespéciale i iisse considèrenteux-
mêmescommetels. Bien qu'ils soient, commenous l'avons
dit, des isolés,ils ont pu, entait, tormerdevéritablessociétés
magiques.Cessociétésmagiquesse sont recrutéespar héré-
dité ou par coaptation.Lesécrivainsgrecs nous signalentde~.
famillesde magiciens;on nousen signale égalementdanstës~
pays celtiques, dans l'Inde, en Malaisie, en Méianésie;la
magieest une richessequi se garde soigneusementdans une
famille.Mais elle n'est pas toujours transmise suivant la
mêmeligneque les autresbiens en Mélanésie,en pleinpays
de descendanceutérine, ellepassede père à fils; dans le Pays
de Galles,ii semblequ'engénéralla mère l'ait communiquée
à son filset le père à sa fille.Dansles groupessociauxoù les
sociétés secrètes, c'est-à-direles sociétés partielles d'hom-
mes, dans lesquelles l'onentre volontairement,jouent un
grand rôle, le corps des magiciensse confond,semble-t-il,
avecla sociétésecrète. Lessociétésde magiciensque nous
décèlentles papyrus grecs, voisinentavec les société, mys-
tiques alexandrines.En générât,dans les cas où existentdes
groupesmagiques,nous nesommespas capablesde les dis-
tinguer des associationsreligieuses.Maisce que noussavons
bien, c'est qu'au Moyenâge on ne s'est représentéla magie
que commeexercée par descollectivités;les textesles plus
anciens nous parlent d'assembléesde sorcières; nous les
retrouvonsdans le mythedela chevauchéeà la suitedoDiane,
puis dans le sabbat. Cetteimage est évidemmentgrossie,
encoreque l'existencede chapellesmagiques et d'épidémies
magiquesnous soientbienattestées.Toutefois,s'il faut faire,
dans ce qu'on nous dit desfamilleset des sectesmagiques,la
part de l'opinion et du mythe,il en reste assezpour nous
donnerlieu de croireque la magiea dû toujoursfonctionner.
en partie, par petitsgroupes,tels que ceux que forment,de
nos jours, les derniers adeptesde l'occultisme.D'ailleurs,
même}àoù n'apparaît aucuneassociationexpressede magi-
ciens,il y a, moralement,ungroupeprofessionnelet cegroupe
a ses statuts implicites,maisobéis. Nous constatonsque le
magiciena généralementune règle de vie, qui est une disci-
ll. HL'BtiKT KT M. MAU~. – TttËOME Q~K~HAhR0)! LA MAO)K41

pline corporative. Cette règle consistequelquefoisdans la


reoborchede qualités morales, de la pureté rituelle, dans
une certaine gravitéde la tenue,souventen bien autrechose;
en un mot, ces professionnelsse donnentles dehorsde leur
profession.
Si l'on objecteà tout ceque nousvenonsdedire sur lecarac-
tèresocial desagentsde la magie,qu'il existeune magiepopu-
lairequi n'est pas exercée par des personnesquatiuées,nous
répondronsque les agents de celle-cis'eftorcenttoujoursde
.ressembler,autant que possible,à leur idéedu magicien.De
~h!s, nousferons remarquerque cettemagiepopulairene se
rencontrequ'à l'état de survivances,dansde petits groupes
très simples, hameauxou familles;et nous pourrionssou-
tenir, non sans quelque apparencede raison, que ces petits
groupesdont les membresreproduisentindistinctementles
mêmesgestesmagiquestraditionnelssont bien en réalitédes
sociétésde magiciens.

II

LESACTE:
Lesactesdu magiciensontdesrites,et nousallonsmontrer,
en les décrivant,qu'ils répondentbientout ce quecontient
la notion de rite. Il faut noter que, dans les recueilsde folk-
lore, ils nous sontsouventprésentéssousune formetrès peu
compliquéeet très banale; si les auteurs de cesrecueilsne
nousdisaient paseux-mêmes,aumoinsimplicitement,que ce
sontdes rites, nousserions tentésde n'y voir que desgestes
très vulgaireset sans caractèrespécial.Maisnousprétendons
qu'en général ce ne sont pas desactessimpleset dépourvus
de toute solennité.Leur simplicitéapparentevientdecequ'ils
sontmal décrits, ou mal observés,oubiende cequ'ils se sont
usés.Quant à nous,ce n'estévidemmentpas parmi les rites
réduits et mal connus que nousallons chercher les traits
typiques du rituel magique.
Nous connaissons,au contraire,un très grand nombrede
rites magiquesqui sont fort complexes.Lerituelde t'envou-
tement hindou, par exemple, estextraordinairementétendu
(&K<f<&c ~<ra, 47.49).H exigetout un matérielde bois de
mauvaisaugure,d'herbes coupéesde certainesfaçons,d'huite
particulière,defeusinistre;l'orientationestinversedel'orien-
42 L'AXKÉK 1MH9M
!H)CMMOtCPB.

tationdesrites debonaugure;on s'établitdans un Ueudésert


·nt:w.1.a_ J_ t. -u_u.- "11 W v. m

et dont le sol est saté; enfin l'enchantementdoitse faire, à


une date, indiquéeen termesesotériques,maisévidemmentà
une date sinistre, et dans l'ombre (a~o&a),sous un astérisme
néfaste(47, -i.H). Vient ensuite une Initiationspéciale,très
longue,de l'intéressé,une < dit le commentaire(Kecava
ad << ~2), analogueà celle que subit le sacrifiantà l'entrée
d'un sacriHcesolennel.A partir de ce moment,c'est le brah-
man qui devientle protagonistedu rite principal,ou plutôt
des rites qui forment l'envodtementproprementdit; car il
est impossiblede savoir, à la lecture de notre texte, si les
trente-deuxtypesde rites, que nous avons comptés(47,28 à
49. 27), rites dont plusieurs ont jusqu'à trois formes, font
partie d'une seuleet immensecérémonie,ou s'ils sontthéori-
quementdistincts. Toujoursest-il que t'un des moinscom-
pliqués,pratiquésur un voultd'argile (49,33),nes'étendpas
sur moinsde douzejours. L'envoûtementse terminepar une
purificationrituelle (49,27).-Les rites de l'imprécationchez
les Cherokeesou les Pitta-Pitta du Queenslandne sont pas
beaucoupplus simples.Enfin,nous avons,dans nos papyrus
grecset dans nos textes assyriens, des exorcismeset des
ritesde divinationqui ne sont guère moinslongs.

t" Lesconditionsdesn<es.– Si maintenantnouspassonsà


l'analysedu rite en général, nousdevonsnoterd'abordqu'un
préceptemagiquecomprend,outre l'indicationd'ua&ouplu-
sieurs opérationscentrâtes,rénumérationd'un certainnom*
bre d'observancesaccessoires,toutà fait équivalentesà celles
qui entourent les rites religieux. Toutes les fois que nous
sommesen présencede véritablesrituels, de manuelslitur-
giques,l'éaumération précise des circonstancesn'y manque
point.
Le moment où le rite doit s'accomplirest soigneusement
déterminé.Certainescérémoniesdoivent se faire la nuit ou
à des heures choisiesde la nuit, à minuit, par exemple; i
à
d'autres, certainesheures du jour, au coucherdu soleil
ou à son lever; les deux crépuscules sont spécialement
magiques.Les jours de la semainene sont pas indifférentsi
tels le vendredi, le jour du sabbat, sans préjudicedesautres
jours: dès qu'il y a eu semaine,le rite a été aMectéà un jour
MM.Demême, le rite est daté dansle mois,maisil l'est sur-
tout, et peut-êtrede préférence,par le courset le décoursde
H. HUBMT BT M. MAUSS, TH~OMB a~tt~HAU! UC LA MAtME43

la lune.Les dateslunairessontcetiesdont l'observanceest le


plus généralementfixée. Dans l'Inde ancienne, 'théorique-
ment, tout rite magiqueétait attaché à un sacrificede la
nouvelle et de la pleine lune. Même,11semblerésulterdes
textes ancienset il appert de textes plus modernesque la
quinzaine claire était réservéeaux rites de bon augure, la
quinzaineobscureaux ritesde mauvaisaugure. Lecoursdes
astres, les conjonctionset les oppositionsde la 1 une,du soleil,
des planètes,les positionsdesétoitessontégalémentobservés.
Par là, l'astrologiese trouveannexée à la magie,à tel point
qu'une partie de nos textesmagiquesgrecs se trouvedans
des ouvrages astrologiques,et que, dans l'Inde, le grand
ouvrage astrologiqueet astronomiquedu haut Moyenâge
consacreà la magie toute sa dernière partie. Le mois, le
numérod'ordrede l'annéedansun cycleentrentquelquefoisen
ligne décompte.En général,les jours de solstice,d'équinoxe,
et surtoutles nuits qui les précèdent, les jours Intercalaires,
les grandestêtes, chez nous,celles de certainssaint:, toutes
les époquesun peu singulariséessont tenues pourexception-
nellementfavorables.H arrive que toutes ces donnéess'en-
chevêtrentet déterminentdes conditionstrès rarementréati*
sables; si l'onen croyait les magicienshindous,certainsrites
ne pourraient.se pratiquer avecfruit que tous lesquarante-
cinq ans.
L&cérémoniemagique ne se fait pas n'importeoù, mais
dans des lieux qualifiés.La magie a souvent de véritables
sanctuaires, commela religion il y a des cas où leurssanc-
tuairessont communs, par exempleen Mélanésie,en Mataisie
et aussi dans l'Inde moderne,où l'autel de la divinitéde vil-
lage sert à la magie; dans l'Europechrétienne, où certains
rites magiquesdoivent être exécutésdans l'égliseet jusque
sur l'autel.Dansd'autres cas, le lieu est choisiparceque les
cérémoniesreligieusesne doivent pas s'y faire et qu'il est
soit impur, soit tout au moins l'objet d'une considération
spéciale.Les cimetières,les carrefourset la forêt, les marais
et les fossesà détritus, tousles endroits où habitentlesreve-
nants et les démons,sont pour la magiedes placesde prédi-
lection. On fait de la magiesur les limites des villageset des
champs, les seuils, les foyers,les toits, les poutrescentrâtes,
les rues, les routes, les traces, en tout endroit qui a une
déterminationquelconque.Leminimumde qualificationdont
on puisse se contenter, c'est que'le lieu ait. une corrélation
L'ANGE SOCtOLOOtQUR.
1902-1003

suffisanteavec le rite; pour enchanterun ennemi,on crache e


sur sa maisonou devantlui. Adéfaut d'autre détermination,
le magicientraceun cercle ou un carré magique,un ~mp/KM,
autour de lui, et c'est là qu'il travaille.
Nousvenonsde voir qu'ii y avait, au rite magiquecomme
au sacrifice,des conditions de temps et de lieu. Il y en a
d'autres encore. On utilise sur le terrain magique des
matièreset des instruments, maiscesderniers ne sont jamais
quelconques.Leur préparation et leur choix sont l'objet de
rites et sont mé<netout particulièrementsoumis, eux aussi,
à des conditionsde temps et de lieu. Ainsi, le chamaneche-
rokee va chercher ses herbes médicinalesà tel jour de la
lune, au leverdu soleil il les cueille dansun ordreftxé,avec
certainsdoigts,en ayant soin que son ombrene portepas sur
elles, et après avoir exécuté des circuits rituels. Onemploie
du piombqui vient des bains, de la terre.qui vientdujcime.
tière et ainsi de suite. La confectionou !a mise eu état des
choses,des matériauxdu rituel, est longue,minutieuse.Dans
l'Inde, tout ce qui entrait dans la compositiond'une amulette
ou d'un philtre, devait obligatoirementavoir macéré, être
oint longtempsà l'avance et d'une façonspéciale. Normale-
ment, les choses magiques sont, sinon consacréesau sens
religieux, du moins incantées, c'est-à-direrevêtues d'une
sorte de consécration magique.
Outre ces enchantementspréalables,unebonne partie des
chosesemployéesont déjà, comme souvent la victime du
sacrifice,une premi&requalification.Lesunessont qualifiées
par ia religion,restes de sacrificesqui eussent dû être con'
sommésou détruits, os de morts, eaux de lustratiôn, etc.
Les autres sont généralement, pour ainsi dire, disqualifiées,
commeles restesde repas, les détritus, les rognuresd'ongles
et les cheveuxcoupés, les excréments, les fœtus, les ordures
ménagèreset, en générai, tout ce qu'on rejette et qui n'est
pas d'un emploinormal. Puis viennentun certain nombrede
choses qui paraissent être employéespour elles-mêmes,en
vertu de leurs propriétés réeiiesou supposées,ou encoredo
leur corrélationavecle rite: animaux,plantes,pierres; enfin.
d'autres substancesteties que la cire, la colle,le ptatre,t'eau,
Je miel, le iait, qui ne servent qu'à amalgameret à utiliserlés
autres et semblentêtre le plat sur lequella cuisinemagique
est servie. Cesdernières substancesetios-memesont souvent
leurs vertuspropres et sont l'objet de prescriptions,quelque-
ll. MUeBaT ET M. MAUSS. THËORtE OËtt~At~ DK LA MAUtB 4!;

fois très fermettes dans l'Inde, il est, d'ordinaire, prescrit


d'employerle lait d'une vache d'une couleur déterminéeet
dont le veau a la mornecouleur qu'elle. L'énumération de
toutes ces substancesformela pharmacopéemagique. Elle a
dd tenir dans l'enseignementde la magie la place conaidé-
rable qu'elle occupe dans les doctrinaux. Mais si, pour le
mondegréco-romain,elle est si énorme qu'elle semble illi-
mitée, c'est que la magiegréco-romainene nous a pas laissé
de rituel ou de Codemagiquespratiques qui soient généraux
et complets.Il ne noussemblepasdouteuxque, normalement,
pour un groupe défini de magiciens, en un temps donné,
elle ait été presque parfaitementlimitée, comme nous le
voyonsdans les textesatharvaniquos,aux chapitres vm à x:
du A'ax{<A<t S<t~'a,ou mêmedans les manuscrits cherokees.
Leslistesde matièresont eu,selonnous, le caractère impératif
d'un Codexde pharmacieet nous considérons,en principe, les
livres depharmacopéemagique,qui nous sont intégralement
parvenus,commeayant été, chacunà son heure, le manuel
completet limitatif d'un magicienou d'un groupe de magi-
ciens.
Outrel'emploi de cesmatériaux,les cérémoniescomportent
celui de tout un outillage,dont les pièces ont fini par avoir
une valeur magiquequi leur est propre. Le plus simple de
ces outils, c'est la baguettemagique. La boussoledivinatoire
chinoisea été l'un desplus complexes.Les magiciensgréco.
latins ont tout un arsenaldebassins,d'anneaux, de couteaux,
d'échelles,de rouelles,de crécettes, de fuseaux, de clefs, de
miroirs, et,c. Le sac médecined'un Iroquois ou d'un Siou,
avec ses poupées, ses plumes, ses caittoux, ses perles tis-
sées, ses ossements,ses bAtonsà prières, ses couteauxet ses
flèches,est aussi plein de choses hétéroclitesque le cabinet
du docteurFaust.
Quantau magicienet à son client, ils sont, par rapport au
rite magique, ce que le sacrifiantet le sacrificateursont par
rapportau sacrifice Ils doivent,eux aussi, se soumettreà des
rites préliminaires, qui ne portent quelquefois que sur eux,
maisquelquefoisaussisurleurfamille ousur leur groupe tout
entier. Entre autres prescriptions,ils doiventrester chastes,
être purs, faire des ablutionspréalables, s'oindre; jeûner ou
s'abstenir de certains aliments; ils doivent porter un vête-
ment spécial, ou bien neuf,ou bien sale, tout blanc ou avec
des bandelettes pourpres, etc.; ils doivent se grimer, se
46 L'ANtf~S SOMOLOGtQM. <90S-i9t3

masquer,se déguiser,6e couronner,etc.; quelquefoisils doi-


ventêtre nus. peut-êtrepour enlevertoutebarrièreentre eux
et les pouvoirsmagiques,peut-êtrepour agir par l'indécence
rituellede la bonnefemmedu fabliau. Enfin,certainesdispo-
sitionsmentalessont exigées il est nécessaired'avoir la toi,
d'êtresérieux.
L'ensemblede toutesces observancesconcernantle temps,
le lieu, les matériaux, les instruments,les agents de la céré-
moniemagique, constitue de véritables préparations, des
rites d'entrée dans la magie, semblablesaux rites d'entrée
dansle sacrifice,dont nousavonsparlé ailleurs. Cesrites sont
si importantsqu'ils forment eux-mêmesdes cérémoniesdis'
tinctes par rapport à la cérémonie qu'ils conditionnent.
D'aprèsles textes atharvaniques,un sacrificeprécèdela céré-
monieet souvent des rites surérogatoiress'y mêlent, pour
préparerchaque nouveaurite; en Grèce,on prévoit la con-
fection,longuementdécrite, de phylactèresspéciaux,prières
oralesou écrites, talismansdivers, qui ont pour but de pro.
téger l'opérateur contre la puissance qu'il emploie, contre
ses propreserreurs ou contreles machinationsde ses adver-
saires.On pourrait, du point de vueoù nous sommesplacés,
considérercommerites préparatoiresun certain nombre de
cérémonies,qui tiennent souvent une placesans proportion
avec l'importancedu rite central, c'est-à-dire de celui qui
répondprécisément au but qu'on veut atteindre. Tellessont
les danses magiques, la musiquecontinuelle,les tamtamsi
tellesencore les fumigations,les intoxications. Toutesces
pratiquesmettent les officiantset leurs clients dans un état
spécial,non seulement moralementet psychologiquement,
mais quelquefoisphysiologiquementdifférent de leur état
normal, état qui est parfaitementréalisé dans les transes
chamaniques,les rêves volontairesou obligatoires,qui sont
aussidesrites. Le nombreet la grandeur de cesfaits prouvent
que le rite magique se passedans un milieu magiquediCé-
rencié,milieu que l'ensembledespréparationsdola cérémonie
a pourobjetde limiter et de distinguerdes autres milieux. A
la rigueur, une simple attitude,.un murmure, un mot, un
geste, un regard suffitpour en indiquer la présence.
Commepour le sacrifice,il y a encore, sinon toujours, du
moins assez régulièrement,des rites de sortie, destinés à
limiter les effets du rite et à assurer l'impunité des acteurs.
On rejetteou l'ondétroit les produits de la cérémoniequi ne
H. HUBKRT ET M. MAMS. TH~OtMBC~XÉRALEM LA MACtË 47

sont pas utilisés;on se lustre; on quitte le terrain magiqueen


ayant soin de ne pas tourner la tête. Ce ne sont pas là de
simples précautions individuelles.elles sont prescrites; ce
sontdes règles d'action,qui figurentexpressémentau rituel
cherokeeou dans le rituel atharvaniqueet ont dû faire égale-
ment partie des rituels de magiegréco-latins.Virgilea soin
deles mentionnerà la fin dela huitièmeéglogue(v.i0~.
Ferciueres,Amarylli,foras,rivoqueHuent!
Transquecaputjaco necrespexeris.
Dansla Ma~ttaKpo~, cérémoniedivinatoiredont la liturgie
nousest donnéepar le grand Papyrusmagiquede Paris, nous
trouvonsencoreune prière finalequi est un véritablerite de
sortie.
En règlegénérale,on peut dire que la magiemultiplie les
conditions des rites, au point de parattre rechercher des
échappatoireset même d'en trouver. La tradition littéraire
relative à la magie, bien loin d'avoir réduit le caractère.
apparemmentcompliquéde ses opérations, semble l'avoir
développéà plaisir.C'estqu'il tient étroitementà l'idée dela
magie. 11est d'ailleurs naturel que les magiciensse soient.
retranchés,en casd'insuccès,derrièrela procédureet lesvices
deforme.Maison n'a pas le droit de supposerqu'il n'y ait ou
là qu'un simple artifice. Les magiciens eu auraient été les
premièresvictimes, se rendant ainsi leur professionimpos-
sible. L'importanceet la protiférationillimitéede ces rites
tient directementauxcaractèresessentielsde la magiemême.
Il est à noter que la plupart descirconstancesà observersont
descirconstancesanormales.Sibanalque soitle rite magique,
on veut le faire rare. Cen'est passans raisonqu'onn'emploie
que des herbes de la Saint-Jean, de la Saint-Martin,de la
Noël,du VendrediSaintou des herbes de la nouvellelune.
Cesont des chosesqui ne sont pas ordinaireset il s'agit en
sommede donnerà ia cérémoniece caractère anormal vers
lequel tend tout rite magique.Los gestes sont l'inversedes
gestesnormaux, ou tout au moins de ceux qui sont admis
dans les cérémoniesreligieuses les conditions de temps
et les autres sontapparemmentirréalisables; tout le matériel
estde préférenceimmondeet les pratiques obscènes.Le tout
a un air de bizarrerie,d'aHOotation, de contre-nature,aussi
éloignéque possiblede la simplicitéà laquellequelques-uns
desderniers théoriciensont réduitla magie.
48 t/AN~XB MUtOLOOtOUB.1MM9M

La Ka<M)'e des rites. Nousarrivons maintenantaux


cérémoniesessentielleset directementeMcaces.Ellescorn- f
prennentd'ordinaireà la foisdes ritesmanuels et des rites
oraux.Endehorsdecettegrandedivision,nousne tentonspas
unectassiCcationdes rites magiques.Nousconstituonssim-
plement,pour les besoinsde notre exposition, un certain j.i
nombrede groupesde rites,entre lesquelsil n'y a pas dedis-
tinctionbien tranchée.

Lesrites maMM~. Dansl'état actuel de la sciencedes


religions, le groupedes rites sympathiquesou symboliques
est le premierqui se présentecommeayant plus particuliè-
rement un caractère magique.Leur théorie a été suffisam-
ment faiteet des répertoiresassezconsidérablesen ont été
dressés, pour que nous soyonsdispensésd'y insister. A la
lecturede ces répertoires,on pourra peut-êtrepenser quele
nombredes rites symboliquesest théoriquementindéfiniet e
que tout acte symboliqueest, par nature, efncace.Nouspen-
sons, au contraire, sans cependantpouvoiren apporter la
preuve, que, pour une magie donnée, le nombre des rites
symboliques,prescritset exécutés,est toujours limité. Nous
croyons,en outre, qu'its ne sont exécutés que parce qu'ils
sont prescritset nonparcequ'ils sontlogiquementréalisables.
En face de l'infinité des symbolismespossibles, mêmedes
symbolismes observés dans l'ensemblede l'humanité, le
nombrede ceux qui sont valablespour une magieest singu-
lièrement petit. Nous pourrionsdire qu'il y a toujours des
codeslimitatifsde symbolismes,si nous trouvions en réalité
des cataloguesde rites sympathiques;ces catalogues,11est
naturel que nousn'en ayonspas, car les magiciensn'ont eu
besoinde classerlesrites quepar objetset non par procédés.
Nousajouteronsque, si le procédésympathiqueest d'un
emploigénéraldanstouteslesmagiesetdanstoutel'humanité,
s'il y même devéritablesrites sympathiques,les magiciens
n'ont pas, en général,librementspéculésur la sympathie,iis <
se sont moinspréoccupésdu mécanismede leurs rites quede
la tradition qui les transmetet de leur caractèreformel ou
exceptionnel.
En conséquence,ces pratiquesnous apparaissent,non pas
commedes gestesmécaniquementefficaces,maiscommedes
actes solennelset de véritablesrites. En tait, des rituels qui
nous sont connus, hindous, américains ou grecs, il nous
M. HUMM HT M. MAtMS. TUÉOME QÉNXRA~BCE t~ MAOB 49

seraitfortdifficile
serait d'extraire onn
fort difftcitft (t'aiftrniM une ttcta
listettnc rites n.tt.
des .)M sympathiques
purs. Les variationssur te thème de la sympathie sont si
nombreusesque celui-cien est commeobscurci.
Matsil M'ya pas que des rites sympathiquesen
magie.JI y
a d'abordtoute une classede rites qui équivalentaux rites
deia sacralisationet de la désacralisationreligieuses.Le sys-
tomedes purificationsest si importantque la f<<~hindoue,
J'expiation, sembleavoir été uue spécialitédes brahmanesde
i'AtharvaVedaet que le motde x<ttt<(~{, en Grèce,a fini par
désignerle rite magiqueen générât. Ces purificationssont
faitesavecdes fumigations,des bainsde vapeur, des passages
au feu,à l'eau, etc. Une bonne partie des rites curatifs et
desrites conjuratoiressont faits de pareillespratiques.
Il y a ensuitedes rites sacrificiels.Il y en a dans la M~rtfjt
Kj)o' dontnous parlousplus haut, et dans l'envoûtement
hindou.Dansles textes atharvaniques, outre les sacrifices
obligatoiresde préparation, la plus grande partie des rites
sontdes sacrificesou en impliquent ainsi, l'incantationdes
flèchesse faitsur un bûcherde boisde flèches,qui est sacrifi-
ciel danftoutce rituel, une part de toutce qui est consommé
est nécessairement sacrifiée.Dansles textesgrecs, les indica-
tionsde sacrificessont tout au moinsfréquentes.L'imagedu
sacrifices'est mômeimposéeau point de deveniren magie
une image directrice, suivant laquelle s'ordonne dans la
penséel'ensembledes opérations;ainsi, dans les livresatchi.
miquesgMcs,nous trouvons,à plusieurs reprises, la trans-
mutationdu cuivreen or expliquéepar une allégoriesacrifi-
cielle. Le thème du sacrificeet, en particulier, du sacrifice
d'enfantest commundans ce que nous savons de la magie
antiqueet de celledu moyenàge on en rencontredes exem-
ples un peu partout; toutefoisils nous viennent plutôt du
mytheque de la pratique magique. Nous considéronstous
cesritescommedes sacrifices,parcequ'en fait its noussont
donnéscommetels; les vocabulairesne les distinguentpas du
sacrifieeretigieuxpasptusqu'iisnedistinguenttespuriftcations
magiquesdes purificationsreligieuses.!)'aiHeur8,iis produi-
sentles mêmeseffetsque les sacrificesreligieux, its dégagent
des influences,des puissanceset ce sont des moyensde com-
muniqueraveccelles-ci.Dans la M~nta Kpov~, le dieu est
vraimentprésentà la cérémonie.Lostextesnous apprennent
aussi que, dans ces rites magiques, les matières traitées se
trouventréellementtransforméeset divinisées.On lit dans
Ë. DomBNN. AanfeMetot., <90Mt(H. 4
50 L'ANNEE 1902-1903
SOCMMatQUE.

une incantationqui no nous paratt pas d'ailleurs avoirsubi


..mn imnnnl..·41 tg dn..tll.f.t.!

une influencechrétienne X'~<!o~o;o'~x<Ïotv~ xf~~


<< a~o<.o'~xt! t<o;,AM.jt
~t 'A9fi'<3!<, *4~t~yy~x tôt 'Oatt~o;,
<n:A~ 'ha. (/</n<s CXXt[B.M.].710.)
11 y a donc des sacrificesdans lu magie, mais nous n'en
trouvons pas dans toutes ies magies ainsi, chez les Che-
rokeesou en Australie, Ils font défaut.En Malaisie,ils sont
très réduits les ofïrandesd'encenset de fleursy aont proba-
blementd'originebouddhiqueou hindouiste.et les sacrifices,
très rares, de chèvreset de coqssemblentsouventd'origine
musulmane.En principe,ta oùmanquele sacrificemagique,le
Mcrincereligieuxmanqueégalement.Eu toutcas, i'etude spé-
cialedu sacrificemagiquen'est pas aussi nécessaireà l'étude
de la magiequecelledurite sympathiqueet nous la réservons
pour un autre travail,où nous compareronsspécialementle
rite magiqueau rite religieux.Toutefois,on peut déjà poser
en thèse généraleque les sacrificesne forment pas, dansla
magie, commedans la religion, une classe bien ferméede
rites très spécialises.D'une part, comme dans l'exemplecité
plus haut du sacrificede bois de Oecheset, par définition~
dans tous les cas de sacrificesexpiatoires magiques,Ils ne
font qu'envelopperie rite sympathique,dont its sont alors, à
proprementparler, la forme.D'autre part, lis touchentà la
cuisinemagique.Ils ne sont plus qu'une manière eutre mille
de la faire. Ainsi, dans la magiegrecque, la confectiondes
ne se distingue pas des sacrifices les papyrus
)MD.o':pt!!t
donnent aux mélangesmagiquesdestinés aux fumigations
ouà tout autre chosele nom d'h~M~x.
Nousnoustrouvonsicien présenced'une grande classede
pratiquesmal définiesqui tiennent,dans la magieet dans ses
doctrinaux,uneénormeplace; car elles confinentà l'emploi
des substancesdont les vertus doivent être transmises par
contact;en d'autres termes,elles fournissentle moyend'uti-
liser les associationssympathiquesou d utiliser sympathi-
quemontleschoses.Commeelles sont aussi étrangesqu'elles
sont générâtes, elles colorent de leur bizarrerie tout l'en-
semblede la magieet fournissentun des traits essentielsde
son imagepopulaire.L'auteldu magicien,c'estson chaudron
magique.La magieest un art d'accommoder,de préparer des
métnnges,des fermentationset des mets. Ses produits sont
triturés, broyés, malaxés, dilués, transformés en parfums,
en boissons, en infusions,en pâtes, en gâteaux à formes
Il. ttUXRM ET M. MACSt. TMÉOME O~SÉHALSOE t.A MAGIEIH

spéciales.en images,pour être fumigés,bus, mangésou gar-


dés commeamulettes. Cotte cuisine, chimieou pttarmacie,
ri passeulement pour objetda rendre utilisablesles choses
magiques,elle sort à leur donner la formé rituelle, qui tait
unepartie, et non la moindre,de leur efïicacité.Elleest elle-
même rituelle, très fermetteet. traditionuette;lesactesqu'elle
comportesont des rites. Cesrites ne doivent pas être rangés
indifïéretnmentparmi les rites préparatoiresou concomitants
d'unecérétnoniemagique.La préparationdes matièreset ia
confectiondes produits est l'objet principal et centra) de
cérémoniescomplètes,avecrites d'entrée et rites de sortie.
Cequ'est au sacrifice l'accommodationde la victime,cette
cuisinel'est au rite magique.C'estun momentdu rite.
Cet art d'accommoderles choses est compliquéd'autres
industries.Lamagiepréparedesimages,faitesdepâte,d'argile,
de cire, de miel, de plâtre, de métal ou de papiermâché,de
papyrusoude parchemin,de sableou do bois,etc. La magie
suutpte.modèie, peint, dessine,brode, tricote, tisse, grave
ellefait de la bijouterie, dela marqueterie,et'nous nesavons
combiend'autres choses.Cesdivers métierslui procureutses
figurinesde dieux ou de démons,ses poupéesd'envoûtement,
ses symboles.EUe fabriquedes grigris, des scapulaires,des
talismans,des amulettes, tous objets qui ne doivent être
considérésque commedes rites continués.

Lesf'~MOt'aM.r. – On désigned'ordinaire les rites oraux


magiquessous le nom génériqued'incantations,et nous ne
voyonspas do raison pour ne pas suivre méthodiquement
l'usage.Maiscela ne veut pas dire qu'il n'y ait qu'une seule
espècedorites oraux en magie.Bienloin de là, le systèmede
l'incantationa une tette importancedans la magie,qu'il est,
danscertainesmagies, extrêmementdiuérencié.U oè semble
pasqu'on lui ait jamais faitla part exactequi lui revient.A
lire certainsrépertoires modernes,on pourrait croire que la
magiene se composeque de rites manuels; lesrites orauxn'y
soutmentionnésque pour mémoireet disparaissentdans la
longueénumérationdu reste.D'autres recueilsau contraire,
commeceluideL~nnrot, pourlamagiennnoise.necontiennent
quedesincantations.Ilestrare qu'on nous donneuneidéeaui-
Osantede l'équilibre desdeux grandesclassesderites,comme
l'ont<aitSkeat pour la magiemalaise,ou Mooneypourcelle
desCherokees.Les rituelsoules livresde magiciensmontrent
r
CS t/A~Ét! SOCtOK)0!QUE. 160H9M

que d'ordinaireles uns ne vont pas sans les autres. Ils sont
si intinttitnentassociesque, pour donner une idéeexactedes
cérémoxiesmitgiques, ii faudrait lesétudier concurremment.
Si l'une des deuxctasses tendait à prédominer,ce serait plu-
tût celle des incantations.!i est douteux qu'il y ait ou de
véritahtesritesmuets,tandis qu'it est certainqu'un trèsgrand
nombrede rites ont été exclusivementoraux.
Noustrouvonsdans la magie à peu près toutes lesformes
de rites oraux que nous connaissonsdans la religion ser"
ments,vceux.souhaits,prières,hymnes,interjections,simples
iormuies.Mais,pas plus quenous n'avonsessayedéclasserles
rites manuels,nousn'essayeronsde classer sousces rubriques
lesrite'; oraux.Kiiesnecorrespondentpas icià desgroupesdo
faitsbien définis.Le chaos de la magie fait que la formedes
rites ne répondpas exactementà leur objet. 11y a desdispro-
portionsquinousétonnent;nous voyonsdes hymnesdela plus
hauteenvoiéeassociéesaux fins les plus mesquines.
Ii existeun grouped'incantations qui correspondà ce que
nousavonsappelé les rites sympathiques. Les unesagissent
ettes-mémessympathiquement.H s'agit de nommerles actes
ou les choseset de les susciterainsi par sympathie.Dans un
charmemédicalou dans un exorcisme,on jouerasur les mots
qui signifientécarter, rejeter, ou biensur ceuxqui désignent
la maladieou le démon, cause du mal. Les calembourset les
onomatopées comptentparmi les moyensemployéspour com-
battre verbalement,par sympathie, la maladie.Unautre pro-
cédé, qui donne lieu a une sorte de classe d'incantations
sympathiques,est la descriptionmêmedu rite manuelcorres.
pondant !MM'a~ x«t ~< -M~. Af~t So;<M ~<MM
(Théocrite.H, 3i). 1! semble qu'on ait supposésouventque la
description,ou la mentionde l'acte, suffit et à le produireet
à produiresoneffet.
ne mêmequêta magiecontient dessacrifices,ellecontient
aussi des prières, des hymnes et tout particulièrementdes
prières aux dieux. Voiciune prière védique prononcéeau
coursd'un simple rite sympathiquecontre t'hydropisie(X<t«.
çika~t-« 23,37,sq.) c CetAsura règne sur les dieux;certes,
la volontédu roi Varuna est vérité (se réalise immanqua-
blement) de ceci(de cette maladie)moi qui excellede toutes
parts par mon charme, de ta colère du terrible (dieu), je
retire cet homme. Qu'honneurte soit (rendu) 6 roi Varuna,à
ta colère;car, 6 terrible, toute tromperie, tu la connais.Mille
Il. MUMHT ET M. MAUM. – Tft~OME QHStiKALEDS t.A MAUtK 63

autres hommes,je te les abandonne ensemble;que, par ta


bonté(?), il vivecent automnes cet homme. etc. Varuna,
dieu des eaux, qui sanctionneles fautes par l'hydropisieest
implorénaturellementau coursde cet hymne(/t~<ca <
I, ou plus exactementde cette formule(~'aAmaM, vers 4).
Dans les prières ù Artémiset au soleil qu'on a relevéesdans
les papyrus magiquesgrecs, la belle teneur lyriquede l'in-
vocationest dénaturéeet étoufféepar l'intrusiondo tout te
'fatras magique.Les prières et les hymnesqui rappollenlde si
près, pour peu qu'on les dépouitiede cet appareilInsolite,
celles que nous sommes habituésô considérercommereli-
gieuses,proviennentsouventderituels religieux,en particu-
lier de rituels abolisou étrangers. Ain~i,M. Dieteriehvient
d'extraire du grand papyrus de Paris tout un morceaude
liturgie mithriaque. De mêmeles textes sacrés,chosesreli-
gieuses, peuvent devenir à l'occasionchosesmagiques.Les
livres saints, Bible,Coran,Vedas,Tripitakas,ont fournid'in-
cantations une bonne partie de l'humanité. Que le système
des rites oraux à caractèrereligieux se soit étendu&ce point
dans les magies modernes, nous ne devons pas nous en
étonner; ce faitest corrélatifà l'extensionde ce systèmedans
la pratiquede la religion,de mêmeque l'applicationmagique
du mécanismesacrificiel est corrélative à son application
religieuse.Il n'y a pour une société donnée qu'un nombre
limitéde formesrituelles qui soientconcevables.
Ce que les rites manuelsne font pas normalementdans la
magie,c'est de retracer des mythes. Mais,par contre, nous
avonsun troisièmegroupe de rites verbaux,que nousappel-
lerons incantations mythiques. Do ces incantations,il y a.
une première sorte qui consiste à décrire une opération
semblable a cette qu'on veut produire. Cettedescriptiona
la forme d'un conte ou d'un récit épique et les personnages
en sont héroïquesou divins. Onassimile lecas présentau cas
décritcomtneàunprototypo,etleraisonnementprendia forme
suivante Si un tel (dieu, salut ou héros)a pu fairetelle ou
telle chose (souventplus difficile),dans telle circonstance,
de même, ou à plus forte raison, peut-il faire la mêmechose
dansle cas présent, qui est analogue. Unedeuxièmeclasse
de ces charmes mythiques est forméepar ce qu'ona appelé
les WtM(<'oW~tKc;ceux ci décriventla genèse,énumërentles
qualitéset les nomsdel'être, de lachoseou du démonvisépar
le rite; c'est unesortede dénonciationqui dévoilel'objet du
lit t'ASK~BMfitOMfUOM. <M2.J6M

charme le magicien lui intente un procèsmanque, établit


son identité le traque, le force, le rendpassif et lui intime
des ordres.
Toutescesincantationssontcapablesd'atteindredes dimen-
sions considérables.Il est plus fréquentencore qu'eues se
rétrécissent!le balbutiementd'une onomatopéo.d'unmot qui
indiquel'objet du rite, du Nomdelà personnedésignéefait à
la rigueuraprèsque lerite oral n'ait plusqu'une actiontoute
mécanique.Les prières se réduisent aisément à ia simple
mentiond'un nom divinou démoniaque,ou d'un mot reii-
gieux presquevide, commele MM~ottou le ~o<fMcA,etc.
Les charmes mythiquesfinissent parse borner à la simple
énonciationd'un nompropreou d'un nomcommun. Lesnoms
eux-mêmesse décomposent on les remplacepar des tettres
le trisagion par sa lettre initiale, les nomsdes planètes par
les voyellescorrespondantes;on en arriveainsi aux énigmes
que sont les 'E~.x y~jt~~ ou aux faussesformules algé-
briques,auxquellesont aboutilesrésumésd'opérationsalchi-
miques.
Si touscesrites oraux tendent vers lesmêmesformes, c'est
qu'ils onttous la mêmefonction. lis ont tout au moins pour
effet d'évoquer une puissanceet de spécialiserun rite.On
invoque,on appelle, on rend présentela forcespirituelle qui
doit taire le rite efficace,ou tout au moins, on éprouve le
besoin de dire sur quellepuissanceon compte c'est le cas
des exorcismesfaits au nomde tel ou tel dieu on attesteune
autorité,c'est le cas descharmes mythiques.D'autre part, on
dit a quoisert le rite manuel, et pourqui it est fait; on ius-
crit ou on prononcesur les poupéesd'envoûtementle nomde
t'enchanté:en cueillantcertaines piantesmédicioates,ii faut
dire à quoi et a qui on les destine. Ainsi, le charme oral
précise, complètele rite manuel qu'il peutsupplanter. Tout
geste rituel d'ailleurs, comporte une phrase car ii y a
toujours un minimum de représentation, dans lequel la
nature et latin du rite sont exprimées,toutau moins dansun
langageintérieur.C'estpourquoi nousdisons qu'il n'y a pas
de véritablerite muet, parce que ie silenceapparent n'em-
pêchepas cetteincantationsous-entenduequ'est la conscience
du désir.Doce point de vue. le rite manueln'est pas autre
choseque la traductionde cette incantationmuette legeste
est un signeet un langage.Paroleset actess'équivalentabso-
lumentet c'est pourquoi nous voyonsquedesénoncésde rites
ETM.MAUSS.TMËOME
Il. MUBËHT DRLAMAatR
O~N~HALE 89
manuels noussont présentéscommedes incantations.Sans
acte physiqueformel, pur sa voix, son soufite,ou mêmepar
son désir, un magicien crée, annihile, dirige, chasse, fait
toutes choses.
Le fuit que toute incantationsoit uneformuleet que tout
rite manuel ait virtuellementune fonnuie, démontredéj4
le caractère formaliste de toute la magie.Pour les Incan-
tations, personnen'a jamaismis en doutequ'ellesfussentdes
rites, étant traditionnelles,formelleset revêtuesd'uue eut'
cacité~M!~net'M on n'a jamais conçu que des motsaient
produit physiquement les effets désires. Pour les rites
manuels, le fait est moins évident; car il y a une corres-
pondanceplus étroite, quelquefoislogique,quelquefoismême
expérimentale,entre le rite et l'elletdésiré;il est certxinque
les bains de vapeur, les frictions magiquesont réeiiement
soulagédes malades.Mais,en réaUté.lesdeuxsériesde rites
ont bien les mêmes caractères et prêtentaux mêmesobser-
vations. Toutesdeux se passentdans un mondeanormal.
Les incantationssont faites dans un langagespécialqui
est le langagedes dieux, des esprits, de la magie.Les deux
faits de ce genre dont la grandeurest peut-êtrela plus frap-
pante, c'est l'emploi en Malaisiedu .tM~am<<t(languedes
esprits) et chezles Eskimosde la languedes angekoks.Pour
la Grèce, Jamblique nous dit que les 't~M Y~p.j~T< sont
ta tangue des dieux. La magiea parlé sanscrit dans l'Iude
des pracrits, égyptien et hébreu dansle mondegrec, grec
dans le mondelatin, et latincheznous.Partoutellerecherche
l'archaïsme,les termesétranges,incompréhensibles. Dès sa
naissance,commeon le voitenAustralieoù nous y assistons
peut-être, on la trouve marmonnantsona~Y<caJ«~'«.
L'étrangetéet la bizarrerie des rites manuelscorrespon-
dent aux énigmes et aux balbutiementsdes rites oraux.
Loind'être une simple expressionde t'émotionindividuelle,
la magiecontraintà chaque instantlesgesteset les locutions.
Tout y est fixéet très exactementdéterminé.Elle imposedes
mètreset des méiopées.Les formulesmagiquesdoiventêtre
susurrées ou chantées sur un ton, sur un rythme spécial.
Nousvoyonsdans le ;«<(t~</t<! M/«M«tM commedans Origène
que l'intonation peut avoir plus d importanceque la mot. Le
geste u'est pas régiementôavecmoins de précision.Le magi-
cien le rythme commeune danse: le rituel lui dit de quelle
main, de quel doigt il doit agir,quel pied il doit avancer;
50 L'AXX~E SOCMLoatQUE. <002-tM3

quand il doit s'asseoir, se lever, se coucher,sauter, crier,


dans quel sens ii doit marcher. Fût-ilseul aveclui-même,it
n'est pasplus libre que le prêtre a l'autel. En outre,i) a des
y
canonsgénérauxqui sont commuasaux rites manuelset aux
rites oraux ce sont ceux de nombreet d'orientation.Gestes
et parolesdoiventêtre répétés une certainequantitédefois.Ces
nombresne sontpas quelconques,ce sont ceux qu'on appelle
des nombresmagiquesou des nombressacrés N,4,8,7,9,-il.
t3,20. etc. D'autrepart, los motsou tes actes doiventêtre
prononcésou exécutés la face tournée vers l'un des points
cardinaux, le minimum d'orientationprescrit étant la direc-
tion de l'enchanteur vers l'objet enchanté. En somme, les
rites magiquessont extraordinairement formels et tendent,
non pas à la simplicité du geste Inique,mais au raffinement
le plus extrêmede fa préciosité mystique.
Les plus simplesdes rites magiquesont une formeà l'égal
de ceux qui sont l'objet du plus grand nombre de détermi-
nations. Nousavonsjusqu'ici parlé dola magiecomme si elle
ne consistaitqu'enactes positifs.Maiselle contientaussides
rites négatifs,qui sont précisémentles rites très simplesdont
nous parlons. Nousles avons déjà rencontrésdans l'énume-
rationdes préparatifsde la cérémoniemagique, quand nous
avons mentionnéles abstinences auxquelles se
prêtaient le
magicienet l'intéressé.Maisces ritessont égalementrecom-'
maudésou pratiquésisolément. Cesont eux qui constituent
ia grandemassedesfaits qu'on appellesuperstitions. Uscon-
sistent surtout à ne pas faire une certaine chose,
pour éviter
un certaineffetmagique. Or, ces rilessont non seulementfor-
mels,maisiisiesontau suprêmedegrépuisqu'ilsse présentent
avecun caractèreimpératif presqueparfait.
L'espèced'obli-
gation qui s'y attache montre qu'iis sont l'ouvre de forces
sociales,encoremieux que nous n'avons pu le faire pour les
autres à t'aide de leur caractère traditionnel, anormal, for-
tnalislo.Maissur cette questionimportantedu tabou
sympa-
thique. de la magie négative, comme nous proposons de
l'appeler, nous sommes trop peu éclairéspar nos devanciers
et par nos propresrecherches, pour nous croire en mesurede
faire autre choseque de signaler un
sujet d'études. Pour le
momeut,nousne voyonsdans ces faitsqu'une preuvede plus
que cet élémentde la magie, qui est le rite, est l'objetd'une
prédétermioationcollective.
tf. UfttEKT ET M. MACM. – TMÉORtNn~XKHALEDE LA MAOJES?

Quantauxrites positifs,nousavonsvu commentils étaient


limités, pour chaque magie,quant &leur nombre.Celuid&
leurs compositions,où entrent, mélangés,incantation! rites
négatifs, sacrifices,rites cuthMires,etc., n'est pas uouplus
iitimité. 11tend à s'établirdes eom~M'Mstables en assez
petit nombre,que nous pourrionsappelerdes types decéré-
mouies,toutà fait comparablessoit auxtypesd'outils,soit &
ce qu'au appelledes typesquand on parle d'art. H y a un
choix, une sélection entre les formes possibles faites par
chaque magie; une fois établis, ou retrouvesans cesseces
mômescoMp~tMdémarqueset servanta toutesfins, en dépit
de la logiquede leur composition.Tellessont les variations
sur le thèmede l'évocationde la sorcièrepar le moyendes
chosesenchantéespar elle; quand il s'agissaitde lait qui uo
donnaitplus de beurre,onpoignardaitle laitdans la baratte,
mais on a continuéà frapper le lait pour conjurer de tout
autresmaiéfices.Nousavonslàun typedocérémoniemagique
ce n'est pasd'ailleurs Je seul qu'ait fourni le mêmethème.
Oncite égalementdes envoûtementsà deux et à trois poupées
qui nese justifientque par une semblableprolifération.Ces
faits, par leur persistanceet par leur formalisme,sont
comparablesaux fêtesreligieuses. ·
D'autre part, do la mêmefaçonque les arts et les tech-
niquesont des typesethniquesouplusexactementnationaux,
de la mêmefaçon,on pourraitdire que chaquemagiea son
typepropre,reconnaissable,caractérisépar ia prédominance
de certainsrites l'emploides os de morts dans les envoûte-
mentsaustraliens,des fumigationsde tabac dans les magies
américaines,des bénédictionset des cra/<M, musulmansou
juifs, dans les magies inituencéespar le judaïsmeou l'isla-
misme. Seulsles Malaissemblentconnaître commerite le
curieuxthèmede l'assemblée.
S'i) y a spécificationdes formesde la magiesuivant les
sociétés,il y a, à l'intérieurde chaquemagie,'ou,a un autre
point de vue,à l'intérieur de chacundes grandsgroupesde
rites que nousavonsdécritsà part, des variétésdominantes.
La sélectiondestypesest,en partie,i'oouvrede magiciensspé-
ciatiitésqui appliquent un seulrite ou un petit nombrede
rites à l'ensembledes cas pour lesquels ils sont qualifiés.
Chaquemagicienest l'hommed'unerecette,d'un instrument,
d'uu sac médecine,dont iiuse fatalementa tout propos.C'est
plus souventsuivant lesrites qu'ils pratiquent que suivant
88 L'ANS~B SOCtOKMtOUE. i9()2-t9M

les pouvoirsqu'ils possèdent,que les magicienssont spécia-


lisés. Ajoutonsque ceuxque nousavonsappelésles magiciens
occasionnelsconnaissentencoremoinsde rites que les mugi-
ciens proprementdits et sont tentés de les reproduire sans
fin. C'estainsi que les recettes appliquéesiadétinuneutsaue
rime ni raison deviennentparfaitementinintelligibles.Nous
voyousdonc encoreune tois combienla formetend à prédo-
minersur le fond.
Maisce que nous venonsde dire surla formationdevariétés
dans les rites magiques ne prouve pas qu'ils soient en tait
ciassabies. Outre qu'il reste une foule de rites flottante, la
naissancede variétés dans cette masse amorphe est tout à
fait accidentelleet no correspond pas à une diversité récite
de fonctions il n'y a rien dans la magie,qui soit proprement
comparableaux institutions religieuses.

III
ms REt'RtSSEttTA'nONS

Les pratiques magiquesne sont pas vides de sens. Elles


correspondentà des représentations,souventfort riches,qui
constituentle troisièmeélémentde la magie.Nous avonsvu
que tout rite est une espèce de langage. C'est donc qu'ii
traduit une idée.
Le minimum do représentation que comporte tout acte
magique,c'est la représentationde son effet.Maiscette repré.
sentation, si rudimentaire qu'on puisse la concevoir, est
déjà fort complexe.Elle est a plusieurs temps, à plusieurs
composantes.Nous pourrons en indiquer!tu moinsquelques-
unes et l'analyse que nousen ferons ne sera pas seulement
théorique, puisqu'il y a des magies qui ont eu consciencede
leur diversitéet les ont notéespar des motsou par des méta-
phoresdistinctes.
En premierlieu, nous supposonsque les magicienset leurs
fidèlesno se sont jamais représeut6 les enets particuliers de
leurs rites sans penser, au moins implicitement,aux effets
généraux de lu magie. Tout acte magiquesemble procéder
d'une espècederaisonnementsyHogistiquedontlamajeureest
souvent claire, voire expriméedans l'incantation )'Mett«M
venenoc~tc~tH';M«<Mt'a Ka~Mwm c<K< « Noussavonston ori.
gine. Commentpeux-tu tuer ici? » (~(N-M rp< VU,'!0, 8,
Il. MCBMTET M. MAUSS, THt~HfHO~S~nAt-KDE LA MAQ)E69

e~MMi~j<!t«!m, A'(t~tm/«<t<)~tc(!mAaMo.)Siparti-
culiers que soientles résultatsproduits par les rites, ils sont
conçus, au momentmômede l'action, comme ayant tousdes
caractèrescommuns.Il y a toujours,en effet, soit imposition,
soitsuppressiond'uncaructèreoud'uneconditioniparexempte,
ensurcettemeutou détivrauce,prise de possessionou rachat,
en deux mots.changementd'état.Nous dirons volontiersque
tout acte magiqueestrepréseuté commeayant pour effetsoit de
mettre des êtres vivants oudes choses dans un état tel que
certains gestes, accidentsou phénomènes,doivent s'ensuivre
infuittibtement,soit de les tairesortir d'un état nuisible. Les
actes diffèrententreeux selonl'état Initial, lescirconstances
qui déterminentle sensdu changement,et les fins spéciales
qui leur sont assignées,maisIls se ressemblent en ce qu'ils
ont pour effetimmédiatet essentielde modifierun état donné.
Or, te magicien sait et sont bien que par là sa magie est
toujours semblableà elle-même;il a l'idée toujours présente
que la magie est. l'art des changements, la m< comme
disent les Hindous.
Mais, outre cette conceptiontoute formelle, il y a, dans
l'idée d unrite magique,d'autreséléments déjà fort concrets.
Les choses viennentet partent t âmerevient, la nèvreest
chassée.On essayede rendrecomptede i'euct produit par des
accumulationsd'imagesL'ensorcetéest un malade, un estro-
pié, un prisonnier. On lui a brisé les os, fait évaporer les
moelles,on i'écorche.L'imagefavoriteest celle du lien qu'on
lie ou qu'ondétie: «iiendesmaiéncesqui méchammenta été
noué », « enchaînementqui sur le sol est dessiné », etc.
ChexiosGrecste charmeest un x~St~ un ~.TpoxM~M~o;.
La mêmeidéeest expriméeplusabstraitement en latin par le
mot de t'e~to, qui d'ailleursa le mômesens.Dansune incan-
tation contreune série de mauxde gorge, après une éuumé-
ration de termestechniqueset descriptifs,nous lisons ~ooc
re<~<OHem Moco,<'<~<co, M'caofo <W<t meM~'M, ntc~M~M (Afar-
cellus, XV.'ti); la t'e~toest traitéeicicommeune sorte d'être
vague, do personnalitédiffusequ'on peut saisir et chasser.
Ailleurs, c'est par des images morates, celles de la paix,
de t'nmour, de la séduction,de !a crainte, de la justice, de la
propriété, qu'onexprimerales eftetsdu rite. Cette représen-
tation, dont nous saisissonsainsi, ça et ta, des linéaments
imprécis,s'est quelquefoiscondenséedans une notion dis-
tincte, désignée par un mot spécial. Les Assyriens ont
00 L'AX!~t!SMtOLO(!tQUt!.<MH9M
exprimé une pareille notion par le mot de Mx~x't.En Meia'
nesie, F équivalentdu Ht<!m/<, c'est le m<uM,qu'on voitsortir
du rite chezles Iroquois(Murons)c'est t'o~'fKt/a, que tanceto
magtcieu danst'fade ontique, c'étaitte ~'a/<m<(neutre)qui
allait agir; chez nous, c'est le charme, )o sort, l'enchante-
ment et les mots mêmespar lesquelson détermineces Idées
moutrput combienettes étaient peu théoriques.On en parle
commede chosesconcrèteset d'objetsmatériels;on jette un
charme, une rune; on lave, on noie,on brilleun sort.
Uu troisième moment de notre représentationtotale est
celui où l'ou conçoitqu'il y a entre les êtres et les choses
intéressés dans le rite une certaine relation.Cetterelation
est quelquefois conçue comme sexuelle. Une incantation
assyro-babytoniennecrée une sorte de mariage mystique
entre les démonset les Imagesdestinéesà les représenter
« Vous, tout le mai, tout le mauvaisqui s'est emparéde N.,
!iisdoN.,ette poursuit, si tu es maie,que cecisoitta femme,
si tu es lemelle, que ceci soit ton mâfe » (Fossey,As ~«'
<M~n<ttt~,p. i33). Il y a milleautres manièresde concevoir
cette relation. Ou peut la représentercommeune mutuelle
possession des ensorceleurset des ensorcelés.Les sorciers
peuvent être atteints derrière leur victime,qui ainsi a prise
sur eux. Dela mêmefaçon,on peut leverun charmeen easor-
celant le sorcierqui, de son côté, a naturellementprise sur
son charme.Ondit encorcquoc'est le sorcier,ou sonâme,ou
que c'est le démoo du sorcier qui possèdentl'ensorcelé
c'est ainsi qu'it réalisesa mainmisesur sa victime.La pos-
session démoniaqueest l'expressionla plus forte, la simple
fascination, l'expression ia plus faible, de la relation qui
s'établit entre le niagicien et le sujet de son rite. Onconçoit
toujours, distinctement, nue espècede continuité entre les
agents, les patients, les matières, tes esprits, les buts d'un
rite magique.Toutcomptefait, nousretrouvonsdansla magie
ce que nous avons déj& trouvé dans le sacrifice.La magie
implique une confusiond'images,sans laquelle,selonnous,le
rite mêmeestinconcevable.Demêmeque sacrifiant,victime,
dieuet sacrificese confondent,de mêmemagicien,ri teeteffets
du rite, donnent lieu à un mélanged'imagesindissociables;
cetteconfusion,d'niiteurs.est en elle-mêmeobjetdoreprésen-
tation. Si distinctsque soient, en effet,les diversmomentsde
la représentationd'un rite magique,ils sont indus dans une
représentationsynthétique, oit se confondentles causesettes
M. Ut.-MMTET M. MAUM. – TmioME 'JÉXMALE DE LA NAOtE Oi

effets.C'esU'idéemêmedola magie,de l'efficacitéimmédiate


et sans limite, de la création directe; c'est l'illusion
absolue,
la H«~ commeles Hindoust'avaientbien nommée.Entre le
souitaitet sa réalisation,il n'y a pas, en magie, d'intervalle.
C'est)a un de ses traits distinctifs,surtout dans les coûtes.
Toutesces représentationsque nousvenons dedécrirene sont
que les diversesformes, les diversmoments si l'on veut, de
l'idéemêmede magie.Celle-cicontienten outredes
représen-
tationsplus déterminéesque nousallons essayerde décrire.

Nous classeronsces représentationsen impersonnetieset


en personnelles,suivant que i'idée d'êtres individuels
s'y
trouveou ne s'y trouvepas. Lespremières peuventêtres divi-
séesen abstraiteset concrètes,les autres sont naturellement
concrètes.

1" /<Cp~MH<<!«OnS M)peMOt!Ke«M a~-f<«M. – Lesloisde la



magie. Les représentationsimpersonoeiiesde la magie,ce
sont les lois qu'elle a poséesimplicitement ou
explicite-
ment.au moinspar l'organedesalchimistes et des médecins.
Dansces dernièresannées, ou a donné une extrême
tanceà cet ordre de représentations.On a cru que laimpor-
magie
n'était dominéeque par elles eton en a conclu toutnaturelle-
mentque la magieétait une sortede science; car qui dit loi
dit science.En eiïet, la magie a bien l'air d'être une
gigan-
tesquevariationsur le thème du principe de causalité.Mais
cecine nous apprendrien; car il serait bien étonnant
qu'elle
pat être autre chose, puisqu'elle a pour objet exclusif,
semble-t-il,de produire des effets.Tout ce que nous concé-
donsc'est que, à ce titre, si i'on simplifie ses formules,il est
impossiblede ne pas la considérercomme une discipline
scientifique,une science primitive, et c'est ce qu'ont fait
MM.Frazeret Jevons.Ajoutonsque la magie fait fonctionde
scienceet tient la place de sciencesà naltre. Ce caractère
scientifiquede la magie a été génératemcntaperçu et inten.
tionnetiementcultivépar lesmagiciens.L'enort verslu science
dont nous parlons est natnroiiementplus visible dans ses
formessupérieuresqui supposentdes connaissances
acquises,
une pratiqueraffinée,et qui s'exercent dans des milieux où
t'idéede la sciencepositiveest déjà présente.
H est possiblede démêler, à travers le fouiiiisdes
expres-
sions variables, trois lois dominantes. On peut les
appeler
6& L'AMIE 190~)909
tiOCtOMOfQUE.
toutes lois de sympathiesi l'on comprend,sous le mot de 0
sympathie,l'antipathie.Cesonttesloisdecontiguité.do siml-
larité, de contraste teschosesen contactsontou relent unies,
le semblable produit )e somMabio,le contraire agit sur le
contraire. M. Tylor et d'autres après lui ont remarquéque
ces lois ne sout autres que cellesde t'associatioudes idées
(nousajoutonschexles adultes),à cette difïérencoprèsqu'ici
l'associationsubjectivedesidéeslait conclureà l'association
objectivedes faits, eu d'autres termes, que les liaisonsfor-
tuites des penséeséquivalentauxliaisonscausalesdeschoses.
Ou pourrait réunir les trois formulesen une seule et dire
contiguïté,similaritéetcontrariété,valentsimultanéité,iden-
tité, opposition,en penséeetea fait.H y a lieude se demander
si ces formules rendentexactementcomptede la façondout
ces soi-disantlois out été réellementconçues.
Considéronsd'abord ta toi.decontiguïté.La forme la plus
simple de cette notion do contiguïtésympathique nousest
donnéedans l'Identificationdela partie au tout.La partievaut
pour la choseentière. Lesdents,la solive,lasueur, lesongles,
les cheveuxreprésententintégralementla personne de telle
sorte que, par leur moyen,on peut agir directementsur
elle, soit pour la séduire, soit pour l'envoûter.La séparation
n'interrompt pas la continuité,on peut mêmereconstituerou.
susciter un tout à l'aide d'une de ses parties M)HMM'par~.
Il est inutile de donner desexemplesde ces croyances,main-
tenant bienconnues.La morneloipeut s'exprimeren d'autres
termes encore la personnalitéd'un être est indiviseet réside
tout entière dans chacunede ses parties. v
Cette formulevaut nonseulementpour les personnes,mais
encore pour les choses.En magie,l'essenced'unechoseappar*
tient à ses parties, aussi bien qu'à son tout. La loi est; en
somme, tout &fait généraleet constateune propriété,égaie'
ment attribuéeà t'âme desindividuset à l'essencespirituelle
des choses.Cen'est pas tout; chaqueobjetcomprendintégra-
lement le principeessentielde l'espècedont il fait partie
toute flammecontient le feu, tout os de mort contient la
mort, de mêmequ'un seul cheveuest capablede contenirle
principe vital d'un homme.Cesobservationstondent à mon-
trer qu'il ne s'agit pas seulementde conceptionsconcernant
l'âme individuelleet que, par conséquent,la loi ne peut s'ex-
ptiquor par les propriétésqui sont implicitementattribuéesà
l'âme. Ce n'est pas non plus un corollairede la théorie du
H. HUMM ET M. MAt.)!. THKORtS ti~N~KALE OH LA MAC)E 63

gagede vie; la croyanceau gage de vie n'est, 'au contraire,


qu'xncas particulierdu <ofi<M ex pnr/c.
Cettetoi do contiguïtécomporte d'ailleursd'autres déve-
loppements.Tout ce qui est ou contact immédiatavec la
personne,les vêtements,l'empreinte des pas,celle du corps
sur l'herbeou dans le lit, le lit, le siège, tes objets dont on
se sert habituettemeut,jouets et autres, sont assimilésaux
partiesdétachéesdu corps. Onn'a pas besoinque le contact
soit habituel,ou fréquent, ou eitectivementréalisé, comme
dansle casdes vêtementsou des objets usuels on inoantete
chemin,lesobjetstouchésaccidentellement,l'eau du bain, un
fruit mordu,etc. La magiequi s'exerce universellementsur
les restesde repasprocèdede l'idée qu'il y a continuité, iden-
tité absolueentre les reliefs,les aliments ingérés, et le man-
geur,devenusubstantiellementidentique à ce qu'it a mangé.
Une relationde continuité toute semblableexiste entre un
homme et sa famille on agit à coup sur sur lui eu agissant
sur sesparents; it est utile de les nommerdans les formules
ou d'écrireleur nom sur les objets magiquesdestinés à lui
nuire.Mêmerelationentre un hommeet sesanimauxdomes-
tiques, sa maison, le toit de sa maison, son champ, etc.
Entre une blessure et l'arme qui l'a produites'établit, par
continuité,une relationsympathiquequ'onpeut utiliser pour
soignerla première par l'intermédiaire de la seconde.Ce
mômelienunit le meurtrier à sa victime l'idée de la conti-
nuité sympathiquefait croire que le cadavresaigne à l'ap.
prochede l'assassin;il revientsubitementà l'état qui résulte
immédiatementdu meurtre.L'explicationde cefaitestvalable,
car nousavonsdes exemplesplus clairs encorede cette sorte
de continuité.Elle dépassele coupable on a cru parexemple
que quandun hommemaltraite un rouge-gorge,ses vaches
donnentdu lait rouge (Simmenthal,Suisse).
En somme,les individus et les choses sont reliés à un
nombre,quiparaît théoriquementillimité, d'associéssympa-
thiques.Lachaîneen est si serrée, la continuitéen est telle,
que,pour produire un effetcherché, il est indinérentqu'on
agissesur l'un ou sur l'autre des chaînons. M. SydneyHart-
landadmetqu'uneOtieabandonnéepeut penserfaire souffrir
son amant,par sympathie, en roulant ses propres cheveux
autourdes pattesd'un crapaud ou dans un cigare(Lucques).
En Mélanésie(aux Nouvelles-Hébrides et aux lles Salomon,
semble t-it), les amis d'un hommequi en a blessé un autre
L'Ax~f! )toc[o).<)(t~UE.iM:t9M

sont mis en état, par le coup mente,d'envenimermagique-


ment h) ptaie dol'adversairemeurtf'i.
L'idéedelitcontinuitémagique,que celle-cisoitréaliséepar
relation préalablede tout a partie, ou par contactaccidentel,
implique l'idée de contagion.Les qualités, les maladies.la
vie, la chance, toute espèce d'inttux magique, sont conçus
commetransmissiblesle long (le ces chaînes sympathiques.
L'idée de la contagionest déjà, parmi les Idéesmagiqueset
religieuses, l'une des mieux connues. Que cela ne nans
empêchepas de nousy arrêter un instant. En cas de conta-
gionimaginaire,il se produit,commenous l'avonsvu dans le
sacrifice,unefusiond'images~d'où resuitel'identificationrela-
tivedes choseset des êtres en contact.C'est,pour ainsi dire,
l'image de ce qui est à déplacer qui parcourt la chaînesym-
pathique. Celle-ciest souvent figuréedans le rile lui-môme,
soit que, commedans l'Inde, le magiciensoit touché, à un
certain moment du rite central, par l'intéressé, soit que,
commedans un cas australien, il attache à l'individu sur
lequel il doit agir un fil ou une chaîne, le longde laquelle
voyagela maladiechassée. Mais ta contagionmagiquen'est
pas seulement idéaleet bornée au mondede t'invisibie;elle
est concrète, matérielleet de tous points semblableà la con-
tagionphysique. Marcellusde Bordeauxconsente,pour dia-
gnostiquerles maladiesinternes, de faire coucherle matado
pendantenviron troisjours avec un petit chienà la mnmotte,
le patient doit donner tui-mémedu lait au chien. desa propre
bouebeetsouvent(«t<t~c<'e<<<!c~o)v<)<o/)'~)<eH~'<M/«M~<
après quoi, il ne reste plus qu'à ouvrir le ventrede ta bête
(Marcellus,XXVHI,~32) Marcellusajoute que la mort du
chienguéritt'hommo.Unrite toutà tait identiqueest pratiqué
chez les Bagandasde l'Afrique centrale. En pareil cas, la
fusiondes imagesest parfaite it y a plus que de l'illusion,il
y a del'hallucination;on voit réellementla maladiepartir et
se transmettre. H y a transfert, plutôt qu'associationdes
idées.
Maisce transfertdes idées se compliqued'un transfertde
sentiments.Car, d'unbout à l'autre d'une cérémoniemagique
se retrouveun mêmesentiment, qui en donne le sens et le
ton, qui, en réalité, dirige et commandetoutes les associa-
tions d'idées. C'est même ce qui nous expliqueracomment
fonctionneen réotitela loi de continuitédans lesrites magi-
ques.
H. HUBERTt!T M. HAL'M. – TH~OME O~ÉMALB CE LA MAOtNAS

Danstu plupart des applicationsde la sympathiepar conti-


guïté, ii n'y a pas purementet simplementextension d'une
qualité oud'unétat, d'un objet ou d'une personne,a un autre
objet,ou &unoautre personne. Si la loi,telleque nous t'avons
formulée,était absolue, ou si, dansios actesmagiques où elle
fonctionne,elle était saute impliquée et seulementsous sa
formeintellectuelle, s'il n'y avait en somme que des idées
associées,on constaterait d'abord que tousles élémentsd'une
chatnemagique,constituéepar l'infinité descontactspossibles,
nécessairesou accidentels, seraient égalementaffectéspar la
qualitéqu'il s'agirait précisémentde transmettre, et ensuite
que toutesles qualités d'un des élémentsde la chaîne, quel
qu'il fût, se transmettraient intégraiemoNtà tous lesautres.
Or,ii n'enest pas ainsi, sans quoiia magieserait impossible.
Onlimite toujours les effetsde la sympathieà un effetvoulu.
D'une part, on interrompt, à un momentprécis, le courant
sympathique;d'autre part, on ne transmetqu'une, ouun petit
nombredes qualités transmissibles.Ainsi,quand le magicien
absorbe la maladie de sou client, ii n'en souffre point. De
mémo,il ne communiqueque la durée dela poudredo momie,
employéepour prolonger la vie, la valeur de l'or et du dia-
mant, l'insensibilitéde la dent d'un mort; c'est à cette pro-
priété,détachée par abstraction, que se borne la contagion.
De plus, on postute que les propriétés en question'sont
de natureà se localiser; on localise par exemple la chance
d'un hommedans une paille de son toit de chaume. On con-
clut de la localisationà la séparabilité. Les anciens, Grecset
Romains,ont pensé guérir des maladiesd'yeux en transmet-
tant aux malades la vue d'un lézard; le lézard était aveuglé
avantd'être mis en contact avec des pierresdestinées à servir
d'amulettes,do sorte que la qualité considérée,coupée à sa
racine, devait passer tout entière où l'on voulait l'envoyer.
Laséparation,l'abstraction sont figurées,dans cet exemple,
par des rites; mais cette précaution n'est pas absolument
nécessaire.
Cettetixtitation des effetsthéoriquesde la loi est la condi-
tion mêmede son application. Le même besoin, qui fait le
rite et pousseaux associationsd'ioées,détermine leur arrêt et
leur choix. Ainsi, dans tous les cas où fonctionne la notion
abstraite de contiguïté magique, les associationsd'idées se
doublentde transferts de sentiments, de phénomènesd'abs-
traction et d'attention exclusive, de direction d'intention,
E. Dt-MMHtt. Ann<!esociol., 19M.MM. 6
66 L'ANNEE i9M.t))M
SOCMLOOtCUE.
phénomènesqui se passent dans la conscience,mais qui sont
objectives au même titre que les associationsd'idées elles-
mêmes.
La seconde loi, !a io.ide similarité, est une expression
moins directe que !.t première de la notion de sympathieet
nous pensonsqueM. Frazera eu raison, quand, avecM.Syd-
ney Hartiand, il a réservé le nom de sympathieproprement
dite aux phénomènesde contagion,donnantle nomdesympa-
~tttio
,'Ji mimétiqueà ceux dont nous allons nous occupermain.
tenant. De cette loi de similarité on connalt deux formules
principales,qu'il importede distinguer: le semblableévoque
le semblable, «'m<<~«m<<!&!M ecocaatKf;le semblableagit
sur le semblableet spécialementguérit le semblable,«H«~
a<m~<MC)H'M<)M'.
Nous nous occuperonsd'abord de la première formule;
elle revient à dire que la similitude vaut la contiguïté.
L'image est à la chosece que la partie est au tout. Autrement
dit, une simplefigure est, en dehors de tout contactet de
toute communicationdirecte, intégralementreprésentative.
C'est cette formulequ'on semble appliquer dans les cérémo-
nies d'envoûtement.Mais,quoi qu'il en paraisse, ce n'est pas
simplement la notiond'image qui fonctionneici. La simili-
tude mise en jeu est, en effet,toute conventionnelle elle n'a
rien de la ressemblanced'un portrait. L'imageet soo objet
n'ont de communque la convention qui los associe. Cotte
image,poupéeou dessin, est un schèmetrès réduit, un idéo-
gramme déforme elle n'est ressemblanteque théoriquement
et abstraitement.Le jeu de la loi de similarité supposedonc,
comme celuide la précédenteloi, des phénomènes d'abstrac-
tion et d'attention.L'assimilationne vient pas d'uneillusion.
On peut, d'ailleurs,se passer d'imagesproprement dites; la
seule mentiondu nomoumômela penséedunom,le moindre ¡
rudiment d'assimilationmentate suffit pour faire d'un subs-
titut arbitrairement choisi, oiseau, animal, branche,corde
d'arc, aiguille,anneau, le représentant de l'être considéré.
L'image n'est, en somme,définie que par sa fonction,qui est t
de rendre présenteune personne. L'essentielest que i)t fonc-
tion de représentationsoit remplie.D'ouil résulteque l'objet;
auquel cettefonctionestattribuée, peutchangerau coursd'une
cérémonieou que la fonctionmême peut être divisée.Quand
on veut aveuglerun ennemien faisant d'abord passer un de
ses cheveux dans le trou d'une aiguille qui a cousu trois tin-(e ç'
[
H. HUBENT ET M. MAUSS. – TXÉOMtEGÉKÉttALE DE LA HAOtE 67

ceuls, puis en crevant à l'aide de cette aiguilleles yeux d'un


crapaud, le cheveu et le crapaud servent successivementde
colt. Commele remarque M. Victor Henry, certain lézard,
qui parait dans un rite d'envoûtementbrahmanique,repré-
sente au cours d'une mémo cérémonieà ia fois le moiénce,
temaleficiant et, ajouterons-nous,la substance malfaisante.
De même que la loi de contiguïté, la toi de similarité
vaut non seulement pour les personnes et pour leur Ame,
mais pour les choseset les modes des choses, pour le pos-
sible commepour le réel, pour tomorat commepourle maté-
riel. La notion d'image devient, en s'élargissant, celle de
symbole. On peut symboliquementreprésenter la pluie, le
tonnerre, le soleil, la fièvre, des enfants à naître par des
têtes de pavots, l'armée par une poupée, l'union d'un vil-
tage par un pot à eau,l'amour parnnnceud, etc., et l'on crée,
par ces représentations. La fusiondes imagesest complète,ici
commeplus haut, et ce n'est pas idéalementmais réetiement
que le veut se trouve enfermé dans une bouteilleou dans
une outre, noué dans des noeudsou encerclé d'anneaux.
Maisil se produit encore, dansl'application de la toi, tout
un travail d'interprétation qui est fort remarquable.Dansla
déterminationdes symboles, dans leur utilisation,se passent
les mêmesphénomènesd'attentionexclusive et d'abstraction,
sans lesquels nous n'avons pu concevoirni l'applicationde la
loi de similarité, dans le cas des imagesd'envoûtement,ni le
fonctionnementde la loi de continuité. Des objets choisis
commesymboles,les magiciensretiennentun trait seulement,
la fraîcheur, lalourdeur, lacouteurdu plomb, le durcissement
oula mollessede l'argile, etc. Le besoin,la tendancequi font
le rite, non seulementchoisissenttes symboleset dirigentleur
emploi,mais encorelimitent les conséquencesdes assimila-
tions, qui, théoriquement,commelesséries d'associationspar
contiguïté, devraient être inimitées.De plus, toutesles qua-
tités du symbole ne sont pas transmises au symbolisé.Le
magiciense croit maître de réduire à volonté la portéede ses
gestes, par exemple, de borner au sommeilou à la cécitéles
effetsproduits au moyende symbolesfunéraires; le magicien,
qui fait la pluie, se contente de l'averse, parcequ'il craint
le déluge l'homme assimiléà une grenouille,qu'onaveugle,
ne devient pas, magiquement,une grenouille.
Loin que ce travail d'abstraction et d'interprétation, en
apparencearbitraire, aboutisseà multipliera l'innni te nombre
08 t'AXX~ESOUtOLOGtQUB.
<9CH9t3
des symbolismesposantes, nous observonsque, en regard
desfacilitésainsi offertesau vagabondage de l'imagination,ce
nombreparait au contraire,pour unemagiedonnée, étrange-
ment restreint. Pour une chose,on n'a qu'un symbole ou
qu'un petit nombre de symboles.Alleuxencore, ii n'y a que
peu de choses qui soient expriméespar symboles. Enfin
l'imaginationmagiquea été si à court d'inventions, que le
petit nombrede symbolesqu'ellea couçusont été mis a des
usagesfort divers la magiedes noeudssert pour l'amour,
la pluie, le vent, le maléfice,la guerre, le langage, et mille
autrescitoses.Cette pauvretédu symbolismen'est pasie fait de
t'indh-idudontle rêve,psycitoiogiquement, devraitêtre libre.
Maiscet individuse trouveen présencede rites, d'idéestra-
ditionnettes,qu'il n'est pas tenté de renouveler, parce qu'il
ne croit qu'à la tradition et parce que, en dehorsde la tradi-
tion, il n'y a ni croyanceni rite. Ace compte, il est naturel
que la traditionreste pauvre.
Ladeuxièmeformedola loi de similarité,le semblableagit
sur le semblable,«w~M ~m)'~ Ct<f<n~ ditïerede la
pré.
miereen ce que,dans son expressionmême,on tient précise.
ment comptede ces phénomènesd'abstractionet d'attention
qui conditionnenttoujours,commenous l'avonsdit, l'applica-
tion de l'autre. Taudisque ia premièreformulene considère
que l'évocationen général,cette-ciconstateque l'assimilation
produituneffetdans une directiondéterminée.Le sensde l'ac-
tionest alors indiqué par le rite. Prenonscommeexemploia
légendede la guérisou d'Iphictos son père Phytax, un jour
qu'il châtraitdes boucs, J'avaitmenacéde son couteausan-
glant; devenustérile par sympathie,il n'avait pas d'enfants
le devin Meiampoa,consulté, lui fit boire dans du vin,
peu.
dant dix jours de suite, la rouilleduditcouteauretrouvédans
un arbre où Pbyiax l'avait planté.Le couteau serait
capable
encore,par sympathie,d'aggraverlemal d'Iphictos par sym-
pathieégalement,les qualités d'Iphiclosdevraientpassersur
le couteau; mais Melamposne retientque ce deuxièmeeffet,
limité d'ailleurs au mal en question; la stérilité du roi est
absorbéepar le pouvoirstéritisantdet'oatit.De ntûme
quand,
dansl'lnde, le brahman soignaitl'hydropisieau moyend'ablu-
tions, il ne donnait pas au maladeune surchargede liquide;
i'eau, aveclaquelleil lemettaitencontact,absorbaitcellequi
le faisait souffrir.
9i ces faits se rangent bien sous la loi de similarité, s'ils
Il. HL'ttËRT ET M. NAU~X,– TXttnntE O~XÉnALEDE M MAOfE09

relèventbien do la notionabstraite de sympathiemimétique,


d'f~h'ac<<o<~<««(m,i)s forment,parmilesfaits qu'elledomine,
une classetout û faità part. tl y a là plusqu'un corollairede
la loi, savoiruneespacede notion concurrente,peut-êtreaussi
importantequ'elle par le nombredesrites qu'elle commande
dans chaque rituel.
Sanssortir de t'exposéde cette dernièreformede la loi de
similarité, nous arrivonsdéjà à la toidecontrariété.En eiïet.
lorsque le sembiabieguérit le semblable,c'est qu'il produit
un contraire.Lecouteaustérilisant produitla fécondité,l'eau
produit l'absence d'hydropisie,etc. La formule complètede
pareils rites serait lesemblablefait partir te~embtabtepour
susciterle contraire.Inversement,dansla premièresériedes
faits de sympathie mimétique, le semblable,qui évoqueun
semblable, fait partir un contraire lorsqueje provoquela
pluie, en versantde i'eau, je fais disparattrela sécheresse.
Ainsi, la notion abstraitede similarité est inséparablede la
notionabstraite docontrariété les formulesde ta similarité
pourraientdonc se réunir dans la formule« le contraireest
chassé par le contraire», en d'autres termesêtre comprises
dans la loi de contrariété.
Mais, cette loi de contrariété, les magiciensl'ont penséeà
part. Les sympathieséquivalentà des antipathies; mais les
unes sont pourtant biennettementdistinguéesdesautres.La
preuveen est, par exemple,que l'antiquitéa connudeslivres
intitulés n<~ ~MtOth~ x~ i'~M.<ttt< Dessystèmesde rites
entiers, ceux de la pharmacie magique,ceux des contre-
charmesont été rubriquessousta notiond'antipathie.Toutes
les magiesont spéculésur les contraires,les oppositions la
chanceet la malchance,le froid et le chaud,l'eau et le feu,
la liberté et la contrainte, etc. Un très grand nombrede
choses,enfin,ont été groupéespar contraireset on utiliseleur
contrariété.Nous considéronsdonc la notion de contraste
commeune notion distincte,on magie.
Avrai dire, de mêmeque la similariténo va pas sanscon-
trariété, la contrariéténe vapas sanssimilarité.Ainsi,d'après
le rituel atharvanique,on faisait cesserla pluie en suscitant
son contraire, le soleil,par le moyendu bois d'<u'&a, dont le
nom signifie lumière, éclair, soleil mais nous voyonsdéjà
dans ce rite do contrariété des mécanismesde sympathie
proprementdite. Ce qui nous prouvemieux encorecombien
peu elless'excluent,c'estqu'à l'aide de ce mémobois,on peut
10 L'AXt~ESOCIOLOGIQUE.
190MM3
1-_1_-..1,
faire directement cesserl'orage,le tonnerreetl'éclair.Dansles
deuxcas, le matérieldu rite estle mémo.Ladispositionseule
varielégèrement d'une part, on exposele feu,de l'autre, on
enfouitles charbons ardents; cette simple modiOcationdu
rite est l'expressionde la volontéqui le dirige. Nousdirons
donc que le contraire chasse son contraire en suscitantson
semblable.
Ainsi, les diverses formules de la similaritésont exacte-
mentcorrélativesà la formuledela contrariété.Si nous
repre.
nons ici l'idée de schème rituel, dont nous nous sommes
servisdansnotre travail sur le sacriace,nous dironsque les
symbolismesse présentent sous trois formesschématiques.
qui correspondentrespectivementaux trois formules le
semblableproduitle semblable;le semblableagit sur le sem.
blable le contraire agit sur le contraire, et ne différentque
par l'ordre de leurs éléments.Dans1e premiercas, on songe
d'abordà l'absenced'un état; dans le second,on songed'abord
h la présenced'un état; dans le troisième,on
songesurtoutà
la présencede l'état contraire à J'état qu'on désire
produire.
Ici, on penseà l'absencede pluie qu'il s'agit de réaliserparle
moyendu sy mbole là, on penseà la pluie qui tombeet qu'il
s'agit defairecesser par le moyendu symbole dans le troi-
sièmecas,onpenseencoreà la pluie, qu'il s'agit decombattre
en suscitantson contraire par le moyend'un
symbole.C'est
ainsi que lesnotionsabstraitesde similarité et de cont~riété
rentreuttoutesles deux dans la notion plus généralede
sym-
bolismetraditionnel.
Demême,leslois de similaritéet de contiguïtétendentl'une
vers l'autre. M.Frazer déj&l'a bien dit; il eutpu facilementle
démontrer.Lesrites par similaritéutilisent normalementles
contacts contactentre la sorcièreet ses vêtements,le magi-
cienet sa baguette,l'arme et la blessure, etc. Leseffets
sym-
pathiques des substances ne sont transmis que par absorp-
tion, infusion,toucher, etc. Inversement,les contactsn'ont
d'ordinsirepour but que de véhiculerdes qualités
d'origine
symbolique. Dans les rites d'envoûtementpratiqués sur nu
cheveu,celui-ciest le trait d'unionentre ladestructionngurée
et la victimede la destruction. Dans une inunitéde cassem-
blables, nous n'avons mêmeplus anaire à des schèmesdis.
tincts de notionset de rites, mais à des entre-croisements;
l'acte se compliqueet ne peut être que difficilement
rangé
sousl'uno desdeux rubriques en question.En fait, des séries
H. n~BEHT ET M. MACM. – -n~ORtE OËN~ALE DE LA MAOtE7i

entières de rites d'envoûtementcontiennentdes contfguites,


des similarités et des contrariétés neutralisantes, à cOtéde
similarités pures, sans que les opérateurss'en soient préoc-
cupés et sansqu'iisaient jamais conçuréellementautre chose
que le but finalde leur rite.
Si nous considéronsmaintenantles deux lois, abstraction
faite de leurs applicationscomplexes,nous voyonsd'abord
que les actions sympathiques(mimétiques)à distance, n'ont
pas toujours été considéréescommeallant de soi. On imagine
des eflluvesqui se dégagent des corps, des images
magiques
qui voyagent, des lignes qui retient l'enchanteur et son
action, des cordes, des chatnes; même t'ame du magicien
part pour exécuter l'acte qu'il vient de produire. Ainsi,le
JMa~wtMa~/tcafMM nous parle d'une sorcièrequi, après avoir
trempé son balai dansune mare pour faire tomber la pluie,
s'envole dans les airs pour aller la chercher.
Des nombreux
pictogrammesdesOjibwaysnousmontrentle magicien-prêtre,
après son rite, tondantson bras versle ciel, perçant la voote
et ramonant les nuages. De la sorte, on tend à concevoirla
similarité commecontiguïté. Inversement,ia contiguïtéelle-
mêmeéquivaut à la similarité, et pour cause car la ici n'est
vraie que si, dans les parties, dans les chosesen contact,et
dans le tout, circuleet réside une même essencequi lesrend
semblables. Ainsi, toutes ces représentationsabstraites et
impersonnellesde similarité, de contiguïté, de contrariété,
bien qu'elles aient été, chacune a leur heure, séparément
conscientes, sont naturellementconfuseset confondues.Ce
sont évidemmenttrois faces d'une même notion que nous
allons avoir à démeier.
De cette confusion,ceux des magiciensqui ont le plus
rénéchi sur leurs rites ont eu parfaitementle sentiment.Les
alchimistesont un principegénéralqui parait être, peureux.
la formulé parfaite de leurs réflexionsthéoriques et qu'ils
aimentà préfixerà leurs recettes « Unest le tout, et le tout
est <tau«un. » Voici, pris au hasard, un des passagesoa le
pttueipe s'exprimele plus heureusement « Unest le tout.et
c'est par lui que le tout s'est formé. Un est le tout, et si tout
ne contenaitpas le tout, le tout ne se formeraitpas » « "Ev
y~
id T!JtV,
Xttt5t 'tt-~3tA1:~-j'~t. "E~T<)
1t~ X!t!tt H&V T<
î~
~Y~e tA~v. Cetout qui est dans tout, c'estle monde Or,
nous dit-onquelquefois,Je mondeest conçucommeun animal
uniquedont lesparties,quelle qu'ensoitla distance,sontiiées,
7t L'A~KE SOCtOLOOtOCJi.
<90H903
outre elles d'une manière nécessaire.Tout s'y ressembleet
tout s'y touche.Cettesorte de panthéisme donnerait
la synthèsede nos diverses lois. Maislesmagiquealchimistesn'ont
pas insisté sur cette formule, sauf peut-êtrepour lui donner
un commentairemétaphysiqueet
philosophiquedont nous
n'avons que des débris. Ils insistent au contraire beaucoup
sur!aformutequ'iisiuijuxtaposont:~<t<t-aM«<MMm~t)C)<,etc.
LaM<x~,c'est, par deunition, ce qui setrouveà ta foie dansla
choseet dans ses parties, c'est-à-direce
qui fonde)a loi de
contiguïté; c'est encorece qui se trouveà la foisdans tousles
êtres d'une mêmeespèceet fonde
par là la loi de similarité;
c'est ce qui fait qu'une chose peut avoir une actionsur
une
autre chosecontraire, mais do mémo
genre, et fondeainsila
loi de contrariété.
Lesalchimistesne restent pas dansce domainedesconsidé.
'rationsabstraiteset cela mêmenous démontre
que ces idées
ont réellementfonctionneen magie. Ce
qu'ils entendentpar
<f'<, par xa~ c'est l'essencecachéeetune de leur eau ma-
gique qui produit l'or. La notion que les dernièresformules
impliquentet que les alchimistessont très loin de déguiser
cestceited'une substaucequiagitsurune autre
substanceen
vertu de sespropriétés,quel qu'onsoitle modod'action.
Cette
actionest une action sympathique,ou se
produit entre sub-
stancessympathiqueset peut s'exprimerainsi le
semblable
le
agit sur semblable disons avec nos alchimistesJesem-
blableattire le semblable,ou le semblabledomine
le semblable
(~ ou x~. Car, disent.iis,on ne peut agir sur tout avec
tout; commela nature (?~<) est enveloppéede formes
MM
il fautqu'il y ait une relation convenableentre les
a-direlesformesdes chosesquiagissentles unessur les c'est.
autres
Ainsi,quand ils disent ccla nature triomphede la
ils entendentqu'il y a deschosesqui se trouventlesnature.,
unespar
rapport aux autres dans une dépendancesi étroite
s'attirent fatalement.C'est dans ce sens qu'elles
nature de destructrice; en effet, elle est qu'ils qualifientla
dissooiatrice,c'est.
a dtrequei)e détruit parsoninuuencoles composésiostab!~
et par suite suscitedes phénomènesou des formes
en attirant à elle i'éiémont stable et nouvelles,
identique à elle-môme
qu'ellescontiennent.
S'agit-il bien ici d'une notion générale de la magie et
non pas d'une notion spéciaieà une branche de
ia magie
grecque? 11 estit croire que les alchimistesne l'ont puainven-
X. HU6EXT6't M. MAUM. – TBÉOlHE OËXÉHAm DR LA MAO!t! ~3

Me.Nousta retrouvonschezlesphilosophes,et nousla voyons


appliquéedans la médecine.Il semble qu'elle ait aussi fonc-
tionnédansla médecinehindoue.En tout cas, à supposerque
l'idéen'ait pas été expriméeailleurs, sous cette formecons-
ciente,peunousimporterait.Ceque noussavonsbien, et c'est
tout ce que nous voulonsretirer de ce développement,c'est
que cesreprésentationsabstraitesde similarité,decontigutté,
de contrariétésont inséparablesde la notion do choses, de
nature:),de propriétés, qui sont à transmettre d'un être ou
d'un objetà un autre. C'estaussiqu'il y a des échellesde pro-
priétés, de formes, qu'i) faut nécessairementgravir, pour
agir sur la Ma/M/v;que l'invention du magicien n'est pas
libreet que ses moyensd'actionsont essentiettementiimités.

8' Représentationsimpersonnelles cosc/M. – La pensée


magiquene peut donc pas vivred'abstraction. Nous avons
vu précisémentque, lorsqueles alchimistes parlaient de la
nature en générât, iis entendaientparier d'uue nature très
particulière. Il s'agissait, pour eux, non pas d'une idée
pure, embrassantles loisde la sympathie, mais de la repré-
sentation fort distincte de propriétés efficaces. Ceci nous
amenéà parlerde cesreprésentationsimpersonnettesconcrètes
qui sont les proprM~, lesqualités. Lesrites magiques s'ex-
pliquent beaucoup moinsaisémentpar l'application de lois
abstraites que commedes transferts de propriétés dont les
actionset lesréactionssont préalablementconnues.Les rites
docontiguïtésont, par déuuitiou,de simples transmissionsde
propriétés;à l'enfant qui ne parlepas, on transmet la loqua-
cité du perroquet a qui soufre du mal de dents, la dureté
des dentsde souris. Lesrites de contrariété ne sont que des
luttesde propriétésde mêmegenre, mais d'espècecontraire
le feuest le propre contrairede l'eau et c'est pour cette rai-
son qu'il fait partir la pluie. Enfinles rites de similarité ne
sonttols que parce qu'ils se réduisent, pour ainsi dire, à la
contemplationuniqueet absorbanted'uneseule propriété le
feudu magicienproduit le soleil, parce que le soleilc'est du
feu.
Maiscette idée de propriétés,qui est si distincte, est, en
mêmetemps, essentiellementobscure,comme le sont d'ail-
leurstoutestesidées magiques et religieuses.Enmagie,comme
en religion,l'individu neraisonnepas ou ses raisonnements
sontiuconscients.De mêmequ'il n'a pas besoinderéfiéchirsur
14 L'AKS~EMCtOMXMOUE.
MM.t903

la structure de son rite pour le pratiquer,de comprendresa


prière ou son socriuce,de mêmequ'il n'a pas besoinque son
rite soit logique, de mêmeil ne s'inquiètepas du pourquoi
des propriétés qu'il utilise et ne se soucie pas de justifier
rationnellementte choixet l'emploides substances.Nouapou-
vonsnous retracer quelquefoistechemincouvertqu'ontsuivi
sesidées,mais, pour lui, il n'en est généralementpascapable.
ft n'y a danssa penséeque l'idée vagued'une action possible,
pourlaquelle la tradition lui fournitdes moyens tout faits,en
lacede idée, extraordinairementprécise,du but à atteindre.
Quand on recommandede ne pas laisservoler les mouches
autour d'une femmeen travail d'entant, de crainte qu'elle
n'accouched'une fille, on suppose que les mouches sont
douéesd'une propriété sexuelle dont it s'agit ici d'éviter les
eiïets. Quandon jette la crémaiitérehorsdu logispour avoir
beau temps, on prête à la crémaiiièredesvertus d'un certain
genre. Maison ne se retrace pas la chaînedes associations
d'idées par lesquellesles fondateursdes rites sont arrivés à
ces notions.
Les représentationsde cette sorte sont peut-être les plus
importantes des représentationsimpersonnellesconcrètes,en
magie. L'emploi,si générât, des amulettesattesteleur exten-
sion. Une bonne partie des rites magiquesa pour but de
fabriquerdes amulettesqui, une foisfabriquéesrituellement,
peuvent être utilisées sans rite. Un certain nombre.d'amu-
lettes consistentd'ailleurs en substanceset en compositions,
dont l'appropriationn'a peut-êtrepas nécessitéde rite; telest
le casdespierres précieuses,diamants,perles,etc., auxquelles
on attribuedes propriétésmagiques.Mais.qu'elles tiennent
teurs vertusdu rite, ou des qualitésintrinsèquesdes matières
avec lesquelleselles sont faites, il est à peu près certain que
quand on les emploie on ne songe distinctementqu'à leur
vertu permanente.
Un autrefait qui prouvel'importancequeprend, en magie,
cette notionde propriétéest que l'unedes principalespréoc-
cupationsde la magie a été de déterminerl'usageet ics pou-
voirs spéciHques,génériques ou universels,des êtres, des
choseset mêmedes idées. Le magicienest l'hommequi, par
don, expérienceou révé)at)on,conna!tla natureet les natures;
sa pratiqueest déterminéepar sesconnaissances.C'estici que
la magietouchede plus près a ta science,Elleest quelquefois
même, à cet égard, fort savante, sinon vraimentscientifique.
M. MUeBRT ET M. M~UiM. – TM~OMt! O&t~BAt.E DE LA MAO!E7&

Une bonne partie desconnaissances,dont nous parlons ici,


est acquise, et vérifiéeexpérimentalement.Les sorciers ont
été les premiersempoisonneurs,les premierschirurgiens, et
on sait que la chirurgiedes peuples primitifs est fort déve-
loppée. Ou sait aussique les magiciensont fait en métal-
lurgie do vraiesdécouvertes.A i'inverMdes théoriciensqui
ont comparé la magieà la soieuceen raisonde la représenta-
tion obstraito, qu'ony trouve quelquefois,de la sympathie,
c'est en raisondo sesspéculationset de ses observationssur
les propriétésconcrètesdes choses que nous lui accorderons
volontiersuncaractèrescientifique Lesioisde!a magiedootil
s'agissait plus haut n'étaientqu'une sortede phHosophiema-
gique. C'était unesériede formes videset creuses, d'ailleurs
toujours mai formulées,do la loi de causalité. Maintenant,
grâce à la notionde propriété, nous sommesen présence de
véritablesrudimentsdolois scientifiques.c'est-à-direde rap-
ports nécessaireset positifsque l'on croit exister entre des
chosesdéterminées.Par le fait qu'ils sontarrivés à se préoc-
cuper decontagions,d'harmonies,d'oppositions,lesmagiciens
en sont venusà l'idéed'une causalité,qui n'est plus mystique,
mêmelorsqu'il s'agitdepropriétésqui ne sont pas expérimen-
tales.C'estmêmeen partantde la, qu'ils ont fini par se figurer
d'une façonmécaniquelesvertus des motsou des symboles.
Nous constatons d'une part que chaque magie a forcé-
ment dressé, poureiie-méme,un cataloguede plantes, de
minéraux, d'animaux,de parties du corps,etc., à l'effetd'en
enregistrer les propriétésspéciales ou non, expérimentâtes
ou non. D'autrepart, chacunes'est préoccupéede codifierdes
propriétés des chosesabstraites figuresgéométriques,nom-
bres, qualités morales,mort, vie, chance,etc. et enfincha.
cunea fait concordercesdivers catalogues.
Ici, nous nousarrêtonsà une objection ce sont, dira t-on,
les lois de sympathiequi déterminentla nature de ces pro-
priétés. Par exemple,la propriété de telle plante, de telle
chose, vient de sa couleuridentiqueoucontraire à ceiie de la
cih~a et' de l'étre coloréssur lesquelson croit qu'elle agit.
Mais,répondons-nous,dans ce cas. bienloin qu'il y ait asso-
ciationd'idées entredeux objets, en raison de leur couleur,
ooussommesen présence,tout au contraire,d'une convention
expresse, quasilégistative,en vertu de laquelle, parmi toute
une série de caractéristiquespossibles,on choisit la couleur
pour établir des relationsentre les choseset, de plus, on no
'?0 L'AiiJOÎE SOCtOt.om<)t;Ë.
) MU 603

choisit,qu'un ou quelques-unsdes objets de ladite couleur


pour réalisercette relation.C'estce que font tes Chorokees
quand ils prennentleur « racinejaune pour guérir la jau-
nisse.Le raisonnementque nousvenonsdofaire pour la cou-
leur vaut encore pour la forme, la résistance, et toutes les
autres propriétéspossibles.
D'autrepart, si nousadmettonsparfaitementqu'it y a des
chosesquisoat investiesdecertainspouvoirs,en vertude leur
nom (t'Mf<<« Mw&<M r~e~«).nous constatonsque ces choses
agissentplutôt à tafacond'incautationsquod'objetsàproprie-
tés, car ellessont dessortesdemotsréalisés.Deplus,en pareil
cas,la convention,dontnousvenonsdoparier, est encoreptus
apparente,puisqu'il s'agit de cetteconventionparfaite qu'est
un mot,donttesens.toson. le tout,sont,par définition,le pro-
duit d'un accordtribal ou national.On pourraitplus difficile-
mentencorefaireétat des clésmagiques,qui semblentdéfinir
lespropriétésdeschosespar leursrapportsaveccertainsdieux
ou aveccertaineschoses(exemptescheveuxde Yénu~ doigt
de Jupiter, barbe d'Ammon,urinede vierge,liquide de Çiva,
cervelled'initié, substancede Pedu), dont elles représente.
raient, en somme, le pouvoir.Car, dans ce nouveau cas, la
invention qui établit la sympathieest.double;d'abord, on a
cellequi déterminele choixdu nom.du premiersigne(urine
= liquide de Çiva),et cellequi déterminele rapport entre lu
chosenommée,le deuxièmesigne, et t'enet (liquide de Ç!va
= guérison de la fièvre parce que Çiva est le dieu de !a
nevre).
La relation de sympathieest peut-être de nouveau plus
apparente dans le cas des séries parallèlesde végétaux, de
parfumset de minérauxqui correspondentaux planètes.Mais,
sans parler du caractèreconveutionnetde l'attributionde ces
substancesà leur planèterespective,ii faut au moins tenir
comptede la conventionqui détermineles vertus desdites
planètes,vertuspour la plupart morales(Mars==guerre,etc.).
Eu résumé,loin que ce soit l'idéede sympathiequi ait pré-
sidé à la constitution des notionsde propriétés,c'est l'idée
de propriété,ce sont les conventionssocialesdont ellea fait
l'objet, qui ont permis à l'espritcollectifde nouer les liens
sympathiquesdont il s'agit.
Cetteréponseà uneobjectionque nous nouaposionsànous-
mêmes,ne signifiepas que les propriétésdes chosesne font
paspartie,selon nous,des systèmesde relationssympathiques.
Il. HMKXT ET M. NAUM. – TftÉOBtE (i~tt~HALS DE LA MA'itti 77

Bienau contraire, nousattachonsaux faitsdont nousvenons


de parier une extrêmeimportance.Onlesconnaîtd'ordinaire
sousle nom de signature?, c'est à-direde correspondances
symboliques.Cesont,quant a nous,des casde classification,
&rapprocherde ceuxqui out été etudiési'anneedernièredans
t'/htm~~octo~~Mf.Ainsi, les choses,rangéessous tel ou tel
astre, appartiennentà une mémoclasseou plutôt à la même
famille que cet astre, sa région, ses mansions, etc. Les
chosesde même couleur, celles de mémoforme,etc., sont
réputeesapparentéesacause de leurcouleur,deleur forme,de
leur sexe, etc. Le groupementdes choses par contrairesest
égalementuneformede classification c'est mêmeune forme
de penséeessentielleà toute magieque de répartir leschoses
au moinsen deux groupes bonnes et mauvaises,de vie
et de mort. Nous réduisons donc le système des sympa-
thieset des antipathiesà celuidesclassificationsde représen-
tations collectives.Les choses n'agissent ies unes sur les
autres que parcequ'elles sont rangéesdans la mêmeclasse
ou opposéesdans le même genre. C'est parce qu'ils sont
membresd'une même famillequedes objets,des mouvements,
desêtres, des nombres,des événements,des qualités,peuvent
être réputéssemblables.C'est encore parcequ'ils sontinem-
bresd'une mémoclasseque l'un peut agir sur l'autre, par le
fuitqu'unemômenatureest censéecommuneà toutelaclasse
commeun mêmesangest censécirculeratraverstoutun clou.
Ussontdonc,par là, ensimilariteetencontinuité.D'autrepart,
de classeà classe, il doit y avoir des oppositions.La magie
n'estd'ailleurspossibleque parcequ'elleagitavecdesespèces
classées.Espèceset classificationssont elles-mêmesdes plié.
nomènescollectifs.C'estce que prouventàlafoisleur caractère
arbitraire, et le petit nombre d'objetschoisisauxquelselles
sont limitées.En somme, dès que nous en arrivons à la
représentationdes propriétésmagiques,noussommesen pré-
sencedo phénomènessemblablesà ceux du langage. De
mêmeque, pour une chose, il n'y a pas un nombreinnuide
Moms, de mème< qu'il n'y a pour les chosesqu'unpetit nombre
de signes,et de même que les mots n'ont que des rapports
lointainsou nuls avecles choses qu'ils désignent,de même,
entre le signe magiqueet la chosesignifiée,il n'y a que des
rapportstrès étroits mais très irréels, de nombre,de sexe,
d'image,et en général de qualités tout imaginaires,mais
imaginéespar la société.
?8 L'AXNÉË tCOS-iSM
MCMLOOtQL'E.

Il y a dans la magied'autresreprésentationsAta foisimper-


sonnetteset concrètesquecellesdes propriétés.Cesontcelles
du pouvoirdu rite et de sou moded'action; nous eu avons
parlé plus haut à proposdes etiets générauxde la magie,en
signalantles formesconcrètesde ces notions,m(!m~,M)«na,
effluves,chaînes, lignes,jets, etc. Ce sont encorecelles du
pouvoirdes magicienset de leur mode d'action dont nous
avonsaussi parlé précédemment, à propos du magicien lui.
même puissancedu regard,force,poids, invisibilité, insnb-
mersibilité,pouvoirde se transporter,d'agir directementa
distance,etc.
Cesreprésentationsconcrètes,mêléesaux représentations
abstraites, permettent,&elles seules, de concevoir un rite
magique.Eu tait, il y a desrites nombreuxauxquels ne cor-
respondpas d'autresreprésentationsdéfinies.Le fait qu'elles
sontsuffisantesjustifieraitpeut-êtreceux qui, dans ta magie,
n'ontvu que l'actiondirectedes rites et ont négligé, comme
secondaires,les représentationsdémonologiquesqui, cepen-
dant, entrent dans toutestes magiesconnues,et, selon nous,
nécessairement.

3° ~r<~K<<!f«MM pelsonnelles. Z~moMo~'c.– Entre les


notionsd'espritset lesidéesconcrètesouabstraites, dont nous
venonsde parier, it n'y a pas de réelle discontinuité. Entre
l'idéede la spiritualitéde l'actionmagiqueet l'idée d'esprit,
il n'y a qu'un pastrèsfacileà franchir.L'idéed'un agent per-
sonnelpeut mêmeêtre, de ce pointde vue, considéréecomme
le terme auquel conduisentnécessairementles efforts faits
pour se représenter,d'unefa~onconcrète,l'eMeacitémagique
des riteset des qualités.En fait, il est arrivé que l'on a consi-
déré la démonologiecommeun moyende figurer les phéno-
mènes magiques les effluvessont des démons, «t ~«0~
At!<~MM thW&<{pM7 t~.V~)t!)MVt<Mt~«t La notion
jM)~f(t.
du démon,de ce pointdevue,ne s'opposedoncpasaux autres
notions,elle est,en quelquesorte,unenotion supplémentaire
destinéeà expliquerle jeu des lois et des quahtés. Elle sub-
stitue simplementl'idée d'une personnecause â l'idée de la
causalité magique.
Toutes les représentationsde la magie peuvent aboutir à
des représentationspersonnelles.Ledoubledu magicien,son
animal auxiliaire, sont des représentationspersonnifléesde
son pouvoiret du moded'actionde ce pouvoir.Quelquespio-
H. HDBEBT ET M. MAUSS. TMËOMEU~HALE DE LA MAO!E 79

togrammesOjibwaysle démontreraientpour lesmanitousdu


josaaktd. De môme, l'épervier merveilleuxqui transmet les
ordres de Nectaueboest sou pouvoirmagique.Danstousles
cas, l'animalet ledémonauxiliairessontdesmandatairesper-
sonnels,effectifs.du magicien.C'est par eux qu'il agit à dis-
ttmee.DetMemo, iopouvoirdu rite sepersonnalise.EnAssyrie,
le M<!m<< se rapprochedu démon.Eu Grèce,Hu' c'est a-dire
la rouellemagique,a fourni des démons; de m6me,certaines
formulesmagiques,les Ephesia~'amM;a<«. L'idéede propriété
aboutit au mémopoint. Aux plantes à vertus correspondent
des démons, qui guérissent les maladies ou les causent;i
nous connaissonsde ces démous des plantes en Mélanésie,
chez les Cherokees,comme en Europe(Balkans, Finlande,
etc.). Lesdémonsbalnéaires de la magiegrecquesontnésde
l'emploipour les maléficesdes objets pris dans lesbains.On
voit par ce deuxièmeexempleque la personnificationpeut
s'attacher aux détailsles plus Intimesdu rite. Elles'est égale-
ment appliquée à ce qu'il y a de plus générât dansl'idéedes
pouvoirsmagiques.L'Inde a diviniséla pa/<<<, le pouvoir.EDe
a encore divinisé l'obtention des pouvoirs,«<M/t<, et l'on
invoquela Siddhi,au même titre que les Siddha,ceux qui
l'ont obtenue.
La série des personnificationsne s'arrête pas ià l'objet
mômedu rite est personnifiésousson propre nomcommun.
C'est le cas, d'abord, des maladies fièvre, fatigue, mort,
destruction,en somme,detoutce qu'on exorcise une histoire
intéressanteà conter serait cellede cettedivinitéincertaine
du rituel atharvaniquequ'est la déesseDiarrhée. Naturelle-
ment, c'est dans le systèmedes incantations,des évocations
en particulier,que nous voyonsse produire ce phénomène,
plutôtque dans le systèmedes rites manuelsoù, d'ailleurs,
il peut passer inaperçu. Dansles incantations,on s'adresse,
en effet,à la maladiequ'on veut chasser c'est déjà la traiter
commeune personne. C'est pour cette raison que presque
toutesles formulesmalaisessont conçuessous la formed'In-
.ocaU~nsadresséesà des princes ou princessesqui ne sont
autres que leschosesou les phénomènesconsidérés.Ailleurs,
dans t'~<tfMoe(fa par exempte, tout ce qui est incanté
devient réeHetnentpersonnel. Ainsi, les Sèches, les tam-
bours,l'urine, etc. Il y a là certainementplus qu'une forme
de langage, et ces personnes sont plus que de simplesvoca-
tifs.Ellesexistaientavantetellesexistent après l'incantation.
80 L'Assis sooot.ofit~'tt. )MH9M

Tels sont les grecques, les génies dosmaladiesdans le


Foik-iorobaikauique, ~Asw) (fortune), A~'r~'(destruction)
dans l'fudo.Ces dernières oui môme des mythes, comme
d'ailleursen ont, ducs la plupart des magies, presque toutes
les maladiespersonniiiees.
L'introductiondecette notion d'esprit ne modifiepas néces-
sairement le rituel magique.En principe, l'esprit, on magie,
n'est pas une puissancelibre, il ne fait qu'obéir au rite, qui
lui indiquedans quel sens il doit agir. H se peut donc que
rien netrahissesa présence,pas mômeune mentiondans lin-
cantation.Cependant,Harriveque l'auxiliairespirituoisefasse
sa part, et unelargepart, dans les cérémoniesmagiques.H en
est oùl'on fabriquel'image d'un génie ou d'un animal auxi-
liaire. Noustrouvons,dans les rituels, des prières, des indi-
cationsd'ottrandes,de sacrifices, qui n'ont d'autre objet que
d'évoqueret desatisfairedes esprits personnels.A vrai dire,
cesritessontsouventsurérogatoiresparrapport aurite central,
dont le schème reste toujours symboliqueou sympathique
dans sesgrandeslignes.Maiselles sont quelquefoistellement
importantesqu'elles absorbent la cérémonie tout entière.
Ainsi,il arrive que des exorcismessoient entièrementconte-
nus dans le sacrificeou la prière qui s'adresse au démon
qu'il faut écarter, ou au dieu qui l'écarté.
Quandil s'agit de pareils rites, on peut dire que l'idée
d'espritest le pivotautourduquel ils tournent. Il est évident,
par exemple,que l'idée de démon est antérieure à toute
autre chez i opérateur,quand il s'adresse à un dieu, comme
ii arrive dans la magie gréco-égyptienne,pour le prier de
lui envoyerun démonqui agisse pour lui. Dans un pareil
cas, l'idée du rite s'effaceet, avec elle, tout ce qu'elle enve'
loppaitdenécessitémécanique;l'esprit est un serviteur auto-
nomeet représente, dans l'opération magique, la part du
hasard.Lemagicienfinit par admettre que sa sciencene soit
pas infaillibleet queson désir puisse n'être pas accompli.En
face de lui, une puissancese dresse. Ainsi l'esprit est, tour à
tour, soumis et libre, confonduavec le rite et disttcft du
rite. H semble que nous nous trouvions en présence d'une
de ces confusionsantinomiquesdont abonde l'histoire de la
magie,commecellede la religion.Lasolutionde cettecontra-
dictionapparenteappartient &une théoriedes rapports de la
magieet de la religion.Cependantnous pouvonsdéjà dire ici
que les faitsles plus nombreuxen magie sont ceux oùle rite
Il. itUBEKT ET M. MA)' – Tf))!oRtH OtSKtittAU!M LA MAUM 8<

parait contraignant,sans nier l'existencedes autresfaits dont


nous retrouveronsailleurs l'explication.
Quesont les esprits de la magie?Nousallonseu tenter uue
classificationtrès sommaire, un dénombrementtrès rapide,
qui nous Montreracomment la magie a recruté ses armées
d'esprits. Nousverrons immédiatementque ces esprits ont
d'autres qualificationsque des qualificationsmagiques,qu'ils
appartiennent aussi à ia~religion.
Une première catégoried'esprits magiquesest constituée
par les âmes des morts. Il y a même des magiesqui, soit
par réduction,soit originellement,ne connaissentpas d'au-
tres esprits. Dansla. Mélanésieoccidentale,on a recours,
dans la cérémonie magique commedans la religion,à 'des
esprits, nommés lindalos qui, tous, sont des âmes. Tout
mort peut devenir~~«<o, s'il manifestesa puissancepar un
tirade, un méfait, etc. Mais en principe, ne deviennent
~'M<~<M que ceux qui avaienteu, doleur vivant,des pouvoirs
magiquesou religieux.Les mortspeuventdoncicifournirdes
esprits. Il en est de même en Australie et en Amérique,
chezles Cherokeeset les Ojibways.-Dans l'Indeancienneet
moderne, les morts, ancêtres divinisés, sont invoqués en
magie; mais dans les maléCces,on invoqueplutôt les esprits
des défunts pourlesquelsles rites funérairesn'ont pas encore
été parfaitementaccomplis(~'<'<<t), de ceux qui ne sont pas
ensevelis, des hommes morts de mort violente,des femmes
mortesen couches,des enfants mort-nés(<Ma, e~Mreb, etc.).
Les mômesfaits se sont produits dans la magiegrecque,
dont les Sat~tt, c'est à-dire les esprits magiques,ont reçu
des épithètes qui les désignent comme des âmes: on ren-
contre quelquefois la mention de ~ot'jSatjtoytt, de 8ct{jM~t<
j~p~ Mi tMTpMot, mais, plus souvent,cellede démonsmorts
de mort violente(~MtteOav~Tot),
nonensevelis(&MpM etc.
'M?<i<),
En pays grec, une autre classede défunts fournitencore des
auxiliaires magiques, c'est celle des héros, c'est-à-diredes
mortsqui, par ailleurs,sontl'objetd'un cultepublic;toutefois,
il n'est pas sur que tous les héros magiques aient été des
hérosofficiels.Sur ce point même, le <<M<Mo mélanésienest
tout à fait comparableau héros grec, car il peut n'avoir
jamais été un mort divinisé et, pourtant, il est conçuobliga-
toirementsouscette forme. Dansle christianisme,tousles
morts ont des propriétés utilisables, des qualités de mort
mais la magien'agit guèrequ'avec les âmes des enfantsnon
-0-- -0-. p~ .y.vv wswvwava VH·pu4V H

E. !)fntt))M. Année oocM., <SM.i9M. 6


82 L'AS«KE MCtût.OUiQUH. ta0~.)903

baptisés,cellesdesmortsdo mort violente, des criminels.


Ce très court exposémontre que les morts sout esprits
magiques,soit eu vertu d'une croyance générale à leur
pouvoirdivin. soit en vertu d'une qualificationspécialequi,
dans le monde des fantômes, leur donne. par rapport aux
êtres religieux, uneplacedéterminée.
Uue deuxième catégorie d'êtres magiques est celle des
démons.Bienentendu,le mot do démonn'est pas pour nous
synonymedu mot diable, mais des motsgénie,<H(K,etc. Ce
sontdes esprits,peu distinctsdes âmes des morts, d'une part,
etqui, d'autre part, nesont pas encorearrivésa la divinitédes
dieux. Bien qu'ils aient une personnalité assez falote, ils
sont souventdéjà quelquechose de plus que lu simple per-
sonnllicatlondes ritesmagiques, des qualités ou des objets.
En Australie, ii semblequ'on les ait partout conçus, sous
une formeassez distincte; même, quand nous avons&leur
sujet des informationssuulsautes, ils nous paraissent en
somme assez spécialisés.Chez les Aruntas, nous trouvons
des esprits magiques,les ~'MMc/taset les /n<~<u'ut!'<M, qui
sont de véritablesgénieslocaux dontle caractèreassezcom-
plexemarquebien l'indépendance.Dansta Métanésieorien-
tale, on invoque des esprits, qui ne sont pas des âmes des
morts et dont un certain nombre ne sont pas des dieux
proprementdits; cesesprits tiennent unq place considérable,
surtout dans les rites naturistes OMfdes lies Salomon,
MjjfOMt de Fioride, etc.Dansl'Inde, aux <~t!<M, les dieux, sont
opposésles ~MdcfM, ~-s<H<M, t'<~8«<M,etc., dont l'ensemble
constitue;dès qu'il y a ciassincution,la catégoriedes /isMfM,
dont les principales personnalités sont rr~« (le rival d'In.
dra), A~tMMCt (id.), etc.Toutle monde sait que le mazdéisme
a considéré,au contraire, les <~e~s, suppôts d'Ahriman,
commeles adversairesd'Ahura Mazda. De part et d'autre,
danscesdeux cas, nousavons affaire a des êtres magiques
spécialisés,commemauvaisgénies Il est vrai et pourtant,
leurs noms mômesdémontrent que, entre eux et les dieux,
il n'y avait pas, au moinsà l'origine, de radicalodistinction.
Chezles Grecs, les êtres magiques sont les ~(~t;, qui,
commenous Favonsvu,voisinent avec les âmes des morts.
La spécialisationde ces esprits est telle, que ia magiea été
déBnie,enGréée,par ses relations avec les démons.I! y a des
démousdetoussexes,detoutessortes, de toutesconsistances
les uns sont localises,les autres peuplent l'atmosphère.Un
Il. MfBEB'r ET M. MAUSS. THÉOMBGËX~HAt.RM LA MAGtË 83

certain nombreont des noms propres,maiscesontdes noms


magiques. Le sort des 3<t(~o'/<! tut do devenir de mauvais
génies et d'aller rejoindre, dans la classedes esprits malfai-
sants, les AfTAop~, ~rnptMM, Kéres,etc. Lamagiegrecquea,
de plus, une préférencemarquéepour les angesjuifs et en
particulierpour tesarchanges,demêmeque ta magiemalaise.
EnfineUese constitueavec ses archanges,auges,archontes,
démons,éons, un véritable panthéon magiquehiérarchisé.
La mugiedu Moyenâge en a hérite,de mêmeque tout l'Ex-
tréme-Orienta hérité du panthéonmagiquedes Hindous.
Maisles démonsfurent transformésen diableset rangés à
ta suite de Satan-Lucifer,'de qui relèvela magie.Cependant
nousvoyons,dans la magiedu Moyeuâge,et jusqu'ànos jours,
dans des pays où les vieillestraditionsse sontmieuxconser-
véesque dans le nôtre, subsisterd'autres génies,fées, farfa-
dets, gobeJlns,kobolds,etc.
Maisla magie ne s'adressepas nécessairement à des génies
spécialisés.En fait, les diversesclassesd'espritsspécialisés
dont nousvenonsde parler n'ont pas toujoursété exclusive
mentmagiqueset, mêmedevenuesmagiques,ellesont encore
leur place dans la religion ou ne dira jamaisque la notion
d'enfer soit une notion magique.D'autrepart, it y a des pays
où les fonctionsdo dieu et de détnonne sont pas encore
distinguées.C'est le cas de toute l'Amériquedu Nord; les
manitous algonquins passent constammentdes unes aux
autres; c'est également le cas de la Méianésieorientale, où
les !<tM<a~font de même. En Assyrie,nous trouvonsdes
sériesentièresde démons,dont nousnesommespassûrs qu'its
ne soient pas des dieux; dans l'écriture,leurnom porte en
générâtt'afnxedivin tels sont, en particulier,lesprincipaux
d'entre eux, les Iglgi et les Annunnaki,dont l'identité est
encoremystérieuse.Sommetoute,les fonctionsdémoniaques
ne sontpas incompatiblesavec lesfonctionsdivines;d'ailleurs,
l'existencede démonsspécialisésn'interditpasà la magiede
recourirà d'autres esprits, pour leur faire tenirmomentané-
ment un rote démoniaque.Aussi voyons-nous,dans toutes
les magies,des dieux et, dans la magiechrétienne,des saints
figurerparmi les auxiliairesspirituels.Dansi'fndo,les dieux
interviennentmêmedans le domainedu maléfice,malgré ta
spécialisationqui s'y est produite,et ils sontlespersonnages
essentielsde tout le reste du rituel magique.Dansles pays
autrefois blndoulsès, Malaisie et Campa'Cambodge),le
M iCOKMa
t/AKS~K !M)<~OHMMO);B.

panthéonbrahmaniquefiguretoutentierdans la magie.Quant
auxtextes magiquesgrecs, Usmentionnentd'abordunefoule
de dieuxégyptiens,soit sous leurnom égyptien,soit sousleur
nomgrec, des dieux assyriens ou perses, lahwé et toute la
séquelle des anges et des prophètesjuifs, o'est-adire des
dieux étraogers à lacivilisationgrecque.Maison y voitégale-
ment prier les « grands dieux », avecleur nom et sous leur
formegrecque, Zeus, Apollon,Asciépios,et mémoavecles
détermiuatifsde lieu qui les particularisent.En Europe,dans
un très grand nombred'incantations,dans les charmesmy-
thiquesen particulier, ne figurentque la Vierge,le Christet
les saints.
Les représentationspersonnellesont dans la magie une
consistancesunisante pour avoir formé des mythes. Les
charmes mythiquesdont nous venonsde parler contiennent
desmythespropresata magie.Ily en a d'autresquiexpliquent
l'origine de la tradition magique,celledes relationssympa-
tiques, celle des rites, etc. Mais, si la magie connaît des
mythes,ellen'en connaît que de rudimentaires,de très objec-
tifs, visant uniquementles choses,et non pas les personnes
spirituelles. La magie est peu poétique,elle n'a pas voulu
fairel'histoire de sesdémons.Ceux-cisont commeles soldats
d'unearmée,ils formentdes troupes,des ganas,des bandesde
chasseurs, des cavalcades ils n'ont pas de véritableindivi-
dualité.Bien plus, quand les dieux entrent dans la magie,
ils perdentleur personnalité et laissentpour ainsi dire leur
mytheà la porte. La magie ne considèrepas en eux l'individu,
maisla qualité, la force, soit générique,soit spéciOque,sans
compterqu'elle les déformeà plaisir et qu'elle les réduitsour
vent à n'être plus que de simples noms. De mcmeque nous
avons vu les incantations donner des démons, les dieux
unissentpar se réduireà des incantations.
Lefait quela magiea fait placeaux dieux montrequ'ellea
su se prévaloirdes croyancesobligatoiresde la société.C'est
parcequ'ils étaient, pour celle-ci,objet de croyances,qu'elle
les a fait servirsesdesseins. Maisles démons sont,de même
queles dieuxet les âmesdes morts,l'objet de représentations
collectives,souvent obligatoires, souvent sanctionnées,au
moins par des rites, et c'est parcequ'ils sont tels qu'ils sont
des forces magiques. En fait, chaquemagie aurait pu en
dresserdes catalogueslimitatifs,sinon quant au nombre,du
moinsquant aux types.Cettelimitationhypothétiqueet théo-
Il. XUBERTBT M. MAUM. – THÉOMEC)!~HAL)! DE LA MACtS 85

rique serait un premier signe du caractère collectif de ia


représentationdes démons.Kusecondlieu, Il y a des démons
qui sonnommés&la façondesdieux;commeiissontempioyés
conventionnellementà toutes MM,ils ont reçu de ta mui-
tipiicité de leurs servicesune espèced'individualité et sont,
individueiiement,l'objet d'unetradition.Doptus, la croyance
commune&ta force magiqued'unêtre spirituel supposetou-
joursqu'il a fait, aux yeuxdu pubiic,ses preuves, miracles
ou actes efficaces.Uneexpériencecollective, tout au moins,
uneUiusion collective est nécessairepour créer un démon
proprementdit. Enfin comptons,pour mémoire, le fait que
ia plupart des esprits magiquessont exclusivementdonnés
dansle rite et la tradition leur existencen'est jamais véri-
néeque postérieurementà la croyancequi les impose.Ainsi,
demêmeque les représentationsImpersonnellesdo la magie
semblent n'avoir d'autre réalité que la croyancecollective,
c'est-à-diretraditionnelleet communeà tout un groupe,dont
ellessont l'objet, de mêmeses représentationspersonnelles
sont,à nos yeux, collectives nouspensonsmômequ'on l'ad-
mettra plus aisémentencore.

IV

G~ÉnALES
OHSERVADOSS

Lecaractèreindéfini et multiformedes puissances spiri-


tuelles,aveclesquelleslesmagicienssonten relations, appar-
tientbien à la magto tout entière,Les faits que nous avons
rassembléssont, à premièrevue,disparates.Les uns confon-
doatla magie avec les techniqueset les sciences,les autres
l'assimilentaux religions. Elleest quelque chose d'intermé-
diaireentre les unes et les autres,qui ne se définitni par ses
buts,ni par ses procédés,ni par ses notions. De tout notre
examen, elle sort plus ambiguë, plus indéterminée que
jamais. Elle ressembleaux techniqueslaïques par ses fins
pratiques,par le caractèremécaniqued'un grand nombre de
ses applications, par le faux air expérimentalde quelques.
unes de ses notions principales.Elles'en distingue proton-
démentquand elle fait appel &des agents spéciaux, à des
intermédiairesspirituels, se livre à des actes de culte et se
rapprochede la religion par les empruntsqu'elle lui fait. ït
«6 L'AXSÉt! <902.i903
SttCMMotQt;)!.
n'est presque pas de rite religieux qui n'ait ses équivalents
dans la magie; on y trouve même la notion d'orthodoxie,
commeen témoignent les ~jM.at, les accusationsmagiques
de rites impurs de la magie gréco-égyptienne.Mais,outre
l'opposition que les religions lui fontet qu'elle faitaux reli-
gions (oppositionqui. d'ailleurs,n'est ni universelle,ni cons.
tante), son incohérence, la part qu'eue laisse à la fantaisie,
l'éloignent de l'image que nous sommes habitués à nous
former des religions.
Pourtant, l'unité de tout le systèmemagiquenousapparaît
maintenantavec plus d'évidence c'est là un premiergainque
nous noussommesassuré par cecircuit et ceslonguesdescrip-
tions. Nousavons des raisonsd'affirmer que la magieterme
bien un tout réei.Les magiciensontdes caractéristiquescom-
munes les effetsproduits par les opérations magiquesont
toujours, maigre leur iuuuie diversité, quelque chose de
commun ies procédésdivergentsse sont associésen types
et en cérémoniescomplexes;ios notions les plus différentes
se complètent et s'harmonisent,sans que le total perderien
de son aspect incohérent et disloqué. Ses parties forment
bien un tout.
Maisl'unité du tout est encoreplus réelle que chacunedes
parties. Car ces éléments, que nousavons considéréssucces-
sivement, nous sont donnéssimultanément.Notreanalysâtes
abstrait, mais ils sont étroitement,nécessairementunis.Nous
avons cru dé(tnirsumsammentles magicienset les représen-
tations de la magie, en disant que les uns étaient les agents
des rites magiques, les autres les représentationsqui leur
correspondent,nous les avonsrapportés aux rites magiques;
nous no nous étonnonsdonc pas que certains de nos devan-
ciersn'aient vu dansla magieque desactes.Maisnousaurions
pu toutaussi bien définir lesélémentsde la magiepar rapport
aux magiciens Ils se supposentles uns les autres. Il n'y a
pas de magicien honoraire et inactif. Pour être magicien, il
faut faire de la magie; inversement,quiconquefait acte de
magieest, à ce momentmême,magicien;il y a des magiciens
d'occasion, qui, l'acte accompli, retombent immédiatement
dans la vie normale. Quant aux représentations, ellesn'ont
pas de vie en dehors des rites.Elles n'ont pas, pour la plu-
part, d'intérêt théorique pour le magicien,qui ne les formule
que rarement. Elles n'ont qu'un intérêt pratique et ne s'ex-
priment guère, dans la magie,que par ses actes. Ceux qui
Il. HUX)!n'rET M. MA).'M. THtSOHfE
O~S~RALE
CE t.A MAOtB87

les ont réduits les premiers en systèmessont des philo.


sopheaet non pas des magiciens;c'est la philosophie éso'
toriquequi a fournila théoriedes représentationsde la magie.
Celle-cine s'est même pas constituesa démonologie dans
l'Europechrétienne, commedans l'Inde, c'est la religion qui
a fait le cataloguedesdémons.Endehorsdes rites, les démons
ne viventque dans les contesou dans la dogmatique,Il n'y
a donc pas en magie de représentationpure; la mythologie
magiqueest embryonnaireet paie. Tandis que, dans la reli-
gion, le rituel et ses espèces,d'une part, la mythologieet le
dogmatique,de l'autre, ont une véritableautonomie,les éié-
mentsde la magiesont, par nature, inséparables.
Lamagieest unemassevivante,informe,inorganique, dont
les parties composantesn'ont ni place ni fonction fixes. On
les voitmemeseconfondre la distinction,pourtant profonde,
des représentationset des rites s'effaceparfois &tel point
qu'un simple énoncéde représentationpeut devenir un rite:
le MHMMm cfK<'not!KC!<!<r
est une incantation.L'esprit que
possèdele sorcier, ou qui possède le sorcier, se confond
avec son âme et sa force magique sorciers et esprits por-
tent souvent le même nom. L'énergie du rite, celle de
l'esprit et celle du magicien,ne font normalement qu'un.
L'état régulier du système magiqueest une assez complète
confusion des pouvoirs et des rôles. Aussi l'un des élé-
ments peut-il disparaître,en apparence, sans que le carac-
tère de la somme soit changé. Il y a des rites magiques
qui ne répondenta aucunenotionconsciente,tels les gestes
de fascinationet bon nombred'imprécations.Inversement, il
y a des cas où la représentationabsorbe le rite dans les
charmes généalogiques,l'énoncédes natures et des causes
est &lui seul le rite. En résumé,les fonctionsde la magie ne
sont pas spécialisées.La vie magiquen'est pas partagée en
départementscommela vie religieuse.Elle n'a pas produit
d'institutionsautonomescommele sacrificeet le sacerdoce.
Aussin'avons-nouspas trouvéde catégoriesdefaits magiques,
nous n'avons pu que décomposerla magie en ses éléments
abstraits. Elle reste partout à l'état diffus. Dans chaque cas
particulier, on est eu présenced'un tout qui, commenous le
disions, est plus réel que ses parties. Nous avons donc
démontréque la magie,commetout, a une réalité objective,
qu'eitoest une chose, mais quelgenrede choseest-elle? `?
Nousavons déjà dépassénotredéuaitton provisoire en éta-
88 L'A~ËË MUtOLOOQL'Ë. tS02-)90.'t

blissant que les divers élémentsde la magie sont créés et


qualifiéspar ta collectivité.C'est un deuxièmegain réel qu'il
nous faut enregistrer. Le magicienest qualifiésouventpar lit
sociétémagiquedontil fait partie, et, toujours,par !a société
eu général. Les actessont rituels et se répètentpar tradition.
Quant aux représentations,les unes sont empruntéesà d'au-
tres domaines de ln vie sociale,telle ridée d'êtres spirituels,
et nous renvoyonsaux études, qui porterontdirectementsur
la religion, la tache de démontrer que cette notion est ou
n'est pas le produit de l'expérienceindividuelle;les autres,
endn, ue procèdent pas des observationsni des réHexionsde
l'individu et leur applicationne donne pas lieu à l'initiative
de celui-ci, puisqu'il y a desrecettes et des formules que lit
tradition impose et qu'on utilise sans examen.
Si les éléments de la magie sont collectifs,en est-il do
même du tout? Autrementdit, y a-t-il dans la magiequelque
ehose d'essentiel qui ))esoit pas objet de représentationsou
fruit d'activités collectives?Mais n'est-Upas absurdeet cou.
tradictoire de supposerque lit magie puisse être, dans son
essence,un phénomènecollectif,alors que,justement, parmi
tous les caractères qu'elle présente, nous avons choisi, pour
l'opposer à la religion, ceuxqui la rejettenthors de la vie
régulièredes sociétés. Nous l'avons dite pratiquée par des
Individus, isolée, mystérieuseet furtive, éparpillée et mor-
celée, enfin arbitraire et facultative.Elle paratt aussi peu
sociale que possible, si du moins le phénomènesocial se
reconnaltsurtoutala généralité,à l'obligation,alacontrainte.
Serait elle sociale à la manièredu crime, parce qu'elle est
secrète, illégitime, interdite?Maiselle ne peutl'être exclusi-
vement ainsi, puisqu'elle n'est pas exactementl'envers de la
religion, commele crimeestl'envers du droit. Elledoit l'être
à la façond'une fonctionspécialede la société.Maiscomment
la concevoiralors? Commentconcevoirl'idéed'un phénomène
collectifou les individus resteraientaussi parfaitementindé-
pendants les nus des autres?
Il y a deux ordres de fonctions spécialesdans la société
dont nous avons déjà rapprochéla magie.Cesont, d'une part,
les techniqueset les sciences,de l'autre, la religion.La magie
est-elleune sorte d'art universelou bien uneclassede phéno-
mènes analogues à la religion? Dans un art ou dans une
science, les principes et les moyens d'action sont élaborés
collectivementet transmis par tradition. C'est à ce titre que
li. HUBHttT KT M. MAL' – THtSQKtË OÉX)!nALK DE LA MAN)E 89

les scienceset les arts sont bien des phénomènes collectifs.


De plus, l'art ou la sciencesatisfont &des besoins qui sont
communs.Mais,les élémentsdonnés, l'individu vole de ses
propresailes. Sa logiqueindividuelle lui suffitpour passer
d'unélémentà l'autre et, de là, à l'application. 1)est libre; H
peut mêmeremonterthéoriquementjusqu'au point de départ
de sa techniqueou de sa scieuce,ta justifier ou la rectifier, à
chaquepus, à ses risqueset périls. Hienn'est soustrait à son
contrôle.Donc,si la magieétait de l'ordre des scienceset des
techniques,la difucuitéque nous venons d'apercevoir serait
écartée,puisque les scienceset les techniques ue sont pas
collectivesdans toutesleurs parties essentielleset que, tout
eu étantdes fonctionssociales, tout en ayaot la société pour
bénéficiaireet pour véhicule,ellesn'ont pour promoteursque
des individus. MaisIl nous est difïicite d'assimiler la magie
aux scienceset aux arts, puisque nous avons pu la décrire
sans jamaisy constaterune pareille activité créatrice ou cri-
tique des individus.
Il nous reste donc à la comparerà la religion, et, dans ce
cas, la difncuttéresteentière.Nouscontinuons,en effet,à pos-
tuler que la religion est un phénomèneessentiellementcol-
lectifdans toutesses parties. Touty est fait par le groupe ou
sousla pressiondu groupe. Les croyanceset les pratiques y
sont par nature obligatoires.Dans l'analyse d'un rite pris
commetype, le sacrifice,nous avons établi que la sociétéy
était partout immanenteet présenteet qu'elle eu était le véri-
table acteur, derrière la comédiecérémonielle. Nous avons
été jusqu'à dire que les chosessacrées du sacrifice étaient
des choses sociales par excellence.Pas plus que le sacrifice,
la viereligieusen'admetd'initiative individuelle: l'invention
ne s'yproduit que sous forme de révélation. L'individu se
sent constammentsubordonnéà des pouvoirsqui le dépas
sent et l'incitent à agir. Si nous pouvonsmontrer que dans
toutel'étendue de la magie, regueut dos forcessemblablesà
cellesqui agissentdansla religion, nous aurons démontrépar
là que la magiea le mêmecaractère collectif que la religion.
11nenous restera plusqu'à fairevoircommentéesforcescol-
lectivesse sont produites,malgrél'isolementoù nous parais-
sentse tenir les magiciens,et nousseronsamenésà l'idéeque
ces Individus n'ont fait que s'approprier des forces collec-
tives.
CMAt'tTRKIY

ANALYSE ET EXPLICATION DE LA MAGIE

Ainsi nous rédnisons progressivementl'étude de la magie


&la recherche des forces collectivesqui agissent en elle
comme dans la religion. Noussommesmômeen droit de
penser que. si nous les trouvons,nousexpliqueronsà la fois
le tout et les parties. Qu'onse rappelle, en effet,combienla
magie est continue, et a quel point ses éléments, étroi-
tement solidaires, ne semblentêtre que les divers reflets
d'une même chose. Los actes et les représentationsy sont
tellement inséparablesqu'on pourrait fortbien l'appelerune
t~c ~'a~«e. Même si l'on se souvientde la monotoniede
ses actes, du peude variétéde ses représentations,deson uni-
formité dans toute l'histoire de la civilisation,on peut pré-
juger qu'elle constitue une idée pratique de l'ordre le plus
simple. Nouspouvonsdonc nousattendreà ceque les forces
collectivesqui y sont présentesne soient pastrop complexes,
ni la méthodedont le magiciens'est servipour s'en emparer,
t)'op compliquée.
Nous chercheronsà déterminercesforcesen nous deman-
dant d'abordde quellesorte de croyancela magiea étél'objet,
et en analysantensuite l'idée d'etlicacitémagique.

1 ·

LA CHOt'AXCB

La magie est, par définition,objet de croyance.Maisles


éléments do la magie, n'étant pas séparablesles uns des
autres et même se confondant les uns avec les autres,
ne peuvent pas être l'objet de croyancesdistinctes.Ils sont,
tousà la fois,l'objetd'une mémoaffirmation.Celle-cine porte
pas seulementsur le pouvoird'un magicienou la valeurd'un
rite, mais sur l'ensembleou sur le principe de la magie.De
H. HMEM ET M. MAMS. – TH~OMB OËN~LK DE LA MMtE 9t

mêmeque la magieest plus réelle que ses parties, de même,


la croyanceà la magieen général est plus enracinéeque celle
dont sesélémentssontl'objet.La magie,commela religion,est
un bloc,ou y croitoul'ou n'y croit pas.C'estce qu'onpeut véri-
fier dansles casoù la réalitéde la magiea été miseen doute.
Quanddepareilsdébatss'élevèrent,audébut du Moyenâge,au
xvn*siècle, et là où ils se poursuivent encore obscurément
de nos jours,nous voyonsque la discussionportesur un seul
tait. Il s'agit, chez Agobard, par exemple, plutôt dea fai-
sours de mauvaistemps; plus tard, de l'impuissancecausée
par maléficeou du vol aérien des suivantes de Diane; chez
Bekker(de~toocer~ Mw'M.Amsterdam,dC93),de l'existence
des démons et du diable; chez nous, du corps astral, des
matérialisations,de la réalité de la quatrième dimension.
Mais,partout, les conclusionssont immédiatementgénéra-
lisées et la croyanceà un cas de magieentraîne la croyance
à touslescas possibles.Inversement,une négationfaitcrouler
tout t'édifiée.C'est,en effet,la magieelle-mêmequi est mise
en question.Nousavonsdes exemptes-d'incrédulitéobstinée
ou de foi enracinéecédant tout d'un coup à une expérience
unique.
Quelleest la nature de cette croyance à la magie? Res-
semble't-elleaux croyancesscientifiques? Celles-cisont «
p<M(fr«M't,perpétuellementsoumisesaucontrôlede l'individu,
et ne dépendentque des évidencesrationnelles.En est-il de
mémo de la magie? Évidemmentnon. Nous connaissons
mêmeun cas, qui est en véritéextraordinaire,celuidel'Ëglise
catholique,où la croyance& la magie fut un dogme,sanc-
tionnépar des peines. En général, cette croyance n'est que
mécaniquementdiffusedans toute la société on la partage
de naissance.En cela, la croyanceà la magie n'est pas très
différentedescroyancesscientifiques,puisquechaquesociété
a sa science,égalementdiffuse,et dont les principesont été
quelquefoistransformésen dogmesreligieux. Mais, tandis
que toute science,même la plus traditionnelle, est encore
conçue comme positiveet expérimentale, la croyanceà la
magieest toujours a priori. La foi dans la magie précède
nécessairement l'expérience on ne va trouver le magicien
queparce qu'on croit en lui; on n'exécute une recette que
parce qu'on a confiance.Encore de nos jours, les spirites
n'admettentchez eux aucun incrédule, doat la présence
empêcherait,pensent-ils,la réussitede leurs opérations.
M t/AKKÉB WCMMGtOt.')!. <902-ta03

La magiea une telle autorité, qu'en principe l'expérience


contrairen'ébranle pas la croyance.Elleest, en réalité, sous-
traite &tout contrôle. Mêmeles faits détavorablestournent
en sa faveur, car ou pensetoujoursqu'ils sont l'ellet d'une
contre.magie,de fautesrituelles,et en jouerai de ce que les
conditionsnécessairesdes pratiquesn'ont pas été réalisées.
Dans les procès-verbauxdu procès d'un magicien. Jean
Michel.qui fut brute à Bourges,en 1623,nous voyonsque co
pauvrei~ommo,menuisierde son état, a passesa vieir faire
des expériencesmanquées; une seule fois il arriva près du
but, mais, pris de peur, il se sauva.Citezles Cherokees,un
envoûtementmanque, loin d'ébranler la confiancequ'on a
J dans le sorcier, lui donne plus d'autorité. Car son office
devient indispensablepour pallier les elletsd'une force ter-
riblequi peutse retournercontrelematadroitquil'adéchalnée
mal à propos.C'estlà ce qui se passedans toute expérimen-
tation magique les coïncidencesfortuitessont prises pour
des faits normauxet les faits contradictoiressont niés.
Néanmoins,ou s'est toujourspréoccupétrès vivementde
citer, à l'appui de la croyanceà la magie, des exemples
précis, datés, localises.Mais,là où nous avonssur la ques-
tion touteune littérature, enChineoudansl'Europedu Moyen
âge, on constateque les mêmesrécits passentsempiternelle--
ment de textesen textes.Cesont des preuvestraditionneiies,
des contes magiquesanecdotiques,qui ne sont pas différents
de ceux par lesquels s'entretient,dans toute l'humanité, la
croyanceà la magie. Observonsque ces soi-disantanecdotos
sont étrangementmonotones.C'estque, dans tout ceci,il n'y
a aucun sophismeconscient,il y a seulementexclusivepré-
possession.Les preuvestraditionnellessuiusont on croit~ux
contes magiquescomme aux mythes.Mêmedans le cas où
le conte magiqueest une plaisanterie,c'en est une qui peut
toujoursmal tourner. La croyanceà la magieest doncquasi-
obligatoire, a priori, et parfaitementanalogue ù cel,lequi
s'attacheà la religion.
Cettecroyance existe à la fois chez le sorcier et dans la
société. Maiscomment est-il possibleque le magiciencroie
à une magiedont il est constammentà mêmed'apprécier, à
leur juste valeur, les moyenset tesenets? C'estici que nous
rencontronsla grave questionde la supercherieet de la aimu'
lation en magie.
Pour la traiter, prenonsl'exempledessorciersaustraliens.
M. HUttBKT)!-)-M. MAUX! Tt~MUt! OÉ~HAM C)t LA MAOtB 9S

Parmi les agents de magie, il en est peu qui semblent avoir


été plus convaincusde l'etïlcacitéde leurs rites. Mais les
meilleursauteursnousattestentaussi que,jamais,pouraucun
desrites pratiquésdans des états normaux, le sorcier n'a vu,
ni cru voir, l'ellet mécaniquede ses actes. Considéronsles
méthodesde magie noire. Elles peuvent, en Australie, se
réduire presque à trois types, pratiqués ou concurremment
ou isolémentdanslesdiversestribus. Le premiertype, je plus
répandu, est l'envoûtementproprement dit, par ta destruc.
tion d'une chosequi est censéefaire partie d'une personneou
la représenter,restesde nourriture, débris organiques,traces
de pas, images. Il est impossibledo s'imaginer que jamais
le magicienait été mis expérimentalementa mémode croire
qu'il tuait ou brûlant un restede nourriture méiéde cire ou
do graisse,ou en transperçantune image. Cequi établit bien
que l'illusionn'est jamaisque partielle,c'est le rite mentionné
par MM.Spenceret GlUen,qui consiste à percerd'abordun
objetreprésentantl'âmede l'être incanté, pourlancer ensuite
ce mêmeobjetdansia directionde sa résidence.Le deuxième
type de ces rites, pratiqué tout particulièrementdans les
sociétés du sud, du centre, do l'ouest, est ce qu'on peut
appeler l'enlèvementde la graisse du foie. L'enchanteurest
censés'approcherde la victimeendormie, lui ouvrir ie flanc
avecun couteaude pierre, retirer la graissedu foie.fermerla
cicatrice;il part, et l'autre meurt lentementsanss'être aperça
de rien. Mest bien évidentquec'est un rite qui n'a jamais pu
être vraimentpratiqué. Le troisièmetype, usitéau nord et au
centrede l'Australie,est le lancementde l'osde mort. L'en-
chanteur est censéfrapper sa victime d'une substance mor-
telle. Mais,en réalité, dans quelques cas cités par M. Rotb,
l'arme n'est mêmepas lancée dans d'autres,elle l'est à une
distancetelle qu'il n'est évidemmentpas possiblede penser
qu'elle arrive jamais au but et transmette, par contact, la
mort. Souventon ne la voit pas partir et jamaison ne l'a vu
arriveraussitôtaprès l'avoir lancée.Bienqu'un certain nom-
bre de cesrites n'aient jamaispu être complètement.réalisés,
bien que i'etïlcacitédes autres n'ait jamaispu être vérinée,
ilssont pourtant,nous le savons,d'un usagecourant, prouvé
par les meilleurstémoins,démontré par l'existenced'objets
nombreuxqui ensont les instruments. Qu'est-cea dire, si ce
n'est que des gestes sont pris, sincèrementmais volontaire-
ment, par des sorciers, pour des réalités, et des commence-
94 t/AM~BsocmMOtQUE.
WS~Ma
mentsd'actes,pourdesopérationschirurgicales?ï<esprélimi-
nairesdurite, la gravitédes démarches,l'intensité du danger
couru (car il s'agit d'approcher d'un camp où être vu c'est
mourir),le sérieuxde tousces actes démontre une véritable
volontéde croire.Mais H est impossiblede s'imaginer que
jamaissorcier australienait ouvert le foied'un enchantesans
le tuer sur le coup.
Cependant,&côtedocettevolontéde croire, on nous atteste
une croyanceréelle. Les meilleursethnographesnous assu-
rent que le magiciencroit très profondémentavoir réussi ses
envoûtements,il réussità se mettre dans des états nerveux,
cataleptiques,ot il peut vraiment être en proie &toutes les
illusions.Entout cas, le sorcier, qui n'a peut-êtrequ'une con-
fiancemitigée dans ses propres rites, qui sait, sans aucun
doute,que lessoi-disantpointesdo flèchesincantées,extraites
du corpsdes rhumatisants,ne sont que descailloux qu'il tire
de sa bouche,ce mêmesorcier recourra infailliblementaux
servicesd'un autre homme-médecine quandil est maladeet Il
guériraou selaisseramourir,suivant que son médecinle con-
damneou prétendle sauver.En somme,la Hecheque les uns
ne voientpaspartir, les autres la voientarriver. Elle arrive
sous forme de tourhiiiou, do flammesqui sillonnent l'air,
sous formede petits cailloux que, tout à l'heure, le sorcier
verraextrairede soncorps,alors qu'il neles extrayait pas lui-
même du corps de son malade. Le minimum de sincérité
qu'on puisse attribuer au magicien, c'est qu'il croie, à tout
le moins, à la magiedes autres.
Cequi est vrai pour les magiesaustraliennesl'est pour les
autres. Dans l'Europecatholique,il y a eu au moins un cas
où l'aveu des sorcièresn'est pas suspect d'avoir été arraché
par l'inquisition du juge; au début du Moyenâge, le juge
canoniqueet le théologienrefusaientd'admettre la réalité du
voldes sorcières à la suite de Diane. Or, celles-ci, victimes
de leur illusion, s'obstinaientà s'en vanter leurs dépens, au
point qu'elles ont fini par imposer leur croyanceà l'Église.
Chezcesgensà la foisincultes,nerveux, intelligentset légère
ment dévoyésqu'ont été partout les sorciers,la croyancesin-
cère est d'unevéritableténacitéet d'une incroyablefermeté.
Cependant,nous sommesbien forcés d'admettrequ'il y a
toujourseu chez eux, jusqu'à un certain point, simulation.
11n'est mômepas douteuxpour nous que les faits de magie
comportentun « faire accroire constant, et que même les
0. HUBERTET M. MAMS. – TMËOMË oMttAt-B Dt! LA MACtt!95

illusionssincères du magicien ont été toujours, à quelque


degré,volontaires.M.Howitt raconte,à proposdespierresde
quartzqueles sorciers murrings tirentdeleur bouche,et dont
l'esprit initiateur est censéleur farcir le corps,qu'un de ces
sorcierslui disait « Je sais à quoi m'en tenir, je sais où
on les trouve» nous avons d'autres aveux, non moins
cyniques.
Mais,dans tous les cas, H ne s'agit pas de simplesuper-
cherie.En général, la simulation du magicienest du même
ordre que celle qu'on constate dans les états de névrose,et,
parconséquent,elle est, en mêmetempsque volontaire,invo-
lontaire.Quandelle est primitivementvolontaire,ette devient
peu à pou Inconscienteet finit par produire desétatsd'hattu-
cination parfaite le magicien se dupe tui-meme, comme
l'acteurqui oublie qu'it joue un rote.Eutout cas, nous avons
à nousdemander pourquoi Il simule d'une certainefaçon.H
faut biense garderde confondreici le magicienvéritableavec
les charlatansde nos foires ou les brahmanesjongleursque
nousvantentles spirites. Le magiciensimule parcequ'on lui
demandede simuler, parce qu'on va le trouver, et qu'on lui
imposed'agir il n'est pas libre, it est forcéde jouer, soit un
rôle traditionnel, soit un rote qui satisfasseà l'attentede son
public.Hpeut arriver que le magiciense vantegratuitement,
mais c'est qu'it est irrésistiblement tenté par la crédulité
publique.MM.Spencer et Gillenont trouvé,chezles Aruntas,
une foule de gens qui disaient avoir été aux expéditions
magiquesdites des ~t<n<(tt~c/«M où l'on enlève, soi-disant,la
graisse du foie de l'ennemi. Un bon tiers des guerriers
s'étaient, par conséquent, désarticulé les orteils, car c'est
une conditionde l'accomplissementdu rite. D'autre part,
toute la tribu avait vu, vraiment vu, des A«r<<«t<c~H rôder
autour des camps. En réalité, la plupart n'avait pas voulu
demeureron reste de fanfaronnadeset d'aventures; le « faire
accroirea était général et réciproquedans le groupe social
toutentier,parce que la crédulité y était universelle.Dansdo
pareilscas, le magicien ne peut pas être conçucommeun
individuagissant, par intérêt, pour soi et par ses propres
moyens,mais comme une sorte de fonctionnaireinvesti, par
la société,d'une autorité à laquelle il est engagéà croirelui-
même.En fait, nous avons vu que le magicienétait désigné
parla société,ou initié par un grouperestreint, auquelcelle-
ci a déléguéson pouvoir de créer des magiciens.Il a tout
96 L'AttXKE aootOMtt~t.'E. i90MM3

naturellementl'esprit de sa fonction, la gravitéd'un magis-


trat ii est sérieux, parce qu'il est pris au sérieuxet il est
pris au sérieux, parce qu'on a besoin de lui.
Ainsi,la croyance du magicienet celledu publie ne sont
pas deux chosesdifférentes la première est le reflet de la
seconde.puisquetasimuiMtiondutMagicienn'estpossibtoqu'en
raison do la crédulité publique.C'est cette croyance,que le
magicienpartageavectous lessiens, qui tait que ni sapropre
prestidigitation, ni ses expériencesinfructueusesne le font
douterde la magie.11a toujoursce minimumde foiquiest ia
croyanceà la magiedes autres, dès qu'il devientassistantou
patient. En général, s'il ne voit pas agir les causes,it voit les
effetsqu'elles produisent.Hosomme, sa croyanceest sincère
dans la mesureoù elleest cellede tout son groupe.La magie
est crue et non pas perçue. C'estun état d'âme collectifqui
fait qu'elle se constateet se vérifiedans ses suites, tout en
restant mystérieuse, mêmepour le magicien.La magieest
donc, dans son ensemble, l'objet d'une croyance s pnon;
cettecroyanceest une croyancecollective,unanime,et c'est
la naturede cotte croyancequi fait quela magiepeutaisément
franchir le gouffrequi sépare ses données de ses conclu-
sions.
Quidit croyance,dit adhésionde tout l'hommeà une idée
et, par conséquent,état de sentiment et acte de volonté,en
même tempsque phénomèned'idéation.Nous sommesdonc
en droit de présumerque cettecroyancecollectiveà la magie
nousmet en présencede sentimentset de volitionsunanimes
danstout un groupe,c'est-à-dire,précisément,desforcesco!toc-
tives que nouscherchons.Maison pourra nous contesterla
théorie de la croyancedont nous nous prévalons,et aons
objecter que des erreurs scientifiquesindividuelles,d'ordre
naturellement intellectuel, peuvent, par leur propagation,
donner naissanceà des croyancesqui deviennentunanimesà
leur heure, croyancesque nous n'aurons pas de raisonde ne
pas considérercommecollectiveset qui pourtant ne procéde-
ront pas deforcescollectives;on pourrait citer, commeexem-
ptes de semblablescroyances,les croyancescanoniquesau
géocentrismeet aux quatre éléments.Nousdevonsmaintenant
nousdemandersi la magiene repose que sur des idéesde ce
genre, miseshors de doute par le seul tait qu'ellessont deve.
nues universelles.
Il. HUBBMT8T M. MACS!. *– TM~OMEG~~RALB CE LA MAOtE M

Il

ANALYSEDU t'UËKOMÈM!MAGIQUE.AKALME DRS EXPLICATIONS


ÏDÉOMGtQUES DE L'ËFFtCACtTÉ DU MTE.

Nousavonsrencontré,dansnotre relevédes représentations


magiques,les idées par lesquellestant les magiciensque les
théoriciensde la magie ont voulu expliquer la croyance à
t'efucacitédes rites magiques.Ce sont d"les formules de la
sympathie;2" ia notiondepropriétés;3'ta notionde démons.
Déjànousavons vu combienpeu cesnotionsétaient simples,
et commentelleschevauchaientconstammenttes unes sur les
autres.Nousallonsvoirmaintenantqu'aucuned'ellesn'ajamais
sum, à elle seule, à justiner, pour un magicien,sa croyance.
Qu'onanalysedesrites magiques,pour y trouver l'application
pratiquede ces diversesnotions, et, t'analyse faite, il reste
toujours un résidudont le magiciena lui-mêmeconscience.
Observonsque jamais aucun magicien, aucun anthropo-
loguenon plus, n'a prétenduexpressémentréduire toute la
magieà l'une ou à l'a.utrede ces idées.Cecidoit nousmettre
en dénance contre toute théorie qui essayeraitd'expliquer
par elles la croyancemagique. Observonsensuite que, si les
faits magiquesconstituentbien uneclasseuniquede faits, ils
doiventremonterà un principe unique,seul capablede justi-
Ner la croyancedont ils sont l'objet. Si ù chacune de ces
représentationscorrespondune certaineclassede rites, à l'en-
sembledes rites doit correspondreune autre représentation
tout à fait générale.Pourdéterminer quellepeutêtre celle-el,
voyonsdans quelle mesure chacune des notionsenumérées
ci-dessusmanqueà justifierlos rites auxquelselioest spécia-
lementattachée.

-t"Noussoutenonsque les formulessympathiques(le sem-


blable produit le semblable;la partie vaut pour le tout; le
contraireagit sur le contraire)ne suffisentpas à représenter
la totalité d'un rite magiquesympathique.Elleslaissent en
dehors d'ellesun résiduqui n'est pas négligeable.Si nous no
considéronsque des rites sympathiquesdont nous avons des
descriptionscomplètes,le rite suivantrelaté par M. Codriug-
ton nousdonne uneuM~M~B~~xacte detout teurmécanisme
« A Floride, le n<M~ne b< (l'individu à mana, posses-
K. Dc«KHE)i). ~nn<!e 7
socto)..
1 i~WM3.
<'
98 L'AN~H SUMOKtU~H.
t(M~.)903

seur d'esprit, M~osa),lorsqu'on désirait du calme, liait


ensembledes feuilles qui étaient propriété de son f~oMM
<feuitiesde végétauxaquatiques?)et lescachaitdans le creux
d'un arbre où il y avaitde l'eau, invoquantle ~M« avecle
charmeapproprie. Delà, deia pluiequi produisaitiecaime.Si
c'était du soleil qu'on désirait, il iiait les feuillesappropriées
et dos piaulesgrimpantesà l'extrémitéd'un bambou,et les
tenait sur uu feu. Il attisait le teuavecun chant pour donner
dun«!<M< au feu, et le {eudonnait dumanaauxfeuiiies.Puisil
montaitsur un arbre, et liait le bambouau plus haut de la
plus haute branche le ventsouHIantautourdu nexibiebam-
bou,le MMM« se répandaitde toutesparts, et le soleilse mon-
trait. a (Codrington,rAo~«MMMM,p. 800,301.)
Nousne citonscet exemplequ'à titred'illustrationconcrète,
car le rite sympathiqueest entouré d'ordinaire de tout un
contexte fort important. De la présence de celui-ci, nous
devonsnécessairementconclureque des symbolismesnesuf-
fisentpas à taire unrite magique.En fait, quand des magi-
ciens, commeles alchimistes,ont imaginésincèrementque
leurspratiques sympathiquesétaient intelligibles,nous les
voyonss'étonnerde toutes iessuperfétationsqui surchargent
cequ'ils concevaientabstraitementcommele schèmede leur
rite. « Pourquoi donc, écrit un alchimisteanonyme, dit le
Chrétien,tant delivresetd'invocationsaux démons;pourquoi
toutescesconstructionsde fourneauxet d'engins,du moment
que tout est simple et facileà entendre.Mais ce tatras dont
s'étonnaitnotre Chrétien~n'est passans fonction,ti exprime
qu'à l'idée de sympathiese superposentclairement, d'une
part, l'idée d'un dégagementde forceet, d'autre part, celle
d'un milieu magique.
Decette idée d'une force présente,nous avonsun certain
nombrede signes.Cesontd'abordiossaerinces.qu!paraissent
n'avoirici d'autre but quede créerdesforcesutilisables;nous
avonsdéjà vu que c'était là une des propriétésdu sacrifice
religieux.Il en est de mêmedes prières,des invocations,des
évocations,etc. de mêmeencoredesrites négatifs,tabous,
jeûnes,etc., qui posentsur l'enchanteurou sur son client, et
quelquefoissur tous lesdeux ou mêmesur leur famille,rites
et précautionsrituellesqui marquentà ta foisla présenceet
!a fugacitéde ces forces.Il faut tenir compteégalementde la
puissancepropredu magicien,despuissancesqu'ilamèneavec
luidontl'interventionest toujoursau moinspossible.Quantà
Il. HUBMT BT M. MAU.S!).–. TXKOX))!C~RALE DE LA MAMB99

la cérémoniesympathiqueelle-même,parle seulfaitqu'elleest
rituelle, comme nous l'avons démontré, elle doit de toute
nécessiteproduireà son tourdesforcesspéciales.En fait, les
magiciensen ont eu conscience.Dansle rite mélanésiencité
plus haut, nous avonsvu le m<tMsortirdes feuilleset monter
au ciel dans les rites assyriens, nousavonssignalele m(!m<<
qui s'en dégage.Et maintenantconsidéronsun rite d'envoûte-
mentdans unede cessociétéssoi-disantprimitives,sans mys-
tique, qui en sont encoreà l'Agemagiquede l'humanité,chez
lesquelles, selon M. Frazer, la loi de sympathie fonctionne
régulièrementet seule, nousapercevonsimmédiatementnon
seulementiaprésence,maisencorele mouvementde ces forces.
Voicicomment,chezles Aruntas,l'envoûtementde la femme
adultèreest censéagir. Il y a proprementcréationd'une puis-
sance mauvaise, dite <!n(n~M<<</<a; on en charge la pierre
âme (l'image n'ayant servi qu'à faire que l'âme se trompât
et vînt à l'image commeelle reviendraitau corpsnaturel)¡
cette puissance mauvaiseest simplementrenforcéepar les
gestesqui simulent la misea mort de la femmeet finalement
c'estcette puissancequi est rejetéedans la directiondu camp
où la femmea été enlevée.Le rite exprimeque l'imagesym-
pathique n'est môme pas cause car ce n'est pas elle qu'on
projette,maisbien le sort qu'on vientde forger.
Ce n'est pas tout. Dans le méme cas, nous voyonsqu'en
plus de la fabricationd'une image, où, d'ailleurs, l'âme ne
vient pas résider définitivement,lo rite comportetout un
attiraild'autres images préalablementenchantées,de pierres
à esprits, d'aiguilles renduesmagiquesbien avant la cérémo-
nie enfin,qu'il se pratique dans un lieusecretet qualifiépar
un mythe. Decette observationque nous pouvonshardiment
généraliser,nous devons conclure que la cérémoniesym-
pathiquene se passe pas commeun acte ordinaire. Elle se
fait dans un milieu spécial,constituépar tout ce qu'il y a en
elle de conditionset de formes.Ce milieu est très souvent
définipar des cerclesd'interdictions,par des rites d'entréeet
de sortie.Toutce qui y entreest de mêmenature que lui ou
devientdomêmenature.La teneurgénéraledes gesteset des
motss'y trouveafïectéo.L'explicationdo certains rites sym-
pathiquespar les lois do la sympathielaissedonc un double
résidu.
En est-il de même dans tous !es cas possibles? Quantà
nous, ce résidu nous parait essentielau rite magique.En
«? t.'At<K);ESOCtOLOGtQL'f!.
<90S.iM9

effet, dès que disparalt toute trace de mysticité,celui-ci


entre dans la science ou dans les techniques.C'estprécisé-
ment ce que nous dit notre alchimistechrétien commeIl
constate que l'alchimierépugneà devenirscientifique,il lui
enjoint de se faire religieuse; s'it est nécessairede prier,
il demandequ'on s'adresseà Dieuplutôt qu'audémon c'est
avouer que l'alchimieet, par extension, la magiedépendent
essentiellementdes puissancesmystiques.Dansles cas où la
formulesympathiqueparaît fonctionnerseule,nous rencon-
trons au moins,avecle minimumde formesquepossèdetout
rite, le minimumde forcemystérieusequ'ildégage,par défi-
nition aquoiii faut ajouteria forcede ia propriétéactive, sans
laquelle,à proprementparler, commenousl'avonsdit plus
haut, on ne peut concevoirde rite sympathique.D'ailleurs,
nous sommestoujours en droit de penser que les prétendus
rites simples ou bien ont ,été incomplètementobservés, ou
bien sont incomplètementconscients, ou bien ont soutïert
d'une usure teiie qu'il n'y a plus lieu d'en faireétat. Quant
aux rites vraimentsimplesqui relèventdelàloidesympathie,
ce sont ceux que nous avons appelés taboussympathiques.
Or, ce sont précisémentceux qui exprimentle mieuxla pré-
sence, l'instabilitéet la violencedes forcescachéeset spiri-
tuellesà l'interventiondesquellesest toujoursattribuée,seion
nous, l'eiRcacitôdes rites magiques.
Nous venonsde voir que les formulessympathiquesne
sont jamais la formule complèted'un rite magique. Nous
pouvonsdémontrer, par des faits, que, là même où elles
ont été énoncéesle plus clairement, elles ne sont qu'acces-
soires. C'estce que nous voyonsencorechezlesalchimistes.
Ceux-ci,en effet,nous disent formellementque léurs opéra-
tions se déduisentrationnellementde lois scientifiques.Ces
lois,nousles avonsvues,ce sontcellesde la sympathie l'un
est le tout, toutestdans l'un, la nature triomphede la nature;
ce sont aussi des couplesdesympathieset d'antipathiesparti-
culières, enfin,tout un systèmecompliquéde symbolismes,
selon lequelIlsordonnentleurs opérations signaturesastro-
logiques, cosmologiques,sacrificielles,verbales,etc.. Mais
tout cet appareil n'est qu'unesorte de vêtementdont ils enve-
loppent leur technique ce ne sont mêmepas les principes
imaginairesd'une science fausse. En tête de leurs livres, en
tête dechaquechapitrede leurs manuels,ontrouvedesexposés
de doctrine. Maisjamais la suite ne répondau commence-
H. HUMRT – THËOtUE
ETM.MAUSS. e~~HALS
OS~AMAGtE
j(0i
ment. L'idéephilosophiqueest simplementpréfixée,à ia façon
d'un en-téte,d'une rubrique, ou de cetteaiiégoriede l'homme
de cuivre,transformé en or par le sacrifice,dont nousavons
parlé plus haut. Cette quasi-sciencese réduit en sommeà des
mythes,mythesqui, à l'occasion,fournissentdesincantations.
La recette expérimentale,d'ailleurs, peuten venir au mémo
point; Il y a des formulesou des résumésalgébriquesd'opé-
rations réelles, des figures d'appireils ayant effectivement
servi, qui se sont transforméesen signes magiquesininteiïi-
gibles et ne servent plus à instituer aucune manipulation
ce ne son