(1) Service d'orthopédie et de traumatologie, hôpital académique, Vrije Universiteit Brussel, avenue du Laerbeek,
101, 1090 Bruxelles (Belgique).
La mobilité et la fonction de l'épaule dépendent aussi bien de la congruence des surfaces articulaires
que d'un équilibre efficace des vecteurs de force musculaire [16].
L'articulation glénohumérale, de par sa faible stabilité intrinsèque, est plus que toute autre articulation
dépendante des forces musculaires.
La coiffe des rotateurs joue un rôle prépondérant dans la stabilité de cette articulation, puisque ses
insertions musculaires englobent pratiquement toute la circonférence de la tête humérale. La rupture
transfixiante d'un seul tendon provoquera déjà une certaine instabilité, qui pourra heureusement
souvent être compensée par les muscles restés intacts. L'atteinte de plusieurs tendons, avec rétraction
du corps musculaire, souvent accompagnée de dégénérescence graisseuse musculaire, donnera lieu à
une insuffisance fonctionnelle telle, que nous pourrons dès lors parler d'une coiffe déficiente.
Lorsque la congruence et/ou l'intégrité de la coiffe sont compromises, il en résulte souvent des douleurs
importantes, accompagnées d'une limitation de la mobilité. Nous rencontrerons l'association de ces deux
problèmes dans trois situations cliniques distinctes :
● l'arthrite rhumatoïde ;
● l'arthrose décentrée sur rupture de coiffe massive ;
● l'arthrose glénohumérale centrée avec coiffe dégénérative rompue.
Physiopathologie
Dans l'arthrite rhumatoïde, où environ 75 % des patients séropositifs ont une atteinte des épaules, il
est clair que c'est la maladie systémique qui est responsable de la destruction articulaire, aussi bien du
cartilage et de l'os que de la coiffe des rotateurs. À un stade avancé, on remarquera le même aspect
radiologique, avec ascension de la tête humérale, que dans l'arthrose décentrée sur rupture de coiffe,
mais avec davantage de destruction osseuse dans la plupart des cas.
L'arthrose décentrée est le stade final de la rupture transfixiante massive de la coiffe (figure 1). D'après
Neer, à qui nous devons le terme anglais cuff-tear arthropathy cette évolution ne s'observe que dans
4 % des épaules qui présentent une rupture transfixiante de coiffe [39]. Neer a décrit l'association
d'une rupture totale ancienne de la coiffe, avec mobilité réduite, avec des érosions des structures
osseuses et un effondrement de la tête humérale arthrosique et ostéopénique (figure 2).
Halverson et al., au début des années 1980, ont donné une description similaire des lésions, qu'ils ont
décrites sous le nom de Milwaukee shoulder syndrome [29].
Les discussions physiopathologiques subsistent puisque deux écoles s'opposent quant à la cause de ce
processus : dans la littérature rhumatologique, une inflammation microcristalline est mise en cause.
Halverson et al. considèrent que ce sont les cristaux de phosphate de calcium (BCP = basic calcium
phosphate crystals) comme dans les tissus et le liquide synovial ainsi que dans le cartilage articulaire qui
sont à l'origine de la destruction [30]. La phagocytose de ces cristaux par des macrophages induit une
réponse inflammatoire qui détruit les tendons de la coiffe et le cartilage. Cela entraîne un cercle vicieux
puisque la destruction des tissus provoque la libération d'autres cristaux. La réaction inflammatoire
conduit également à la libération de protéases neutres et de collagénase active qui vont contribuer à
détruire les tissus. Cette interprétation n'est envisageable que si la rupture transfixiante de la coiffe
n'est pas d'origine traumatique.
Pourtant, Dieppe et Watt, en 1985, relativisent le rôle de ces cristaux (BCP) en suggérant qu'ils puissent
simplement résulter de l'usure des surfaces articulaires ; ils considèrent donc la pathologie comme une
forme localisée de l'arthrose érosive glénohumérale [15]. Par ailleurs, des facteurs nutritionnels ont
également été invoqués, suite à la perte d'étanchéité de l'articulation en raison de la fuite du liquide
synovial à travers la rupture de la coiffe. La douleur, entraînant une immobilisation relative de
l'articulation, le peu de liquide synovial qui reste dans l'articulation ne serait plus en mesure de nourrir le
cartilage, d'où sa destruction progressive [16] (figure 2A).
Des facteurs mécaniques semblent toutefois jouer un rôle prépondérant dans l'apparition de l'arthrose
décentrée. En ffet, suite à la rupture transfixiante dégénérative de la coiffe, on assiste à une migration
supérieure de la tête humérale car le vecteur de force produit par le deltoïde lors de l'abduction est
dirigé vers le haut plutôt qu'en direction de la glène [16].
Une fois le tendon du long biceps rompu ou luxé en dedans, rien ne peut plus arrêter la tête humérale,
si ce n'est la voûte acromio-coracoïdienne, ce qui aboutira finalement à la formation d'une
néoarticulation acromio-gléno-humérale (figure 2B).
C'est à Hamada et al. [31] que nous devons la classification radiologique en cinq stades de ces lésions,
que ces auteurs ont proposée en 1990, l'omarthrose excentrée répondant aux stades IV et V.
Il faut reconnaître également que certaines de ces évolutions sont probablement d'origine iatrogène, vu
le nombre de ténotomies bicipitales et d'acromioplasties, sans réparation de la coiffe, que nous avons
tous pratiquées dans le traitement d'un conflit antérosupérieur de l'épaule. Peut-être avons-nous ainsi
induit des arthroses décentrées, suite à des gestes arthroscopiques inconsidérés ? [53].
La dernière situation qui nous occupe est l'arthrose glénohumérale centrée accompagnée dans certains
cas d'une rupture transfixiante de coiffe dégénérative, le plus souvent avec une atteinte isolée du
supraspinatus. Il s'agit probablement d'une variante de la précédente, mais où la coiffe, tout en étant
rompue, par traumatisme ou par usure progressive, reste quand même assez fonctionnelle pour
maintenir la tête humérale centrée lors de l'abduction, selon la théorie du pont suspendu de Burkhart
[7]. La rupture ne doit pas être une découverte fortuite lors d'une intervention pour arthrose centrée et
pourra, dans un grand nombre de cas, être réparée lors de l'arthroplastie. Nous insisterons donc sur
une mise au point préopératoire complète, comprenant au moins un arthroscanner ou une IRM.
Indications chirurgicales
Le traitement d'une rupture transfixiante de coiffe dépendra d'un nombre important de facteurs, non
seulement liés au patient, comme par exemple le caractère et la sévérité des symptômes, l'échec d'un
traitement conservateur initial, l'âge et la demande personnelle et professionnelle, la lésion
anatomique, le côté affecté..., mais aussi de l'expérience, des affinités ainsi que de l'habilité du
chirurgien. Ce n'est qu'en écoutant bien les désirs du patient, après un examen clinique complet et en
s'entourant d'informations précises par des examens complémentaires (échographie, arthroscanner,
IRM) que le chirurgien de l'épaule pourra prendre une décision chirurgicale correcte.
Les patients qui nous occupent sont souvent des dames âgées, qui présentent les symptômes
suivants : des douleurs importantes et invalidantes et une épaule dite pseudoparalytique se traduisant
par un déficit actif d'élévation et de rotation externe avec un dropping sign (supraspinatus lag sign)
comme l'a décrit Neer [41].
L'imagerie montre alors une rupture transfixiante massive chronique, rétractée et irréparable
intéressant le supraspinatus et l'infraspinatus et/ou le subscapularis, accompagnée d'une excentration
de la tête humérale non seulement supérieure, mais également souvent postérieure, voire antérieure.
Peut-être pourra-t-on encore rendre cette rupture de coiffe fonctionnelle selon le concept de Burkhart
[7] en prescrivant des anti-douleurs et un bon programme de rééducation, afin d'obtenir un équilibre
musculaire adéquat dans le plan coronal et transversal, et faire fonctionner l'épaule sans symptômes,
malgré la présence d'une rupture transfixiante de coiffe importante ? Il est probable que cela ne
fonctionne qu'en cas de rupture isolée du supraspinatus. Selon Seltzer [48], plus de 80 % de succès
peuvent être obtenus, tous types de rupture transfixiante confondus, sans nécessité de chirurgie
ultérieure. Un essai de rééducation d'une durée de 6 à 12 semaines est donc impératif, sauf en cas de
stade radiologique dépassé (stades IV et V).
Si la kinésithérapie échoue nous pourrons envisager la chirurgie. Je ne m'étendrais pas sur les
techniques de suture, ni sur les plasties musculaires ou techniques d'interposition par greffe, voire
prothèses ligamentaires.
Selon Smith et Matsen, quatre caractéristiques mécaniques essentielles sont nécessaires au bon
fonctionnement de l'articulation [49] : la mobilité, la stabilité, la force ainsi qu'une surface articulaire
lisse.
La restauration d'une bonne mobilité nécessite la libération de la capsule articulaire, après excision des
ostéophytes, du côté opposé à la rupture transfixiante, ainsi qu'une sélection appropriée des
composants prothétiques afin d'obtenir une bonne tension capsulaire. Comment l'obtenir lorsque la
coiffe fait défaut puisque le remplissage excessif de la cavité restreint la mobilité [33] ? De plus, il cause
en cas de rupture transfixiante postérosupérieure avec rétraction capsulo-tendino-musculaire
antérieure une translation postérieure non désirée ainsi qu'une surcharge excentrique de la glène qui
peut même prédisposer à l'instabilité selon Cofield [11].
Pour la stabilité, est requise une orientation anatomique de la surface articulaire humérale
(rétroversion) et de la glène. De plus, il faut une concavité glénoïdienne suffisante avec courbures
suffisantes. Un CT-scan préopératoire s'impose donc pour Friedman et al. [24]. Cet examen nous
précisera les différents types d'usure (usure centrale symétrique, usure excentrée asymétrique) dans
les plans frontal et sagittal de la glène, ainsi que les possibilités ou non de reconstruction. Un équilibre
musculaire adéquat donnant une résultante des forces de réaction humérale correctement orientée est
également nécessaire.
La force requiert un deltoïde fonctionnel, une coiffe fonctionnelle ainsi qu'une relation tension-longueur
normale des muscles. Ces deux derniers éléments font défaut dans les cas qui nous occupent.
Types de prothèse
Prothèse contrainte
L'avantage théorique de cette option chirurgicale réside dans le fait qu'elle procure au deltoïde un pivot
stable sur lequel s'appuie l'humérus lorsque la synergie normale entre coiffe et deltoïde est perdue du
fait de la rupture de la coiffe. Neer [39] [41] pensait déjà que ce choix était le plus logique et il essaya
dès le début des années 1970 une prothèse à pivot fixe de type inversé (figure 3). Il essaya par la suite
d'autres modèles moins contraints, mais abandonna finalement le projet dès 1974.
Bickel élabora une prothèse contrainte fondée sur un autre concept ; elle fut utilisée, entre autres, par
Cofield [9] (figure 4). Elle consistait en un composant métallique totalement contraint cimenté dans la
glène. Cofield a rapporté de bons résultats à court terme, mais les complications - désolidarisation des
composants, descellement, fracture de glène - étaient trop nombreuses.
Fenlin [21], en 1975, a rapporté les résultats d'une prothèse inversée totalement contrainte, également
avec le même type de complications.
En 1991, Laurence [36] a rapporté les résultats d'une prothèse de hanche modifiée utilisant un implant
en polyéthylène appuyé et fixé dans l'acromion, la coracoïde et la glène, après résection des deux tiers
supérieurs de celle-ci. Sur une série de 71 épaules chez 66 patients, avec un recul moyen de 6,8 ans, 22
patients n'avaient plus de douleurs, 35 décrivaient une gêne légère et 9 avaient des douleurs
modérées. Deux épaules pouvaient être considérées comme des échecs, trois ont nécessité une reprise
pour descellement (dont deux traumatiques). Pourtant 85 % des patients avaient recouvré une fonction
active du membre supérieur et 40 % avaient repris le travail. Cette série constitue une exception car
d'une façon générale, les prothèses contraintes ont présenté des descellements précoces dans plus de
25 % des cas et ont été l'objet de nombreuses réinterventions (jusqu'à 50 %) pour descellement,
démontage ou instabilité, ce qui paraît intolérable [16].
Prothèses semi-contraintes
Les prothèses semi-contraintes représentent une alternative pour résister à la migration supérieure de
la tête humérale. Nous considérerons ici les types anatomiques et non anatomiques.
Anatomiques
Ces prothèses se caractérisent surtout par la modification de la forme du composant glénoïdien, agrandi
vers le haut de façon à former un auvent s'appuyant sur l'acromion. C'est à nouveau à Neer [40] [41]
que nous devons des modèles de composants glénoïdiens surdimensionnés de 200 et de 600 %
( hooded ). Neer les a utilisés chez 12 patients qui présentaient une rupture massive de la coiffe. Deux
modèles 600 % et dix modèles 200 % ont été utilisés. Les 600 % empêchaient toute réparation du
supraspinatus et ont été rapidement abandonnés. Neer notait que les 200 % interféraient également
avec tout essai de réparation de coiffe et préféra finalement le composant glénoïdien de taille standard.
Ces mauvais résultats ont été confirmés plus récemment par Nwakama et al. [43].
Amstutz et al. [1], avec la prothèse Dana, ont également décrit un composant avec auvent et ont fait
état d'une amélioration des douleurs, mais celle de la mobilité était marginale [1].
Bien que ces composants surdimensionnés fussent abandonnés depuis plus de 15 ans, certains auteurs
relancent cette idée en concevant un modèle à triple appui (glénoïdien, acromial et coracoïdien).
Non anatomiques
C'est à Grammont que nous devons la réintroduction d'une prothèse inversée en 1985. Les principes et
la conception de cette prothèse ont fait l'objet d'une première publication en 1987 dans la revue
Rhumatologie [26]. Cette prothèse était nettement moins contrainte que tous les modèles précédents.
Bien que l'insert huméral rétentif ait fait partie au départ du concept, il est apparu à l'usage que ce type
d'insert comportait plus d'inconvénients que d'avantages, pour autant que l'on dispose d'un
subscapularis suffisant et d'un deltoïde fonctionnel.
En effet, de par le dessin d'une glénosphère assez grande (36 ou 42 mm) le centre de rotation de
l'articulation est médialisé et abaissé, ce qui allonge le bras de levier du deltoïde, qui peut donc agir dès
les premiers degrés d'abduction (figure 5).
La prothèse Delta III TM (DePuy) inversée de Grammont n'a pas connu un succès immédiat.
D'aucuns se méfiaient de l'abord transacromial proposé par l'auteur dans sa technique originelle, car la
refixation par plaque a donné bien des déboires. D'autres se méfiaient de la fixation du composant
glénoïdien par des vis fixées par un pas de vis dans la plaque d'appui, appelée métaglène . Une autre
maladie de jeunesse fut l'absence, au départ, de cône Morse entre la métaglène et la glénosphère.
Certaines glénosphères se sont donc dévissées progressivement. Nous avons observé personnellement
des démontages complets secondaires à un traumatisme.
En outre, l'emploi d'une cupule en polyéthylène rétentive humérale dans certains cas de résection large,
dans le but de maintenir une stabilité, a donné lieu à leur arrachement lors de luxations. Le frottement
métal-métal a provoqué une métallose importante. Nous avons constaté, par ailleurs, dans un cas, le
dévissage d'une longue tige humérale constituée de deux parties.
Les modèles d'insert huméral non latéralisés ont également été retirés du marché en raison du risque
de contact métal-métal générateur de métallose.
Le scepticisme perdure encore puisqu'on reste dans l'incertitude quant au devenir des larges encoches
observées dans 65 % des cas à 5 ans au niveau de la partie inférieure du col glénoïdien [6] [20]
(figure 6).
Pourtant l'intérêt pour cette prothèse n'a cessé de croître ces dernières années, même chez ses plus
farouches détracteurs. En effet, malgré l'absence de série à long terme, les résultats fonctionnels (score
de Constant) spectaculaires à court terme et à moyen terme ont stimulé l'essor de cette prothèse en
Europe.
Grammont et Baulot [27] [28] ont présenté en 1993 une série initiale de 13 patients avec un recul
moyen de 2 ans. Le score fonctionnel était passé de 7/20 en préopératoire à 15/20 en postopératoire.
Baulot et al. [5] en 1995, avec un recul de 27 mois chez 16 patients, ont vu passer la valeur du score de
Constant absolu de 14 points sur 100 en préopératoire à 69 points en postopératoire.
De Buttet et al. [13] ont évalué 70 patients avec un recul moyen de 24,7 mois et ont également observé
une augmentation du score de Constant absolu, qui est passé de 19,4 points sur 1 000 en
préopératoire à 59,9 points en postopératoire.
Favard et al. [19] ont comparé 80 prothèses Delta inversées à 68 hémiarthroplasties Aequalis TM
(Tornier, France), dont 17 et 9 respectivement avaient un recul de plus de 5 ans. Il s'agissait d'une série
d'omarthroses décentrées avec coiffe rompue. Avec un recul moyen de presque 4 ans, la prothèse
inversée obtint des scores de Constant significativement meilleurs, avec une élévation active dans le
plan de l'omoplate plus grande que les hémiprothèses. C'est seulement en rotation externe, coude au
corps (RE1), que l'hémiprothèse Aequalis avait un avantage significatif. Les cas avec un recul supérieur
à 5 ans montraient toujours une supériorité de la prothèse Delta inversée sur l'Aequalis quant au score
de Constant. Sur 80 prothèses Delta III, on nota une encoche glénoïdienne dans 50 cas (65 %), et 13
(30 %) de ces encoches s'étendaient jusqu'à la vis inférieure. L'apparition de cette encoche semble liée
à l'utilisation d'un insert rétentif, à une orientation en haut et en dehors et à une fixation haute de la
glénosphère.
Jacobs et al. [35] ont confirmé sur une petite série l'amélioration assez spectaculaire à court terme (16
mois) du score de Constant.
Rittmeister et al. [45] ont également confirmé les excellents résultats dans une petite série d'arthrites
rhumatoïdes avec coiffe irréparable.
De Wilde et al. [14] ont rapporté récemment cinq cas de reprise de prothèse par Delta inversée avec de
très bons résultats.
Au vu de ces résultats et de notre expérience personnelle, nous apportons les observations suivantes :
● tout d'abord, en utilisant une glènosphère la plus grande possible nous améliorons l'amplitude du mouvement ;
● le positionnement le plus bas possible de cette sphère améliore la distalisation du centre de rotation et
augmente le moment d'abduction, tout en diminuant le risque de formation d'une encoche ;
● la pose en position neutre ou même en légère antéversion du composant huméral est bénéfique à la fonction,
puisqu'elle améliore les rotations et notamment la rotation interne ;
● la présence d'un subscapularis (de préférence les deux tiers inférieurs) est nécessaire pour la stabilité ;
● les inserts huméraux rétentifs sont à proscrire puisqu'ils risquent de se détacher de la tige humérale ;
● le profil trop bas de certains inserts huméraux en polyéthylène augmente le risque de formation d'une
encoche (les inserts non latéralisés ont dès lors été retirés du marché).
Le pas vers une nouvelle version de prothèse inversée était donc fait. Le groupe d'étude de la prothèse
DuocentricTM (Aston Medical, Saint-Étienne, France) a conçu un composant sphérique glénoïdien qui
s'étend en forme de goutte sous la glène associé à une large embase humérale en polyéthylène,
montée sur une tige standard, qui constituent un ensemble peu contraint.
En théorie, ce concept devrait permettre une meilleure adduction, une réduction du risque de formation
d'une encoche ainsi qu'un meilleur bras de levier d'abduction du deltoïde. La modularité de la prothèse
devrait également faciliter l'échange d'un modèle anatomique vers un modèle inversé lors d'une reprise,
puisque, aussi bien la plaque de fixation glénoïdienne que la tige humérale sont de type standard pour
les deux modèles. Cette prothèse est aujourd'hui au stade final de fabrication et prête pour la phase
d'essais cliniques (figure 7).
Prothèses non contraintes
Aux États-Unis, les prothèses contraintes n'étant pas autorisées par la Food and Drug Administration
(FDA) et la Delta III inversée n'ayant pas reçu l'autorisation la mise sur le marché, trois tendances se
précisent :
En 1975 déjà, Clayton et Ferlic [8] ont décrit de bons résultats après prothèse totale, avec restauration
de la mobilité chez des patients souffrant de fortes douleurs en rapport avec des arthrites rhumatoïdes.
Dès 1982 et plus tard dans son livre de 1990, Neer a fait part de sa préférence pour l'emploi d'une
prothèse totale dans les larges ruptures transfixiantes de coiffe, au vu de son expérience décevante
avec les autres prothèses. Il a préconisé le transfert en haut du subscapularis, suturé au
supraspinatus, ainsi que la suture de la capsule inférieure à ce même subscapularis [40] [41].
D'autres auteurs, comme Cofield, Hawkins, Franklin et Friedman, lui ont emboîté le pas et tous ont
rapporté de bons résultats sur la douleur et la fonction, pour autant que les exigences fonctionnelles
finales soient raisonnables [10] [23] [24] [34].
Pourtant, aussi bien Franklin et al. [23], que Lohr et al. en 1991 [37] ont démontré la corrélation entre la
rupture transfixiante massive de coiffe et le descellement du composant glénoïdien par effet de bascule
(rocking horse). Cela est dû à la sollicitation excentrique du composant glénoïdien du fait de la migration
postérosupérieure de la tête humérale en cas de rupture transfixiante du supra- et infraspinatus [23]
[37].
Mestdagh et al. [38] en 1997 ont également insisté sur la réparation systématique de toute rupture
transfixiante de coiffe, ainsi que sur la préservation du long biceps afin de limiter la migration supérieure
de la tête humérale et améliorer la cinématique.
Par ailleurs, Barrett [4] a rapporté de bons résultats dans une série d'arthrites rhumatoïdes avec
seulement 8 % de descellements de la glène, cela avec un recul moyen de 5 ans. Comme il s'agit là
d'une population à exigences limitées, il se peut que ce soit grâce à cet élément qu'il y ait eu aussi peu
de descellements.
Dans l'arthrite rhumatoïde avec large rupture transfixiante de la coiffe, il semble établi que la réparation
de la coiffe lors de l'arthroplastie influence favorablement les résultats cliniques [46].
Hémiarthroplastie
En raison du pourcentage élevé de descellements glénoïdiens décrits, entre autres, par Franklin [23], de
nombreux auteurs nord-américains recommandent actuellement l'hémiarthroplastie dans les coiffes
irréparables [12] [16] [22] [23] [47] [54] [56] [57]. En effet, les résultats sur la douleur en sont
excellents. En revanche, le gain fonctionnel est faible. Pollock et al. [44] en 1992, dans une série
comparant l'hémiarthroplastie à l'arthroplastie totale, n'ont pas retrouvé de différence significative du
point de vue douleur et satisfaction du patient et cela avec un recul moyen de 3,4 ans. Pourtant, ils ont
constaté que l'élévation active était significativement meilleure dans les hémiarthroplasties (de 52 en
préopératoire à 112 en postopératoire) comparé aux prothèses totales (de 2 en préopératoire à 82 en
postopératoire).
Arntz et al. [2] ont rapporté en 1993 avec des hémiarthoplasties à grosse tête un gain moyen en
élévation active de 43 (de 66 en préopératoire à 109 en postopératoire) sur une série de 18 épaules.
Lohr et al. [37] ont présenté en 1991 une série dans laquelle l'amélioration de la douleur dans les
hémiarthroplasties était moins bonne que dans les arthroplasties totales, mais ils ont noté parmi celles-
ci un pourcentage élevé de descellements glénoïdiens (12 cas sur 22).
Rockwood et Williams [54] ont rapporté en 1996 les résultats avec un recul moyen de 4 ans de 21
hémiarthroplasties réalisées chez 20 patients avec coiffe irréparable. Ils ont également employé le
transfert du subscapularis vers l'insertion du supraspinatus, ainsi que dans deux cas le transfert de
50 % du faisceau claviculaire du pectoralis major sur le trochin.
Favard et al. [19], en 2001, rapportent un gain en rotation externe active, coude au corps, (mouvement
essentiel à la fonction de l'épaule) significativement meilleur dans le groupe hémiarthroplastie Aequalis
(11), que dans le groupe prothèse inversée Delta III (3).
Plus récemment, Sanchez-Sotelo et al. [47] ont publié une série de 33 cas d'hémiarthroplastie pour
arthrose associée à une rupture massive transfixiante de la coiffe avec un recul moyen de 5 ans. Ils ont
noté un bon résultat quant à la douleur dans 73 % des cas, un gain de mobilité modeste et donc
seulement 67 % de bons résultats globaux. Sept cas d'instabilité antérosupérieure furent identifiés ainsi
que huit cas d'usure de la glène et 16 cas d'usure de l'acromion. Les deux facteurs pronostiques
défavorables retenus par ces auteurs étaient un antécédent de décompression sous-acromiale et
l'importance de la migration proximale de la tête humérale.
Field et al. [22] ainsi que Collins et al. [12], en 1997, avaient déjà décrit dans leurs séries une corrélation
entre une déficience de la voûte par acromioplastie antérieure et les mauvais résultats de
l'hémiarthroplastie.
Les conditions requises pour que l'hémiarthroplastie soit efficace sont donc une voûte coraco-acromiale
intacte et une tête prothétique de diamètre approprié, de façon à pouvoir transposer soit le
subscapularis, soit le faisceau claviculaire du pectoralis major en entier ou à moitié [51].
En effet, si l'on utilise une tête prothétique trop volumineuse, il y a un risque de douleurs par mise en
tension excessive de la capsule postérieure [33] (figure 8).
Afin de mieux recentrer la tête prothétique, certains auteurs ont proposé d'augmenter la surface de la
voûte par une greffe de crête iliaque interposée entre l'acromion et la coracoïde [53].
D'autres auteurs, comme Engelbrecht et Heinert en 1987 [18], préfèrent utiliser une partie de la tête
humérale réséquée comme butée au-dessus de la glène.
Dans le débat qui oppose l'hémiarthroplastie à la prothèse totale, retenons les conclusions de Zeman et
al. [56], en 1998, exposées ci-après.
- Dans l'omarthrose avec rupture transfixiante de la coiffe relativement petite et réparable, la prothèse
totale non contrainte est indiquée. L'utilisation d'une tête légèrement sous-dimensionnée peut aider à
la fermeture de la coiffe ou au transfert du subscapularis.
- Le remplacement de la glène n'est pas recommandé lorsqu'il existe une omarthrose avec excentration
supérieure, vu le grand nombre de descellements glénoïdiens observés dans ces conditions.
- Afin de mieux enclaver l'hémiarthroplastie sous la voûte coraco-acromiale, il est possible de [56] :
De cette façon, on s'efforce d'obtenir une mécanique du type captured fulcrum comme décrit par
Burkhart en 1996 [7].
Peut-être y a t-il lieu de s'inspirer également des résultats des réparations de coiffe et des conclusions
du symposium de la Sofcot de 1998 [3] et d'identifier les coiffes réparables ou partiellement réparables,
d'une part, et les coiffes irréparables, d'autre part, en préopératoire par un arthroscanner.
Malheureusement, il est à craindre que vu le type de malades qui nécessite une arthroplastie, seul un
petit nombre de cas d'omarthroses centrées avec rupture de coiffe associée pourra prétendre à la
réparation selon ces critères.
La bipolaire
Dès le début des années 1970, Swanson avait constaté que la migration supérieure de la tête était
responsable d'un contact acromial, limitant la rotation externe et l'abduction. Selon sa théorie, une
prothèse humérale surdimensionnée éviterait le conflit acromial avec le trochiter et améliorerait le bras
de levier du deltoïde [50].
De plus, une tête volumineuse augmenterait la surface de contact et étalerait ainsi les contraintes
(figure 9). Swanson a introduit l'arthroplastie bipolaire dès 1975 comme intervention de sauvetage. Les
résultats à long terme publiés en 1989 étaient très satisfaisants sur la douleur, mais en ce qui concerne
la mobilité active, ils étaient nettement moins brillants : 79 de flexion, 70 d'abduction et 23 de rotation
externe en moyenne [50].
Worland a conçu au début des années 1990 une prothèse fondée sur le même principe, nécessitant une
coupe un peu plus oblique que celle d'une hémiarthroplastie et préservant les tubérosités [55].
Pour lui, la Bipolar (Biomet, États-Unis) offre des avantages significatifs par rapport à
l'hémiarthroplastie :
Le concepteur a obtenu 95 % de résultats satisfaisants, mais Watson et al. [52] ont décrit deux cas de
descellement de la tige humérale dans une série de 14 patients. Ils attribuent ces descellements aux
débris de polyéthylène générés à l'interface mobile.
L'école de Nottingham en 1999 [42] a rapporté des résultats médiocres avec cette prothèse et d'autres
encore l'ont abandonnée parce que l'amélioration du bras de levier ne s'est jamais traduite en pratique
par un gain en mobilité [32].
Plus récemment, Duranthon et al. [17] ont revu une série de 13 patients avec un recul de 28 mois et
noté une usure de la glène importante dans trois cas. Les résultats sur la douleur étaient bons, en
revanche, la mobilité était moins que satisfaisante, sauf en rotation externe passive. Leurs résultats
suggèrent que cette prothèse soit à réserver pour les cas suivants : raideur en rotation externe, usure
concentrique importante chez des patients de moins de 65 ans ou usure asymétrique de la glène.
Conclusion
Selon Neumann et al. [42], les résultats globaux de l'arthroplastie d'épaule pour arthrose décentrée sur
coiffe déficiente sont médiocres et imprévisibles.
Pourtant, moyennant un bon bilan clinique et une imagerie préopératoire, une excellente connaissance
de la biomécanique de l'épaule et surtout une technique rigoureuse, des résultats satisfaisants ont été
obtenus par certains, aussi bien avec l'arthroplastie totale non contrainte qu'avec l'hémiarthroplastie.
Les ruptures transfixiantes de types I, II, selon la classification de Bernageau avec indice global de
dégénérescence graisseuse inférieur ou égal à 2, selon la classification de Goutallier [25], et sans trop
de décentration de la tête humérale, justifient probablement une prothèse totale non contrainte, à
condition que le capital osseux glénoïdien permette la fixation de la glène prothétique ; les coiffes
partiellement réparables justifient également une prothèse totale uniquement en cas de persistance en
fin d'intervention d'un équivalent de rupture isolée du supraspinatus et d'un capital osseux glénoïdien
suffisant pour accueillir une glène prothétique. Dans tous les autres cas de figure, une hémi-
arthroplastie semble préférable.
Il est clair que du point de vue fonctionnel les meilleurs résultats à court et moyen termes sont obtenus
par le concept inversé peu contraint. Des améliorations théoriques de ce concept sont certes possibles,
encore faudra-t-il prouver que du point de vue clinique elles sont faisables et ne donnent pas lieu à des
complications imprévues. Un tel implant doit d'ailleurs être réservé aux patients plus âgés.
Figures
Figure 0.
F.W.J. Handelberg
Figure 1.
Fig. 1. - Aspect typique d'arthrose décentrée sur rupture transfixiante de la coiffe avec ascension de la tête humérale et
néoarticulation acromio-humérale. Stade V de Hamada et Fukuda [31].
Figure 2.
Fig. 2. - Physiopathologie de l'arthrose décentrée selon Neer. Adapté de Neer CS II. Shoulder reconstruction [41].
Figure 2A.
A : Théorie inflammatoire.
Figure 2B.
B : Théorie mécanique.
Figure 3.
Figure 4.
Figure 5.
Figure 6.
Fig. 6. - Large encoche au niveau du pilier de l'omoplate, liée probablement à la position trop haute de la métaglène et
l'utilisation d'un insert humeral à profil bas.
Figure 7.
Fig. 7. - A : Premier dessin de la prothèse du groupe Duocentric : noter la forme en goutte du composant glénoïdien
qui augmente l'abaissement du centre de rotation, permettant plus d'adduction et est supposée réduire le risque de
formation d'une encoche.
Figure 8.
Fig. 8. - Hémiarthroplastie avec tête surdimensionnée, en contact avec l'acromion.
Figure 9.