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Revue théologique de Louvain

Un colloque sur le thème : la « hiérarchie des vérités » de la foi


(Ratisbonne, 29-31 mars 1979)
Gustave Thils

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Thils Gustave. Un colloque sur le thème : la « hiérarchie des vérités » de la foi (Ratisbonne, 29-31 mars 1979). In: Revue
théologique de Louvain, 10ᵉ année, fasc. 2, 1979. pp. 245-249;

https://www.persee.fr/doc/thlou_0080-2654_1979_num_10_2_1705

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CHRONIQUES 245

Lille : sciences humaines, philosophies du passé, questions-frontières entre


philosophie et théologie, tour à tour, peuvent être interrogées comme des lieux où
l'interpersonnel révèle sa consistance.
Le colloque lui-même fut un de ces lieux. Célébré dans l'œuvre de Nédoncelle
et en sa personne, accueilli comme une lumière à porter désormais,
l'interpersonnel fut aussi à Strasbourg, grâce surtout au rayonnement de M. Barbotin
et à la ferveur des participants, une joie profonde et un médiateur de vérité.
Le texte des communications doit voir le jour en 1979.
F - 59046 Lille, Ch. Lefêvre,
60, bd Vauban. Professeur à l'Institut catholique de Lille.

Un colloque sur le thème: la «hiérarchie des vérités» de la foi


L'Académie internationale des sciences religieuses, dont la RTL a à diverses
reprises signalé les activités (voir RTL, 1970, p. 358-359; 1971, p. 380-382;
1973, p. 400-406), a organisé un colloque œcuménique sur: «Hiérarchie des
vérités et unité de l'Église : ce qui est central et périphérique dans la foi», à
Regensburg (RFA), du 29 au 31 mars de cette année1. Une quarantaine de
participants venant de divers pays y prirent part. Six d'entre eux proposèrent le
«point de vue» de leur église sur le sujet : Ed. Schlink (luthérien), J. J. Zizioulas
et G. D. Dragas (orthodoxes), M. Thurian (représentant les réformés), Canon J.
Baker (anglican), G. Thils (catholique). Comme le même thème a été abordé
selon les perspectives propres à chaque église - et aussi à chaque théologien -
nous avons regroupé un certain nombre de données dans un ordre
systématique, tout en signalant de-ci de-là le nom et l'appartenance confessionnelle d'un
participant. Pour ce qui est du texte conciliaire lui-même et des commentaires
qui lui ont déjà été consacrés, on se reportera à la note publiée plus haut.
Le décret sur l'œcuménisme parle d'un ordre, d'une hiérarchie des vérités
de la foi, d'après leur lien, leur connexion avec le «fondement» de la foi
chrétienne. Quel fondement? Les documents conciliaires et les commentateurs
répondent assez unanimement : la Trinité et le Verbe Incarné, l'œuvre du salut.
Mais la question : «quel fondement?» peut aussi signifier : quel genre de
fondement? Il s'agit du «mystère chrétien», et donc d'un fondement réel et
«mystérique». Il serait donc erroné de prendre comme fondement la qualification
théologique majeure que revêtent certaines vérités, bref, ce qui a été défini par
le magistère ordinaire ou extraordinaire, et parce que cela a été défini. Si l'on
accepte que le fondement est «central», la conception réaliste-mystérique conduit
à considérer que d'un centre de vie et d'amour se déploient des réalités de plus
en plus éloignées du mystère divin. Mieux vaut donc s'attacher aux faits et aux
événements divins, aux actes de Dieu dans l'histoire du salut : là se trouve la
substance, la chair même de la vie de foi.

1 Organisée sous la haute direction du P. S. Dockx, la rencontre était présidée par le


professeur Th. F. Torrance (Edinburgh). Le P. Y. Congar, qui devait introduire le sujet,
fut malheureusement retenu à Paris pour raison de santé.
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En tout cas, deux erreurs sont à éviter.


Tout d'abord, établir la hiérarchie des vérités sur la base du dégradé des
notes théologiques, comme si «défini» et «central» étaient synonymes. Bien
au contraire, les données les plus centrales de la révélation ont toujours été
reçues et vécues de manière tellement unanime, qu'elles n'ont jamais fait l'objet
d'une définition conciliaire. Celle-ci n'intervenait en principe que lorsque tel
ou tel aspect d'une vérité était mal interprété et que la vie de la communauté
chrétienne s'en trouvait gravement affectée.
Par ailleurs, établir une «hiérarchie des vérités» ne signifie pas non plus
rechercher le «minimum» sur la base duquel l'unité pourrait être rétablie. Sans
doute, la restauration de l'unité ne pourra se faire que si la diversité légitime
de chaque église est préservée au sein d'une unité essentielle : mais c'est là tout
autre chose. La recherche du «minimum» n'intéressait visiblement aucun des
participants.

Mais quel est ce contenu «central» parmi les vérités de fidel Personne parmi
les participants n'a paru estimer possible de circonscrire avec la précision d'un
géomètre le territoire de ces vérités. Plusieurs fois même, au cours des échanges,
on a fait remarquer que les théologiens étaient aujourd'hui plus que naguère,
convaincus qu'ils ne pouvaient, à ce sujet, sortir d'une réelle «inconnaissance».
Déterminer ce qui est «central» représentait donc toujours un effort modeste,
laborieux, inéluctablement imparfait, effort accompli soit de manière historique,
soit de façon plutôt spéculative.
Approche historique, à savoir s'appuyant sur une donnée apparue en un
siècle déterminé. Les «symboles» ont été évoqués à diverses reprises. Les
«confessions de foi» furent l'objet d'une analyse plus sytématique. Ainsi, le professeur
E. Schlink commenta un passage de la Confessio Augustana (1530) : «Est autem
ecclesia congregatio sanctorum, in qua evangelium pure docetur et recte admini-
strantur sacramenta. Et ad veram unitatem ecclesiae satis est consentire de
doctrina evangelii et de administratione sacramentorum. Nec necesse est ubique
similes esse traditiones humanas seu ritus aut ceremonias ab hominibus institu-
tas». Mais la Confessio Augustana est incomplète sur des thèmes importants, et
il est malaisé de savoir si la raison en est que ces thèmes sont considérés comme
d'intérêt secondaire, ou s'il s'agit de malaise, voire de tactique. Le frère
M. Thurian, à qui on avait demandé de présenter le point de vue réformé, a
pris comme point de départ le Cathéchisme de Calvin et le Cathéchisme récent de
Roland de Pury. Il s'est demandé dans quelle mesure les critères courants de la
foi (Écritures, quatre premiers Conciles, Pères) ont été affectés par une
orientation spirituelle liée à la réaction contre les défauts des catholiques romains
et qu'il résuma comme suit : soli Deo gloria, sola fïde, sola Scriptura, Ecclesiae
semper reformanda, Ecclesia invisibilis. Puis il analysa la récente Profession de
foi des évêques français, expliquant jusqu'où un réformé pourrait la suivre quant
à l'essentiel et, aussi, en quoi - à propos de ministère, d'Église, de Marie - des
divergences assez significatives se font jour.
D'autres réfléchissent à la même question de manière plus spéculative, en ce
sens que, le «centre» ayant été déterminé, ils s'efforcent de décrire les différents
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moments du déploiement de ce foyer, et retrouvent ainsi l'Église, les sacrements,


les ministères, la Vierge Marie, et d'autres données.
Deux observations ont été présentées sur cette façon d'envisager la question.
Tout d'abord, il serait regrettable qu'on veuille, ce faisant, établir une sorte
de construction qui ne soit pas située dans le temps, dans l'histoire (zeitlos), au
lieu de déterminer ce qui hic et nunc, dans la dynamique de l'histoire du salut,
constitue le centre et le fondement certes, mais réactualisés dans la marche en
avant du monde, et de l'Église. Cela n'exclut pas une certaine ontologie; mais
une vérité intemporelle peut être manipulée, et idéologique.
Autre observation : en somme, s'est-on demandé, cet effort visant à
déterminer ce qui est «central» et ce qui est moins central, voire périphérique, dans
le domaine des vérités de fide, est-ce bien la démarche la plus pertinente en
matière d'oecuménisme? Faut-il avant tout fixer un modèle d'unité, grâce à
ces approches historiques ou spéculatives, et œuvrer ensuite à restaurer cette
Église une ? Ou bien vaut-il mieux s'efforcer de décrire l'unité latente ou visible
qui existe déjà entre chrétiens, la communauté de vie, de pensée et d'existence
qui les unit déjà, en vue de développer, d'amplifier, de renforcer ces acquis?
S'il existe un «centre» réel mystérique, et un certain nombre de réalités
chrétiennes plus ou moins proches ou éloignées de ce centre, il en résulte une
dynamique permanente de pluralité légitime, déjà dans le domaine des vérités
qui sont de fide - puisque telle est la portée officielle du texte conciliaire -
et évidemment au-delà de cette zone privilégiée.
Reconnaître qu'il existe une hiérarchie parmi les vérités de fide et ne point
accepter qu'elles peuvent présenter une certaine diversité dans les églises, c'est
supposer que leur ordonnance, leur compréhension et leur explication seront
exactement les mêmes partout. Or, chaque église considère, comme faisant
partie de son patrimoine propre, telle coloration, tel éclairage, tel déploiement,
telle insistance ou tel léger retrait dans sa confession de foi, même en matière
trinitaire et christologique. On a renvoyé, à ce propos, à l'article du P. G. De-
jaifve sur Diversité dogmatique et unité de la révélation (Nouv. Rev. Théol.,
1967, p. 16-25). De manière plus générale, il a été rappelé au cours du colloque
que toute vérité est accueillie, en fait, par des personnes vivant à une certaine
époque, en une région déterminée, ayant leur passé culturel et leur contextualité
sociale.
Le pluralisme est a fortiori possible, inéluctable - et source potentielle de
richesse - dans la zone des vérités qui se situent au-delà du domaine de fide.
Tout ce qui précède concerne le contenu de la foi, le pnncipium quod si l'on
préfère. Mais quels critères, quelles normes faire valoir pour déterminer
l'ordonnance objective des vérités de la foi? Les Écritures, la Tradition, les
Symboles, les Pères, la liturgie, l'enseignement officiel des pasteurs, la foi vécue de
l'universalité des croyants? Chacun de ces critères fut évoqué à maintes
reprises; mais ce sont les deux derniers qui firent l'objet de plusieurs échanges.
Concernant l'intervention du «magistère» ecclésiastique dans l'Église
catholique, la question se posait de savoir quelle est sa relation avec la révélation
elle-même. En principe, les positions catholiques sont claires : «Lorsque le
Pontife romain, ou le corps des évêques avec lui, portent une définition, ils le
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font conformément à la révélation elle-même, à laquelle tous doivent se tenir


et se conformer - secundum ipsam Revelationem, cui omnes stare et con-
formari tenentur» (Lumen gentium, n° 25). Dans la réalité, par exemple dans les
travaux préparatoires à la définition de la conception immaculée de Marie, les
commissions manifestèrent un soin indéniable à examiner le lien unissant la
«sentence» destinée à être soumise au jugement pontifical et le révélé lui-même,
explicite ou implicite. Et cet implicite revêtait les formes les plus variées : im-
plexius, contractius, subobscurius, delitescens... Mais tous se contentèrent
finalement d'un implicite vécu global, qui n'aurait sans doute pas convaincu des
théologiens moins disposés à recourir au magistère ecclésiastique pour donner
un ultime et décisif appui aux lueurs venant des sources de la révélation.
Il y a aussi la normativité venant de la foi vécue par Yuniversitas fidelium.
Les principes sont communs aux églises. Ainsi, pour les catholiques : «la
collectivité (universitas) des fidèles, ayant l'onction qui vient du Saint (...), ne peut
se tromper dans la foi; ce don particulier qu'elle possède, elle le manifeste par
le moyen du sens surnaturel de la foi, qui est celui du peuple chrétien tout
entier lorsque, (...) elle apporte aux vérités concernant la foi et les mœurs un
consentement universel» {Lumen gentium, n° 12). C'est qu'en effet, l'autorité
venant de l'Esprit passe par diverses médiations, dont celle de la communauté
croyante universelle. Sans doute, précisent les catholiques, cette médiation doit-
elle être organiquement unie à toutes les autres, et singulièrement à celle du
«magistère» de l'Église. Sans doute, reconnaissent tous les participants, cette
médiation est-elle difficile à déceler et à apprécier, comme il appert de l'histoire
des grandes erreurs doctrinales. Mais elle est néanmoins authentique, elle
présente un apport propre et original, dont il faut tenir compte lorsque l'on désire
déterminer le statut «intégral» d'une vérité de la foi. Ainsi en est-il en particulier
de la «réception». Celle-ci a fait l'objet de nombreuses études au cours de ces
dernières années. Si l'on doit se montrer très sagace lorsqu'on en examine le
processus et tout aussi circonspect lorsqu'on en décrit l'efficience normative, il
reste que cette «médiation spirituelle» peut, avec son autorité propre, affecter
d'une certaine manière une vérité définie : sa physionomie concrète, son impact
réel, sa persistance dans la vie de l'Église.
Comme toutes les rencontres œcuméniques récentes, celle-ci a fait apparaître
une nouvelle fois un remarquable consensus sur les options chrétiennes
communes, mais aussi l'incontestable diversité des champs culturels dans lesquels
ces options s'inscrivent et poursuivent leur existence. Orthodoxes, réformés,
anglicans, catholiques romains sont d'accord, non seulement sur un «essentiel»
récapitulé dans la confession de Jésus Seigneur et Sauveur et de la Trinité sainte,
mais aussi sur une vision d'ensemble des faits et des doctrines inspirées de la
révélation chrétienne, mais encore sur la nécessité de maintenir vivantes en
toutes leurs démarches les «dimensions» eschatologique, historique, cosmique,
missionnaire de l'histoire du salut. Et pourtant, à certains moments, les champs
culturels semblent tellement différents : entre orthodoxes et occidentaux -
catholiques romains, anglicans ou réformés - par exemple, l'eschatologie,
l'historicité, le cosmique, la mission sont compris et vécus dans un style tellement
divers, avec des nuances et des accentuations si contrastées, que l'on croirait
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parfois se trouver en présence de deux christianismes. C'est qu'en effet, une


pensée qui se déploie sous l'horizon de la theoria hellénistique, de l'idéalisme
européen, du pragmatisme occidental, nous entraîne vers des mondes réellement
autres. Que sera-ce, lorsque nous serons en présence d'un christianisme dont
les mêmes «dimensions» seront vécues selon le modèle culturel asiatique,
africain traditionnel, voire sud-américain ? Cette pluriformité est cependant
constitutive de l'authentique catholicité de l'Église de Jésus-Christ.
La question herméneutique pointe ici. Elle a d'ailleurs été évoquée à diverses
reprises au cours de ce colloque, par des occidentaux et des orientaux. Mais les
limites de temps n'ont pas permis d'en discuter réellement. Sans doute, les
participants étaient-ils introduits depuis longtemps dans les arcanes de
l'herméneutique biblique. Mais l'application des acquis de la sociologie de la connaissance
pourrait être d'une grande utilité dans les prochaines rencontres. Car tous se
réfèrent réellement et sincèrement à la révélation chrétienne. Et pourtant,
lorsqu'est évoquée la «philanthropie» divine telle qu'elle est exposée par les
mystiques orthodoxes, ou lorsque l'Esprit libérateur souffle en tempête comme
chez les prophètes révoltés et dans tels combats de chrétiens sud-américains, les
accentuations de l'agapè ne coïncident pas, les équivalences grincent. Suffit-il de
dire qu'il y a complémentarité? qu'«il faut accomplir l'un et ne pas omettre
l'autre» (Mt 23,23)? Ne faut-il pas s'inspirer toujours plus de Jésus-Christ,
image de l'agapè du Père, expression visible de l'amour insondable de Dieu?

B - 3000 Leuven, G. Thils


Leopoldstraat 39/B. 4.

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