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TRAJECTOIRES EUROPÉENNES DU

SECRETUM SECRETORUM DU PSEUDO-ARISTOTE


(xiiiE-xviE SIÈCLE)
ALEXANDER REDIVIVUS

Collection dirigée par


Catherine Gaullier-Bougassas
Margaret Bridges
Corinne Jouanno
Jean-Yves Tilliette
Trajectoires européennes du
Secretum secretorum du Pseudo‑Aristote
(xiiie-xvie siècle)

Sous la direction de
Catherine Gaullier-Bougassas,
Margaret Bridges et Jean-Yves Tilliette

F
Cet ouvrage a bénéficié d’une aide de l’Agence Nationale de la Recherche
portant la référence ANR-O9-BLANC-0307‑01 et s’inscrit à l’intérieur du
programme de recherches sur la création d’un mythe d’Alexandre le Grand
dans les littératures européennes que Catherine Gaullier-Bougassas, profes-
seur à l’Université de Lille 3 et membre de l’Institut universitaire de France,
dirige et qui est hébergé à la MESHS –Maison européenne des Sciences de
l’Homme et de la Société (CPER 2009‑2010, ANR 2009‑2014).

© 2015, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium.

All rights reserved. No part of this publication may be reproduced stored in a retrieval
system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying,
recording, or otherwise, without the prior permission of the publisher.

ISBN 978‑2-503‑55415‑0
D/2015/0095/30

Printed in the EU on acid-free paper


Cheminements culturels et métamorphoses
d’un texte aussi célèbre qu’énigmatique

Au cours des dernières décennies du vingtième siècle, dans le contexte


d’une réévaluation de l’héritage philosophique, scientifique et littéraire de
l’Europe, les études et les réflexions sur le rôle de la culture et de la science
arabes se sont multipliées. De nombreux chercheurs ont dirigé notre regard
vers les centres où se sont tissés des liens intimes entre penseurs, écrivains et
traducteurs latins, arabes et juifs1, et ont étudié la transmission arabe du savoir
grec vers l’Occident médiéval ainsi que l’influence de la pensée philosophique
et scientifique arabe et aussi juive en Europe2, alors que d’autres se sont tour-
nés vers l’influence de la littérature arabe sur les littératures européennes pour
étudier la naissance de l’orientalisme littéraire européen3. Le Moyen Âge est

1. Nous pensons ici aux nombreuses études centrées sur al-Andalus ou sur la Sicile médiévale
et la cour de Frédéric II, mais aussi sur d’autres lieux plurilingues et multiculturels de réflexion
philosophique et théologique comme l’Angleterre ou la cité d’Antioche. Sur les traductions,
citons les nombreuses études de Marie-Thérèse d’Alverny, de Charles Burnett et de Roshdi
Rashed et, parmi elles, M.-T. d’Alverny, La transmission des textes philosophiques et scienti-
fiques au Moyen Âge, éd. C. Burnett, Aldershot, 1994 ; C. Burnett, The Introduction of Arabic
Learning into England, Londres, 1997, et les références à plusieurs de ses articles aux notes 2,
18, 23 et 31 ; R. Rashed, Histoire des sciences arabes, t. 1, Astronomie théorique et appliquée ; t. 2,
Mathématiques et physique ; t. 3, Technologie, alchimie et sciences de la vie, Paris, 1997. Voir aussi
les études et les documents iconographiques réunis dans Lumières de la sagesse. Écoles médié-
vales d’Orient et d’Occident, éd. E. Vallet, S. Aube et T. Kouamé, Paris, 2013 (ouvrage réalisé
à l’occasion de l’exposition présentée à l’Institut du monde arabe, Paris, de septembre 2013 à
janvier 2014). Sur les traductions du grec à l’arabe, nous renvoyons aux ouvrages de A. Badawi
et D. Gutas, cités plus loin à la note 15, ainsi qu’à la note 13, et à F. E. Peters, Aristoteles Arabus :
The Oriental Translations and Commentaries of the Aristotelian Corpus, Leyde, 1968.
2. A History of Twelfth-Century Western Philosophy, éd. P. Dronke, Cambridge, 1998 (1ère
édition, 1988), avec Jean Jolivet, « The Arabic Inheritance », p. 113‑148 et Charles Burnett,
« Scientific Speculations », p. 151‑176 ; A. de Libera, Penser au Moyen Âge, Paris, 1991 et idem,
La philosophie médiévale, Paris, 1993. Sur les traductions d’Aristote en latin, voir la base de
données Aristoteles Latinus Database - online (2014), Brepols. Les études sur les apports arabes
à la civilisation européenne ont suscité des controverses récentes, du moins en France : voir à
ce sujet Les Grecs, les Arabes et nous. Enquête sur l’islamophobie savante, éd. P. Büttgen, A. de
Libera, M. Rashed et I. Rosier-Catach, Paris, 2009.
3. Voir notamment D. Metlitzki, The Matter of Araby in Medieval England, New Haven,
1977  ; M.  Menocal, The Arabic Role in Medieval Literary History, Philadelphie, 1987  ;
D.  A.  Trotter, Medieval French Literature and the Crusades (1100‑1300), Genève, 1988  ;
Y. Foehr-Janssens, Le temps des fables. Le Roman des Sept Sages ou l’autre voie du roman, Paris,
1994 ; C. Gaullier-Bougassas, La tentation de l’Orient dans le roman médiéval. Sur l’imaginaire

Trajectoires européennes du Secretum secretorum du Pseudo-Aristote (xiiie-xvie siècle)


éd. Catherine Gaullier-Bougassas, Margaret Bridges et Jean-Yves Tilliette
Turnhout, 2015, (Alexander Redivivus, AR. 6) pp. 5-26
© F H G DOI 10.1484/M.AR.5.103383
6 C. Gaullier-Bougassas, M. Bridges et J.-Y. Tilliette

en effet l’une des périodes où les contacts intellectuels de l’Europe avec le


monde arabo-musulman ont été les plus intenses, particulièrement au cours
des xiie et xiiie siècles, avec le grand mouvement des traductions en latin de
textes arabes, scientifiques et philosophiques. Dans le même temps, durant
ces deux siècles, l’Occident médiéval se réapproprie l’héritage aristotélicien,
en grande partie à partir des traductions arabes, et de nombreux traités apo-
cryphes arabes attribués à Aristote sont aussi traduits en latin4. La traduc-
tion partielle par Jean de Séville du texte auquel ce volume est consacré fait
connaître à l’Occident médiéval latin l’un des premiers libri naturales attribué
au Stagirite.
De tous les textes faussement prêtés à Aristote, le Sirr-al-asrar5 [Secret des
secrets] est sans doute celui qui a connu le plus grand succès, tant en Orient
qu’en Occident, et durant des siècles. Le nombre de manuscrits arabes actuel-
lement répertoriés, une cinquantaine6, est certes bien moins important que

médiéval de l’Autre, Paris, 2003 ; R. R. Marsan, Itinéraire espagnol du conte médiéval, viiie-xve
siècle, Paris, 1974 ; J. Abu Haidar, Hispano-Arabic Literature and the Early Provençal Lyrics,
Londres, 2001 ; A. Galmés de Fuentes, Romania arábica : estudios de literatura comparada árabe
y romance, 2 t., Madrid, 1999 et 2000 ; idem, La épica románica y la tradición árabe, Madrid,
2002 ; D’Orient en Occident : les recueils de fables enchâssées avant les Mille et une nuits de
Galland (Barlaam et Josaphat, Calila et Dimna, Disciplina clericalis, Roman des sept sages), éd.
M. Uhlig et Y. Foehr-Janssens, Turnhout, 2014. Impossible pour nous de ne pas citer ici, hors
du champ des études médiévales, Edward Said, précurseur de la critique dite postcoloniale, qui
publia son Orientalism en 1978.
4. Un répertoire d’œuvres médiévales faussement attribuées au Stagirite, souvent d’origine
arabe, a été publié par C. B. Schmitt et D. Knox, dans Pseudo-Aristoteles Latinus. A Guide to
Latin Works Falsely Attributed to Aristotle Before 1500, Londres, 1985. Il mentionne une cen-
taine de textes ; celui qui a connu la diffusion la plus large et la plus complexe est de très loin le
Secretum secretorum (ibidem, p. 54‑75).
5. Nous adoptons pour les analyses de ce volume des translittérations simplifiées de l’arabe.
6. Sur les manuscrits arabes, voir la seule édition du texte, sous sa version longue, qui existe
et qui a été réalisée par A. Badawi, Fontes graecae doctrinarum politicarum islamicarum, Pars
Prima, Al-Usul al-yunaniya li-n-nazariyat as-siyasiya fi l-Islam, Le Caire, 1954, et les études et
listes de M. A. Manzalaoui et M. Grignaschi dans respectivement « The Pseudo-Aristotelian
Kitāb Sirr al-asrār. Facts and Problems », Oriens, 24/4 (1974), p. 147‑257 et « L’origine et les
métamorphoses du Sirr-al-’asrâr », Archives d’histoire doctrinale et littéraire du Moyen Âge, 43
(1976), p. 7‑112. Après de premières études au xixe siècle par R. Foerster et M. Steinschneider, le
texte arabe a en effet dû attendre A. Badawi pour bénéficier d’une édition en 1954. Auparavant
il a pu être connu par la traduction anglaise de I. Ali dans l’édition glosée de la traduction latine
de Philippe de Tripoli par Roger Bacon : Secretum secretorum cum glossis et notulis, éd. R. Steele,
Opera hactenus inedita Rogeri Baconi, Oxford, 1920, t. 5, p. 176‑266. L’édition de A. Badawi a
relancé la recherche avec les études de M. A. Manzalaoui et M. Grignaschi. Au-delà de leurs
deux articles déjà signalés, mentionnons, parmi d’autres, M. A. Manzalaoui, « The Secreta
 un texte aussi célèbre qu’énigmatique 7

celui des manuscrits de ses traductions en latin et dans les langues vernacu-
laires européennes, ce qui laisse penser à une diffusion moins large dans le
monde musulman. C’est néanmoins difficile à apprécier, car les nombreuses
et précises citations ou réemplois du Sirr-al-asrar dans des œuvres arabes
savantes et souvent très célèbres, ainsi que ses traductions en perse et en turc,
invitent à nuancer l’impression que peut donner ce chiffre par ailleurs sans
doute incertain. À l’encontre de l’affirmation de Philippe de Tripoli, dans le
prologue de sa traduction en latin, selon laquelle le texte était peu répandu
chez les Arabes, l’un des témoignages peut-être les plus éclatants nous est
apporté par le prestigieux historien Ibn Khaldun (né en 1332 à Tunis, mort
au Caire en 1406), qui, dans les prolégomènes à son histoire universelle, écrit
que le Sirr-al-asrar était très connu et très lu à son époque, bien que lui-même
émette des doutes sur l’authenticité de son attribution à Aristote7. La multi-
plicité des références au texte dans de nombreuses œuvres arabes et le contenu
divers des citations attestent aussi la pluralité des lectures dans le monde mu-
sulman, pluralité qu’encourage au reste l’hétérogénéité apparente des disci-
plines traitées, principalement la politique, la philosophie et une cosmogonie,
l’astronomie et l’astrologie, l’onomancie, la médecine, la physiognomonie, les
sciences occultes de la magie et de l’alchimie. Cette hétérogénéité résulte sans
doute de l’écriture du texte en plusieurs étapes et de sa progressive amplifica-
tion. Elle est aussi la conséquence probable de la théorie du pouvoir politique
qui semble avoir été d’emblée développée, avec, notamment sous l’influence
d’écrits hermétiques, l’instrumentalisation de nombreuses sciences au profit
du calife. Le double titre fréquent dans les manuscrits médiévaux est Kitab-
as-siyasah fi tadbiri-r-ri’asati-l-ma ruf bi-Sirri-l-asrar [Le Livre de la politique

secretorum. The Mediaeval European Version of Kitāb Sirr-ul-Asrār », dans Bulletin of the
Faculty of Arts, University of Alexandria, 15 (1961), p. 83‑107, M. Grignaschi, « La diffusion du
Secretum secretorum (Sirr-al-’asrâr) dans l’Europe occidentale », Archives d’histoire doctrinale
et littéraire du Moyen Âge, 47 (1980), p. 7‑70 et idem, « Remarques sur la formation et l’inter-
prétation du Sirr al-’asrār », dans Pseudo-Aristotle, The Secret of Secrets. Sources and Influences,
éd. W. F. Ryan et C. B. Schmitt, Londres, 1982, p. 3- 25. R. Forster consacre une centaine de
pages au texte arabe dans son ouvrage Das Geheimnis der Geheimnisse. Die arabischen und
deutschen Fassungen des pseudo-aristotelischen Sirr al-asrār /Secretum secretorum, Wiesbaden,
2006, p. 2‑112.
7. Sur ces citations et réemplois, et sur l’influence de l’œuvre dans le monde musulman, voir
en dernier ressort R. Forster, Das Geheimnis der Geheimnisse, op. cit., p. 30‑48, p. 37 sur Ibn
Khaldun. On se reportera aussi à M. A. Manzalaoui, « The Pseudo-Aristotelian Kitāb Sirr
al- asrār », art. cit., p. 238‑245.
8 C. Gaullier-Bougassas, M. Bridges et J.-Y. Tilliette

sur la manière de gouverner, connu sous le nom de Secret des secrets8]. Il met en
avant le statut de speculum regis, mais ce qui semble être originellement un
deuxième titre, Sirr-al-asrar, s’est imposé comme le titre majeur et de nom-
breuses preuves existent du grand intérêt porté aux sciences occultes, même
dans les manuscrits de la version courte du texte9. Ce dernier présente ainsi
un mélange, étrange à nos yeux modernes, de réflexions philosophiques, de
développements scientifiques, tantôt très obscurs tantôt très concrets, et de
conseils pratiques, pour une vision finalement très pragmatique du pouvoir,
dont la finalité essentielle est la recherche de la toute-puissance et de la gloire.
Que savons-nous au juste aujourd’hui de cette œuvre complexe, pour ne
pas dire « cosmopolite », qui, à travers ses traductions, a ensuite circulé en
Europe au moins jusqu’au xvie siècle dans les cours – papale, impériale, royales
et seigneuriales –, dans les universités et jusqu’aux foyers de la bourgeoisie
européenne, non seulement sous forme de traductions ou bien d’éditions nou-
velles en latin – Roger Bacon, Engelbert d’Admont – mais également en ins-
pirant des œuvres littéraires et parfois philosophiques telles que l’Alexander
d’Ulrich von Etzenbach dans la Bohême de la fin du xiiie siècle, la Confessio
amantis de John Gower ou le Regimen of Princes de Thomas Hoccleve dans
l’Angleterre du début du xve siècle, en suscitant encore au xvie siècle l’intérêt
de certains humanistes et leur réécriture latine de l’œuvre – nous pensons à
Alexandre Achillini –, et en contribuant de bien des façons à modifier l’image
que l’on se faisait de son destinataire intra-diégétique, Alexandre10 ?
Attribué à Aristote, tirant sans doute l’une de ses origines des lettres
du philosophe à Alexandre, grecques ou plus vraisemblablement arabes, et
s’appuyant dans ses premiers discours sur quelques emprunts à l’Éthique à
Nicomaque, le texte arabe se compose à partir d’une multiplicité d’influences
philosophiques et surtout il véhicule toute une pensée néo-platonicienne
fortement influencée par l’hermétisme hellénistique tel que se l’approprie
et le repense le monde arabe, directement ou indirectement, via la culture
perse11. Nous trouvons ainsi de forts échos du concept platonicien du roi-

8. Cité avec sa traduction d’après M. Grignaschi, « L’origine et les métamorphoses », art.


cit., p. 8.
9. Voir M. Grignaschi, « Remarques sur la formation », art. cit., p. 7.
10. C’est l’argument avancé ici par la contribution de S. J. Williams, dont l’étude sur le
Secretum secretorum, l’identité de ses traducteurs latins et les conditions de sa réception, sera
par ailleurs souvent citée dans ce livre.
11. Sur les échos de l’Éthique à Nicomaque, sur l’influence de la pensée néo-platonicienne et
notamment le concept du roi-philosophe, voir M. A. Manzalaoui, « The Pseudo-Aristotelian
Kitāb Sirr al-asrār », art. cit., p. 201‑202, 160‑162 et 196‑201.
 un texte aussi célèbre qu’énigmatique 9

philosophe, une évocation de l’âme universelle dans la section de cosmogonie,


un exposé sur les correspondances entre microcosme, macrocosme et corps
politique, sur les pouvoirs alchimiques, sur les influences occultes des éléments
naturels et l’art de les utiliser grâce aux talismans. La présentation d’Aristote
et de son apothéose dans le prologue évoque d’ailleurs précisément celles
d’Hermès et d’Esculape dans des traités hermétiques arabes. Des emprunts
importants à l’Encyclopédie des Frères de la Pureté ont renforcé cette influence
néo-platonicienne12.
Qu’en est-il maintenant des circonstances de l’écriture du texte ? La date
précise, le lieu et le nom de l’auteur nous échappent. Ce qui est certain, c’est
que le Sirr-al-asrar, sous une forme première, existait avant 941 (date du plus
ancien manuscrit conservé d’un fragment du texte), qu’une rédaction en huit
livres est évoquée très précisément dans un ouvrage du médecin de Cordoue
Ibn Gulgul en 987, et que nous conservons deux versions, l’une dite courte,
en huit ou sept livres, et l’autre longue en dix livres.
Le prologue l’attribue à Yahya ibn al-Bitriq, savant, probablement melkite,
qui vivait à Bagdad au temps du calife abbasside al-Mamun. Il appartenait au
groupe des traducteurs les plus célèbres du calife, et peut-être au cercle d’al-
Kindi13. Cette attribution du Sirr-al-asrar est actuellement presque unani-
mement remise en cause, de même que son statut de traduction, qui apparaît
comme une fiction puisque aucun texte grec équivalent n’existe ni ne semble
avoir existé. Le Sirr-al-asrar est bien une œuvre originale de la culture arabe,
écrite à partir d’influences tant grecques qu’arabes, perses et indiennes14. Mais
la mise en scène inventée par l’auteur ou les auteurs du prologue nous ren-
seigne sur le prestige philosophique qu’il(s) souhaite(nt) lui donner en l’im-
putant à Aristote et en la liant aussi à Hermès et Esculape, avant de conforter
cette stratégie de promotion en prétendant la traduction en arabe due à l’un

12. Sur le rapprochement d’Aristote avec Hermès et Esculape, M. A. Manzalaoui, ibidem,


p. 189‑191 et sur l’Encyclopédie des Frères de la Pureté, ibidem, p. 175‑176 et M. Grignaschi,
« L’origine et les métamorphoses », art. cit., p. 13‑27, 51. Les Frères de la Pureté, les Ikhwan
al-Safa, sont des représentants de l’ismaélisme, une branche majeure du chiisme, qui écrivirent,
sans doute dans la ville de Bassora (actuel Irak) et au xe siècle, leur Encyclopédie pour exposer la
doctrine ismaélienne, en cherchant à harmoniser le néo-platonisme et la révélation coranique
et à légitimer leurs imams.
13. Voir F. Micheau, « Yahya (ou Yuhanna) b. al-Bitrik », Encyclopédie de l’Islam. Nouvelle
édition, éd. P. J. Bearman, T. Bianquis, C. E. Bosworth, E. van Donzeil et W. P. Heinrichs,
Leyde, 2005, t. 11, p. 267‑268 ; G. Endress, « The Circle of al-Kindi. Early Arabic Translations
from the Greek and the Rise of Islamic Philosophy », dans The Ancient Tradition in Christian
and Islamic Hellenism, éd. G. Endress et R. Kruk, Leyde, 1997, p. 43‑76.
14. Voir M. A. Mazalaoui, « The Pseudo-Aristotelian Kitāb Sirr al-asrār », art. cit, passim.
10 C. Gaullier-Bougassas, M. Bridges et J.-Y. Tilliette

des plus grands savants de la cour abbasside. Le Sirr-al-asrar est ainsi intégré
au large mouvement des traductions en arabe de la science et de la philosophie
grecques qui voit le jour à Bagdad au ixe siècle dans un contexte politique
et culturel très ouvert à des influences multiples, tant celles de l’hellénisme
que celles du monde perse et de l’Inde15. Les ambitions savantes du calife al-
Mamun sont bien connues, notamment à travers le récit de son rêve, que rap-
porte le Firhist d’al-Nadim : ce dictionnaire bibliographique qui date de 987
environ, ne mentionne pas le Sirr-al-asrar, mais présente Yahya ibn al-Bitriq
parmi les traducteurs d’al-Mamun. Aristote serait apparu en songe au calife
pour lui demander de commander des traductions de ses traités en arabe.
Ce serait en réponse à cette vision qu’al-Mamun a alors envoyé en mission à
Constantinople de nombreux savants, dont Yahya ibn al-Bitriq, pour rappor-
ter des manuscrits et ensuite traduire les œuvres majeures de la pensée grecque.
Nous gardons de Yahya ibn al-Bitriq des traductions de plusieurs traités
d’Aristote, dont les Météorologiques, Du ciel et de la terre et le Livre des ani-
maux. Deux autres traducteurs très célèbres des œuvres d’Aristote, authen-
tiques ou apocryphes, sont les chrétiens nestoriens Hunayn ibn Ishaq et son
fils Ishaq ibn Hunayn. On attribue aussi à ces deux savants la traduction en
arabe de textes hermétiques supposés avoir été écrits par Aristote, exactement
comme on le fait pour Yahya ibn al-Bitriq et le Sirr-al-asrar16.
Si le ixe siècle est le grand moment de la translatio de la philosophie et de
la science grecques dans le monde arabo-musulman, qui va à son tour les trans-
mettre à l’Europe occidentale, il voit aussi se développer l’écriture de miroirs
du prince, souvent très influencés par les traditions perses, et de collections
de sentences de philosophes. Parmi ces dernières, il convient de citer celle de
l’auteur que nous venons d’évoquer, Hunayn ibn Ishaq, Kitab adab al-falasifa
ou Nawadir al-falasifa [Anecdotes de philosophes], car elle accorde une place
importante à Aristote et à Alexandre et sera traduite en castillan sous le titre
de Libro de los buenos proverbios au xiiie siècle, et influence auparavant, au xie
siècle, l’écrivain égyptien Mubassir ibn Fatik dans Mukhtar al-hikam wa-ma-
hasin al-kalim [Choix de maximes et de dits sages], texte à son tour transposé
en castillan dans les Bocados de oro, puis en latin et dans différentes langues
européennes. Ces deux œuvres reflètent la connaissance d’une version sans

15. A. Badawi, La transmission de la philosophie grecque au monde arabe, Paris, 1968, p. 75‑108
sur Aristote, et D.  Gutas, Greek Thought, Arabic Culture. The Graeco-Arabic Translation
Movement in Baghdad and Early ‘Abbasid Society (2nd-4th/8th-10th centuries), Londres et New
York, 1998, p. 75‑104 sur al-Mamun.
16. A. Badawi, ibidem, p. 99‑108.
 un texte aussi célèbre qu’énigmatique 11

doute syriaque du Roman d’Alexandre du Pseudo-Callisthène, qui donne par


ailleurs naissance à des adaptations arabes aux ixe et xe siècles17.
Enfin, ces deux siècles voient fleurir l’hermétisme arabe, avec la compo-
sition de nombreux livres de secrets dont certains portent également le titre
Sirr-al-asrar, notamment des textes alchimiques de Jabir ibn Hayyan18. Ce qui
est sans doute la première attestation de la Table d’Émeraude, cette collection
d’aphorismes attribués à Hermès en lien avec la réalisation du grand œuvre
alchimique, se lit dans le Sirr al-Khaliqa [Livre des secrets de la création] de
Balinus, le nom arabe du Pseudo-Apollonius de Tyane, composé à la fin du
viiie siècle ou au début du ixe siècle, c’est-à-dire à une date antérieure au Sirr-
al-asrar, qui contient lui aussi cette fameuse Table d’Émeraude. Du ixe siècle
date de même l’écriture de lettres hermétiques d’Aristote à Alexandre, toutes
consacrées aux talismans : le Dhakhirat al-Iskander [Trésor d’Alexandre] en
lien là encore avec la figure de Balinus et avec un prologue assez proche de
celui du Sirr-al-asrar, et trois autres lettres, Kitab al-Istamakhis [Le Livre sur
les natures du monde], Kitab al-Istamatis [Le Livre des forces spirituelles et de
leurs effets] et Kitab al-Malatis. Un De lapidibus et un De plantis sont aussi
composés et attribués à Aristote, et C. Burnett cite le Kitab al-Ustuwwatas, qui
est supposé avoir été traduit par Hunayn ibn Ishaq et dont la section sur les
talismans, imputée à Aristote, est très proche des chapitres du Sirr-al-asrar19.
Toutes ces parentés invitent à penser que l’influence hermétique est sans doute
très ancienne dans l’histoire de l’écriture du Sirr-al-asrar et qu’elle n’a donc
pas été uniquement ajoutée après coup, même si elle a vraisemblablement dû

17. On se reportera à F. Doufikar-Aerts, Alexander Magnus Arabicus. A Survey of the Alexander


Tradition Through Seven Centuries. From Pseudo-Callisthenes to Suri, Paris, Louvain et Walpole,
2010.
18. Voir M. A. Manzalaoui, « The Pseudo-Aristotelian Kitāb Sirr al-asrār », art. cit., p. 243.
Parmi les nombreuses études sur l’hermétisme arabe, voir J. Ruska, Tabula Smaragdina, ein
Beitrag zur Geschichte der hermetischen Literatur, Heidelberg, 1926 ; A. J. Festugière, La ré-
vélation d’Hermès Trismégiste, t. 1, L’astrologie et les sciences occultes, Paris, 1981 (1ère édition,
1944) ; M. Ullmann, Die Natur- und Geheimwissenschaften im Islam, Leyde, 1972 ; F. E. Peters,
Aristoteles Arabus : The Oriental Translations, op. cit., p. 55‑75 ; W. Eamon, Science and the Secrets
of Nature. Books of Secrets in Medieval and Early Modern Culture, Princeton, 1994 ; C. Burnett,
« Arabic, Greek, and Latin Works on Astrological Magic Attributed to Aristotle », dans idem,
Magic and Divination in the Middle Ages. Texts and Techniques in the Islamic and Christian
Worlds, Aldershot, 1996, III, p. 84‑96 (paru initialement dans Pseudo-Aristotle in the Middle
Ages. The Theology and Other Texts, éd. J. Kraye, W. F. Ryan et C. B. Schmitt, Londres, 1986,
p. 84‑96) ; K. van Bladel, The Arabic Hermes. From Pagan Sage to Prophet of Science, Oxford,
2009.
19. C. Burnett, ibidem, notamment p. 85, 88 et 89 note 45.
12 C. Gaullier-Bougassas, M. Bridges et J.-Y. Tilliette

se renforcer au fil de l’amplification du texte, car elle participe à l’idéologie


politique, en tant que composante essentielle pour l’exaltation de la recherche
de la toute-puissance.
Sans entrer ici dans le détail des différentes hypothèses sur les étapes de la
composition du Sirr-al-asrar, et sur les divergences entre M. A. Manzalaoui
et M. Grignaschi, notamment au sujet des rapports entre version courte et
version longue20, rappelons simplement que M. Grignaschi a établi que le
Sirr-al-asrar s’inspire pour une part d’un premier texte arabe écrit à l’époque
omeyyade, sans doute en Syrie, la as-Siyasat al-ammiyyah : attribué à Salim
Abu-l-Ala, le puissant secrétaire du calife Hisam b. Abdi-l-Malik, ou à l’un de
ses collaborateurs, ce speculum principis est une partie d’un recueil arabe de
lettres d’Aristote à Alexandre21. Mais le Sirr-al-asrar, sous sa première forme,
n’a vu le jour en tant que tel que plus tard, à l’époque abbasside et à Bagdad
(à moins que ce ne soit en Perse) dans la seconde moitié du xe siècle au plus
tard. Ce texte original, perdu, a ensuite donné naissance aux deux versions de
l’œuvre qui nous sont conservées, la version courte et la version longue. Il a
ainsi été réécrit et amplifié notamment avec les différents prologues et avec
des emprunts à l’Encyclopédie des Frères de la Pureté. La version courte date
probablement du xie siècle ou de la première moitié du xiie, la version longue
du xiie siècle.
Le Sirr-al-asrar est l’un des plus anciens miroirs du prince arabes et le seul
qui ait été traduit en latin puis dans les langues vernaculaires européennes.
C’est surtout sa version longue que l’Occident médiéval s’est appropriée. Sa
version courte, elle, a néanmoins suscité trois traductions directes de l’arabe :
en castillan – Poridat de las poridades –, en hébreu – Sod ha-sodot – et en
latin (traduction très partielle) – l’Epistola ad Alexandrum de dieta servanda
de Jean de Séville. Si le Poridat de las poridades ne semble pas avoir eu de pro-
longement, le texte hébreu a bénéficié à la fin du xve siècle ou au tout début
du xvie d’une traduction en russe, avant qu’en Italie, à Bologne en 1501, le
savant humaniste Alexandre Achillini n’annexe à sa nouvelle édition latine
son livre VIII, qu’il traduit en latin. Nous évoquerons plus loin les traductions

20. Voir à ce sujet M. Grignaschi, « L’origine et les métamorphoses », art. cit., p. 11‑27.
21. Au-delà des articles de M. Grignaschi déjà cités, voir ses études suivantes, « Les Rasa’il
Aristatalisa « ila-l-Iskandar de Salim Abu-l-Ala et l’activité culturelle à l’époque omayyade »,
dans Bulletin d’études orientales, 19 (1965‑1966), p. 7‑83, « Le roman épistolaire classique conser-
vé dans la version de Salim Abu-l-Ala », Le Muséon, 80 (1967), p. 211‑264, et « Un roman épis-
tolaire gréco-arabe : la correspondance entre Aristote et Alexandre », dans The Problematics
of Power. Eastern and Western Representations of Alexander the Great, éd.  M.  Bridges et
J. C. Bürgel, Berne, Berlin, Francfort, New York, Paris et Vienne, 1996, p. 109‑123.
 un texte aussi célèbre qu’énigmatique 13

vernaculaires de l’Epistola de Jean de Séville. Quant à la version longue du


Sirr-al-asrar, elle a été adaptée dans la majorité des langues vernaculaires euro-
péennes, mais jamais directement de l’arabe, toujours par l’intermédiaire de
la traduction latine de Philippe de Tripoli.
Le Sirr-al-asrar a donc fait l’objet de deux traductions latines, distantes
l’une de l’autre d’environ un siècle, et dues toutes deux à des savants dont
l’identité est difficile à cerner, Jean de Séville et Philippe de Tripoli. Il semble
néanmoins établi que l’activité du premier d’entre eux, Jean de Séville, auteur
d’une adaptation très partielle du traité pseudo-aristotélicien qui circule sous
le titre d’Epistula Aristotelis ad Alexandrum de regimine sanitatis (ou encore
Epistola ad Alexandrum de dieta servanda), est à associer à celle du groupe de
traducteurs de l’arabe au latin fort actifs au xiie siècle dans la capitale castillane
fraîchement reconquise, Tolède. L’appellation qui le désigne dans la majorité
des manuscrits, notamment le plus ancien22, Johannes Hispalensis – mais l’on
rencontre parfois le plus vague Johannes Hispanus – suggère qu’il s’agit pro-
bablement d’un mozarabe, chassé comme beaucoup de ses coreligionnaires du
sud de la péninsule par la conquête brutale d’al-Andalus par les Almoravides.
On peut même être un peu plus précis : la traduction latine du De differentia
spiritus et animae du philosophe et physicien Costa ben Luca de Baalbek, dé-
diée à l’archevêque Raymond de Tolède et réalisée dans les années 1130‑1140,
qui fait suite dans le manuscrit d’Édimbourg à la traduction abrégée du Secret
des secrets, est attribuée à un certain Johannes Hispalensis et Limiensis, « Jean
de Séville et de Lamia », cette dernière cité étant située sous l’autorité encore
assez incertaine des rois du Portugal. Or, l’epistula est précédée d’une lettre-
dédicace du traducteur à une reine d’Espagne (regina Hispaniarum) désignée
par l’initiale T., que certains manuscrits tardifs (de même que l’encyclopédiste
Thomas de Cantimpré dès les années 1230) glosent en Theresa. Il pourrait
s’agir – même si cette identification ne fait pas l’unanimité – de la fille du
roi Alphonse VI, qui étend son autorité sur le Portugal, et donc sur la ville
de Lamia, entre 1109 et 1120. Il vaut la peine de noter que « Jean de Séville et
de Lamia » se voit attribuer par les manuscrits la paternité d’une œuvre de
traducteur assez importante, appliquée essentiellement à des ouvrages d’astro-
logie (Albumazar, Introductorium maius, daté de 1133 ; Alfraganus, De scientia
astrorum, 1135 ; Omar, Liber universus ; Thebit ben Corat, De imaginibus ;

22. Edimbourg, National Library of Scotland, advocates 18.6.11, ca. 1150. Cf. M.-T. d’Alverny,
« Conclusion », dans Pseudo-Aristotle, The Secret of Secrets. Sources and Influences, op. cit.,
p. 132‑140.
14 C. Gaullier-Bougassas, M. Bridges et J.-Y. Tilliette

Mashallah ibn Athari, Lettre sur les éclipses et les conjonctions des planètes23).
Ce savant, dont le floruit est à situer dans le second quart du xiie siècle, serait
ainsi le premier représentant de la prétendue « école de Tolède24 », avant
Gérard de Crémone et Dominique Gundissalvi. Il ne faut pas le confondre
avec le philosophe juif Avendauth (Ibn Daoud), qui appartient à la génération
suivante, et à qui on l’a parfois à tort identifié25.
L’Epistula Aristotelis ad Alexandrum de regimine sanitatis, dont existent
actuellement trois éditions26, traduit une petite partie, guère plus de dix pour
cent, du Sirr-al-asrar – à savoir, comme son titre l’indique, le développement
consacré à la diététique, correspondant aux chapitres 29 à 49 de l’édition que
fit Reinhold Möller de la version de Philippe de Tripoli27. Il semble que Jean de
Séville ait connu les deux versions, brève et longue, du texte arabe, puisque, si le
corps du texte est traduit de la première, le prologue paraît quant à lui inspiré
de la seconde. Ce texte fort bref – un folio et demi ou deux dans les manuscrits
– a pour premier intérêt de témoigner d’une préoccupation très précoce pour
la philosophie naturelle d’Aristote : si la chronologie haute (ca. 1120) est bien à
retenir, ce serait même le tout premier ouvrage du Philosophe (ou attribué à lui)
relevant de la physique accessible en Occident. Aussi bien connaît-il, en dépit de

23. Voir C. Burnett, « Magister Iohannes Hispalensis et Limiensis and Qusta ibn Luqa’s De
differentia spiritus et animae : A Portuguese Contribution to the Arts Curriculum ? », dans
Quodlibetaria : Miscellanea studiorum in honorem Prof. J. M. da Cruz Pontes, Porto, 1995,
p. 221‑267. Pour le milieu dans lequel évoluait Jean, voir idem, « Magister Iohannes Hispanus :
Towards the Identity of a Toledan Translator », dans Comprendre et maîtriser la nature au
Moyen-Âge. Mélanges d’histoire des sciences offerts à Guy Beaujouan, Genève, 1994, p. 425‑436.
On consultera également avantageusement S. J. Williams qui résume les différentes tentatives
pour cerner l’identité du traducteur (The Secret of Secrets. The Scholarly Career of a Pseudo-
Aristotelian Text in the Latin Middle Ages, Ann Arbor, 2003, p. 31‑59).
24. Voir V. Rose, « Ueber die Medicina Plinii », Hermes, 8 (1874), p. 18‑66, dont les conclu-
sions sont à nuancer d’après D. Jacquart, « L’école des traducteurs », dans Tolède, xiie-xiiie.
Arabes, chrétiens et juifs, le savoir et la tolérance, éd. L. Cardaillac, Paris, 1991, p. 177‑191.
25. R. Lemay, « Dans l’Espagne du xiie siècle : les traductions de l’arabe au latin », Annales.
Economies, Sociétés, Civilisations, 18/4 (1963), p. 639‑665.
26. Il s’agit de H. Suchier, « Epistola Aristotelis ad Alexandrum cum Prologo Johannis
Hispanensis  », dans idem, Denkmäler provenzalischer Literatur und Sprache, Halle, 1883,
p.  473‑480 (notes aux p.  530‑531)  ; J.  Brinkmann, Die apokryphen Gesundheitsregeln des
Aristoteles für Alexander den Großen in der Übersetzung des Johann von Toledo, Leipzig, 1914,
p. 39‑46 ; L. Spetia, « Un nuovo frammento dell’Epistola Aristotelis ad Alexandrum », Studi
Medievali, s. 3, 35/1 (1994), p. 405‑434.
27. Dans R.  Möller, éd., Hiltgart von Hürnheim. Mittelhochdeutsche Prosaübersetzung
des Secretum secretorum, Berlin, 1963 (les pages paires, faisant face au texte allemand de
« Hiltgart » sur les pages impaires).
 un texte aussi célèbre qu’énigmatique 15

son caractère très fragmentaire, un succès considérable. On en a conservé plus


de 150 manuscrits. Il est reçu dans ce qui est alors le centre des études médicales
dans l’Europe latine, l’école de Salerne. Nicolas de Salerne en a composé, sans
doute à Salerne, une paraphrase versifiée28. Et surtout, il nourrit la réflexion
sur la nature des savants dominicains du début du xiiie siècle, au premier chef
Albert le Grand, ou encore son élève Thomas de Cantimpré. Quant aux tra-
ductions en langue vernaculaire, on n’en connaît pas moins de trois en français,
deux en langue d’oc, deux en italien29, une en castillan, sept dans divers dialectes
allemands et deux en anglais (l’une médiévale, l’autre du milieu du xvie siècle).
La version castillane n’avait pas été cataloguée jusqu’ici et est éditée pour la
première fois dans le présent volume par Jesús Pensado Figueiras.
Lorsque Thomas de Cantimpré publie son encyclopédie De natura rerum,
dans les années 1237‑1240, il n’a pas encore connaissance de la traduction
intégrale de la version longue du Sirr-al-asrar effectuée probablement dans
les mêmes années directement d’après le texte arabe (c’est-à-dire sans inter-
médiaire vernaculaire, contrairement aux usages des traducteurs du temps30)
par Philippe de Tripoli. La figure de ce personnage s’enveloppe de bien plus
d’obscurité encore que celle de son prédécesseur. Ce qui est sûr, c’est qu’il
est actif en Terre sainte, et dans le royaume de Jérusalem très provisoirement
reconstitué dans le second quart du xiiie siècle. C’est en soi une origina-
lité, dans la mesure où l’essentiel des traductions de l’arabe en latin, au fil
du vaste épisode de transfert culturel des xiie et xiiie siècles, s’effectue dans
l’Espagne reconquise et dans une moindre mesure en Italie du Sud31. Selon
l’hypothèse plutôt convaincante de Steven J. Williams32, Philippe serait un

28. Voir Pseudo-Aristoteles latinus, op. cit., p. 75‑76 ; S. J. Williams, The Secret of Secrets, op. cit.,
p. 184 et les notes 5 et 6. Cette versification a été éditée par R. A. Pack, « Pseudo-Aristoteles
Epistola ad Alexandrum de regimine sanitatis a quodam Nicolao versificata », Archives d’histoire
doctrinale et littéraire du Moyen Âge, 45 (1978), p. 313‑322.
29. Voir I. Zamuner, « La tradizione romanza del Secretum secretorum pseudo-aristotelico »,
Studi Medievali, 46/1 (2005), p. 31‑116.
30. M. A. Manzalaoui, « Philip of Tripoli and His Textual Methods », dans Pseudo-Aristotle,
The Secret of Secrets. Sources and Influences, op. cit., p. 55‑72 ; M.-T. d’Alverny, « Les traduc-
tions à deux interprètes, d’arabe en langue vernaculaire et de langue vernaculaire en latin »,
dans Traductions et traducteurs au Moyen Âge, éd. G. Contamine, Paris, 1989, p. 193‑206 ;
S. J. Williams The Secret of Secrets, op. cit., p. 345.
31. Voir néanmoins l’étude de C. Burnett sur Antioche comme centre intellectuel, « Antioch
as a Link between Arabic and Latin Culture in the Twelfth and Thirteenth Centuries »,
dans Occident et Proche-Orient. Contacts scientifiques au temps des croisades, éd. I. Draelants,
A. Tihon et B. van den Abeele, Turnhout, 2000, p. 1‑63.
32. The Secret of Secrets, op. cit., p. 60‑108.
16 C. Gaullier-Bougassas, M. Bridges et J.-Y. Tilliette

clerc de la curie pontificale, dont la longue carrière est documentée de 1218 à


1269. De naissance ombrienne, neveu de l’archevêque Rainier, un proche du
pape Honorius III, patriarche d’Antioche entre 1219 et 1225, il a suivi son oncle
en Terre sainte, où il exercera pendant un demi-siècle des fonctions de plus en
plus prestigieuses dans le cadre de l’administration judiciaire et diplomatique
de l’Église. De nombreux arguments plaident en faveur de l’identification du
curialiste et du traducteur : leurs liens avec Tripoli, dont le premier est cha-
noine, et avec Antioche, où le second prétend avoir découvert le texte qu’il
livre au public ; l’intérêt de l’ecclésiastique pour le droit et pour la médecine,
et en général, la vaste culture, fruit de son éducation à la faculté des arts, que
sanctionne le titre de magister ; la bonne connaissance de la langue arabe qu’il
a pu acquérir lors de son long séjour outremer. Il est en outre possible, même
si cela reste bien conjectural, que le dédicataire de l’ouvrage, l’évêque Gui de
Valence (dans le midi de la France, non en Espagne) ait occupé le siège de
Tripoli de 1228 à sa mort, survenue à la fin de 1236 ou au début de 1237.
C’est peu avant cette date que sa version complète du Secret des secrets
(correspondant à la version longue du Sirr-al-asrar) est attestée en Europe.
On a longtemps voulu l’associer à l’éclat de la cour de Frédéric II, haut lieu des
contacts entre cultures chrétienne – latine et grecque –, juive et musulmane.
Le grand nom de Michel Scot, qui semble avoir connu très tôt la traduction
de Philippe de Tripoli, suffit à incarner cette brillante dynamique. On s’avise
désormais, grâce en particulier aux travaux d’Agostino Paravicini Bagliani33,
que l’institution rivale, la cour des papes qui se succèdent d’Innocent III à
Boniface VIII (1198‑1303), en passant par le savant médecin Jean XXI, alias
Pierre d’Espagne, n’est pas en reste dans le domaine de l’innovation intel-
lectuelle, en particulier dans les domaines que nous définirions aujourd’hui
comme ceux des sciences exactes. Si l’on considère d’autre part que le Saint-
Siège a beaucoup œuvré au xiiie siècle en faveur de l’apprentissage des langues
orientales, on perçoit sans difficulté la place que l’entreprise de Philippe de
Tripoli, protégé par tous les papes qui, d’Honorius III à Clément IV, ont veillé
sur sa carrière, occupe dans un tel paysage. Reste quand même la difficulté de
savoir comment un homme engagé dans des responsabilités administratives
importantes a pu concilier ces charges avec sa vocation intellectuelle. Mais
les xiie et xiiie siècles offrent d’autres exemples d’une telle polyvalence : de
grands traducteurs comme Henri Aristippe, Robert Grosseteste ou Guillaume
de Moerbeke ont dû eux aussi assumer des charges ecclésiastiques importantes.

33. Voir en particulier A. Paravicini Bagliani, Medicine e scienze della natura alla corte dei papi
nel Duecento, Spolète, 1991.
 un texte aussi célèbre qu’énigmatique 17

Dès son arrivée en Europe, le Sirr-al-asrar tel que traduit par Philippe de
Tripoli et généralement désigné dans les manuscrits comme Secretum secre-
torum (mais aussi comme De regimine regum, De regimine principum, De
regimine dominorum34), va connaître une glorieuse carrière : on en recense
aujourd’hui quelque 350 manuscrits – chiffre vraiment considérable pour un
texte philosophique – et il sert de base à la quasi-totalité des traductions ver-
naculaires (si l’on excepte Poridat de las poridades et Sod ha-sodot). Mais c’est
une circulation entravée : la qualité des manuscrits, souvent sujets à omissions
et à interpolations, est dans l’ensemble assez médiocre – au moment de mettre
au point sa propre édition du texte, Roger Bacon s’en plaindra assez. C’est
plutôt étonnant pour un ouvrage qui circule sous l’identité, il est vrai assez tôt
remise en cause, du philosophe des philosophes, Aristote. Faut-il incriminer
une censure qui aurait pu s’exercer à l’encontre de développements difficiles à
digérer par l’orthodoxie, relatifs par exemple à la magie ou à l’alchimie ? Rien
ne semble vraiment l’établir. Il est plus probable que le caractère extrêmement
composite de l’ouvrage ait dérouté, et que chacun ait sélectionné les passages
dont il entendait faire son miel, quitte à réorganiser le texte en conséquence.
Ce qui est sûr, c’est qu’à la différence de l’essai précurseur de Jean de Séville,
qui n’avait d’autre ambition que celle, pratique, de maintenir le lecteur en
bonne santé, le projet affiché, par les dernières lignes du prologue notamment,
déplace l’intérêt de l’auteur sur son correspondant, le conquérant du monde,
et suggère ainsi que ce sont les clés du pouvoir absolu qu’entend livrer le Secret.
La tentative la plus aboutie de relecture / réécriture du texte est sans doute celle
que l’on doit au franciscain Roger Bacon, dont la figure à la fois d’universitaire
et d’outsider fait l’un des esprits les plus originaux du Moyen Âge35. En quête
de la science des sciences, il trouve dans le Secret des secrets le parangon d’un tel

34. Voir C. B. Schmitt et D. Knox, Pseudo-Aristoteles Latinus, op. cit., p. 54. F. Wurms (Studien
zu den deutschen und den lateinischen Prosafassungen des pseudo-aristotelischen Secretum secre-
torum, Hambourg, 1970) a étudié la tradition manuscrite du Secretum secretorum, mais une
édition critique reste toujours à établir. R. Möller (éd. cit., n. 27) a établi à partir d’un seul
manuscrit (Tübingen, Stiftung Preussischer Kulturbesitz, Depot der Staatsbibliothek, lat. 70,
ms. anglais du xive siècle) le texte que la critique considère comme la vulgate de la traduction de
Philippe de Tripoli. Dans les Monumenta Germaniae Historica, T. Frenz et P. Herde ont édité le
texte de l’une des plus anciennes copies du Secretum, celle de Albert Behaim, un légat du pape
qui a sans doute rencontré Philippe de Tripoli (ms. de Munich, Bayerische Staatsbibliothek,
clm. 2574b) : Das Brief- und Memorialbuch des Albert Behaim, Briefe des späteren Mittelalters,
t. 1, Munich, 2000, p. 258‑340. Nous disposons enfin d’une édition du texte réorganisé et glosé
par Roger Bacon (voir la note suivante).
35. Voir la magistrale édition en 16 volumes de ses œuvres publiée sous la direction de R. Steele
(Opera hactenus inedita Rogeri Baconi, Oxford, 1905‑1940), le Secretum secretorum se trouve au
18 C. Gaullier-Bougassas, M. Bridges et J.-Y. Tilliette

projet. Mais pour lui conférer la cohérence dont il est fâcheusement dépourvu,
il l’équipe de tout un paratexte fait de gloses et d’intertitres, de diagrammes
et de schémas, que le manuscrit d’Oxford, Bodleian Library, Tanner 116, daté
de la fin du xiiie siècle et peut-être copié sur l’autographe de Bacon, reproduit
fidèlement. Surtout, il le fait précéder d’une préface abondamment nourrie
de science astrologique, qui tend à le remettre en contexte, en montrant com-
ment, selon ce qui est le schéma porteur de la science physique de l’époque,
l’ouvrage d’Aristote traduit exactement au niveau du microcosme humain la
structure et les mouvements du macrocosme. Enfin, il le subdivise en quatre
livres à peu près équilibrés et cohérents, respectivement placés à l’enseigne
de l’art du bon gouvernement (le « miroir du prince »), de la diététique, de
l’alchimie et de la magie, et de la physiognomonie. Tel qu’il est ainsi repensé, le
Secret des secrets peut incarner la quintessence du savoir pratique et théorique.
Aussi bien, même si l’accord des spécialistes n’est pas unanime sur ce point,
est-il raisonnable de penser que cette réinterprétation du texte que le francis-
cain anglais tient pour le chef d’œuvre du Philosophe est à dater d’un stade
tardif de la carrière de Bacon, postérieur à son retour à Oxford en 1270. Selon
une hypothèse intéressante, mais à nos yeux fragile, de Steven J. Williams, le
« Secretum de Roger Bacon » aurait répondu à une visée très concrète, servir
de vademecum à un lecteur privilégié qui ne serait autre que le roi d’Angleterre,
Henry III ou Edouard Ier – en somme l’Alexandre auprès de qui le savant
franciscain aurait rêvé de faire fonction d’Aristote36.
À l’époque toutefois où Roger Bacon publie son édition du Secretum secre-
torum, des doutes sur son authenticité aristotélicienne commencent à se faire
jour dans le monde de la scolastique, de la part d’auteurs comme Ptolémée
de Lucques ou Jean de Galles. C’est par d’autres circuits qu’universitaires, et
notamment à travers les traductions vernaculaires, que l’ouvrage poursuivra
sa carrière triomphale, même si sa diffusion latine n’est pas achevée. Engelbert
d’Admont le remanie en effet sous le titre De regimine regum ; il est plusieurs
fois imprimé au xvie siècle et deux de ses imprimés latins sont des réécri-
tures, celles des humanistes Alexandre Achillini et Jacobus Pulchridrapensis
de Burgofranco37. 

tome 5 ; également F. Alessio, Mito e scienza in Ruggero Bacone, Milan, 1957 ; Roger Bacon and
the Sciences. Commemorative Essays, éd. J. Hackett, Leyde, New York et Cologne, 1997.
36. S. J. Williams, « Roger Bacon and His Edition of the Pseudo-Aristotelian Secretum secre-
torum », Speculum, 69 (1994), p. 57‑73.
37. Voir M. Grignaschi, « La diffusion du Secretum secretorum », art. cit.
 un texte aussi célèbre qu’énigmatique 19

Quant à la diffusion du Secretum secretorum de Philippe de Tripoli dans


les langues vernaculaires, pour autant que nos connaissances nous permettent
d’en suivre les traces, nous constatons d’emblée une répartition qui ne privi-
légie aucune région de l’Europe sur une autre, même si certains domaines lin-
guistiques sont plus précoces que d’autres et/ou offrent un plus grand nombre
de traductions. Dès la seconde moitié du xiiie siècle, on voit l’émergence du
texte en langue vernaculaire. C’est semble-t-il en tout premier lieu, vers 1266
déjà, à la cour bilingue de Zeeland et Hollande et en vieux néerlandais, dans
une version poétique qui est l’œuvre du prestigieux Jacob van Maerlant. Au
xiiie siècle toujours, le texte est également transposé en castillan (Secreto de
los secretos), en allemand de Souabe (texte de Zimmern, dans l’Allemagne du
Sud, longtemps attribué à Hiltgart von Hürnheim), en français, dans l’Angle-
terre francophone (le texte versifié de Pierre d’Abernun et le texte en prose
du ms. de Paris, BnF, fr. 571) et sans doute aussi dans le nord de la France avec
Jofroi de Waterford et Servais Copale, et enfin dans les langues italiennes,
probablement d’abord en Toscane à la fin du xiiie siècle. La réception est bien
plus tardive dans le monde slave, aussi bien en tchèque qu’en russe, mais éga-
lement dans l’aire linguistique anglaise38 (par opposition avec celles du latin
et du français d’Angleterre, bien plus précoces). Mais malgré certains déca-
lages chronologiques, quatre domaines linguistiques se rejoignent par leur
nombre important d’adaptations manuscrites du texte de Philippe de Tripoli,
trahissant ainsi un intérêt très soutenu : une dizaine en français comme en
allemand et en italien, une quinzaine en anglais, sans compter les imprimés.
Enfin, dans l’histoire des adaptations manuscrites et imprimées, nous consta-
tons une convergence des courbes descendantes à partir de la fin du xvie
siècle, en dépit de – ou à cause de – l’esprit « humaniste » ou de l’engoue-
ment pour l’alchimie, même si, nous l’avons rappelé, plusieurs humanistes,

38. La plus ancienne des traductions connues en langue anglaise est vraisemblablement
représentée par le fragment contenant la physiognomonie et l’onomancie du manuscrit de
Londres, British Library, Sloane 213. M. A. Manzalaoui (Secretum secretorum. Nine English
Versions, Oxford, 1977, p. xxvi) date ce manuscrit autour de 1400. Les adaptations en anglais
s’étendent de l’Irlande de James Yonge (1422) à l’Écosse de Gilbert Hay (milieu du xve), cette
dernière faisant l’objet d’une analyse de Anna Caughey et de Emily Wingfield dans ce volume.
D’autres adaptations, dont certaines évoquent explicitement ou implicitement la cour royale de
Westminster, nous proviennent de la ville de Londres et de ses alentours, comme par exemple
la version poétique de John Lydgate et son continuateur Benedict Burgh, qui détient le « re-
cord » pour le plus grand nombre de manuscrits (23), reflétant le prestige du poète « lauréat »
dont la mort est inscrite au milieu des Secrees of Old Philisoffres. Étonnamment, cette version des
deux « traducteurs » n’a guère fait jusqu’ici l’objet d’analyse critique, un vide qui est interrogé
et partiellement comblé par la contribution de Margaret Bridges.
20 C. Gaullier-Bougassas, M. Bridges et J.-Y. Tilliette

particulièrement en Italie, le rééditent et remanient en latin, et si en Bohême


les deux adaptations du xvie siècle participent aussi de l’humanisme. Des
réimpressions tardives continuent aussi à affirmer l’autorité du Secretum et
de son auteur présumé jusqu’au xviie siècle en Allemagne et jusqu’au début
du xviiie en Angleterre39.
Vu l’éventail géographique, linguistique et chronologique des versions
vernaculaires du Secretum secretorum de Philippe de Tripoli, il n’est pas éton-
nant que bien des textes soient encore inédits et inexplorés. Dans la dernière
décennie, notre connaissance a néanmoins progressé grâce à des éditions et
des études de textes, réalisées par plusieurs des auteurs du présent volume.
Nous nous référons à l’ouvrage de l’arabiste et germaniste Regula Forster sur
l’ensemble de la tradition allemande antérieure au xvie siècle40 et à la thèse
de Matteo Milani sur la tradition italienne41. Nous pensons aussi aux édi-
tions des deux textes castillans par Hugo Bizzarri42, à celles de deux œuvres
françaises – une partie de celle de Jofroi de Waterford et Servais Copale par
Yela Schauwecker43 et le texte du xve siècle dit C par Denis Lorée44 – ainsi

39. Pour l’Allemagne, voir la contribution de R. Forster (infra, p. 378‑379). Quant à la version
anglaise de Aristoteles’s Secret of Secrets Contracted, imprimée en 1702 par H. Walwyn, son
auteur s’étonne de ne pas trouver ce texte dans l’œuvre complète d’Aristote et affirme que si
son destinataire (Alexandre) en avait seulement compris le sens profond, il serait probablement
décédé à un âge avancé et ses sujets heureux auraient sans doute déploré la mort du gouverneur,
source de leur bonheur et santé (texte imprimé dans M. A. Manzalaoui, Nine English Versions,
op. cit., p. 550‑581 (ici p. 551)).
40. Das Geheimnis der Geheimnisse, op. cit. (n. 6) et sa contribution dans ce volume.
41. M. Milani, Studio filologico e edizione critica delle versioni italiane del Secretum Secretorum
nell’ambito della tradizione mediolatina e romanza, thèse de l’Université de Turin, 2003, à pa-
raître à Tübingen dans les Beihefte zur Zeitschrift für romanische Philologie. Voir aussi son article
« La tradizione italiana del Secretum Secretorum », La parola del testo, 5 (2001), p. 209‑253.
42. Pseudo-Aristóteles. Secreto de los secretos. Poridat de las poridades. Versiones castellanas del
Pseudo-Aristóteles Secretum secretorum, Valencia, 2010, et idem, « Difusión y abandono del
Secretum secretorum en la tradición sapiencial castellana de los siglos xiii y xiv », Archives
d’histoire doctrinale et littéraire du Moyen Âge, 63 (1996), p. 95‑137.
43. Y. Schauwecker, Die Diätetik nach dem Secretum secretorum in der Version von Jofroi
de Waterford, Teiledition und lexikalische Untersuchung, Wurzbourg, 2007 et eadem,
« Dimensionen der Wissensvermittlung im Secré des segrez von Jofroi de Waterford », dans
Transfert des savoirs au Moyen Âge. Wissenstransfer im Mittelalter, éd. S. Dörr et R. Wilhelm,
Heidelberg, 2008, p. 129‑138.
44. D. Lorée, Édition commentée du Secret des secrets du Pseudo-Aristote, thèse de l’Univer-
sité de Rennes, 2012, 3 t., édition de la version dite C, t. 1, p. 143‑349, à paraître à Paris, chez
Champion (le tome 2 de la thèse, p. 113‑158 contient une transcription d’un manuscrit de la
version dite B).
 un texte aussi célèbre qu’énigmatique 21

qu’à celle du Secret des secrets italien du manuscrit de Florence, Biblioteca


Nazionale Centrale, Magl. XII.4, par Matteo Milani45.
Un seul ouvrage collectif a été consacré à ce jour à la fortune européenne de
ce texte : les actes d’un colloque édité par C. B. Schmitt et W. F. Ryan, intitulé
Pseudo-Aristotle, the Secret of Secrets. Sources and Influences, et paru à Londres
en 1982. Notre recueil, qui cherche à suivre la trace des nombreuses trajec-
toires européennes du Secretum secretorum, voit ainsi le jour plus de trente
ans après cette première et à notre connaissance dernière étude collective. Elle
nous avait montré quelques étapes d’un parcours de diffusion et de traduction
aboutissant à des versions en hébreu (A. I. Spitzer46), latin (M. A. Manzalaoui
et C. B. Schmitt47), français ( J. Monfrin48) et dans les langues slaves de la
Moscovie (W. F. Ryan49). Quant à son cadre chronologique, il était donné
par une réflexion sur la genèse de l’œuvre arabe, puis des hypothèses sur les
facteurs contribuant au déclin de l’intérêt pour un texte dont l’authenticité
fut très tôt mise en doute. Bien que le caractère pionnier des actes de ce col-
loque soit reconnu dans les contributions qui suivent, force est de constater
que, trois décennies plus tard, les regards des chercheurs se sont posés sur un
corpus considérablement élargi et que de nouvelles thématiques ont émergé.
Notre choix a été de consacrer le présent volume aux traductions et aux
adaptations en langues vernaculaires du Sirr-al-asrar et les analyses réunies
élargissent le champ linguistique aux domaines allemand, anglais, écossais,
tchèque, italien et espagnol, elles analysent, en langue française, plusieurs
adaptations manuscrites non encore étudiées (notamment le texte du ma-
nuscrit de Paris, BnF, fr. 571 et celui du manuscrit de Paris, Arsenal, 2872, et
du manuscrit de la galerie Les Enluminures, olim Amsterdam, Bibliotheca

45. M. Milani a édité ce Secret des secrets italien dans sa thèse, Studio filologico e edizione
critica, op. cit. Il a aussi édité la section de physiognomonie de plusieurs versions italiennes
du Secret des secrets, celles des manuscrits de Florence, Biblioteca Nazionale Centrale, Magl.
VIII.1430 et Magl. XXV.345 (« Ancora su un compendio italiano del Secretum secretorum »,
dans Filologia e linguistica. Studi in onore di Anna Cornagliotti, éd. L. Bellone, G. Cura Curà,
M. Cursietti et M. Milani, Alessandria, 2012, p. 429‑451) et, toujours de Florence, Biblioteca
Medicea Laurenziana, 89 inf.54 et Biblioteca Nazionale Centrale, II.I.363 (« Chapegli neri
dimostrano e significano rettitudine e amor di giustitia : indicazioni fisiognomiche inedite tratte
dal Secretum secretorum », dans Scritti in onore di Paolo Bertinetti, Turin, 2014, p. 357-369.
46. « The Hebrew Translations of the Sod ha-Sodot and its Place in the Transmission of the
Sirr-al-Asrar », p. 34‑54.
47. Respectivement « Philip of Tripoli and His Textual Methods », p. 55‑72, et « Francesco
Storella and the Last Printed Edition of the Latin Secretum secretorum (1555) », p. 124‑131.
48. « La place du Secret des secrets dans la littérature française médiévale », p. 73‑113.
49. « The Secretum secretorum and the Muscovite Autocracy », p. 114‑123.
22 C. Gaullier-Bougassas, M. Bridges et J.-Y. Tilliette

Philosophica Hermetica, 67, plus ancien et jusqu’à présent non répertorié


comme un témoin de la même adaptation) et le corpus complètement inex-
ploré des imprimés. Pour le monde slave, elles renouvellent la réflexion sur
l’influence littéraire et politique de l’adaptation russe du Secret des secrets et
étudient la tradition manuscrite et imprimée des traductions tchèques. On ne
peut que se réjouir de voir la recherche ainsi enrichie par la mise en évidence
de traductions et d’adaptations encore mal connues ou méconnues, que ce soit
sous forme de manuscrits ou d’imprimés50, dont deux sont ici éditées pour la
première fois, une version castillane de l’Epistola ad dieta servanda de Jean de
Séville, conservée à la bibliothèque du Palais Zabálburu de Madrid, et le Secret
des secrets italien du manuscrit de Florence, Biblioteca Medicea Laurenziana,
Plut. 44. 3951.
Cet élargissement permet de mieux mesurer comment au cours de sa diffu-
sion, le Secretum a participé à la progressive constitution d’un espace littéraire
européen52. Mais retracer la dissémination du Secretum et de ses traductions
dans le temps, c’est aussi faire la chronique du changement de ses lecteurs
(imaginés ou réels). La volonté d’instruire le prince ou de le critiquer53 dans sa
poursuite d’efficacité et de longévité s’efface progressivement devant les ambi-
tions sociales d’une société « renaissante » en pleine mobilité. Les constats
de l’élargissement du public d’origine aristocratique aux classes marchandes et
à d’autres milieux laïques (tels les praticiens de la médecine) sont nombreux
dans les présentations qui suivent54, même si ce n’est pas le cas pour certains

50. Nous nous référons ici particulièrement aux contributions de Christine Silvi, Denis Lorée,
Yela Schauwecker, Éloïse Adde-Vomáčka et Elena Koroleva, Anna Caughey et Emily Wingfield.
51. Les deux éditions contenues dans le présent volume sont dues à Jesús Pensado Figueiras
et Matteo Milani.
52. C’est aussi l’objet central de l’étude du corpus européen d’Alexandre, publiée dans la
même collection « Alexander redivivus » : La fascination pour Alexandre le Grand dans les
littératures européennes (xe-xvie siècle). Réinventions d’un mythe, éd. C. Gaullier-Bougassas,
Turnhout, 2014, 4 t.
53. Christophe Thierry montre comment cette possibilité est exploitée par l’auteur de l’An-
nexe de l’Alexander d’Ulrich von Etzenbach, qui est l’un des rares à exploiter le Secretum secre-
torum comme matière d’un texte de fiction.
54. Nous pensons à l’élite politique des communautés marchandes toscanes et vénitiennes
mentionnées par Michele Campopiano, ainsi qu’aux milieux médicaux non académiques,
qu’ils soient allemands (comme évoqués par Regula Forster) ou juifs (tels que relevés par
Shamma Boyarin). Quant à l’aire linguistique anglaise, les traductions du Secretum coïncident
non seulement avec un nouveau statut social et politique pour cette langue (notamment à
la cour des Lancastriens) mais aussi avec l’émergence de nouvelles communautés de lecteurs
bourgeois (évoquées par Margaret Bridges).
 un texte aussi célèbre qu’énigmatique 23

domaines linguistiques et culturels comme le français, du moins pour ce qui


est des livres manuscrits.
Si les chercheurs ici réunis prolongent l’intérêt déjà manifesté dans Pseudo-
Aristotle, the Secret of Secrets. Sources and Influences pour une quête du sens que
peuvent révéler ou bien cacher l’environnement du manuscrit, un titre interne
ou la mention d’un dédicataire ou possesseur, leurs analyses des manuscrits
et des premiers imprimés, que rien ne justifie de dissocier, ne peuvent désor-
mais plus se passer d’une réflexion sur le contexte social. Ceci est d’autant
plus vrai que nous avons affaire à des produits de multiples traductions – ce
que les prologues ne cessent de souligner – et qu’un texte qui traverse des
frontières linguistiques suscite forcément des interrogations familières aux
adeptes des « translation studies », notamment pour ce qui est du processus
d’acculturation ou inversement du maintien de l’étrangeté, de la différence,
ici orientale, et pour les implications du public cible. La mise en vernaculaire,
ou le choix d’une langue vernaculaire particulière dans un domaine culturel
plurilingue (comme à la cour de Bohême ou à celle de Londres), généralement
opéré en fonction de facteurs socio-politiques, entraîne souvent une perte du
sens hermétique55 ou de la matière considérée comme contraire à la religion
et aux mœurs, voire une perte sapientiale assimilée par les commentateurs
médiévaux à un « vol56 », mais elle entraîne aussi un gain, celui du processus
d’acculturation et de la multiplication des communautés de lecteurs.
Plusieurs études de recueils manuscrits ou imprimés et aussi des examens
comparatifs de différentes versions suggèrent des affinités et des contrastes
– des affinités contrastives – entre les fortunes européennes de deux textes
« philosophiques » qui ont en partage de prendre leur origine hors de l’Eu-
rope, dans l’aire culturelle et linguistique arabe, et qui ont été soumis à des
degrés d’acculturation divers au cours de leurs traductions en Europe : Sirr-
al-asrar et Mukhtar al-hikam wa-mahasin al-kalim [Choix de maximes et de
dits sages] de Mubassir ibn Fatik. Si les adaptations en langues vernaculaires
européennes du livre de Mubassir ibn Fatik évoqué plus haut donnent aux
philosophes, parmi lesquels figurent Aristote et Alexandre, un statut égal
d’exemplarité morale et sapientale, les rapports de force, dans le Sirr-al-asrar,

55. Sur cette perte du savoir occulte dans les ultimes adaptations françaises manuscrites et
l’interprétation politique qui peut en être donnée, voir Catherine Gaullier-Bougassas.
56. Aristote aurait étudié et traduit les textes de Salomon, les signant de son propre nom ;
c’est ainsi que des commentaires rabbiniques du xive siècle expliquent la perte de connaissances
par les juifs au profit des Grecs (voir S. Boyarin, infra, p. 466‑467). La traduction du Sirr en
hébreu s’assimile alors au renversement d’un transfert, ou à un processus de récupération et
restauration d’un bien volé.
24 C. Gaullier-Bougassas, M. Bridges et J.-Y. Tilliette

entre l’auteur déclaré du livre aux secrets philosophiques (Aristote) et son


destinataire intradiégétique (Alexandre) sont bien différents. Car, à plusieurs
reprises, le savoir prodigué par le prince des philosophes (dans la diégèse) et
par le clerc médiéval, auteur/adaptateur (en dehors de la diégèse) au destina-
taire royal montre ce dernier à la merci du premier – notamment vis-à-vis des
Perses conquis et lors de la rencontre de la fille venimeuse – et une tension ap-
paraît parfois à l’intérieur de l’œuvre entre la constatation de la vulnérabilité
du corps éphémère et la nostalgie d’une immortalité assurée grâce à la panacée
et d’autres remèdes d’origine occulte57. D’autre part, si en comparaison avec
d’autres groupes de textes sur Alexandre, narratifs et « romanesques », et
avec d’autres livres de secrets magiques et alchimiques, les Secrets des secrets
dans leur multiplicité mettent en scène peu de merveilles (ou choisissent de
déguiser l’impensable en une forme de sagesse), ne montrent-ils pas la face
« respectable » du merveilleux oriental avec leur intérêt pour l’astronomie
et l’astrologie et pour la médecine ? Quant aux pouvoirs occultes des pierres
et des herbes, aux talismans, à l’alchimie et à la fabrication de l’œuf des phi-
losophes ou pierre philosophale, beaucoup de copistes latins les avaient déjà
supprimés, comme le regrette Roger Bacon. Leur évocation ne se transmet
ainsi que dans un faible nombre d’adaptations vernaculaires, avec au premier
chef trois textes français du xiiie et du xive siècles. On peut d’autant plus
s’en étonner que les aphorismes d’Hermès qui sont associés à l’évocation de
la pierre philosophale et auxquels d’autres textes donnent le nom de Table
d’Émeraude sont appelés à une belle et très longue postérité dans la littérature
alchimique occidentale, médiévale et moderne.
Même si notre volume ne prétend à aucune exhaustivité dans l’étude des
traductions et des adaptations vernaculaires du Secretum secretorum en Europe
et si beaucoup d’entre elles sont encore à éditer et à analyser, nous espérons
qu’il contribuera à mieux donner la mesure de la richesse et de la diversité de
ses réécritures sur tout le continent européen, à prouver la complexité aussi des

57. Voir la contribution infra de Catherine Gaullier-Bougassas pour une réflexion sur cette
double thématique du pouvoir du clerc et de l’évocation (ou de l’absence) des sciences oc-
cultes orientales. J. Ferster, dans Fictions of Advice. The Literature and Politics of Counsel in
Late Medieval England, Philadelphie, 1996, consacre deux chapitres importants aux contra-
dictions inhérentes au genre littéraire même du régime des princes – qui gouvernent mais qui
sont également à gouverner – et à différentes versions (latine, anglaise et anglo-irlandaise)
du Secretum secretorum (ch. 3 et 4, p. 39‑66). Voir aussi les pages fascinantes que K. Lochrie
(Covert Operations : The Medieval Uses of Secrecy, Philadelphie, 1999) écrit sur les rapports de
pouvoir dans le Secretum et quelques textes médiévaux anglais s’inspirant de sciences occultes
(p. 93‑118).
 un texte aussi célèbre qu’énigmatique 25

cheminements culturels et des métamorphoses d’une œuvre qui est très loin
de la simplicité, voire de la pauvreté, qu’on lui a parfois reprochée, une œuvre
dont le succès si soutenu durant des siècles prouve l’importance historique et
culturelle, tant dans l’histoire des mentalités que dans celles des traductions et
du transfert de pans de la culture arabe en Europe. À la lumière de la fortune
du Sirr-al-asrar, la culture européenne s’avère une fois de plus parfaitement
hybride. 

Catherine Gaullier-Bougassas,
Université de Lille 3, Institut universitaire de France

Margaret Bridges,
Université de Berne

Jean‑Yves Tilliette,
Université de Genève
Two Independent Textual Traditions? The
Pseudo-Aristotelian Secret of Secrets and the
Alexander Legend

In his classic study The Medieval Alexander, George Cary states categori-
cally that “the Secretum Secretorum [...] had little effect upon the medieval
conception of Alexander1”. Reiterated several times elsewhere in the book,
it seems a reasonable judgment, based as it is on a wide acquaintance with
the multifarious sources for the Alexander Legend2. (By Alexander Legend
I mean the more-fictional-than-historical Alexander the Great characteristic
of the Middle Ages; it was given primary, though not exclusive, expression
in those works in prose or verse that, for the purposes of providing informa-
tion and/or entertainment, tell his story.) Since its publication in 1956, Cary’s
book has justly become one of the leading resources for and authorities on
the larger topic of Alexander the Great in the Middle Ages – a feat impres-
sive on its own terms, and extraordinary given that it was a (posthumously
published) doctoral dissertation. The wide readership enjoyed by the book
has carried the above-quoted words to a very large scholarly audience and
subsequently determined how two generations of historians have themselves
conceived of the Secret of Secrets in relation to the Alexander Legend. As a

1. G. Cary, The Medieval Alexander, ed. D. J. A. Ross, Cambridge, 1956, p. 21.


2. “This work had more influence upon general moral judgments than upon any especial
consideration of Alexander” (ibidem, p. 109); “the approach to Alexander was slightly affected
by two moral works widely disseminated in the late Middle Ages, the Secret of Secrets and the
Dicts and Sayings of the Philosophers [...]. The effect of this popularity upon the reputation of
Alexander is hard to gauge. In the Secret of Secrets Alexander is merely the recipient of Aristotle’s
precepts; and the moral counsel that Aristotle conveys, the portrait of the ideal prince that
he draws, could not without the use of the imagination be incorporated in the portrait of
Alexander himself, though the two anecdotes of Alexander which appear in the book, and its
preface in which Alexander asks Aristotle for such a book of counsel, suggest that Alexander’s
obedience to the precepts of Aristotle was presumed by the author [...]. Thus these books had
little direct influence upon the late medieval Alexander portrait in spite of their great reputa-
tion, for that reputation was due, not to the conception of Alexander contained in them, but to
their moral content” (ibid., p. 250‑251); “in England, as elsewhere, the undoubted popularity of
the Secret of Secrets and of the Dicts and Sayings of the Philosophers in the fifteenth century had
no apparent effect upon the current conception of Alexander” (ibid., p. 257); “It is, however,
doubtful if these Arabic works, preaching a standard of liberality easily appreciable by the later
medieval writers, and praising Alexander by that standard, had any effect upon the survival of
Alexander’s secular reputation for liberality into the Later Middle Ages” (ibid., p. 367).

Trajectoires européennes du Secretum secretorum du Pseudo-Aristote (xiiie-xvie siècle)


éd. Catherine Gaullier-Bougassas, Margaret Bridges et Jean-Yves Tilliette
Turnhout, 2015, (Alexander Redivivus, AR. 6) pp. 27-54
© F H G DOI 10.1484/M.AR.5.103384
28 Steven Williams

first-year graduate student working on a research project dealing with the


Secret of Secrets, I too read those words and took them to heart; they became
part of how I understood the fortuna of the Secret of Secrets in the Middle
Ages. And they have remained with me: indeed they constituted the starting
point for this chapter.
With Cary as my trusted guide, my operating assumption had long been
that the Secret of Secrets on the one hand, and the Alexander Legend on the
other, followed rather independent tracks during the twelfth to the fifteenth
centuries. What I was unaware of when first encountering Cary’s book, but is
perfectly clear to me now after having worked on the Secret of Secrets for more
than twenty-five years, is that Cary’s judgment presents us with an historical
conundrum: how could the Secret of Secrets, which was a best-seller in the
later Middle Ages, which circulated in an astonishing number of Latin copies,
which was translated into virtually all of Europe’s vernaculars (and in multiple
instances several times into the same language), which was found in a host
of personal and institutional libraries, and which was cited and quoted and
commented by scholarly readers all across Europe, not have had a significant
effect on how medieval people thought about Alexander the Great? What is
equally clear to me now is that, of course it did.
Cary looked at the Secret of Secrets from the perspective of the Alexander
Legend and found little overlap: on the pages that follow I look at the
Alexander Legend from the perspective of the Secret of Secrets and find much
more overlap than Cary supposed. By reviewing Cary’s source-materials plus
considering other kinds of evidence largely unexploited by him – namely, ex-
tant manuscripts, the holdings of medieval libraries as they are known to us in
the surviving records, and the writings of scholastic authors – this paper will
show that the Secret of Secrets affected the medieval conception of Alexander
more than just a “little”. It will question some of Cary’s assumptions. It will
rethink Cary’s conclusion and how he reached it. And along the way we will
learn something new about the Secret of Secrets’ amazing career in medieval
Europe.

Contents of the Secret of Secrets usable for the Alexander Legend

Most readers of the present volume probably know a good deal about the
Secret of Secrets already, so a detailed description of it is unnecessary. The Secret
of Secrets purports to be an extended missive from Aristotle to Alexander.
While the bulk of the work is discursive, as Aristotle provides all manner of
 Two Independent Textual Traditions? 29

advice to Alexander on a wide variety of topics, there are a few dramatic ele-
ments and “historical” tidbits that one imagines could well have made their
way into the Alexander Legend.

1. Aristotle’s reason for sending the Secret of Secrets.


Alexander is in the East, having just completed his original mission of
bringing the Greeks’ longstanding enemy to its knees; Aristotle, old and in-
firm, is living back in Greece, no longer able to serve as an advisor at court.
Sorely missing his esteemed teacher and advisor, Alexander requests, and
Aristotle provides, a book on rulership, a guide for all his actions and activi-
ties, and a compendium of esoteric wisdom – the Secret of Secrets.

2. Aristotle’s precepts and Alexander’s success.


According to the Secret of Secrets’ prologue, while Alexander lived, he fol-
lowed Aristotle’s precepts, and this was a key to his success.

3. Epistolary exchanges between the two men.


The prologue also tells us that Aristotle regularly sent letters of a moral
nature to Alexander. Alexander likewise wrote to Aristotle on various occa-
sions seeking advice.

4. Epistolary exchange on dealing with the conquered Persians.


Having defeated the Persians militarily, Alexander has a fundamental issue
to settle as he moves on to the next stage of conquest – pacification. He writes
to Aristotle, explaining that among the Persian magnates there are those who
are very intelligent but still desirous of rule; thinking this a potential threat,
Alexander’s frighteningly efficient plan to deal with the perceived problem is
to kill off the ruling class entirely. Aristotle writes back with a commonsensical
proposal: “If you are able to change the [quality of the] land’s air and the water
and the disposition of [all] its inhabitants, [then] carry out your plan, [but] if
you can conquer them by goodness and benevolence, they will remain faithful
to you and serve you as loyal subjects3.” Alexander followed the second course
as advocated by Aristotle and things turned out just as Aristotle had predicted.

3. Opera hactenus inedita Rogeri Baconi, ed. R. Steele, fasc. 5, Secretum secretorum cum glossis
et notulis, Oxford, 1920, p. 38.
30 Steven Williams

5. Poison Maiden
In a plot to have Alexander assassinated, the Queen of India sent to
Alexander a beautiful woman who has been nourished from infancy on ser-
pent’s venom, the hope being that Alexander would be attracted to her sexu-
ally but remain unaware of her true nature; once in her embrace, he would be
overwhelmed by her poison and die. Such was the peril Alexander faced that
by just a bite or even a look, she could kill – a fact proven to Alexander in an
experiment not long after this incident, as Aristotle reminds him. In the event,
Aristotle’s perspicacity spies out the danger and foils the plan.

6. Horn of Themistius
In the section on warfare, Aristotle describes a device known as the Horn
of Themistius that is able to project sound to a distance of sixty miles: it could
be used to summon troops as well as to frighten an opposing army.

7. Occult science
Aristotle has a lot to teach Alexander about occult science. He instructs
him on a panacea that, among other things, can retard old age and boost brain
power; an alchemical operation that will allow him to dominate superiors and
inferiors, what is above and what is below; a magic stone that will prompt an
opposing army to flee; a magic plant that will engender love; and a talisman
that will bring submission and obedience. He is also told to do nothing with-
out the aid of astrology and is repeatedly provided with astrological advice.
Given the numerous marvelous elements in the Alexander Legend, one might
imagine a storyteller making something of this occult material.
Standing back from the Alexander who appears in the Secret of Secrets, we
have a ruler who reveres his former teacher, who considers him his teacher still,
and who so values his judgment that he has him serve as his primary counselor
at court. He is also a ruler who is open to the advice of others, in particular intel-
lectuals; he has a deep respect for letters and learning; and he is himself learned.

Misconceptions

What might be the greatest virtue of Cary’s very informed and informa-
tive book is the large volume of Alexander material that he has collected and
 Two Independent Textual Traditions? 31

processed, which then becomes a broad foundation on which to build a hy-


pothesis about the medieval reception of the Alexander Legend as passed on
from the Greek, Latin, and Arabic past. However, with respect to the Secret
of Secrets, while there is much that he says that is correct, there is also a lot
that he gets wrong. There are several problems with Cary’s treatment of the
Secret of Secrets.
1. Cary says that “the Secret of Secrets […] did not become popular until
the fourteenth [century]4”. Not so. Cary is closer to the mark when he
says elsewhere that it “had a great and lasting influence which began
to be felt in the mid-thirteenth century5.” Indeed the characterization
“popular” applies from around 12506.
2. Cary assumes that the Secret of Secrets was read exclusively as a politi-
cal and moral text. This is wrong: as I have shown in detail elsewhere
and we will see below, many readers very much appreciated the Secret
of Secrets for its scientific content7. What was a given for such readers
is that Alexander was the recipient of Aristotle’s scientific wisdom and
that he had put that wisdom to good effect: necessarily, therefore, this
was a factor in how they thought about Alexander.
3. Cary’s estimation of the Secret of Secrets’ supposed low impact on medi-
eval thinking about Alexander seems based partly on the fact that the
Secret of Secrets includes so little in terms of anecdotal material (true, as
we saw in the introductory Section above); partly because that material
shows up so infrequently in the retelling of Alexander’s life in historical
accounts and romances (also true, as we will discuss below); and partly
because “in the Secret of Secrets Alexander is merely the recipient of
Aristotle’s precepts8”. To rephrase this last point, Alexander is effective-
ly nothing more than the Secret of Secrets’ dedicatee; the work is a vehi-
cle for Aristotle’s advice, conveying next to no conception of Alexander
whatsoever. And it is here that we get into trouble: Alexander cannot be
separated from the Secret of Secrets as easily as Cary supposes. What is
frustrating is that Cary knows better. Elsewhere he describes – accurate-
ly – how the Secret of Secrets provides a “portrait of Alexander listening
to Aristotle, the perfect relationship of a king and his tutor” and how

4. Cary, Medieval Alexander, p. 250.


5. Ibidem, p. 109.
6. S. J. Williams, The Secret of Secrets. The Scholarly Career of a Pseudo-Aristotelian Text in
the Latin Middle Ages, Ann Arbor, 2003, Chapter 6.
7. Ibidem.
8. Cary, Medieval Alexander, p. 250. See also n. 2 above.
32 Steven Williams

“th[is] relationship […] is frequently referred to in learned admonition,


more frequently as the Middle Ages became familiar with the Secret of
Secrets9”. From the thirteenth century onward, primarily because of the
Secret of Secrets – though, nota bene, there were other sources for this
besides – Alexander became the quintessential example of the learned
prince. Moreover, when someone thought of Alexander’s education
and the formation of Alexander’s character, not only Aristotle but also
the Secret of Secrets would come to mind. When someone thought of
the Aristotle-Alexander correspondence, the Secret of Secrets would be
at the top, or near the top, of that person’s mental list. And finally,
when someone thought about the Secret of Secrets as a possible read,
the attraction was not only that it was written by Aristotle but that it
was sent to Alexander. Bottom line: it affected conception.
4. Which brings us to a fourth problem, namely, Cary’s conception of “con-
ception” as he uses it in connection with the Secret of Secrets. Cary rec-
ognizes that the medieval conception of Alexander was a multi-faceted
phenomenon compounded of numerous elements and that, given this
mass of material, the inconsistencies and even contradictions within
it, along with the different amounts of individual exposure to it, there
were necessarily many conceptions of Alexander. Cary is also very much
aware that the Secret of Secrets generally, and the Poison Maiden story
specifically, were very popular10. It is strange, then, that the first point –
somewhat hidden as a thesis, it could be the most important take-away
from Cary’s book – and the second (entirely correct) point were never
put together to reach the reasonable “soft” conclusion that the Secret of
Secrets was one of a panoply of texts making a contribution to the medi-
eval conception of Alexander. Instead Cary dismisses the Secret of Secrets
as having made but a minor impact on that conception. One wonders
just what Cary means by “conception” when he otherwise readily grants a
not insignificant role to the Secret of Secrets’ Alexander portrait. Not only
is this negative position inconsistent with Cary’s basic understanding of
the Alexander phenomenon in the Middle Ages but, as we will see in the
following section, it just does not hold up against a substantial body of
contrary evidence.

9. Ibidem, p. 110, 107. Cf. ibid., p. 257: “Lydgate […] translated the Secret of Secrets, with its
portrait, by implication, of a philosophical Alexander.”
10. Secret of Secrets: Cary, Medieval Alexander, p. 22, 109, 250‑251, 257, 344, 366. Poison
Maiden: ibidem, p. 231, with other mentions on p. 100, 106, 301, 303.
 Two Independent Textual Traditions? 33

Evidence

In this section we will examine the evidence showing that the Secret of Secrets
and the Alexander Legend crossed paths with much more frequency than Cary
would allow and in ways he did not even consider. We begin with what the
extant manuscripts tell us. And there are lots of them – many more than the
number of extant Alexander romance manuscripts and at least the same number
as there are Alexander works in Latin. Obviously those who bought the Secret of
Secrets, those who copied it for themselves, and those who read it took it serious-
ly and took away from it something that affected their conception of Alexander.
The Secret of Secrets is a polyvalent text. Its varied contents attracted many
different readers, as we can see from how it was cited by readers along with
the kinds of texts with which it was bound – its “textual environment” or
codicological context11. In a number of instances we have manuscripts that
couple the Secret of Secrets with other Alexander material:

1. Cambridge, Harvard College Library, Lat. 122 (late fourteenth/early


fifteenth century)
Beginning this manuscript are 6 folios containing selections from the
Historia de preliis to which are added, at the end, some lines from the
Secret of Secrets about the Horn of Themistius12.

2. Stockholm, Kungliga biblioteket, fr. 51 (late fourteenth century)


This is a copy of the French adaptation of the Historia de preliis into
which have been interpolated several paragraphs from the prologue
of the Secret of Secrets, including the exchange of letters on ruling the
Persians, plus political-moral advice from the body of the work13.

11. I take the phrase “textual environment” from J. Monfrin, “La place du Secret des secrets
dans la littérature française mediévale”, in Pseudo-Aristotle, The Secret of Secrets. Sources and
Influences, ed. W. F. Ryan and C. B. Schmitt, London, 1982, p. 97.
12. F. P. Magoun, Jr., “The Harvard Epitome of the Historia de preliis (Recension I2)”,
Harvard Studies and Notes in Philology and Literature, 14 (1932), p. 134; L. Light, Catalogue of
Medieval and Renaissance Manuscripts in the Houghton Library of Harvard University, vol. 1,
Binghamton, 1995, p. 148‑152; Cary, Medieval Alexander, p. 45. These lines are similar to those
found in Roger Bacon’s recension of the Secret of Secrets, ed. Steele, p. 151, l. 23‑28.
13. W. Söderhjelm, “Notice et extraits du ms. fr. 51 de la Bibliothèque Royale de Stockholm”,
Mémoires de la Société néo-philologique de Helsingfors, 6 (1917), p. 307‑333; A. Hilka, Der altfran-
zösische Prosa-Alexanderroman nach der Berliner Bilderhandschrift nebst dem lateinischen Original
der Historia de preliis (Rezension J2), Halle, 1920 (reprint 1974), p. xliv-l; Monfrin, “La place
34 Steven Williams

3. Paris, Bibliothèque nationale de France, Arsenal, 2872 (late fourteenth


century)
The Secret of Secrets is immediately followed here by an extract from
Book 1 of Walter of Châtillon’s Alexandreis, the Enseignement d’Aristote
à Alexandre14. Other manuscripts with the same addition are Paris,
Bibliothèque nationale de France, fr. 108815 (fifteenth century), and
Lyon, Bibliothèque de la Ville, 86416 (fifteenth century).

4. Montpellier, École de Médecine, 164 (late fourteenth century)


This copy of the Secret of Secrets has the same “Aristotelian” material
taken from Walter of Châtillon’s Alexandreis as mentioned in the pre-
vious item, independently translated17.

5. Oxford, Corpus Christi College, 86 (early fourteenth century)


In this manuscript, all written by one hand, two Alexandrian works –
De mirabilibus Indiae and Collatio Alexandri cum Dindimo – directly
precede the Secret of Secrets18.

du Secret des Secrets”, p. 83‑84; Cary, Medieval Alexander, p. 344 (with mention of the Secret of
Secrets).
14. R. De Cesare, “Volgarizzamenti antico-francesi dei Praecepta Aristotelis ad Alexandrum”,
in Miscellanea del Centro di Studi Medievali, Milan, 1958, p. 47; Monfrin, “La place du Secret
des Secrets”, p. 83‑84; H. Martin, Catalogue des manuscrits de la Bibliothèque de l’Arsenal, vol.
3, Paris, 1887, p. 134‑138. Over the years various students of the Alexandreis and works based
on the Alexandreis have asserted that the advice Walter of Châtillon puts in Aristotle’s mouth
depends on some familiarity with the Secret of Secrets. While this would be a great piece of
evidence for my argument, it is untrue: not only was Walter writing some fifty years before the
full Secret of Secrets was available in a western language, but a close study of the lines in ques-
tion reveals no specific use whatsoever of the Secret of Secrets. Cf. the ample take-down of such
claims in R. Wisbey, Das Alexanderbild Rudolfs von Ems, Berlin, 1966, Appendix 1.
15. De Cesare, “Volgarizzamenti antico-francesi”, p. 47; Monfrin, “La place du Secret des
Secrets”, p. 84; Bibliothèque Impériale-Département des manuscrits. Catalogue des manuscrits
français, vol. 1, Paris, 1868, p. 184.
16. De Cesare, “Volgarizzamenti antico-francesi”, p. 47; Monfrin, “La place du Secret des
Secrets”, p. 84; Catalogue général des manuscrits des bibliothèques publiques de France, vol. 30,
Paris, 1900, p. 232‑233.
17. P. Meyer, “Notice d’un ms. Messin (Montpellier 164 et Libri 96)”, Romania, 15 (1886),
p. 167‑191; De Cesare, “Volgarizzamenti antico-francesi”, p. 47; Monfrin, “La place du Secret
des Secrets”, p. 87.
18. Epistola Alexandri ad Aristotelem ad codicum fidem edita et commentario critico instructa,
ed. W. W. Boer, The Hague, 1953, p. xvii; R. M. Thomson, A Descriptive Catalogue of the
Medieval Manuscripts of Corpus Christi College Oxford, Cambridge, 2011, p. 44‑45.
 Two Independent Textual Traditions? 35

6. Cambridge, Trinity College, 946 (fourteenth century)


The Secret of Secrets is directly preceded by Historia de preliis; both are
written in the same hand19.

7. Pistoia, Archivio Capitolare, C 103 (1375 A.D.)


The Secret of Secrets is directly preceded by the Historia de preliis; both
are written in the same hand20.

8. Paris, Bibliothèque nationale de France, lat. 8501 (early fourteenth


century)
The contents of this manuscript are the following: a little piece taken
from the Secret of Secrets’s prologue; Historia de preliis; anecdotes
about Alexander (mostly coming from Valerius Maximus); two more
small pieces coming from the Secret of Secrets, here titled “Epistola
Alexandri Regis ad aristotilem philosophum” (corresponding to part
of the prologue) and “Alia epystola de medicinali sciencia extracta de
libro moralium de regimine dominorum ondicta ab aristotile phylos-
opho et missa ad regem magnificum alexandrum” (corresponding to
the short version of the Secret of Secrets); Quilichino of Spoleto’s poem
Historia Alexandri Magni Regis; the epitaph on Alexander’s tomb21.

9. Karlsruhe, Badische Landesbibliothek, Aug. perg. 63 (fourteenth


century)
Interpolated in this copy of the Secret of Secrets is Pseudo-Alexander
De virtutibus VII herbarum secundum Alexandrum22.

19. M. R. James, The Western Manuscripts in the Library of Trinity College, Cambridge, vol.
2, Cambridge, 1901, p. 366‑367; Die Historia de preliis Alexandri Magni: Rezension J³, ed. K.
Steffens, Meisenheim am Glan, 1975, p. xiv-xvii.
20. S. Zamponi, “Commenti ad Aristotele nell’Archivio Capitolare de Pistoia”, Atti e memorie
dell’Accademia Toscana di scienze e lettere La Colombaria, 43 (1978), p. 103‑108; F. Del Punta,
G. Fioraventi and C. Luna, Aegidii Romani Opera omnia, I, Catalogo dei manoscritti 1/2**,
Florence, 1998, p. 343‑347; G. Murano, G. Savino and S. Zamponi, I manoscritti medievali della
provincia Pistoia, Florence, 1998, p. 41‑42.
21. Historia Alexandri Magni (Historia de preliis), Rezension J1, ed. A. Hilka and K. Steffens,
Meisenheim am Glan, 1979, p. xix-xx.
22. F. Wurms, Studien zu den deutschen und den lateinischen Prosafassungen des pseudo-aris-
totelischen Secretum secretorum, Diss., Hamburg, 1970, no. 180.
36 Steven Williams

10. Prague, Universitni Knihovna, XXIII D. 146 (1476 A.D.)


Immediately following the Secret of Secrets here is the same pseudo-
Alexandrian work as found in the previous item23.

11. Madrid, Biblioteca Nacional de España, 921 (1385 A.D.)


Coming right after this Catalan version of the Secret of Secrets is a let-
ter, also in Catalan, from Alexander’s mother to Aristotle: “Aquesta es
la rresposta que envia la mare d’Alexandre ha Aristotil quant legida la
carta que Aristotil la avia tramesa24 […].”

12. Florence, Biblioteca Nazionale Centrale, Magliabechiano XII. 4 (early


fourteenth century)
This manuscript is the earliest of a small family of manuscripts that
contains an Italian translation of the Secret of Secrets. One of the mark-
ers for this family is the interpolation of some reworked material about
Alexander from the De mirabilibus mundi25. The other identified
manuscripts are Florence, Biblioteca Medicea Laurenziana, Plut. 76.
77 (fifteenth century); Vatican City, Biblioteca Apostolica Vaticano,
Chigiano M. VIII 163 (fourteenth century); Venice, Biblioteca
Marciana, It. XI. 4 (fifteenth century).

13. Innsbruck, Universitätsbibliothek, 525 (1304 A.D.)


Coming immediately after the Historia de preliis is Documenta
Aristotilis ad Alexandrum, with material taken from the Secret of
Secrets, then De instructione Alexandri regis per Aristotilem26.

23. Ibidem, no. 173.


24. L. Robles, “Aristoteles Latinus. Repertorio de manuscritos españoles”, in Actas del V
Congreso internacional de filosofía medieval, vol. 1, Madrid, 1979, p. 391.
25. M. Grignaschi, “Remarques sur la formation et l’interprétation du Sirr al-’asrār”, in
Pseudo-Aristotle, ed. Ryan and Schmitt, p. 14‑15; M. Ciccuto, “Le meraviglie d’Oriente nelle
enciclopedie illustrate del Medioevo”, in L’enciclopedismo medievale, ed. M. Picone, Ravenna,
1994, p. 99‑100; C. Burnett and P. Gautier Dalché, “Attitudes towards the Mongols in Medieval
Literature: The xxii Kings of Gog and Magog from the Court of Frederick II to Jean de
Mandeville”, Viator, 22 (1991), p. 161‑162; M. Milani, Studio filologico e edizione critica delle
versioni italiane del Secretum secretorum nell’ambito della tradizione mediolatina e romanza,
Ph.D. diss., Università di Torino, 2003, p. xxxvi, xlii-xliii.
26. Historia Alexandri Magni, ed. Hilka and Steffens, p. ix-xiv; Katalog der Handschriften
der Universitäts- und Landesbibliothek Tirol in Innsbruck, vol. 6, Vienna, 2009, p. 84‑87.
 Two Independent Textual Traditions? 37

14. Berlin, Staatsbibliothek - Preußischer Kulturbesitz, Diez, C. fol. 2


(1455, 1456).
One sees the same line-up of items as in the preceding manuscript
(though the contents in the codex are otherwise different27).

15. London, British Library, Arundel 123 (fourteenth century)


The short version of the Secret of Secrets is here sandwiched between
the Historia de preliis on the one side and De Alexandri Magni expe-
ditionibus followed by the Alexander material extracted from Liber
philosophorum moralium antiquorum on the other28.

16. Oxford, Bodleian Library, Rawlinson A 273 (fifteenth century)


At the start of this codex are, in order, the Secret of Secrets; Pseudo-
Aristotle Liber de pomo; Planctus philosophorum de morte Aristotelis;
Historia de preliis; De mirabilibus mundi tempore Alexandri29.

17. Oxford, Bodleian Library, Rawlinson B 149 (early fourteenth century)


In this manuscript the Historia de preliis is followed by the Secret of
Secrets30.

18. Paris, Bibliothèque nationale de France, Arsenal, 3190 (fifteenth


century)
A French translation of the Secret of Secrets is directly preceded by De
la naissance, des faiz et de la mort du roy Alixandre31.

27. U. Winter, Die europäischen Handschriften der Bibliothek Diez, vol. 3, Wiesbaden, 1994,
p. 11‑13.
28. M. Hamel, “An Anthology for the Armchair Traveler: London, British Library, MS
Arundel 123”, Manuscripta, 41 (1997), p. 3‑18; Historia Alexandri Magni, ed. Hilka and Steffens,
p. xv-xvi; Catalogue of Manuscripts in The British Museum, n.s., vol. 1, London, 1834, p. 29‑30.
29. W. Macray, Catalogi codicum manuscriptorum Bibliothecae Bodleianae [...] Ricardi
Rawlinson, J.C.D., vol. 1, Oxford, 1862, col. 287‑292; Historia Alexandri Magni, ed. Hilka and
Steffens, p. xvii.
30. Macray, Catalogi codicum manuscriptorum, col. 500‑501; Historia Alexandri Magni,
ed. Hilka and Steffens, p. xvii -viii.
31. H. Martin, Catalogue des manuscrits de la Bibliothèque de l’Arsenal, vol. 3, Paris, 1887,
p. 285‑286.
38 Steven Williams

19. Paris, Bibliothèque nationale de France, fr. 10468 (fifteenth century)


A French translation of the Secret of Secrets is directly preceded by the
Historia de preliis, also in French32.

20. Genoa, Biblioteca universitaria, G. IV. 30 (fifteenth century)


The contents of this manuscript are the Secret of Secrets; Leonardo
Bruni, Commentarium rerum grecarum; Leo Archipresbyter, Vita
Alexandri Magni33.

21. Munich, Bayerische Staatsbibliothek, Cgm. 288 (c. 1450)


Hiltgart von Hürnheim’s German translation of the Secret of Secrets is
bound with Johannes Hartlieb’s Alexanderroman, which comes first.
The two texts have been written by the same hand34.

22. Oxford, Bodleian Library, Canon. class. lat. 217 (fifteenth century)
The codex was written by one scribe. The majority of its listed con-
tents are connected either to Alexander (Historia de preliis, Epistola
Alexandri ad Dyndimum, Epistola Dindymi ad Alexandrum, Historia
de educatione Alexandri) or to Aristotle (numerous compendia of
Aristotelian texts, including the Secret of Secrets, the Rhetorica ad
Alexandrum and its accompanying Epistola ad Alexandrum, plus
what is called here Summa consilii likewise directed by Aristotle to
Alexander), with some obvious overlap in terms of subject. The
Aristotelian material was already a “package” c. 1280; at some point
the Alexandrian items were put together with it by a compiler who
considered the combination a natural fit35.

32. H. Omont and C. Couderc, Catalogue général des manuscrits français, vol. 3, Paris, 1896,
p. 114‑115.
33. O. Cartaregia, I manoscritti “G. Gaslini” della Biblioteca universitaria di Genova, Rome,
1991, p. 130‑131; http://manus.iccu.sbn.it//opac_SchedaScheda.php?ID=163443 (accessed
22.6.2012).
34. Hiltgart von Hürnheim, Mittelhochdeutsche Prosaübersetzung des Secretum secretorum,
ed. R. Möller, Berlin, 1963, p. xxiii-xxxiii.
35. H. O. Coxe, Catalogi codicum manuscriptorum Bibliothecae Bodleianae, Pars tertia, Codices
græcos et latinos Canonicianos complectens, Oxford, 1854, col. 222‑224; G. B. Fowler, “Manuscript
Admont 608 and Engelbert of Admont (c. 1250‑1331)”, Archives d’histoire doctrinale et littéraire
du Moyen Âge, 44 (1977), p. 149‑242, and 45 (1977), p. 225‑306; R. M. Thomson, Catalogue of
Medieval Manuscripts of Latin Commentaries on Aristotle in British Libraries, vol. 1, Turnhout,
2011, p. 55‑57.
 Two Independent Textual Traditions? 39

Before we leave the manuscript testimony, three more points need to be


made:

1. Other pseudo-Aristotelian works were addressed to Alexander the


Great.
There were pseudo-Aristotelian works other than the Secret of Secrets
claiming Alexander as the intended recipient: De mundo36; Rhetorica
ad Alexandrum (with the prefatory letter, Epistola ad Alexandrum,
which sometimes stood on its own37); and a good dozen other tracts,
with the majority on occult science38. While the total number of extant
manuscripts for this last category is small, De mundo and Rhetorica ad
Alexandrum both enjoyed respectable circulations. Noteworthy in this
connection are the large scholastic codices constituting Aristotelian
opera omnia that included one, two, or all three of the major works just
described. Insofar as this material was accepted as authentic, it means
that Aristotle considered Alexander to be of sufficient intellectual ca-
liber to be sent such materials and to understand them. Of course this
necessarily impacted the conception of Alexander.

2. Manuscript Descriptors
The beginning sentence (superscription) of a text in a manuscript con-
stitutes not only a de facto title but also a descriptor of the work in
question; while often standardized in their wording, repeating what
had been found in the manuscript’s exemplar, these sentences can also
veer from that wording, sometimes significantly, thereby revealing
how a copyist/reader viewed the text. In manuscripts of the Secret of
Secrets, it is common at the start to see mention of Alexander as the
recipient (“[…] ad Alexandrum”) and not unusual to see a little bit of
extra information in addition to that. Some manuscripts emphasize

36. Aristoteles Latinus. Codices, Pars prior, ed. G. Lacombe, A. Birkenmajer, A. Franceschini,
and M. Dulong, Rome, 1939, p. 89‑90; De mundo: translationes Bartholomaei et Nicholai, ed.
W. L. Lorimer and L. Minio-Paluello, Bruges, 1965.
37. Aristoteles Latinus, p. 78‑79; M. Grabmann, “Eine lateinische Übersetzung der pseu-
doaristotelischen Rhetorica ad Alexandrum aus dem 13.  Jahrhundert: Literarhistorische
Untersuchung und Textausgabe”, Sitzungsberichte der Bayerischen Akademie der Wissenschaften.
Philosophisch-Historische Abteilung (1931‑1932), Heft 4.
38. C. B. Schmitt and D. Knox, Pseudo-Aristoteles Latinus. A Guide to Latin Works Falsely
Attributed to Aristotle Before 1500, London, 1985, passim.
40 Steven Williams

that the Secret of Secrets was written at Alexander’s behest39, others


describe Alexander as Aristotle’s “pupil40”, while a couple open with
the historical detail that the Secret of Secrets came to Alexander after
he had subjugated the Persians41.
Similarly, the ending sentence (subscription) can also be important
for our purposes. Here is a typical example: “Editus ab Aristotile ad
regem magnificum Alexandrum qui dominatus fuit toti orbi dictusque
monarcha in septentrione42.” Other manuscripts have details like we
just saw in the previous paragraph43.
The descriptors used in manuscript inventories can be telling as well.
Again, we have some that signal the Secret of Secrets coming at the
request of Alexander44. And many listings report the prosaic but im-
portant fact that the Secret of Secrets was sent to Alexander45.

39. “Liber secreti secretorum sive de regimine principum et dominorum ad instantiam


Alexandri magni ab Aristotele editus” (Wurms, Studien, no. 28); “Prephacio super librum qui
secretum secretorum vocatur quem aristotiles edidit precibus magni imperatorus alesandri filii
filipi Regis grecorum” (ibidem, no. 187); “ad peticionem Regis Alexandri […]” (ibid., no. 240).
40. For example, ibid., no. 43, 44, 244.
41. “Quoniam quando Alexander subiugavit sibi Persas et captivavit regnantes […]” (Ibid.,
no. 205); “C’est le livre du gouvernement ou regime des princes composé par le sage Aristote
envoié par ledit Aristote au noble roy Alexandre quant il ot conquis le royaume de Perse” (Paris,
Bibliothèque nationale de France, Arsenal, 2872, for which see n. 14 above).
42. Wurms, Studien, no. 3. Cf. Cary, Medieval Alexander, p. 105: “[Alexander] was occasion-
ally described as a monarch.” The Secret of Secrets is not found among the examples provided in
ibidem, p. 286‑287. In what seems to be an inconsistent elaboration on his remark, Cary adds
that “it is not surprising that many should have chosen to think of him as a monarch” (ibid.,
p. 105).
43. For example: “Ci fenit li livres dou gowernemant des rois, le queil Aristotes, li sowerains
philosophes, composait et fit a l’instruction dou grant roy Alexandre qui fut sowerains rois de
tou le monde, qui an son anfance et en sai jonesse avoit esteit disciples d’Aristotes desus nomeis”
(Meyer, “Notice d’un ms.”, p. 169). See also Wurms, Studien, no. 244, 254.
44. For example: “Item liber Aristotelis, in quo respondet ad Regis Allexandri Magni peticio-
nem” (Mittelalterliche Bibliotheskataloge Österreichs, vol. 1, Vienna, 1915, p. 563); “Alexandri ad
Aristotelem epistola de occisione consultans et responsio Aristotelis” (M.-H. Laurent, Fabio
Vigili et les bibliothèques de Bologne au début du xvie siècle, Vatican City, 1943, p. 152).
45. “Un Volum de le Enseignement Arisototle, enveiez au Roy Alisaundre” (M.  Blaess,
“L’Abbaye de Bordesley et les livres de Guy de Beauchamp”, Romania, 78 (1957), p. 513); “Item,
ung livre des secretz d’Aristote, en pappier, qu’il envoya à Alexandre” (A. Tuetey, “Inventaire
des biens de Charlotte de Savoie”, Bibliothèque de l’École des Chartes, 26 (1865), p. 358).
 Two Independent Textual Traditions? 41

3. Manuscript images of Alexander.


The Secret of Secrets impacted portrayals of Alexander. To begin with, it
meant that the number of Alexander images in manuscripts increased.
It is at or near the beginning of Secret of Secrets manuscripts that we
encounter most of these images of Alexander – usually paired with
Aristotle, of course. There are three main types of image fronting
manuscripts of the Secret of Secrets46: we see the pupil-teacher model,
with the adult Alexander sitting in front of the standing Aristotle47;
we see the donor-patron model, with a messenger kneeling in front
of Alexander, presenting him with Aristotle’s work (sometimes with
Aristotle pictured in another panel of the same image48); and we see the
social/intellectual-equals model, with both Alexander and Aristotle
sitting or standing next to each other49. There are also some Secret of
Secrets manuscripts that dramatize in several images the storyline of the

46. For the pictorial tradition of Aristotle-Alexander in other Alexander texts, see D. J. A. Ross,
Studies in the Alexander Romance, London, 1985, p. 351‑353; C. Raynaud, “Aristote dans les en-
luminures du xiiie siècle”, in L’unité de la culture européenne au Moyen Âge, ed. D. Buschinger
and W. Spiewok, Greifswald, 1994, p. 111‑135, especially p. 123‑131.
47. Oxford, University College, 85 shows a standing Aristotle instructing a seated Alexander:
see K.  L.  Scott, Later Gothic Manuscripts 1390‑1490, vol.  1‑2, London, 1996, no.  118 and
pl. 439. Paris, Bibliothèque nationale de France, it. 917, has a similar image: see F. Avril and
M.-T. Gousset, Manuscrits enluminés d’origine italienne, vol. 2, Paris, 1984, p. 126‑127 and pl.
lxxxii 153 bis.
48. Bibliothèque nationale de France, fr. 562 shows a messenger presenting the Secret of Secrets
to Alexander: see C. Blondeau, Un conquérant pour quatre ducs: Alexandre le Grand à la cour de
Bourgogne, Paris, 2009, p. 167 (Blondeau has it that the delivery is being made by Aristotle, but
that is unlikely according to what is described in the Secret of Secrets’ prologue; it also jars with
the young man portrayed here). Paris, Bibliothèque nationale de France, fr. 571, has a two-panel
scene, with a seated, writing Aristotle on the left and a seated Alexander on the right, behind
whom stand three warriors, presented a book by a kneeling messenger: see L. Freeman Sandler,
Gothic Manuscripts, 1285‑1385, vol. 2, London, 1986, no. 96, and A. Wathey, “The Marriage
of Edward III and the Transmission of French Motets to England”, Journal of the American
Musicological Society, 45 (1992), p. 10.
49. London, British Library, Add. 47680 shows Aristotle, right, seated and writing, and left,
Alexander, seated (see The Treatise of Walter de Milemete De nobilitatibus, sapientiis, et pru-
dentiis regum, reproduced in facsimile from the unique manuscript preserved at Christ Church,
Oxford, together with a selection of pages from the companion manuscript of the treatise De se-
cretis secretorum Aristotelis, preserved in the library of the Earl of Leicester at Holkham Hall,
ed. M. R. James, Oxford, 1913, p. 159); a manuscript of Jacob van Maerlant’s Heimelijkheid der
heimelijkheden has a standing Aristotle handing over the Secret of Secrets to a standing Alexander
(see Maerlants werk: juweeltjes van zijn hand, ed. I. Biesheuvel, Amsterdam, 1998, p. 224).
42 Steven Williams

work’s genesis with letters back and forth and then the Secret of Secrets
itself being delivered to Alexander50.

This story of occasional crossed paths by the Secret of Secrets and the
Alexander Legend is corroborated by what we see in medieval manuscript
inventories and library catalogues:

1. A composite manuscript belonging to the dukes of Milan had among


its contents the following: “[…] Pantheon simul cum Aristotile de se-
cretis secretorum complemento ad cronicam Alexandri51.”

2. A manuscript of the Secret of Secrets inventoried in the early sixteenth


century reports a paragraph at the end of the text about the Horn of
Themistius : “Hoc est cornu aeneum artificio mirabilis fabricatum, quo
Alexander rex ex LX milliariis exercitum suum convocavit52.”

3. In a mid-fourteenth-century collection, Pseudo-Alexander De virtu-


tibus VII herbarum secundum Alexandrum comes directly after the
Secret of Secrets53.

4. A volume in the fourteenth-century papal library is described thus:


“Item Alexander Macedonum in prosa [probably the Historia de preli-
is], item libri de secretis secretorum Aristotilis54.”

5. A volume inventoried in 1513 as part of the library of the Vienna


Dominicans included a fragment of the Secret of Secrets placed at the
end of a section of material connected to Alexander: “Alexandri Magni
hystoria, incipit: Alexander Magnus Philippi […] [the Historia de preli-
is]. Aristotelis rethorica seu compendium librorum politicorum vel

50. London, British Library, Add. 47680 (see The Treatise of Walter de Milemete, ed. James,
p. xliv); Paris, Bibliothèque nationale de France, fr. 18145 (see Catalogue des nouvelles acquisi-
tions françaises du département des manuscrits 1972‑1982, Paris, 1999, p. 152‑153).
51. E. Pellegrin, La bibliothèque des Visconti et des Sforza, ducs de Milan, au xve siècle, Paris,
1955, p. 149.
52. Laurent, Fabio Vigili, p. 33. These lines are similar to those encountered in other manu-
scripts: see n. 12 above.
53. M. Cochetti, “La biblioteca di Giovanni Calderini”, Studi medievali, ser. 3, 19 (1978),
p. 999.
54. F. Ehrle, Historia Bibliothecae Romanorum Pontificum tum Bonifatianae tum Avenionensis,
Rome, 1890, p. 542.
 Two Independent Textual Traditions? 43

legalium institutorum, incipit: Aristoteles Alexandro bene agree [...]


[Rhetorica ad Alexandrum]. Alexandri ad Aristotelem epistola [this is
either De mirabilibus Indiae or part of the Secret of Secrets’ prologue].
Aristoteles de regimine regum sive secretum secretorum55 [...].”

6. In the library of the Sorbonne at the University of Paris in 1290 was


a large codex, near the start of which was the Secret of Secrets, directly
preceded by De mirabilibus Indiae56.

Finally, a third type of evidence given scant attention by Cary comes from
authors who either prepared translations/editions of the Secret of Secrets or
made observations about Alexander using material from the Secret of Secrets.

1. Philip of Tripoli
Philip of Tripoli translated the complete version of the Secret of
Secrets from Arabic into Latin c. 1230. In a preface, Philip describes
the text that follows as the consequence of Alexander having asked for
Aristotle to “faithfully reveal to him the secret of certain arts, namely,
the motion, operation, and power of the stars in astronomy, the art of
alchemy in nature, the art of knowing natures, and operating charms
and celimancy and geomancy57”.

2. Guibert of Tournai
In his Eruditio regum et principum (1259), Guibert quotes the episto-
lary exchange between Alexander and Aristotle on what to do with
the Persians, beginning, “Unde cum Alexander Macedo Persas ejus
imperio subjugasset […]58”.

3. Jacob van Maerlant


Jacob van Maerlant’s epic poem Alexanders Geesten (c. 1266) includes
the Poison Maiden story59. And his world-chronicle Spiegel Historiael

55. Mittelalterliche Bibliothekskataloge Österreichs, vol. 1, Vienna, 1915, 331.


56. Williams, Secret of Secrets, p. 205 and n. 83.
57. Ibidem, p. 364, with the Latin on p. 361‑362.
58. Le traité Eruditio regum et principum de Guibert de Tournai, O. F. M., ed. A. de Poorter,
Louvain, 1914, p. 68; also Cary, Medieval Alexander, p. 106, n. 1 (with mention of the Secret of
Secrets).
59. Alexanders geesten van Jacob van Maerlant, ed. J. Franck, Groningen, 1882, p. 30‑31. See
also Cary, Medieval Alexander, p. 64 (with no mention of the Secret of Secrets, however).
44 Steven Williams

(1288) takes a snippet of material from the Secret of Secrets, namely,


Aristotle’s recommendation that Alexander have seven advisors60.

4. Roger Bacon
Roger Bacon (died c. 1292) knew the Secret of Secrets well. It plays a
prominent role in his thinking, and it profoundly influenced his view
of Alexander. For Bacon, Alexander was the recipient of Aristotle’s
wide knowledge of magical science, including the talisman whose pri-
mary property was “pacifying regions so that they obey [a king] freely
without coercion”, as Bacon put it, and it was through Aristotle’s help
that Alexander enjoyed such a spectacular career of conquest61.

5. William of St. Cloud


The Alexander who appears in William of St. Cloud’s Calendarium
perpetuum (c. 1296) is similar to Bacon’s (indeed William’s concep-
tion was probably influenced by Bacon’s): with reference to the Secret
of Secrets, William describes how Alexander was the beneficiary of
Aristotle’s instructions as to “how to change the air and water of a
country” and was able thereby to subdue the Persians62.

6. Ulrich von Etzenbach


An appendix (c. 1300) by Ulrich von Etzenbach to his poem Alexander
(c. 1287) borrows material from the Secret of Secrets63.

60. Jacob van Maerlant. Spiegel historiael, ed. M. de Vries and C. Verwijs, Leiden, 4 vol.,
1863‑1879, p. 174. For this reference, see J. B. Voorbij, “The History of Alexander the Great
in Jacob van Maerlant’s Spiegel Historiael”, in Vincent of Beauvais and Alexander the Great:
Studies on the Speculum Maius and its Translations into Medieval Vernaculars, ed. W. J. Aerts,
E. R. Smits, and J. B. Voorbij, Groningen, 1986, p. 62 and 84 n. 13.
61. See S. J. Williams, “Roger Bacon and the Secret of Secrets”, in Roger Bacon and the Sciences:
Commemorative Essays, ed. J. Hackett, Leiden, 1998, p. 387‑389. See also the incipit written by
Bacon for his edition of the Secret of Secrets: “ab Aristotile philosopho editu ad peticionem
Alexandri Magni, in quo ultimo secreta nature sub velamine traduntur”, ed. Steele, p. 25).
62. P. M. M. Duhem, Le système du monde: histoire des doctrines cosmologiques de Platon à
Copernic, Paris, 1916, p. 12‑13.
63. Alexander, von Ulrich von Eschenbach, ed. W. Toischer, Tübingen, 1888. See also Cary,
Medieval Alexander, p. 65‑66, 287‑288, with other brief mentions (passim); the use of the Secret
of Secrets is noted on p. 287.
 Two Independent Textual Traditions? 45

7. Geoffrey of Waterford
Around 1300 the Dominican Geoffrey of Waterford translated the
Secret of Secrets into French. His version includes several small bits of
interpolated Alexander material64.

8. Walter Milemete
In 1327 Walter Milemete presented Edward III with a lavishly illustrat-
ed copy of the Latin Secret of Secrets along with a companion treatise of
his own composition, De nobilitatibus, sapientiis, et prudentiis regum65.
In the latter work, Walter portrays Alexander as a ruler who was edu-
cated by a wise man and who continued to consult with and listen to
him, with all of his successes the happy consequence. In Milemete’s
words, Alexander “acquired many lands and foreign provinces under
his lordship by the counsel and teachings of the philosopher Aristotle
[...]. King Alexander learned the teachings of the philosopher for
ruling himself and his empire happily in times of peace and in the
face of aggressive acts of war. Through this counsel, he overwhelmed
his enemies, won wars, blockaded castles and cities, acquired diverse
lands and peoples under his lordship, and subjugated a great empire
under himself and he achieved triumph in every conflict and occupied
himself energetically in all royal actions66”. Milemete was responsible
for providing that both manuscripts were lavishly illustrated, and one
scholar has argued that “many of the monsters and monstrous races of

64. J. Monfrin, “Sur les sources du Secret des Secrets de Jofroi de Waterford et Servais Copale”,
in Mélanges de linguistique romane et de philologie médiévale offerts à M. Maurice Delbouille,
vol. 2, Gembloux, 1964, p. 517, 521 n. 3, 529, 530.
65. The Treatise of Walter de Milemete, ed. James; Political Thought in Early Fourteenth-century
England: Treatises by Walter of Milemete, William of Pagula, and William of Ockham, ed.
and trans. C. J. Nederman, Tempe, 2002, p. 15‑61. See also M. Michael, “The Iconography of
Kingship in the Walter of Milemete Treatise”, Journal of the Warburg and Courtauld Institutes,
57 (1994), p. 35‑47 and pl. 1‑9; F. Lachaud, “Un ‘miroir au prince’ méconnu: le De nobilitatibus,
sapienciis et prudenciis regum de Walter Milemete (vers 1326‑1327)”, in Guerre, pouvoir et noblesse
au Moyen Âge. Mélanges en l’honneur de Philippe Contamine, ed. J. Paviot and J. Verger, Paris,
2000, p. 401‑410; L. Freeman Sandler, Gothic Manuscripts, 1285‑1385, London, 1986, no. 84‑85,
p. 93‑94; Age of Chivalry. Art in Plantagenet England 1200‑1400, ed. J. Alexander and P. Binski,
London, 1987, no. 682, p. 500.
66. Nederman, Political Thought, p. 29.
46 Steven Williams

men” seen therein had been deliberately chosen as coming out of the
Alexander Romance67.

9. Thomas Hoccleve
According to Thomas Hoccleve in his Regement of Princes (c. 1412),
the Secret of Secrets, “[Aristotle’s] booke of gouernaunce” was among
the “Epistles to Alisaundre sent68”.

10. James Yonge


In 1422 James Yonge presented to James Butler Earl of Ormond The
Gouernaunce of Prynces, his English translation of the Secret of Secrets69.
In his preface, after observing that, for a good ruler, there is a recipro-
cal relationship between wisdom and knowledge, on the one hand,
and strength and power, on the other, Yonge goes on to say, “This ap-
pears in many old stories, for the skill and great intelligence of Aristotle
would have availed King Alexander little, without the strength of the
renown of his [own] power70”. And because the version of the Secret of
Secrets Yonge used was that of Geoffrey of Waterford, Yonge’s version
then also includes the Alexander material from Geoffrey’s work.

11. Meister Babiloth


In this early fifteenth-century life of Alexander, the Cronica Allexandri
des grossen konigs, Meister Babiloth uses both Walter of Châtillon’s

67. L. Karlinger Escobedo, The Milemete Treatise and Companion Secretum secretorum:
Iconography, Audience, and Patronage in Fourteenth-Century England, Lewiston, 2011,
p. 181‑183.
68. Hoccleve’s Works, vol. 3, The Regement of Princes, ed. F. J. Furnivall, London, 1897, p. 74.
69. In Three Prose Versions of the Secreta secretorum, ed. R. Steele, London, 1898 (text on
p. 121‑248). A modern English rendering is provided by L. K. Kerns in The Secret of Secrets
(Secreta secretorum): A Modern Translation, with Introduction, of The Governance of Princes,
Lewiston, 2008.
70. “Chyuary is not only kepete, Sauyd, and mayntenyd by dedys of armes, but by wysdome
and helpe of lawes, and of witte, and wysdome of vndyrstondynge. For Streynth and Powere,
without witte and connynge, is but outrage and wodnys, And wysdome and connynge, without
Streynth and Powere, Surly hym gidyth not. But whan with Streynth and Powere, hym com-
paynyth witte and connynge, and witte dressith Powere, in goodnys may the Prynce Play, and
with good men Surly walke. This apperyth by many olde stories, for the connynge and grete
witte of Arystotle lytill hadd avaylid to kynge Alexandyr, without the Streynth of the brut of
his Powere.” (Three Prose Versions, ed. Steele, p. 121)
 Two Independent Textual Traditions? 47

Alexandreis and the Secret of Secrets to evoke the teaching provided by


Aristotle to the young Alexander71.

12. Johann Platterberger and Theodorich Truchseß


These two authors were responsible for the historical compendium
they called Excerpta chronicarum (1459). In the section on Alexander,
they used a number of materials that included the Historia de preliis,
Vincent of Beauvais’ Speculum historiale, two other chronicles, an in-
terpolated version of Q. Curtius Rufus’ Historiae Alexandri Magni, and
– probably via Meister Babiloth – Walter of Châtillon’s Alexandreis
plus the Secret of Secrets72.

13. John Gower


Book 7 of Gower’s Confessio amantis (c. 1390) has as its theme “the
education of Alexander”, and Gower uses parts of the Secret of Secrets,
among other sources, to evoke that teaching73.

14. Gutierre Díaz de Games


In the epic poem El Victorial (1436‑1448), Gutierre Díaz de Games
speaks on occasion about Alexander. This includes describing him
as having been taught by Aristotle “las siete artes, e la filosofia, e la

71. S. Herzog, Die Alexanderchronik des Meister Babiloth: Ein Beitrag zur Geschichte des
Alexanderromans, Stuttgart, 1897‑1903. On the use of the Secret of Secrets, see H. Christensen,
Das Alexanderlied Walters von Châtillon, Halle a. S., 1905, p. 129‑135, and Schnell (as in the
following footnote), p. 117. See also Cary, Medieval Alexander, p. 51, 245‑246 (with no mention
of the Secret of Secrets).
72. R. W. K. Schnell, “Zur volkssprachlichen Rezeption des Speculum historiale in
Deutschland. Die Alexander-Geschichte in den Excerpta chronicarum”, in Vincent of Beauvais
and Alexander the Great, ed. Aerts, Smits, and Voorbij, p. 101‑126.
73. John Gower, Confessio Amantis, vol. 1‑3, ed. R. A. Peck, Kalamazoo, 2000‑2004. I take
“the education of Alexander” from G. L. Hamilton, “Some Sources of the Seventh Book of
Gower’s Confessio Amantis”, Modern Philology, 9 (1911‑1912), p. 323. On Gower’s Book 7 and
the Secret of Secrets see also A. H. Gilbert, “Notes on the Influence of the Secretum secretorum”,
Speculum, 3 (1928), p. 84‑98, and M. A. Manzalaoui, “‘Noght in the Registre of Venus’: Gower’s
English Mirror for Princes”, in Medieval Studies for J. A. W. Bennett, ed. P. L. Heyworth,
Oxford, 1981, p. 159‑183. While Cary is aware that “the seventh book […] is a long description
of Alexander’s education” (Cary, Medieval Alexander, p. 255) and that the Secret of Secrets is an
important source for it (ibidem, p. 288, 333, 344), he dismisses it as “[containing] nothing of
interest to our purpose” (ibid., p. 255).
48 Steven Williams

metafisica, e a conosçer filosomia e natura de todo honbre74”. What


here appears as “filosomia” is physiognomy, the science of knowing
human natures. There were three sources for physiognomy carrying the
name of Aristotle in the Middle Ages: one had a very restricted circula-
tion; a second counted pretty much only scholars among its audience,
and the third came from the Secret of Secrets75. Almost certainly the
reference goes back to this last item.

15. Jean Wauquelin


Jean Wauquelin completed his prose romance, Les Faicts et les
Conquestes d’Alexandre le Grand, in 1448. Wauquelin mentions the
Secret of Secrets as a relevant source for Alexander’s life, though he goes
on to explain that he has not integrated its contents into his account
because doing so would take him too far afield76.

16. John Lydgate


In the preface to his English translation of the Secret of Secrets (c. 1450),
Lydgate very briefly recites some general Greek history concerning
Alexander’s father Philip and Alexander before transitioning to the
story of how the work came to be written and sent by Aristotle “to his
disciple of Macedonia, King, called Alexander, the mighty emperor77”.

74. Gutierre Díaz de Games, El Victorial, ed. R. Beltrán Llavador, Salamanca, 1997, p. 227.
In Le Victorial. Chronique de Don Pedro Niño, comte de Buelna par Gutierre Diaz de Gamez,
son alferez (1379‑1449), tr. de l’espagnol d’après le manuscrit, avec une introduction et des notes
historiques par le comte Albert de Circourt et le comte de Puymaigre, Paris, 1867, p. 18, the last
clause is translated as “à juger par la physionomie la nature de tout homme”.
75. R. Förster, Scriptores physiognomici, vol. 1‑2, Leipzig, 1893; Anonyme latin, Traité de physi-
ognomie, ed. J. André, Paris, 1981. 
76. “Et aussi son maistre fu le plus noble philosophe qui onques fust au monde et dont encores
aujourd’ui touz clers font feste. Ce fu Aristote, le maistre de philosophie. Et qui des enseigne-
mens qu’il fist a Alexandre voudra savoir, si lise ung livre qui s’apelle De secretis secretorum, la
pourra trouver belle et noble doctrine pour tous vaillains homes enseigner et aprendre, si nous
en tairons pour la prolixité de la matiere.” (Les Faicts et les Conquestes d’Alexandre le Grand
de Jehan Wauquelin, ed. S. Hériché, Geneva, 2000, p. 8‑9) A modern translation in French
of Wauquelin’s work done by O. Collet can be found in Splendeurs de la cour de Bourgogne:
récits et chroniques, ed. D. Régnier-Bohler, Paris, 1995, p. 489‑564; The Medieval Romance of
Alexander: Jehan Wauquelin’s The Deeds and Conquests of Alexander the Great, trans. N. Bryant,
Woodbridge, 2012 contains an English version. See also Cary, Medieval Alexander, p. 33‑34,
228‑229 (with no mention of the Secret of Secrets).
77. Lydgate and Burgh’s Secrees of Old Philisoffres, ed. R. Steele, London, 1894, p. 2, l. 42‑43.
See also n. 9 above.
 Two Independent Textual Traditions? 49

17. Gilbert Hay


The poem attributed to Sir Gilbert Hay, The Buik of King Alexander
the Conquerour, was composed around 1460 and apparently revised
by some other writer c. 1499. In the retelling of Alexander’s life are
included substantial portions of the Secret of Secrets78.

To complete our discussion of the evidence, we need to return to the Poison


Maiden story, which held an enduring fascination and enjoyed an immense pop-
ularity for several centuries. Cary makes the important point that “the anecdotal
evidence has […] its own great importance” in forming the medieval conception
of Alexander, as it “supplement[ed] the regular Alexander material79”. Cary’s
effective sidelining of the Poison Maiden story in affecting that conception,
therefore, is all the more difficult to fathom. We have already seen one instance
of its appearance with Jacob van Maerlant. It often served as a moral exemplum,
being mentioned by preachers and other moralists, including the author of the
Gesta Romanorum80. It attracted poets81. And what Cary did not know was that

78. The Buik of King Alexander the Conquerour by Sir Gilbert Hay, vol. 2‑3, ed. J. Cartwright,
Edinburgh, 1986‑1990 (vol. 1 has not yet appeared). On this work as well as its disputed at-
tribution, see J. Cartwright, “Sir Gilbert and the Alexander Tradition”, in Scottish Language
and Literature, Medieval and Renaissance, ed.  D.  Strauss and H.  W.  Drescher, Frankfurt
on the Main, 1986, p.  229‑238; J.  Cartwright, “Sir Gilbert Hay’s Alexander: A Study in
Transformations”, Medium Aevum, 60 (1991), p. 61‑72; M. P. McDiarmid, “Concerning Sir
Gilbert Hay, the Authorship of Alexander the Conquerour and The Buik of Alexander”, Studies
in Scottish Literature, 28 (1993), p. 28‑54; S. Mapstone, “The Scots Buke of Phisnomy and
Sir Gilbert Hay”, in The Renaissance in Scotland. Studies in Literature, Religion, History and
Culture Offered to John Durkan, ed. A. A. MacDonald, M. Lynch, and I. B. Cowan, Leiden,
1994, p. 1‑44; J. Martin, “Of Wisdome and of Guide Governance: Sir Gilbert Hay and The Buik
of King Alexander the Conquerour”, in A Companion to Medieval Scottish Poetry, ed. P. Bawcutt
and J. Hadley Williams, Woodbridge, 2006, p. 75‑88. Cf. Cary, Medieval Alexander, p. 35, 230
(with no mention made of the Secret of Secrets).
79. Cary, Medieval Alexander, p. 78‑79.
80. Preachers and moralists: these include Roger Bacon, John of Wales, Malachi (see
Williams, Secret of Secrets, p. 251‑252; Cary, Medieval Alexander, p. 303, noting Malachi’s use
of the Secret of Secrets). According to M. A. Manzalaoui (The Secreta Secretorum in English
Thought and Literature from the Fourteenth to the Seventeenth Century with a Preliminary
Survey of the Origins of the Secreta, D.Phil. thesis, University of Oxford, 1954, p. 665) it is found
in Robert Holcot, Moralitates; in a sermon preached by John Sheppey; and in a sermon collec-
tion prepared by Sheppey. For the Gesta Romanorum, see the edition by H. Oesterley, Gesta
Romanorum, Berlin, 1872, p. 288; see also Cary, Medieval Alexander, p. 231 n. 5 (with mention
of the Secret of Secrets).
81. Guylem de Cervera, Frauenlob, Hugh of Trimberg, King Sancho  IV, Heinrich von
Mügeln (see W.  Hertz, “Die Sage vom Giftmädchen”, in his Gesammelte Abhandlungen,
50 Steven Williams

it also became a classic medical experimentum82. Put all of this together, and it
means that the Poison Maiden story must have come to mind for many people
in the Middle Ages when they thought about Alexander the Great.
Let us close this section with a summary of the evidence that we have sur-
veyed on the preceding pages. While the Secret of Secrets was not the exclusive
source for the “historical” facts that Aristotle had served as Alexander’s pre-
ceptor or advisor, that letters had passed between them, and that Alexander
had an intellectual disposition, it remains that the widespread circulation
of the Secret of Secrets meant that when people thought about these things,
the Secret of Secrets probably came up, too; indeed, the Secret of Secrets both
propagated and reinforced them, helping to cement them in the collective
consciousness. The Secret of Secrets was widely recognized as the most famous
and the most important of Aristotle’s writings to Alexander; many people
probably identified the Secret of Secrets with the Alexander-Aristotle relation-
ship. What’s more, that relationship became the exemplar of the classic pair
King-and-Philosopher, thereby serving as the ideal model for writers who
wanted to lecture princes on the subjects of politics and morality. When Jean
Wauquelin mentions the Secret of Secrets among the materials for understand-
ing Alexander, he was giving voice to a long- and widely-held belief that the
Secret of Secrets was one of a complex of Alexander texts that helped to form
people’s conceptions of Alexander the Great.
Consider in this connection an image in a large codex containing Aristotle’s
libri naturales83. In a bottom half of a rondel, on the left, is Aristotle, wearing
a scholar’s cap and sitting at a lectern with a book; on the right is a crowned
Alexander, standing. At the top of the rondel we see God flanked by two

ed. F. Von der Leyen, Stuttgart, 1905, p. 165‑170; N. M. Penzer, Poison-Damsels and Other


Essays in Folklore and Anthropology, London, 1952, p. 23‑24). Whether the elaborate version
of the Poison Maiden story found in the section on Alexander in the Italian verse version of
Brunetto Latini’s Tesoro (c. 1310) comes from the Secret of Secrets is uncertain: for the story,
see A. D’Ancona, Il Tesoro di Brunetto Latini versificato, Rome, 1888, p. 29‑32; also Penzer,
Poison-Damsels, p. 25‑26.
82. Albertus Magnus; author of Problematica varia anatomica; Antonio Guaineri; Cristoforo
de Onesti; author of Tractatus de epidemia; author of Regulae technicae contra pestilentiam;
Diego Alvarez Chanca (see Williams, Secret of Secrets, p. 231‑232). In the section that deals with
the subject of nutrition, the late thirteenth-century French philosophical dialogue Placides et
Timeo recounts the Poison Maiden story, but whether it comes from the Secret of Secrets or from
some other source remains an open question: see Placides et Timéo ou Li secrés as philosophes,
ed. C. A. Thomasset, Geneva, 1980, p. 109‑113; C. A. Thomasset, Une vision du monde à la fin
du xiiie siècle. Commentaire du Dialogue de Placides et Timéo, Geneva, 1982, p. 73‑80.
83. Reims, Bibliothèque Municipale, 867, fol. 1 r.
 Two Independent Textual Traditions? 51

angels; a book is open is his hands. Though this image comes at the start of
the Physics, which opens the manuscript, it is natural to think of the relation-
ship of Aristotle and Alexander as reflected in the Secret of Secrets, with the
book on the lectern being the Secret of Secrets: just as we have it described in
the Secret of Secrets’s prologue, secrets are passed on by God to Aristotle, then
passed on to Alexander. And indeed the short version of our work can be
found later in the codex. It is arguable that not only the construction but also
the very understanding of this image relies on the Secret of Secrets. Certainly by
the second half of the thirteenth century when this manuscript was produced,
the Secret of Secrets had become a well-known text, exerting a considerable
impact on how people conceived of Alexander.

Conclusion

It is now time to take stock of the evidence and the arguments presented
so far and to tally our results. The line from Cary’s book that was quoted at
the start of this chapter is exceptionally broad in its sweep and unsparingly
narrow in its judgment: we have shown that Cary’s claim is contradicted by
the evidence and that the Secret of Secrets was an important contributor to
the formation of the medieval conception of Alexander84. With that said,
if we understand Cary’s “medieval conception of Alexander” to mean “the

84. This is not the first time that Cary has required correction or been subjected to criti-
cism: see M. R. Lida de Malkiel, “La leyenda de Alejandro en la literatura medieval”, Romance
Philology, 15 (1961‑1962), p. 311‑318; K. R. De Graaf, “The Last Days of Alexander in Maerlant’s
Alexanders Geesten”, in Alexander the Great in the Middle Ages: Ten Studies on the Last Days of
Alexander in Literary and Historical Writing, ed. W. J. Aerts, J. M. M. Hermans, and E. Visser,
Nijmegen, 1978, p.  230‑266; R.  W.  K.  Schnell, “Hartliebs Alexanderroman. Politisierung
und Polyfunktionalität eines spätmittelalterlichen Textes”, ibidem, p.  287; W.  J.  Aerts,
“Introduction”, ibid., p. xiii-xiii (with comments about the preceding two articles); A. Murray,
Reason and Society in the Middle Ages, Oxford, 1978, p. 445 n. 38; G. H. V. Bunt, “Alexander
and the Universal Chronicle: Scholars and Translators”, in The Medieval Alexander Legend
and Romance Epic. Essays in Honor of David J. A. Ross, ed. P. Noble, L. Polak, and C. Isoz,
Millwood (N. Y.), 1982, p. 5, 7; P. Dronke, “Introduzione”, in Alessandro nel Medioevo occiden-
tale, ed. P. Boitani, Verona, 1997, p. xiii-xix; F. Grady, Representing Righteous Heathens in Late
Medieval England, New York, 2005, p. 116, 117 n. 38; R. Morosini, “The Alexander Romance in
Italy”, in A Companion to Alexander Literature in the Middle Ages, ed. Z. D. Zuwiyya, Leiden,
2011, p. 337‑338; M. Cruse, Illuminating the Roman d’Alexandre. Oxford, Bodleian Library, MS
Bodley 264: the Manuscript as Monument, Cambridge, 2011, p. 199; C. R. Stone, “Investigating
Macedon in Medieval England: The St Albans Compilation, the Philippic Histories, and the
Reception of Alexander the Great”, Viator, 42/1 (2011), p. 81 n. 24.
52 Steven Williams

medieval conception of Alexander as reflected in the primary carriers of the


Alexander Legend, i.e., the romances and ‘historical’ accounts”, then Cary’s
statement is qualifiedly true: the Secret of Secrets exerted some but not a sig-
nificant effect on the Legend’s literary tradition. To use the more careful for-
mulation of Gaullier-Bougassas, “the Secret of Secrets had little influence on
the medieval accounts of the life of Alexander85”.
Given that basic fact, the question then becomes, why did the Secret of
Secrets not affect these Alexander Legend accounts more than it did? Several
possible reasons can be put forward:
1) One reason is that, as we saw in the introductory Section of this paper,
except for the Poison Maiden, the Secret of Secrets offers slim pickings
in terms of anecdotes or other usable material for storytelling; certainly
there is not one sustained episode or substantial amount of biographi-
cal data in it that might have served a creative writer or historian well.
2) At least as important as the previous point is the fact that the Secret of
Secrets was effectively unavailable during the crucial first stage of the
Alexander Legend’s development in Western Europe – the twelfth and
early thirteenth centuries. While a partial version of the Latin Secret of
Secrets was circulating by c. 1120, it includes, after an introduction of-
fering only the barest of explanations as to where this text comes from,
medical advice exclusively – not the kind of material that would prove
attractive to a raconteur. The full Secret of Secrets was translated from
the Arabic a good hundred years later, and by that time the Alexander
Legend as it appeared in the romances had taken definite, albeit not de-
finitive, shape. Yes, there are those little pieces of the Secret of Secrets that
might have been grafted onto the Alexander story, but it would have
required some serious adjustments to the pretty much set story line, and
in the end writers seem to have come to the reasonable conclusion that
it just was not worth the trouble and/or would not work aesthetically86.
3) Lastly, suspicions that the Secret of Secrets was spurious might well have
deflected away some interest in its contents. Even early on its authen-
ticity was questioned, and that skepticism increased in the Late Middle
Ages. Relevant here are the editorializing comments of Geoffrey of

85. C. Gaullier-Bougassas, “Alexander and Aristotle in the French Alexander Romances”, in The
Medieval French Alexander, ed. D. Maddox and S. Sturm-Maddox, Albany (N.Y.), 2002, p. 59.
86. So, both Jacob van Maerlant and Gilbert Hay had to make some effort to insert the Poison
Maiden into their accounts: see W.  P.  Gerritsen, “Alexander the Great as a Literary Hero
and the Medieval Literary Genres”, in Ten Studies on the Last Days of Alexander, p. 296, and
G. H. V. Bunt, Alexander the Great in the Literature of Medieval Britain, Groningen, 1994, p. 70.
 Two Independent Textual Traditions? 53

Waterford, whose translation of the Secret of Secrets was mentioned ear-


lier. In his view, not all of the Latin text available to him came from the
hand of Aristotle. This included the panacea, which Geoffrey skipped
over because it was inconsistent with the standard medical authorities,
and both the herbal and the lapidary material, because it read more
like fable than truth87. Most pertinent for our discussion, Geoffrey
heaped ridicule on “the stone that floats […] and that will repel all
enemies”: such a thing is impossible, Geoffrey says, and though the
claim is made that Aristotle was acquainted with such a stone and gave
it to Alexander, Geoffrey continues, we know from the histories of
Alexander’s life that his battles were hard fought and that his enemies
did not simply throw down their arms and run away88.

In 1468 Vasco da Lucena presented Charles the Bold with his recently
completed Les Faiz et Conquestes d’Alexandre le grant. Clearly he was de-
termined to tell a different kind of story and to present a different kind of
Alexander from that of his predecessors, including, we can assume, fellow
Burgundian courtier Jean Wauquelin (d. 1452). Here is how Vasco describes
some of what he is up to:
Cette histoire est donc très utile, qui nous apprend au vrai comment
Alexandre conquit tout l’Orient […] sans voler en l’air, sans aller sous la
mer, sans enchantements, sans géants et sans être aussi fort que Renaut de
Montauban, que Lancelot, que Tristan ou que Rainouart, qui tuaient cin-
quante hommes à tout coup89.

87. For Geoffrey’s skepticism, see Williams, Secret of Secrets, p. 309‑310.


88. “Entre autres choses il conte que il est une piere qui naist en la mer de Gresce et flote sur
la mer. Teile est la vertu de celle piere que, si tu la més en une autre piere et la portes avoiques
toi, nul ost ne toi pora contrester, mais fuira hastivement devant toi. Bien doient entendre
totes gens que ce ne puet estre. Et certainne chose est que se Aristotles conneust une tel pierre
que il la feist avoir a Alixandre ; et bien savons par les ystoires que sovent fut dur menez en
batalhe et que ses annemis ne fuiirent pas.” (Paris, Bibliothèque nationale de France, fr. 1822,
fol. 131 v-132 r)
89. I use here the modern translation of Vasco’s work by O. Collet (Splendeurs de la cour
de Bourgogne, p. 565‑627). At the end of his work Vasco repeats that Alexander’s conquests
were done “sans géants, sans enchantements, sans miracles” (p. 626). For the original French
of the prologue, see R. Bossuat, “Vasque de Lucène, traducteur de Quinte-Curce (1468)”,
Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, 8 (1946), p. 213. For the little-known medieval pre-
history to Vasco’s skepticism about aspects of the Alexander Legend, see, besides the discussion
of Geoffrey of Waterford above, Cary, Medieval Alexander, p. 235‑236, and Stone, “Investigating
Macedon in Medieval England”, passim.
54 Steven Williams

Vasco must have been familiar with Wauquelin’s version of the story – it
had been prepared in a luxury manuscript for Charles’ father Philip the Good,
on Philip’s own order – so when he names his sources in the prologue yet
does not mention the Secret of Secrets, we have good reason to suspect that he
has made a conscious decision not to do so. This suspicion becomes all the
stronger when we recall his phrase “sans enchantements” from the prologue.
Alexander did not conquer the East through Aristotle’s esoteric wisdom or
Aristotle’s magic, as the Secret of Secrets would have it: Vasco rejects that pos-
sibility out of hand. Alexander was just a man, Vasco reminds us, very much
like ourselves.
By about 1500 the career of the Secret of Secrets was near the end of its
run. As Cary points out, so too was that of the Alexander Legend, with its
larger-than-life superhero and his amazing adventures90. Given the connec-
tion between the Secret of Secrets and the Alexander Legend, it is no coinci-
dence that they experienced a similar fate. The humanistic sensibility was now
affecting the view of the classical past in a significant way, resulting in a change
in judgment regarding all sorts of texts, individuals, and issues. Poison maid-
ens and wood maidens, talismans and the Wonderstone, basilisks and talking
birds, already existing in a middle zone between fact and fiction, historia and
fabula, were being pushed firmly into the latter categories, and the fantastic
Alexander of the Alexander Legend was being replaced with someone we can
recognize as a realistic historical personage. What we have here, therefore, is
another handy marker for the crossover from medieval to early modern91.

Steven Williams
New Mexico Highlands University

90. Cary, Medieval Alexander, p. 233‑234, 260‑261, 274.


91. Cf. Stone, “Investigating Macedon”, p. 109.
Les Secrets des secrets français
Révélation hermétique et savoir occulte
de l’Orient dans le Secretum secretorum
et les Secrets des secrets français

Le texte latin du Secretum secretorum, comme déjà le Sirr-al-asrar, s’im-


pose au lecteur par un complexe et long discours d’ouverture, qui insiste sur
l’importance philosophique et scientifique de l’œuvre. Nous apprenons que
l’enseignement d’Aristote, transmis à Alexandre puis conservé dans un temple
du Soleil construit par Esculape (souvent identifié à Hermès), offre un savoir
occulte et des secrets divins, dont certains seront plus loin explicitement rap-
portés à la figure d’Hermès, nommé Hermès Trismégiste ou confondu avec le
philosophe Hermogène. Les quatre prologues, délégués à Philippe de Tripoli,
puis deux fois au traducteur arabe, le Pseudo-Yahya ibn al-Bitriq1 dont le nom
est latinisé en Johannes, filius Patricii, et à Aristote lui-même, mettent donc
en relief à la fois l’origine aristotélicienne supposée de l’œuvre et sa dimen-
sion hermétique, puis la transmission de ce double héritage de l’Antiquité
grecque grâce à une traduction arabe découverte à Antioche au xiiie siècle
par Philippe de Tripoli et sa conciliation avec la foi chrétienne2. Les discours
successifs d’introduction laissent attendre une œuvre consacrée essentielle-
ment à des savoirs secrets interdits au grand nombre, réservés à des initiés,
mais en même temps présentés comme scientifiques, au sens d’accessibles à la
raison humaine, bien qu’ils soient occultés par un discours figuré. En ce début
du xiiie siècle, les traductions latines des œuvres d’Aristote se multiplient en

1. Yahya ibn al-Bitriq, qui, au ixe siècle, travaillait à Bagdad pour les califes abbassides, a effec-
tivement traduit de nombreux traités de philosophie naturelle d’Aristote. Voir S. J. Williams,
The Secret of Secrets. The Scholarly Career of a Pseudo-Aristotelian Text in the Latin Middle Ages,
Ann Arbor, 2003, p. 8‑9 et la bibliographie citée ; voir aussi l’introduction, p. 9‑10.
2. Il n’existe pas d’édition critique du Secretum secretorum. Nos citations renverront à l’édi-
tion de R. Möller, Hiltgart von Hürnheim, Mittelhochdeutsche Prosaübersetzung des Secretum
secretorum, Berlin, 1963. Nous nous référerons aussi parfois, toujours en l’indiquant, à l’édition
glosée de Roger Bacon : Secretum secretorum cum glossis et notulis, éd. R. Steele, Opera hactenus
inedita Rogeri Baconi, Oxford, 1920, t. 5. Mentionnons enfin que l’une des plus anciennes copies
du texte, peut-être la plus ancienne, celle de Albert Behaim, un légat du pape qui a rencontré
Philippe de Tripoli et découvert son texte sans doute lors d’un concile à Lyon, est transmise
par le manuscrit de Munich, Bayerische Staatsbibliothek, clm. 2574b et éditée par T. Frenz et
P. Herde dans les Monumenta Germaniae Historica : Das Brief- und Memorialbuch des Albert
Behaim, Briefe des späteren Mittelalters, t. 1, Munich, 2000, p. 258‑340 ; voir Éloïse Adde-
Vomáčka et Christophe Thierry dans ce volume.

Trajectoires européennes du Secretum secretorum du Pseudo-Aristote (xiiie-xvie siècle)


éd. Catherine Gaullier-Bougassas, Margaret Bridges et Jean-Yves Tilliette
Turnhout, 2015, (Alexander Redivivus, AR. 6) pp. 57-106
© F H G DOI 10.1484/M.AR.5.103385
58 Catherine Gaullier-Bougassas

Europe, et notamment celles de ses livres de philosophie naturelle. Depuis le


xiie siècle aussi, l’Occident médiéval découvre également avec fascination les
sciences arabes et multiplie les traductions de traités d’astronomie, d’astro-
logie, de magie et de médecine, dont certains, comme le Secretum secretorum
sont attribués à Aristote et parfois destinés à Alexandre3.
La reprise de l’héritage de la science aristotélicienne et de celui de l’her-
métisme hellénistique et arabe suscite souvent des résistances, qui ne cessent
de croître au xiiie siècle et vont conduire en France à la condamnation de
1277 par l’évêque Tempier à Paris, d’où vraisemblablement l’importance de
la préface de Philippe de Tripoli, qui place la transmission latine du Sirr-al-
asrar sous le patronage de l’évêque Gui de Valence et insiste sur la caution
chrétienne ainsi apportée. Dans les prologues suivants, si la figure d’Aristote
domine, c’est sous les traits d’un philosophe et d’un ange-prophète, auteur
de miracles. Son assimilation au monothéisme, héritée du texte arabe, suggère
désormais sa christianisation, d’autant qu’Aristote se présente comme l’élu
du dieu d’une religion monothéiste qui redoute de profaner les secrets qu’il
a reçus de lui.
Par ailleurs, les ouvertures successives de l’œuvre, dès le Sirr-al-asrar4, lui
donnent un double statut. Livre de secrets, elle est aussi un miroir du prince,
conformément aux demandes du destinataire et commanditaire, Alexandre :
les savoirs occultes, qui permettraient à un élu d’accéder légitimement, sans
sacrilège ni péché d’orgueil, aux secrets de la création divine, de transformer
la nature et d’atteindre l’immortalité, sont aussi des instruments politiques
aptes à donner au souverain le pouvoir absolu et leur transmission participe
à un enseignement politique plus large et alors dénué de toute dimension

3. Sur les textes attribués à Aristote, C. B. Schmitt et D. Knox, Pseudo-Aristoteles Latinus.


A Guide to Latin Works Falsely Attributed to Aristotle Before 1500, Londres, 1985 et C. Burnett,
« Arabic, Greek, and Latin Works on Astrological Magic Attributed to Aristotle », dans idem,
Magic and Divination in the Middle Ages. Texts and Techniques in the Islamic and Christian
Worlds, Aldershot, 1996, p. 84‑95. Plus généralement sur les livres de secrets et la postérité
médiévale, W. Eamon, Science and the Secrets of Nature. Books of Secrets in Medieval and Early
Modern Culture, Princeton, 1994 ; N. Weill-Parot, Les images astrologiques au Moyen Âge et
à la Renaissance. Spéculations intellectuelles et pratiques magiques (xiie-xve siècle), Paris, 2002 ;
J.‑P. Boudet, Entre science et nigromance. Astrologie, divination et magie dans l’Occident médiéval
(xiie-xve siècle), Paris, 2006 ; F. Ebeling, The Secret History of Hermes Trismegistus. Hermeticism
from Ancient to Modern Times, trad. anglaise, Ithaca et Londres, 2007 ; K. van Bladel, The Arabic
Hermes. From Pagan Sage to Prophet of Science, Oxford, 2009. Sur la Table d’Émeraude, nous
renvoyons à la note 5.
4. Nous l’avons lu à travers la traduction anglaise de A. S. Fulton et I. Ali dans l’édition Steele
du Secretum secretorum de Roger Bacon, op. cit., p. 176‑266.
 Révélation hermétique et savoir occulte de l’Orient 59

ésotérique. Cet alliage sans doute d’emblée problématique, du moins pour


l’Occident médiéval où la figure d’un roi qui gouvernerait par les voies de
l’astrologie, de la magie et de l’alchimie est difficile à accepter, va ouvrir la voie
à une multiplicité de réceptions et de réécritures.
Parmi les chapitres sur les sciences qui révèlent des secrets aux initiés, les
deux les plus importants sont sans nul doute ceux que l’auteur consacre à la
panacée appelée gloria inestimabilis, puis à l’œuf des philosophes et à la Table
d’Émeraude. On connaît la multiplication, dans les siècles suivants, des trai-
tés alchimiques latins sur l’œuf des philosophes ou pierre philosophale et la
remarquable postérité des aphorismes d’Hermès appelés la Table d’Émeraude.
La présentation de ces aphorismes d’Hermès au cœur du Secretum secretorum
de Philippe de Tripoli, bien que non rapportée à une inscription sur une éme-
raude, constitue la troisième des trois traductions latines de la Table d’Éme-
raude qui ont été réalisées aux xiie et xiiie siècles5. La citation de ce texte
énigmatique, conçu et écrit comme tel, attribué à Hermès, y suit l’évocation
du secretorum maximum secretum, la recette de la pierre animale, végétale et
minérale, ou œuf des philosophes (ch. 59, p. 110‑112). C’est sans aucun doute
ce chapitre 59 qui rattache le plus fortement le Secretum secretorum au corpus
d’ouvrages alchimiques qui se constitue en latin à partir du xiie siècle. Le
Secretum secretorum se réfère aussi à Hermogène à propos de la panacée glo-
ria inestimabilis, le thesaurus philosophorum, dont le secret se décline en huit
recettes qui permettent d’écarter toutes les maladies et de retarder la vieillesse
(ch. 54‑57, p. 100‑106) : Roger Bacon verra en elle un secret proche de celui de
l’élixir de vie alchimique. À ces deux passages majeurs, il convient d’adjoindre

5. Les deux premières traductions latines de la Table d’Émeraude sont celle de Hugues de
Santalla, dans sa traduction de l’arabe en latin du Livre des secrets de la création de Balinus
(le Pseudo-Apollonius de Tyane), et celle de Platon de Tivoli, dans son Liber Hermetis de
alchimia, lui aussi une traduction d’un ouvrage arabe. Sur la Table d’Émeraude, l’étude fonda-
mentale reste celle de J. Ruska, Tabula Smaragdina, ein Beitrag zur Geschichte der hermetischen
Literatur, Heidelberg, 1926. Un certain nombre de versions ont été traduites par D. Kahn,
Hermès Trismégiste. La Table d’Émeraude et sa tradition alchimique, Paris, 2008. Voir aussi
les études récentes de J.-M. Mandosio, « La Tabula smaragdina e i suoi commentari medie-
vali » et I. Caiazzo, « Note sulla fortuna della Tabula smaragdina nel Medioevo latino », dans
Hermetism from Late Antiquity to Humanism – La tradizione ermetica dal mondo tardo-antico
all’Umanesimo, éd. P. Lucentini, I. Parri et V. Perrone Compagni, Turnhout, 2003, p. 681‑696,
697‑711 (les textes des trois premières traductions latines sont cités en annexe, p. 690‑693). Pour
une première synthèse sur les textes alchimiques de l’Occident médiéval, voir R. Halleux, Les
textes alchimiques, Turnhout, 1979 ; B. Obrist, Les débuts de l’imagerie alchimique (xive-xve
siècle), Paris, 1982 ; S. Matton, « Hermès Trismégiste dans la littérature alchimique médié-
vale », dans Hermetism from Late Antiquity to Humanism, op. cit., p. 621‑649.
60 Catherine Gaullier-Bougassas

les chapitres sur l’astrologie, qu’elle soit utilisée dans la médecine ou l’art de
la guerre, ceux sur les végétaux et les pierres, sur le cor de Thémistius (le nom
renvoie à celui du philosophe grec commentateur d’Aristote à Byzance au
ive siècle), ainsi que, dans l’édition de Roger Bacon et un petit nombre de
manuscrits, ceux sur l’art des talismans et le talisman d’Hermogène. Voici
leur ordre d’apparition dans le texte6 :
– La panacée gloria inestimabilis et les huit recettes, ch. 54‑57, p. 100‑106 ;
Roger Bacon, II, ch. 27‑28, p. 98‑105, avec un ajout sur une recette
à partir de la chair de vipère (ch. 29, p. 105‑107), inspiré d’Avicenne
(Steele, introd. de son édition, p. xxiii).
– La médecine astrologique, ch. 58, p. 108‑110 ; Roger Bacon, II, ch. 30,
p. 108‑113.
– Les vertus des pierres, la confection de la pierre animale, végétale et
minérale – l’œuf des philosophes –, les aphorismes d’Hermès (la Table
d’Émeraude), d’autres pierres, dont une blanche et une vermeille,
ch. 59, p. 110‑114 ; Roger Bacon, III, ch. 1‑2, p. 114‑118.
– Les vertus des plantes, ch. 60, p. 114‑120 ; Roger Bacon, III, ch. 3,
p. 119‑123.
Après un chapitre sur la justice, cet enseignement ésotérique est associé
à une cosmogonie et à une évocation de l’homme-microcosme, dont
l’étude sortirait du cadre de ce article.
– Le cor de Thémistius, ch. 73, p. 150 et le recours à l’astrologie dans la
guerre, ch. 74, p. 154 ; Roger Bacon, III, ch. 16, p. 151, avec quelques
lignes supplémentaires, et ch. 20, p. 155‑156. Roger Bacon ajoute en-
suite trois chapitres, absents de l’édition Möller, sur les talismans et
les influences astrales qu’ils requièrent (III, ch. 21‑23, p. 157‑1637). Il
y présente le talisman d’Hermogène, qui permet au roi de modifier à
sa guise les sentiments de ses sujets comme de ses ennemis et le rend
invincible (ch. 23).

6. Nous ne prendrons pas ici en compte la section sur le régime de santé, ni celle de la phy-
siognomonie, car leur contenu, s’il relève bel et bien du discours scientifique, n’est pas pré-
senté comme un savoir occulte. Sur la dimension scientifique du Secretum secretorum, voir
S. J. Williams, « Reflections on the Pseudo-Aristotelian Secretum secretorum as an Astrological
Text », Il sole e la luna, Micrologus, 12 (2003), p. 407‑434 ; idem, « Esotericism, Marvels, and
the Medieval Aristotle », Il Segreto, Micrologus, 14 (2006), p. 171‑191.
7. Pour un commentaire de ces chapitres, voir N. Weill-Parot, Les images astrologiques, op.
cit., p. 326‑331.
 Révélation hermétique et savoir occulte de l’Orient 61

Roger Bacon, on le sait, a lu le Secretum secretorum comme un texte scien-


tifique sur des secrets transmis par Dieu à ses élus pour leur apprendre les
propriétés occultes des éléments naturels, ainsi qu’un savoir alchimique et mé-
dical qui leur donne une toute-puissance sur la matière, la nature et les autres
hommes. Avant même qu’il ne réalise son édition à Oxford, sans doute entre
1275 et 1280, il se réfère plusieurs fois à lui, notamment dans son Opus majus,
qui évoque la recherche d’un élixir qui prolongerait la vie, une panacée qui,
comme celle du Secretum, procurerait une jeunesse éternelle8 (t. 2, p. 204‑210),
puis la synthèse alchimique de l’or le plus pur (t. 2, p. 215). L’idée est formu-
lée que le Secretum permettrait de retrouver certains secrets de Dieu, perdus
après le péché originel (t. 1, p. 65). La longue introduction qu’il ajoute à son
édition du texte de Philippe de Tripoli amplifie l’ouverture déjà imposante
du Secretum, avant tout pour justifier le bien-fondé des sciences secrètes, que
le savant anglais prend soin de distinguer de la magie sous toutes ses formes.
Son argumentation laisse penser qu’il écrivait juste avant les condamnations à
Paris de l’évêque Tempier en 1277. Tout en apportant un condensé de connais-
sances scientifiques conçues comme des clés pour la compréhension du texte
– avant tout en astrologie, avec l’inscription de figures et la référence au traité
arabe d’Albumazar sous sa traduction latine, Liber introductorius in judicia
astronomie –, il explique que les mots de magie et de géomancie ont été mal
choisis par le traducteur latin pour désigner le savoir transmis (p. 2). Dans
son Opus majus (t. 1, p. 392‑393), il a aussi légitimé ce dernier par une fonc-
tion politique et religieuse, puisque ces secrets ont déjà, selon lui, assuré à
Alexandre sa conquête du monde et que l’alchimie, avec la transmutation des
matériaux en or, donnera au souverain tous les moyens pour la croisade contre
les musulmans, et au-delà, pour l’affrontement de l’Antéchrist.
Le témoignage de Roger Bacon dans son édition nous apprend aussi ce
qu’illustre la tradition manuscrite du Secretum secretorum : une résistance
devant l’enseignement ésotérique et une fréquente suppression des chapitres
sur les sciences occultes9, une censure qui émane sans doute des copistes

8. Roger Bacon, Opus majus, éd. J. H. Bridges, The Opus maius of Roger Bacon, Oxford, t. 1 et
2, 1897, t. 3, 1900 ; J. Hackett, « Roger Bacon : His Life, Career and Works », « Roger Bacon
on scientia experimentalis », dans Roger Bacon and the Sciences, éd. J. Hackett, Leyde, 1997,
p. 9‑23, 277‑315 ; S. J. Williams, « Roger Bacon and His Edition of the Pseudo-Aristotelian
Secretum secretorum », Speculum, 69 (1994), p. 57‑73 et « Roger Bacon and the Secret of
Secrets », dans Roger Bacon and the Sciences, op. cit., p. 365‑393.
9. Cette tradition manuscrite a été étudiée avant tout par F. Wurms, Studien zu den deutschen
und den lateinischen Prosafassungen des pseudo-aristotelischen Secretum secretorum, Hambourg,
1970.
62 Catherine Gaullier-Bougassas

eux-mêmes, l’hypothèse d’une condamnation officielle par l’Université de


Paris ayant été réfutée par S. J. Williams10. Beaucoup de manuscrits ignorent
donc les développements sur l’astrologie, la magie et l’alchimie, ainsi que la
cosmogonie, comme le regrette Roger Bacon. Dans son travail d’édition,
qui trahit déjà une conscience de philologue, la nécessité s’est imposée à lui,
comme il l’explique, de collationner cinq manuscrits pour retrouver le plus
grand nombre possible de chapitres de l’original et revenir au plus près de la
traduction latine supposée restituer fidèlement le texte arabe, et à travers lui
le traité grec :
Non est hic liber completus in Latino set multa magnalia deficiunt, ut patet
ex Greco et Arabico. Item cum in correccione istius exemplaris habui qua-
tuor exemplaria, scio quod ablata sunt ab eis quedam capitula per stulticiam
aliquorum. Et ideo querantur in aliis exemplaribus. (p. 172)
[ Ce livre n’est pas complet en latin, de nombreux prodiges manquent,
comme il ressort du grec et de l’arabe. puisque j’avais quatre autres ma-
nuscrits pour la correction de ce manuscrit, je sais que la stupidité de cer-
tains est responsable de la suppression de plusieurs chapitres. Ainsi ces
derniers sont-ils à chercher dans les autres manuscrits11. ]
En effet, ce n’est pas le traducteur arabe qu’il incrimine, ni d’ailleurs Philippe
de Tripoli, mais les copistes latins, qui n’ont pas transmis correctement, qui
ont supprimé des chapitres, particulièrement au sujet des sciences occultes,
et commis de nombreuses erreurs, en rendant par là même des passages ino-
pérants scientifiquement : « […] textus est corruptus per malos scriptores et
falsus in multis libris12 […]. » Le secret de la confection de la panacée mena-
cerait ainsi de se perdre, à cause d’erreurs dans la traduction ou dans la trans-
cription des mots arabes, qui enlèveraient leur efficacité aux recettes. Le savant
anglais glose aussi, avec des références à l’alchimie, l’évocation de l’œuf des
philosophes et de la Table d’Émeraude, avant d’ajouter plusieurs chapitres sur
l’art des talismans. Au xiiie siècle, de nombreux savants occidentaux portent
un très grand intérêt aux talismans, comme l’atteste la traduction de plusieurs
traités arabes sur leur art13. En 1501 encore, Alessandro Achillini ajoute à sa

10. The Secret of Secrets, op. cit., p. 142‑182.


11. Les traductions sont les nôtres.
12. Introduction, p. 23 : « […] le texte est corrompu par de mauvais scribes et faux dans de
nombreux livres […]. »
13. Voir N. Weill-Parot, Les images astrologiques, op. cit.
 Révélation hermétique et savoir occulte de l’Orient 63

nouvelle édition latine du Secretum secretorum des chapitres sur les propriétés
magiques des pierres14.
Si nous revenons au texte de Philippe de Tripoli édité par R.  Möller,
les chapitres sur les sciences occultes énumérés plus haut relient bel et bien
l’œuvre aux livres de secrets et aux textes hermétiques qui circulaient au xiiie
siècle, et ils s’inscrivent dans la continuité de plusieurs affirmations de son
ouverture, sur lesquelles nous allons bientôt revenir. Mais on relève aussi qu’ils
n’ont pas l’importance que plusieurs des prologues permettaient d’envisa-
ger et que le savoir exotérique sur l’art de gouverner apparaît prépondérant.
Autrement dit, le statut de miroir du prince, déjà majeur dans le traité arabe,
semble encore davantage prévaloir.
Cette importance du discours politique serait-elle une explication de la
résistance aux savoirs occultes qui voit aussi le jour dans la réception du texte
en langue française ? L’examen de la dizaine de traductions-adaptations en
langue française15 montre de fait que le transfert linguistique s’accompagne
la plupart du temps d’une déperdition du contenu hermétique. Si la tradition
manuscrite latine trahit l’hésitation entre ce double statut, miroir du prince
et livre scientifique de secrets, la majorité des textes français optent pour le
traité politique et ne contiennent aucun savoir sur les propriétés cachées des
planètes, des pierres et des herbes ni les secrets de l’œuf des philosophes et de
la gloria inestimabilis. Néanmoins, trois d’entre eux, qui sont encore inédits
et n’ont pas été étudiés, constituent des exceptions notables, car leurs auteurs
traduisent les chapitres sur les sciences occultes. Plusieurs autres, quoique dé-
pourvus de ces derniers, invitent aussi le lecteur à s’interroger sur le statut de
livre de secrets que l’œuvre pourrait détenir, ou plutôt avoir détenu et perdu,
en apportant des éclairages différents. D’une part, l’adaptation que réalisent
Jofroi de Waterford et Servais Copale au xiiie siècle est pour nous très inté-
ressante puisque le clerc dominicain récuse explicitement le contenu ésoté-
rique en affirmant qu’il a été faussement introduit par la traduction arabe et
il exprime son refus de le traduire, en se fixant pour mission de retrouver le

14. Alessandro Achillini, Secreta secretorum Aristotelis, Lyon, 1528, f. xxvii-xxix, disponible
sur e-rara.ch : http://dx.doi.org/10.3931/e-rara-4319 ; consulté le 2 mai 2014.
15. Nous ne les présenterons pas toutes ici. Voir à ce sujet J. Monfrin, « La place du Secret
des secrets dans la littérature française médiévale », dans Pseudo-Aristotle, The Secret of Secrets.
Sources and Influences, éd. W. F. Ryan et C. B. Schmitt, Londres, 1982, p. 73‑113, puis I. Zamuner,
« La tradizione romanza del Secretum secretorum pseudo-aristotelico. Regesto delle versioni
e dei manoscritti », Studi Medievali, 46/1 (2005), p. 31‑116 et ses notices dans Translations
médiévales. Cinq siècles de traductions en français du Moyen Âge (xie-xve siècles), t. 2/2, Étude et
répertoire, éd. C. Galderisi, Turnhout, 2011, p. 1251‑60.
64 Catherine Gaullier-Bougassas

texte grec. D’autre part, les deux traductions de la fin du xive siècle et du
xve siècle, les plus diffusées, traditionnellement appelées versions ou textes
B et C, montrent une relative fidélité à l’ouverture latine et à ses prologues
successifs, mais déçoivent absolument toutes les attentes qu’elles ont nourries
sur la découverte de secrets.
Dans cet article, nous laisserons ainsi de côté les adaptations françaises très
abrégées du Secretum secretorum et nous prendrons comme corpus d’étude les
sept ouvrages suivants :
– deux textes du xiiie siècle qui, transmis chacun par un seul manus-
crit, substituent leurs propres prologues et épilogues aux prologues du
texte latin, pour ensuite ignorer les sciences occultes : le texte de Jofroi
de Waterford et de Servais Copale16 et celui de Pierre d’Abernun, ce
dernier reconnaissant qu’il dispose d’un exemplaire latin très incom-
plet, tandis que Jofroi de Waterford revendique un travail conscient de
correction17.
– les trois adaptations, encore inédites, qui traduisent la totalité ou
­l’essentiel des chapitres de Philippe de Tripoli sur les sciences occultes
tels qu’ils sont édités par R. Möller. La première d’entre elles, com-
plète et fidèle, écrite dans le français de l’Angleterre au xiiie siècle,
est conservée en entier dans le seul manuscrit de Paris, BnF, fr. 571.
La deuxième et la troisième ont été réalisées au xive siècle : la deu-
xième est conservée dans quatre manuscrits – galerie Les Enluminures
(juin 2014), olim Amsterdam, Bibliotheca Philosophica Hermetica,
67, daté de 1300‑1320 ; Paris, BnF, Arsenal, 2872 (1350‑1400) ; Paris,
BnF, fr. 1088 (xve siècle) et Lyon, Bibliothèque municipale, 864 (xve
siècle) – et la troisième dans un seul manuscrit, Paris, BnF, fr. 24432
(xive siècle). Nous avons étudié la deuxième essentiellement à partir
du ms. de Paris, BnF, Arsenal, 2872, avant de découvrir récemment le
manuscrit naguère conservé à Amsterdam et maintenant possédé par la

16. Le texte est conservé dans un seul manuscrit, celui de Paris, BnF, fr. 1822, fol. 84 r-143 v
et fol. 248 v-249 v (premier prologue) et il n’est que partiellement édité : éd. Y. Schauwecker,
Die Diätetik nach dem Secretum secretorum in der Version von Jofroi de Waterford, Teiledition
und lexikalische Untersuchung, Wurzbourg, 2007 (fol. 100 v-132 r, régime de santé) ; L. Jordan,
«  Physiognomische Abhandlungen. Die Theorie der Physiognomik im Mittelalter  »,
Romanische Forschungen, 29 (1911), p. 690‑705 (fol. 137 r-142 r, physiognomonie) ; A. Henry,
« Un texte œnologique de Jofroi de Waterford et Servais Copale », Romania, 107 (1986),
p. 1‑37 (fol. 110 v-114 r) ; T. Hunt, « A New Fragment of Jofroi de Waterford’s Segré de segrez »,
Romania, 118 (2000), p. 289‑314.
17. Éd. O. Beckerlegge, Le Secré des secrez by Pierre d’Abernun, Oxford, 1944.
 Révélation hermétique et savoir occulte de l’Orient 65

galerie Les Enluminures (Paris, New York et Chicago). Les études sur
le Secret des secrets ne répertorient pas ce dernier manuscrit, que nous
avons identifié comme un exemplaire de la même traduction-adapta-
tion que celle du manuscrit de l’Arsenal, 2872.
– les deux traductions à succès de la fin du Moyen Âge, les textes B et C18,
dont nous gardons respectivement onze et vingt-trois manuscrits.
À la différence d’autres adaptations en langue vernaculaire du Secretum secre-
torum (notamment néerlandaise, hispaniques, allemandes et anglaises), nous
ne disposons d’aucune information précise sur les mécènes de ces différents
auteurs qui écrivent en langue française. Jusqu’à présent la critique estimait
que l’adaptation du xive siècle conservée dans quatre manuscrits dont celui de
Paris, BnF, Arsenal, 2872 avait été réalisée pour le roi français Charles V, bien
connu pour son goût pour les sciences et surtout l’astrologie, mais l’examen du
manuscrit de la galerie Les Enluminures, où nous avons découvert un témoin
de cette traduction-adaptation, rend caduque cette attribution, puisque ce
manuscrit date des années 1300‑132019.
Après une analyse des quatre pièces latines d’ouverture du Secretum secre-
torum de Philippe de Tripoli, nous nous proposons, pour chacun de ces textes
français, d’étudier conjointement la réécriture des prologues et le traitement
des chapitres sur les sciences occultes, afin d’analyser les différentes transfor-
mations qui sont apportées tant au statut de l’œuvre fixé par son ouverture
qu’à son contenu ésotérique, avec, dans plusieurs cas, l’absence ou le refus
de cet héritage hermétique. Cette première étape nous permettra d’exami-
ner dans quelle mesure ces modifications peuvent être rapportées à l’idéal du
pouvoir royal promu par les textes et, implicitement, à des préoccupations
politiques du temps de leur écriture : nous pensons ici au modèle du roi lettré
et savant, à la réflexion sur l’affermissement du pouvoir royal ou au contraire
sur sa limitation nécessaire, ainsi qu’au statut des conseillers royaux dans l’ad-
ministration à la fin du Moyen Âge. Enfin, la vulgarisation du texte en langue

18. Secret des secrets français, version dite B, transcription de D. Lorée, dans idem, Édition
commentée du Secret des secrets du Pseudo-Aristote, thèse de l’Université de Rennes, 2012, t. 2,
p. 113‑158 ; Secret des secrets français, version dite C, éd. D. Lorée, Édition commentée du Secret
des secrets du Pseudo-Aristote, thèse de l’Université de Rennes, 2012, 3 t., t. 1, p. 143‑349, à
paraître à Paris, chez Champion.
19. Son texte montre en outre des traits dialectaux du nord de la France. Nous remercions
Sandra Hindman de nous avoir autorisée à travailler sur ce manuscrit. À son sujet, voir les
notices de S. Gentile et C. Gilly, Marsilio Ficino e il ritorno di Ermete Trismegisto, Florence,
1999, p. 196‑200 et S. Hindman et A. Bergeron-Foote, Flowering of Medieval French Literature,
« Au parler que m’aprist ma mere », Londres, 2014, p. 65‑73.
66 Catherine Gaullier-Bougassas

vernaculaire suppose une transmission à un plus large public qui met a priori
en péril l’existence des secrets et pourrait imposer soit de les voiler et de les
occulter davantage, soit de les taire. Si l’écriture en latin induit de fait la sélec-
tion d’un lectorat initié à la culture savante, le choix de la langue comprise par
tous implique une réception plus diverse et incontrôlable, précisément celle
qu’Aristote, d’après les dires de son prologue, redoute, comme nous allons le
voir. Les auteurs évoquent-ils cette question dans leurs interventions et modi-
fient-ils ensuite l’écriture des chapitres sur les sciences occultes, quand ils les
traduisent, que ce soit pour éclairer ou pour obscurcir le sens ?
Un des premiers constats à la lecture des traductions-adaptations en langue
française du Secretum secretorum est que les plus grandes différences qui les
séparent touchent souvent aux prologues ainsi qu’aux chapitres sur les sciences
occultes. Ces sections du texte appartiennent à celles qui subissent les plus
substantielles modifications. Certes, il est souvent très difficile d’analyser avec
assurance ces dernières en termes d’intention de la part des auteurs, puisque
nous ne pouvons avoir de certitudes sur les exemplaires latins dont ils dispo-
saient et leur degré de complétude. Quelles que soient leur volonté et leur
responsabilité exactes dans la modification de leur source latine, nous privi-
légierons ainsi une analyse interne des textes, appréhendés chacun comme
une unité signifiante qui induit de fait des interprétations et des question-
nements particuliers, et nous étudierons leur traitement de la thématique
du secret, ses inflexions, son instrumentalisation ou son évanouissement. Et,
comme a­ nnoncé, nous chercherons à relier cette analyse au discours politique
de l’œuvre, et plus spécifiquement à deux de ses composantes essentielles :
d’une part le rôle du savoir dans l’action politique et l’étendue du pouvoir
qu’il donne au roi, d’autre part la relation du souverain avec son conseiller –
son maître ou son serviteur ? –, que ce dernier soit philosophe, prophète ou
détenteur d’un savoir scientifique accessible à tous, qu’il lui transmette des
secrets qui lui viennent de Dieu et/ou des connaissances pleinement ration-
nelles, qu’il ait aussi ou seulement, en qualité de secrétaire, la mission bien
différente de mettre par écrit et de garder ses secrets de roi. Plusieurs des textes
français, dans leur dispositif d’ouverture, leur invention de nouveaux prolo-
gues ou l’ajout d’éléments, nous font entendre la voix propre de certains des
traducteurs, si peu nombreux soient-ils à s’exprimer en leur nom et plus encore
à mettre en avant leur choix de la langue française. Chacun d’entre eux se rêve-
t-il en nouvel Aristote, apte à communiquer au roi un savoir que ce dernier uti-
liserait comme instrument de pouvoir dans son affirmation d’une monarchie
de plus en plus absolue ? Ou bien se présentent-ils comme les détenteurs de
 Révélation hermétique et savoir occulte de l’Orient 67

secrets fascinants, avant tout pour s’assurer un certain pouvoir sur la royauté
et travailler à leur propre promotion ?
L’analyse conjointe des réécritures des prologues et des sections sur les
savoirs occultes est d’autant plus intéressante qu’elle réserve quelques sur-
prises qui ne sont pas aisées à interpréter. On attendrait en effet que les textes
qui traduisent les chapitres ésotériques reprennent aussi avec fidélité les pro-
logues et leurs annonces des secrets, et inversement que ceux qui ignorent ces
chapitres suppriment ces mentions dans leur ouverture. C’est parfois le cas,
mais ce souci de cohérence, du moins ce qui nous apparaît comme tel, n’est
pas toujours attesté, si bien que certaines discordances suscitent l’interroga-
tion. Exception faite du texte anglo-normand du manuscrit de Paris, BnF,
fr. 571, les adaptations tardives B et C restent ainsi, contre toute attente, très
fidèles aux éléments ésotériques des prologues du Secretum secretorum, bien
qu’elles ne comportent ensuite aucun des chapitres sur les sciences occultes.
En revanche, les deux textes français du xive siècle, ceux transmis, entre autres,
par les manuscrits de Paris, BnF, Arsenal 2872 et BnF, fr. 24432, accordent
une place importante à l’astrologie, la magie et l’alchimie, tout en abrégeant
sensiblement les prologues.

Les ouvertures du Secretum secretorum

Pour pouvoir prendre la mesure des spécificités des adaptations françaises,


revenons d’abord à la longue ouverture du texte latin pour examiner comment
elle annonce un livre de secrets, dans les quatre prologues qu’elle déroule : le
premier prologue de Philippe de Tripoli et la dédicace de sa traduction latine
à l’évêque Gui de Valence, le second prologue, sans doute du traducteur arabe,
consacré à un éloge d’Aristote, le troisième prologue, toujours du traducteur
arabe, le Pseudo-Yahya ibn al-Bitriq ici nommé Johannes, filius Patricii, qui
explique l’invention du livre grec dans un sanctuaire de l’oracle du Soleil et les
étapes de sa traduction, puis le quatrième seuil de l’œuvre, l’exorde d’Aristote
à sa lettre-traité20. Quels éléments confèrent au texte son statut ésotérique et
comment chacune des instances énonciatrices les formule-t-elle? Ce qui nous
a frappée et qui introduit une hésitation du sens assez déconcertante, c’est
l’inscription de deux demandes successives différentes d’Alexandre à Aristote,

20. Ce sont respectivement les pages 1‑2 (prologus), 14‑16 (ch. 1, De prohemio cuiusdam doctoris
in commendationem Aristotelis), 16‑18 (ch. 2, De prologo Johannis, qui transtulit istum librum),
18‑22 (ch. 3, De epistola Aristotelis missa ad petitionem Alexandri) de l’édition de R. Möller.
68 Catherine Gaullier-Bougassas

qui appellent deux réponses du philosophe et maître, séparées elles aussi par
un écart inattendu.
Philippe de Tripoli commence son prologue par l’éloge de son comman-
ditaire, l’évêque Gui de Valence, dont il vante entre autres la culture savante,
puis il évoque la découverte à Antioche de la « philosophie preciosissima
margarita » (« la perle des perles de la philosophie ») et sa traduction de
l’arabe en latin, selon une double pratique « ad litteram » et « ad sensum »,
en fonction des spécificités des deux langues latine et arabe. C’est lui, le clerc
latin, qui choisit d’introduire l’œuvre comme un texte philosophique et un
livre de secrets, non comme un miroir du prince. Quelle est en effet l’exi-
gence d’Alexandre selon lui ? Le roi demande à son ancien maître « ut ad
ipsum veniret, et secretum quarundam artium sibi fideliter revelaret vide-
licet motum, operacionem et potestatem astrorum in astronomia et artem
alconomicam21 et artem cognoscendi naturas et operandi incantaciones et
celimanciam et geomanciam » (p. 2, « de venir auprès de lui et de lui révéler
avec exactitude le secret de plusieurs sciences, le mouvement, l’activité et le
pouvoir des astres selon l’astronomie, la science de l’alchimie, la science de la
nature, celle des incantations, la célimancie et la géomancie »). Dans ce pro-
logue qu’il compose ex nihilo, Philippe de Tripoli met exclusivement l’accent
sur les sciences orientales, qu’il a peut-être lui-même découvertes à Antioche
et qu’il semble admirer, comme d’autres savants et traducteurs occidentaux
qui ont séjourné au Proche-Orient et notamment dans cette cité d’Antioche,
centre culturel important. À cet égard, le témoignage d’enthousiasme le plus
éclatant est sans doute celui d’Adélard de Bath au xiie siècle dans ses Questions
naturelles22. D’autre part remarquons que la seule langue « originale » du
texte qui soit mentionnée est l’arabe ; jamais il n’est question du grec dans ce
prologue, comme si Philippe de Tripoli donnait l’impression de savoir que le
texte, malgré la paternité invoquée d’Aristote, appartient à la culture arabe.

21. « Artem alkimie in natura », selon l’édition du texte de Roger Bacon (p. 26) et celle du
prologue de Philippe de Tripoli réalisée par S. J. Williams (avec une traduction anglaise, The
Secret of Secrets, op. cit., p. 359‑365, p. 361). Sur les termes geomancia et celimancia, voir aussi
S. J. Williams, ibidem, p. 169‑175.
22. C. Burnett, « Antioch as a Link between Arabic and Latin Culture in the Twelfth and
Thirteenth Centuries », dans Occident et Proche-Orient. Contacts scientifiques au temps des croi-
sades, éd. I. Draelants, A. Tihon et B. van den Abeele, Turnhout, 2000, p. 1‑63 et « Adelard of
Bath and the Arabs », dans Rencontres de cultures dans la philosophie médiévale, éd. J. Hamesse et
M. Fattori, Louvain, 1990, p. 89‑107 ; Questions naturelles, dans Adelard of Bath, Conversations
with his Nephew. On the Same and the Different, Questions on Natural Science, and On Birds,
éd. et trad. anglaise C. Burnett, Cambridge, 1998, p. 83, 91.
 Révélation hermétique et savoir occulte de l’Orient 69

L’auteur français Jofroi de Waterford, nous le verrons, exprimera l’opinion


inverse et vilipendera la transmission par l’arabe, en s’arrogeant la capacité à
retrouver la vérité « grecque ».
L’ouvrage que Philippe de Tripoli traduit et auquel il ne donne pas de
titre, à moins que l’on considère comme telle l’indication « philosophie pre-
tiosissima margarita », sera donc majoritairement consacré, selon ses dires,
à l’astronomie et à l’astrologie, à l’alchimie, aux sciences qui permettent de
connaître les propriétés occultes des éléments naturels, la science des incanta-
tions (est-ce une référence aux talismans ?), la célimancie (peut-être la divina-
tion par l’examen du ciel) et la géomancie (divination par la terre). Ces mots
savants sont ceux du clerc latin ; à l’exception du terme astronomia, on ne les
retrouvera pas dans le corps du texte : ainsi le terme alchemia n’apparaît-il pas
dans le chapitre sur l’œuf des philosophes et les aphorismes d’Hermès, dont
seul un lecteur déjà un peu averti peut comprendre qu’il traite d’alchimie
(ch. 59). Dans la suite de son prologue, un autre élément, sans doute inspiré
de l’exorde d’Aristote plus loin traduit, permet aussi à Philippe de Tripoli de
renforcer la dimension ésotérique du texte : il choisit en effet d’insister sur le
déchirement du philosophe, « volens itaque in parte imperatori satisfacere et
in parte secreta artium occultare » (p. 2, « voulant donc pour une part satis-
faire l’empereur et pour une part cacher les secrets des sciences »). Contraint
à livrer ses secrets par son ancien élève qui, devenu roi, exerce désormais un
pouvoir souverain sur lui aussi, il fait le choix d’un discours figuré, à double
sens (« loquens enigmatibus et exemplis et figurativis locutionibus », p. 2,
« s’exprimant par des énigmes, des exemples et des expressions figurées »).
Après sa connaissance des sciences orientales, le traducteur latin prouve
ainsi sa maîtrise de la rhétorique des traités hermétiques sur l’occultation des
secrets et sur leur divulgation paradoxale sous forme d’énigmes. Il se l’ap-
proprie pour annoncer une œuvre construite sur deux niveaux de sens et un
double savoir, le premier exotérique, adressé à un grand nombre, et le second
ésotérique, transmis sous une forme figurée pour que seuls les lecteurs élus et
doués par la quête herméneutique puissent le décrypter. Ainsi, poursuit-il,
Aristote a écrit ce livre « docens extrinsecus doctrinam pertinentem ad domi-
num dominorum, ad sanitatem corporis conservandam, et ad ineffabilem uti-
litatem et cognitionem corporum supracelestium adquirendam, intrinsecus
vero medullatenus innuit enigmatice et secrete Alexandro principale propo-
situm » (p. 2, « en enseignant clairement [à l’extérieur] la doctrine philo-
sophique relative à l’exercice du pouvoir royal, à la conservation de la santé
du corps et à la recherche de l’utilité extrême et de la connaissance des corps
supracélestes, tandis qu’à l’intérieur [de manière cachée] et en profondeur il
70 Catherine Gaullier-Bougassas

indique à Alexandre son objet principal, dans l’énigme et le secret »). Ces


deux savoirs distincts se présentent comme complémentaires, à moins que le
premier ne soit que le voile du second. La matière exotérique d’un miroir du
prince relèverait-elle d’un niveau de lecture superficiel et ne serait-elle là que
pour recouvrir et masquer la transmission de secrets scientifiques, inscrits au
cœur du traité et réservés à l’élu royal ? Alexandre semble ici accéder à tous les
savoirs exigés, même si la mention précédente d’un Aristote « volens itaque
in parte imperatori satisfacere et in parte secreta artium occultare » pouvait
suggérer qu’il lui interdit certains d’entre eux. Quoi qu’il en soit, le souci de
l’occultation, si caractéristique des livres de secrets et ouvrages alchimiques,
inscrit clairement l’œuvre dans ce groupe de textes et oriente fermement sa
lecture.
Après la table des matières, le deuxième prologue, repris cette fois au
texte arabe, émane d’une voix anonyme (p. 14‑16). C’est sans doute celle du
traducteur arabe, mais ce dernier ne prend la parole ouvertement que dans
la troisième pièce d’ouverture. L’objet du discours est un éloge d’Aristote,
auteur du « librum moralium in regimine dominii qui vocatur Secretum
secretorum Aristotelis » (p. 14, « le livre des usages du pouvoir royal qui est
appelé Secret des secrets d’Aristote »). Devons-nous lire ici une affirmation
de la double dimension de l’œuvre, miroir du prince et livre de secrets ? Ou
bien faut-il comprendre que le secret en question n’est pas un savoir scienti-
fique ésotérique, mais une réflexion éthique ? La suite du prologue penche
en faveur de la seconde hypothèse. C’est là en effet que le savoir d’Aristote
est associé à une élection divine, ce que n’annonçait pas Philippe de Tripoli.
L’instance d’énonciation rapporte que d’anciens textes grecs affirment que
Dieu a identifié le philosophe à un ange, qu’il aurait accompli, comme un
saint ou un prophète, de nombreux miracles, avant d’être emporté au paradis
céleste à sa mort23. Plus loin, ce ne seront néanmoins jamais des mystères de
la foi qu’il transmettra à son élève et, dans la suite immédiate de ce prologue,
tant le contenu que la finalité de son enseignement sont exclusivement poli-
tiques, sans qu’il soit question de secrets d’aucune sorte. Nous apprenons ainsi
qu’Alexandre lui devrait toutes ses conquêtes, en vertu d’un lien de dépen-
dance total, sur le plan politique et guerrier. Quel écart par rapport à ce que
suggérait le premier prologue, puisqu’Alexandre semblait alors en mesure de
s’approprier tous les secrets de son maître et de prendre sa place à l’issue du
cursus d’enseignement !

23. Dans les textes hermétiques arabes, Hermès et Esculape connaissent une même apothéose,
voir l’introduction, p. 9.
 Révélation hermétique et savoir occulte de l’Orient 71

Bien plus, l’évocation suivante d’un premier échange de lettres entre le


maître et l’élève confirme que l’inversion des rôles et l’accès d’Alexandre à
l’autorité d’un maître tout-puissant sortent du champ du possible24. En effet,
Alexandre interroge Aristote sur la manière de soumettre définitivement
les Perses qui, après leur défaite militaire, lui échapperaient néanmoins par
leur trop grande intelligence : alors que, selon l’Histoire, la victoire du roi
macédonien sur l’empereur perse a été sans partage et l’a installé au sommet
de son pouvoir, l’auteur arabe, traduit par Philippe de Tripoli, imagine qu’il
serait confronté à des « gentes habundantes racione et intellectu penetrabili,
studentes super alios dominari et regnum adquirere » (p. 16, « des hommes
qui débordent d’intelligence et de discernement, et qui emploient tous leurs
efforts à dominer les autres et à acquérir un empire »). Leur supériorité intel-
lectuelle le menacerait donc directement. Il n’envisage d’y répondre que par
une solution radicale – tous les massacrer –, mais, comme s’il sentait que leur
intelligence rendrait sa réalisation impossible, il s’en remet à Aristote.
Bien que personne n’évoque ici une humiliation d’Alexandre, l’invention
d’une telle marque de faiblesse du plus grand conquérant de l’Antiquité,
modèle reconnu par ailleurs du souverain lettré et intelligent, la suggère bel
et bien. La scène pouvait rappeler le souvenir des confrontations d’Alexandre
avec des sages orientaux, et notamment les Brahmanes, mais, dans la tradition
du Pseudo-Callisthène et des écrits sur les Indiens, Alexandre les affrontait
personnellement, sans avoir besoin de recourir à l’aide de son maître, et, mal-
gré une contestation virulente, il sortait souvent grandi de l’échange intellec-
tuel, sans prendre les armes contre eux. Rien de tel ici, d’autant que le récit des
événements de Perse n’est pas poursuivi et qu’Alexandre n’aura plus jamais
droit à la parole. Bien plus, comment le lecteur ne percevrait-il pas l’ironie de
la réponse d’Aristote ? En effet, dans ce livre connu sous le titre de Secretum
secretorum, au moment même où le lecteur attend la révélation par Aristote
de connaissances scientifiques sur des propriétés occultes qui permettraient
au roi de soumettre tous les peuples sans même le recours aux armes, Aristote
se contente de lui recommander un moyen très humain : l’affection et la dou-
ceur. Son discours sonne comme un rappel de ses devoirs éthiques, respect de
l’autre, générosité et humilité, et une mise en garde contre l’orgueil (p. 16). Le
conseil est d’autant plus inattendu que le philosophe lui fait bien comprendre

24. Une telle inversion des rôles avait été très finement imaginée par Alexandre de Paris dans
son Roman d’Alexandre (voir C. Gaullier-Bougassas, « Alexander and Aristotle in the French
Alexander Romances », dans The Medieval French Alexander, éd. D. Maddox et S. Sturm-
Maddox, New York, 2002, p. 57‑73).
72 Catherine Gaullier-Bougassas

qu’il ne peut pas changer l’air ou l’eau ni la disposition des cités, c’est-à-dire
qu’il ne détient aucun pouvoir surhumain :
Si potes mutare illius terre aerem et aquam insuper et dispositionem civi-
tatum, imple tuum inde propositum. Sin autem, dominare super eos cum
bonitate et exaudies eos cum benignitate. (p. 16)
[ Si tu peux modifier l’air et l’eau de leur pays, ainsi que l’organisation de
leurs cités, alors mets ton projet à exécution. Sinon, deviens leur maître
par la bonté et exauce leurs désirs avec générosité. ]
L’évocation d’une capacité à influer sur les éléments naturels et les organisa-
tions sociales devait alors immanquablement conduire un clerc de l’époque
à penser au savoir astrologique, magique ou alchimique. La réponse d’Aris-
tote est tellement surprenante dans un livre de secrets que Roger Bacon y
verra une incompréhension et une erreur des copistes, et qu’il affirmera qu’il
convient de comprendre un sens inverse, à savoir qu’Aristote annonce ici le
plus grand des secrets. Ainsi glose-t-il : « Hic tangit maximum secretum »
(éd. Steele, p. 38), en pensant sans doute au talisman d’Hermogène ou à
l’œuf des philosophes. Cette même glose dénonce les censures idiotes des
clercs :
Set qualiter deberent qualitates regionis immutari docent alibi in hoc libro.
Set asini respuunt propter magnitudinem sapiencie, et propter modum
loquendi, quia translator nomina aliqua ponit quibus utuntur magici, ut
prius in quaterno declaravi. Et multa exemplaria non habent illam doctrinam
quia stulti non voluerunt scribere, set abraserunt a libris suis, sicut exempla-
ria quatuor que nunc inveni Oxonie non habuerunt illa, nec similiter multa
alia, set Parisius habui exemplaria perfecta. (p. 39)
[ Mais comment les propriétés d’une région peuvent être transformées,
c’est enseigné dans un autre passage de ce livre. Mais les ânes le recrachent
en raison de la profondeur de cette sagesse et de certaines formes d’ex-
pression, car le traducteur a choisi plusieurs mots que les magiciens uti-
lisent, comme je l’ai évoqué dans le cahier de quatre pages. Beaucoup
d’exemplaires ne contiennent pas cette doctrine parce que des sots n’ont
pas voulu l’écrire, ils l’ont coupée de leurs livres, comme les quatre ma-
nuscrits que j’ai trouvés à Oxford et qui ne l’ont pas, mais à Paris j’ai eu
des manuscrits complets. ]
Son Opus majus évoque la possibilité qu’Aristote, dans le Secretum secretorum,
aurait offerte de modifier le comportement de populations entières et de les
rendre dociles (t. 1, p. 392‑393). La traduction de Philippe de Tripoli corres-
pond pourtant fidèlement au texte arabe, qui contient de ce fait, il est vrai, une
 Révélation hermétique et savoir occulte de l’Orient 73

incohérence, puisqu’il dote ensuite le roi de talismans très puissants. Même la


vulgate du texte de Philippe de Tripoli telle qu’elle est éditée par R. Möller,
c’est-à-dire sans les chapitres sur les talismans, offre plus loin un savoir sur
des plantes aptes à modifier les pensées et les sentiments des hommes, à les
contraindre à l’obéissance et à l’amour (ch. 60).
Dès la lecture des deux premiers prologues, on constate donc un hiatus et
même une contradiction, masquée comme telle, entre les deux demandes suc-
cessives d’Alexandre et les deux réponses du philosophe. Ces deux ouvertures
présentent ainsi une double image de la relation entre le roi et le philosophe.
D’un côté le roi exerce un pouvoir sur Aristote pour le forcer à une trans-
mission complète de son savoir, qui lui permettrait, après avoir acquis une
maîtrise totale sur la nature et les hommes, de se substituer à lui ; de l’autre
côté, le souverain apparaît entièrement dépendant de la volonté de son maître
auquel il doit toujours tout, sans jamais pouvoir agir sans lui.
Le troisième prologue, attribué au traducteur arabe, puis l’exorde d’Aris-
tote à sa lettre-traité réintroduisent néanmoins très fortement la dimension
ésotérique, tendant ainsi à faire oublier ce premier et rapide échange de lettres,
avec la faiblesse d’Alexandre face aux Perses trop intelligents, dont il ne sera
plus jamais question, et surtout face à son maître impérieux. Le traducteur
arabe relate ainsi sa propre quête dans les temples et auprès des savants jusqu’à
ce qu’il parvienne au sanctuaire de l’oracle du Soleil construit par Esculape et
rencontre un vieil homme qui lui révèle son savoir occulte. Suit l’évocation
de sa double traduction, du grec au syriaque, puis du syriaque à l’arabe, du
texte découvert. L’invention d’un texte ésotérique au terme d’un processus
initiatique, avec l’entrée dans un temple oriental ou une grotte sacrée, est un
scénario favori des livres hermétiques grecs puis arabes25, il rattache donc à
nouveau très étroitement le Secretum secretorum à la littérature des secrets,
en même temps qu’il établit un lien entre l’enseignement d’Aristote et la
figure d’Hermès, dans un souvenir probable de la volonté prêtée à Aristote
de garder secret son savoir, ici enfermé dans un temple interdit. Ainsi, cette
fiction de l’invention du livre secret se trouve aussi, et à propos de la fameuse
Table d’Émeraude, dans le Livre des secrets de la création de Balinus (le nom

25. Sur l’importance de ce scénario dans les récits hermétiques grecs puis arabes, que des
traductions vont faire connaître à l’Occident, voir A. J. Festugière, La révélation d’Hermès
Trismégiste, t. 1, L’astrologie et les sciences occultes, Paris, 1981 (1ère édition, 1944), t. 1, ch. IX,
« Les fictions littéraires du logos de révélation », p. 309‑354 et surtout 319‑324 ; W. Eamon,
Science and the Secrets of Nature, op. cit., ch. 1 et 2.
74 Catherine Gaullier-Bougassas

arabe d’Apollonius de Tyane), traduit en latin par Hugues de Santalla26. Le


prologue relate comment Balinus entre dans un tunnel, découvre une statue
d’Hermès, puis accède à une chambre où il voit un vieillard qui, assis sur un
trône ou un escabeau d’or, tient le livre sur les secrets de la création et une
table d’émeraude :
Dans ses mains, il y avait une table de l’émeraude le plus vert, marquée de
lettres ainsi ordonnées  : «  Ici est inscrite l’efficacité expresse de la nature
(entre ses mains en effet il y avait un livre contenant écrit ce texte). Ici sont
les secrets de la création et les principales causes de toutes choses27. »
Dans les Cyranides, texte arabe écrit au iie siècle après J.-C., puis traduit
en latin, le narrateur découvre dans une cité une colonne avec une inscription,
puis l’entrée d’un temple interdit lui est autorisée :
Nous vîmes aussi l’enclos sacré, au milieu duquel il y avait un temple avec un
escalier de 365 marches en argent et un autre de 60 marches en or. Nous les
gravîmes pour prier Dieu, cependant que le vieillard me révélait les mystères
de la puissance divine, qu’il ne convient pas de redire. Quant à moi, malgré
mon désir d’en savoir plus long, je remis le reste à plus tard et ne m’enquis
que de la colonne. Le vieillard alors, ayant enlevé une housse de byssos, me
montra l’inscription en lettres étrangères28.
Après ses développements sur les talismans et la découverte de la Table
d’Émeraude, le Sirr-al-asrar évoquait aussi, au discours X, l’entrée dans une
pyramide. Cette découverte menée selon l’auteur par des « historiens » au-
rait-elle aussi été offerte à Alexandre ? Il semble le suggérer. Au xiiie siècle, un
texte latin attribué à Albert le Grand, le Super arborem Aristotelis, mentionne
rapidement la découverte par Alexandre de la Table d’Émeraude sur la tombe
d’Hermès et, d’après M. Grignaschi, son auteur s’est sans doute inspiré, selon

26. Hugues de Santalla traduit dans la première moitié du xiie siècle le texte de Balinus, qui
daterait du viie siècle.
27. Trad. F. Hubry, dans l’introduction à son édition du texte d’Hughes de Santalla, De secre-
tis nature du pseudo-Apollonius de Tyane, traduction latine du Kitab sirr al haliqa, éd. F. Hudry,
Cinq traités alchimiques médiévaux, Chrysopoeia, 6 (1997‑1999), p. 10 (texte latin, p. 24).
28. Trad. A. J. Festugière, op. cit., 1981, p. 323, d’après le texte latin édité par L. Delatte, Textes
latins et vieux français relatifs aux Cyranides, Liège et Paris, 1942, p. 16‑17. La traduction latine
du traité a fait l’objet d’une traduction en langue française au xive siècle, dont on trouve
une copie (dépourvue néanmoins de l’ouverture en question) dans le manuscrit de Paris, BnF,
Arsenal, 2872. Ce manuscrit, nous le verrons, contient l’une des versions françaises du Secretum
qui accorde la plus grande importance au savoir occulte.
 Révélation hermétique et savoir occulte de l’Orient 75

des voies qui nous échappent, du texte arabe du Sirr-al-asrar29. Ce court traité,
souvent copié dans les imprimés après le De alchimia attribué à Albert, évoque
des figures célestes et relate rapidement l’arrivée d’Alexandre dans le tombeau
d’Hermès30.
À supposer que l’auteur arabe du Sirr-al-asrar ait connu le Roman
d’Alexandre du Pseudo-Callisthène, puis Philippe de Tripoli l’Historia de pre-
liis, l’évocation de l’oracle du Soleil pouvait aussi rappeler l’une des aventures
les plus célèbres du conquérant : celle des arbres oraculaires du Soleil et de la
Lune31. C’est d’ailleurs Philippe de Tripoli qui choisit le terme oraculum pour
traduire un terme arabe qui, d’après la traduction anglaise dont nous dispo-
sons, signifie simplement « temple » et l’on sait que l’auteur de l’Historia de
preliis J1 a transformé l’épisode des arbres en lui ajoutant l’accès d’Alexandre à
une Domus Solis, la découverte d’un vieillard bienheureux et aussi du phénix,
bien que le roi n’apprenne toujours que les circonstances de sa mort, sans
bénéficier de la révélation de secrets qui, comme dans le Secretum secretorum,
lui donneraient un plus grand pouvoir.
La quatrième pièce d’ouverture, l’exorde d’Aristote à sa lettre adressée à
Alexandre, exprime justement le désir qu’a le roi de découvrir les plus grands
secrets, ce qui, dans la traduction latine, résonne comme un écho au prologue
de Philippe de Tripoli. Tout se passe comme si le philosophe répondait ici à la

29. Trad. anglaise dans l’édition Steele du texte de Roger Bacon, p. 260 pour l’entrée dans la
pyramide, p. 252‑260 sur les talismans ; M. Grignaschi, « La diffusion du Secretum secretorum
(Sirr-al-’asrâr) dans l’Europe occidentale », Archives d’histoire doctrinale et littéraire du Moyen
Âge, 47 (1980), p. 13.
30. Scriptum Alberti super arborem Aristotelis, dans Alchemiae, quam vocant, artisque metal-
licae, doctrina, certusque modus, scriptis tum novis, tum veteribus, duobus his voluminibus com-
prehensus, Guglielmo Grataroli, Bâle, 1572, p. 685‑686 (disponible sur le site de la Bibliothèque
électronique suisse, e-rara.ch : http://dx.doi.org/10.3931/e-rara-8791; consulté le 2 mai 2014) :
« Et ideo ille magnus Alexander imperator Philippi Macedonum imperatoris filius in itineri-
bus suis invenit eam in ultimis regionibus et ibi invenit sepulchrum Hermetis patris somnium
philosophorum, plenum omnibus thesauris non metallicis, sed literis aureis scriptis in tabula
Zaradi, quae quidem scriptura continetur in ultimis libris, quos Galenus composuit et invenit
quandam arborem sitam ab extra intus tenentem viriditatem gloriosam : super eam ciconia pul-
cherrima ibi sedebat, quasi se appellans circulum Lunarem, et ibi ipse aedificavit sedes aureas,
et posuit terminum itineribus suis idoneum. »
31. Il est néanmoins plus probable, selon nous, que l’influence se soit davantage exercée en
sens inverse, c’est-à-dire que ce soient les auteurs latins de l’Historia de preliis, et avant tout
celui de la J1, qui aient remodelé le récit de l’aventure en s’inspirant de scénarios de la littérature
hermétique. Voir à ce sujet nos analyses dans La fascination pour Alexandre le Grand dans les
littératures européennes (xe-xvie siècle). Réinventions d’un mythe, dir. C. Gaullier-Bougassas,
Turnhout, 2014, t. 3, p. 1458-62.
76 Catherine Gaullier-Bougassas

première demande du roi telle que Philippe de Tripoli l’a énoncée plus haut
(et non le traducteur arabe), et comme si la lettre précédente sur les Perses et
sur la peur de leur intelligence était alors oubliée. On en revient à la trans-
mission d’un savoir occulte apte à donner un pouvoir surhumain : Aristote
affirme qu’Alexandre a exigé un « archanum tale quod humana pectora vix
poterunt tollerare » (p. 18, « un secret si grand que les poitrines humaines
peuvent à peine le supporter ») et il accepte de lui répondre à condition qu’il
ne lui demande pas davantage que ce qu’il lui concède, ce qui laisse penser
qu’il fixe des limites au savoir communiqué. Mais, comme pour le masquer, il
insiste sur sa confiance dans les talents d’interprétation du roi qui pourra tout
comprendre grâce à l’intelligence dont Dieu l’a doté, et surtout il explique la
nécessité qui s’impose à lui de parler par énigmes :
Causa quedam subest, quare tibi figurative revelo secretum meum loquens
tecum exemplis enigmaticis atque figurativis, quia timeo nimis, ne liber iste
ad manus infidelium deveniat et ad potestatem arrogantium […]. (p. 20)
[ Il y a au fond une raison pour laquelle je te révèle mon secret sous une
forme figurée, en te parlant à travers des exemples énigmatiques et allé-
goriques : c’est que je redoute trop que ce livre ne tombe aux mains des
infidèles et aux mains des orgueilleux […]. ]
Or, au xiiie siècle, nous l’avons rappelé, de telles stratégies d’occultation du
sens marquent principalement les livres de secrets sur les propriétés occultes
de la nature et sur les talismans, ainsi que les ouvrages alchimiques. Pensons
notamment au De causa occultacionis secretorum per verba enigmatica de
Roger Bacon32. Lorsqu’il termine son exorde en évoquant les deux piliers de la
royauté que sont la force des sujets et leur obéissance, Aristote précise encore
que le second a deux causes, l’une extrinsecam et l’autre intrinsecam. La cause
« extrinsèque » (« du dehors, visible par tous ») est la justice qu’assure le
partage des richesses, tandis que « causa vero intrinseca est secretum antiquo-
rum philosophorum et justorum consilium quos gloriosus Deus preelegit et
eis suam scienciam commendavit » (p. 20‑22, « la cause cachée est le secret
des anciens philosophes et le conseil des justes que le dieu de gloire a préférés
et auxquels il a confié sa science »). Le questionnement sur l’obéissance des
peuples ressurgit soudainement et voilà bel et bien une réponse très différente
de la première, relative aux Perses. Aristote engage Alexandre à chercher ces
secrets dans les divers chapitres de sa lettre et à déchiffrer « significaciones
secretorum et enigmata exemplorum » (p. 22, « les significations des secrets

32. Voir B. Obrist, Les débuts de l’imagerie alchimique, op. cit., p. 48‑55.
 Révélation hermétique et savoir occulte de l’Orient 77

et les énigmes des exemples »), comme s’il suggérait la possibilité de recourir à


la magie ou à l’astrologie pour contraindre à l’obéissance. L’exorde se termine
par une prière à Dieu du philosophe, qui choisit Alexandre comme son héri-
tier et espère qu’il lui succédera dans la maîtrise du « scientie sacramentum »
(p. 22, le « sacrement » ou le « mystère de la science »).
Tout se passe ainsi comme si Philippe de Tripoli avait écrit son prologue
à la lecture de cet exorde d’Aristote, dans l’oubli du premier prologue du tra-
ducteur arabe, et comme si ce discours d’Aristote occultait le conseil, si surpre-
nant dans un livre de secrets, que le philosophe avait donné sur les Perses. La
double image des relations d’Alexandre avec son maître et conseiller persiste
néanmoins dans le corps du texte latin, puisque le philosophe prend parfois
plaisir à lui rappeler qu’il lui doit tout, même la vie – c’est le sens de l’épisode
célèbre de la jeune fille venimeuse offerte à Alexandre par une reine d’Inde
(ch. 25) –, à lui signifier que l’existence humaine est entièrement déterminée
par la volonté de Dieu et par les astres (comme l’illustrent l’exemple des deux
fils de tisserand et de roi, puis le discours d’un Mède à son fils, ch. 67), mais
que dans le même temps il lui livre des secrets susceptibles de lui apporter une
puissance sans limite33.
Venons-en maintenant à l’analyse de ce que les auteurs français retiennent
ou suppriment de ces différents seuils de l’œuvre, à leurs variations subtiles
autour de la relation de l’élève et du maître, du roi et du conseiller, et de la
transmission des secrets. L’ouverture à un public de laïcs reflète-t-elle l’ambi-
tion de communiquer à un plus grand nombre ce savoir en lui enlevant sa
dimension ésotérique et élitiste, en l’appréhendant comme pleinement ration-
nel et accessible à tous ? Est-elle au contraire compensée par de nouvelles
stratégies d’occultation du sens ou s’accompagne-t-elle de la suppression des
sections ésotériques ? Autrement dit, la vulgarisation en langue vernaculaire
a-t-elle un impact sur la dimension ésotérique de l’œuvre et si oui lequel ? Les
auteurs commentent-ils leur choix de la langue vernaculaire et ses implications
sur la préservation du secret ?

33. Les variations introduites par les copies latines modifient souvent déjà cet équilibre.
78 Catherine Gaullier-Bougassas

Pierre d’Abernun, Jofroi de Waterford et Servais Copale

Pierre d’Abernun, Jofroi de Waterford et Servais Copale34 imposent leur


propre voix dans des prologues et des épilogues inédits. Leurs œuvres sont
moins une traduction qu’une recréation du Secretum secretorum par un tra-
vail de compilation et de censure. Tous éliminent le prologue de Philippe
de Tripoli et une bonne partie des autres pièces d’ouverture, et leurs œuvres
ignorent plus loin les sciences occultes.
Pierre d’Abernun, le seul auteur français à adapter en vers le Secretum
secretorum (sans doute en 1267), écrit un épilogue original (v. 2238‑310) et
un prologue (v. 1‑154) qui garde quelques traces de l’ouverture du Secretum
secretorum. Que sélectionne-t-il dans cette dernière  ? S’il inscrit le titre
« Secré de secrez » (v. 2), il efface la mention des ambitions scientifiques
d’Alexandre et toutes les annonces des secrets, pour mettre au premier plan la
demande de conseil du roi au sujet des Perses et la réponse d’Aristote évoquée
plus haut, alors que ces dernières sont à la fois inscrites et étouffées au cœur
même de la longue ouverture latine de la traduction de Philippe de Tripoli.
À l’exorde d’Aristote, il reprend ensuite l’évocation d’un enseignement pro-
fond (v. 115‑128) et la célébration de l’intelligence du roi (v. 129‑154), mais
efface le discours sur les secrets et la nécessité de les transmettre sous forme
figurée. De même qu’il ignore toute l’histoire du texte, de sa découverte et
de ses traductions, et ne mentionne ni le savant arabe ni Philippe de Tripoli,
rien n’est dit ou presque de son propre travail d’écriture et de sa source, dont
nous apprenons simplement dans l’épilogue qu’elle vient d’un pays lointain
et que ses règles de médecine ne sont pas toutes adaptées au climat de l’Eu-
rope (v. 2254‑300). Pierre d’Abernun a en effet accordé une grande place à
l’enseignement médical du Secretum, en lui ajoutant les deux livres IV et V du
Liber Almansoris de Rhazès/al-Râzî. En revanche son œuvre ne retient rien
des savoirs ésotériques, mais, comme il indique qu’il dispose d’un manuscrit
lacunaire (v. 2238‑46), il est difficile de lui prêter une intention à ce sujet et
de relier cette absence des secrets à l’une des affirmations majeures de son
épilogue : l’ajout nécessaire des valeurs chrétiennes à l’enseignement d’Aris-
tote, qui le conduit à renvoyer ses lecteurs à son ouvrage, la Lumiere as lais,
sur les vertus théologales (v. 2302‑83). Quoi qu’il en soit, il reste qu’aucun des

34. Le nom de Servais Copale apparaît dans l’épilogue, qui rappelle les deux autres traductions
réalisées avec Jofroi de Waterford, celles des Breviarum historiae romanae d’Eutrope et du De
excidio Troiae de Darès (ms. de Paris, BnF, fr. 1822, fol. 143 v), copiées elles aussi dans le ms. de
Paris, BnF, fr. 1822.
 Révélation hermétique et savoir occulte de l’Orient 79

éléments ésotériques des prologues latins ne passe dans cette première adap-
tation française du Secretum secretorum et qu’on est fondé à y voir un choix
délibéré, car il connaissait cette ouverture : les emprunts que nous venons
d’évoquer l’indiquent, ainsi que l’affirmation que sa source ne contient pas
tout ce qu’elle annonce (dans les prologues ou la table des matières, comme
on le suppose, v. 2238‑43).
À la fin du xiiie siècle, le dominicain Jofroi de Waterford, secondé par
Servais Copale, se livre à son tour à une adaptation du Secretum secretorum,
qu’il modifie profondément avec un travail de compilation, plus complexe
et plus divers, et aussi une pratique délibérée de la censure, qui touche direc-
tement aux sciences occultes de l’Orient. Si Pierre d’Abernun prévoyait de
compléter l’œuvre par un discours chrétien, Jofroi de Waterford christianise
de l’intérieur le contenu de l’enseignement du Secretum secretorum, en ampli-
fiant la traduction par des ajouts très substantiels qui donnent une profondeur
éthique et religieuse nouvelle : des exempla du Breviloquium de virtutibus anti-
quorum principum ac philosophorum du franciscain Jean de Galles, ajoutés aux
premiers chapitres, un long traité sur les quatre vertus cardinales, prudence,
force, tempérance et justice (fol. 89 v-100 v), inspiré avant tout du même
Breviloquium de Jean de Galles et de la Formula vitae honestae de Martin de
Braga35, puis un commentaire sur la prière comme remède, suivi d’exemples
de l’Antiquité (fol. 101 v-102 v).
Cette christianisation marque-t-elle aussi la réécriture de l’ouverture du
texte ? Comme avant lui Pierre d’Abernun, Jofroi de Waterford commence
par effacer entièrement le prologue de Philippe de Tripoli, pourtant adressé à
un évêque. Il élimine la figure du traducteur latin, pour prendre la parole à sa
place et évoquer sa propre traduction du latin au français, en s’adressant à un
mécène dont il ne révèle pas l’identité (fol. 248 v-249 r). Il cherche même à
s’imposer comme le seul traducteur digne de ce nom, puisqu’il n’inscrit pas
non plus de référence précise au traducteur arabe :
Et por ce moi priastes que cel livre ki fu translatei de griu en arabic et de
rechief de arabic en latin, vos translataisse de latin en franchois. Et je a vous
prieres al translater ai mise ma cure et avoiques le plus grant travail, k’en autres
hautes et parfondes estudes sui enbesoingniés. D’autre part savoir devez ke
les Arabiiens trop ont de paroles en corte veritei et les Grigois ont oscure
maniere de parler et il me convient de l’un et del autre langage translater et

35. Voir l’étude précise de J. Monfrin, « Sur les sources du Secret des secrets de Jofroi de
Waterford et Servais Copale », dans Mélanges de linguistique romane et de philologie médiévale
offerts à Maurice Delbouille, s. c., Gembloux, 1964, t. 2, p. 509‑530.
80 Catherine Gaullier-Bougassas

por chou le trop de l’un escourcirai et l’oscurtei de l’autre esclarcirai solonc


ce ke la matire puet soffrir, car lur entente sievrai, ne mies lur paroles. Saichiés
derechief que sovent metterai autres bones paroles les qués, tot ne soient mie
en cel livre, al mains sunt en autre livres d’autoritei et ne sunt pas mains pro-
fitables ke celles ki en cel livre sunt escrites et quanque je i metterai a la matire
acordant sera. A la parfin saichiés que les livres ki de arabic en latin furent
translatei furent faussement translatei et por ce lairai je pluisors choses ki ne
sunt veritez ne profitables et prenderai la meule et la veritei cortement. (fol.
249 r)
[  Et pour cette raison, vous m’avez demandé que ce livre qui avait été
traduit de grec en arabe, puis d’arabe en latin, je vous le traduise de latin
en français. Et moi je me suis employé à satisfaire votre requête, avec des
efforts soutenus, car je suis occupé à des études savantes et profondes. Par
ailleurs, vous devez savoir que les Arabes écrivent beaucoup pour énoncer
des vérités brèves à dire et les Grecs ont une manière obscure de s’expri-
mer. Je dois traduire à partir de ces deux langues, si bien que j’élaguerai
le surplus de l’une et éclairerai l’obscurité de l’autre, selon les possibilités
du sujet, car je suivrai toujours l’esprit et non la lettre. Sachez en outre
que j’ajouterai souvent de bonnes choses qui, bien qu’elles ne soient pas
contenues dans ce livre, se trouvent dans d’autres qui font autorité et ne
sont pas d’un profit moindre que celles qui sont écrites dans ce livre, et
tout ce que j’ajouterai s’accordera à la matière. Enfin, sachez aussi que
les livres qui ont été traduits d’arabe en latin ont été mal traduits, c’est
pourquoi je laisserai de côté plusieurs données fausses et sans intérêt, je
prélèverai la moelle et la vérité avec peu de mots. ]
Se présentant comme un grand savant occupé à de hautes études, il adapte sa
manière de traduire en fonction des deux langues sources supposées que sont
le grec et l’arabe, comme s’il ne passait pas par l’intermédiaire latin, qu’il
connaissait à la fois le grec et l’arabe, et avait accès tant au texte arabe qu’au
texte grec, alors que ce dernier n’a jamais existé ! Il prend donc la posture d’un
maître d’autorité qui prétend corriger les erreurs du texte qu’il traduit, non
pas en collationnant les manuscrits comme Roger Bacon, mais en supprimant
des passages apocryphes pour retrouver le texte original, en le complétant
aussi par des connaissances « profitables » qui le rendent plus parfait. Ainsi
vante‑t‑il la supériorité de son texte en français, plus vrai que les traductions
latine et arabe, plus proche de l’original grec et aussi plus clair que lui. À la
différence de Philippe de Tripoli, qui connaissait réellement l’arabe et reven-
diquait une double pratique de la traduction « ad litteram » et « ad sen-
sum » selon les spécificités de l’arabe et du latin, Jofroi de Waterford critique
 Révélation hermétique et savoir occulte de l’Orient 81

à la fois la prolixité de l’arabe et l’obscurité du grec, alors que, selon toute


vraisemblance, il ignore les deux langues36.
Sa vision négative de l’arabe et sa prétention à un retour au texte grec
d’Aristote s’affirmeront très clairement plus loin et se joindront à une dé-
nonciation des sciences occultes arabes. Elles peuvent expliquer qu’il passe
sous silence la découverte du texte en Palestine, à Antioche, par Philippe de
Tripoli. Bien que, dans le prologue, les erreurs semblent assignées au traduc-
teur latin, plus loin il les imputera généralement au traducteur arabe. Mais
déjà ici, on constate l’effacement de toute annonce sur les secrets ainsi que du
désir impérieux qu’avait Alexandre, selon Philippe de Tripoli, de s’approprier
les sciences orientales.
La voix de Jofroi de Waterford s’attribue ensuite l’éloge d’Aristote qu’il
trouve dans le Secretum secretorum. Lorsqu’il reprend l’exaltation du philo-
sophe en prophète, le besoin s’impose à lui d’expliquer comment, en vertu de
la croyance en la loi de Nature, un païen a pu être initié au monothéisme (Paris,
BnF, fr. 1822, fol. 84 r). Fidèle à l’évocation de la dette absolue d’Alexandre
envers son maître pour ses conquêtes, il traduit ensuite précisément la lettre
du disciple à son maître sur les Perses et la réponse du philosophe, son conseil
de douceur et d’affection. Là encore comme Pierre d’Abernun, il donne à cette
lettre une importance majeure qu’elle n’a pas dans le texte latin, puisqu’il sup-
prime tout son encadrement sur la transmission des secrets. En effet, l’élimi-
nation du second prologue du traducteur arabe sur la découverte du livre dans
le sanctuaire de l’oracle du Soleil confirme la rupture du lien avec la littérature
hermétique. Le nom d’Hermès ne sera d’ailleurs ensuite jamais introduit dans
le corps du texte. Puis il réécrit le début de l’exorde d’Aristote à sa lettre-traité
exactement comme s’il était une réponse à la demande de conseil d’Alexandre
face aux Perses intelligents : la suppression de l’annonce du grand secret, de
l’écriture par énigmes et par symboles et de la cause « intrinsèque » de l’obéis-
sance des sujets au roi (le recours aux pouvoirs des secrets) modifie à nou-
veau profondément le sens. Ainsi, en adaptant l’ouverture du Secretum, Jofroi
persiste-t-il dans une même détermination : la sélection opérée et la mise en
exergue presque exclusive du conseil de bonté d’Aristote, au détriment de
toute annonce des sciences ésotériques, montrent le choix d’un enseignement

36. On trouve une évocation de la prolixité des auteurs arabes dans plusieurs prologues de
traducteurs latins, mais généralement sans condamnation (c’est le cas de Hermann de Carinthie
dans son introduction à la traduction de l’Introductorium maius d’Albumazar, voir R. Lemay,
« De la scolastique à l’histoire par le truchement de la philologie : itinéraire d’un médiéviste
entre Europe et Islam », dans La diffusione delle scienze islamiche nel Medio Evo europeo, éd.
B. M. Scarcia Amoretti, Rome, 1987, p. 477‑479).
82 Catherine Gaullier-Bougassas

éthique que la compilation d’œuvres moralisatrices et religieuses rendra plus


conforme aux miroirs du prince de l’Occident médiéval et qu’elle associera
à la transmission de connaissances scientifiques « licites », médicinales et
physiognomoniques.
La cohérence de sa récriture est d’autant plus forte que son texte ignore
ensuite systématiquement tous les chapitres sur les sciences occultes et que,
contrairement à Pierre d’Abernun, il s’en explique. Son intention est en effet
manifeste puisqu’il intervient plusieurs fois pour revendiquer leur suppression
et ouvrir une polémique violente contre les traducteurs arabes, qui auraient
corrompu l’œuvre d’Aristote en lui ajoutant des mensonges. Le devoir qu’il
s’assigne consiste donc non seulement à traduire mais aussi à éditer correc-
tement le texte en lui retirant les erreurs ajoutées, les passages « courompus
par la lenghe arabique » :
Et fait a savoir, si cum nos decimes al comencement de ceste ovraingne, cest
livre est courompus par la lenghe arabique. Por ce ne volons mie del tout
sievre ceste translations, mais nos entendons ce qu’est mesordenei mettre en
droit ordene, et ce que il i a trop recoper et la ou il a trop poi en enter, et
ce qu’il i a fauz amender. Car bien savons qu’en la lenghe grigoise, en quoi
Aristotles tos ses livres escrit, nulle de cestes defautes n’i avoit. (fol. 100 v)
[ Et il faut savoir, comme nous l’avons dit au début de cet ouvrage, que
ce livre est corrompu par la langue arabe. Ainsi refusons-nous de suivre
fidèlement cette traduction, mais entendons remettre en ordre ce qui est
désordonné, enlever ce qui est en trop, remédier à ce qui est insuffisant
par des ajouts et corriger les erreurs. Car nous savons bien qu’en grec, la
langue dans laquelle Aristote a écrit tous ses livres, ces défauts n’existaient
pas. ]
Au nom d’une connaissance supposée du texte d’Aristote, il s’arroge ainsi
la capacité de distinguer le vrai du faux37. S’il émet souvent des doutes sur
l’authenticité du Secretum, ce n’est donc pas pour dénoncer l’attribution à
Aristote, comme certains commenceront à le faire au xive siècle, mais pour
critiquer les trahisons des traducteurs arabes.
La suppression de toutes les sciences suspectes – magie, alchimie, méde-
cine magique et astrologique – est ainsi légitimée au nom de la vérité. De
même affirme-t-il au sujet des chapitres sur les pierres et les plantes : « Mais
solonc la veritei, quanque il dist en cest lieu de pieres et d’erbes et d’arbres
est faus et plus resemble fable que veritei ou philosophie. Et ce sevent tous

37. Voir aussi ses interventions aux fol. 131 r et 132 r, et nos analyses dans la Fascination pour
Alexandre le Grand, op. cit., t. 1, p. 225‑228, 273‑276.
 Révélation hermétique et savoir occulte de l’Orient 83

les clers qui bien entendent le latin38. » Puis il argumente en invoquant les
témoignages historiques sur les dures batailles qu’Alexandre a menées : aucun
historien n’a prétendu que ses ennemis fuyaient à sa vue parce qu’il aurait
possédé le talisman que décrit le texte latin (fol. 131 v-132 r). C’est sans doute
une référence au talisman d’Hermogène, qui inspire la peur aux ennemis, ce
qui suppose qu’il connaissait une version latine très complète du Secretum,
comme celle de Roger Bacon. On sait par ailleurs qu’aucune adaptation fran-
çaise du Secretum ne traduit les chapitres sur les talismans qui correspondent
aux chapitres 21‑23 du livre III de Roger Bacon. Jofroi de Waterford invoque
aussi l’autorité scientifique d’Aristote, qui n’aurait jamais pu écrire de telles
fictions (fol. 132 r).
Son œuvre n’atteste certes pas un rejet de toutes les sciences orientales,
car il accorde une très grande importance au régime de santé et à la physio-
gnomonie. Comme il l’explique, il recourt pour la section médicinale au De
dietis universalibus et particularibus d’Ishak ben Soleiman Israeli (fol. 143 v).
Cette traduction de l’œuvre arabe d’un savant juif de Kairouan fut enseignée
à l’Université durant tout le Moyen Âge, sans susciter de condamnations. La
greffe de plusieurs de ses chapitres s’interprète comme une correction impli-
cite du Secretum secretorum, puisqu’ils prennent la place de passages suppri-
més, sur la panacée et ses recettes, ainsi que sur la médecine astrologique. Son
regard critique apparaît aussi lorsqu’il adapte presque dans son intégralité la
Physiognomica du Pseudo-Aristote, à partir du texte latin de Barthélémy de
Messine, écrit en Italie à la cour de Manfred entre 1258 et 1266, si bien que
son texte contient deux sections sur la physiognomonie. Et là, il prend soin
d’indiquer que la Physiognomonie (de Barthélémy) qui aurait été traduite du
grec au latin, le texte original d’Aristote, serait plus juste que la seconde, tra-
duite de l’arabe au latin (fol. 137 r, 142 r).
Dans la polémique de Jofroi de Waterford et de Servais Copale contre les
traductions arabes et les sciences occultes, on est tenté d’entendre un écho des
condamnations parisiennes de la fin du xiiie siècle, avec les interdictions de
l’évêque de Paris Étienne Tempier en 1277, qui ont frappé de nombreux traités
d’astrologie, de magie et d’alchimie d’origine orientale39. À l’opposé même
de Roger Bacon, très singulier par sa défense des sciences de la nature dans

38. Paris, BnF, fr. 1822, fol. 131 v : « Mais, pour dire la vérité, tout ce qui est ici écrit sur les
pierres, les herbes et les arbres est faux et ressemble plus à des fables qu’à la vérité et au savoir.
Tous les clercs qui comprennent bien le latin le savent. »
39. La condamnation parisienne de 1277, éd. et trad. D. Piché, Paris, 1999, et, entre autres,
J.-P. Boudet, Entre science et nigromance, op. cit., p. 251‑258.
84 Catherine Gaullier-Bougassas

son édition, Jofroi de Waterford refuse donc de lire le Secretum comme un


livre de secrets. Il renforce sa dimension de miroir du prince selon le modèle
et les valeurs de l’Occident chrétien, c’est-à-dire en accordant une place nou-
velle à l’éthique et au spirituel, en introduisant la quête du bien et du salut
comme les finalités ultimes du pouvoir royal. Dans son adaptation, Aristote
transmet désormais avant tout un enseignement moral et religieux, associé à
des disciplines scientifiques non ésotériques, médecine et physiognomonie.
L’idéal qu’il promeut, c’est celui d’un roi chrétien, préoccupé par les valeurs
chrétiennes et le salut, très loin de l’image d’un souverain magicien et alchi-
miste, tout-puissant par sa maîtrise de sciences occultes sulfureuses, soucieux
avant tout de son pouvoir terrestre absolu et de sa gloire comme il l’est dans
le Secretum secretorum et le Sirr-al-asrar.

La traduction franco-anglaise du manuscrit de Paris, BnF, fr. 571

Le manuscrit de Paris, BnF, fr. 571, dont on sait qu’il a circulé en Grande-
Bretagne, nous offre une autre version vernaculaire du Secretum secretorum,
qui date elle aussi du xiiie siècle. Écrite dans le français de l’Angleterre, elle
est sans doute, parmi toutes les versions françaises, la traduction la plus
complète. On y voit la marque d’un authentique respect pour le texte latin,
que le traducteur cherche à restituer le plus précisément possible, car il fait
autorité à ses yeux, en tant que livre philosophique et scientifique. Dans ce
manuscrit recueil, le Secret des secrets est d’ailleurs précédé par l’un des textes
français les plus savants qui aient été écrits au xiiie siècle, directement en
langue vernaculaire, le Livre du Tresor de Brunetto Latini : cette encyclopédie
contient, entre autres, une première traduction française, certes partielle, de
l’Éthique à Nicomaque d’Aristote. On sait aussi que les traductions latines
de textes scientifiques arabes étaient très appréciées en Angleterre depuis
le règne d’Henri II, avec notamment les travaux d’Adélard de Bath, et que
l’intérêt pour les sciences orientales, l’astronomie, l’astrologie et la magie, y a
 Révélation hermétique et savoir occulte de l’Orient 85

vu le jour précocément40. C’est sans doute aussi pour le roi anglais Henri III
ou son fils Édouard Ier que Roger Bacon réalise son édition glosée du Secretum
secretorum41.
Parmi tous les auteurs français, celui du Secret des secrets du ms. de Paris,
BnF, fr. 571, est ainsi le seul à démarquer très précisément les trois prologues
de Philippe de Tripoli et du savant arabe, puis l’exorde d’Aristote. La traduc-
tion française se veut un calque du latin le plus parfait possible, si bien que le
traducteur français masque entièrement son existence et n’évoque jamais son
travail. Autant Jofroi imposait sa présence et son regard critique, autant cet
anonyme se fait absent, inexistant. Le texte français conserve ainsi fidèlement
la dédicace de Philippe à son évêque, son commentaire sur sa double méthode
de traduction et, élément qui nous intéresse ici, la demande scientifique pré-
cise qu’Alexandre adresse à son maître, avec les noms des différentes sciences :
Leqel livre Aristotles le plus sage prince des philosophes fist a la reqeste
du roy Alisandre son deciple ki le reqist q’il venist a li e le secré d’uns artz
loialment lui demustrast : ce est a savoir l’oevre des movemenz e le pooir des
esteilles en astronomye et l’art d’alkime en nature e l’art d’esforcer natures
e celimancie et geomencie. Et il, ki aler n’i pout pur voillesce ne pur pesan-
tume de cors, tut eüst il enpensé les secrez des devant dites sentences en totes
manieres celer, a la volunté nepurkant ne a la requeste de si grant seignur
point n’osa ne ne devoit contredire. (fol. 124 r)
[ Ce livre, Aristote, le plus sage des philosophes, le composa à la requête
du roi Alexandre son disciple, qui lui demanda de venir auprès de lui et
de lui dévoiler en toute loyauté le secret de sciences : ce sont la science sur
les mouvements et les vertus des étoiles, en astronomie, et en matière de
philosophie naturelle, la science d’alchimie, l’art de maîtriser la nature,
la célimancie et la géomancie. Et lui que la vieillesse et la maladie empê-
chaient de voyager, en dépit de son intention de cacher absolument les
secrets des disciplines énumérées, il n’osa pas – et c’était son devoir –
s’opposer à la volonté et au désir d’un roi si puissant. ]

40. C. Burnett, The Introduction of Arabic Learning into England, Londres, 1997. Ce sont des
études en mathématiques, astronomie et astrologie, mais aussi en sciences naturelles et alchi-
mie, avec à ce dernier sujet la traduction en 1144 par Robert de Chester du De compositione
alchimie ou Liber Morieni (l’auteur Morienus enseignant à un roi, Chalid, le savoir d’Hermès)
et vers 1200, celle par Alfred de Sareshel du De congelatione et conglutinatione lapidum d’Avi-
cenne : il ajoute sa traduction de ce traité sur la formation des métaux à la traduction latine des
Météorologiques d’Aristote réalisée par Henri Aristippe et Gérard de Crémone.
41. S. J. Williams, « Roger Bacon and the Secret of Secrets », art. cit.
86 Catherine Gaullier-Bougassas

Puis vient le « prologue du translateur en loange d’Aristote » (fol. 124 v, le


« prologue du traducteur en forme d’éloge d’Aristote »), avec la célébration
du philosophe en prophète et sa réponse à la question d’Alexandre sur le meil-
leur moyen de soumettre les Perses très – trop – intelligents. La contradiction
entre les demandes du roi et les deux réponses du philosophe, évoquée plus
haut, est donc laissée intacte, alors qu’elle avait été résolue brutalement et caté-
goriquement, avec la suppression de l’un des termes, par Pierre d’Abernun,
Jofroi de Waterford et Servais Copale.
L’anonyme continue à traduire, sans changements, le récit de la découverte
du livre dans un temple du Soleil par le traducteur arabe, que ses prédéces-
seurs ont sans nul doute ignoré parce qu’il estampille l’ouvrage comme livre
de secrets :
Johan qe cest livre tranlata, le fiz Patric, tresachant et tresloial disour des
langages, dist : « Je n’ay pas guerpi ne le liu ne le temple ou li philosophe
soloient escrivre e lur privez oevrez respondre. < N’i a lieu> que je point
n’eschivai ne nul sage qi je creüsse entendre escripture de philosophie que
je n’enquisse jusque je venisse a l’oracle du Soleil qe fist [un signe recouvert
d’encre rouge] pur soi, ou je trovai un solitaire abstinent en philosophie tre-
sachant e de grant engin, a cui jo me humiliai e eutant com je poi servi et
molt devotement le requis q’il me demustrast les secrez escriz de cel oracle
e il volentiers le fist. […] a la requeste de tresnoble roy y travaillay, estudiay
et le tranlatay primes de griu en caldeu e de caldeu en langage de arabic. »
(fol. 125 r)
[ Johan, qui traduisit ce livre, le fils de Patrick, expert avisé du maniement
des langues, dit : « J’ai visité tous les lieux et les temples où les philo-
sophes avaient l’habitude d’écrire et de cacher leurs œuvres ésotériques.
Je n’ai écarté aucun lieu et j’ai interrogé tous les sages qui m’ont semblé
susceptibles de connaître les œuvres philosophiques, jusqu’à ce que je
parvienne au sanctuaire de l’oracle du Soleil que fit [signe] pour lui, où
j’ai trouvé un ermite ascète, très savant en philosophie et très intelligent.
Je me suis incliné devant lui, je l’ai servi autant que j’ai pu et je lui ai
demandé avec un grand respect de me montrer les écrits secrets de cet
oracle, ce qu’il fit volontiers. […] j’y ai travaillé [sur ce livre] à la demande
d’un roi très noble, je l’ai étudié et traduit d’abord de grec en chaldéen,
puis de chaldéen en arabe. » ]
Enfin, la reprise de la quatrième pièce latine d’ouverture maintient l’évo-
cation par Aristote du secret puissant, l’éloge des talents d’herméneute
d’Alexandre et la mention de la « cause foreine » (« cause secrète ») de
l’obéissance des sujets  : l’utilisation des pouvoirs conférés par les secrets.
 Révélation hermétique et savoir occulte de l’Orient 87

Finalement, seule la traduction de cet exorde d’Aristote montre des modifi-


cations, qui sont avant tout des suppressions, importantes, et des interversions
dans l’ordre des arguments. Même si l’on ne peut être certain qu’elles relèvent
de la volonté expresse du traducteur, on constate que les omissions concernent
précisément les phrases où Aristote exprime sa peur que les secrets tombent en
de mauvaises mains et ne soient détournés à des fins perverses, et la nécessité
qui s’impose à lui d’une expression figurée, par énigmes et exemples allégo-
riques. Tout se passe comme si elles corroboraient ce que signifiait déjà impli-
citement la traduction complète et littérale du texte, à savoir que, aux yeux
de ce traducteur, la transmission du texte et de son savoir ésotérique à un plus
grand nombre, conséquence de la mise en français, ne posait pas de difficulté,
que le dévoilement des secrets allait de soi : seul importerait le progrès dans
la diffusion de la connaissance, car aucun interdit divin ne semble plus peser
sur les secrets, désormais accessibles à tous, sans que leur vulgarisation puisse
apparaître comme une profanation sacrilège et servir à des fins perverses.
Le texte du ms. BnF, fr. 571 transmet ensuite la première traduction fran-
çaise des chapitres sur le secret de la panacée universelle – « glorie » ou « tre-
sor des philosophes », découvert par Adam puis transmis aux philosophes
(fol. 134 v) –, sur les notions de médecine astrologique (fol. 135 r), puis, plus
longuement, le plus grand des secrets, l’œuf des philosophes ou pierre philo-
sophale, avec la « recette » de sa fabrication et les paroles d’Hermogène /
Hermès, soit la Table d’Émeraude (fol. 135 r et v). Fidèle à Philippe de Tripoli,
l’auteur français ou peut-être anglais continue en révélant les propriétés
­occultes de nouvelles pierres, dont les deux pierres rouge et blanche aux vertus
inverses, l’une provoquant le hennissement incontrôlable des chevaux, l’autre
les rendant silencieux, et celles de différentes herbes (fol. 135 v et 136 v), avant
d’évoquer le pouvoir du cor de Thémistius (fol. 141 r42) et de l’astrologie dans
les combats (fol. 142 r).
Que rapporte exactement le chapitre sur la pierre philosophale et la Table
d’Émeraude ? Comme dans le Secretum, le « trés grant secré des secrez »

42. « Et covient qe vous eiez ovec vous cel estrument ke Temistius fist al oes d’host e est
estrument espoutable qi en mout des manieres s’espant, quant vous estovera vostre païs visiter
et vostre regne e assembler voz hauz homes et voz combatanz en meisme le jur ou plus tost ou
autre maniere come l’host avera mester. Li sons est oïz del estrument per seisante liwes. » (« Il
faut que vous ayez à votre disposition cet instrument que Thémistius inventa pour l’usage des
armées, c’est un instrument épouvantable qui s’emploie de toutes sortes de manières, quand
vous devrez visiter votre pays et votre royaume et assembler vos lieutenants et vos guerriers en
un jour ou moins ou comme il sera utile pour votre armée. Le son de cet instrument s’entend
à soixante lieues à la ronde. »)
88 Catherine Gaullier-Bougassas

consiste à prendre, en accord avec la « divine puissance », « la piere ane-


male, vegetale e minerale qi n’est une piere ne natures des pieres n’a, ainz est
semble en une maniere as pieres des monz <des>minerez, des planctes e des
almailles e est trovee en chascun liu e en chascun tens e en chaxcun homme e
est turnable en chascune colur e contient ensortouz les elemens. C’est apellé
li mendre munde e je la vos nomerai de son non, si come le poeple la nome,
ce est terme d’oef, ce est a dire l’oef des philosophes43 ». Il convient ensuite
de la diviser en quatre parties égales, qui auront chacune une seule nature,
de procéder à des opérations mystérieuses, non expliquées, pour obtenir de
l’eau à partir de l’air, de l’air à partir du feu et du feu à partir de la terre : on
aura alors pleinement atteint « l’art », même si de nouvelles transformations
suivent pour, semble-t-il, réunir les éléments.
Cette recette de la confection de l’œuf des philosophes, formulée telle une
énigme, selon l’écriture figurée du mystère qu’annonçaient dans les prologues
Aristote et Philippe de Tripoli, est suivie de l’inscription des paroles tout
aussi mystérieuses de « nostre piere Hermogenes qe trebles est en philoso-
phie » (« notre père Hermogène qui est triple en philosophie »). Elles cor-
respondent à la Table d’Émeraude attribuée à Hermès Trismégiste dans les tra-
ductions latines antérieures d’Hugues de Santalla et Platon de Tivoli. À moins
de connaître des traités alchimiques, il est bien impossible de comprendre
quelles manipulations et quelles expériences sont ici figurées, tout comme ne
sont pas davantage révélés les pouvoirs que donne cet œuf des philosophes :
est-ce la transmutation de tous les métaux en or ou la réalisation d’un élixir
de vie, peut-être à partir du sang humain, comme l’explique par ailleurs Roger
Bacon44 ? Le rêve est-il d’acquérir une richesse inépuisable qui assure un pou-
voir total sur les hommes et/ou de prolonger la vie et de devenir immortel ? Si
le terme de « pierre » est sans nul doute métaphorique comme le dit Roger
Bacon, nous ignorons ici son ou ses thème(s). La vulgarisation que constitue
de fait l’écriture en langue vernaculaire n’est pas une vulgarisation au sens

43. Fol. 135 r : « la pierre animale, végétale et minérale qui n’est pas une pierre et n’a pas la
nature des pierres, mais qui ressemble d’une certaine manière aux pierres des montagnes de
minerais, de plantes et de bétail, et que l’on trouve dans chaque lieu, à chaque instant et en tout
homme, elle peut prendre toutes les couleurs et elle contient surtout tous les éléments. Elle est
appelé le petit monde et je vous la nommerai du nom que le peuple lui donne, avec le terme
d’‘œuf ’, c’est-à-dire ‘l’œuf des philosophes’. »
44. Sur les différentes interprétations de Roger Bacon et notamment cette dernière, d’après
la doctrine d’Avicenne de la séparation du sang en quatre humeurs dans le Canon, voir
W. R. Newman, « The Philosophers’ Egg : Theory and Practice in the Alchemy of Roger
Bacon », Le crisi dell » alchimia, Micrologus, 3 (1995), p. 75‑101 (notamment p. 91).
 Révélation hermétique et savoir occulte de l’Orient 89

moderne, car l’auteur ne cherche pas à adapter le savoir enseigné à un public


moins savant. Même le terme d’alchimie, absent du texte latin, n’est pas ajouté
et seul un lecteur initié peut saisir la portée alchimique du passage. À la fin
du xiiie siècle, c’est paradoxalement Roger Bacon qui le glose dans la langue
savante qu’est le latin, tout en affirmant par ailleurs la nécessité de cacher les
secrets au plus grand nombre, comme si son édition glosée ne s’adressait qu’à
un élu. Puis du xive siècle date l’écriture, toujours en latin, d’un important
commentaire de la Tabula smaragdina par le philosophe Hortulanus.
Pour l’auteur anonyme qui écrit dans le français de l’Angleterre, la traduc-
tion ad litteram semble bien conçue comme le moyen d’offrir à tous, dans une
parfaite transparence, sans aucun voile ni déperdition de sens, ce savoir qui
était jusqu’alors réservé aux litterati. Aucune stratégie d’occultation supplé-
mentaire du secret, qui viendrait brouiller le sens et rendre opaque la langue de
tous, n’est mise en œuvre, mais le traducteur n’est pas tenté non plus de jouer
le rôle inverse du pédagogue en ajoutant des gloses explicatives. Ainsi trans-
pose-t-il fidèlement, dans cette langue commune au grand nombre, l’idéal
d’une royauté toute-puissante, qui, d’après le Secretum secretorum, asseoit sa
puissance sur la détention de secrets jalousement gardés. Les dévoiler à tous,
serait-ce retirer aux rois ou aux puissants le monopole de leur possession et
le bénéfice de leur efficacité ? Sans doute non dans les conditions historiques
de lecture, car il faudrait supposer une large diffusion du texte, alors qu’un
seul manuscrit le conserve ! Qui plus est, le dévoilement reste très paradoxal,
puisque les plus grands des secrets gardent la forme d’énigmes qu’ils avaient
déjà dans le texte latin, sans apports de clés nouvelles pour leur compréhension.

Les deux adaptations françaises du xive siècle : les ms. de Paris,


BnF, Arsenal, 2872 et Paris, New York et Chicago, galerie Les
Enluminures (juin 2014), et le ms de Paris, BnF, fr. 24432

Des deux nouvelles adaptations réalisées au xive siècle, nous gardons deux
manuscrits qui ont appartenu à la bibliothèque de Charles V : les manus-
crits de Paris, BnF, Arsenal, 2872 et BnF, fr. 2443245. Ce sont des manuscrits

45. Comme nous l’avons déjà indiqué, l’adaptation du ms. BnF, fr. 24432 n’est transmise
par aucun autre manuscrit. Celle du ms. BnF, Arsenal, 2872, qu’on trouve dans le manuscrit
antérieur possédé par la galerie Les Enluminures en juin 2014, est aussi copiée dans deux autres
ms. postérieurs d’un siècle : celui de Paris, BnF, fr. 1088 et celui de Lyon, Bibliothèque muni-
cipale, 864. Des extraits de cette adaptation ont également été incorporés dans l’un des ms.
de l’Alexandre en prose du xiiie siècle (traditionnellement appelé Roman d’Alexandre en prose),
90 Catherine Gaullier-Bougassas

recueils, qui inscrivent le Secret des secrets dans deux environnements textuels
très différents, l’un de textes scientifiques (BnF, Arsenal, 2872), l’autre de
fabliaux et de dits à double orientation divertissante et didactique (morali-
satrice et religieuse, BnF, fr. 24432). La critique a émis jusqu’ici l’hypothèse
qu’elles auraient été commandées par Charles V, mais aucune preuve n’est
conservée. Bien plus, comme nous l’avons évoqué plus haut, notre récent exa-
men du manuscrit actuellement détenu par la galerie Les Enluminures (olim
Amsterdam, Bibliotheca Philosophica Hermetica, 67) et daté de 1300‑1320
a montré qu’il s’agit d’un témoin du même texte que celui du manuscrit de
Paris, BnF, Arsenal 2872 : la commande par Charles V est donc impossible.
La traduction-adaptation du Secretum que transmet le ms. de Paris, BnF,
fr. 24432 (fol. 57 r-84 r) offre un texte moins complet et moins savant que
celui de l’autre adaptation du xive siècle. Son principal intérêt ressortit à une
mise en valeur de quelques connaissances scientifiques, due principalement à
l’absence de très nombreuses sections, sur la médecine et la physiognomonie,
l’art de la guerre aussi46, absence sans doute imputable au manuscrit latin que
détenait l’auteur. Sur les sciences occultes ne sont finalement gardés, partiel-
lement, que les seuls chapitres 59 et 60 de l’édition Möller du Secretum secre-
torum. L’auteur transmet ainsi des développements sur l’alchimie, bien qu’il
réduise l’évocation de la Table d’Émeraude et supprime la recette de la fabri-
cation de l’œuf des philosophes qui la précède (fol. 73 r). Le chapitre 60 sur
les pierres précieuses (d’abord la rouge et la blanche) et sur les plantes est tra-
duit plus fidèlement et longuement (fol. 73 r-75 r). La panacée et ses recettes,
la médecine astrologique et le cor de Thémistius sont en revanche absents.
Quant à l’ouverture de l’œuvre, des quatre pièces latines est d’abord conservé
le prologue de Philippe de Tripoli, avec une mise en valeur du désir qu’exprime
Alexandre de « connoistre les secrés des .vii. ars ci comme le mouvement des
cieux et le cours des estoilles », l’astronomie, l’alchimie ou « art d’arque-
mie », les « enchantemens » et la « nigromance », la magie (fol. 57 v). La
traduction de ce passage et de ses termes scientifiques précis, suivie de celle
de l’exorde d’Aristote, de sa mention d’un grand secret, qu’il craint de voir
aux mains des « mesceans » (fol. 58 v, « mauvais ») et des deux ressorts de
l’obéissance des sujets, la cause « aperte » (fol. 59 r, « connue de tous ») et
la cause « soutine » (fol. 59 r, « cachée »), annonce bien l’intérêt pour les
sciences occultes que l’on constate plus loin, même si l’éloge d’Aristote et

le ms. de Stockholm, Kungliga Biblioteket, Vu. 20. La section de physiognomonie est aussi
conservée dans le ms. de Paris, BnF, fr. 1201.
46. Voir J. Monfrin, « La place du Secret des secrets », art. cit., p. 82‑83.
 Révélation hermétique et savoir occulte de l’Orient 91

l’échange de lettres au sujet des Perses entre le maître et l’élève sont eux aussi
conservés. Néanmoins, en dépit de cette connaissance de l’ouverture latine
et de l’importance accordée au secret, le récit sur l’invention du livre dans le
temple du Soleil et sa traduction arabe n’apparaît pas.
On remarque la même absence de ce scénario d’inspiration hermétique
dans l’autre texte du xive siècle, pourtant plus complet et plus savant, qui oc-
cupe l’intégralité du manuscrit Les Enluminures (fol. 1‑66 v) et qui est copié
aux folios 310 r-341 r du manuscrit de Paris, BnF, Arsenal 2872. Ce dernier est
un gros recueil qui a appartenu à la bibliothèque de Charles V et qui réunit des
traductions en langue française de traités savants sur les sciences de la nature47.
Il s’agit d’un ensemble très riche et cohérent, exclusivement consacré à la phi-
losophie naturelle et aux sciences occultes, qui montre combien le Secret des
secrets est alors lu comme un texte scientifique. Il n’en reste pas moins que,
à la cour royale française, toutes les connaissances scientifiques, comme les
autres savoirs d’ailleurs, étaient appréhendées pour leur utilitas, comme des
instruments du pouvoir. C’est évident pour l’astrologie et le témoignage du
Secretum secretorum confortait cette conviction, même si cette adaptation n’a
pas pu être commandée par Charles V puisque le manuscrit de la galerie Les
Enluminures date du tout début du xive siècle. On connaît bien la fascination
de Charles V pour l’astrologie et pour les sciences, ainsi que l’importance du
programme de traductions en langue française d’ouvrages savants qu’il a mis
en œuvre48. L’un des grands savants qui l’entoure, Nicole Oresme, traduit
ainsi pour la première fois en langue française les principaux traités d’Aristote
et célèbre la volonté qui anime Charles V de « baillier en françois les arts et
les sciences » (« donner en langue française les savoirs et les sciences »), dans

47. J. Monfrin, ibidem, p. 83‑85 et H. Martin, Catalogue des manuscrits de la bibliothèque de


l’Arsenal, Paris, 1899, p. 134‑138.
48. Sur l’astrologie et les sciences à la cour de Charles V, voir notamment J.-P. Boudet, Entre
science et nigromance, op. cit., p. 303‑310 et « Charles V, Gervais Chrétien et les manuscrits scien-
tifiques du collège de Maître Gervais », Médiévales, 52 (2007), p. 15‑38, ainsi que L. A. Shore,
« A Case Study in Medieval Nonliterary Translation : Scientific Texts from Latin to French »,
dans Medieval Translators and Their Craft, éd. J. Beer, Kalamazoo, 1989, p. 297‑327. Sur le rôle
de mécène du roi pour la traduction de textes savants, on se reportera à S. Lusignan, Parler
vulgairement. Les intellectuels et la langue française aux xiiie et xive siècles, Montréal, 1986 et
C. Richter Sherman, Imaging Aristotle, Verbal and Visual Representation in Fourteenth-Century
France, Berkeley, Los Angeles et Londres, 1995. Selon J.-P. Boudet (Entre science et nigromance,
op. cit., p. 304), les ouvrages d’astronomie-astrologie, de divination et magie représentent dans
la bibliothèque du Louvre de Charles V en 1380 « environ 185 volumes sur 914, soit 20 % de
l’ensemble du fonds ».
92 Catherine Gaullier-Bougassas

la préface de sa traduction de l’Éthique49. Il tente par ailleurs de combattre le


penchant du roi pour l’astrologie, qu’il condamne comme une forme d’ido-
lâtrie païenne. Il est ainsi l’un des premiers, en langue française, à dénoncer
l’enseignement du Secretum secretorum et affirme, dans son Livre de divina-
tion, la fausseté de l’attribution du texte à Aristote50. De fait les manuscrits
qui contiennent ses traductions d’Aristote ne comportent jamais une copie
du Secret des secrets. Ses mises en garde n’ont cependant pas entamé le succès
des textes astrologiques et aussi alchimiques à la cour française.
Le manuscrit de l’Arsenal 2872 est donc un énorme recueil de 477 folios,
qui contient des traductions en langue française, réalisées tout au long du xive
siècle, à la fois de traités scientifiques orientaux, à partir de leurs traductions
latines, et de traités latins de savants médiévaux. La plus ancienne serait peut-
être la première copiée, le Calendrier de la reine, traduction du Calendarium
de Guillaume de Saint-Cloud, que ce dernier aurait réalisée lui-même pour
Jeanne de Navarre, épouse de Philippe IV dans les toutes premières années du
xive siècle. Le recueil fait se succéder plusieurs disciplines scientifiques. Dans
la première partie, ce sont surtout l’astronomie et l’astrologie (très nombreux
traités, dont le Calendrier de la reine, l’Epistre Messhala sur la nature, signifi-
cation des XII signes et VII planetes et eclipses, le Livre de Seni le philozophe, le
Livre des neuf juges, et tables astronomiques), aussi les propriétés naturelles
des animaux et des plantes (Agregation des secrés de nature, Livre des secrés de
nature, traduction des Cyranides), ainsi que la médecine (Livre de Ypocras,
Livre de la deite universal selon Ysaac et les aultres acteurs de medecine, Regime
du corps d’Aldebrandin de Sienne). La deuxième partie du recueil est avant
tout consacrée à des traités d’alchimie (Testament des nobles philozophes, Livre
du parfait magistere Aristote, lequel en dit Lum des lumieres sur la pierre des
philozophes, Livre de la branchete de Bernard de Trèves, Rosaire de maistre
Arnauld de Villeneuve sur la fleur d’alkemie, c’est a savoir sur la grant pierre
aux philozophes, Livre de Roussinus sur la operacion de la pierre des philosophes,
parmi d’autres titres, avant que la conclusion du recueil ne soit laissée aux vers
de Jean de Meun sur l’alchimie dans le Roman de la Rose).
Les œuvres se complètent et se répondent, par leur contenu scientifique,
par les figures d’autorité invoquées, parfois aussi par leurs prologues, leurs
épilogues ou les autres interventions des auteurs, notamment sur le trans-
fert du savoir d’Orient en Occident, jusqu’en France, l’utilité politique des

49. Éd. A. D. Menut, Le Livre de ethique d’Aristote, New York, 1940, p. 101.
50. Livre de divination, éd. S. Lefèvre et trad. italienne S. Rapisarda, Contro la divinazione.
Consigli antiastrologici al re di Francia (1356), Rome, 2009, ch. 14, p. 164.
 Révélation hermétique et savoir occulte de l’Orient 93

connaissances scientifiques, la révélation des savoirs occultes, l’obscurité des


livres d’alchimie, la nécessité de leur double sens pour la préservation des
secrets. Le Secret des secrets s’inscrit au cœur de l’ensemble, dont il réunit de
fait les principales disciplines scientifiques, contribuant ainsi à renforcer les
correspondances établies entre les textes. Nous ne pouvons analyser ici en dé-
tail ce jeu d’échos, subtil et complexe, qui mériterait une étude à part entière,
d’autant qu’il parcourt les 477 folios, et nous contenterons de mentionner
quelques aspects qui éclairent la lecture du Secret des secrets.
Surtout dans la première partie du recueil, c’est-à-dire avant les traités
d’alchimie qui mettent souvent en scène la parole plus intime d’un homme à
son fils ou à un ami, cet enseignement scientifique en langue française, dédiée
aux laïcs, s’adresse explicitement aux puissants. Des rubriques, des prologues
et des épilogues, nombreux, présentent les œuvres ou leurs traductions comme
des commandes de rois ou d’empereurs. Ce sont des souverains antiques,
Alexandre bien sûr, mais aussi le roi de Perse Kirem qui aurait demandé qu’on
lui apporte le Livre des secrés de nature, titre français des Cyraniques attribués
à Aaron (fol. 56 r), ou bien des empereurs de Rome, non identifiés, qui font
traduire l’Epistre Messhala (fol. 79 v) et le Livre de Seni le philozophe (fol. 83 r).
Dans la continuité de ces modèles antiques sont nommés les deux grands rois
savants de l’Europe occidentale du xiiie siècle, qui, grands mécènes de traduc-
tions savantes, ont tous les deux possédé le Secretum secretorum et ont eu une
passion pour les sciences orientales : c’est Alphonse X de Castille, mentionné
comme le commanditaire de la traduction du grec en latin des Cyranides
(« noble roy Alfons d’Espaigne, lequel le fist translater de grec en latin et
chier le tint et garda », fol. 56 r, « noble roi Alphonse d’Espagne, qui le fit
traduire de grec en latin, l’estima beaucoup et le conserva »), et Frédéric II,
qui aurait reçu du sultan de Babylone le Livre des neuf juges (« et envoia le
soudant de Babilone ce livre a l’empereur Federic ou temps que le grant calif
envoya ledit Theodore audit empereur », fol. 85 r, « et le sultan de Babylone
envoya ce livre à l’empereur Frédéric à l’époque où le grand calife envoya le
dit Théodore au dit empereur »). Cette compilation latine sur les interroga-
tions astrologiques a dû être composée en Aragon au xiie siècle, à partir de
sources arabes, mais au xive siècle la commande en est souvent attribuée à
Frédéric II, qui, avec le philosophe « Theodore » et aussi avec Michel Scot,
a incarné le couple idéal du roi et du philosophe, sur le modèle d’Alexandre
et Aristote51. C’est pour ce Livre des neuf juges, en version française, que nous

51. C. Burnett, « A Hermetic Programme of Astrology and Divination in Mid-Twelfth-


Century Aragon : The Hidden Preface in the Liber novem judicum », dans Magic and the
94 Catherine Gaullier-Bougassas

trouvons une dédicace explicite du traducteur Robert Godefroy au futur roi


de France Charles V, encore dauphin, datée de 1361 (fol. 309 v). Il s’agit sans
doute là de la première traduction d’un traité astrologique commandée par
Charles. Ces interventions des copistes et des auteurs, plusieurs fois complé-
tées et prolongées par l’énoncé de la translatio studii et imperii, le transfert
du savoir et de pouvoir d’est en ouest depuis l’Antiquité, expriment l’idéal
du roi savant, que la monarchie Plantagenêt a promu à partir du xiie siècle,
avant Frédéric II et Alphonse X, et que Charles V rêve d’incarner à son tour.
Or, dans le Secretum secretorum, Aristote exalte lui aussi le souverain lettré qui
encourage les sciences et favorise les savants et qui reçoit d’eux, en échange,
des secrets interdits, des savoirs occultes destinés à des élus, afin de les aider à
mieux gouverner et à imposer une puissance sans limite.
La voix d’Aristote résonne d’ailleurs tout au long du recueil. Le Livre des
neuf juges, le traité le plus long (fol. 85 r-309 v), précède immédiatement le
Secret des secrets et Aristote, l’un des neuf juges astrologues, y joue un rôle
important52. Il est aussi introduit comme l’auteur d’un traité alchimique
copié plus loin, aux folios 416 r-425 v, la Lumière des lumières, traduction du
Lumen luminorum, qui explique la composition de la pierre philosophale. Des
références plus ponctuelles au philosophe reviennent tel un leitmotiv, dès le
premier texte. Le Calendrier de la reine s’ouvre ainsi sur deux allusions expli-
cites au Secretum secretorum (fol. 7 r et v) ; au folio 26 r, l’Agregation des secrés
de nature cite l’« exemple de Alixandre le noble roy qui pour le conseil d’un
seul homme Aristote […] fit tant de nobles choses » ; Arnaud de Villeneuve,
dans son Rosaire, renvoie plusieurs fois, à propos de la fabrication de la pierre
philosophale, au Livre des métaux d’Aristote (sans doute les Météorologiques),
qu’il prétend traduire mot à mot (fol. 431 v, 436 r), il dit aussi, sans précision,
vouloir expliquer, sur l’alchimie, comment comprendre le « dit de l’Aristo-
til » (fol. 430 r). Le prologue du Testament des nobles philozophes, après avoir
célébré Hermès, introduit Aristote (fol. 401 v-402 r) et le cite à propos du
risque de mort encouru par celui qui ne garde pas les secrets, en indiquant :
« comme le dit Aristote a Alixandre ou Livre de l’œuf des philozophes ». Bien
loin de ce que nous avons constaté dans l’œuvre de Jofroi de Waterford et
de Servais Copale, Aristote apparaît donc dans le recueil sous les traits de

Classical Tradition, éd. C. Burnett et W. F. Ryan, Londres et Turin, 2006, p. 99‑118, et notam-
ment p. 102 pour l’attribution à Frédéric II.
52. La traduction française de ce traité est conservée dans un second manuscrit, le manuscrit
de Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, 10319. Le frontispice du folio 3 représente le
dauphin débattant avec les neuf juges et en premier lieu Aristote, le seul identifié (C. Richter
Sherman, Imaging Aristotle, op. cit., p. 17).
 Révélation hermétique et savoir occulte de l’Orient 95

l’astrologue et de l’alchimiste. Il est fondamentalement le maître d’un savoir


sur les propriétés occultes de la nature et celui de sciences ésotériques suppo-
sées pouvoir transformer cette dernière.
Plusieurs références explicites au Secret des secrets reflètent même une pré-
dilection pour l’Aristote alchimiste et, comme nous allons le voir, la traduc-
tion française du texte maintient fidèlement les sections du Secretum secreto-
rum relatives à l’œuf des philozophes et au pouvoir de l’alchimie. La mention
du Livre de l’œuf des philozophes que nous venons d’évoquer, renvoie-t-elle
au Secret des secrets, à la Lumière des lumières ou une autre œuvre alchimique
attribuée au philosophe ? Difficile de le savoir. Les allusions sont en revanche
plus précises dans le prologue du Calendrier de la reine, où Guillaume de
Saint-Cloud introduit Aristote comme son autorité majeure. Après son éloge
du temps passé où les princes favorisaient les sciences, il demande au souverain
de renouer cette alliance de l’estude et de la chevalerie, en apportant son aide
aux savants. C’est aussitôt le conseil d’Aristote dans le Secret des secrets qu’il
rappelle : « Or oient donques li roy et li prince et li grant homme et entendent
Aristote coment il amonneste Alixandre son disciple : ‘Fay, dit-il, aucun avan-
cement au bien estudians et prouffitens es sciences si que par ce tu leur guer-
redonnes come a dignes et donnez aus autres exemple et matiere de veillier en
l’estude53.’ » Bien plus, quelques lignes plus haut, au sujet des « merveilleuses
œuvres que les anciens philozophes firent par œuvre de nature » et de la célé-
bration de l’efficacité politique et guerrière des sciences, il affirme que grâce
à la science, l’homme peut parvenir à modifier une région entière, et entre
autres exemples, « […] trouve l’en que Aristote escript a Alixandre u Livre
du gouvernement des princes que il ocist les gens d’une region qui li estoient
rebelle ou que il chanjast leur region par art en telle maniere que aussi come
la complexion de l’aer fust muee, tout aussi muassent les parsonnes de ceuls
qui y habitoient54 ». C’est bien là un souvenir de la demande d’Alexandre
sur les Perses dans le Secret des secrets. L’incompréhension, volontaire ou non,
de la réponse d’Aristote ouvre une alternative nouvelle, avec la possibilité de
modifier la nature de l’air et la complexion des hommes, comme Roger Bacon

53. Fol. 8 v : « Qu’ils écoutent donc les rois, les princes et les hommes puissants, et qu’ils
entendent comment Aristote admoneste son disciple : ‘Favorise l’élévation de ceux qui étudient
bien et progressent dans les sciences et récompense-les ainsi pour leur valeur, et donne aux
autres l’exemple et la matière de se consacrer à l’étude.’ »
54. Fol. 7 v : « […] on trouve qu’Aristote écrivit à Alexandre, dans le Livre du gouvernement
des princes, de tuer les habitants d’une région qui lui était rebelle ou bien de transformer leur
région grâce aux ressources de la science, si bien que, de même que l’air serait changé, de même
les habitants seraient métamorphosés. »
96 Catherine Gaullier-Bougassas

l’avait lui aussi compris. Enfin, le Traité de Roussinus évoque le Secret des secrets
à propos de l’alchimie et de la fabrication de la pierre philosophale ou œuf
des philosophes, et au cœur d’un développement sur l’obscurité nécessaire des
textes alchimiques (fol. 451 r et v).
La constitution du recueil montre ainsi clairement que le Secret des secrets
est lu comme un texte scientifique et copié pour les connaissances occultes
qu’il contient, sans que sa valeur politique en soit pour autant invalidée,
puisque le savoir secret a pour raison d’être de servir le pouvoir royal, comme
l’affirment de nombreux prologues. Dans un recueil dédié aux sciences, avec
une telle valorisation d’Aristote comme astrologue et alchimiste et un si grand
nombre de traités alchimiques réunis, il n’est pas étonnant qu’on découvre
une version française du Secret des secrets qui traduit fidèlement les sections
que le Secretum secretorum consacre aux sciences occultes.
On lit ainsi les développements sur la panacée – appelée «  Gloire  »
ou «  Tresor des philosophes  » et attribuée à Hermès – et ses recettes
(fol. 324 r-326 r), puis sur l’alchimie et les propriétés occultes des pierres et des
herbes (fol. 328 v-331 r). Ces deux sections sont ici séparées par les chapitres sur
la physiognomonie (fol. 326 v-328 v), conformément à l’ordre du traité arabe,
qu’avait modifié Philippe de Tripoli en plaçant la physiognomonie à la fin du
texte. Pour la première fois aussi en langue française, l’auteur d’un Secret des
secrets français amplifie le texte du Secretum secretorum par de nouveaux cha-
pitres sur les vertus occultes d’éléments naturels, en l’occurrence des plantes.
Il greffe en effet55, juste après le chapitre 60 du Secretum secretorum, une ver-
sion française du Traité sur les sept herbes, que le Moyen Âge, sous sa version
latine De septem herbis, a attribué tantôt à Albert le Grand et parfois inclus à
son Livre des secrets56, tantôt à Alexandre lui-même : les propriétés occultes
de sept plantes astrologiques sont détaillées en relation avec les planètes qui
les gouvernent (fol. 331 r-332 r). Plus loin le cor de Thémistius est brièvement
évoqué, sans être désigné comme tel (fol. 338 v).
Si nous revenons au développement sur l’œuf des philosophes ou pierre
philosophale et sur les aphorismes d’Hermogène-Hermès – la Table d’Éme-
raude – qui l’accompagnent, nous constatons que le traducteur le rapporte
tout aussi précisément que l’auteur du texte du manuscrit de Paris, BnF, fr.

55. Peut-être en suivant son exemplaire latin, puisque plusieurs manuscrits du Secretum
contiennent ce traité latin (voir F. Wurms, op. cit., n° 173 et 180).
56. Albert le Grand (Pseudo-), Le Liber de virtutibus herbarum, lapidum et animalium (Liber
aggregationis). Un texte à succès attribué à Albert le Grand, éd. et trad. française I. Draelants,
Florence, 2007, p. 9, 70.
 Révélation hermétique et savoir occulte de l’Orient 97

571 (fol. 329 r et v). Le transfert linguistique ne s’accompagne là non plus


d’aucune modification dans l’écriture, ni pour clarifier ni inversement pour
occulter davantage un savoir secret : autrement dit, ni dévoilement ni impo-
sition d’un voile supplémentaire, ni glose explicative ni allégorisation nou-
velle pour brouiller un sens déjà obscur et contrebalancer la diffusion plus
large du secret dans la langue de tous. La recette et les paroles d’Hermogène
gardent la même apparence d’énigme qu’ils avaient dans le Secretum. Mais ce
qui change ici dans le manuscrit de l’Arsenal, c’est l’environnement contextuel
du recueil, qui diffère profondément de ceux de tous les autres manuscrits qui
contiennent les adaptations françaises de la lettre d’Aristote. Or, ce nouvel
environnement modifie immanquablement la lecture, même si c’est surtout
a posteriori, puisque les différents traités d’alchimie qu’offre la seconde par-
tie du recueil expliquent longuement, avec le vocabulaire technique, souvent
métaphorique et obscur, de cette science, la composition et la fabrication de
la pierre philosophale ou œuf des philosophes, ses différentes étapes, puis la
confection de l’élixir.
Comme indiqué plus haut, l’un d’entre eux, le Livre de Roussinus sur la
operacion de la pierre des philosophes, se réfère même au Secret des secrets au sujet
de l’« operacion de la pierre des philosophes », comme si c’était le principal
objet du traité d’Aristote. Dans son prologue, l’auteur mentionne ses longs
voyages, dictés par l’espoir de « avoir et cuillir la plante de l’art de nature sur la
trés noble pierre des philozophes » (fol. 451 r, « trouver et cueillir la plante de
l’art de nature sur la très noble pierre des philosophes ») ; il évoque les livres
écrits sur cette science, leur obscurité, due à un double niveau de sens, pour
que seuls les initiés puissent comprendre : les doctrines des philosophes sont
« molt obscurez, car il parlent doublement en leurs diz livres, l’une maniere
voire, l’autre faux, entremesleez les deux ensemble, le bon avecques le faux,
afin que les folz ne les ignorans ne puissent veoir clerement cest noble œuvre
de nature, laquelle est tresor des tresors et richesse des richesses et santé des
infermes ou des malades, car ceste noble pierre gairist toutes maladies et ne
est home qui peust summer ne prisier sa valeur57 ». Désespéré par tant d’obs-
curité, il renonce à leur étude jusqu’à ce que, un jour, Dieu lui apparaisse pen-
dant son sommeil et lui donne les clés de leur compréhension. Une révélation

57. Fol. 451 r, « très obscures, car dans ces livres ils tiennent un double discours, un vrai et un
faux, les deux entremêlés, le bon avec le faux, afin que les sots et les ignorants ne puissent pas
voir clairement cette noble œuvre de la nature, qui est trésor des trésors, richesse des richesses,
et santé des infirmes et des malades, car cette noble pierre guérit toutes les maladies et que nul
homme n’est en mesure de compre