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COLONISATION, DÉVELOPPEMENT, AIDE HUMANITAIRE.

POUR UNE
ANTHROPOLOGIE DE L'AIDE INTERNATIONALE

Laëtitia Atlani-Duault et Jean-Pierre Dozon

Presses Universitaires de France | « Ethnologie française »

2011/3 Vol. 41 | pages 393 à 403


ISSN 0046-2616
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ISBN 9782130584131
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Dossier : Bembo puf314871\MEP\ Fichier : Ethno_3_11 Date : 11/5/2011 Heure : 9 : 8 Page : 393

Colonisation, développement, aide humanitaire.


Pour une anthropologie de l’aide internationale
Laëtitia Atlani-Duault
Laboratoire d’ethnologie et de sociologie comparative
Jean-Pierre Dozon
Centre d’études africaines – EHESS

RÉSUMÉ
Cet article retrace la longue histoire de la recherche concernant l’aide humanitaire, inscrite dans la filiation des études
anthropologiques sur la situation coloniale, le développement, la santé et, plus largement, sur le politique. Il montre comment
cette histoire doit aujourd’hui intégrer les évolutions récentes tant du côté de l’aide humanitaire et des politiques du
développement, que des recherches en anthropologie portant sur ces thèmes. Il relève enfin des glissements thématiques et
conceptuels entre ces divers champs au sens éminemment politique, que seule peut saisir une anthropologie de l’aide
internationale, à la fois ancrée dans l’histoire de la discipline et prenant à bras-le-corps les reconfigurations actuelles de l’aide.
Mots-clés : Anthropologie. Situation coloniale. Développement. Aide humanitaire. Aide internationale.
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Laëtitia Atlani-Duault Jean-Pierre Dozon
Laboratoire d’ethnologie et de sociologie comparative Centre d’études africaines
Maison René-Ginouvès Archéologie et Ethnologie EHESS
21, allée de l’Université 96, boulevard Raspail
92023 Nanterre cedex 75006 Paris
Laetitia.atlani-duault@mae.u-paris10.fr Jean-Pierre.Dozon@ehess.fr

Pour certains, l’aide humanitaire serait un thème de ■ Un domaine de recherche oscillant


recherche inédit en anthropologie, et donc à défricher. entre attrait et rejet
Cet a priori ne vient pas seulement de la relative mé-
connaissance de la littérature sur le domaine mais L’anthropologie du développement et de l’humani-
découle des reconfigurations et de l’expansion de l’aide taire ressortit en effet à une assez longue généalogie
internationale depuis la fin de la guerre froide. Or,
dont on peut repérer, spécialement en France, les pre-
l’aide humanitaire s’inscrit dans une histoire intellec-
miers et importants jalons aux années 1950, à l’époque
tuelle longue en anthropologie. On se propose donc
où fut inventée la notion de Tiers-Monde (par Alfred
de retracer plus précisément les principales figures et
approches qui ont marqué cette histoire dans la litté- Sauvy et/ou Georges Balandier) et où l’on parla,
rature francophone, puis d’examiner les évolutions concomitamment à l’attention portée aux mouve-
récentes des recherches anthropologiques dans le ments d’émancipation des peuples colonisés, de « pays
champ. Nous nous interrogerons enfin sur le bascule- sous-développés » : une formule en elle-même quel-
ment qui s’est opéré récemment entre développement que peu stigmatisante, mais qui fut bientôt relayée par
et aide humanitaire, avec toutes les conceptions séman- celle plus valorisante de pays « en voie de dévelop-
tiques qui l’accompagnent, et sur la nécessité d’œuvrer pement » ou « en développement ». Il s’est agi plus
à une anthropologie de l’aide internationale, à la fois précisément d’une époque de reconstructions natio-
ancrée dans l’histoire de la discipline et prenant à bras- nales au Nord (l’après-guerre et le début des Trente
le-corps les reconfigurations actuelles de l’aide. Glorieuses dans le cadre du plan Marshall) et de
constructions nationales au Sud où divers modèles
macro-économiques furent mobilisés pour engager des
processus de développement, à l’instar des pôles de
croissance prônés par François Perroux ou d’un modèle

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de planification, cher à Wassily Leontief 1, favorisant les particulièrement dispendieux et commencé depuis
échanges intersectoriels (entre agriculture et industrie l’époque coloniale, de l’Office du Niger pour la culture
par exemple). du coton), semblaient rendre quelque peu effective
Et, quoique la science économique occupât inévita- l’idée de « pays en développement ». Cela même si, en
blement une position dominante, d’autres sciences ces années 1950, la France, loin de vouloir rompre avec
sociales ou d’autres approches s’invitèrent dans le débat ses territoires d’outre-mer (comme en témoignaient ses
dès lors que les questions de développement ou de sous- guerres coloniales en Indochine et en Algérie), ne
développement concernaient des régions du monde laissait d’accroître ses échanges économiques avec eux
qui avaient précisément été colonisées ou qui étaient et de les entretenir du même coup dans une relation
sur le point de ne plus l’être, spécialement l’Afrique durable de dépendance.
subsaharienne. En réalité, comme ces régions du C’est au vu de ces rapides et, parfois, spectaculaires
monde avaient principalement servi de colonies évolutions, qui débouchèrent finalement malgré tout
d’exploitation, la plupart des modèles macroécono- sur les indépendances des territoires français d’Afrique
miques proposés, issus largement de l’expérience noire, que le développement s’imposa comme un objet
capitaliste occidentale, eurent de facto bien du mal à d’étude digne d’un africanisme [voir notamment
s’appliquer. C’est pourquoi la fameuse notion de Balandier, 1954, 1957] qui n’entendait pas tourner le
« situation coloniale », telle qu’elle fut définie par dos à l’histoire, aux sociétés en train de se faire, et se
Georges Balandier au début des années 1950 [Balan- voulait volontiers politique, dès lors qu’à travers le
dier, 1951], eut cet avantage heuristique de caractériser développement il était question d’émancipation et de
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génériquement des régions périphériques où tout fut construction de communautés nationales. Encore
originellement conçu, sur le plan économique, dans faut-il préciser que Balandier fut loin d’être le seul en
l’intérêt prioritaire des métropoles européennes et, France à adopter à la fois ce principe de réalité et un
donc, sans grand souci d’y instiller un développement « principe d’espérance », pour reprendre la belle for-
endogène [Bairoch, 1967]. Cependant, dans la mesure mule d’Ernst Bloch, par l’entremise duquel les sciences
où il entendit saisir dans ses multiples dimensions cette sociales pouvaient s’impliquer dans le développement
« situation », les systèmes de contrainte coloniaux pou- de « pays neufs » et y décliner un large horizon de
vant donner lieu à diverses formes de résistances, Balan- possibles.
dier fut également attentif à tout ce qui était susceptible En effet, il y eut tout particulièrement le groupe
d’en modifier la donne initiale, en l’occurrence le rap- ressortissant au catholicisme social Économie et
port politique de domination. Dans cette perspective, Humanisme (qui fut en même temps le nom d’un
les changements sociaux générés par les mises en valeur centre de recherche-action et d’une revue), créé
coloniales lui semblèrent particulièrement prometteurs durant l’Occupation et qui grandit après guerre
de transformations plus globales pouvant affecter la autour de son principal fondateur, le père Lebret ; y
nature même dudit rapport politique. Mais Georges prit étroitement part l’économiste du développement
Balandier put d’autant mieux voir les choses ainsi et évoqué plus haut, François Perroux [voir notamment
initier de la sorte une sociologie dynamique que Puel, 2004]. Critique de l’économisme libéral, parti-
l’Afrique qu’il observait, c’est-à-dire essentiellement san d’un développement initié par l’État, mais proche
l’Afrique de l’Union française, était une Afrique en des populations et des communautés, il eut une forte
train de connaître d’importantes évolutions écono- audience en Amérique latine et en Afrique, spéciale-
miques et sociopolitiques. Non seulement le système ment au Sénégal où, au tournant de l’indépendance
de l’indigénat, qui avait régi toute la période coloniale du pays [1960], le père Lebret travailla au premier
jusqu’à 1945, était aboli, élargissant quelque peu la plan quadriennal et contribua à l’élaboration de ce
sphère des droits des sujets africains, mais la métropole, qui fut appelé le « socialisme africain ». En centrant sa
à travers sa puissance étatique, investissait dans ses terri- doctrine sur la planification, l’animation et la coopé-
toires africains comme jamais elle ne l’avait fait aupara- ration, ce groupe influent mit en forme une sorte de
vant [Dozon, 2003]. Grâce notamment au FIDES (Fonds science sociale appliquée, ou de sociologie pratique,
d’investissement pour le développement économique teintée de visions iréniques à la façon des utopistes du
et social créé en 1946 un an après le franc CFA), de vastes XIXe siècle 2, qui inspira bien des concepteurs des pro-
opérations d’aménagement et d’équipement, de grands jets de développement jusqu’à aujourd’hui et fit un
projets d’exploitation hydro-agricole (comme celui, exemple du « populisme développementiste » tel que

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Jean-Pierre Olivier de Sardan [1990] a pu en repérer les utopies socialisantes et, spécialement, pour la pro-
les déclinaisons chez des experts de la Banque mon- motion systématique de coopératives, tout particuliè-
diale dans les années 1970 et 1980. En donnant une rement en Amérique latine et en Afrique. Du reste,
très large priorité aux mondes ruraux, ses conceptions Desroche fut lui-même singulièrement entreprenant
marquèrent en effet profondément de leur empreinte puisqu’il créa des universités et des collèges coopératifs
quantité d’opérations agricoles ou d’aménagement et ne laissa de concilier sa sociologie du développe-
des campagnes qui furent entreprises après les indé- ment (qui fut donc avant tout une sociologie pra-
pendances africaines en prônant l’organisation de tique 5) avec la production d’une importante œuvre en
coopératives paysannes et la participation des popula- sociologie religieuse 6.
tions villageoises 3. Ces expériences prirent place dans De ce point de vue, et cela mériterait une enquête
le cadre des plans et des grandes opérations que la approfondie d’histoire intellectuelle, il est assez remar-
plupart des États africains mirent en œuvre durant les quable que ceux qui, en France, militèrent afin que
deux premières décennies postcoloniales mais trou- les problèmes de développement du tiers monde
vèrent leur prolongement, voire leur épanouissement, devinssent des questions centrales pour les sciences
lorsque plans et grandes opérations furent par la suite sociales furent souvent aussi de fins analystes des phé-
abandonnés et qu’on leur substitua, sur fond de nomènes religieux qui n’avaient cessé d’animer l’his-
dénonciation néo-libérale de la mal-gouvernance des toire des peuples colonisés par les pays occidentaux.
États, des programmes de décentralisation et une Sans doute n’y avait-il là rien de très surprenant,
politique de petits projets focalisée sur le développe- sachant que certains d’entre eux venaient de la prêtrise
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ment local. ou de la théologie. Mais la concordance vaut aussi pour
Certes, il y avait quelques différences entre les pers- Georges Balandier qui a vu dans les messianismes
pectives de Georges Balandier qui s’intéressait au congolais un cas édifiant de « reprises d’initiative » des
développement, mais en se tenant à bonne distance de peuples africains sous domination coloniale. Il en alla
ses concrètes mises en œuvre, et celles des animateurs de même pour une autre imposante figure de cette
d’Économie et Humanisme qui entendaient ferme- époque, celle de Roger Bastide, auteur d’une œuvre
ment s’y impliquer et dont la volonté de faire science importante consacrée aux cultes afro-brésiliens, ces
(science, en l’occurrence, du développement mobili- « religions en conserve » se réinventant dans le contexte
sant une large palette de disciplines) était en effet colonial et esclavagiste d’outre-Atlantique, et qui écri-
associée à une vision idéalisée de la société tradition- vit le premier ouvrage d’anthropologie appliquée 7
nelle africaine, elle-même fortement inspirée ou sou- [Bastide, 1971] dédié notamment aux problèmes de
tenue par le catholicisme social de l’après-guerre. En développement 8. Ainsi, en France, durant les années
dépit de leurs divergences, ces différentes perspectives 1950 et 1960, un important courant de recherche,
partageaient néanmoins l’idée que le développement attentif aux expériences des populations colonisées, à
et l’indépendance véritable des jeunes nations suppo- leurs capacités tout à la fois de résilience, d’émancipa-
saient des dynamismes endogènes capables de trans- tion et d’innovation (on dirait volontiers aujourd’hui
former notablement les économies coloniales et les leur agency), a promu simultanément une sociologie du
tenaces rapports de subordination avec les métropoles. développement et une sociologie des religions, comme
C’est pourquoi, à l’instar des élites africaines et, plus s’il y avait, à la confluence des deux domaines, une
généralement, des élites du tiers monde qui portèrent, sociologie pratique au travers de laquelle les chercheurs
dans les années 1950, les mouvements d’émancipa- étaient susceptibles de se solidariser avec lesdites popu-
tion, le marxisme constituait une référence majeure, lations et, par là, de renouveler aussi bien le contenu
même si sa vision agonistique de la vie sociale était que l’éthique de leur discipline. Il conviendrait d’élar-
loin d’être unanimement partagée. À cet égard, la gir cette histoire intellectuelle à deux anthropologues
figure d’Henri Desroche est particulièrement emblé- italiens, Ernesto de Martino avec sa grande étude sur
matique puisque ce prêtre et théologien, membre le monde magique de l’Italie du Sud et Vittorio Lan-
d’Économie et Humanisme à ses tout débuts et ternari avec son imposante synthèse consacrée aux
devenu sociologue, s’en écarta à cause de l’intérêt un mouvements religieux des peuples opprimés [Ethnolo-
peu trop marqué qu’il manifesta à l’endroit du gie française, 1994].
marxisme 4. Mais il n’en resta pas moins fidèle à l’esprit Cependant, cette configuration exemplairement
du mouvement, c’est-à-dire à son inclination pour représentée par le groupe Économie et Humanisme,

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dans laquelle une certaine expertise en sciences sociales Loin, par conséquent, de toute sociologie pratique
semblait devoir s’accorder avec la croyance en un pos- ou de toute anthropologie appliquée, s’affirma au cours
sible développement harmonieux des pays du tiers des années 1970 un imposant courant international des
monde, fut vite relayée par une mise en cause assez radi- sciences sociales qui refusa toute compromission avec le
cale de la finalité des opérations de développement qui monde du développement. Au point d’ailleurs, comme
y étaient effectivement menées. Plus précisément, des aux États-Unis, de mettre totalement en cause toute
analystes marxistes, ne concédant rien pour le coup à un enquête de terrain auprès de populations latino-améri-
humanisme de bonne volonté, tout particulièrement caines (réputées victimes de l’hégémonie yankee), voire
inspirés par les écrits pionniers de Rosa Luxemburg, toute publication à leur endroit, considérant que même
expliquèrent que le développement, tel qu’il était des études classiques d’anthropologie sur des popula-
concrètement mené dans la plupart de ces pays, ne faisait tions amérindiennes, par exemple, pouvaient être utili-
que refaçonner et amplifier les formes antérieures de sées à des fins de domination impériale [Copans, 1974].
domination impérialiste (de pillage, comme il était plus Et si, en France, la critique n’alla pas jusqu’à cette auto-
communément dit 9) qui s’y étaient exercées. Le « déve- dissolution de la discipline, on assista à une mise à dis-
loppement du sous-développement » [Frank, 1969] tance d’autant plus forte à l’égard du développement
ou l’accentuation de l’accumulation, commencée au qu’on prit la mesure des liens étroits entre l’ethnologie
XVIe siècle, au bénéfice des grands centres capitalistes par exotique et le colonialisme européen [Leclerc, 1972].
l’entremise d’échanges délibérément inégaux [Emma- Surtout, que s’y affirma une anthropologie marxiste
nuel, 1969 ; Amin, 1970] : telle était, pour ces analystes, qui, tout en entreprenant de renouveler le savoir sur les
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la vérité des opérations, des structures d’aide et de co- sociétés lointaines et dominées, spécialement les socié-
opération que les pays industrialisés et leurs experts, tés africaines, se déclarait volontiers solidaire de leur
souvent anciennes puissances coloniales, étaient en train émancipation et de leurs luttes.
de mettre en place, spécialement auprès des paysannats Cette anthropologie fut ainsi largement nourrie par
latino-américains et africains. les recherches africanistes 10 (elles-mêmes fortement
Par là même, les idéaux de coopération ou de par- influencées, au reste, par le renouveau de la théorie
ticipation des populations furent eux aussi vivement marxiste, instillé par Louis Althusser, notamment dans
contestés puisque jugés aveugles aux visées d’un sys- sa capacité à construire et à combiner des modes de
tème global qui, au lieu de les développer, ne laissait production) et ne laissa de ferrailler aussi bien avec
de subordonner et d’exploiter toujours davantage les d’autres courants de la discipline qu’avec des études en
paysannats du tiers-monde, spécialement les produc- sciences sociales qui entendaient plus ou moins servir
teurs de denrées d’exportation (coton, café, cacao, ara- le « développement » alors qu’elles auraient dû œuvrer
chide, thé, etc.), au profit des puissants intérêts opérant à sa dénonciation. Aux yeux des marxistes, le dévelop-
en Europe ou aux États-Unis. À leur encontre, pour pement, avec sa rhétorique fréquemment humaniste,
ces analystes et militants marxistes, il s’agissait bien n’était jamais qu’une ruse idéologique par laquelle les
plutôt de relancer le processus d’émancipation, c’est- stratégies impérialistes se redéployaient dans le sillage
à-dire de fournir les outils théoriques et politiques des prétendues « missions civilisatrices » de l’Occident
d’une véritable rupture avec l’impérialisme afin que ou de ses très intéressées « mises en valeur coloniales ».
pussent s’organiser, soutenues par des directions éta- Cependant, quoiqu’elle fût reconnue à l’extérieur
tiques fortes, des alternatives (des révolutions) socia- sous le nom très avantageux d’« école de Paris »,
listes, et se généraliser de la sorte partout dans le tiers l’anthropologie marxiste ne parvint pas à occuper tout
monde des « développements autocentrés ». Ces posi- le champ des études africaines. Car, dans la mesure où
tions menèrent à une critique d’une certaine recherche celles-ci bénéficiaient, durant ces mêmes années 1970,
en sciences sociales (« sous-développement de la socio- d’un fort soutien institutionnel et politique (qui corres-
logie » a pu dire Gunder Frank [1969] en visant par- pondait assez bien à la place que la France accordait à
ticulièrement la sociologie américaine) qui, quelles que son « pré carré africain » [Dozon, 2003]), non seule-
fussent ses bonnes intentions, fut réputée être objecti- ment au CNRS, mais aussi à l’ORSTOM (actuel IRD) et à
vement complice d’opérations qui n’avaient « de déve- l’IEDES, et dans divers bureaux d’études, des sociologues,
loppement » que le nom et qui masquaient en réalité des économistes (certains pouvant se dire socio-écono-
de nouvelles stratégies de domination impériale, mistes ou agro-économistes) et, surtout, des géographes
relayées localement par les bourgeoisies compradores. produisaient quantité de travaux qui avaient plus ou

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moins partie liée avec le monde du développement. qu’il existait quelque hiatus entre ce qu’avaient conçu
Certains chercheurs, particulièrement impliqués, pour- leurs bailleurs et leurs opérateurs (qui associaient sou-
suivirent d’ailleurs les démarches d’Économie et Huma- vent diverses institutions de l’aide bilatérale ou inter-
nisme relatives à la création de coopératives paysannes. nationale et des structures étatiques nationales) et la
Malgré les positions apparemment antagoniques qui façon dont les populations qui en étaient les cibles les
l’animaient, le milieu des chercheurs et des experts tra- prenaient à leur compte. Autrement dit, loin de se
vaillant sur l’Afrique s’entretint donc plutôt d’une assez laisser subjuguer par les injonctions et les dispositifs des
large circulation d’informations, de méthodologies de « développeurs », qu’ils fussent d’obédience libérale ou
terrain et d’idées 11, à l’instar de l’approche des mondes socialisante 13, il fut ainsi montré que les « développés »,
paysans africains par les « terroirs » qui avait été lancée bien souvent, leur opposaient non pas tant des obstacles
par Paul Pelissier et Gilles Sautter [1964]. Nombre socioculturels, comme il était souvent maladroitement
d’études consacrées à tel type de production agricole dit, que des logiques socio-économiques : en l’occur-
fournissaient fréquemment des arguments à l’anthropo- rence des capacités à contourner ou à s’approprier peu
logie marxiste, tandis que les concepts créés par celle-ci ou prou les incitations auxquelles ils étaient soumis.
pouvaient être utilisés dans des travaux qui, précisé- Tel fut en tout cas le point de départ d’une anthropo-
ment, cherchaient à comprendre, notamment dans le logie du développement qui renouait, ainsi, assez lar-
cadre d’une opération de développement, les résistances gement avec la démarche suivie par Georges Balandier
qu’une population rurale lui opposait. dès les années 1950.
En fait, dans la mesure où l’essentiel des études afri- À la suite de l’auteur de Sociologie actuelle de l’Afrique
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caines de l’époque portait sur des sociétés rurales (la noire, qui avait d’abord mis en regard la société colo-
monographie ethnique, étayée sur des monographies niale et la société colonisée, puis compris que le
villageoises et sur des levés de terroirs, étant dans les « développement » constituait l’horizon de pays entrés
années 1970 leur exercice modèle), le monde du déve- dans un processus de décolonisation, de jeunes cher-
loppement ne pouvait guère être évité, même quand cheurs, ressortissant pour la plupart à l’ORSTOM, à des
il s’agissait de critiquer vertement la manière dont il bureaux d’études ou à des services de coopération,
était réputé servir à exploiter ou exproprier les paysans s’employèrent à cette même mise à distance critique,
africains [Amin, 1975]. C’est pourquoi, quand un peu mais en ciblant cette fois-ci le couple ou la confrontation
plus tard, au tournant des années 1980, le leadership développeurs/développés 14. Ils adoptaient là une posi-
marxiste commença à s’affaiblir, nombre de chercheurs tion médiane entre une science sociale appliquée à la
n’eurent guère de difficultés à adopter un point de vue façon d’Économie et Humanisme, et sa dénonciation
réaliste. De la même manière que l’on avait pu parler par les marxistes [Augé, 1972]. Il s’est agi alors d’étudier
d’une « situation coloniale » que Georges Balandier de près la situation créée localement par la mise en
avait su en son temps si bien objectiver et analyser, il œuvre effective des projets de développement, en rela-
fallait en effet admettre qu’il y avait maintenant une tivisant leur capacité à subjuguer les paysannats, étant
« situation globale de développement », variable bien donné la façon dont ceux-ci se les étaient appropriés ou
sûr selon les pays et les régions mais génératrice de les avaient contournés, mais également d’examiner le
changement social, qui demandait, au-delà des ana- monde des développeurs lui-même [Dozon, 1979].
thèmes 12 convenus, à être plus précisément circonscrite Rétablissant en quelque sorte un plus juste équilibre ou
et examinée. Jean-Pierre Olivier de Sardan [1975] pro- encore une symétrie entre les protagonistes du dévelop-
posait ainsi fermement de se départir du déterminisme pement [Latour, 1982], le regard anthropologique se
des rapports centre/périphérie pour placer bien davan- porta dès lors sur ceux qui prétendaient détenir quelque
tage la focale sur la dynamique des rapports sociaux à supériorité technologique ou scientifique, agir au nom
l’intérieur même des formations périphériques, c’est- d’une rationalité agronomique ou économique, et qui,
à-dire là où étaient concrètement menés les projets de en fait, laissaient découvrir quantité de préjugés sur les
développement rural au travers desquels pouvaient se milieux humains qu’ils cherchaient à « développer », ou
laisser décrypter les relations entre les États et leurs de méconnaissances sur les réalités locales qu’ils se fai-
paysannats. saient fort de transformer.
Ce « recentrage » sur les configurations locales invita C’est sur cette base, tout à la fois en prolongeant et
à étudier lesdits projets d’un peu près, à constater que en renouvelant la démarche de Georges Balandier,
ceux-ci étaient souvent loin d’atteindre leurs objectifs ; qu’une « socio-anthropologie du développement »

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(« socio » faisant référence, comme chez Balandier, aux le cadre de l’anthropologie appliquée au développe-
dynamismes et aux transformations sociales), sur fond ment (development anthropology), en reprenant en partie
de déclin d’un certain marxisme et du tiers-mon- les arguments utilisés contre la participation des anthro-
disme 15, s’affirma en France dans les années 1980-1990, pologues aux projets des administrations coloniales
spécialement à l’ORSTOM avec des chercheurs comme plusieurs décennies plus tôt et, plus largement encore,
Jean-François Baré, Jean-Pierre Chauveau ou encore les arguments de ceux qui s’opposent à toute forme
Jean-Pierre Dozon, ainsi qu’autour de l’APAD (Asso- d’anthropologie appliquée, mais en les exposant avec
ciation euro-africaine pour l’anthropologie du chan- une grande virulence rhétorique. À un second niveau,
gement social et du développement) et de son principal il a pour volonté de juger et dénoncer, grâce aux outils
animateur, Jean-Pierre Olivier de Sardan. Dans les de l’anthropologie, les acteurs, agences et projets menés
années 1990, élargissant son champ d’investigation à par l’« industrie du développement ». Pour les anthro-
bien d’autres secteurs que celui des paysanneries et des pologues qui s’inscrivent, avec Arturo Escobar [1995],
projets agricoles, notamment à la santé, à la ville et aux dans ce courant autodésigné « postmoderne » et « cri-
aménagements urbains, aux services publics, la « socio- tique » de l’anthropology of development et en appellent
anthropologie du développement » put identifier à la souvent aux travaux de Michel Foucault, il va s’agir au
fois les objets d’étude du monde du développement, contraire, par des analyses essentiellement axées sur les
les thématiques et les cadres conceptuels, comme celui « discours » des acteurs et des agences d’aide, d’en
qui consista à étudier les situations de développement « juger » et d’en « dénoncer » les pratiques. Si ces études
en termes d’arènes ou de stratégies d’acteurs. Tout en sont souvent stimulantes, en particulier dans leur
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développant ses capacités d’analyse critique des projets objectif de déconstruire les soubassements épistémolo-
de développement, cette socio-anthropologie eut à giques des discours de l’aide, cela s’effectue en mobi-
cœur de produire des travaux susceptibles de les amé- lisant des démarches qui s’arc-boutent parfois sur des
liorer ou de faciliter leur appropriation par les popu- prises de positions « hypercritiques » au détriment d’un
lations concernées. Autrement dit, bien plus riche en travail empirique rigoureux. Ces postures sont égale-
termes d’expériences, d’outils conceptuels ou de ment souvent teintées d’une tendance au populisme et
méthodes d’enquêtes de terrain que ne l’était la socio- au misérabilisme, tendances finalement partagées avec
logie pratique du père Lebret ou d’Henri Desroche, les tenants de l’anthropologie appliquée, pourtant hon-
ou encore l’anthropologie appliquée de Roger Bastide, nis. Pour ces raisons, ce courant ne jouit pas chez les
cette socio-anthropologie du développement remit chercheurs français de la même faveur que chez cer-
cependant, comme elles, fermement à l’honneur une tains de nos voisins outre-Atlantique, mais il marque
certaine volonté des sciences sociales de ne pas se néanmoins la recherche et les débats.
contenter de produire du savoir, mais de se rendre Mais, surtout, deux nouvelles dynamiques récentes
utiles : de faire en sorte que leur rigueur scientifique méritent être remarquées. La première est l’entrée en
s’éprouve dans les confrontations, somme toute, assez force des études sur l’aide humanitaire, lesquelles s’ins-
politiques du changement social. crivent dans trois grands courants aux filiations intel-
lectuelles différentes.
Un premier courant regroupe les anthropologues
■ Une dynamique renouvelée
ayant principalement travaillé sur le développement
mais qui étendent leur champ d’investigation à l’aide
entre critique et extension humanitaire [Atlani-Duault, 2005, 2009 ; Copans,
des objets d’étude 2009, 2010 ; Dozon, 2007 ; Olivier de Sardan, ce
numéro ; Vidal, 2009, 1969]. On observe en effet
Depuis la seconde moitié des années 1990, la re- depuis la fin de la guerre froide et la chute du mur de
cherche française en anthropologie du développement Berlin – sur de nombreux terrains dans lesquels se
va être, comme au plan international, atteinte par la déploie l’aide internationale – une forme d’« extension
vague de la critique « postmoderne », s’identifiant du domaine de l’humanitaire » sur l’espace du dévelop-
comme une critical anthropology of development. Puissant pement tel qu’il était pensé par les acteurs de l’aide
outre-Atlantique, ce courant de recherche est né d’une jusqu’à la fin des années 1980. Des dynamiques qu’ont,
volonté d’opposition, articulée à deux niveaux. À un entre autres, permis de saisir des analyses des ethnogra-
premier niveau, il s’oppose aux études produites dans phies de l’aide internationale en matière de promotion

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de la « bonne gouvernance » construites dans le leur signification et leur médicalisation, ainsi que le
contexte spécifique – mais hautement emblématique – contexte politique et social dans lequel ils surgissent »
du basculement d’une partie de l’ancien Second [Lock, 2004 : 58], des chercheurs s’intéressent à l’étude
Monde, et en particulier certains pays d’Asie centrale, de l’humanitaire à partir d’analyses sur le « bio-pou-
dans un « Sud » en constante redéfinition [Atlani- voir » et la gouvernance des corps. On pense ainsi à
Duault, 2007]. Nous avons là un phénomène qui prend des auteurs tels Paul Farmer aux États-Unis [son étude
actuellement, ailleurs, de multiples formes, particuliè- du sida en Haïti : Farmer, 1992, 1996, et plus large-
rement en Afrique subsaharienne où les ONG toujours ment ses analyses sur les « pathologies of power » : Far-
en nombre grandissant ont pris la place des projets de mer, 2004], Mariella Pandolfi au Canada [ses travaux
développement proprement dits, à l’instar de tout ce qui sur les Balkans en temps de guerre : Pandolfi, 2000,
concerne la lutte contre la pauvreté. 2009] et Didier Fassin en France [ses analyses sur les
Un deuxième courant rassemble des recherches politiques de la souffrance, voir par exemple Fassin et
menées en anthropologie sur les réfugiés et l’aide huma- Vazquez, 2005 ; Fassin, 2007 ; Fassin et Pandolfi,
nitaire qui leur est procurée, ici entendue dans son sens 2010]. Ce dernier tout particulièrement, à partir d’étu-
immédiat d’aide d’urgence. Deux thématiques princi- des sur le traitement des pauvres en France, le sida en
pales sont repérables dans les recherches anthropolo- Afrique du Sud, les sinistrés de la coulée de boue au
giques françaises. La première porte sur les stratégies de Venezuela ou encore l’intervention militaire en Irak,
survie et d’adaptation des réfugiés, y compris face à propose de s’appuyer sur le concept de « bio-légiti-
l’aide humanitaire qui leur est proposée. Marion Fresia mité » pour analyser ce qui relève aujourd’hui du
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[2009] a par exemple retracé les processus de change- « déploiement des sentiments moraux dans les politi-
ments sociaux induits, chez les Mauritaniens réfugiés du ques contemporaines » [Fassin, 2010 : 8] ou de
Sénégal, par le déplacement forcé et la reconnaissance « l’humanitaire comme langage des pratiques de gou-
du statut de réfugié. Autre exemple, Laëtitia Atlani- vernement des hommes » [2010 : 17].
Duault et Cécile Rousseau [2000] ont montré comment Il conviendrait par conséquent de prendre plus lar-
les réfugiés boat-people vietnamiens donnent sens, col- gement la mesure de ces courants de recherche qui,
lectivement et par étapes, aux violences sexuelles orga- tout en dynamisant l’ensemble du domaine, ont ten-
nisées, subies lors de la fuite du pays, et comment cette dance, parce qu’ils appartiennent à des filiations intel-
reconstruction entre en contradiction avec l’aide huma- lectuelles différentes, à ignorer les travaux des uns et
nitaire psychiatrique proposée par les agences onu- des autres.
siennes. Une seconde grande thématique porte sur Dans un contexte où l’analyse anthropologique des
l’analyse et la critique du système de l’aide humanitaire reconfigurations de l’aide internationale s’impose. On
aux réfugiés et demandeurs d’asile. Les travaux de assiste en effet depuis quelques années à un glissement
Michel Agier se distinguent tout particulièrement, en dans l’appréhension même, par les acteurs de l’aide et,
élargissant l’analyse aux multiples catégories d’exclus par effet de miroir, par les anthropologues, de l’aide
(réfugiés mais aussi demandeurs d’asile, sinistrés, tolérés, humanitaire.
déplacés internes, déboutés, clandestins, expulsés, etc.) Il vient à la suite d’un premier glissement, percep-
et à ce qu’il propose d’appeler le « gouvernement huma- tible dès la fin des années 1980, mais qui concernait
nitaire ». Son propos « vise à mettre en relief le contrôle cette fois uniquement l’aide au développement.
que ce dispositif assure sur des espaces extraterritoriaux Comme le note Jean-Pierre Dozon [2007], les cher-
[qu’il appelle des “hors-lieux”] et sur une partie de la cheurs de l’APAD avaient pris acte de la nouvelle réalité
population mondiale (les outcasts), parias de toutes ori- de l’aide au développement de l’époque : ils ne vont
gines autant indésirables que vulnérables » [Agier, plus définir le développement en référence aux grands
2008 : 15 ; voir aussi Agier, 2002, 2003, 2008, 2011]. projets ou modèles théoriques qui le caractérisaient
Un troisième courant d’études sur l’aide humanitaire dans les années 1960-1970, mais en considérant tout
est issu de l’anthropologie française de la santé [Dozon simplement qu’il y a « fait de développement » quand
et Fassin, 2001 ; Hours, 1986] et de l’anthropologie il y a « configuration développementiste » [Olivier de
médicale critique américaine [voir entre autres Das, Sardan, 1995], c’est-à-dire « des univers éminemment
Farmer, Lock et al., 1969]. S’attachant à analyser « ce empiriques où les multiples institutions et acteurs du
qui relie entre eux, à l’intérieur d’une communauté développement interagissent et se confrontent avec les
donnée, les idiomes de la souffrance et de la maladie, groupes ou populations qui sont les cibles de leurs

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opérations ou projets » [Dozon, 2007 : 223]. À partir vocable de l’indignation et de la compassion. Des logi-
de là, dans les études anthropologiques françaises, le ques qui ont été porteuses de nouvelles formes de
développement va renvoyer à ce que les acteurs de militantisme et de protestation, mais qui se caracté-
l’aide étudiés caractérisent comme tel, ainsi que le risent aussi par des actions éparpillées en microprojets
monde social dans lequel ils évoluent. C’est ce que locaux, souvent limités dans l’espace et dans le temps,
proposait Jean-Pierre Chauveau de façon très concise et qui tendent à traduire des phénomènes d’injustice
dès 1985 : « Il y a “développement” tout simplement et d’inégalités politiques et économiques en appels à
là où il y a des développeurs, là où un des groupes se la compassion et à la réparation au cas par cas. Pour
réclamant de la mise en œuvre du développement dépasser cette fragmentation du monde et son accep-
organise un dispositif d’intervention sur d’autres grou- tation tacite par les logiques humanitaires, il n’est plus
pes sociaux » [Chauveau, 1985 : 164]. possible d’en appeler aux théories politiques qui sous-
Vingt-cinq ans plus tard, s’observe un second glis- tendaient les projets de développement jusque dans les
sement, cette fois à propos de l’aide humanitaire qui, années 1980. Mais il serait sans doute nécessaire, par
d’abord associée uniquement à une aide d’urgence, des études renouvelées sur l’aide humanitaire et l’aide
s’étend progressivement, dans la littérature en anthro- au développement aujourd’hui, de participer à son ana-
pologie, à tout ce que les acteurs étudiés caractérisent lyse critique.
comme tel, mais sans plus en analyser les logiques poli- Alors que pour étudier les évolutions de l’aide au
tiques que lors du glissement précédent. On pourrait développement il y a vingt-cinq ans une anthropologie
ainsi reprendre presque mot pour mot les propos de du développement était nécessaire – qui mettait notam-
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Jean-Pierre Chauveau au sujet des études sur le déve- ment au jour les rapports asymétriques entre dévelop-
loppement il y a vingt-cinq ans et noter, cette fois à peurs et développés –, une anthropologie de l’aide
propos des recherches anthropologiques sur l’aide internationale doit refléter les réalités actuelles et s’inté-
humanitaire, qu’il y a désormais aide humanitaire tout resser simultanément aux faits de développement et de
simplement là où des groupes se réclamant de la mise l’aide humanitaire. Prendre pour objet, en somme,
en œuvre de l’aide humanitaire interviennent et orga- toutes les manifestations que l’aide internationale et son
nisent à cet effet un dispositif d’intervention sur industrie proposent « pour leur bien » aux populations
d’autres groupes sociaux. du Sud, en montrer la cohérence et décrypter les
Certes, il nous faut prendre acte de la transformation stratégies de contournement ou d’appropriation que
notable du monde de l’aide internationale, avec la celles-ci leur opposent.
démultiplication de ses intervenants, ONG, agences et De même que l’analyse de la situation coloniale par
associations, notamment humanitaires, organisations Georges Balandier et d’autres a alimenté une anthropo-
gouvernementales et internationales. Mais on ne peut logie politique des sociétés africaines d’après la Seconde
que s’interroger sur cette extension d’une aide qui se Guerre mondiale, et que l’anthropologie du développe-
dit et se pense comme humanitaire à des actions qui ment qui s’est affirmée dans les années 1980 s’est efforcée
pouvaient, il y a encore vingt-cinq ans, être considérées d’étudier les projets ou les opérations de développement
comme relevant de l’aide au développement, que cela dans un contexte où le rôle des États était encore pré-
soit dans les domaines de la santé, de la reconstruction, dominant, une anthropologie de l’aide internationale,
des politiques de gouvernance, des droits de l’homme, comprenant tout particulièrement l’aide humanitaire,
ou encore de la réponse aux catastrophes naturelles. Il ne peut que tenir compte d’une période de globalisation
n’est en effet pas neutre que nous ayons aujourd’hui néo-libérale dont il conviendra de faire la critique
affaire à des logiques humanitaires jouant avant tout du politique. ■

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Colonisation, développement, aide humanitaire 401

Notes 6. Il fut par ailleurs l’initiateur du


« Groupe de sociologie des religions » (1954)
en 1957), l’année même des indépendances
africaines, est particulièrement illustrative de ce
et de la revue Archives de sciences sociales des reli- point de vue puisque, dans son premier édito-
1. Voir sur tous ces aspects l’ouvrage tou- gions (1956). À cet égard on peut se reporter rial, son directeur, Henri Laugier, déclarait la
jours très éclairant de Jacques Freyssinet, Le au numéro spécial de cette revue consacré à revue ouverte à toutes les idées et innovations
concept de sous-développement, Paris, Mouton, son cinquantenaire qui évoque précisément la pratiques ou théoriques.
1966. figure d’Henri Desroche [Archives de sciences
sociales des religions, Les Archives… cinquante ans 12. La plus retentissante des critiques fut
2. À cet égard, on ne saurait assez souli- après, 136, octobre-décembre 2006]. sans doute la publication en 1974 par le comité
gner l’accent fortement fouriériste de l’Institut information Sahel (animé par un collectif de
7. Voir aussi son article antérieur, très en chercheurs africanistes) de Qui se nourrit de la
que le père Lebret fonda en 1957, en l’occur- résonance avec la démarche de Desroche,
rence l’Institut international de recherche et de famine en Afrique ? Le dossier politique de la faim
« Messianisme et développement économique au Sahel, Paris, François Maspero.
formation en vue du développement harmo- et social », Cahiers internationaux de sociologie,
nisé (IRFED). 1961, XXXI : 3-14. 13. Alors même que les théoriciens de
l’impérialisme dénonçaient le développement,
3. De ce point de vue, les différents ou- 8. Dans le cas de Roger Bastide, il faut celui-ci se réalisait concrètement, assez sou-
vrages de Guy Belloncle, membre éminent du certainement inclure dans les questions de vent, au travers d’expériences socialisantes et
mouvement après la disparition du père Lebret, développement les problèmes de maladies correspondait parfois aux modèles pratiques
sont particulièrement édifiants. Voir notam- mentales auxquels il a consacré plusieurs livres, conçus tout particulièrement par les « experts »
ment Anthropologie appliquée et développement tout à la fois pour lui (inspiré par l’anthropo- d’Économie et Humanisme. Cf. Uma J. Lele
associatif. Trente années d’expérimentation sociale en logie culturelle nord-américaine) symptômes et [1975].
Afrique sahélienne (1960-1990), Paris, L’Har- modes d’expression du heurt des cultures.
mattan, 1993. 14. Voir leurs réflexions dans Le dévelop-
9. Spécialement à la suite du livre de pement : idéologies et pratiques. Actes du séminaire
4. Son ouvrage Signification du marxisme Pierre Jalée [1965]. interdiscipliniare de l’ORSTOM (1978-1981), Paris,
(Éditions ouvrières, 1949) fut condamné par les 10. Des recherches particulièrement bien ORSTOM, 1983, puis Boiral, Lantéri et Olivier
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autorités catholiques de l’époque. représentées par l’œuvre de Claude Meillas- de Sardan [1985].
5. Qui trouva à s’épanouir précisément à soux. Voir Anthropologie économique des Gouro, 15. Partiellement compensé par un refus
la VIe section de l’École pratique des hautes Paris, Mouton.
du développement ou l’affirmation, au nom
études (future EHESS) en 1958 où il créa la 11. La revue Tiers Monde créée en 1960 spécialement d’une politique écologique de la
chaire de « Sociologie de la coopération et du au sein de l’IEDES (Institut d’étude du dévelop- décroissance, d’un anti-développement. Voir
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Ethnologie française, XLI, 2011, 3


Dossier : Bembo puf314871\MEP\ Fichier : Ethno_3_11 Date : 11/5/2011 Heure : 9 : 8 Page : 403

Colonisation, développement, aide humanitaire 403

ABSTRACT
Colonialism, Development and Humanitarian Aid. Towards an Anthropology of International Aid
For some, humanitarian aid is seen as a new theme in anthropological research, and therefore virgin territory. However, the study
of humanitarian aid is part of a long intellectual history that we trace in this article. However, this history needs to take into account
recent changes in humanitarian aid and development and in anthropological research on these themes. We find an increasingly marked
thematic and conceptual blurring between humanitarian aid and development aid, a phenomenon that is noteworthy among aid
actors and among anthropologists who take development and humanitarian aid as their objects of study. This blurring has an eminently
political aspect, which can only be grasped by an anthropology of international aid.
Keywords : Anthropology. Colonialism. Development. Humanitarian aid. International aid.

ZUSAMMENFASSUNG
Kolonialisierung, Entwicklung, humanitäre Hilfe. Für eine Anthropologie der humanitären Hilfe
Der vorliegende Artikel widmet sich der Forschungsgeschichte der humanitären Hilfe unter besonderer Berücksichtigung der
unterschiedlichen anthropologischen Forschung in den Bereichen Kolonialismus, Entwicklung, Gesundheit und Politik. Es wird
gezeigt, dass diese Forschungsgeschichte heute sowohl aus der Perspektive der humanitären Hilfe als auch der Entwicklungspolitik
heraus betrachtet werden muss ; ebenso wie aus dem Blickwinkel der anthropologischen Forschungen in diesem Themengebiet.
Dabei tritt deutliche hervor, dass die Grenzen der einzelnen Forschungsfelder mehr und mehr verschwimmen und dass eine
Anthropologie der humanitären Hilfe nötig wäre, die sowohl in der Geschichte ihrer Disziplin verwurzelt ist, als auch dazu in der
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Lage ist, die aktuellen Konzepte humanitärer Hilfe neu zu denken.
Stichwörter : Anthropologie. Lage in ehemaligen Kolonien. Entwicklung. Humanitäre Hilfe. Internationale Hilfe.

Ethnologie française, XLI, 2011, 3

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