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SEMEM, 35, 2013

https://journals.openedition.org/semen/9795

Esquisse d'une typologie des différents modes de sémiotisation verbale de l'émotion


Raphaël Micheli
https://doi.org/10.4000/semen.9795
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Résumés

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Les émotions posent aux sciences du langage un problème constant d’observabilité. Pour
reprendre une formule de Catherine Kerbrat-Orecchioni, le « langage émotionnel » investit
des « moyens » qui sont d’une « fantastique diversité », au point qu’on a « le sentiment que
les émotions sont à la fois dans le langage partout, et nulle part ». Dans ce contexte, l’un des
défis actuels de l’étude du « langage émotionnel » semble être d’élaborer un modèle
d’analyse global de la sémiotisation des émotions, destiné à la description des données
discursives. Afin d’avancer dans une telle direction, il est utile de commencer par tenter
d’identifier un nombre limité de modes de sémiotisation  de l’émotion, c’est-à-dire
de manières selon lesquelles l’émotion peut être rendue manifeste au moyen de signes
(verbaux et co-verbaux). Cet article s’efforce de contribuer à une telle entreprise générale, en
présentant une vue d’ensemble d’un modèle d’analyse possible du « langage émotionnel ». À
partir de la catégorie englobante d’émotion sémiotisée, ce modèle repose sur une tripartition
entre trois grands modes de sémiotisation : dire  l’émotion, montrer l’émotion et,
enfin, étayer  l’émotion.
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Mots-clés :
Analyse du discours, Sciences du langage, Émotions, Modèle d’analyse, Sémiotisation
Keywords :
Discourse analysis, Emotions, Model of analysis, Language sciences, Semiotization
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Plan

1. Introduction
2. Une catégorie englobante : l'émotion sémiotisée
3. Un premier mode de sémiotisation :l'émotion dite
4. Un deuxième mode de sémiotisation : l'émotion montrée
5. Un troisième mode de sémiotisation : l'émotion étayée
6. Conclusion : De la distinction des modes de sémiotisation émotionelle à l'étude de
leurs interactions dans les discours
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1. Introduction

1Les émotions posent aux sciences du langage un problème constant d’observabilité. Pour


reprendre une formule de Catherine Kerbrat-Orecchioni, le « langage émotionnel » investit
des « moyens » qui sont d’une « fantastique diversité », au point qu’on a « le sentiment que
les émotions sont à la fois dans le langage partout, et nulle part » (2000 : 57). Lorsqu’on
s’intéresse aux émotions d’un point de vue langagier, les observables potentiels ne manquent
certes pas (les émotions « sont partout »), mais les choses se compliquent passablement
lorsqu’il s’agit de classer ceux-ci de manière cohérente, à l’aide d’un nombre limité de
critères. L’abondance des observables n’a au fond d’égal que leur résistance aux tentatives de
classement raisonné, ce qui peut provoquer le sentiment paradoxal que les émotions sont
« nulle part » : il semble en effet très difficile de leur assigner un (ou plusieurs) lieu(x)
stable(s) dans le système linguistique. Cela tient certainement à l’extrême hétérogénéité des
phénomènes pertinents. Hétérogènes, les « moyens » propres au « langage émotionnel » le
sont dans la mesure où ils engagent des unités qui se situent à différents niveaux
d’organisation linguistique, et qui relèvent de plusieurs types de matériau
sémiotique –  verbal, mais aussi co-verbal (prosodique et posturo-mimo-
gestuel). Hétérogènes, ils le sont aussi par leur manière de signifier  l’émotion : de toute
évidence, une unité lexicale comme « colère » ne signifie pas la colère de la même façon que
– par exemple – la description verbale d’une situation justifiant cette émotion ou encore une
augmentation du volume de la voix.

 1 Nous ne pouvons procéder en introduction à un état détaillé et référencé des très


nombreuses recher (...)

2La multiplicité des lieux d’observation qui s’offrent potentiellement aux linguistes lorsqu’ils
en viennent à investiguer le « langage émotionnel » explique sans doute le double constat
de richesse  et d’éclatement que l’on peut faire à propos de l’état actuel des travaux menés à
ce sujet dans le champ francophone des sciences du langage. Selon le cadre théorique qu’elles
adoptent et les données qu’elles traitent, les recherches tendent en effet le plus souvent à se
focaliser sur un type de phénomène en particulier – ce qui les conduit, du même coup, à ne
pas intégrer à leur perspective méthodologique d’autres phénomènes mobilisant des unités et
des niveaux d’analyse différents. Ainsi, pour prendre quelques exemples1, les approches
centrées sur le lexique se développent de manière spectaculaire, avec l’étude de la
combinatoire syntaxique et du profil sémantique des « termes d’émotion » ; elles côtoient
pêle-mêle des approches énonciatives (avec l’étude des formes de l’énoncé qui présentent leur
énonciation comme « émue »), discursives (avec l’étude du formatage, dans les discours, de
situations conventionnellement associées à tel ou tel type d’émotion)
ou interactionnelles  (avec l’étude de l’articulation des phénomènes verbaux et co-verbaux
dans des données orales polygérées). Pour saine qu’elle soit, une telle logique de « division du
travail » comporte toutefois un risque bien réel, celui de la compartimentation : il devient
parfois très difficile, face à une telle abondance de travaux éclatés, de retrouver une vue
d’ensemble – fût-elle schématique – de la « fantastique diversité » des moyens que le
« langage émotionnel » est susceptible d’investir.

 2 Nous expliquons plus loin le choix du verbe « sémiotiser » et de ses dérivés (infra,
2.).
 3 A l’exception notable des importants travaux de Christian Plantin qui, depuis une
quinzaine d’année (...)

3Dans ce contexte, l’un des défis actuels de l’étude du « langage émotionnel » nous semble
être d’élaborer un modèle d’analyse à la fois global et intégré de la sémiotisation2 des
émotions,  destiné à la description des données discursives. Un tel modèle vise ultimement à
rendre compte de productions verbales effectives de rang textuel inscrites dans leur contexte –
des « discours », donc –, mais sans faire pour autant l’impasse sur les unités et les niveaux de
rang inférieur. Afin d’avancer dans une telle direction, il est selon nous utile de commencer
par tenter d’identifier un nombre limité de modes de sémiotisation de l’émotion, c’est-à-dire
de manières selon lesquelles l’émotion peut être rendue manifeste au moyen de signes
(verbaux et co-verbaux). Pour ce faire, il convient de travailler sur deux fronts
complémentaires. D’une part, on s’efforcera d’envisager les modes de sémiotisation dans ce
qu’ils ont de distinct les uns par rapport aux autres : on s’interrogera ainsi, pour chacun de ces
modes, sur le type d’unités qu’il mobilise préférentiellement, sur le(s) niveau(x)
d’analyse auquel il se laisse le mieux saisir et, enfin, sur le type d’interprétation qu’il requiert
chez l’allocutaire. D’autre part, on tentera de montrer comment ces différents modes
se combinent et interagissent dans le fonctionnement effectif des discours. L’idée est, en
somme, d’esquisser une typologie des modes de sémiotisation de l’émotion qui soit tout à la
fois justifiée sur le plan théorique et rentable sur le plan empirique de l’analyse des discours.
C’est là, on le conçoit, un questionnement méthodologique très vaste, résolument transversal,
qui se pose à toute approche discursive des émotions. S’il est, de fait, très souvent abordé de
manière ponctuelle par les chercheurs (le plus souvent lors de mises au point introductives,
avant l’étude d’un phénomène spécifique), il est toutefois rarement traité pour lui-même, de
manière approfondie : l’adoption d’une perspective synoptique sur le « langage émotionnel »
n’est pas si fréquente chez les spécialistes du discours, pas plus que les essais de modélisation
générale s’accompagnant d’une discussion détaillée des catégories d’analyse mobilisées3.
Nous nous efforçons, dans un ouvrage en cours de rédaction, de modestement contribuer à
une telle entreprise. Dans le cadre de cet article, notre objectif est de présenter d’une manière
aussi concise que possible un modèle d’analyse du « langage émotionnel » qui, à partir de la
catégorie englobante d’émotion sémiotisée (§2), repose sur une tripartition entre trois grands
modes de sémiotisation de l’émotion : dire l’émotion (§3), montrer l’émotion (§4) et,
enfin, étayer  l’émotion (§5). Le schéma de la page suivante s’efforce de saisir la logique du
modèle proposé et nous servira d’appui pour les développements qui suivent. Nous souhaitons
ainsi revenir sur le problème théorique et méthodologique de l’observabilité des émotions en
discours.  Nous effectuerons, pour cela, un retour sur les catégories qui – de manière plus ou
moins explicite – semblent structurer l’analyse du « langage émotionnel » et le classement de
ses divers « moyens », lorsqu’elles sont entreprises à partir d’un cadre discursif. Le propos
central de l’article consiste, on l’a dit, à offrir une vue d’ensemble du modèle d’analyse de la
sémiotisation des émotions. Cela nous conduira immanquablement à nous situer à un très haut
degré de généralité : l’enjeu est bien ici de s’intéresser à des macro-catégories d’analyse et de
tester la consistance de distinctions conceptuelles qui nous paraissent fondamentales pour
l’étude du « langage émotionnel ». Nous ne pourrons par contre pas entrer dans toute la
complexité interne de chacune des catégories envisagées. De plus, vu le format de la présente
contribution, nous envisagerons uniquement les modes de sémiotisation sous l’angle de
leur distinctivité,  laissant par là même provisoirement de côté la question tout à fait cruciale
de leurs interactions dans l’empirie discursive.
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 4 Les citations renvoient à l’édition de Roger Borderie (Gallimard, coll. Folio, 2000).

4Pour que les explications ne restent pas excessivement abstraites, nous accompagnerons les
différents points théoriques de quelques exemples à vocation illustrative, tirés du Dernier jour
d’un condamné de Victor Hugo4.

2. Une catégorie englobante : l'émotion sémiotisée


 5 Nous nous limitons ici aux signes langagiers (au sens large : verbaux et co-verbaux),
sans nous arr (...)

 6 Il ne s’agit donc pas de s’inscrire dans le paradigme spécifique de la sémiotique des
passions, not (...)

5Pour circonscrire le domaine d’étude, nous proposons de parler des émotions en tant qu’elles
sont sémiotisées  par les locuteurs (ou en tant qu’elles font l’objet d’un processus
de sémiotisation). Le verbe « sémiotiser » est ici entendu dans le sens volontairement peu
spécifique de « rendre quelque chose manifeste au moyen de signes5 ». Les termes
« sémiotiser » et « sémiotisation » sont ainsi investis, dans le modèle, d’une valeur
résolument générique : leur usage vise uniquement6 à recouvrir les différents rapports qui
sont susceptibles de se nouer entre les productions langagières des locuteurs et les émotions.
S’ils peuvent, au premier abord, paraître lourds, inutilement jargonnants – pourquoi ne pas
parler plutôt de l’« expression », de la « représentation » ou encore de la « communication »
des émotions ? –, ils n’en constituent pas moins selon nous de bons candidats pour une
appréhension globale du domaine. L’intérêt méthodologique de leur usage peut être résumé
en trois points.

6Premièrement, l’usage du verbe « sémiotiser » dans le métalangage descriptif du linguiste


maintient toujours une distinction de principe entre le registre du sémiotique et le registre de
l’éprouvé. En effet, si l’on dit qu’un locuteur « sémiotise » une émotion, on indique
uniquement qu’il rend une émotion manifeste au moyen de signes, sans présupposer qu’il
éprouve effectivement cette émotion (même si cela peut bien entendu être le cas). Ce premier
point constitue selon nous un argument décisif pour renoncer à parler de l’« expression » ou
de la « communication » des émotions : ces termes donnent en effet l’impression qu’il y
aurait une continuité entre les deux registres, et que le premier « découlerait » en quelque
sorte nécessairement du second (voir, sur le schéma, la flèche pointillée).

7Deuxièmement, l’usage de termes comme « sémiotiser » ou « sémiotisation » permet


d’éviter l’adoption d’une perspective uniquement centrée sur le locuteur. À ce titre, parler
d’« expression » ou de « communication » des émotions nous paraît poser problème : si l’on
dit qu’un locuteur « exprime » ou « communique » une émotion, on va considérer par défaut
qu’il s’agit de sa propre émotion. Or un modèle d’analyse adéquat doit pouvoir saisir le
« langage émotionnel » en tant qu’il engage non seulement des processus d’auto-attribution,
mais aussi des processus d’allo-attribution, lors desquels un locuteur attribue des émotions à
d’autres que lui-même.

8Troisièmement, les termes « sémiotiser » et « sémiotisation » ne préjugent pas de la  nature


des unités sémiotiques considérées. Ils permettent de neutraliser les différences – certes
cruciales  – entre le matériau verbal et le matériau co-verbal. Leur polyvalence les rend ici
encore très commodes pour une désignation globale des supports signifiants – aussi nombreux
qu’hétérogènes – qui composent le « langage émotionnel ». Nous nous limiterons
exclusivement, dans ce qui suit, au matériau verbal. Il est clair, cela dit, qu’une approche
globale et intégrée devrait in fine porter une « attention égale aux moyens de communication
verbaux, non verbaux, vocaux et kinésiques » (Cmejrkova 2004 : 36).

3. Un premier mode de sémiotisation :l'émotion dite


 7 Cette définition s’inspire principalement des travaux de syntaxe et de sémantique sur
les « prédica (...)

 8 Nous ne développerons pas ce dernier point ici.

9Il s’agit à présent de circonscrire, parmi la « fantastique diversité » des « moyens » propres
au « langage émotionnel », ce qui relève de l’émotion dite. Nous partons de
l’hypothèse7 suivante : les énoncés qui disent l’émotion manifestent typiquement
une  relation prédicative entre, d'une part, une expression incorporant un terme d'émotion et,
d'autre part, une autre expression désignant une entité humaine ou humanisable. Ils peuvent,
de plus, contenir une troisième expression indiquant la cause ou l’objet de l’émotion8. Du fait
que l’émotion y fait l’objet d’une désignation lexicale et qu’elle y est syntaxiquement mise en
rapport avec l’entité humaine censée l’éprouver, ces énoncés présentent en outre deux
caractéristiques importantes : sur le plan de la véridiction (au sens de Nolke 2001 : 87), ils
peuvent être modalisés ou niés ; sur le plan de l’interprétation, ils réduisent drastiquement la
part d’inférence laissée à l’allocutaire.

10L’enjeu – il faut le souligner – est de se concentrer ici sur la forme et le


fonctionnement prototypiques des énoncés qui disent l’émotion et de se doter ainsi d’un
« patron », forcément pauvre en regard de la richesse des productions effectives, mais qui
permet de s’orienter dans le foisonnement de l’empirie discursive. Nous reprendrons un par
un les principaux points de la définition proposée – (a) « terme d’émotion », (b) « entité
humaine ou humanisable » (c), « relation prédicative », (d) véridiction et interprétation – en
faisant apparaître les facteurs de variation possibles, ainsi que quelques cas-limites
importants. Nous nous appuierons sur l’exemple suivant (le narrateur du Dernier jour d’un
condamné observe, depuis la charrette qui le conduit à l’Hôtel de Ville, la foule qui se presse
pour assister à son exécution) :
(1) Une rage m’a pris contre ce peuple. (DJC, XLVIII, p. 136)

 9 Voir, pour un panorama récent, le volume collectif édité par Novakova et Tutin
(2009).

 10 Pour un exemple de typologie des « noms d’affects » (« émotions » et


« sentiments ») selon leurs pr (...)

 11 Nous ne pouvons développer. Pour le cas des noms, voir Mathieu (1999) et pour
celui des verbes, Mat (...)

11(a) La première caractéristique des énoncés qui disent l’émotion est la présence en leur sein
d’un « terme d’émotion ». Il s’agit, en première approximation, d’une unité appartenant au
lexique d’une langue donnée, associant une forme signifiante et un contenu signifié, et dont
l’actualisation en discours permet de désigner conventionnellement une entité de nature
émotionnelle  (au sens large : état, action, événement, propriété, etc., selon la catégorie de
l’unité lexicale en question). Pour l’exemple (1), il s’agit bien entendu du nom « rage » dans
le syntagme indéfini « une rage ». On parle souvent, pour le registre du dire, d’un rapport
de dénotation entre les unités sémiotiques mobilisées (ici un nom actualisé) et l’émotion,
conférant à celle-ci le statut bien particulier d’objet du discours : c’est là une idée
fondamentale, que l’on peut tenter de saisir en parlant d’un processus de « thématisation »
(Fiehler 2002) ou de « topicalisation » (Hübler 1988) de l’émotion. Cela étant dit, la référence
à un « terme d'émotion » pose la question épineuse de l'élaboration, par les linguistes,
d’un lexique du champ affectif 9. D’abord, à quelles conditions une unité lexicale donnée est-
elle réputée appartenir à la classe générale  des termes dénotant l’affect ? Ce premier
problème a été particulièrement bien investigué pour le cas des noms : c’est leur double
capacité à se combiner avec certaines verbes (comme « éprouver » et « ressentir ») et à entrer
dans des syntagmes comme « un sentiment de + N » qui semble décisive. Ensuite, est-il
possible, sur la base de critères à la fois syntaxiques et sémantiques, de raffiner cette classe
générale et de répartir les différents termes qui la composent en sous-classes distinctes ? Les
travaux actuels sur les noms tendent, sur ce point, à distinguer les noms de « sentiment » et les
noms d’« émotion », en fonction de leur construction argumentale (nombre et type d’actants
requis) et de leurs collocations10. Concernant la structure des énoncés qui disent l’émotion,
l’un des facteurs de variation les plus importants est l’appartenance catégorielle du « terme
d’émotion ». Celui-ci, on le sait, peut appartenir à différentes catégories du lexique (ou
« parties du discours ») : le nom (« rage », dans notre exemple), mais aussi l’adjectif
(« rageur »), le verbe (« enrager ») et l’adverbe (« rageusement »). De fait, le terme d’émotion
est susceptible d’occuper différentes positions syntaxiques au sein de l’énoncé (ce qui sera
aussi le cas de l’expression désignant l’entité humaine avec laquelle il est mis en rapport). Il y
a là une combinatoire qui donne lieu à de très nombreuses possibilités11.

 12 Il est par ailleurs tout à fait possible que l’émotion fasse l’objet d’une désignation
lexicale, no (...)

 13 Nous revenons plus bas sur ce point (infra, 4d).

12(b) La deuxième caractéristique majeure des énoncés qui nous intéressent ici est que l’être
supposé ressentir l’émotion fait typiquement l’objet d’une expression référentielle et se trouve
donc réalisé linguistiquement12.  C’est là, on le verra, une caractéristique que l’on ne retrouve
pas nécessairement dans les autres modes de sémiotisation, notamment lorsque l’émotion est
montrée. L’être dont l’énoncé dit qu’il est affecté par une émotion reçoit diverses
dénominations dans la littérature (« expérienceur » – adapté de l’anglais experiencer –, « lieu
psychologique »…). Nous choisissons ici de parler d’« entité humaine ou
humanisable » (pour inclure les cas où l’émotion est attribuée à un référent animé mais non
humain, ou même à un référent non animé que l’on personnifie). La désignation de cette entité
humaine peut prendre des formes extrêmement variées : expressions référentielles comme
les noms propres, les syntagmes nominaux et leurs substituts pronominaux, ainsi que
les indices de personne à valeur déictique (« je », « tu », « on », « nous », « vous »). Cette
variété désignative est en quelque sorte le reflet d’une propriété fondamentale des énoncés qui
disent l’émotion : ils permettent au locuteur de s’attribuer une émotion à lui-même (c’est le
cas de notre exemple (1) avec le pronom « me » qui renvoie déictiquement au locuteur), mais
aussi d’attribuer une émotion à autre que lui-même, participant direct à l'interaction
(« tu »/« vous ») ou non (« il »/« elle »  et toute la gamme des expressions référentielles
envisagées précédemment). Cette double capacité à l’auto- et à l’allo-attribution par le seul
truchement d’une expression référentielle est spécifique à l’émotion dite, et ne se retrouve pas
telle quelle dans le cas de l’émotion montrée13.

13(c) Dans notre approche, le prototype des énoncés qui disent l’émotion implique non
seulement la présence de deux expressions – l’une incorporant le terme d’émotion et l’autre
désignant l’entité humaine affectée –, mais aussi l’existence d’une relation prédicative entre
ces deux expressions. Autrement dit, au niveau syntaxique, la prédication même de l’énoncé
consiste à mettre en rapport une émotion et celui ou celle qui l’éprouve : dans notre exemple
(1), le syntagme nominal en position sujet désigne une émotion dont on dit qu’elle affecte une
entité humaine, désignée par le pronom « me » en position de complément direct. Nous
cherchons ici, rappelons-le, à saisir un fonctionnement prototypique des énoncés qui disent
l’émotion, à esquisser un patron qui permette de s’orienter dans le foisonnement empirique
des discours. Il est clair, à ce titre, qu’il est de nombreux cas où l’émotion fait l’objet d’une
désignation lexicale et se trouve mise en rapport avec une entité humaine supposée
l’éprouver, sans que cette « mise en rapport » ne soit pour autant au cœur de la
prédication. Si l’on s’en tient aux cas où le terme d’émotion est un nom, on mentionnera à
titre d’exemple :

14– les syntagmes nominaux intégrant un déterminant possessif et un nom d’émotion : « Le
bruit des verrous nous a arrachés, moi à ma stupeur lui à son discours » (DJC, XXI, p. 83,
nous soulignons) ;

15– les compléments prépositionnels détachés à fonction circonstancielle en « de + nom


d’émotion » : « De terreur, je me couchai sur les planches, les serrant étroitement de mes
deux bras… » (DJC, XXXVI, p. 117, nous soulignons). Dans ce genre de cas, l’énoncé
implique bien l’attribution d’une émotion (la « stupeur », la « terreur ») à une entité humaine
(en l’occurrence le « je » locuteur). Toutefois, cette attribution ne constitue pas l’objet même
de la relation prédicative : en cela, elle y est, si l’on veut, davantage présupposée que posée.

16(d) Nous tentons donc d’approcher le dire – premier mode de sémiotisation – à partir
d’énoncés qui, typiquement, manifestent une relation prédicative entre deux expressions,
l’une incorporant un terme d’émotion, l’autre désignant une entité humaine (ou humanisable)
censée la ressentir. Cette définition a deux incidences majeures. Premièrement, les énoncés
qui disent l’émotion présentent le « contenu propositionnel comme susceptible d’être
débattu » (Nolke 2001 : 87) ou – pour citer Ducrot (1984 : 151) – comme « justiciable d'une
appréciation en termes de vérité ou de fausseté ». L’attribution de l’émotion à l’entité
humaine peut ainsi être modalisée ou niée, du fait qu’elle constitue l’objet même de la
prédication : à (1) Une rage m’a pris contre ce peuple, on peut objecter (1’) Non, aucune rage
ne t’as pris contre ce peuple.  On va voir que ce critère de véridiction est fondamental pour
distinguer, parmi les divers modes de sémiotisation de l'émotion, ce qui relève du dire et,
respectivement, du montrer. Deuxièmement, il faut dire un mot du trajet interprétatif que
requièrent ces énoncés qui disent l’émotion. On peut affirmer, à ce sujet, que la part
d’inférence laissée à l’allocutaire s’y trouve très fortement réduite. Face à (1), et ce quel que
soit le contexte, l’allocutaire n’a pas à inférer l’attribution de l’émotion à l’entité humaine,
puisque l’émotion comme l’entité humaine sont désignées lexicalement et que l’attribution de
l’une à l’autre est inscrite à même la prédication.

4. Un deuxième mode de sémiotisation : l'émotion montrée

17Tentons à présent d'esquisser le deuxième mode de sémiotisation de la typologie. Nous en


proposons la définition de travail suivante : dans le cas d’une émotion montrée, l’énoncé
présente un ensemble de caractéristiques qui sont susceptibles de recevoir une interprétation
indicielle,  au sens où l’allocutaire est conduit à inférer que le locuteur (ou, à tout le moins,
l’énonciateur, dans les cas de disjonction entre locuteur et énonciateur) éprouve une émotion,
cette inférence reposant sur un rapport de cooccurrence supposé entre l’énonciation d’un
énoncé présentant de telles caractéristiques et le ressenti d’une émotion.

18Il s’agit de développer quelque peu cet essai de définition en précisant : (a) les différences
fondamentales entre le mode de l’émotion montrée et celui de l’émotion dite envisagé au
point précédent ; (b) la nature de l’interprétation indicielle et le type d’inférence particulier
qu’elle engage ; (c) les caractéristiques d’un énoncé susceptibles d’activer une interprétation
indicielle ; (d) la distinction entre locuteur et énonciateur, et la possibilité, pour le locuteur,
d’allo-attribuer une émotion sur le mode du montrer. Nous nous appuierons sur l’extrait
suivant, dans lequel le condamné s’exhorte lui-même à « considér(er) en face » l’ « horrible
idée » de la mort :

(2) Hélas ! qu'est-ce que la mort fait avec notre âme ? quelle nature lui laisse-t-elle ? qu’a-t-
elle à lui prendre ou à lui donner ? où la met-elle ? (…)

Ah ! un prêtre ! un prêtre qui sache cela ! Je veux un prêtre, et un crucifix à baiser !

Mon Dieu, toujours le même ! (DJC, XLI, p. 122)

19(a) Un tel extrait n’est pas analysable dans le cadre que nous avons tracé lors de l’étude de
l’émotion dite.  Si l’on accepte qu’une émotion est ici sémiotisée (selon un mode qui reste à
préciser), il apparaît que le processus de sémiotisation n’implique pas la présence d’un
quelconque « terme d’émotion » : il n’y a pas d’unité lexicale renvoyant sur un mode
dénotatif à un état, un processus ou une qualité de type émotionnel. Ensuite, s’il y a bien une
expression référentielle désignant l’être affecté par l’émotion (le « je », qui renvoie
déictiquement au locuteur), ce n’est pas – dans le registre de l’émotion montrée – l’expression
référentielle elle-même qui est déterminante pour identifier celui ou celle à qui l’émotion est
attribuée (voir plus bas). Enfin, comme il n’y pas d’expression incorporant un terme
d’émotion, il n’y a, a fortiori, pas de relation prédicative qui l’unit à l’expression désignant
l’entité humaine affectée. Il découle de ces trois caractéristiques « négatives » qu’un tel
extrait – dont nous défendrons l’hypothèse qu’il relève de l’émotion montrée – n’est pas
autant soumis au critère de « véridiction » que ne le sont les énoncés qui disent l’émotion : du
fait de sa non-inscription lexicale et syntaxique, l’attribution de l’émotion à l’être qui
l’éprouve ne peut se voir directement niée ou modalisée.

 14 La conception que nous développons s’inspire, sur ce point, des travaux de Ducrot
(1984 : 149) : un (...)

20(b) Au niveau de l’interprétation, le traitement des énoncés qui montrent  l’émotion se base


fondamentalement sur la recherche d’indices. La notion d’« indice » est d’un usage malaisé,
tant sont divers les sens qui lui sont accordés en sémiotique et, plus largement, en sciences du
langage. Nous l’utilisons ici en vue de saisir un fonctionnement sémiotique particulier, qui
implique un mode d’inférence spécifique de la part de l’allocutaire : celui-ci infère la présence
(passée ou présente) d’un objet à partir de la présence d’un signe en se basant sur l’idée qu’il
existe un rapport stable de cooccurrence entre ce signe et cet objet (« S’il y a tel signe, alors
c’est probablement qu’il y a aussi tel objet, dans la mesure où l’occurrence du premier
accompagne de manière générale l’occurrence du second »). On notera que la célèbre
définition de Peirce, selon laquelle l’indice est un signe qui « renvoie à l'objet qu'il dénote
parce qu'il est réellement affecté par cet objet » (1978 : 140) a amené plusieurs sémioticiens
(notamment Everaert-Desmedt 1990 : 62 et Klinkenberg 2000 : 146) à gloser ce rapport de
cooccurrence en termes de causalité  : le signe désigne indiciellement l’objet dans la mesure
où sa présence même est interprétée comme étant directement causée par cet objet. Pour
reprendre un exemple classique, on peut inférer la présence d’un feu (même si l’on ne voit pas
ce dernier) à partir de la présence de fumée : la fumée et le feu sont réputés advenir ensemble,
l’une étant causée par l’autre. Nous tenterons de reprendre cette glose en termes de causalité
pour saisir le fonctionnement indiciel propre au registre de l’émotion montrée.  Dans le cas qui
nous intéresse, certaines caractéristiques de l’énoncé peuvent renvoyer à l’émotion du
locuteur en vertu du fait qu’elles donnent une image de l’énonciation14  telle que celle-ci
apparaît, aux yeux de l’allocutaire, comme étant causée par cette émotion même. Plus
précisément, l’énonciation de l’énoncé est, en vertu de certaines caractéristiques que celui-ci
exhibe, perçue comme un effet qui se voit immédiatement assigné à une cause, cette cause est
elle-même assimilée à une émotion supposément ressentie par le locuteur et, au final, cette
émotion est attribuée au locuteur.

21Une remarque à ce stade : le fonctionnement indiciel que nous venons d’esquisser, et qui
est pour nous caractéristique de l’émotion montrée, ne devrait pas être confondu avec
la description verbale d’indices (physiologiques ou comportementaux) conventionnellement
associés à une émotion. Pour éclaircir ce point, considérons rapidement l’extrait suivant (le
narrateur se remémore le départ de sa cellule, le jour de la lecture du verdict au tribunal) :

(3) Je me levai ; mes dents claquaient, mes mains tremblaient et ne savaient où trouver des
vêtements, mes jambes étaient faibles. (DJC, II, p. 42)

22Que se passe-t-il ici ? L’extrait décrit des processus physiologiques qu’il est possible
d’associer à l’expérience d’un certain type d’émotion, par le biais d’un savoir socialement
partagé (un topos) relatif à la dimension somatique de l’expérience émotionnelle. En
l’occurrence, les dents qui claquent, les mains qui tremblent et les jambes faibles peuvent être
lus comme des indices à partir desquels on peut inférer la présence d’une émotion de type
/peur très intense/ : on peut ainsi considérer qu’en décrivant ces indices, le locuteur s’auto-
attribue du même coup – mais indirectement – cette émotion. Nous considérons que de tels
énoncés relèvent bien de l’émotion dite, même s’ils en constituent un cas-limite, et non de
l’émotion montrée (au sens que nous avons accordé à ce terme). L’argument décisif est, selon
nous, le suivant : même s’ils ne comportent pas de terme d’émotion et qu’ils requièrent une
inférence de la part de l’allocutaire sur la base d’indices, de tels énoncés décrivent, sur un
mode pleinement dénotatif, l’expérience d’une émotion à travers des processus
physiologiques ou comportementaux qui lui sont stéréotypiquement associés. En revanche –
et c’est toute la différence avec le registre de l’émotion montrée –, s’ils verbalisent bien des
indices, ils ne sont eux-mêmes pas indiciels, dans le sens où ils ne présentent pas leur
énonciation comme directement issue d’une émotion.

 15 C’est en partie l’objet de notre ouvrage en cours de rédaction. On trouve


régulièrement, dans la li (...)

23(c) Qu’en est-il à présent des caractéristiques de l’énoncé qui permettent typiquement une
sémiotisation de l’émotion sur le mode du montrer ? Nous ne pouvons bien sûr, dans le cadre
de cet article, esquisser une typologie des marqueurs de l’émotion montrée15 : le propos est
seulement de formuler quelques réflexions relatives au fonctionnement de ces marqueurs en
général, et non de se lancer dans un inventaire raisonné. Premièrement, les caractéristiques
d’un énoncé qui sont passibles d’une interprétation indicielle et qui, dès lors, sont réputés
pouvoir montrer l’émotion frappent par leur extrême hétérogénéité  : elles engagent des unités
qui relèvent potentiellement de tout type de matériau sémiotique (aussi bien verbal que co-
verbal) et – pour ce qui est du matériau verbal – de tout niveau d’organisation linguistique.
Une analyse sommaire de l’extrait (2) ferait ainsi notamment ressortir :

24– au niveau lexical, la présence d’interjections primaires (« Ah ! ») et secondaires


(« Hélas ! », « Mon Dieu ») ;

25– au niveau syntaxique, la présence d’énoncés exclamatifs et, pour la plupart, averbaux
(« un prêtre ! un prêtre qui sache cela ! (…) Mon Dieu, toujours le même ! »), qui sont
marqués par rapport à la structure prédicative bipartite GN-GV que l’on associe typiquement
au modèle de la phrase canonique.

 16 C’est ici que l’émotion montrée croise directement le troisième mode de


sémiotisation que nous envi (...)

26Deuxièmement, ces caractéristiques gardent toujours une part irréductible


d’indétermination,  et cela pour deux raisons. D’abord, leur simple présence ne garantit pas
toujours la pertinence de leur interprétation en tant qu’indices d’une émotion : par exemple,
un énoncé averbal ne saurait, à lui seul, automatiquement faire l’objet d’une lecture
émotionnelle. Cela explique que l’interprétation aura tendance à exploiter un faisceau de
caractéristiques (plutôt qu’une caractéristique prise isolément) et à rechercher autant que
possible la congruence des indices. Ensuite, les caractéristiques de l’énoncé dont on fait
l’hypothèse qu’elles montrent une émotion orientent le plus souvent vers une émotion non
spécifiée : elles sont en elles-mêmes sinon indéterminées, au moins sous-déterminées quant
au type d’émotion dont il s’agit. Il est bien connu qu’une interjection primaire comme
« Ah ! » n’est pas, hors co(n)ntexte, directement reliable à la sémiotisation d’un (et un seul)
type d’émotion, pas plus que ne l’est un énoncé averbal exclamatif. L’interprétation tendra
dès lors à exploiter activement les informations fournies par le cotexte verbal et/ou le contexte
situationnel à propos de la situation qui, du point de vue du locuteur, semble justifier le
déclenchement de l’émotion16. Dans l’extrait, outre la congruence de caractéristiques
lexicales et syntaxiques dont on peut faire une lecture indicielle plausible, l’interprétation
s’appuiera sur le fait que le locuteur se trouve dans une situation très particulière qu’il
verbalise : cette situation se caractérise par l’extrême proximité temporelle de la mort, par
l’afflux de questions relatives au devenir de l’être humain après son décès et par
l’impossibilité d’obtenir des réponses satisfaisantes, même de la part des « prêtres », ceux
dont la fonction est pourtant par excellence de conférer un sens au passage de la vie à la mort.
Ces informations incitent à faire des hypothèses plus précises quant au type d’émotion
sémiotisée : d’abord l’affolement provoqué par le torrent de questions laissées sans réponses,
puis l’intense déception provoquée par la venue d’un prêtre que le condamné a déjà rencontré
à deux reprises (chap. XXI et XXX) et dont il a trouvé le discours profondément indigent
(« Mon Dieu, toujours le même ! »).

27(d) Il nous faut à présent dire un mot d’une question redoutable sur le plan théorique
comme sur le plan empirique : à quelle instance énonciative l’émotion est-elle au juste
attribuée dans le registre de l’émotion montrée (au sens où nous avons pris ce terme) ?
Jusqu’à présent, nous avons envisagé des cas où aucune différence n’était faite entre, d’une
part, le locuteur (l’être présenté comme « l’instance première qui produit matériellement
l’énoncé » selon l’expression de Rabatel 2012 : 24) et, d’autre part, le (ou
les) énonciateur(s) (en tant que « source(s) du (ou des) point(s) de vue » manifesté(s) dans
l’énoncé). L’exemple (2) est un cas de syncrétisme entre les deux instances : de toute
évidence, celui qui est donné – via le pacte fictionnel, bien sûr – comme l’instance de
production de l’énoncé s’identifie à celui dont le point de vue est manifesté. Dans ce genre de
cas, où le locuteur se confond avec l’énonciateur, l’émotion montrée est forcément auto-
attribuée. Mais il peut y avoir disjonction entre le locuteur et l’énonciateur  – que se passe-t-il
alors ? Certaines caractéristiques de l’énoncé donnent de l’énonciation une image telle que
celle-ci apparaît comme étant causée par une émotion ; la différence avec le premier cas
réside dans le fait que l’émotion va ici être attribuée préférentiellement non à celui qui est
présenté comme le producteur de l’énoncé (le locuteur), mais bien à l’être qui est à la source
du point de vue manifesté par cet énoncé (l’énonciateur). Sans pouvoir entrer dans la
complexité d’une telle problématique, on se contentera de mentionner ici le phénomène
général de la représentation du discours autre : les caractéristiques de l’énoncé passibles
d’une lecture indicielle auront tendance à y être rapportés à une énonciation dont le locuteur
n’est pas présenté comme responsable en termes de point de vue et, ainsi, l’émotion y
sera allo-attribuée. Nous dirons, pour clore ce point, que le registre de
l’émotion montrée permet l’allo-attribution, mais dans une certaine limite. Le registre
du dire  permet au locuteur, on s’en souvient, d’attribuer une émotion à un tiers par le seul
biais d’une expression référentielle : il suffit si l’on veut au locuteur de référer au tiers pour en
faire un support possible d’attribution. Pour sa part, le registre du montrer exige une forme
de délégation énonciative pour qu’il puisse y avoir allo-attribution : le tiers à qui est attribué
l’émotion n’est pas seulement un être dont on parle (un objet du discours), mais un être avec
qui on parle  (un énonciateur).

5. Un troisième mode de sémiotisation : l'émotion étayée

28Nous allons à présent soutenir que l’on gagne à envisager, aux côtés de
l’émotion dite  et montrée,  un troisième grand mode de sémiotisation des émotions. Formulée
dans sa plus grande généralité, l’hypothèse est la suivante : une émotion peut être inférée à
partir de la schématisation, dans le discours, d’une situation qui lui est conventionnellement
associée selon un ensemble de normes socio-culturelles et qui est ainsi supposée en garantir
la légitimité. Pour illustrer le fonctionnement de l’émotion étayée, nous considérerons le
passage suivant, dans lequel le condamné s’adresse à Marie, sa fille de trois ans :
(4) ô ma pauvre petite fille ! encore six heures, et je serai mort ! […]

Ils vont me tuer. Comprends-tu cela, Marie ? […]

Ah ! grand Dieu ! pauvre petite ! ton père qui t'aimait tant, ton père qui baisait ton petit cou
blanc et parfumé, qui passait la main sans cesse dans les boucles de tes cheveux comme sur de
la soie, qui prenait ton joli visage rond dans sa main, qui te faisait sauter sur ses genoux, et le
soir joignait tes deux petites mains pour prier Dieu !

Qui est-ce qui te fera tout cela maintenant ? Qui est-ce qui t'aimera ? Tous les enfants de ton
âge auront des pères, excepté toi. Comment te déshabitueras-tu, mon enfant, du Jour de l'An,
des étrennes, des beaux joujoux, des bonbons et des baisers ? Comment te déshabitueras-tu,
malheureuse orpheline, de boire et de manger ?

Oh ! si ces jurés l'avaient vue, au moins, ma jolie petite Marie ! ils auraient compris qu'il ne
faut pas tuer le père d'un enfant de trois ans. (DJC, XXVI, p. 101)

29On voit ici que l’émotion est dite,  au moyen de l’adjectif antéposé « pauvre » (deux
occurrences) qui octroie à Marie une propriété, celle d’inspirer la pitié (au locuteur, mais
potentiellement aussi à celui à qui il s’adresse). On retrouve également plusieurs phénomènes
linguistiques typiques de la monstration, en ceci qu’ils présentent l’énonciation comme co-
occurrente avec le ressenti d’une émotion : on notera l’abondance d’énoncés exclamatifs et/ou
averbaux (§3 : « Ton père qui… »), la série de questions rhétoriques (§4 : « Qui est-ce
qui… ? », « Comment te… ? »), ainsi que les interjections (§3 : « Ah ! grand dieu ! » ; §5 :
« Oh ! »). Ce qui nous intéresse toutefois ici est de saisir le processus d’étayage du sentiment
de pitié que le locuteur dit, montre et cherche à faire partager à un hypothétique lecteur.

 17 Voir, pour une synthèse toujours actuelle, Appraisal Processes in


Emotion  (Scherer, Schorr et Johns (...)

30Pour approcher la notion d’émotion étayée, il faut commencer par rappeler l’idée selon
laquelle les différents types d’émotion gagnent à être distingués en fonction de la manière
dont le sujet évalue une situation à laquelle il se trouve confronté. L’expérience émotionnelle
est un processus à plusieurs composantes qui implique, de manière centrale, une composante
d’évaluation cognitive – aux côtés d’autres composantes physiologique (symptômes
corporels), motivationnelle (tendances à l’action) et expressive (voir Scherer 2005 : 698).
C’est là une idée qui traverse plusieurs courants actuels de recherche dans le domaine de la
psychologie des émotions, au premier rang desquels la théorie dite de l’appraisal 17. On
postule, dans une telle optique, qu’il est possible d’apparier de façon relativement stable
des types d’émotion, d’une part, et, d’autre part, des types d’évaluation des
situations.  L’enjeu est alors de dresser une liste des principaux paramètres qui président à
l’évaluation cognitive des situations (et qui – selon le type d’émotion envisagé – acquièrent
une prégnance particulière ou, au contraire, sont d’une importance moindre) : on s’efforce
ainsi, pour chaque type d’émotion, de dresser un profil d’évaluation cognitive relativement
spécifique. Il faut immédiatement ajouter que ces processus d’appariement entre des types
d’émotion et des types d’évaluation des situations ne sont pas d’ordre purement
idiosyncrasique, liés à la seule subjectivité de l’individu, mais tendent à se stabiliser au sein
d’un groupe social et, plus largement, au sein d’une société à un moment donné de son
histoire : ils sont fondamentalement conventionnels, socio-culturellement normés. On
rappellera que la rhétorique d’Aristote est sur ce point exemplaire, puisqu’il s’agit
précisément d’y établir une topique des passions en décrivant la manière dont une situation
est typiquement évaluée lorsqu’un sujet est en proie à telle ou telle passion : ainsi, dans le cas
de la pitié, le sujet croit typiquement qu’une personne souffre, que cette souffrance n’est pas
méritée et qu’elle pourrait aussi s’abattre sur lui-même ou sur l’un de ses proches (Rhét., II, 8,
1385b, p. 81). Comme le résume Eggs, la topique des passions fonctionne donc par des
« inférences déductives à partir des situations-types ou des scénarios déclenchant des affects
déterminés » (1999 : 48) et repose sur une implication de type <Si on a un scénario du type X,
on aura une émotion du type Y> (2000 : 28).

31L’idée d’une topique des émotions fait depuis quelques années l’objet d’une reprise
explicite dans un cadre d’analyse du discours : il s’agit alors, pour le dire très simplement, de
passer d’une problématique de l’évaluation cognitive des situations à celle de
leur schématisation discursive. Dire que le locuteur « schématise » une situation, c’est
d’abord rappeler que le discours n’est jamais le pur miroir du monde, qu’il « donne à voir » le
réel sous un certain éclairage, en « mettant en évidence »  – selon l’expression de Grize
(1990 : 40) – « certains aspects des choses, en en occultant d’autres ». C’est ensuite souligner
que cette construction ne s’effectue pas de manière aléatoire, mais bien de manière réglée,
selon un ensemble de paramètres dont le traitement particulier permet à l’allocutaire
d’effectuer une inférence émotionnelle, en reliant la situation discursivement schématisée à un
type d’émotion spécifique. On peut, suivant l’initiative de travaux de Plantin (résumée dans
2011 : 176-182), s’inspirer des principaux paramètres d’évaluation cognitive identifiés par les
psychologues (les « stimulus evaluation checks » de Scherer 2001) et les reformuler
en paramètres topiques (c’est l’optique que nous avons défendue dans Micheli 2010 : 174-
185). Nous mentionnons ci-dessous quelques uns des paramètres topiques les plus
fondamentaux, en signalant rapidement comment ils sont exploités dans l’extrait (4) (il ne
s’agit pas ici de procéder à une analyse approfondie de cet extrait en particulier, mais plutôt
d’illustrer concrètement la manière dont l’émotion étayée peut être saisie dans un texte) :

32Quels sont les individus représentés (étude du paradigme désignationnel) et quels sont


les rôles sémantiques associés aux individus représentés (agent, patient,…) ? La
schématisation fonctionne sur un dispositif à trois pôles : l’agent de l’exécution (« ils vont me
tuer »), qui ne fait pas ici l’objet d’une description détaillée, et deux de ses victimes. Le
locuteur constitue une première victime directe de la mise à mort : il est ici alternativement
décrit comme un être passif sur lequel va s’exercer une action violente (« tuer ») et comme un
pourvoyeur d’amour paternel (voir l’énumération des gestes d’affection au §3 et le syntagme
« le père d’un enfant de 3 ans » au §5), mais jamais comme l’agent d’une action criminelle
passée. La petite fille constitue une victime indirecte, pour ainsi dire collatérale, de
l’exécution : elle est ici uniquement vue comme le patient d’une action qui est en passe de la
priver définitivement (§4) d’un amour paternel qu’elle a reçu pendant les premières années de
sa vie (§3). Marie apparaît comme une figure de l’innocence, future victime d’une souffrance
qui apparaît totalement imméritée.

33Le discours assigne-t-il une cause à la situation schématisée, identifie-t-il un agent que


son action (ou son omission d’action) en rend responsable ? La figure de l’agent de la
condamnation et de l’exécution (qu’il s’agisse des acteurs de l’institution judiciaire et
carcérale ou des bourreaux) n’acquiert ici que peu de consistance : l’accent n’est pas tant
porté sur l’être auquel la responsabilité de la mort prochaine du locuteur peut être imputée
qu’aux conséquences douloureuses que cet mort aura pour autrui.

34Le discours décrit-il les conséquences que la situation schématisée est susceptible


d’entraîner ? C’est le principal paramètre exploité dans l’extrait : la mort du locuteur est ici
envisagée sous un angle bien particulier, à savoir celui de ses conséquences pour l’avenir de
la petite fille, fait de multiples souffrances dues à la privation de l’amour paternel.

35Le discours décrit-il le degré de contrôle qu’il est possible d’exercer sur la situation
schématisée ? Ici, le degré de contrôle paraît faible, voire nul. Le locuteur présente sa propre
mort et les souffrances futures de sa fille comme inéluctables. Il peut tout au plus – dans un
dispositif plus-que-parfait/conditionnel passé (§5) – imaginer une situation alternative dans
laquelle les jurés l’auraient épargné par souci du bien-être de sa fille (situation irréalisée et
irréalisable au moment de l’énonciation).

36Le discours présente-t-il la situation schématisée dans un rapport d’analogie avec


d’autres situations pertinentes sur le plan émotionnel ? La schématisation joue sur un
contraste fort (§4) entre le sort qui attend Marie, « malheureuse orpheline », et celui de « tous
les autres enfants de [son] âge » qui « auront des pères ». Les souffrances futures de la fille du
locuteur détonnent, en comparaison de la situation de ses pairs – ce qui accentue l’impression
que ces souffrances sont imméritées.

37Le discours statue-t-il sur la compatibilité ou l’incompatibilité de la situation


schématisée avec des valeurs et des normes sociales ? En ce qu’elle va causer des
souffrances imméritées chez un enfant innocent, la situation est présentée comme
incompatible avec une valeur fondamentale de type /la société doit tout faire pour protéger ses
membres les plus vulnérables, au premier rang desquels figurent les jeunes enfants/.

38Une approche discursive des émotions peut, selon nous, travailler dans l’optique d’une
meilleure compréhension des processus d’appariement entre des types de schématisation
discursive,  d’une part, et des types d’émotion, d’autre part.

39Pour terminer, il convient de préciser quelque peu le type d’interprétation qui est propre à
l’émotion étayée, et qui distingue ce mode de sémiotisation des deux premiers modes
envisagés. L’émotion étayée a ceci de commun avec l’émotion montrée qu’elle majore la part
d’inférence laissée à l’allocutaire : contrairement à ce qui se passe dans le dire, l’émotion n’y
est pas nécessairement désignée au moyen d’une unité lexicale, ni mise en rapport avec un
être qui l’éprouve (c’est certes le cas dans l’extrait (4), avec l’adjectif « pauvre » qui dénote le
sentiment de pitié du locuteur à l’égard de sa fille, mais une émotion étayée n’a pas forcément
besoin d’être nommée). Toutefois, l’émotion étayée engage un type d’interprétation qui ne se
confond pas avec celui de l’émotion montrée. L’émotion montrée implique, on l’a vu, un
fonctionnement indiciel : on infère, sur la base de certaines caractéristiques de l’énoncé, que
l’énonciation est cooccurrente avec le ressenti d’une émotion, voire qu’elle est
directement causée par cette émotion même. Dans ce cas, comme l’a bien noté Plantin,
l’interprétation suit un mouvement qui va « d’aval en amont » (2011 : 158) : on « remonte »
des effets de l’émotion vers l’émotion elle-même. Dans le cas de l’émotion étayée, le trajet
interprétatif doit être modélisé d’une façon différente : on part de la schématisation discursive
d’une situation, et l’on en infère une émotion que l’on considère comme son effet légitime en
vertu de normes socio-culturelles appariant des types d’évaluation des situations et des types
d’émotion. Dans ce cas, le mouvement va plutôt d’amont en aval : on « descend » des causes
de l’émotion vers l’émotion elle-même. C’est pour cela que nous choisissons de parler
d’émotion « étayée » : il s’agit bien, pour le locuteur, de verbaliser le fondement de l’émotion
(même si elle n’est pas nommée !), d’expliciter ce sur quoi elle repose et donc de suggérer
que sur la base de la situation discursivement schématisée, l’émotion a lieu d’être : « S’il y a
une situation telle que la schématise le discours, alors il y a lieu d’éprouver un certain type
d’émotion ».
6. Conclusion : De la distinction des modes de sémiotisation émotionelle à l'étude de
leurs interactions dans les discours

40Cet article visait à présenter de manière synthétique un modèle d’analyse possible du


processus général de sémiotisation des émotions à l’œuvre dans les discours. On a rappelé, en
ouverture, l’inconfort des linguistes qui, intéressés à décrire cet énigmatique « langage
émotionnel », se retrouvent dans une situation paradoxale où l’omniprésence des observables
n’a d’égale que...leur évanescence ! Ce statut des émotions – « à la fois dans le langage
partout, et nulle part » – incite les chercheurs à mener des recherches ciblées, portant sur des
phénomènes spécifiques, et à parfois délaisser quelque peu les essais de modélisation
générale. Nous avons pris ici le parti de revenir frontalement à la question des
principales catégories  au moyen desquelles l’analyse du « langage émotionnel » peut être
entreprise. L’enjeu est de montrer que le croisement entre les faits de langage et les émotions
peut être conceptualisé sous la forme d’un nombre limité de rapports : il s’agit, dans un tel
esprit, d’esquisser une typologie des principaux modes selon lesquels les émotions sont
sémiotisées dans les discours. Dans le modèle que nous proposons, les émotions peuvent
fondamentalement être dites, montrées et étayées. Pour échapper aussi bien au risque de la
complexité excessive qu’à celui de la trivialité, une tentative de modélisation comme celle-ci
vise idéalement à répondre à trois conditions :

41– une condition de simplicité, d’abord : l’idée est de ne pas multiplier les entrées d’analyse,
mais de commencer par se concentrer sur des macro-catégories (qui demandent bien sûr à
être raffinées en sous-catégories si l’on en prolonge l’étude) ;

42–  une condition de rigueur,  ensuite : les catégories sont en nombre limité, mais on se doit
d’être aussi explicite que possible sur la manière dont on les définit et sur les critères selon
lesquels on les distingue ;

43– enfin, une condition de rentabilité empirique : la vocation d’un tel modèle est de fournir
un cadre à la description de données discursives, et il doit ultimement être jugé à cette aune.

44Telle qu’elle a été faite dans cet article, la présentation successive de l’émotion dite,
montrée et étayée  tend inévitablement à séparer de manière très artificielle des modes de
sémiotisation qui, à l’évidence, vont de pair dans la pratique effective des discours. L’analyse
devrait à ce titre pouvoir montrer comment ces modes se cumulent, se renforcent
mutuellement ou, à l’inverse, entrent parfois en contradiction les uns avec les autres. Il y a là
toute une palette d’interactions entre les modes, que nous n’avons pu envisager ici, mais qui
gagneraient elles aussi à faire l’objet d’une typologie, à partir de l’étude empirique de données
discursives variées. Toutefois – et c’était le propos méthodologique du présent article –, pour
pouvoir décrire l’interaction des modes et, ce faisant, approcher la complexité effective des
discours, il paraît indispensable de faire l’effort de les envisager distinctement au préalable.

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Bibliographie

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ARISTOTE, Rhétorique, texte établi et traduit par Médéric DUFOUR, Paris, Les Belles
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Notes

1 Nous ne pouvons procéder en introduction à un état détaillé et référencé des très nombreuses recherches
actuelles portant sur le « langage émotionnel ». Nous avons donc pris le parti de placer des références ciblées à
ces recherches dans le corps de l’article, en fonction des questions soulevées lors de la présentation des différents
modes de sémiotisation de l’émotion.

2 Nous expliquons plus loin le choix du verbe « sémiotiser » et de ses dérivés (infra, 2.).
3 A l’exception notable des importants travaux de Christian Plantin qui, depuis une quinzaine d’années,
formulent des « principes » et des « méthodes pour l’étude du discours émotionné » (selon le sous-titre de son
ouvrage de 2011). Notre proposition de modèle tripartite est, on le verra, proche du modèle de Plantin
(« Reconstruction de l’émotion : les trois voies », 2011 : 142-160) : nous cherchons toutefois à expliciter encore
davantage comment les différents modes de sémiotisation de l’émotion se distinguent entre eux, ainsi qu’à
approfondir le mode de l’émotion montrée verbalement (qui ne reçoit pas chez Plantin un traitement détaillé).

4 Les citations renvoient à l’édition de Roger Borderie (Gallimard, coll. Folio, 2000).

5 Nous nous limitons ici aux signes langagiers (au sens large : verbaux et co-verbaux), sans nous arrêter sur les
signes non langagiers (notamment physiologiques, comme par exemple la sudation, le tremblement d’un membre
ou le rougissement de la peau).

6 Il ne s’agit donc pas de s’inscrire dans le paradigme spécifique de la sémiotique des passions, notamment
représenté par les travaux de Greimas et Fontanille (1990).

7 Cette définition s’inspire principalement des travaux de syntaxe et de sémantique sur les « prédicats de
sentiment », notamment ceux de Gross (1995 : 70) qui en formulent ainsi la structure : « P(sent, h) où P est une
relation prédicative qui lie deux variables : un sentiment sent et un humain h ». Cette formule a été reprise de
façon novatrice, dans une optique d’analyse du discours, par Plantin qui parle d'énoncés « prédiquant un terme
d'émotion d'un lieu psychologique » (2011 : 145-150).

8 Nous ne développerons pas ce dernier point ici.

9 Voir, pour un panorama récent, le volume collectif édité par Novakova et Tutin (2009).

10 Pour un exemple de typologie des « noms d’affects » (« émotions » et « sentiments ») selon leurs propriétés
combinatoires, on se reportera en priorité à Goossens (2005) et Tutin et al. (2006).

11 Nous ne pouvons développer. Pour le cas des noms, voir Mathieu (1999) et pour celui des verbes, Mathieu
(2000).

12 Il est par ailleurs tout à fait possible que l’émotion fasse l’objet d’une désignation lexicale, notamment par le
biais d’un nom, et soit ainsi constituée en objet de discours dont on affirme quelque chose, sans pour autant être
mise en rapport avec un être supposé l’éprouver : « La peur est mauvaise conseillère », par exemple. En termes
de sémiotisation, de tels énoncés relèvent assurément du dire, mais ne nous retiendront pas dans le cadre de cet
article.

13 Nous revenons plus bas sur ce point (infra, 4d).

14 La conception que nous développons s’inspire, sur ce point, des travaux de Ducrot (1984 : 149) : un énoncé
« montre » quelque chose, au sens où il donne une indication qui « concerne le fait même de son énonciation »
(en l’occurrence que celle-ci est causée par une émotion). Cette indication, il faut le souligner, n’est pas de
nature propositionnelle et ne consiste pas, pour le locuteur, à prendre explicitement l’énonciation pour objet afin
d’en dire quelque chose, dans une sorte d’auto-représentation du dire en train de se faire (« Je parle sous le coup
de l’émotion », « Je le dis avec beaucoup d’émotion », etc). Comme le résume Perrin, « montrer », pour un
énoncé, c’est « qualifie[r] sa propre énonciation », non pas « conceptuellement, mais symptomatiquement »
(2008 : 162-163).

15 C’est en partie l’objet de notre ouvrage en cours de rédaction. On trouve régulièrement, dans la littérature
linguistique, des listes des marqueurs les plus courants, en général classés selon le niveau d’organisation
linguistique dont ils relèvent (voir par exemple Bazzanella 2004 : 62-63, Bednarek 2009 : 11, Kerbrat-
Orecchioni 2000 : 46-47). Si les phénomènes dégagés se recoupent très souvent, on peut regretter l’extrême
rareté d’analyses plus approfondies qui, par exemple, expliquent de manière détaillée en quoi au juste une phrase
averbale ou disloquée est apte, dans certaines conditions, à sémiotiser l’émotion sur le mode du montrer.

16 C’est ici que l’émotion montrée croise directement le troisième mode de sémiotisation que nous envisageons,
à savoir l’émotion étayée (voir infra, §5.).

17 Voir, pour une synthèse toujours actuelle, Appraisal Processes in Emotion (Scherer, Schorr et Johnstone (éd.)
2001).
Table des illustrations

URL
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Fichier
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Référence électronique
Raphaël Micheli, « Esquisse d'une typologie des différents modes de sémiotisation verbale de
l'émotion  », Semen [En ligne], 35 | 2013, mis en ligne le 21 avril 2015, consulté le 20 mars
2020. URL : http://journals.openedition.org/semen/9795 ; DOI :
https://doi.org/10.4000/semen.9795
Auteur Raphaël Micheli

Université de Lausanne

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