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Sous la direction de
Catherine Gaullier-Bougassas,
Margaret Bridges et Jean-Yves Tilliette
F
Cet ouvrage a bénéficié d’une aide de l’Agence Nationale de la Recherche
portant la référence ANR-O9-BLANC-0307‑01 et s’inscrit à l’intérieur du
programme de recherches sur la création d’un mythe d’Alexandre le Grand
dans les littératures européennes que Catherine Gaullier-Bougassas, profes-
seur à l’Université de Lille 3 et membre de l’Institut universitaire de France,
dirige et qui est hébergé à la MESHS –Maison européenne des Sciences de
l’Homme et de la Société (CPER 2009‑2010, ANR 2009‑2014).
All rights reserved. No part of this publication may be reproduced stored in a retrieval
system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying,
recording, or otherwise, without the prior permission of the publisher.
ISBN 978‑2-503‑55415‑0
D/2015/0095/30
1. Nous pensons ici aux nombreuses études centrées sur al-Andalus ou sur la Sicile médiévale
et la cour de Frédéric II, mais aussi sur d’autres lieux plurilingues et multiculturels de réflexion
philosophique et théologique comme l’Angleterre ou la cité d’Antioche. Sur les traductions,
citons les nombreuses études de Marie-Thérèse d’Alverny, de Charles Burnett et de Roshdi
Rashed et, parmi elles, M.-T. d’Alverny, La transmission des textes philosophiques et scienti-
fiques au Moyen Âge, éd. C. Burnett, Aldershot, 1994 ; C. Burnett, The Introduction of Arabic
Learning into England, Londres, 1997, et les références à plusieurs de ses articles aux notes 2,
18, 23 et 31 ; R. Rashed, Histoire des sciences arabes, t. 1, Astronomie théorique et appliquée ; t. 2,
Mathématiques et physique ; t. 3, Technologie, alchimie et sciences de la vie, Paris, 1997. Voir aussi
les études et les documents iconographiques réunis dans Lumières de la sagesse. Écoles médié-
vales d’Orient et d’Occident, éd. E. Vallet, S. Aube et T. Kouamé, Paris, 2013 (ouvrage réalisé
à l’occasion de l’exposition présentée à l’Institut du monde arabe, Paris, de septembre 2013 à
janvier 2014). Sur les traductions du grec à l’arabe, nous renvoyons aux ouvrages de A. Badawi
et D. Gutas, cités plus loin à la note 15, ainsi qu’à la note 13, et à F. E. Peters, Aristoteles Arabus :
The Oriental Translations and Commentaries of the Aristotelian Corpus, Leyde, 1968.
2. A History of Twelfth-Century Western Philosophy, éd. P. Dronke, Cambridge, 1998 (1ère
édition, 1988), avec Jean Jolivet, « The Arabic Inheritance », p. 113‑148 et Charles Burnett,
« Scientific Speculations », p. 151‑176 ; A. de Libera, Penser au Moyen Âge, Paris, 1991 et idem,
La philosophie médiévale, Paris, 1993. Sur les traductions d’Aristote en latin, voir la base de
données Aristoteles Latinus Database - online (2014), Brepols. Les études sur les apports arabes
à la civilisation européenne ont suscité des controverses récentes, du moins en France : voir à
ce sujet Les Grecs, les Arabes et nous. Enquête sur l’islamophobie savante, éd. P. Büttgen, A. de
Libera, M. Rashed et I. Rosier-Catach, Paris, 2009.
3. Voir notamment D. Metlitzki, The Matter of Araby in Medieval England, New Haven,
1977 ; M. Menocal, The Arabic Role in Medieval Literary History, Philadelphie, 1987 ;
D. A. Trotter, Medieval French Literature and the Crusades (1100‑1300), Genève, 1988 ;
Y. Foehr-Janssens, Le temps des fables. Le Roman des Sept Sages ou l’autre voie du roman, Paris,
1994 ; C. Gaullier-Bougassas, La tentation de l’Orient dans le roman médiéval. Sur l’imaginaire
médiéval de l’Autre, Paris, 2003 ; R. R. Marsan, Itinéraire espagnol du conte médiéval, viiie-xve
siècle, Paris, 1974 ; J. Abu Haidar, Hispano-Arabic Literature and the Early Provençal Lyrics,
Londres, 2001 ; A. Galmés de Fuentes, Romania arábica : estudios de literatura comparada árabe
y romance, 2 t., Madrid, 1999 et 2000 ; idem, La épica románica y la tradición árabe, Madrid,
2002 ; D’Orient en Occident : les recueils de fables enchâssées avant les Mille et une nuits de
Galland (Barlaam et Josaphat, Calila et Dimna, Disciplina clericalis, Roman des sept sages), éd.
M. Uhlig et Y. Foehr-Janssens, Turnhout, 2014. Impossible pour nous de ne pas citer ici, hors
du champ des études médiévales, Edward Said, précurseur de la critique dite postcoloniale, qui
publia son Orientalism en 1978.
4. Un répertoire d’œuvres médiévales faussement attribuées au Stagirite, souvent d’origine
arabe, a été publié par C. B. Schmitt et D. Knox, dans Pseudo-Aristoteles Latinus. A Guide to
Latin Works Falsely Attributed to Aristotle Before 1500, Londres, 1985. Il mentionne une cen-
taine de textes ; celui qui a connu la diffusion la plus large et la plus complexe est de très loin le
Secretum secretorum (ibidem, p. 54‑75).
5. Nous adoptons pour les analyses de ce volume des translittérations simplifiées de l’arabe.
6. Sur les manuscrits arabes, voir la seule édition du texte, sous sa version longue, qui existe
et qui a été réalisée par A. Badawi, Fontes graecae doctrinarum politicarum islamicarum, Pars
Prima, Al-Usul al-yunaniya li-n-nazariyat as-siyasiya fi l-Islam, Le Caire, 1954, et les études et
listes de M. A. Manzalaoui et M. Grignaschi dans respectivement « The Pseudo-Aristotelian
Kitāb Sirr al-asrār. Facts and Problems », Oriens, 24/4 (1974), p. 147‑257 et « L’origine et les
métamorphoses du Sirr-al-’asrâr », Archives d’histoire doctrinale et littéraire du Moyen Âge, 43
(1976), p. 7‑112. Après de premières études au xixe siècle par R. Foerster et M. Steinschneider, le
texte arabe a en effet dû attendre A. Badawi pour bénéficier d’une édition en 1954. Auparavant
il a pu être connu par la traduction anglaise de I. Ali dans l’édition glosée de la traduction latine
de Philippe de Tripoli par Roger Bacon : Secretum secretorum cum glossis et notulis, éd. R. Steele,
Opera hactenus inedita Rogeri Baconi, Oxford, 1920, t. 5, p. 176‑266. L’édition de A. Badawi a
relancé la recherche avec les études de M. A. Manzalaoui et M. Grignaschi. Au-delà de leurs
deux articles déjà signalés, mentionnons, parmi d’autres, M. A. Manzalaoui, « The Secreta
un texte aussi célèbre qu’énigmatique 7
celui des manuscrits de ses traductions en latin et dans les langues vernacu-
laires européennes, ce qui laisse penser à une diffusion moins large dans le
monde musulman. C’est néanmoins difficile à apprécier, car les nombreuses
et précises citations ou réemplois du Sirr-al-asrar dans des œuvres arabes
savantes et souvent très célèbres, ainsi que ses traductions en perse et en turc,
invitent à nuancer l’impression que peut donner ce chiffre par ailleurs sans
doute incertain. À l’encontre de l’affirmation de Philippe de Tripoli, dans le
prologue de sa traduction en latin, selon laquelle le texte était peu répandu
chez les Arabes, l’un des témoignages peut-être les plus éclatants nous est
apporté par le prestigieux historien Ibn Khaldun (né en 1332 à Tunis, mort
au Caire en 1406), qui, dans les prolégomènes à son histoire universelle, écrit
que le Sirr-al-asrar était très connu et très lu à son époque, bien que lui-même
émette des doutes sur l’authenticité de son attribution à Aristote7. La multi-
plicité des références au texte dans de nombreuses œuvres arabes et le contenu
divers des citations attestent aussi la pluralité des lectures dans le monde mu-
sulman, pluralité qu’encourage au reste l’hétérogénéité apparente des disci-
plines traitées, principalement la politique, la philosophie et une cosmogonie,
l’astronomie et l’astrologie, l’onomancie, la médecine, la physiognomonie, les
sciences occultes de la magie et de l’alchimie. Cette hétérogénéité résulte sans
doute de l’écriture du texte en plusieurs étapes et de sa progressive amplifica-
tion. Elle est aussi la conséquence probable de la théorie du pouvoir politique
qui semble avoir été d’emblée développée, avec, notamment sous l’influence
d’écrits hermétiques, l’instrumentalisation de nombreuses sciences au profit
du calife. Le double titre fréquent dans les manuscrits médiévaux est Kitab-
as-siyasah fi tadbiri-r-ri’asati-l-ma ruf bi-Sirri-l-asrar [Le Livre de la politique
secretorum. The Mediaeval European Version of Kitāb Sirr-ul-Asrār », dans Bulletin of the
Faculty of Arts, University of Alexandria, 15 (1961), p. 83‑107, M. Grignaschi, « La diffusion du
Secretum secretorum (Sirr-al-’asrâr) dans l’Europe occidentale », Archives d’histoire doctrinale
et littéraire du Moyen Âge, 47 (1980), p. 7‑70 et idem, « Remarques sur la formation et l’inter-
prétation du Sirr al-’asrār », dans Pseudo-Aristotle, The Secret of Secrets. Sources and Influences,
éd. W. F. Ryan et C. B. Schmitt, Londres, 1982, p. 3- 25. R. Forster consacre une centaine de
pages au texte arabe dans son ouvrage Das Geheimnis der Geheimnisse. Die arabischen und
deutschen Fassungen des pseudo-aristotelischen Sirr al-asrār /Secretum secretorum, Wiesbaden,
2006, p. 2‑112.
7. Sur ces citations et réemplois, et sur l’influence de l’œuvre dans le monde musulman, voir
en dernier ressort R. Forster, Das Geheimnis der Geheimnisse, op. cit., p. 30‑48, p. 37 sur Ibn
Khaldun. On se reportera aussi à M. A. Manzalaoui, « The Pseudo-Aristotelian Kitāb Sirr
al- asrār », art. cit., p. 238‑245.
8 C. Gaullier-Bougassas, M. Bridges et J.-Y. Tilliette
sur la manière de gouverner, connu sous le nom de Secret des secrets8]. Il met en
avant le statut de speculum regis, mais ce qui semble être originellement un
deuxième titre, Sirr-al-asrar, s’est imposé comme le titre majeur et de nom-
breuses preuves existent du grand intérêt porté aux sciences occultes, même
dans les manuscrits de la version courte du texte9. Ce dernier présente ainsi
un mélange, étrange à nos yeux modernes, de réflexions philosophiques, de
développements scientifiques, tantôt très obscurs tantôt très concrets, et de
conseils pratiques, pour une vision finalement très pragmatique du pouvoir,
dont la finalité essentielle est la recherche de la toute-puissance et de la gloire.
Que savons-nous au juste aujourd’hui de cette œuvre complexe, pour ne
pas dire « cosmopolite », qui, à travers ses traductions, a ensuite circulé en
Europe au moins jusqu’au xvie siècle dans les cours – papale, impériale, royales
et seigneuriales –, dans les universités et jusqu’aux foyers de la bourgeoisie
européenne, non seulement sous forme de traductions ou bien d’éditions nou-
velles en latin – Roger Bacon, Engelbert d’Admont – mais également en ins-
pirant des œuvres littéraires et parfois philosophiques telles que l’Alexander
d’Ulrich von Etzenbach dans la Bohême de la fin du xiiie siècle, la Confessio
amantis de John Gower ou le Regimen of Princes de Thomas Hoccleve dans
l’Angleterre du début du xve siècle, en suscitant encore au xvie siècle l’intérêt
de certains humanistes et leur réécriture latine de l’œuvre – nous pensons à
Alexandre Achillini –, et en contribuant de bien des façons à modifier l’image
que l’on se faisait de son destinataire intra-diégétique, Alexandre10 ?
Attribué à Aristote, tirant sans doute l’une de ses origines des lettres
du philosophe à Alexandre, grecques ou plus vraisemblablement arabes, et
s’appuyant dans ses premiers discours sur quelques emprunts à l’Éthique à
Nicomaque, le texte arabe se compose à partir d’une multiplicité d’influences
philosophiques et surtout il véhicule toute une pensée néo-platonicienne
fortement influencée par l’hermétisme hellénistique tel que se l’approprie
et le repense le monde arabe, directement ou indirectement, via la culture
perse11. Nous trouvons ainsi de forts échos du concept platonicien du roi-
des plus grands savants de la cour abbasside. Le Sirr-al-asrar est ainsi intégré
au large mouvement des traductions en arabe de la science et de la philosophie
grecques qui voit le jour à Bagdad au ixe siècle dans un contexte politique
et culturel très ouvert à des influences multiples, tant celles de l’hellénisme
que celles du monde perse et de l’Inde15. Les ambitions savantes du calife al-
Mamun sont bien connues, notamment à travers le récit de son rêve, que rap-
porte le Firhist d’al-Nadim : ce dictionnaire bibliographique qui date de 987
environ, ne mentionne pas le Sirr-al-asrar, mais présente Yahya ibn al-Bitriq
parmi les traducteurs d’al-Mamun. Aristote serait apparu en songe au calife
pour lui demander de commander des traductions de ses traités en arabe.
Ce serait en réponse à cette vision qu’al-Mamun a alors envoyé en mission à
Constantinople de nombreux savants, dont Yahya ibn al-Bitriq, pour rappor-
ter des manuscrits et ensuite traduire les œuvres majeures de la pensée grecque.
Nous gardons de Yahya ibn al-Bitriq des traductions de plusieurs traités
d’Aristote, dont les Météorologiques, Du ciel et de la terre et le Livre des ani-
maux. Deux autres traducteurs très célèbres des œuvres d’Aristote, authen-
tiques ou apocryphes, sont les chrétiens nestoriens Hunayn ibn Ishaq et son
fils Ishaq ibn Hunayn. On attribue aussi à ces deux savants la traduction en
arabe de textes hermétiques supposés avoir été écrits par Aristote, exactement
comme on le fait pour Yahya ibn al-Bitriq et le Sirr-al-asrar16.
Si le ixe siècle est le grand moment de la translatio de la philosophie et de
la science grecques dans le monde arabo-musulman, qui va à son tour les trans-
mettre à l’Europe occidentale, il voit aussi se développer l’écriture de miroirs
du prince, souvent très influencés par les traditions perses, et de collections
de sentences de philosophes. Parmi ces dernières, il convient de citer celle de
l’auteur que nous venons d’évoquer, Hunayn ibn Ishaq, Kitab adab al-falasifa
ou Nawadir al-falasifa [Anecdotes de philosophes], car elle accorde une place
importante à Aristote et à Alexandre et sera traduite en castillan sous le titre
de Libro de los buenos proverbios au xiiie siècle, et influence auparavant, au xie
siècle, l’écrivain égyptien Mubassir ibn Fatik dans Mukhtar al-hikam wa-ma-
hasin al-kalim [Choix de maximes et de dits sages], texte à son tour transposé
en castillan dans les Bocados de oro, puis en latin et dans différentes langues
européennes. Ces deux œuvres reflètent la connaissance d’une version sans
15. A. Badawi, La transmission de la philosophie grecque au monde arabe, Paris, 1968, p. 75‑108
sur Aristote, et D. Gutas, Greek Thought, Arabic Culture. The Graeco-Arabic Translation
Movement in Baghdad and Early ‘Abbasid Society (2nd-4th/8th-10th centuries), Londres et New
York, 1998, p. 75‑104 sur al-Mamun.
16. A. Badawi, ibidem, p. 99‑108.
un texte aussi célèbre qu’énigmatique 11
20. Voir à ce sujet M. Grignaschi, « L’origine et les métamorphoses », art. cit., p. 11‑27.
21. Au-delà des articles de M. Grignaschi déjà cités, voir ses études suivantes, « Les Rasa’il
Aristatalisa « ila-l-Iskandar de Salim Abu-l-Ala et l’activité culturelle à l’époque omayyade »,
dans Bulletin d’études orientales, 19 (1965‑1966), p. 7‑83, « Le roman épistolaire classique conser-
vé dans la version de Salim Abu-l-Ala », Le Muséon, 80 (1967), p. 211‑264, et « Un roman épis-
tolaire gréco-arabe : la correspondance entre Aristote et Alexandre », dans The Problematics
of Power. Eastern and Western Representations of Alexander the Great, éd. M. Bridges et
J. C. Bürgel, Berne, Berlin, Francfort, New York, Paris et Vienne, 1996, p. 109‑123.
un texte aussi célèbre qu’énigmatique 13
22. Edimbourg, National Library of Scotland, advocates 18.6.11, ca. 1150. Cf. M.-T. d’Alverny,
« Conclusion », dans Pseudo-Aristotle, The Secret of Secrets. Sources and Influences, op. cit.,
p. 132‑140.
14 C. Gaullier-Bougassas, M. Bridges et J.-Y. Tilliette
Mashallah ibn Athari, Lettre sur les éclipses et les conjonctions des planètes23).
Ce savant, dont le floruit est à situer dans le second quart du xiie siècle, serait
ainsi le premier représentant de la prétendue « école de Tolède24 », avant
Gérard de Crémone et Dominique Gundissalvi. Il ne faut pas le confondre
avec le philosophe juif Avendauth (Ibn Daoud), qui appartient à la génération
suivante, et à qui on l’a parfois à tort identifié25.
L’Epistula Aristotelis ad Alexandrum de regimine sanitatis, dont existent
actuellement trois éditions26, traduit une petite partie, guère plus de dix pour
cent, du Sirr-al-asrar – à savoir, comme son titre l’indique, le développement
consacré à la diététique, correspondant aux chapitres 29 à 49 de l’édition que
fit Reinhold Möller de la version de Philippe de Tripoli27. Il semble que Jean de
Séville ait connu les deux versions, brève et longue, du texte arabe, puisque, si le
corps du texte est traduit de la première, le prologue paraît quant à lui inspiré
de la seconde. Ce texte fort bref – un folio et demi ou deux dans les manuscrits
– a pour premier intérêt de témoigner d’une préoccupation très précoce pour
la philosophie naturelle d’Aristote : si la chronologie haute (ca. 1120) est bien à
retenir, ce serait même le tout premier ouvrage du Philosophe (ou attribué à lui)
relevant de la physique accessible en Occident. Aussi bien connaît-il, en dépit de
23. Voir C. Burnett, « Magister Iohannes Hispalensis et Limiensis and Qusta ibn Luqa’s De
differentia spiritus et animae : A Portuguese Contribution to the Arts Curriculum ? », dans
Quodlibetaria : Miscellanea studiorum in honorem Prof. J. M. da Cruz Pontes, Porto, 1995,
p. 221‑267. Pour le milieu dans lequel évoluait Jean, voir idem, « Magister Iohannes Hispanus :
Towards the Identity of a Toledan Translator », dans Comprendre et maîtriser la nature au
Moyen-Âge. Mélanges d’histoire des sciences offerts à Guy Beaujouan, Genève, 1994, p. 425‑436.
On consultera également avantageusement S. J. Williams qui résume les différentes tentatives
pour cerner l’identité du traducteur (The Secret of Secrets. The Scholarly Career of a Pseudo-
Aristotelian Text in the Latin Middle Ages, Ann Arbor, 2003, p. 31‑59).
24. Voir V. Rose, « Ueber die Medicina Plinii », Hermes, 8 (1874), p. 18‑66, dont les conclu-
sions sont à nuancer d’après D. Jacquart, « L’école des traducteurs », dans Tolède, xiie-xiiie.
Arabes, chrétiens et juifs, le savoir et la tolérance, éd. L. Cardaillac, Paris, 1991, p. 177‑191.
25. R. Lemay, « Dans l’Espagne du xiie siècle : les traductions de l’arabe au latin », Annales.
Economies, Sociétés, Civilisations, 18/4 (1963), p. 639‑665.
26. Il s’agit de H. Suchier, « Epistola Aristotelis ad Alexandrum cum Prologo Johannis
Hispanensis », dans idem, Denkmäler provenzalischer Literatur und Sprache, Halle, 1883,
p. 473‑480 (notes aux p. 530‑531) ; J. Brinkmann, Die apokryphen Gesundheitsregeln des
Aristoteles für Alexander den Großen in der Übersetzung des Johann von Toledo, Leipzig, 1914,
p. 39‑46 ; L. Spetia, « Un nuovo frammento dell’Epistola Aristotelis ad Alexandrum », Studi
Medievali, s. 3, 35/1 (1994), p. 405‑434.
27. Dans R. Möller, éd., Hiltgart von Hürnheim. Mittelhochdeutsche Prosaübersetzung
des Secretum secretorum, Berlin, 1963 (les pages paires, faisant face au texte allemand de
« Hiltgart » sur les pages impaires).
un texte aussi célèbre qu’énigmatique 15
28. Voir Pseudo-Aristoteles latinus, op. cit., p. 75‑76 ; S. J. Williams, The Secret of Secrets, op. cit.,
p. 184 et les notes 5 et 6. Cette versification a été éditée par R. A. Pack, « Pseudo-Aristoteles
Epistola ad Alexandrum de regimine sanitatis a quodam Nicolao versificata », Archives d’histoire
doctrinale et littéraire du Moyen Âge, 45 (1978), p. 313‑322.
29. Voir I. Zamuner, « La tradizione romanza del Secretum secretorum pseudo-aristotelico »,
Studi Medievali, 46/1 (2005), p. 31‑116.
30. M. A. Manzalaoui, « Philip of Tripoli and His Textual Methods », dans Pseudo-Aristotle,
The Secret of Secrets. Sources and Influences, op. cit., p. 55‑72 ; M.-T. d’Alverny, « Les traduc-
tions à deux interprètes, d’arabe en langue vernaculaire et de langue vernaculaire en latin »,
dans Traductions et traducteurs au Moyen Âge, éd. G. Contamine, Paris, 1989, p. 193‑206 ;
S. J. Williams The Secret of Secrets, op. cit., p. 345.
31. Voir néanmoins l’étude de C. Burnett sur Antioche comme centre intellectuel, « Antioch
as a Link between Arabic and Latin Culture in the Twelfth and Thirteenth Centuries »,
dans Occident et Proche-Orient. Contacts scientifiques au temps des croisades, éd. I. Draelants,
A. Tihon et B. van den Abeele, Turnhout, 2000, p. 1‑63.
32. The Secret of Secrets, op. cit., p. 60‑108.
16 C. Gaullier-Bougassas, M. Bridges et J.-Y. Tilliette
33. Voir en particulier A. Paravicini Bagliani, Medicine e scienze della natura alla corte dei papi
nel Duecento, Spolète, 1991.
un texte aussi célèbre qu’énigmatique 17
Dès son arrivée en Europe, le Sirr-al-asrar tel que traduit par Philippe de
Tripoli et généralement désigné dans les manuscrits comme Secretum secre-
torum (mais aussi comme De regimine regum, De regimine principum, De
regimine dominorum34), va connaître une glorieuse carrière : on en recense
aujourd’hui quelque 350 manuscrits – chiffre vraiment considérable pour un
texte philosophique – et il sert de base à la quasi-totalité des traductions ver-
naculaires (si l’on excepte Poridat de las poridades et Sod ha-sodot). Mais c’est
une circulation entravée : la qualité des manuscrits, souvent sujets à omissions
et à interpolations, est dans l’ensemble assez médiocre – au moment de mettre
au point sa propre édition du texte, Roger Bacon s’en plaindra assez. C’est
plutôt étonnant pour un ouvrage qui circule sous l’identité, il est vrai assez tôt
remise en cause, du philosophe des philosophes, Aristote. Faut-il incriminer
une censure qui aurait pu s’exercer à l’encontre de développements difficiles à
digérer par l’orthodoxie, relatifs par exemple à la magie ou à l’alchimie ? Rien
ne semble vraiment l’établir. Il est plus probable que le caractère extrêmement
composite de l’ouvrage ait dérouté, et que chacun ait sélectionné les passages
dont il entendait faire son miel, quitte à réorganiser le texte en conséquence.
Ce qui est sûr, c’est qu’à la différence de l’essai précurseur de Jean de Séville,
qui n’avait d’autre ambition que celle, pratique, de maintenir le lecteur en
bonne santé, le projet affiché, par les dernières lignes du prologue notamment,
déplace l’intérêt de l’auteur sur son correspondant, le conquérant du monde,
et suggère ainsi que ce sont les clés du pouvoir absolu qu’entend livrer le Secret.
La tentative la plus aboutie de relecture / réécriture du texte est sans doute celle
que l’on doit au franciscain Roger Bacon, dont la figure à la fois d’universitaire
et d’outsider fait l’un des esprits les plus originaux du Moyen Âge35. En quête
de la science des sciences, il trouve dans le Secret des secrets le parangon d’un tel
34. Voir C. B. Schmitt et D. Knox, Pseudo-Aristoteles Latinus, op. cit., p. 54. F. Wurms (Studien
zu den deutschen und den lateinischen Prosafassungen des pseudo-aristotelischen Secretum secre-
torum, Hambourg, 1970) a étudié la tradition manuscrite du Secretum secretorum, mais une
édition critique reste toujours à établir. R. Möller (éd. cit., n. 27) a établi à partir d’un seul
manuscrit (Tübingen, Stiftung Preussischer Kulturbesitz, Depot der Staatsbibliothek, lat. 70,
ms. anglais du xive siècle) le texte que la critique considère comme la vulgate de la traduction de
Philippe de Tripoli. Dans les Monumenta Germaniae Historica, T. Frenz et P. Herde ont édité le
texte de l’une des plus anciennes copies du Secretum, celle de Albert Behaim, un légat du pape
qui a sans doute rencontré Philippe de Tripoli (ms. de Munich, Bayerische Staatsbibliothek,
clm. 2574b) : Das Brief- und Memorialbuch des Albert Behaim, Briefe des späteren Mittelalters,
t. 1, Munich, 2000, p. 258‑340. Nous disposons enfin d’une édition du texte réorganisé et glosé
par Roger Bacon (voir la note suivante).
35. Voir la magistrale édition en 16 volumes de ses œuvres publiée sous la direction de R. Steele
(Opera hactenus inedita Rogeri Baconi, Oxford, 1905‑1940), le Secretum secretorum se trouve au
18 C. Gaullier-Bougassas, M. Bridges et J.-Y. Tilliette
projet. Mais pour lui conférer la cohérence dont il est fâcheusement dépourvu,
il l’équipe de tout un paratexte fait de gloses et d’intertitres, de diagrammes
et de schémas, que le manuscrit d’Oxford, Bodleian Library, Tanner 116, daté
de la fin du xiiie siècle et peut-être copié sur l’autographe de Bacon, reproduit
fidèlement. Surtout, il le fait précéder d’une préface abondamment nourrie
de science astrologique, qui tend à le remettre en contexte, en montrant com-
ment, selon ce qui est le schéma porteur de la science physique de l’époque,
l’ouvrage d’Aristote traduit exactement au niveau du microcosme humain la
structure et les mouvements du macrocosme. Enfin, il le subdivise en quatre
livres à peu près équilibrés et cohérents, respectivement placés à l’enseigne
de l’art du bon gouvernement (le « miroir du prince »), de la diététique, de
l’alchimie et de la magie, et de la physiognomonie. Tel qu’il est ainsi repensé, le
Secret des secrets peut incarner la quintessence du savoir pratique et théorique.
Aussi bien, même si l’accord des spécialistes n’est pas unanime sur ce point,
est-il raisonnable de penser que cette réinterprétation du texte que le francis-
cain anglais tient pour le chef d’œuvre du Philosophe est à dater d’un stade
tardif de la carrière de Bacon, postérieur à son retour à Oxford en 1270. Selon
une hypothèse intéressante, mais à nos yeux fragile, de Steven J. Williams, le
« Secretum de Roger Bacon » aurait répondu à une visée très concrète, servir
de vademecum à un lecteur privilégié qui ne serait autre que le roi d’Angleterre,
Henry III ou Edouard Ier – en somme l’Alexandre auprès de qui le savant
franciscain aurait rêvé de faire fonction d’Aristote36.
À l’époque toutefois où Roger Bacon publie son édition du Secretum secre-
torum, des doutes sur son authenticité aristotélicienne commencent à se faire
jour dans le monde de la scolastique, de la part d’auteurs comme Ptolémée
de Lucques ou Jean de Galles. C’est par d’autres circuits qu’universitaires, et
notamment à travers les traductions vernaculaires, que l’ouvrage poursuivra
sa carrière triomphale, même si sa diffusion latine n’est pas achevée. Engelbert
d’Admont le remanie en effet sous le titre De regimine regum ; il est plusieurs
fois imprimé au xvie siècle et deux de ses imprimés latins sont des réécri-
tures, celles des humanistes Alexandre Achillini et Jacobus Pulchridrapensis
de Burgofranco37.
tome 5 ; également F. Alessio, Mito e scienza in Ruggero Bacone, Milan, 1957 ; Roger Bacon and
the Sciences. Commemorative Essays, éd. J. Hackett, Leyde, New York et Cologne, 1997.
36. S. J. Williams, « Roger Bacon and His Edition of the Pseudo-Aristotelian Secretum secre-
torum », Speculum, 69 (1994), p. 57‑73.
37. Voir M. Grignaschi, « La diffusion du Secretum secretorum », art. cit.
un texte aussi célèbre qu’énigmatique 19
38. La plus ancienne des traductions connues en langue anglaise est vraisemblablement
représentée par le fragment contenant la physiognomonie et l’onomancie du manuscrit de
Londres, British Library, Sloane 213. M. A. Manzalaoui (Secretum secretorum. Nine English
Versions, Oxford, 1977, p. xxvi) date ce manuscrit autour de 1400. Les adaptations en anglais
s’étendent de l’Irlande de James Yonge (1422) à l’Écosse de Gilbert Hay (milieu du xve), cette
dernière faisant l’objet d’une analyse de Anna Caughey et de Emily Wingfield dans ce volume.
D’autres adaptations, dont certaines évoquent explicitement ou implicitement la cour royale de
Westminster, nous proviennent de la ville de Londres et de ses alentours, comme par exemple
la version poétique de John Lydgate et son continuateur Benedict Burgh, qui détient le « re-
cord » pour le plus grand nombre de manuscrits (23), reflétant le prestige du poète « lauréat »
dont la mort est inscrite au milieu des Secrees of Old Philisoffres. Étonnamment, cette version des
deux « traducteurs » n’a guère fait jusqu’ici l’objet d’analyse critique, un vide qui est interrogé
et partiellement comblé par la contribution de Margaret Bridges.
20 C. Gaullier-Bougassas, M. Bridges et J.-Y. Tilliette
39. Pour l’Allemagne, voir la contribution de R. Forster (infra, p. 378‑379). Quant à la version
anglaise de Aristoteles’s Secret of Secrets Contracted, imprimée en 1702 par H. Walwyn, son
auteur s’étonne de ne pas trouver ce texte dans l’œuvre complète d’Aristote et affirme que si
son destinataire (Alexandre) en avait seulement compris le sens profond, il serait probablement
décédé à un âge avancé et ses sujets heureux auraient sans doute déploré la mort du gouverneur,
source de leur bonheur et santé (texte imprimé dans M. A. Manzalaoui, Nine English Versions,
op. cit., p. 550‑581 (ici p. 551)).
40. Das Geheimnis der Geheimnisse, op. cit. (n. 6) et sa contribution dans ce volume.
41. M. Milani, Studio filologico e edizione critica delle versioni italiane del Secretum Secretorum
nell’ambito della tradizione mediolatina e romanza, thèse de l’Université de Turin, 2003, à pa-
raître à Tübingen dans les Beihefte zur Zeitschrift für romanische Philologie. Voir aussi son article
« La tradizione italiana del Secretum Secretorum », La parola del testo, 5 (2001), p. 209‑253.
42. Pseudo-Aristóteles. Secreto de los secretos. Poridat de las poridades. Versiones castellanas del
Pseudo-Aristóteles Secretum secretorum, Valencia, 2010, et idem, « Difusión y abandono del
Secretum secretorum en la tradición sapiencial castellana de los siglos xiii y xiv », Archives
d’histoire doctrinale et littéraire du Moyen Âge, 63 (1996), p. 95‑137.
43. Y. Schauwecker, Die Diätetik nach dem Secretum secretorum in der Version von Jofroi
de Waterford, Teiledition und lexikalische Untersuchung, Wurzbourg, 2007 et eadem,
« Dimensionen der Wissensvermittlung im Secré des segrez von Jofroi de Waterford », dans
Transfert des savoirs au Moyen Âge. Wissenstransfer im Mittelalter, éd. S. Dörr et R. Wilhelm,
Heidelberg, 2008, p. 129‑138.
44. D. Lorée, Édition commentée du Secret des secrets du Pseudo-Aristote, thèse de l’Univer-
sité de Rennes, 2012, 3 t., édition de la version dite C, t. 1, p. 143‑349, à paraître à Paris, chez
Champion (le tome 2 de la thèse, p. 113‑158 contient une transcription d’un manuscrit de la
version dite B).
un texte aussi célèbre qu’énigmatique 21
45. M. Milani a édité ce Secret des secrets italien dans sa thèse, Studio filologico e edizione
critica, op. cit. Il a aussi édité la section de physiognomonie de plusieurs versions italiennes
du Secret des secrets, celles des manuscrits de Florence, Biblioteca Nazionale Centrale, Magl.
VIII.1430 et Magl. XXV.345 (« Ancora su un compendio italiano del Secretum secretorum »,
dans Filologia e linguistica. Studi in onore di Anna Cornagliotti, éd. L. Bellone, G. Cura Curà,
M. Cursietti et M. Milani, Alessandria, 2012, p. 429‑451) et, toujours de Florence, Biblioteca
Medicea Laurenziana, 89 inf.54 et Biblioteca Nazionale Centrale, II.I.363 (« Chapegli neri
dimostrano e significano rettitudine e amor di giustitia : indicazioni fisiognomiche inedite tratte
dal Secretum secretorum », dans Scritti in onore di Paolo Bertinetti, Turin, 2014, p. 357-369.
46. « The Hebrew Translations of the Sod ha-Sodot and its Place in the Transmission of the
Sirr-al-Asrar », p. 34‑54.
47. Respectivement « Philip of Tripoli and His Textual Methods », p. 55‑72, et « Francesco
Storella and the Last Printed Edition of the Latin Secretum secretorum (1555) », p. 124‑131.
48. « La place du Secret des secrets dans la littérature française médiévale », p. 73‑113.
49. « The Secretum secretorum and the Muscovite Autocracy », p. 114‑123.
22 C. Gaullier-Bougassas, M. Bridges et J.-Y. Tilliette
50. Nous nous référons ici particulièrement aux contributions de Christine Silvi, Denis Lorée,
Yela Schauwecker, Éloïse Adde-Vomáčka et Elena Koroleva, Anna Caughey et Emily Wingfield.
51. Les deux éditions contenues dans le présent volume sont dues à Jesús Pensado Figueiras
et Matteo Milani.
52. C’est aussi l’objet central de l’étude du corpus européen d’Alexandre, publiée dans la
même collection « Alexander redivivus » : La fascination pour Alexandre le Grand dans les
littératures européennes (xe-xvie siècle). Réinventions d’un mythe, éd. C. Gaullier-Bougassas,
Turnhout, 2014, 4 t.
53. Christophe Thierry montre comment cette possibilité est exploitée par l’auteur de l’An-
nexe de l’Alexander d’Ulrich von Etzenbach, qui est l’un des rares à exploiter le Secretum secre-
torum comme matière d’un texte de fiction.
54. Nous pensons à l’élite politique des communautés marchandes toscanes et vénitiennes
mentionnées par Michele Campopiano, ainsi qu’aux milieux médicaux non académiques,
qu’ils soient allemands (comme évoqués par Regula Forster) ou juifs (tels que relevés par
Shamma Boyarin). Quant à l’aire linguistique anglaise, les traductions du Secretum coïncident
non seulement avec un nouveau statut social et politique pour cette langue (notamment à
la cour des Lancastriens) mais aussi avec l’émergence de nouvelles communautés de lecteurs
bourgeois (évoquées par Margaret Bridges).
un texte aussi célèbre qu’énigmatique 23
55. Sur cette perte du savoir occulte dans les ultimes adaptations françaises manuscrites et
l’interprétation politique qui peut en être donnée, voir Catherine Gaullier-Bougassas.
56. Aristote aurait étudié et traduit les textes de Salomon, les signant de son propre nom ;
c’est ainsi que des commentaires rabbiniques du xive siècle expliquent la perte de connaissances
par les juifs au profit des Grecs (voir S. Boyarin, infra, p. 466‑467). La traduction du Sirr en
hébreu s’assimile alors au renversement d’un transfert, ou à un processus de récupération et
restauration d’un bien volé.
24 C. Gaullier-Bougassas, M. Bridges et J.-Y. Tilliette
57. Voir la contribution infra de Catherine Gaullier-Bougassas pour une réflexion sur cette
double thématique du pouvoir du clerc et de l’évocation (ou de l’absence) des sciences oc-
cultes orientales. J. Ferster, dans Fictions of Advice. The Literature and Politics of Counsel in
Late Medieval England, Philadelphie, 1996, consacre deux chapitres importants aux contra-
dictions inhérentes au genre littéraire même du régime des princes – qui gouvernent mais qui
sont également à gouverner – et à différentes versions (latine, anglaise et anglo-irlandaise)
du Secretum secretorum (ch. 3 et 4, p. 39‑66). Voir aussi les pages fascinantes que K. Lochrie
(Covert Operations : The Medieval Uses of Secrecy, Philadelphie, 1999) écrit sur les rapports de
pouvoir dans le Secretum et quelques textes médiévaux anglais s’inspirant de sciences occultes
(p. 93‑118).
un texte aussi célèbre qu’énigmatique 25
cheminements culturels et des métamorphoses d’une œuvre qui est très loin
de la simplicité, voire de la pauvreté, qu’on lui a parfois reprochée, une œuvre
dont le succès si soutenu durant des siècles prouve l’importance historique et
culturelle, tant dans l’histoire des mentalités que dans celles des traductions et
du transfert de pans de la culture arabe en Europe. À la lumière de la fortune
du Sirr-al-asrar, la culture européenne s’avère une fois de plus parfaitement
hybride.
Catherine Gaullier-Bougassas,
Université de Lille 3, Institut universitaire de France
Margaret Bridges,
Université de Berne
Jean‑Yves Tilliette,
Université de Genève
Two Independent Textual Traditions? The
Pseudo-Aristotelian Secret of Secrets and the
Alexander Legend
In his classic study The Medieval Alexander, George Cary states categori-
cally that “the Secretum Secretorum [...] had little effect upon the medieval
conception of Alexander1”. Reiterated several times elsewhere in the book,
it seems a reasonable judgment, based as it is on a wide acquaintance with
the multifarious sources for the Alexander Legend2. (By Alexander Legend
I mean the more-fictional-than-historical Alexander the Great characteristic
of the Middle Ages; it was given primary, though not exclusive, expression
in those works in prose or verse that, for the purposes of providing informa-
tion and/or entertainment, tell his story.) Since its publication in 1956, Cary’s
book has justly become one of the leading resources for and authorities on
the larger topic of Alexander the Great in the Middle Ages – a feat impres-
sive on its own terms, and extraordinary given that it was a (posthumously
published) doctoral dissertation. The wide readership enjoyed by the book
has carried the above-quoted words to a very large scholarly audience and
subsequently determined how two generations of historians have themselves
conceived of the Secret of Secrets in relation to the Alexander Legend. As a
Most readers of the present volume probably know a good deal about the
Secret of Secrets already, so a detailed description of it is unnecessary. The Secret
of Secrets purports to be an extended missive from Aristotle to Alexander.
While the bulk of the work is discursive, as Aristotle provides all manner of
Two Independent Textual Traditions? 29
advice to Alexander on a wide variety of topics, there are a few dramatic ele-
ments and “historical” tidbits that one imagines could well have made their
way into the Alexander Legend.
3. Opera hactenus inedita Rogeri Baconi, ed. R. Steele, fasc. 5, Secretum secretorum cum glossis
et notulis, Oxford, 1920, p. 38.
30 Steven Williams
5. Poison Maiden
In a plot to have Alexander assassinated, the Queen of India sent to
Alexander a beautiful woman who has been nourished from infancy on ser-
pent’s venom, the hope being that Alexander would be attracted to her sexu-
ally but remain unaware of her true nature; once in her embrace, he would be
overwhelmed by her poison and die. Such was the peril Alexander faced that
by just a bite or even a look, she could kill – a fact proven to Alexander in an
experiment not long after this incident, as Aristotle reminds him. In the event,
Aristotle’s perspicacity spies out the danger and foils the plan.
6. Horn of Themistius
In the section on warfare, Aristotle describes a device known as the Horn
of Themistius that is able to project sound to a distance of sixty miles: it could
be used to summon troops as well as to frighten an opposing army.
7. Occult science
Aristotle has a lot to teach Alexander about occult science. He instructs
him on a panacea that, among other things, can retard old age and boost brain
power; an alchemical operation that will allow him to dominate superiors and
inferiors, what is above and what is below; a magic stone that will prompt an
opposing army to flee; a magic plant that will engender love; and a talisman
that will bring submission and obedience. He is also told to do nothing with-
out the aid of astrology and is repeatedly provided with astrological advice.
Given the numerous marvelous elements in the Alexander Legend, one might
imagine a storyteller making something of this occult material.
Standing back from the Alexander who appears in the Secret of Secrets, we
have a ruler who reveres his former teacher, who considers him his teacher still,
and who so values his judgment that he has him serve as his primary counselor
at court. He is also a ruler who is open to the advice of others, in particular intel-
lectuals; he has a deep respect for letters and learning; and he is himself learned.
Misconceptions
What might be the greatest virtue of Cary’s very informed and informa-
tive book is the large volume of Alexander material that he has collected and
Two Independent Textual Traditions? 31
9. Ibidem, p. 110, 107. Cf. ibid., p. 257: “Lydgate […] translated the Secret of Secrets, with its
portrait, by implication, of a philosophical Alexander.”
10. Secret of Secrets: Cary, Medieval Alexander, p. 22, 109, 250‑251, 257, 344, 366. Poison
Maiden: ibidem, p. 231, with other mentions on p. 100, 106, 301, 303.
Two Independent Textual Traditions? 33
Evidence
In this section we will examine the evidence showing that the Secret of Secrets
and the Alexander Legend crossed paths with much more frequency than Cary
would allow and in ways he did not even consider. We begin with what the
extant manuscripts tell us. And there are lots of them – many more than the
number of extant Alexander romance manuscripts and at least the same number
as there are Alexander works in Latin. Obviously those who bought the Secret of
Secrets, those who copied it for themselves, and those who read it took it serious-
ly and took away from it something that affected their conception of Alexander.
The Secret of Secrets is a polyvalent text. Its varied contents attracted many
different readers, as we can see from how it was cited by readers along with
the kinds of texts with which it was bound – its “textual environment” or
codicological context11. In a number of instances we have manuscripts that
couple the Secret of Secrets with other Alexander material:
11. I take the phrase “textual environment” from J. Monfrin, “La place du Secret des secrets
dans la littérature française mediévale”, in Pseudo-Aristotle, The Secret of Secrets. Sources and
Influences, ed. W. F. Ryan and C. B. Schmitt, London, 1982, p. 97.
12. F. P. Magoun, Jr., “The Harvard Epitome of the Historia de preliis (Recension I2)”,
Harvard Studies and Notes in Philology and Literature, 14 (1932), p. 134; L. Light, Catalogue of
Medieval and Renaissance Manuscripts in the Houghton Library of Harvard University, vol. 1,
Binghamton, 1995, p. 148‑152; Cary, Medieval Alexander, p. 45. These lines are similar to those
found in Roger Bacon’s recension of the Secret of Secrets, ed. Steele, p. 151, l. 23‑28.
13. W. Söderhjelm, “Notice et extraits du ms. fr. 51 de la Bibliothèque Royale de Stockholm”,
Mémoires de la Société néo-philologique de Helsingfors, 6 (1917), p. 307‑333; A. Hilka, Der altfran-
zösische Prosa-Alexanderroman nach der Berliner Bilderhandschrift nebst dem lateinischen Original
der Historia de preliis (Rezension J2), Halle, 1920 (reprint 1974), p. xliv-l; Monfrin, “La place
34 Steven Williams
du Secret des Secrets”, p. 83‑84; Cary, Medieval Alexander, p. 344 (with mention of the Secret of
Secrets).
14. R. De Cesare, “Volgarizzamenti antico-francesi dei Praecepta Aristotelis ad Alexandrum”,
in Miscellanea del Centro di Studi Medievali, Milan, 1958, p. 47; Monfrin, “La place du Secret
des Secrets”, p. 83‑84; H. Martin, Catalogue des manuscrits de la Bibliothèque de l’Arsenal, vol.
3, Paris, 1887, p. 134‑138. Over the years various students of the Alexandreis and works based
on the Alexandreis have asserted that the advice Walter of Châtillon puts in Aristotle’s mouth
depends on some familiarity with the Secret of Secrets. While this would be a great piece of
evidence for my argument, it is untrue: not only was Walter writing some fifty years before the
full Secret of Secrets was available in a western language, but a close study of the lines in ques-
tion reveals no specific use whatsoever of the Secret of Secrets. Cf. the ample take-down of such
claims in R. Wisbey, Das Alexanderbild Rudolfs von Ems, Berlin, 1966, Appendix 1.
15. De Cesare, “Volgarizzamenti antico-francesi”, p. 47; Monfrin, “La place du Secret des
Secrets”, p. 84; Bibliothèque Impériale-Département des manuscrits. Catalogue des manuscrits
français, vol. 1, Paris, 1868, p. 184.
16. De Cesare, “Volgarizzamenti antico-francesi”, p. 47; Monfrin, “La place du Secret des
Secrets”, p. 84; Catalogue général des manuscrits des bibliothèques publiques de France, vol. 30,
Paris, 1900, p. 232‑233.
17. P. Meyer, “Notice d’un ms. Messin (Montpellier 164 et Libri 96)”, Romania, 15 (1886),
p. 167‑191; De Cesare, “Volgarizzamenti antico-francesi”, p. 47; Monfrin, “La place du Secret
des Secrets”, p. 87.
18. Epistola Alexandri ad Aristotelem ad codicum fidem edita et commentario critico instructa,
ed. W. W. Boer, The Hague, 1953, p. xvii; R. M. Thomson, A Descriptive Catalogue of the
Medieval Manuscripts of Corpus Christi College Oxford, Cambridge, 2011, p. 44‑45.
Two Independent Textual Traditions? 35
19. M. R. James, The Western Manuscripts in the Library of Trinity College, Cambridge, vol.
2, Cambridge, 1901, p. 366‑367; Die Historia de preliis Alexandri Magni: Rezension J³, ed. K.
Steffens, Meisenheim am Glan, 1975, p. xiv-xvii.
20. S. Zamponi, “Commenti ad Aristotele nell’Archivio Capitolare de Pistoia”, Atti e memorie
dell’Accademia Toscana di scienze e lettere La Colombaria, 43 (1978), p. 103‑108; F. Del Punta,
G. Fioraventi and C. Luna, Aegidii Romani Opera omnia, I, Catalogo dei manoscritti 1/2**,
Florence, 1998, p. 343‑347; G. Murano, G. Savino and S. Zamponi, I manoscritti medievali della
provincia Pistoia, Florence, 1998, p. 41‑42.
21. Historia Alexandri Magni (Historia de preliis), Rezension J1, ed. A. Hilka and K. Steffens,
Meisenheim am Glan, 1979, p. xix-xx.
22. F. Wurms, Studien zu den deutschen und den lateinischen Prosafassungen des pseudo-aris-
totelischen Secretum secretorum, Diss., Hamburg, 1970, no. 180.
36 Steven Williams
27. U. Winter, Die europäischen Handschriften der Bibliothek Diez, vol. 3, Wiesbaden, 1994,
p. 11‑13.
28. M. Hamel, “An Anthology for the Armchair Traveler: London, British Library, MS
Arundel 123”, Manuscripta, 41 (1997), p. 3‑18; Historia Alexandri Magni, ed. Hilka and Steffens,
p. xv-xvi; Catalogue of Manuscripts in The British Museum, n.s., vol. 1, London, 1834, p. 29‑30.
29. W. Macray, Catalogi codicum manuscriptorum Bibliothecae Bodleianae [...] Ricardi
Rawlinson, J.C.D., vol. 1, Oxford, 1862, col. 287‑292; Historia Alexandri Magni, ed. Hilka and
Steffens, p. xvii.
30. Macray, Catalogi codicum manuscriptorum, col. 500‑501; Historia Alexandri Magni,
ed. Hilka and Steffens, p. xvii -viii.
31. H. Martin, Catalogue des manuscrits de la Bibliothèque de l’Arsenal, vol. 3, Paris, 1887,
p. 285‑286.
38 Steven Williams
22. Oxford, Bodleian Library, Canon. class. lat. 217 (fifteenth century)
The codex was written by one scribe. The majority of its listed con-
tents are connected either to Alexander (Historia de preliis, Epistola
Alexandri ad Dyndimum, Epistola Dindymi ad Alexandrum, Historia
de educatione Alexandri) or to Aristotle (numerous compendia of
Aristotelian texts, including the Secret of Secrets, the Rhetorica ad
Alexandrum and its accompanying Epistola ad Alexandrum, plus
what is called here Summa consilii likewise directed by Aristotle to
Alexander), with some obvious overlap in terms of subject. The
Aristotelian material was already a “package” c. 1280; at some point
the Alexandrian items were put together with it by a compiler who
considered the combination a natural fit35.
32. H. Omont and C. Couderc, Catalogue général des manuscrits français, vol. 3, Paris, 1896,
p. 114‑115.
33. O. Cartaregia, I manoscritti “G. Gaslini” della Biblioteca universitaria di Genova, Rome,
1991, p. 130‑131; http://manus.iccu.sbn.it//opac_SchedaScheda.php?ID=163443 (accessed
22.6.2012).
34. Hiltgart von Hürnheim, Mittelhochdeutsche Prosaübersetzung des Secretum secretorum,
ed. R. Möller, Berlin, 1963, p. xxiii-xxxiii.
35. H. O. Coxe, Catalogi codicum manuscriptorum Bibliothecae Bodleianae, Pars tertia, Codices
græcos et latinos Canonicianos complectens, Oxford, 1854, col. 222‑224; G. B. Fowler, “Manuscript
Admont 608 and Engelbert of Admont (c. 1250‑1331)”, Archives d’histoire doctrinale et littéraire
du Moyen Âge, 44 (1977), p. 149‑242, and 45 (1977), p. 225‑306; R. M. Thomson, Catalogue of
Medieval Manuscripts of Latin Commentaries on Aristotle in British Libraries, vol. 1, Turnhout,
2011, p. 55‑57.
Two Independent Textual Traditions? 39
2. Manuscript Descriptors
The beginning sentence (superscription) of a text in a manuscript con-
stitutes not only a de facto title but also a descriptor of the work in
question; while often standardized in their wording, repeating what
had been found in the manuscript’s exemplar, these sentences can also
veer from that wording, sometimes significantly, thereby revealing
how a copyist/reader viewed the text. In manuscripts of the Secret of
Secrets, it is common at the start to see mention of Alexander as the
recipient (“[…] ad Alexandrum”) and not unusual to see a little bit of
extra information in addition to that. Some manuscripts emphasize
36. Aristoteles Latinus. Codices, Pars prior, ed. G. Lacombe, A. Birkenmajer, A. Franceschini,
and M. Dulong, Rome, 1939, p. 89‑90; De mundo: translationes Bartholomaei et Nicholai, ed.
W. L. Lorimer and L. Minio-Paluello, Bruges, 1965.
37. Aristoteles Latinus, p. 78‑79; M. Grabmann, “Eine lateinische Übersetzung der pseu-
doaristotelischen Rhetorica ad Alexandrum aus dem 13. Jahrhundert: Literarhistorische
Untersuchung und Textausgabe”, Sitzungsberichte der Bayerischen Akademie der Wissenschaften.
Philosophisch-Historische Abteilung (1931‑1932), Heft 4.
38. C. B. Schmitt and D. Knox, Pseudo-Aristoteles Latinus. A Guide to Latin Works Falsely
Attributed to Aristotle Before 1500, London, 1985, passim.
40 Steven Williams
46. For the pictorial tradition of Aristotle-Alexander in other Alexander texts, see D. J. A. Ross,
Studies in the Alexander Romance, London, 1985, p. 351‑353; C. Raynaud, “Aristote dans les en-
luminures du xiiie siècle”, in L’unité de la culture européenne au Moyen Âge, ed. D. Buschinger
and W. Spiewok, Greifswald, 1994, p. 111‑135, especially p. 123‑131.
47. Oxford, University College, 85 shows a standing Aristotle instructing a seated Alexander:
see K. L. Scott, Later Gothic Manuscripts 1390‑1490, vol. 1‑2, London, 1996, no. 118 and
pl. 439. Paris, Bibliothèque nationale de France, it. 917, has a similar image: see F. Avril and
M.-T. Gousset, Manuscrits enluminés d’origine italienne, vol. 2, Paris, 1984, p. 126‑127 and pl.
lxxxii 153 bis.
48. Bibliothèque nationale de France, fr. 562 shows a messenger presenting the Secret of Secrets
to Alexander: see C. Blondeau, Un conquérant pour quatre ducs: Alexandre le Grand à la cour de
Bourgogne, Paris, 2009, p. 167 (Blondeau has it that the delivery is being made by Aristotle, but
that is unlikely according to what is described in the Secret of Secrets’ prologue; it also jars with
the young man portrayed here). Paris, Bibliothèque nationale de France, fr. 571, has a two-panel
scene, with a seated, writing Aristotle on the left and a seated Alexander on the right, behind
whom stand three warriors, presented a book by a kneeling messenger: see L. Freeman Sandler,
Gothic Manuscripts, 1285‑1385, vol. 2, London, 1986, no. 96, and A. Wathey, “The Marriage
of Edward III and the Transmission of French Motets to England”, Journal of the American
Musicological Society, 45 (1992), p. 10.
49. London, British Library, Add. 47680 shows Aristotle, right, seated and writing, and left,
Alexander, seated (see The Treatise of Walter de Milemete De nobilitatibus, sapientiis, et pru-
dentiis regum, reproduced in facsimile from the unique manuscript preserved at Christ Church,
Oxford, together with a selection of pages from the companion manuscript of the treatise De se-
cretis secretorum Aristotelis, preserved in the library of the Earl of Leicester at Holkham Hall,
ed. M. R. James, Oxford, 1913, p. 159); a manuscript of Jacob van Maerlant’s Heimelijkheid der
heimelijkheden has a standing Aristotle handing over the Secret of Secrets to a standing Alexander
(see Maerlants werk: juweeltjes van zijn hand, ed. I. Biesheuvel, Amsterdam, 1998, p. 224).
42 Steven Williams
work’s genesis with letters back and forth and then the Secret of Secrets
itself being delivered to Alexander50.
This story of occasional crossed paths by the Secret of Secrets and the
Alexander Legend is corroborated by what we see in medieval manuscript
inventories and library catalogues:
50. London, British Library, Add. 47680 (see The Treatise of Walter de Milemete, ed. James,
p. xliv); Paris, Bibliothèque nationale de France, fr. 18145 (see Catalogue des nouvelles acquisi-
tions françaises du département des manuscrits 1972‑1982, Paris, 1999, p. 152‑153).
51. E. Pellegrin, La bibliothèque des Visconti et des Sforza, ducs de Milan, au xve siècle, Paris,
1955, p. 149.
52. Laurent, Fabio Vigili, p. 33. These lines are similar to those encountered in other manu-
scripts: see n. 12 above.
53. M. Cochetti, “La biblioteca di Giovanni Calderini”, Studi medievali, ser. 3, 19 (1978),
p. 999.
54. F. Ehrle, Historia Bibliothecae Romanorum Pontificum tum Bonifatianae tum Avenionensis,
Rome, 1890, p. 542.
Two Independent Textual Traditions? 43
Finally, a third type of evidence given scant attention by Cary comes from
authors who either prepared translations/editions of the Secret of Secrets or
made observations about Alexander using material from the Secret of Secrets.
1. Philip of Tripoli
Philip of Tripoli translated the complete version of the Secret of
Secrets from Arabic into Latin c. 1230. In a preface, Philip describes
the text that follows as the consequence of Alexander having asked for
Aristotle to “faithfully reveal to him the secret of certain arts, namely,
the motion, operation, and power of the stars in astronomy, the art of
alchemy in nature, the art of knowing natures, and operating charms
and celimancy and geomancy57”.
2. Guibert of Tournai
In his Eruditio regum et principum (1259), Guibert quotes the episto-
lary exchange between Alexander and Aristotle on what to do with
the Persians, beginning, “Unde cum Alexander Macedo Persas ejus
imperio subjugasset […]58”.
4. Roger Bacon
Roger Bacon (died c. 1292) knew the Secret of Secrets well. It plays a
prominent role in his thinking, and it profoundly influenced his view
of Alexander. For Bacon, Alexander was the recipient of Aristotle’s
wide knowledge of magical science, including the talisman whose pri-
mary property was “pacifying regions so that they obey [a king] freely
without coercion”, as Bacon put it, and it was through Aristotle’s help
that Alexander enjoyed such a spectacular career of conquest61.
60. Jacob van Maerlant. Spiegel historiael, ed. M. de Vries and C. Verwijs, Leiden, 4 vol.,
1863‑1879, p. 174. For this reference, see J. B. Voorbij, “The History of Alexander the Great
in Jacob van Maerlant’s Spiegel Historiael”, in Vincent of Beauvais and Alexander the Great:
Studies on the Speculum Maius and its Translations into Medieval Vernaculars, ed. W. J. Aerts,
E. R. Smits, and J. B. Voorbij, Groningen, 1986, p. 62 and 84 n. 13.
61. See S. J. Williams, “Roger Bacon and the Secret of Secrets”, in Roger Bacon and the Sciences:
Commemorative Essays, ed. J. Hackett, Leiden, 1998, p. 387‑389. See also the incipit written by
Bacon for his edition of the Secret of Secrets: “ab Aristotile philosopho editu ad peticionem
Alexandri Magni, in quo ultimo secreta nature sub velamine traduntur”, ed. Steele, p. 25).
62. P. M. M. Duhem, Le système du monde: histoire des doctrines cosmologiques de Platon à
Copernic, Paris, 1916, p. 12‑13.
63. Alexander, von Ulrich von Eschenbach, ed. W. Toischer, Tübingen, 1888. See also Cary,
Medieval Alexander, p. 65‑66, 287‑288, with other brief mentions (passim); the use of the Secret
of Secrets is noted on p. 287.
Two Independent Textual Traditions? 45
7. Geoffrey of Waterford
Around 1300 the Dominican Geoffrey of Waterford translated the
Secret of Secrets into French. His version includes several small bits of
interpolated Alexander material64.
8. Walter Milemete
In 1327 Walter Milemete presented Edward III with a lavishly illustrat-
ed copy of the Latin Secret of Secrets along with a companion treatise of
his own composition, De nobilitatibus, sapientiis, et prudentiis regum65.
In the latter work, Walter portrays Alexander as a ruler who was edu-
cated by a wise man and who continued to consult with and listen to
him, with all of his successes the happy consequence. In Milemete’s
words, Alexander “acquired many lands and foreign provinces under
his lordship by the counsel and teachings of the philosopher Aristotle
[...]. King Alexander learned the teachings of the philosopher for
ruling himself and his empire happily in times of peace and in the
face of aggressive acts of war. Through this counsel, he overwhelmed
his enemies, won wars, blockaded castles and cities, acquired diverse
lands and peoples under his lordship, and subjugated a great empire
under himself and he achieved triumph in every conflict and occupied
himself energetically in all royal actions66”. Milemete was responsible
for providing that both manuscripts were lavishly illustrated, and one
scholar has argued that “many of the monsters and monstrous races of
64. J. Monfrin, “Sur les sources du Secret des Secrets de Jofroi de Waterford et Servais Copale”,
in Mélanges de linguistique romane et de philologie médiévale offerts à M. Maurice Delbouille,
vol. 2, Gembloux, 1964, p. 517, 521 n. 3, 529, 530.
65. The Treatise of Walter de Milemete, ed. James; Political Thought in Early Fourteenth-century
England: Treatises by Walter of Milemete, William of Pagula, and William of Ockham, ed.
and trans. C. J. Nederman, Tempe, 2002, p. 15‑61. See also M. Michael, “The Iconography of
Kingship in the Walter of Milemete Treatise”, Journal of the Warburg and Courtauld Institutes,
57 (1994), p. 35‑47 and pl. 1‑9; F. Lachaud, “Un ‘miroir au prince’ méconnu: le De nobilitatibus,
sapienciis et prudenciis regum de Walter Milemete (vers 1326‑1327)”, in Guerre, pouvoir et noblesse
au Moyen Âge. Mélanges en l’honneur de Philippe Contamine, ed. J. Paviot and J. Verger, Paris,
2000, p. 401‑410; L. Freeman Sandler, Gothic Manuscripts, 1285‑1385, London, 1986, no. 84‑85,
p. 93‑94; Age of Chivalry. Art in Plantagenet England 1200‑1400, ed. J. Alexander and P. Binski,
London, 1987, no. 682, p. 500.
66. Nederman, Political Thought, p. 29.
46 Steven Williams
men” seen therein had been deliberately chosen as coming out of the
Alexander Romance67.
9. Thomas Hoccleve
According to Thomas Hoccleve in his Regement of Princes (c. 1412),
the Secret of Secrets, “[Aristotle’s] booke of gouernaunce” was among
the “Epistles to Alisaundre sent68”.
67. L. Karlinger Escobedo, The Milemete Treatise and Companion Secretum secretorum:
Iconography, Audience, and Patronage in Fourteenth-Century England, Lewiston, 2011,
p. 181‑183.
68. Hoccleve’s Works, vol. 3, The Regement of Princes, ed. F. J. Furnivall, London, 1897, p. 74.
69. In Three Prose Versions of the Secreta secretorum, ed. R. Steele, London, 1898 (text on
p. 121‑248). A modern English rendering is provided by L. K. Kerns in The Secret of Secrets
(Secreta secretorum): A Modern Translation, with Introduction, of The Governance of Princes,
Lewiston, 2008.
70. “Chyuary is not only kepete, Sauyd, and mayntenyd by dedys of armes, but by wysdome
and helpe of lawes, and of witte, and wysdome of vndyrstondynge. For Streynth and Powere,
without witte and connynge, is but outrage and wodnys, And wysdome and connynge, without
Streynth and Powere, Surly hym gidyth not. But whan with Streynth and Powere, hym com-
paynyth witte and connynge, and witte dressith Powere, in goodnys may the Prynce Play, and
with good men Surly walke. This apperyth by many olde stories, for the connynge and grete
witte of Arystotle lytill hadd avaylid to kynge Alexandyr, without the Streynth of the brut of
his Powere.” (Three Prose Versions, ed. Steele, p. 121)
Two Independent Textual Traditions? 47
71. S. Herzog, Die Alexanderchronik des Meister Babiloth: Ein Beitrag zur Geschichte des
Alexanderromans, Stuttgart, 1897‑1903. On the use of the Secret of Secrets, see H. Christensen,
Das Alexanderlied Walters von Châtillon, Halle a. S., 1905, p. 129‑135, and Schnell (as in the
following footnote), p. 117. See also Cary, Medieval Alexander, p. 51, 245‑246 (with no mention
of the Secret of Secrets).
72. R. W. K. Schnell, “Zur volkssprachlichen Rezeption des Speculum historiale in
Deutschland. Die Alexander-Geschichte in den Excerpta chronicarum”, in Vincent of Beauvais
and Alexander the Great, ed. Aerts, Smits, and Voorbij, p. 101‑126.
73. John Gower, Confessio Amantis, vol. 1‑3, ed. R. A. Peck, Kalamazoo, 2000‑2004. I take
“the education of Alexander” from G. L. Hamilton, “Some Sources of the Seventh Book of
Gower’s Confessio Amantis”, Modern Philology, 9 (1911‑1912), p. 323. On Gower’s Book 7 and
the Secret of Secrets see also A. H. Gilbert, “Notes on the Influence of the Secretum secretorum”,
Speculum, 3 (1928), p. 84‑98, and M. A. Manzalaoui, “‘Noght in the Registre of Venus’: Gower’s
English Mirror for Princes”, in Medieval Studies for J. A. W. Bennett, ed. P. L. Heyworth,
Oxford, 1981, p. 159‑183. While Cary is aware that “the seventh book […] is a long description
of Alexander’s education” (Cary, Medieval Alexander, p. 255) and that the Secret of Secrets is an
important source for it (ibidem, p. 288, 333, 344), he dismisses it as “[containing] nothing of
interest to our purpose” (ibid., p. 255).
48 Steven Williams
74. Gutierre Díaz de Games, El Victorial, ed. R. Beltrán Llavador, Salamanca, 1997, p. 227.
In Le Victorial. Chronique de Don Pedro Niño, comte de Buelna par Gutierre Diaz de Gamez,
son alferez (1379‑1449), tr. de l’espagnol d’après le manuscrit, avec une introduction et des notes
historiques par le comte Albert de Circourt et le comte de Puymaigre, Paris, 1867, p. 18, the last
clause is translated as “à juger par la physionomie la nature de tout homme”.
75. R. Förster, Scriptores physiognomici, vol. 1‑2, Leipzig, 1893; Anonyme latin, Traité de physi-
ognomie, ed. J. André, Paris, 1981.
76. “Et aussi son maistre fu le plus noble philosophe qui onques fust au monde et dont encores
aujourd’ui touz clers font feste. Ce fu Aristote, le maistre de philosophie. Et qui des enseigne-
mens qu’il fist a Alexandre voudra savoir, si lise ung livre qui s’apelle De secretis secretorum, la
pourra trouver belle et noble doctrine pour tous vaillains homes enseigner et aprendre, si nous
en tairons pour la prolixité de la matiere.” (Les Faicts et les Conquestes d’Alexandre le Grand
de Jehan Wauquelin, ed. S. Hériché, Geneva, 2000, p. 8‑9) A modern translation in French
of Wauquelin’s work done by O. Collet can be found in Splendeurs de la cour de Bourgogne:
récits et chroniques, ed. D. Régnier-Bohler, Paris, 1995, p. 489‑564; The Medieval Romance of
Alexander: Jehan Wauquelin’s The Deeds and Conquests of Alexander the Great, trans. N. Bryant,
Woodbridge, 2012 contains an English version. See also Cary, Medieval Alexander, p. 33‑34,
228‑229 (with no mention of the Secret of Secrets).
77. Lydgate and Burgh’s Secrees of Old Philisoffres, ed. R. Steele, London, 1894, p. 2, l. 42‑43.
See also n. 9 above.
Two Independent Textual Traditions? 49
78. The Buik of King Alexander the Conquerour by Sir Gilbert Hay, vol. 2‑3, ed. J. Cartwright,
Edinburgh, 1986‑1990 (vol. 1 has not yet appeared). On this work as well as its disputed at-
tribution, see J. Cartwright, “Sir Gilbert and the Alexander Tradition”, in Scottish Language
and Literature, Medieval and Renaissance, ed. D. Strauss and H. W. Drescher, Frankfurt
on the Main, 1986, p. 229‑238; J. Cartwright, “Sir Gilbert Hay’s Alexander: A Study in
Transformations”, Medium Aevum, 60 (1991), p. 61‑72; M. P. McDiarmid, “Concerning Sir
Gilbert Hay, the Authorship of Alexander the Conquerour and The Buik of Alexander”, Studies
in Scottish Literature, 28 (1993), p. 28‑54; S. Mapstone, “The Scots Buke of Phisnomy and
Sir Gilbert Hay”, in The Renaissance in Scotland. Studies in Literature, Religion, History and
Culture Offered to John Durkan, ed. A. A. MacDonald, M. Lynch, and I. B. Cowan, Leiden,
1994, p. 1‑44; J. Martin, “Of Wisdome and of Guide Governance: Sir Gilbert Hay and The Buik
of King Alexander the Conquerour”, in A Companion to Medieval Scottish Poetry, ed. P. Bawcutt
and J. Hadley Williams, Woodbridge, 2006, p. 75‑88. Cf. Cary, Medieval Alexander, p. 35, 230
(with no mention made of the Secret of Secrets).
79. Cary, Medieval Alexander, p. 78‑79.
80. Preachers and moralists: these include Roger Bacon, John of Wales, Malachi (see
Williams, Secret of Secrets, p. 251‑252; Cary, Medieval Alexander, p. 303, noting Malachi’s use
of the Secret of Secrets). According to M. A. Manzalaoui (The Secreta Secretorum in English
Thought and Literature from the Fourteenth to the Seventeenth Century with a Preliminary
Survey of the Origins of the Secreta, D.Phil. thesis, University of Oxford, 1954, p. 665) it is found
in Robert Holcot, Moralitates; in a sermon preached by John Sheppey; and in a sermon collec-
tion prepared by Sheppey. For the Gesta Romanorum, see the edition by H. Oesterley, Gesta
Romanorum, Berlin, 1872, p. 288; see also Cary, Medieval Alexander, p. 231 n. 5 (with mention
of the Secret of Secrets).
81. Guylem de Cervera, Frauenlob, Hugh of Trimberg, King Sancho IV, Heinrich von
Mügeln (see W. Hertz, “Die Sage vom Giftmädchen”, in his Gesammelte Abhandlungen,
50 Steven Williams
it also became a classic medical experimentum82. Put all of this together, and it
means that the Poison Maiden story must have come to mind for many people
in the Middle Ages when they thought about Alexander the Great.
Let us close this section with a summary of the evidence that we have sur-
veyed on the preceding pages. While the Secret of Secrets was not the exclusive
source for the “historical” facts that Aristotle had served as Alexander’s pre-
ceptor or advisor, that letters had passed between them, and that Alexander
had an intellectual disposition, it remains that the widespread circulation
of the Secret of Secrets meant that when people thought about these things,
the Secret of Secrets probably came up, too; indeed, the Secret of Secrets both
propagated and reinforced them, helping to cement them in the collective
consciousness. The Secret of Secrets was widely recognized as the most famous
and the most important of Aristotle’s writings to Alexander; many people
probably identified the Secret of Secrets with the Alexander-Aristotle relation-
ship. What’s more, that relationship became the exemplar of the classic pair
King-and-Philosopher, thereby serving as the ideal model for writers who
wanted to lecture princes on the subjects of politics and morality. When Jean
Wauquelin mentions the Secret of Secrets among the materials for understand-
ing Alexander, he was giving voice to a long- and widely-held belief that the
Secret of Secrets was one of a complex of Alexander texts that helped to form
people’s conceptions of Alexander the Great.
Consider in this connection an image in a large codex containing Aristotle’s
libri naturales83. In a bottom half of a rondel, on the left, is Aristotle, wearing
a scholar’s cap and sitting at a lectern with a book; on the right is a crowned
Alexander, standing. At the top of the rondel we see God flanked by two
angels; a book is open is his hands. Though this image comes at the start of
the Physics, which opens the manuscript, it is natural to think of the relation-
ship of Aristotle and Alexander as reflected in the Secret of Secrets, with the
book on the lectern being the Secret of Secrets: just as we have it described in
the Secret of Secrets’s prologue, secrets are passed on by God to Aristotle, then
passed on to Alexander. And indeed the short version of our work can be
found later in the codex. It is arguable that not only the construction but also
the very understanding of this image relies on the Secret of Secrets. Certainly by
the second half of the thirteenth century when this manuscript was produced,
the Secret of Secrets had become a well-known text, exerting a considerable
impact on how people conceived of Alexander.
Conclusion
It is now time to take stock of the evidence and the arguments presented
so far and to tally our results. The line from Cary’s book that was quoted at
the start of this chapter is exceptionally broad in its sweep and unsparingly
narrow in its judgment: we have shown that Cary’s claim is contradicted by
the evidence and that the Secret of Secrets was an important contributor to
the formation of the medieval conception of Alexander84. With that said,
if we understand Cary’s “medieval conception of Alexander” to mean “the
84. This is not the first time that Cary has required correction or been subjected to criti-
cism: see M. R. Lida de Malkiel, “La leyenda de Alejandro en la literatura medieval”, Romance
Philology, 15 (1961‑1962), p. 311‑318; K. R. De Graaf, “The Last Days of Alexander in Maerlant’s
Alexanders Geesten”, in Alexander the Great in the Middle Ages: Ten Studies on the Last Days of
Alexander in Literary and Historical Writing, ed. W. J. Aerts, J. M. M. Hermans, and E. Visser,
Nijmegen, 1978, p. 230‑266; R. W. K. Schnell, “Hartliebs Alexanderroman. Politisierung
und Polyfunktionalität eines spätmittelalterlichen Textes”, ibidem, p. 287; W. J. Aerts,
“Introduction”, ibid., p. xiii-xiii (with comments about the preceding two articles); A. Murray,
Reason and Society in the Middle Ages, Oxford, 1978, p. 445 n. 38; G. H. V. Bunt, “Alexander
and the Universal Chronicle: Scholars and Translators”, in The Medieval Alexander Legend
and Romance Epic. Essays in Honor of David J. A. Ross, ed. P. Noble, L. Polak, and C. Isoz,
Millwood (N. Y.), 1982, p. 5, 7; P. Dronke, “Introduzione”, in Alessandro nel Medioevo occiden-
tale, ed. P. Boitani, Verona, 1997, p. xiii-xix; F. Grady, Representing Righteous Heathens in Late
Medieval England, New York, 2005, p. 116, 117 n. 38; R. Morosini, “The Alexander Romance in
Italy”, in A Companion to Alexander Literature in the Middle Ages, ed. Z. D. Zuwiyya, Leiden,
2011, p. 337‑338; M. Cruse, Illuminating the Roman d’Alexandre. Oxford, Bodleian Library, MS
Bodley 264: the Manuscript as Monument, Cambridge, 2011, p. 199; C. R. Stone, “Investigating
Macedon in Medieval England: The St Albans Compilation, the Philippic Histories, and the
Reception of Alexander the Great”, Viator, 42/1 (2011), p. 81 n. 24.
52 Steven Williams
85. C. Gaullier-Bougassas, “Alexander and Aristotle in the French Alexander Romances”, in The
Medieval French Alexander, ed. D. Maddox and S. Sturm-Maddox, Albany (N.Y.), 2002, p. 59.
86. So, both Jacob van Maerlant and Gilbert Hay had to make some effort to insert the Poison
Maiden into their accounts: see W. P. Gerritsen, “Alexander the Great as a Literary Hero
and the Medieval Literary Genres”, in Ten Studies on the Last Days of Alexander, p. 296, and
G. H. V. Bunt, Alexander the Great in the Literature of Medieval Britain, Groningen, 1994, p. 70.
Two Independent Textual Traditions? 53
In 1468 Vasco da Lucena presented Charles the Bold with his recently
completed Les Faiz et Conquestes d’Alexandre le grant. Clearly he was de-
termined to tell a different kind of story and to present a different kind of
Alexander from that of his predecessors, including, we can assume, fellow
Burgundian courtier Jean Wauquelin (d. 1452). Here is how Vasco describes
some of what he is up to:
Cette histoire est donc très utile, qui nous apprend au vrai comment
Alexandre conquit tout l’Orient […] sans voler en l’air, sans aller sous la
mer, sans enchantements, sans géants et sans être aussi fort que Renaut de
Montauban, que Lancelot, que Tristan ou que Rainouart, qui tuaient cin-
quante hommes à tout coup89.
Vasco must have been familiar with Wauquelin’s version of the story – it
had been prepared in a luxury manuscript for Charles’ father Philip the Good,
on Philip’s own order – so when he names his sources in the prologue yet
does not mention the Secret of Secrets, we have good reason to suspect that he
has made a conscious decision not to do so. This suspicion becomes all the
stronger when we recall his phrase “sans enchantements” from the prologue.
Alexander did not conquer the East through Aristotle’s esoteric wisdom or
Aristotle’s magic, as the Secret of Secrets would have it: Vasco rejects that pos-
sibility out of hand. Alexander was just a man, Vasco reminds us, very much
like ourselves.
By about 1500 the career of the Secret of Secrets was near the end of its
run. As Cary points out, so too was that of the Alexander Legend, with its
larger-than-life superhero and his amazing adventures90. Given the connec-
tion between the Secret of Secrets and the Alexander Legend, it is no coinci-
dence that they experienced a similar fate. The humanistic sensibility was now
affecting the view of the classical past in a significant way, resulting in a change
in judgment regarding all sorts of texts, individuals, and issues. Poison maid-
ens and wood maidens, talismans and the Wonderstone, basilisks and talking
birds, already existing in a middle zone between fact and fiction, historia and
fabula, were being pushed firmly into the latter categories, and the fantastic
Alexander of the Alexander Legend was being replaced with someone we can
recognize as a realistic historical personage. What we have here, therefore, is
another handy marker for the crossover from medieval to early modern91.
Steven Williams
New Mexico Highlands University
1. Yahya ibn al-Bitriq, qui, au ixe siècle, travaillait à Bagdad pour les califes abbassides, a effec-
tivement traduit de nombreux traités de philosophie naturelle d’Aristote. Voir S. J. Williams,
The Secret of Secrets. The Scholarly Career of a Pseudo-Aristotelian Text in the Latin Middle Ages,
Ann Arbor, 2003, p. 8‑9 et la bibliographie citée ; voir aussi l’introduction, p. 9‑10.
2. Il n’existe pas d’édition critique du Secretum secretorum. Nos citations renverront à l’édi-
tion de R. Möller, Hiltgart von Hürnheim, Mittelhochdeutsche Prosaübersetzung des Secretum
secretorum, Berlin, 1963. Nous nous référerons aussi parfois, toujours en l’indiquant, à l’édition
glosée de Roger Bacon : Secretum secretorum cum glossis et notulis, éd. R. Steele, Opera hactenus
inedita Rogeri Baconi, Oxford, 1920, t. 5. Mentionnons enfin que l’une des plus anciennes copies
du texte, peut-être la plus ancienne, celle de Albert Behaim, un légat du pape qui a rencontré
Philippe de Tripoli et découvert son texte sans doute lors d’un concile à Lyon, est transmise
par le manuscrit de Munich, Bayerische Staatsbibliothek, clm. 2574b et éditée par T. Frenz et
P. Herde dans les Monumenta Germaniae Historica : Das Brief- und Memorialbuch des Albert
Behaim, Briefe des späteren Mittelalters, t. 1, Munich, 2000, p. 258‑340 ; voir Éloïse Adde-
Vomáčka et Christophe Thierry dans ce volume.
5. Les deux premières traductions latines de la Table d’Émeraude sont celle de Hugues de
Santalla, dans sa traduction de l’arabe en latin du Livre des secrets de la création de Balinus
(le Pseudo-Apollonius de Tyane), et celle de Platon de Tivoli, dans son Liber Hermetis de
alchimia, lui aussi une traduction d’un ouvrage arabe. Sur la Table d’Émeraude, l’étude fonda-
mentale reste celle de J. Ruska, Tabula Smaragdina, ein Beitrag zur Geschichte der hermetischen
Literatur, Heidelberg, 1926. Un certain nombre de versions ont été traduites par D. Kahn,
Hermès Trismégiste. La Table d’Émeraude et sa tradition alchimique, Paris, 2008. Voir aussi
les études récentes de J.-M. Mandosio, « La Tabula smaragdina e i suoi commentari medie-
vali » et I. Caiazzo, « Note sulla fortuna della Tabula smaragdina nel Medioevo latino », dans
Hermetism from Late Antiquity to Humanism – La tradizione ermetica dal mondo tardo-antico
all’Umanesimo, éd. P. Lucentini, I. Parri et V. Perrone Compagni, Turnhout, 2003, p. 681‑696,
697‑711 (les textes des trois premières traductions latines sont cités en annexe, p. 690‑693). Pour
une première synthèse sur les textes alchimiques de l’Occident médiéval, voir R. Halleux, Les
textes alchimiques, Turnhout, 1979 ; B. Obrist, Les débuts de l’imagerie alchimique (xive-xve
siècle), Paris, 1982 ; S. Matton, « Hermès Trismégiste dans la littérature alchimique médié-
vale », dans Hermetism from Late Antiquity to Humanism, op. cit., p. 621‑649.
60 Catherine Gaullier-Bougassas
les chapitres sur l’astrologie, qu’elle soit utilisée dans la médecine ou l’art de
la guerre, ceux sur les végétaux et les pierres, sur le cor de Thémistius (le nom
renvoie à celui du philosophe grec commentateur d’Aristote à Byzance au
ive siècle), ainsi que, dans l’édition de Roger Bacon et un petit nombre de
manuscrits, ceux sur l’art des talismans et le talisman d’Hermogène. Voici
leur ordre d’apparition dans le texte6 :
– La panacée gloria inestimabilis et les huit recettes, ch. 54‑57, p. 100‑106 ;
Roger Bacon, II, ch. 27‑28, p. 98‑105, avec un ajout sur une recette
à partir de la chair de vipère (ch. 29, p. 105‑107), inspiré d’Avicenne
(Steele, introd. de son édition, p. xxiii).
– La médecine astrologique, ch. 58, p. 108‑110 ; Roger Bacon, II, ch. 30,
p. 108‑113.
– Les vertus des pierres, la confection de la pierre animale, végétale et
minérale – l’œuf des philosophes –, les aphorismes d’Hermès (la Table
d’Émeraude), d’autres pierres, dont une blanche et une vermeille,
ch. 59, p. 110‑114 ; Roger Bacon, III, ch. 1‑2, p. 114‑118.
– Les vertus des plantes, ch. 60, p. 114‑120 ; Roger Bacon, III, ch. 3,
p. 119‑123.
Après un chapitre sur la justice, cet enseignement ésotérique est associé
à une cosmogonie et à une évocation de l’homme-microcosme, dont
l’étude sortirait du cadre de ce article.
– Le cor de Thémistius, ch. 73, p. 150 et le recours à l’astrologie dans la
guerre, ch. 74, p. 154 ; Roger Bacon, III, ch. 16, p. 151, avec quelques
lignes supplémentaires, et ch. 20, p. 155‑156. Roger Bacon ajoute en-
suite trois chapitres, absents de l’édition Möller, sur les talismans et
les influences astrales qu’ils requièrent (III, ch. 21‑23, p. 157‑1637). Il
y présente le talisman d’Hermogène, qui permet au roi de modifier à
sa guise les sentiments de ses sujets comme de ses ennemis et le rend
invincible (ch. 23).
6. Nous ne prendrons pas ici en compte la section sur le régime de santé, ni celle de la phy-
siognomonie, car leur contenu, s’il relève bel et bien du discours scientifique, n’est pas pré-
senté comme un savoir occulte. Sur la dimension scientifique du Secretum secretorum, voir
S. J. Williams, « Reflections on the Pseudo-Aristotelian Secretum secretorum as an Astrological
Text », Il sole e la luna, Micrologus, 12 (2003), p. 407‑434 ; idem, « Esotericism, Marvels, and
the Medieval Aristotle », Il Segreto, Micrologus, 14 (2006), p. 171‑191.
7. Pour un commentaire de ces chapitres, voir N. Weill-Parot, Les images astrologiques, op.
cit., p. 326‑331.
Révélation hermétique et savoir occulte de l’Orient 61
8. Roger Bacon, Opus majus, éd. J. H. Bridges, The Opus maius of Roger Bacon, Oxford, t. 1 et
2, 1897, t. 3, 1900 ; J. Hackett, « Roger Bacon : His Life, Career and Works », « Roger Bacon
on scientia experimentalis », dans Roger Bacon and the Sciences, éd. J. Hackett, Leyde, 1997,
p. 9‑23, 277‑315 ; S. J. Williams, « Roger Bacon and His Edition of the Pseudo-Aristotelian
Secretum secretorum », Speculum, 69 (1994), p. 57‑73 et « Roger Bacon and the Secret of
Secrets », dans Roger Bacon and the Sciences, op. cit., p. 365‑393.
9. Cette tradition manuscrite a été étudiée avant tout par F. Wurms, Studien zu den deutschen
und den lateinischen Prosafassungen des pseudo-aristotelischen Secretum secretorum, Hambourg,
1970.
62 Catherine Gaullier-Bougassas
nouvelle édition latine du Secretum secretorum des chapitres sur les propriétés
magiques des pierres14.
Si nous revenons au texte de Philippe de Tripoli édité par R. Möller,
les chapitres sur les sciences occultes énumérés plus haut relient bel et bien
l’œuvre aux livres de secrets et aux textes hermétiques qui circulaient au xiiie
siècle, et ils s’inscrivent dans la continuité de plusieurs affirmations de son
ouverture, sur lesquelles nous allons bientôt revenir. Mais on relève aussi qu’ils
n’ont pas l’importance que plusieurs des prologues permettaient d’envisa-
ger et que le savoir exotérique sur l’art de gouverner apparaît prépondérant.
Autrement dit, le statut de miroir du prince, déjà majeur dans le traité arabe,
semble encore davantage prévaloir.
Cette importance du discours politique serait-elle une explication de la
résistance aux savoirs occultes qui voit aussi le jour dans la réception du texte
en langue française ? L’examen de la dizaine de traductions-adaptations en
langue française15 montre de fait que le transfert linguistique s’accompagne
la plupart du temps d’une déperdition du contenu hermétique. Si la tradition
manuscrite latine trahit l’hésitation entre ce double statut, miroir du prince
et livre scientifique de secrets, la majorité des textes français optent pour le
traité politique et ne contiennent aucun savoir sur les propriétés cachées des
planètes, des pierres et des herbes ni les secrets de l’œuf des philosophes et de
la gloria inestimabilis. Néanmoins, trois d’entre eux, qui sont encore inédits
et n’ont pas été étudiés, constituent des exceptions notables, car leurs auteurs
traduisent les chapitres sur les sciences occultes. Plusieurs autres, quoique dé-
pourvus de ces derniers, invitent aussi le lecteur à s’interroger sur le statut de
livre de secrets que l’œuvre pourrait détenir, ou plutôt avoir détenu et perdu,
en apportant des éclairages différents. D’une part, l’adaptation que réalisent
Jofroi de Waterford et Servais Copale au xiiie siècle est pour nous très inté-
ressante puisque le clerc dominicain récuse explicitement le contenu ésoté-
rique en affirmant qu’il a été faussement introduit par la traduction arabe et
il exprime son refus de le traduire, en se fixant pour mission de retrouver le
14. Alessandro Achillini, Secreta secretorum Aristotelis, Lyon, 1528, f. xxvii-xxix, disponible
sur e-rara.ch : http://dx.doi.org/10.3931/e-rara-4319 ; consulté le 2 mai 2014.
15. Nous ne les présenterons pas toutes ici. Voir à ce sujet J. Monfrin, « La place du Secret
des secrets dans la littérature française médiévale », dans Pseudo-Aristotle, The Secret of Secrets.
Sources and Influences, éd. W. F. Ryan et C. B. Schmitt, Londres, 1982, p. 73‑113, puis I. Zamuner,
« La tradizione romanza del Secretum secretorum pseudo-aristotelico. Regesto delle versioni
e dei manoscritti », Studi Medievali, 46/1 (2005), p. 31‑116 et ses notices dans Translations
médiévales. Cinq siècles de traductions en français du Moyen Âge (xie-xve siècles), t. 2/2, Étude et
répertoire, éd. C. Galderisi, Turnhout, 2011, p. 1251‑60.
64 Catherine Gaullier-Bougassas
texte grec. D’autre part, les deux traductions de la fin du xive siècle et du
xve siècle, les plus diffusées, traditionnellement appelées versions ou textes
B et C, montrent une relative fidélité à l’ouverture latine et à ses prologues
successifs, mais déçoivent absolument toutes les attentes qu’elles ont nourries
sur la découverte de secrets.
Dans cet article, nous laisserons ainsi de côté les adaptations françaises très
abrégées du Secretum secretorum et nous prendrons comme corpus d’étude les
sept ouvrages suivants :
– deux textes du xiiie siècle qui, transmis chacun par un seul manus-
crit, substituent leurs propres prologues et épilogues aux prologues du
texte latin, pour ensuite ignorer les sciences occultes : le texte de Jofroi
de Waterford et de Servais Copale16 et celui de Pierre d’Abernun, ce
dernier reconnaissant qu’il dispose d’un exemplaire latin très incom-
plet, tandis que Jofroi de Waterford revendique un travail conscient de
correction17.
– les trois adaptations, encore inédites, qui traduisent la totalité ou
l’essentiel des chapitres de Philippe de Tripoli sur les sciences occultes
tels qu’ils sont édités par R. Möller. La première d’entre elles, com-
plète et fidèle, écrite dans le français de l’Angleterre au xiiie siècle,
est conservée en entier dans le seul manuscrit de Paris, BnF, fr. 571.
La deuxième et la troisième ont été réalisées au xive siècle : la deu-
xième est conservée dans quatre manuscrits – galerie Les Enluminures
(juin 2014), olim Amsterdam, Bibliotheca Philosophica Hermetica,
67, daté de 1300‑1320 ; Paris, BnF, Arsenal, 2872 (1350‑1400) ; Paris,
BnF, fr. 1088 (xve siècle) et Lyon, Bibliothèque municipale, 864 (xve
siècle) – et la troisième dans un seul manuscrit, Paris, BnF, fr. 24432
(xive siècle). Nous avons étudié la deuxième essentiellement à partir
du ms. de Paris, BnF, Arsenal, 2872, avant de découvrir récemment le
manuscrit naguère conservé à Amsterdam et maintenant possédé par la
16. Le texte est conservé dans un seul manuscrit, celui de Paris, BnF, fr. 1822, fol. 84 r-143 v
et fol. 248 v-249 v (premier prologue) et il n’est que partiellement édité : éd. Y. Schauwecker,
Die Diätetik nach dem Secretum secretorum in der Version von Jofroi de Waterford, Teiledition
und lexikalische Untersuchung, Wurzbourg, 2007 (fol. 100 v-132 r, régime de santé) ; L. Jordan,
« Physiognomische Abhandlungen. Die Theorie der Physiognomik im Mittelalter »,
Romanische Forschungen, 29 (1911), p. 690‑705 (fol. 137 r-142 r, physiognomonie) ; A. Henry,
« Un texte œnologique de Jofroi de Waterford et Servais Copale », Romania, 107 (1986),
p. 1‑37 (fol. 110 v-114 r) ; T. Hunt, « A New Fragment of Jofroi de Waterford’s Segré de segrez »,
Romania, 118 (2000), p. 289‑314.
17. Éd. O. Beckerlegge, Le Secré des secrez by Pierre d’Abernun, Oxford, 1944.
Révélation hermétique et savoir occulte de l’Orient 65
galerie Les Enluminures (Paris, New York et Chicago). Les études sur
le Secret des secrets ne répertorient pas ce dernier manuscrit, que nous
avons identifié comme un exemplaire de la même traduction-adapta-
tion que celle du manuscrit de l’Arsenal, 2872.
– les deux traductions à succès de la fin du Moyen Âge, les textes B et C18,
dont nous gardons respectivement onze et vingt-trois manuscrits.
À la différence d’autres adaptations en langue vernaculaire du Secretum secre-
torum (notamment néerlandaise, hispaniques, allemandes et anglaises), nous
ne disposons d’aucune information précise sur les mécènes de ces différents
auteurs qui écrivent en langue française. Jusqu’à présent la critique estimait
que l’adaptation du xive siècle conservée dans quatre manuscrits dont celui de
Paris, BnF, Arsenal, 2872 avait été réalisée pour le roi français Charles V, bien
connu pour son goût pour les sciences et surtout l’astrologie, mais l’examen du
manuscrit de la galerie Les Enluminures, où nous avons découvert un témoin
de cette traduction-adaptation, rend caduque cette attribution, puisque ce
manuscrit date des années 1300‑132019.
Après une analyse des quatre pièces latines d’ouverture du Secretum secre-
torum de Philippe de Tripoli, nous nous proposons, pour chacun de ces textes
français, d’étudier conjointement la réécriture des prologues et le traitement
des chapitres sur les sciences occultes, afin d’analyser les différentes transfor-
mations qui sont apportées tant au statut de l’œuvre fixé par son ouverture
qu’à son contenu ésotérique, avec, dans plusieurs cas, l’absence ou le refus
de cet héritage hermétique. Cette première étape nous permettra d’exami-
ner dans quelle mesure ces modifications peuvent être rapportées à l’idéal du
pouvoir royal promu par les textes et, implicitement, à des préoccupations
politiques du temps de leur écriture : nous pensons ici au modèle du roi lettré
et savant, à la réflexion sur l’affermissement du pouvoir royal ou au contraire
sur sa limitation nécessaire, ainsi qu’au statut des conseillers royaux dans l’ad-
ministration à la fin du Moyen Âge. Enfin, la vulgarisation du texte en langue
18. Secret des secrets français, version dite B, transcription de D. Lorée, dans idem, Édition
commentée du Secret des secrets du Pseudo-Aristote, thèse de l’Université de Rennes, 2012, t. 2,
p. 113‑158 ; Secret des secrets français, version dite C, éd. D. Lorée, Édition commentée du Secret
des secrets du Pseudo-Aristote, thèse de l’Université de Rennes, 2012, 3 t., t. 1, p. 143‑349, à
paraître à Paris, chez Champion.
19. Son texte montre en outre des traits dialectaux du nord de la France. Nous remercions
Sandra Hindman de nous avoir autorisée à travailler sur ce manuscrit. À son sujet, voir les
notices de S. Gentile et C. Gilly, Marsilio Ficino e il ritorno di Ermete Trismegisto, Florence,
1999, p. 196‑200 et S. Hindman et A. Bergeron-Foote, Flowering of Medieval French Literature,
« Au parler que m’aprist ma mere », Londres, 2014, p. 65‑73.
66 Catherine Gaullier-Bougassas
vernaculaire suppose une transmission à un plus large public qui met a priori
en péril l’existence des secrets et pourrait imposer soit de les voiler et de les
occulter davantage, soit de les taire. Si l’écriture en latin induit de fait la sélec-
tion d’un lectorat initié à la culture savante, le choix de la langue comprise par
tous implique une réception plus diverse et incontrôlable, précisément celle
qu’Aristote, d’après les dires de son prologue, redoute, comme nous allons le
voir. Les auteurs évoquent-ils cette question dans leurs interventions et modi-
fient-ils ensuite l’écriture des chapitres sur les sciences occultes, quand ils les
traduisent, que ce soit pour éclairer ou pour obscurcir le sens ?
Un des premiers constats à la lecture des traductions-adaptations en langue
française du Secretum secretorum est que les plus grandes différences qui les
séparent touchent souvent aux prologues ainsi qu’aux chapitres sur les sciences
occultes. Ces sections du texte appartiennent à celles qui subissent les plus
substantielles modifications. Certes, il est souvent très difficile d’analyser avec
assurance ces dernières en termes d’intention de la part des auteurs, puisque
nous ne pouvons avoir de certitudes sur les exemplaires latins dont ils dispo-
saient et leur degré de complétude. Quelles que soient leur volonté et leur
responsabilité exactes dans la modification de leur source latine, nous privi-
légierons ainsi une analyse interne des textes, appréhendés chacun comme
une unité signifiante qui induit de fait des interprétations et des question-
nements particuliers, et nous étudierons leur traitement de la thématique
du secret, ses inflexions, son instrumentalisation ou son évanouissement. Et,
comme a nnoncé, nous chercherons à relier cette analyse au discours politique
de l’œuvre, et plus spécifiquement à deux de ses composantes essentielles :
d’une part le rôle du savoir dans l’action politique et l’étendue du pouvoir
qu’il donne au roi, d’autre part la relation du souverain avec son conseiller –
son maître ou son serviteur ? –, que ce dernier soit philosophe, prophète ou
détenteur d’un savoir scientifique accessible à tous, qu’il lui transmette des
secrets qui lui viennent de Dieu et/ou des connaissances pleinement ration-
nelles, qu’il ait aussi ou seulement, en qualité de secrétaire, la mission bien
différente de mettre par écrit et de garder ses secrets de roi. Plusieurs des textes
français, dans leur dispositif d’ouverture, leur invention de nouveaux prolo-
gues ou l’ajout d’éléments, nous font entendre la voix propre de certains des
traducteurs, si peu nombreux soient-ils à s’exprimer en leur nom et plus encore
à mettre en avant leur choix de la langue française. Chacun d’entre eux se rêve-
t-il en nouvel Aristote, apte à communiquer au roi un savoir que ce dernier uti-
liserait comme instrument de pouvoir dans son affirmation d’une monarchie
de plus en plus absolue ? Ou bien se présentent-ils comme les détenteurs de
Révélation hermétique et savoir occulte de l’Orient 67
secrets fascinants, avant tout pour s’assurer un certain pouvoir sur la royauté
et travailler à leur propre promotion ?
L’analyse conjointe des réécritures des prologues et des sections sur les
savoirs occultes est d’autant plus intéressante qu’elle réserve quelques sur-
prises qui ne sont pas aisées à interpréter. On attendrait en effet que les textes
qui traduisent les chapitres ésotériques reprennent aussi avec fidélité les pro-
logues et leurs annonces des secrets, et inversement que ceux qui ignorent ces
chapitres suppriment ces mentions dans leur ouverture. C’est parfois le cas,
mais ce souci de cohérence, du moins ce qui nous apparaît comme tel, n’est
pas toujours attesté, si bien que certaines discordances suscitent l’interroga-
tion. Exception faite du texte anglo-normand du manuscrit de Paris, BnF,
fr. 571, les adaptations tardives B et C restent ainsi, contre toute attente, très
fidèles aux éléments ésotériques des prologues du Secretum secretorum, bien
qu’elles ne comportent ensuite aucun des chapitres sur les sciences occultes.
En revanche, les deux textes français du xive siècle, ceux transmis, entre autres,
par les manuscrits de Paris, BnF, Arsenal 2872 et BnF, fr. 24432, accordent
une place importante à l’astrologie, la magie et l’alchimie, tout en abrégeant
sensiblement les prologues.
20. Ce sont respectivement les pages 1‑2 (prologus), 14‑16 (ch. 1, De prohemio cuiusdam doctoris
in commendationem Aristotelis), 16‑18 (ch. 2, De prologo Johannis, qui transtulit istum librum),
18‑22 (ch. 3, De epistola Aristotelis missa ad petitionem Alexandri) de l’édition de R. Möller.
68 Catherine Gaullier-Bougassas
qui appellent deux réponses du philosophe et maître, séparées elles aussi par
un écart inattendu.
Philippe de Tripoli commence son prologue par l’éloge de son comman-
ditaire, l’évêque Gui de Valence, dont il vante entre autres la culture savante,
puis il évoque la découverte à Antioche de la « philosophie preciosissima
margarita » (« la perle des perles de la philosophie ») et sa traduction de
l’arabe en latin, selon une double pratique « ad litteram » et « ad sensum »,
en fonction des spécificités des deux langues latine et arabe. C’est lui, le clerc
latin, qui choisit d’introduire l’œuvre comme un texte philosophique et un
livre de secrets, non comme un miroir du prince. Quelle est en effet l’exi-
gence d’Alexandre selon lui ? Le roi demande à son ancien maître « ut ad
ipsum veniret, et secretum quarundam artium sibi fideliter revelaret vide-
licet motum, operacionem et potestatem astrorum in astronomia et artem
alconomicam21 et artem cognoscendi naturas et operandi incantaciones et
celimanciam et geomanciam » (p. 2, « de venir auprès de lui et de lui révéler
avec exactitude le secret de plusieurs sciences, le mouvement, l’activité et le
pouvoir des astres selon l’astronomie, la science de l’alchimie, la science de la
nature, celle des incantations, la célimancie et la géomancie »). Dans ce pro-
logue qu’il compose ex nihilo, Philippe de Tripoli met exclusivement l’accent
sur les sciences orientales, qu’il a peut-être lui-même découvertes à Antioche
et qu’il semble admirer, comme d’autres savants et traducteurs occidentaux
qui ont séjourné au Proche-Orient et notamment dans cette cité d’Antioche,
centre culturel important. À cet égard, le témoignage d’enthousiasme le plus
éclatant est sans doute celui d’Adélard de Bath au xiie siècle dans ses Questions
naturelles22. D’autre part remarquons que la seule langue « originale » du
texte qui soit mentionnée est l’arabe ; jamais il n’est question du grec dans ce
prologue, comme si Philippe de Tripoli donnait l’impression de savoir que le
texte, malgré la paternité invoquée d’Aristote, appartient à la culture arabe.
21. « Artem alkimie in natura », selon l’édition du texte de Roger Bacon (p. 26) et celle du
prologue de Philippe de Tripoli réalisée par S. J. Williams (avec une traduction anglaise, The
Secret of Secrets, op. cit., p. 359‑365, p. 361). Sur les termes geomancia et celimancia, voir aussi
S. J. Williams, ibidem, p. 169‑175.
22. C. Burnett, « Antioch as a Link between Arabic and Latin Culture in the Twelfth and
Thirteenth Centuries », dans Occident et Proche-Orient. Contacts scientifiques au temps des croi-
sades, éd. I. Draelants, A. Tihon et B. van den Abeele, Turnhout, 2000, p. 1‑63 et « Adelard of
Bath and the Arabs », dans Rencontres de cultures dans la philosophie médiévale, éd. J. Hamesse et
M. Fattori, Louvain, 1990, p. 89‑107 ; Questions naturelles, dans Adelard of Bath, Conversations
with his Nephew. On the Same and the Different, Questions on Natural Science, and On Birds,
éd. et trad. anglaise C. Burnett, Cambridge, 1998, p. 83, 91.
Révélation hermétique et savoir occulte de l’Orient 69
23. Dans les textes hermétiques arabes, Hermès et Esculape connaissent une même apothéose,
voir l’introduction, p. 9.
Révélation hermétique et savoir occulte de l’Orient 71
24. Une telle inversion des rôles avait été très finement imaginée par Alexandre de Paris dans
son Roman d’Alexandre (voir C. Gaullier-Bougassas, « Alexander and Aristotle in the French
Alexander Romances », dans The Medieval French Alexander, éd. D. Maddox et S. Sturm-
Maddox, New York, 2002, p. 57‑73).
72 Catherine Gaullier-Bougassas
qu’il ne peut pas changer l’air ou l’eau ni la disposition des cités, c’est-à-dire
qu’il ne détient aucun pouvoir surhumain :
Si potes mutare illius terre aerem et aquam insuper et dispositionem civi-
tatum, imple tuum inde propositum. Sin autem, dominare super eos cum
bonitate et exaudies eos cum benignitate. (p. 16)
[ Si tu peux modifier l’air et l’eau de leur pays, ainsi que l’organisation de
leurs cités, alors mets ton projet à exécution. Sinon, deviens leur maître
par la bonté et exauce leurs désirs avec générosité. ]
L’évocation d’une capacité à influer sur les éléments naturels et les organisa-
tions sociales devait alors immanquablement conduire un clerc de l’époque
à penser au savoir astrologique, magique ou alchimique. La réponse d’Aris-
tote est tellement surprenante dans un livre de secrets que Roger Bacon y
verra une incompréhension et une erreur des copistes, et qu’il affirmera qu’il
convient de comprendre un sens inverse, à savoir qu’Aristote annonce ici le
plus grand des secrets. Ainsi glose-t-il : « Hic tangit maximum secretum »
(éd. Steele, p. 38), en pensant sans doute au talisman d’Hermogène ou à
l’œuf des philosophes. Cette même glose dénonce les censures idiotes des
clercs :
Set qualiter deberent qualitates regionis immutari docent alibi in hoc libro.
Set asini respuunt propter magnitudinem sapiencie, et propter modum
loquendi, quia translator nomina aliqua ponit quibus utuntur magici, ut
prius in quaterno declaravi. Et multa exemplaria non habent illam doctrinam
quia stulti non voluerunt scribere, set abraserunt a libris suis, sicut exempla-
ria quatuor que nunc inveni Oxonie non habuerunt illa, nec similiter multa
alia, set Parisius habui exemplaria perfecta. (p. 39)
[ Mais comment les propriétés d’une région peuvent être transformées,
c’est enseigné dans un autre passage de ce livre. Mais les ânes le recrachent
en raison de la profondeur de cette sagesse et de certaines formes d’ex-
pression, car le traducteur a choisi plusieurs mots que les magiciens uti-
lisent, comme je l’ai évoqué dans le cahier de quatre pages. Beaucoup
d’exemplaires ne contiennent pas cette doctrine parce que des sots n’ont
pas voulu l’écrire, ils l’ont coupée de leurs livres, comme les quatre ma-
nuscrits que j’ai trouvés à Oxford et qui ne l’ont pas, mais à Paris j’ai eu
des manuscrits complets. ]
Son Opus majus évoque la possibilité qu’Aristote, dans le Secretum secretorum,
aurait offerte de modifier le comportement de populations entières et de les
rendre dociles (t. 1, p. 392‑393). La traduction de Philippe de Tripoli corres-
pond pourtant fidèlement au texte arabe, qui contient de ce fait, il est vrai, une
Révélation hermétique et savoir occulte de l’Orient 73
25. Sur l’importance de ce scénario dans les récits hermétiques grecs puis arabes, que des
traductions vont faire connaître à l’Occident, voir A. J. Festugière, La révélation d’Hermès
Trismégiste, t. 1, L’astrologie et les sciences occultes, Paris, 1981 (1ère édition, 1944), t. 1, ch. IX,
« Les fictions littéraires du logos de révélation », p. 309‑354 et surtout 319‑324 ; W. Eamon,
Science and the Secrets of Nature, op. cit., ch. 1 et 2.
74 Catherine Gaullier-Bougassas
26. Hugues de Santalla traduit dans la première moitié du xiie siècle le texte de Balinus, qui
daterait du viie siècle.
27. Trad. F. Hubry, dans l’introduction à son édition du texte d’Hughes de Santalla, De secre-
tis nature du pseudo-Apollonius de Tyane, traduction latine du Kitab sirr al haliqa, éd. F. Hudry,
Cinq traités alchimiques médiévaux, Chrysopoeia, 6 (1997‑1999), p. 10 (texte latin, p. 24).
28. Trad. A. J. Festugière, op. cit., 1981, p. 323, d’après le texte latin édité par L. Delatte, Textes
latins et vieux français relatifs aux Cyranides, Liège et Paris, 1942, p. 16‑17. La traduction latine
du traité a fait l’objet d’une traduction en langue française au xive siècle, dont on trouve
une copie (dépourvue néanmoins de l’ouverture en question) dans le manuscrit de Paris, BnF,
Arsenal, 2872. Ce manuscrit, nous le verrons, contient l’une des versions françaises du Secretum
qui accorde la plus grande importance au savoir occulte.
Révélation hermétique et savoir occulte de l’Orient 75
des voies qui nous échappent, du texte arabe du Sirr-al-asrar29. Ce court traité,
souvent copié dans les imprimés après le De alchimia attribué à Albert, évoque
des figures célestes et relate rapidement l’arrivée d’Alexandre dans le tombeau
d’Hermès30.
À supposer que l’auteur arabe du Sirr-al-asrar ait connu le Roman
d’Alexandre du Pseudo-Callisthène, puis Philippe de Tripoli l’Historia de pre-
liis, l’évocation de l’oracle du Soleil pouvait aussi rappeler l’une des aventures
les plus célèbres du conquérant : celle des arbres oraculaires du Soleil et de la
Lune31. C’est d’ailleurs Philippe de Tripoli qui choisit le terme oraculum pour
traduire un terme arabe qui, d’après la traduction anglaise dont nous dispo-
sons, signifie simplement « temple » et l’on sait que l’auteur de l’Historia de
preliis J1 a transformé l’épisode des arbres en lui ajoutant l’accès d’Alexandre à
une Domus Solis, la découverte d’un vieillard bienheureux et aussi du phénix,
bien que le roi n’apprenne toujours que les circonstances de sa mort, sans
bénéficier de la révélation de secrets qui, comme dans le Secretum secretorum,
lui donneraient un plus grand pouvoir.
La quatrième pièce d’ouverture, l’exorde d’Aristote à sa lettre adressée à
Alexandre, exprime justement le désir qu’a le roi de découvrir les plus grands
secrets, ce qui, dans la traduction latine, résonne comme un écho au prologue
de Philippe de Tripoli. Tout se passe comme si le philosophe répondait ici à la
29. Trad. anglaise dans l’édition Steele du texte de Roger Bacon, p. 260 pour l’entrée dans la
pyramide, p. 252‑260 sur les talismans ; M. Grignaschi, « La diffusion du Secretum secretorum
(Sirr-al-’asrâr) dans l’Europe occidentale », Archives d’histoire doctrinale et littéraire du Moyen
Âge, 47 (1980), p. 13.
30. Scriptum Alberti super arborem Aristotelis, dans Alchemiae, quam vocant, artisque metal-
licae, doctrina, certusque modus, scriptis tum novis, tum veteribus, duobus his voluminibus com-
prehensus, Guglielmo Grataroli, Bâle, 1572, p. 685‑686 (disponible sur le site de la Bibliothèque
électronique suisse, e-rara.ch : http://dx.doi.org/10.3931/e-rara-8791; consulté le 2 mai 2014) :
« Et ideo ille magnus Alexander imperator Philippi Macedonum imperatoris filius in itineri-
bus suis invenit eam in ultimis regionibus et ibi invenit sepulchrum Hermetis patris somnium
philosophorum, plenum omnibus thesauris non metallicis, sed literis aureis scriptis in tabula
Zaradi, quae quidem scriptura continetur in ultimis libris, quos Galenus composuit et invenit
quandam arborem sitam ab extra intus tenentem viriditatem gloriosam : super eam ciconia pul-
cherrima ibi sedebat, quasi se appellans circulum Lunarem, et ibi ipse aedificavit sedes aureas,
et posuit terminum itineribus suis idoneum. »
31. Il est néanmoins plus probable, selon nous, que l’influence se soit davantage exercée en
sens inverse, c’est-à-dire que ce soient les auteurs latins de l’Historia de preliis, et avant tout
celui de la J1, qui aient remodelé le récit de l’aventure en s’inspirant de scénarios de la littérature
hermétique. Voir à ce sujet nos analyses dans La fascination pour Alexandre le Grand dans les
littératures européennes (xe-xvie siècle). Réinventions d’un mythe, dir. C. Gaullier-Bougassas,
Turnhout, 2014, t. 3, p. 1458-62.
76 Catherine Gaullier-Bougassas
première demande du roi telle que Philippe de Tripoli l’a énoncée plus haut
(et non le traducteur arabe), et comme si la lettre précédente sur les Perses et
sur la peur de leur intelligence était alors oubliée. On en revient à la trans-
mission d’un savoir occulte apte à donner un pouvoir surhumain : Aristote
affirme qu’Alexandre a exigé un « archanum tale quod humana pectora vix
poterunt tollerare » (p. 18, « un secret si grand que les poitrines humaines
peuvent à peine le supporter ») et il accepte de lui répondre à condition qu’il
ne lui demande pas davantage que ce qu’il lui concède, ce qui laisse penser
qu’il fixe des limites au savoir communiqué. Mais, comme pour le masquer, il
insiste sur sa confiance dans les talents d’interprétation du roi qui pourra tout
comprendre grâce à l’intelligence dont Dieu l’a doté, et surtout il explique la
nécessité qui s’impose à lui de parler par énigmes :
Causa quedam subest, quare tibi figurative revelo secretum meum loquens
tecum exemplis enigmaticis atque figurativis, quia timeo nimis, ne liber iste
ad manus infidelium deveniat et ad potestatem arrogantium […]. (p. 20)
[ Il y a au fond une raison pour laquelle je te révèle mon secret sous une
forme figurée, en te parlant à travers des exemples énigmatiques et allé-
goriques : c’est que je redoute trop que ce livre ne tombe aux mains des
infidèles et aux mains des orgueilleux […]. ]
Or, au xiiie siècle, nous l’avons rappelé, de telles stratégies d’occultation du
sens marquent principalement les livres de secrets sur les propriétés occultes
de la nature et sur les talismans, ainsi que les ouvrages alchimiques. Pensons
notamment au De causa occultacionis secretorum per verba enigmatica de
Roger Bacon32. Lorsqu’il termine son exorde en évoquant les deux piliers de la
royauté que sont la force des sujets et leur obéissance, Aristote précise encore
que le second a deux causes, l’une extrinsecam et l’autre intrinsecam. La cause
« extrinsèque » (« du dehors, visible par tous ») est la justice qu’assure le
partage des richesses, tandis que « causa vero intrinseca est secretum antiquo-
rum philosophorum et justorum consilium quos gloriosus Deus preelegit et
eis suam scienciam commendavit » (p. 20‑22, « la cause cachée est le secret
des anciens philosophes et le conseil des justes que le dieu de gloire a préférés
et auxquels il a confié sa science »). Le questionnement sur l’obéissance des
peuples ressurgit soudainement et voilà bel et bien une réponse très différente
de la première, relative aux Perses. Aristote engage Alexandre à chercher ces
secrets dans les divers chapitres de sa lettre et à déchiffrer « significaciones
secretorum et enigmata exemplorum » (p. 22, « les significations des secrets
32. Voir B. Obrist, Les débuts de l’imagerie alchimique, op. cit., p. 48‑55.
Révélation hermétique et savoir occulte de l’Orient 77
33. Les variations introduites par les copies latines modifient souvent déjà cet équilibre.
78 Catherine Gaullier-Bougassas
34. Le nom de Servais Copale apparaît dans l’épilogue, qui rappelle les deux autres traductions
réalisées avec Jofroi de Waterford, celles des Breviarum historiae romanae d’Eutrope et du De
excidio Troiae de Darès (ms. de Paris, BnF, fr. 1822, fol. 143 v), copiées elles aussi dans le ms. de
Paris, BnF, fr. 1822.
Révélation hermétique et savoir occulte de l’Orient 79
éléments ésotériques des prologues latins ne passe dans cette première adap-
tation française du Secretum secretorum et qu’on est fondé à y voir un choix
délibéré, car il connaissait cette ouverture : les emprunts que nous venons
d’évoquer l’indiquent, ainsi que l’affirmation que sa source ne contient pas
tout ce qu’elle annonce (dans les prologues ou la table des matières, comme
on le suppose, v. 2238‑43).
À la fin du xiiie siècle, le dominicain Jofroi de Waterford, secondé par
Servais Copale, se livre à son tour à une adaptation du Secretum secretorum,
qu’il modifie profondément avec un travail de compilation, plus complexe
et plus divers, et aussi une pratique délibérée de la censure, qui touche direc-
tement aux sciences occultes de l’Orient. Si Pierre d’Abernun prévoyait de
compléter l’œuvre par un discours chrétien, Jofroi de Waterford christianise
de l’intérieur le contenu de l’enseignement du Secretum secretorum, en ampli-
fiant la traduction par des ajouts très substantiels qui donnent une profondeur
éthique et religieuse nouvelle : des exempla du Breviloquium de virtutibus anti-
quorum principum ac philosophorum du franciscain Jean de Galles, ajoutés aux
premiers chapitres, un long traité sur les quatre vertus cardinales, prudence,
force, tempérance et justice (fol. 89 v-100 v), inspiré avant tout du même
Breviloquium de Jean de Galles et de la Formula vitae honestae de Martin de
Braga35, puis un commentaire sur la prière comme remède, suivi d’exemples
de l’Antiquité (fol. 101 v-102 v).
Cette christianisation marque-t-elle aussi la réécriture de l’ouverture du
texte ? Comme avant lui Pierre d’Abernun, Jofroi de Waterford commence
par effacer entièrement le prologue de Philippe de Tripoli, pourtant adressé à
un évêque. Il élimine la figure du traducteur latin, pour prendre la parole à sa
place et évoquer sa propre traduction du latin au français, en s’adressant à un
mécène dont il ne révèle pas l’identité (fol. 248 v-249 r). Il cherche même à
s’imposer comme le seul traducteur digne de ce nom, puisqu’il n’inscrit pas
non plus de référence précise au traducteur arabe :
Et por ce moi priastes que cel livre ki fu translatei de griu en arabic et de
rechief de arabic en latin, vos translataisse de latin en franchois. Et je a vous
prieres al translater ai mise ma cure et avoiques le plus grant travail, k’en autres
hautes et parfondes estudes sui enbesoingniés. D’autre part savoir devez ke
les Arabiiens trop ont de paroles en corte veritei et les Grigois ont oscure
maniere de parler et il me convient de l’un et del autre langage translater et
35. Voir l’étude précise de J. Monfrin, « Sur les sources du Secret des secrets de Jofroi de
Waterford et Servais Copale », dans Mélanges de linguistique romane et de philologie médiévale
offerts à Maurice Delbouille, s. c., Gembloux, 1964, t. 2, p. 509‑530.
80 Catherine Gaullier-Bougassas
36. On trouve une évocation de la prolixité des auteurs arabes dans plusieurs prologues de
traducteurs latins, mais généralement sans condamnation (c’est le cas de Hermann de Carinthie
dans son introduction à la traduction de l’Introductorium maius d’Albumazar, voir R. Lemay,
« De la scolastique à l’histoire par le truchement de la philologie : itinéraire d’un médiéviste
entre Europe et Islam », dans La diffusione delle scienze islamiche nel Medio Evo europeo, éd.
B. M. Scarcia Amoretti, Rome, 1987, p. 477‑479).
82 Catherine Gaullier-Bougassas
37. Voir aussi ses interventions aux fol. 131 r et 132 r, et nos analyses dans la Fascination pour
Alexandre le Grand, op. cit., t. 1, p. 225‑228, 273‑276.
Révélation hermétique et savoir occulte de l’Orient 83
les clers qui bien entendent le latin38. » Puis il argumente en invoquant les
témoignages historiques sur les dures batailles qu’Alexandre a menées : aucun
historien n’a prétendu que ses ennemis fuyaient à sa vue parce qu’il aurait
possédé le talisman que décrit le texte latin (fol. 131 v-132 r). C’est sans doute
une référence au talisman d’Hermogène, qui inspire la peur aux ennemis, ce
qui suppose qu’il connaissait une version latine très complète du Secretum,
comme celle de Roger Bacon. On sait par ailleurs qu’aucune adaptation fran-
çaise du Secretum ne traduit les chapitres sur les talismans qui correspondent
aux chapitres 21‑23 du livre III de Roger Bacon. Jofroi de Waterford invoque
aussi l’autorité scientifique d’Aristote, qui n’aurait jamais pu écrire de telles
fictions (fol. 132 r).
Son œuvre n’atteste certes pas un rejet de toutes les sciences orientales,
car il accorde une très grande importance au régime de santé et à la physio-
gnomonie. Comme il l’explique, il recourt pour la section médicinale au De
dietis universalibus et particularibus d’Ishak ben Soleiman Israeli (fol. 143 v).
Cette traduction de l’œuvre arabe d’un savant juif de Kairouan fut enseignée
à l’Université durant tout le Moyen Âge, sans susciter de condamnations. La
greffe de plusieurs de ses chapitres s’interprète comme une correction impli-
cite du Secretum secretorum, puisqu’ils prennent la place de passages suppri-
més, sur la panacée et ses recettes, ainsi que sur la médecine astrologique. Son
regard critique apparaît aussi lorsqu’il adapte presque dans son intégralité la
Physiognomica du Pseudo-Aristote, à partir du texte latin de Barthélémy de
Messine, écrit en Italie à la cour de Manfred entre 1258 et 1266, si bien que
son texte contient deux sections sur la physiognomonie. Et là, il prend soin
d’indiquer que la Physiognomonie (de Barthélémy) qui aurait été traduite du
grec au latin, le texte original d’Aristote, serait plus juste que la seconde, tra-
duite de l’arabe au latin (fol. 137 r, 142 r).
Dans la polémique de Jofroi de Waterford et de Servais Copale contre les
traductions arabes et les sciences occultes, on est tenté d’entendre un écho des
condamnations parisiennes de la fin du xiiie siècle, avec les interdictions de
l’évêque de Paris Étienne Tempier en 1277, qui ont frappé de nombreux traités
d’astrologie, de magie et d’alchimie d’origine orientale39. À l’opposé même
de Roger Bacon, très singulier par sa défense des sciences de la nature dans
38. Paris, BnF, fr. 1822, fol. 131 v : « Mais, pour dire la vérité, tout ce qui est ici écrit sur les
pierres, les herbes et les arbres est faux et ressemble plus à des fables qu’à la vérité et au savoir.
Tous les clercs qui comprennent bien le latin le savent. »
39. La condamnation parisienne de 1277, éd. et trad. D. Piché, Paris, 1999, et, entre autres,
J.-P. Boudet, Entre science et nigromance, op. cit., p. 251‑258.
84 Catherine Gaullier-Bougassas
Le manuscrit de Paris, BnF, fr. 571, dont on sait qu’il a circulé en Grande-
Bretagne, nous offre une autre version vernaculaire du Secretum secretorum,
qui date elle aussi du xiiie siècle. Écrite dans le français de l’Angleterre, elle
est sans doute, parmi toutes les versions françaises, la traduction la plus
complète. On y voit la marque d’un authentique respect pour le texte latin,
que le traducteur cherche à restituer le plus précisément possible, car il fait
autorité à ses yeux, en tant que livre philosophique et scientifique. Dans ce
manuscrit recueil, le Secret des secrets est d’ailleurs précédé par l’un des textes
français les plus savants qui aient été écrits au xiiie siècle, directement en
langue vernaculaire, le Livre du Tresor de Brunetto Latini : cette encyclopédie
contient, entre autres, une première traduction française, certes partielle, de
l’Éthique à Nicomaque d’Aristote. On sait aussi que les traductions latines
de textes scientifiques arabes étaient très appréciées en Angleterre depuis
le règne d’Henri II, avec notamment les travaux d’Adélard de Bath, et que
l’intérêt pour les sciences orientales, l’astronomie, l’astrologie et la magie, y a
Révélation hermétique et savoir occulte de l’Orient 85
vu le jour précocément40. C’est sans doute aussi pour le roi anglais Henri III
ou son fils Édouard Ier que Roger Bacon réalise son édition glosée du Secretum
secretorum41.
Parmi tous les auteurs français, celui du Secret des secrets du ms. de Paris,
BnF, fr. 571, est ainsi le seul à démarquer très précisément les trois prologues
de Philippe de Tripoli et du savant arabe, puis l’exorde d’Aristote. La traduc-
tion française se veut un calque du latin le plus parfait possible, si bien que le
traducteur français masque entièrement son existence et n’évoque jamais son
travail. Autant Jofroi imposait sa présence et son regard critique, autant cet
anonyme se fait absent, inexistant. Le texte français conserve ainsi fidèlement
la dédicace de Philippe à son évêque, son commentaire sur sa double méthode
de traduction et, élément qui nous intéresse ici, la demande scientifique pré-
cise qu’Alexandre adresse à son maître, avec les noms des différentes sciences :
Leqel livre Aristotles le plus sage prince des philosophes fist a la reqeste
du roy Alisandre son deciple ki le reqist q’il venist a li e le secré d’uns artz
loialment lui demustrast : ce est a savoir l’oevre des movemenz e le pooir des
esteilles en astronomye et l’art d’alkime en nature e l’art d’esforcer natures
e celimancie et geomencie. Et il, ki aler n’i pout pur voillesce ne pur pesan-
tume de cors, tut eüst il enpensé les secrez des devant dites sentences en totes
manieres celer, a la volunté nepurkant ne a la requeste de si grant seignur
point n’osa ne ne devoit contredire. (fol. 124 r)
[ Ce livre, Aristote, le plus sage des philosophes, le composa à la requête
du roi Alexandre son disciple, qui lui demanda de venir auprès de lui et
de lui dévoiler en toute loyauté le secret de sciences : ce sont la science sur
les mouvements et les vertus des étoiles, en astronomie, et en matière de
philosophie naturelle, la science d’alchimie, l’art de maîtriser la nature,
la célimancie et la géomancie. Et lui que la vieillesse et la maladie empê-
chaient de voyager, en dépit de son intention de cacher absolument les
secrets des disciplines énumérées, il n’osa pas – et c’était son devoir –
s’opposer à la volonté et au désir d’un roi si puissant. ]
40. C. Burnett, The Introduction of Arabic Learning into England, Londres, 1997. Ce sont des
études en mathématiques, astronomie et astrologie, mais aussi en sciences naturelles et alchi-
mie, avec à ce dernier sujet la traduction en 1144 par Robert de Chester du De compositione
alchimie ou Liber Morieni (l’auteur Morienus enseignant à un roi, Chalid, le savoir d’Hermès)
et vers 1200, celle par Alfred de Sareshel du De congelatione et conglutinatione lapidum d’Avi-
cenne : il ajoute sa traduction de ce traité sur la formation des métaux à la traduction latine des
Météorologiques d’Aristote réalisée par Henri Aristippe et Gérard de Crémone.
41. S. J. Williams, « Roger Bacon and the Secret of Secrets », art. cit.
86 Catherine Gaullier-Bougassas
42. « Et covient qe vous eiez ovec vous cel estrument ke Temistius fist al oes d’host e est
estrument espoutable qi en mout des manieres s’espant, quant vous estovera vostre païs visiter
et vostre regne e assembler voz hauz homes et voz combatanz en meisme le jur ou plus tost ou
autre maniere come l’host avera mester. Li sons est oïz del estrument per seisante liwes. » (« Il
faut que vous ayez à votre disposition cet instrument que Thémistius inventa pour l’usage des
armées, c’est un instrument épouvantable qui s’emploie de toutes sortes de manières, quand
vous devrez visiter votre pays et votre royaume et assembler vos lieutenants et vos guerriers en
un jour ou moins ou comme il sera utile pour votre armée. Le son de cet instrument s’entend
à soixante lieues à la ronde. »)
88 Catherine Gaullier-Bougassas
43. Fol. 135 r : « la pierre animale, végétale et minérale qui n’est pas une pierre et n’a pas la
nature des pierres, mais qui ressemble d’une certaine manière aux pierres des montagnes de
minerais, de plantes et de bétail, et que l’on trouve dans chaque lieu, à chaque instant et en tout
homme, elle peut prendre toutes les couleurs et elle contient surtout tous les éléments. Elle est
appelé le petit monde et je vous la nommerai du nom que le peuple lui donne, avec le terme
d’‘œuf ’, c’est-à-dire ‘l’œuf des philosophes’. »
44. Sur les différentes interprétations de Roger Bacon et notamment cette dernière, d’après
la doctrine d’Avicenne de la séparation du sang en quatre humeurs dans le Canon, voir
W. R. Newman, « The Philosophers’ Egg : Theory and Practice in the Alchemy of Roger
Bacon », Le crisi dell » alchimia, Micrologus, 3 (1995), p. 75‑101 (notamment p. 91).
Révélation hermétique et savoir occulte de l’Orient 89
Des deux nouvelles adaptations réalisées au xive siècle, nous gardons deux
manuscrits qui ont appartenu à la bibliothèque de Charles V : les manus-
crits de Paris, BnF, Arsenal, 2872 et BnF, fr. 2443245. Ce sont des manuscrits
45. Comme nous l’avons déjà indiqué, l’adaptation du ms. BnF, fr. 24432 n’est transmise
par aucun autre manuscrit. Celle du ms. BnF, Arsenal, 2872, qu’on trouve dans le manuscrit
antérieur possédé par la galerie Les Enluminures en juin 2014, est aussi copiée dans deux autres
ms. postérieurs d’un siècle : celui de Paris, BnF, fr. 1088 et celui de Lyon, Bibliothèque muni-
cipale, 864. Des extraits de cette adaptation ont également été incorporés dans l’un des ms.
de l’Alexandre en prose du xiiie siècle (traditionnellement appelé Roman d’Alexandre en prose),
90 Catherine Gaullier-Bougassas
recueils, qui inscrivent le Secret des secrets dans deux environnements textuels
très différents, l’un de textes scientifiques (BnF, Arsenal, 2872), l’autre de
fabliaux et de dits à double orientation divertissante et didactique (morali-
satrice et religieuse, BnF, fr. 24432). La critique a émis jusqu’ici l’hypothèse
qu’elles auraient été commandées par Charles V, mais aucune preuve n’est
conservée. Bien plus, comme nous l’avons évoqué plus haut, notre récent exa-
men du manuscrit actuellement détenu par la galerie Les Enluminures (olim
Amsterdam, Bibliotheca Philosophica Hermetica, 67) et daté de 1300‑1320
a montré qu’il s’agit d’un témoin du même texte que celui du manuscrit de
Paris, BnF, Arsenal 2872 : la commande par Charles V est donc impossible.
La traduction-adaptation du Secretum que transmet le ms. de Paris, BnF,
fr. 24432 (fol. 57 r-84 r) offre un texte moins complet et moins savant que
celui de l’autre adaptation du xive siècle. Son principal intérêt ressortit à une
mise en valeur de quelques connaissances scientifiques, due principalement à
l’absence de très nombreuses sections, sur la médecine et la physiognomonie,
l’art de la guerre aussi46, absence sans doute imputable au manuscrit latin que
détenait l’auteur. Sur les sciences occultes ne sont finalement gardés, partiel-
lement, que les seuls chapitres 59 et 60 de l’édition Möller du Secretum secre-
torum. L’auteur transmet ainsi des développements sur l’alchimie, bien qu’il
réduise l’évocation de la Table d’Émeraude et supprime la recette de la fabri-
cation de l’œuf des philosophes qui la précède (fol. 73 r). Le chapitre 60 sur
les pierres précieuses (d’abord la rouge et la blanche) et sur les plantes est tra-
duit plus fidèlement et longuement (fol. 73 r-75 r). La panacée et ses recettes,
la médecine astrologique et le cor de Thémistius sont en revanche absents.
Quant à l’ouverture de l’œuvre, des quatre pièces latines est d’abord conservé
le prologue de Philippe de Tripoli, avec une mise en valeur du désir qu’exprime
Alexandre de « connoistre les secrés des .vii. ars ci comme le mouvement des
cieux et le cours des estoilles », l’astronomie, l’alchimie ou « art d’arque-
mie », les « enchantemens » et la « nigromance », la magie (fol. 57 v). La
traduction de ce passage et de ses termes scientifiques précis, suivie de celle
de l’exorde d’Aristote, de sa mention d’un grand secret, qu’il craint de voir
aux mains des « mesceans » (fol. 58 v, « mauvais ») et des deux ressorts de
l’obéissance des sujets, la cause « aperte » (fol. 59 r, « connue de tous ») et
la cause « soutine » (fol. 59 r, « cachée »), annonce bien l’intérêt pour les
sciences occultes que l’on constate plus loin, même si l’éloge d’Aristote et
le ms. de Stockholm, Kungliga Biblioteket, Vu. 20. La section de physiognomonie est aussi
conservée dans le ms. de Paris, BnF, fr. 1201.
46. Voir J. Monfrin, « La place du Secret des secrets », art. cit., p. 82‑83.
Révélation hermétique et savoir occulte de l’Orient 91
l’échange de lettres au sujet des Perses entre le maître et l’élève sont eux aussi
conservés. Néanmoins, en dépit de cette connaissance de l’ouverture latine
et de l’importance accordée au secret, le récit sur l’invention du livre dans le
temple du Soleil et sa traduction arabe n’apparaît pas.
On remarque la même absence de ce scénario d’inspiration hermétique
dans l’autre texte du xive siècle, pourtant plus complet et plus savant, qui oc-
cupe l’intégralité du manuscrit Les Enluminures (fol. 1‑66 v) et qui est copié
aux folios 310 r-341 r du manuscrit de Paris, BnF, Arsenal 2872. Ce dernier est
un gros recueil qui a appartenu à la bibliothèque de Charles V et qui réunit des
traductions en langue française de traités savants sur les sciences de la nature47.
Il s’agit d’un ensemble très riche et cohérent, exclusivement consacré à la phi-
losophie naturelle et aux sciences occultes, qui montre combien le Secret des
secrets est alors lu comme un texte scientifique. Il n’en reste pas moins que,
à la cour royale française, toutes les connaissances scientifiques, comme les
autres savoirs d’ailleurs, étaient appréhendées pour leur utilitas, comme des
instruments du pouvoir. C’est évident pour l’astrologie et le témoignage du
Secretum secretorum confortait cette conviction, même si cette adaptation n’a
pas pu être commandée par Charles V puisque le manuscrit de la galerie Les
Enluminures date du tout début du xive siècle. On connaît bien la fascination
de Charles V pour l’astrologie et pour les sciences, ainsi que l’importance du
programme de traductions en langue française d’ouvrages savants qu’il a mis
en œuvre48. L’un des grands savants qui l’entoure, Nicole Oresme, traduit
ainsi pour la première fois en langue française les principaux traités d’Aristote
et célèbre la volonté qui anime Charles V de « baillier en françois les arts et
les sciences » (« donner en langue française les savoirs et les sciences »), dans
49. Éd. A. D. Menut, Le Livre de ethique d’Aristote, New York, 1940, p. 101.
50. Livre de divination, éd. S. Lefèvre et trad. italienne S. Rapisarda, Contro la divinazione.
Consigli antiastrologici al re di Francia (1356), Rome, 2009, ch. 14, p. 164.
Révélation hermétique et savoir occulte de l’Orient 93
Classical Tradition, éd. C. Burnett et W. F. Ryan, Londres et Turin, 2006, p. 99‑118, et notam-
ment p. 102 pour l’attribution à Frédéric II.
52. La traduction française de ce traité est conservée dans un second manuscrit, le manuscrit
de Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, 10319. Le frontispice du folio 3 représente le
dauphin débattant avec les neuf juges et en premier lieu Aristote, le seul identifié (C. Richter
Sherman, Imaging Aristotle, op. cit., p. 17).
Révélation hermétique et savoir occulte de l’Orient 95
53. Fol. 8 v : « Qu’ils écoutent donc les rois, les princes et les hommes puissants, et qu’ils
entendent comment Aristote admoneste son disciple : ‘Favorise l’élévation de ceux qui étudient
bien et progressent dans les sciences et récompense-les ainsi pour leur valeur, et donne aux
autres l’exemple et la matière de se consacrer à l’étude.’ »
54. Fol. 7 v : « […] on trouve qu’Aristote écrivit à Alexandre, dans le Livre du gouvernement
des princes, de tuer les habitants d’une région qui lui était rebelle ou bien de transformer leur
région grâce aux ressources de la science, si bien que, de même que l’air serait changé, de même
les habitants seraient métamorphosés. »
96 Catherine Gaullier-Bougassas
l’avait lui aussi compris. Enfin, le Traité de Roussinus évoque le Secret des secrets
à propos de l’alchimie et de la fabrication de la pierre philosophale ou œuf
des philosophes, et au cœur d’un développement sur l’obscurité nécessaire des
textes alchimiques (fol. 451 r et v).
La constitution du recueil montre ainsi clairement que le Secret des secrets
est lu comme un texte scientifique et copié pour les connaissances occultes
qu’il contient, sans que sa valeur politique en soit pour autant invalidée,
puisque le savoir secret a pour raison d’être de servir le pouvoir royal, comme
l’affirment de nombreux prologues. Dans un recueil dédié aux sciences, avec
une telle valorisation d’Aristote comme astrologue et alchimiste et un si grand
nombre de traités alchimiques réunis, il n’est pas étonnant qu’on découvre
une version française du Secret des secrets qui traduit fidèlement les sections
que le Secretum secretorum consacre aux sciences occultes.
On lit ainsi les développements sur la panacée – appelée « Gloire »
ou « Tresor des philosophes » et attribuée à Hermès – et ses recettes
(fol. 324 r-326 r), puis sur l’alchimie et les propriétés occultes des pierres et des
herbes (fol. 328 v-331 r). Ces deux sections sont ici séparées par les chapitres sur
la physiognomonie (fol. 326 v-328 v), conformément à l’ordre du traité arabe,
qu’avait modifié Philippe de Tripoli en plaçant la physiognomonie à la fin du
texte. Pour la première fois aussi en langue française, l’auteur d’un Secret des
secrets français amplifie le texte du Secretum secretorum par de nouveaux cha-
pitres sur les vertus occultes d’éléments naturels, en l’occurrence des plantes.
Il greffe en effet55, juste après le chapitre 60 du Secretum secretorum, une ver-
sion française du Traité sur les sept herbes, que le Moyen Âge, sous sa version
latine De septem herbis, a attribué tantôt à Albert le Grand et parfois inclus à
son Livre des secrets56, tantôt à Alexandre lui-même : les propriétés occultes
de sept plantes astrologiques sont détaillées en relation avec les planètes qui
les gouvernent (fol. 331 r-332 r). Plus loin le cor de Thémistius est brièvement
évoqué, sans être désigné comme tel (fol. 338 v).
Si nous revenons au développement sur l’œuf des philosophes ou pierre
philosophale et sur les aphorismes d’Hermogène-Hermès – la Table d’Éme-
raude – qui l’accompagnent, nous constatons que le traducteur le rapporte
tout aussi précisément que l’auteur du texte du manuscrit de Paris, BnF, fr.
55. Peut-être en suivant son exemplaire latin, puisque plusieurs manuscrits du Secretum
contiennent ce traité latin (voir F. Wurms, op. cit., n° 173 et 180).
56. Albert le Grand (Pseudo-), Le Liber de virtutibus herbarum, lapidum et animalium (Liber
aggregationis). Un texte à succès attribué à Albert le Grand, éd. et trad. française I. Draelants,
Florence, 2007, p. 9, 70.
Révélation hermétique et savoir occulte de l’Orient 97
57. Fol. 451 r, « très obscures, car dans ces livres ils tiennent un double discours, un vrai et un
faux, les deux entremêlés, le bon avec le faux, afin que les sots et les ignorants ne puissent pas
voir clairement cette noble œuvre de la nature, qui est trésor des trésors, richesse des richesses,
et santé des infirmes et des malades, car cette noble pierre guérit toutes les maladies et que nul
homme n’est en mesure de compre