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Editions Esprit

Le Parti Catholique
Author(s): PIETRO SCOPPOLA
Source: Esprit, Nouvelle Série, No. 230/231 (9) (SEPTEMBRE-OCTOBRE 1955), pp. 1569-1584
Published by: Editions Esprit
Stable URL: https://www.jstor.org/stable/24254013
Accessed: 02-05-2020 18:00 UTC

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IV. Les Catholiques et la Politique

Le Parti Catholique
PAR PIETRO SCOPPOLA

question peut paraître paradoxale, touchant un parti


Qu'est-ce quequiladomine
politique Démocratie
depuis dix ansChrétienne
la vie politique en Italie ? La
italienne et qui est au pouvoir sans interruption depuis
décembre 1945, date de la constitution du premier Cabinet
De Gasperi. Elle se justifie dès que l'on considère la coexis
tence, au sein de ce parti, des tendances les plus diverses, des
attitudes mentales et des vues politiques les plus opposées.
Tout semble y »voir droit de cité : l'aspiration des paysans
de Vénétie au renouveau social et à la réforme des contrats
agricoles, les préoccupations clientélistes de nombreux barons
du Sud, les tendances théocratico-sociales qui favorisent l'occu
pation d'usines par,les ouvriers pour empêcher des licencie
ments, les intérêts les plus puissants de la grande industrie
et des monopoles. De La Pira à Togni il n'y a pas de solution
de continuité.
Ces divergences ne se limitent pas au plan social : si, par
exemple, De Gasperi a été constamment soucieux de sauve
garder l'autonomie de son parti par rapport à l'Action Catho
lique, d'autres tendances préconisent l'union plus étroite
encore de toutes les forces catholiques, en vue de la réalisation
d'objectifs de défense ou de conquête. Pour certains démo
crates-chrétiens, l'Etat doit rester le garant de la liberté de
tous; pour d'autres, le but est sa conquête totale, jusqu'à la
réalisation complète de 1' « Etat catholique ».
Les jugements portés sur le parti n'accusent pas une moindre
diversité : tantôt il est considéré comme l'héritier et le conti

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PIETRO SCOPPOLA

nuateur du vieux Parti Populaire, tantôt comme un par


entièrement nouveau issu de la Résistance et dont le but
essentiel serait d'assurer une plus étroite participation de
masses populaires à la vie de l'Etat, tantôt comme un grou
pement confessionnel, instrument idéal pour la défense de
intérêts de l'Eglise.
Faut-il en conclure que la Démocratie Chrétienne, comme
tel personnage de Pirandello, est « un, personne et cent mille »?
Ou faut-il rechercher, au delà de ces contradictions apparentes
la signification historique du parti, la nature et les limites de
son unité et de sa fonction réelles ? Pour essayer de com
prendre, il importe, avant tout, de savoir que la Démocratie
Chrétienne, à la différence de tous les autres partis, se meu
sur deux plans, politique et religieux, et qu'elle doit sans
cesse chercher à accorder ces plans entre eux.
Vue sous cet angle, la Démocratie Chrétienne participe des
caractéristiques, des problèmes, des limites et, enfin, du destin
de tous les partis catholiques européens ; on peut même dir
qu'elle représente dans une large mesure le type historique
idéal de ce qu'on peut appeler le parti catholique.

La genèse.

Si l'expression parti catholique est peut-être contradictoire


dans ses termes et n'exprime pas une entité métaphysique, elle
est cependant valable dans la mesure où elle rend parfaite
ment compte d'une situation donnée, à un moment donné de
l'histoire des rapports entre la religion et politique.
Le point de départ du parti catholique se situe au point
d'arrivée du périple accompli par Lamennais de 1817 à 1830,
de l'Essai sur l'indifférence à l'Avenir, c'est-à-dire dans l'affir
mation que l'Eglise doit enfin renoncer à l'appui et à la pro
tection des gouvernements absolutistes et accepter les avantages
et les risques de la liberté. Cela signifiait que, dans la société
moderne, l'Eglise aurait à affronter, à égalité, d'autres idéologies
et qu'elle n'aurait que la force que lui donnerait la foi de
ses fidèles.
L'image de Robespierre qui, à l'ouverture des Etats Géné
raux, un cierge à la main, se montre sous l'aspect d'un chrétien
fidèle, avait été le symbole de l'élite intellectuelle d'avant
1789, détachée déjà du dogme et de la discipline de l'Eglise,
mais prête encore à rendre à celle-ci des hommages formels.
Cet état d'esprit disparu, l'Eglise ne pourra plus compter que

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LE PARTI CATHOLIQUE

sur la force de ses fidèles pour conserver, à travers les vicissi


tudes de l'histoire, une influence sur la société temporelle.
Dans cette nouvelle situation, le parti catholique apparaît
comme un instrument nouveau, au moyen duquel l'Eglise
— obligée par la révolte des laïcs à assumer des positions de
parti — tendra à conserver et à étendre son influence dans
la société. Si les laïcs (étymologiquement : les fidèles) se sont
retournés contre l'Eglise après avoir conquis les institutions
de la société temporelle, l'Eglise, elle, se défendra en serrant
les rangs de ceux qui continuent de la suivre et s'efforcera,
dans des conditions nouvelles et avec des moyens nouveaux,
de reconquérir un monde perdu.
Ainsi s'explique la pauvreté idéologique des mouvements
et des partis catholiques, qui auront toujours tendance à
s'approprier, par d'habiles compromis, les formules politiques
qui leur paraîtront les plus efficaces à un moment donné de
l'histoire. On chercherait en vain, dans le camp catholique,
les éléments d'une pensée politique originale, capable d'affron
ter, par exemple, l'idéologie libérale ou la grande tradition
des doctrines socialistes. La critique du monde moderne, exercée
par les catholiques réactionnaires, ne s'inspire-t-elle pas cons
tamment d'un idéal politique hérité d'un monde disparu ?
Si, d'autre part, le catholicisme libéral a voulu aboutir à un
accord extérieur entre catholicisme et libéralisme, entre l'Eglise
et le monde, il a trouvé ses limites dans le fait même que les
principes du libéralisme n'ont point été repensés (et revécus)
intérieurement, selon les exigences du dogme. Et les efforts
du catholicisme social, dans la mesure où ils reçoivent la cau
tion officielle de l'Eglise, ne sauraient guère aller au delà
d'une simple explicitation de la loi morale du christianisme.
La vérité, c'est que le parti catholique a une origine fran
chement religieuse et qu'aucune fée n'a mis dans son berceau
des doctrines politiques à travers lesquelles il puisse s'exprimer.
Aussi oscillera-t-il constamment entre deux tendances : l'une
consistant à se référer à des formules politiques périmées,
l'autre à rechercher des compromis avec des courants poli
tiques actuels, dans l'espoir de trouver une expression politique
originale et valable.
Mais une autre hypothèque encore pèse sur le parti catho
lique : dès le début, il s'est posé comme isolé d'un monde
qui a été perdu et qu'il faut tenter de reconquérir. On pourrait
dire — avec toutes les réserves utiles — qu'à l'origine des
mouvements catholiques et des partis auxquels ceux-ci don
nèrent naissance, il y a toujours eu un complexe d'infériorité
à surmonter ; les esprits éclairés et honnêtes avaient conscience

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PIETRO SCOPPOLA

qu'un hiatus s'était créé entre l'Eglise et le monde, parce


l'action des chrétiens n'avait pas été efficace. Quant aux cat
liques réactionnaires, il est non moins évident qu'en con
nant une réalité dont le contrôle lçur échappe, ils manifest
le même complexe d'infériorité, doublé, chez eux, d'un s
ment d'impuissance. S'isoler pour se retrouver, s'exclure
monde qui a trahi et qui s'engage sur les voies du péch
tenir à l'abri de la contagion pour sauver sa propre âm
regagner celles des autres, ces tendances se retrouvent touj
dans la genèse du parti catholique. De cette volonté d'is
ment des catholiques dérive un phénomène qui domine
catholicisme du xixe siècle : la centralisation progressiv
monde catholique, la disparition lente des catholicismes n
naux, la prédominance nette du pouvoir central sur les
voirs locaux des évêques. Et ce sont souvent les laïcs qu
dressent Rome contre leurs propres évêques. En Italie, o
pu voir les intransigeants, partisans de l'opposition à outran
à l'Etat libéral, se trouver en conflit avec des prélats qu
auraient penché en faveur d'un compromis : de simples l
et de jeunes prêtres appelèrent alors Rome à la rescouss
n'hésitèrent pas à critiquer leur évêque au nom d'une l
de conduite fixée par le Saint-Siège et dont ils affirmaient
les interprètes les plus fidèles.
Les églises nationales ne bénéficiant plus de l'appui de l'Et
toute forme de « gallicanisme » est condamnée ; le cont
que l'autorité centrale exerce sur les églises nationales devie
plus étroit, le pouvoir des évêques s'affaiblit ; la naissa
d'associations catholiques sur le plan national — et non p
seulement diocésain — contribue à soustraire les catholi
militants à l'autorité épiscopale et à en faire des instrum
aux mains du pouvoir central de l'Eglise.
Il faut considérer cependant qu'un certain degré d'aut
nomie du laïcat, dans ses initiatives et dans son action, est
peut-être la condition même de l'obéissance, de la discipline
et de l'unité au sein de l'Eglise ; aussi observe-t-on qu'à la
disparition progressive des autonomies horizontales correspond
une tendance de plus en plus accentuée vers de nouvelles
formes d'autonomie verticale. Précisément à l'époque où se
développe dans l'Eglise le processus de centralisation doctri
nale et disciplinaire qui se traduira dans les décisions du
Concile du Vatican, une évolution commence, à l'intérieur des
mouvements catholiques, qui tend à affirmer l'autonomie
du laïcat sur les plans temporel et civique.
Ces deux éléments se retrouveront dans le parti catholique
qui, sorti d'un mouvement où politique et religion ne faisaient
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LE PARTI CATHOLIQUE

qu'un, finit par la recherche d'un programme spécifiquement


politique et revendique, en cherchant à se différencier de
l'Action Catholique, une certaine indépendance par rapport
aux autorités ecclésiastiques, et une physionomie propre en
tant que parti. C'est là qu'il se heurte à deux obstacles très
difficiles à surmonter : d'une part, en tant que parti rassem
blant les représentants des classes sociales les plus diverses, il
ne lui est pas facile d'élaborer un programme politique centré
sur des revendications précises ; d'autre part, si l'exigence de
l'autonomie peut donner lieu à des développements intéres
sants sur le plan des idées, la réalisation de cette autonomie
est limitée, en pratique, par la nature même de la base, qui est
essentiellement celle des associations religieuses. Aux moments
critiques, l'attitude du parti catholique se trouvera toujours
conditionnée par l'orientation que la hiérarchie, par l'inter
médiaire des associations religieuses, aura imprimée à la base.

Le mûrissement.

La réflexion historique sur la Démocratie Chrétienne doit


prendre comme point de départ les années du profond déchi
rement entre conscience patriotique et conscience religieuse
qui ont suivi 1870 : ceux qui avaient participé à la prise de
Rome étaient excommuniés ; les catholiques devaient refuser
toute fonction publique ; la Pénitencerie imposait aux catho
liques, élus députés, la formulation de réserves explicites au
moment de la prestation du serment.
Aujourd'hui les catholiques sont devenus le soutien prin
cipal de l'Etat et ont succédé à la classe dirigeante libérale.
Ce renversement total des positions ne peut être examiné
isolément et il ne faut jamais perdre de vue l'autre problème
fondamental de la même période, celui de la participation des
masses populaires à la vie de l'Etat, de l'instauration, en un
mot, d'une démocratie réelle et efficace.
Les libéraux ne voient dans la montée de la Démocratie
Chrétienne que la revanche de la théocratie et la cléricalisation
des institutions ; les marxistes parlent de collusion entre la
Démocratie Chrétienne, la finance et le Vatican ; beaucoup de
catholiques, de l'autre côté, notent avec satisfaction la dispa
rition du contraste entre conscience religieuse et conscience
nationale, sans s'inquiéter du prix que cette réconciliation
a pu coûter. Ces vue diverses ne rendent compte que d'aspects
fragmentaires d'un ensemble autrement complexe.
Même dan» le» années où la tension entre l'Eglise et l'Etat
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PIETRO SCOPPOL <!

fut la plus forte, i! y tut en Italie des catholiques convaincu


que la perte par l'Eglise du pouvoir temporel était le prix
inéluctable de l'unification du pays ; ils pensaient que l'Egli
devait accepter franchement la situation ainsi créée et recher
cher un accord honorable avec l'Etat. Si, après le Syllabus
les héritiers du catholicisme libéral, pour ne pas encourir des
condamnations pontificales, évitèrent de s'aventurer sur le ter
rain des questions doctrinales, ils restaient cependant acqu
à l'idée de la conciliation entre l'Eglise et le monde modern
en général et l'Etat italien en particulier. On a cru pendan
longtemps qu'il fallait chercher parmi les catholiques conc
liateurs ou transigeants (comme ils se définissaient eux-même
le premier noyau du parti qui allait plus tard s'identifier avec
l'Etat lui-même. Il n'en est rien : s'ils ont contribué à la
genèse du parti catholique, ils n'en furent cependant pas
les seuls ancêtres, ni les plus immédiats. Les travaux histo
riques les plus récents ont mis en lumière le rôle décisif de
certains intransigeants, tels que Paganuzzi, Crispoldi, Margotti
et Albertario.
La première démocratie chrétienne naquit au sein de l'Opéra
dei Congressi, expression organisée de l'intransigeantisme.
Celui-ci — qui, dès le début de la révolution libérale, s'était
annoncé comme l'expression de l'opposition catholique — était
sorti renforcé de la crise du néo-guelfisme de 1848 et du déclin
du catholicisme libéral; son drapeau était-le « Syllabus ». Les
« lois spoliatrices » par lesquelles l'Etat italien, suivant
l'exemple du Piémont, procéda à l'expropriation des biens
ecclésiastiques, ne firent qu'exacerber les critiques des intran
sigeants; leur exaspération fut à son comble lorsque le pro
cessus de l'unification italienne atteignit Rome et mit fin,
en 1870, à l'existence de l'Etat pontifical. Ces catholiques
devinrent bientôt de véritables « émigrés de l'intérieur » et
menèrent pendant de longues années d'incessantes campagnes
contre les méfaits de la « révolution » — c'est ainsi qu'ils
appelaient le Risorgimento —, contre l'expropriation des biens
ecclésiastiques qui, selon eux, lésaient les droits des pauvres
au profit desquels ils auraient été constitués au premier chef.
On opposait « l'ordre libéralesque » (ordine liberalesco) et
le « pays légal » à un « pays réel » dont on prétendait assumer
la défense. Les catholiques ne participaient pas aux élections,
d'abord selon la formule du P. Margotti « ni élus ni électeurs »,
ensuite en exécution de la consigne officielle : « Non expedit ».
C'est alors que prit naissance le mouvement catholique de
masses, fondé sur les structures diocésaines et paroissiales ;
on vit en même temps se développer une presse catholique
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de masses, journaux et feuilles à diffusion le plus souvent


locale, tendant à prendre le libéralisme en défaut, à en
dénoncer les torts, à proclamer sans cesse l'écroulement fatal
de l'ordre nouveau.
Sur le tronc de ce vieil intransigeantisrne — qui avait trouvé
en Vénétie, avec Paganuzzi et les frères Scotton, ses représen
tants les plus typiques — vint se greffer, vers la fin du siècle,
ce qu'il est convenu d'appeler le « mouvement social catho
lique », dont la doctrine fut élaborée par Toniolo et par
l'Union Catholique pour les Etudes sociales en Italie, et dont
les idées furent véhiculées par la première Démocratie Chré
tienne. Tandis que Y intransigeantisrne « de droite » regrettait
et exaltait, dans le passé médiéval, l'alliance étroite entre les
deux 'pouvoirs et la protection que l'Etat avait accordée à
l'Eglise, le nouvel intransigeantisrne « démocratique » ou « de
gauche » s'attachait davantage aux aspects sociaux du même
passé et découvrait dans les corporations le modèle de l'orga
nisation des forces productives. Dans l'intransigeantisrne social
on chercherait en vain un effort de dépassement de l'ordre
libéral dans le sens du progrès; il constituait bel et bien une
tentative de retour en arrière par rapport à l'ordre nouveau,
lequel, d'ailleurs, manifestait clairement ses limites et son insuf
fisance. Par son rêve d'un impossible retour, le nouveau mou
vement se condamnait, tout comme son aîné, à l'incompréhen
sion de la réalité moderne.
Pendant un court moment cependant, à la fin du siècle, on
put croire que ce mouvement allait jouer un rôle positif dans
la crise profonde que traversait l'Etat italien 1 et que les deux
oppositions, catholique et socialiste, allaient se trouver unies
contre l'Etat libéral. Elles exprimaient toutes deux les limites
du Risorgimento : les catholiques étaient blessés dans leur
conscience religieuse plus encore, peut-être, que par l'atteinte
que le nouvel Etat avait portée aux privilèges traditionnels de
l'Eglise, et souffraient de voir que le pays était gouverné au
nom d'une idéologie- irréligieuse ; les socialistes étaient por
teurs de l'espoir des masses populaires en un nouveau Risor
gimento, social et économique.
Mais dès 1898, lorsque de graves désordres provoqués par
la misère et la faim se produisirent à Milan et dans d'autres
centres importants, l'horreur et la crainte de se trouver mêlés
aux « extrémistes subversifs » s'empara de nombreux catho
liques et montra que leur opposition à l'Etat procédait, en

1. Cf. les articles de Lelio Basso et de Simone Gatto. (N.D.L.R.).

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réalité, de préoccupations d'ordre et de légitimisme. On


alors la plus grande partie des catholiques intransigeants, qu
fussent de droite ou de gauche, rejoindre les libéraux modé
sous l'enseigne de l'ordre et de la conservation sociale.
Civiltà cattolica, revue des jésuites romains et dénonciat
infatigable de l'erreur libérale, avait affirmé pendant des an
que le socialisme était le fruit naturel d'un libéralisme q
ne tarderait pas à dévorer ; elle avait annoncé que les ca
liques assisteraient indifférents à la victoire du socialis
Némésis de l'histoire. Après les événements de 1898, elle ut
ses grandes ressources dialectiques pour expliquer à ses lecte
que l'écroulement de l'Etat et de la société sous les coups
socialisme atteindrait aussi l'Eglise et nuirait gravement
salut des âmes : il vaut encore mieux, pensait-elle, accep
l'hypothèse que représentait l'Etat libéral et chercher à
modifier de l'intérieur, afin de la rapprocher le plus pos
de la thèse idéale de l'Etat catholique.
Les démocrates-chrétiens prirent le même chemin. L'Osse
vatore Cattolico de Milan, dirigé par le P. Albertario, a
dénoncé les égoïsmes et les privilèges de la classe dirigea
bourgeoise, avec autant de violence que les journaux soc
listes. Lorsque Filippo Meda, futur député et ministre
Parti Populaire, succéda au P. Albertario à la tête du jour
il en fit rapidement un organe modéré et constitutionne
l'on eût cherché en vain les traces de l'ancienne orientation.
En définitive, la plus grande partie des intransigeants — sauf
quelques exceptions dont il sera question plus loin — refluèrent
sur les positions modérées et conservatrices, qui avaient été
défendues, sans succès d'ailleurs, par les transigeants et mirent
en sourdine le programme de renouveau social prêché par la
Démocratie Chrétienne.
La « grande peur » avait été telle que, dès 1904, on vit les
catholiques participer pour la première fois aux élections, avec
l'autorisation tacite du Saint-Siège ; quelques catholiques furent
élus et allèrent siéger au Parlement sur les bancs des libéraux
modérés : ce furent des « catholiques députés » et non des
« députés catholiques », selon la distinction subtile voulue par
le pape Pie X.
Notons ici que les libéraux eux-mêmes avaient fait un bout
de chemin à la rencontre des catholiques ; depuis quelque
temps déjà le « péril noir » s'était estompé, aux yeux de nom
breux libéraux, devant le nouveau « péril rouge ». La jonction
entre le gros des deux formations allait s'effectuer à mi-chemin,
sur le terrain de la conservation sociale. L'alliance entre
modérés et catholiques devint encore plus étroite à l'époque
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de Giolitti et aboutit à des accords formels, notamment, en


1913, au fameux Patto Gentiloni.
Un petit groupe seulement de démocrates-chrétiens restait
en dehors de ce vaste rassemblement : il avait pour chef de
file un prêtre des Marches, Romolo Murri, qui avait contribué
dans une très grande mesure à la pénétration de la Démo
cratie Chrétienne dans les masses catholiques. Il en était arrivé
— après avoir été partisan de la théocratie démocratique selon
Léon XIII — non seulement à accepter les principes de l'Etat
libéral, mais encore à militer en faveur d'un accord avec les
« extrémistes » pour la réalisation d'une démocratisation effec
tive de l'Etat italien.
Il est facile de voir comment, au cours de toute la période
qui va de la prise de Rome jusqu'à la première guerre mon
diale, les catholiques — poussés dans l'arène politique par le
désir" légitime de sauvegarder les intérêts de la religion et de
maintenir l'influence de l'Eglise sur la société temporelle —
.ont été constamment à la recherche d'un programme politique
exprimant efficacement les raisons de leur désaccord avec le
monde libéral, sans jamais parvenir à autre chose qu'à
reprendre des formules politiques périmées ou à accepter des
compromis : attitude moralisante de retour au passé, ou bien
entente avec les forces politiques existantes. L'intransigean
tisme ancienne manière, le courant théocratico-social et enfin
le compromis clérico-modéré furent les formules successives à
travers lesquelles la religion devenait l'instrument des poli
tiques les plus diverses. Et il est à peine besoin de souligner
que la succession de ces choix politiques répondait, d'une
manière générale, aux tendances politiques des papes qui gou
vernèrent l'Eglise au cours de cette période : à l'intransigeance
de Pie IX à l'égard de l'Etat usurpateur, à la tendance théo
cratico-sociale de Léon XIII, premier pape à avoir clairement
compris la position nouvelle de l'Eglise dans le monde moderne
et désireux de tirer de l'appui populaire de nouvelles forces
en sa faveur, enfin aux tendances modérées de Pie X, pape
essentiellement préoccupé de problèmes religieux, sceptique à
l'égard des possibilités de la Démocratie Chrétienne et étranger
au grand jeu diplomatique qui avait dominé la politique de
ses prédécesseurs.
Les démocrates-chrétiens dissidents eux-mêmes, groupés
autour de Murri \ ne s'écartent guère de ce cadre. S'ils com

1. Qui, élu député, fut appelé par Giolitti c l'aumônier des extré
misi «fp«
*
tes

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prenaient, mieux que d'autres, les nécessités du progrè


cratique et d'une certaine autonomie des catholiques
de la hiérarchie (qu'ils savaient n'être pas toujours
qualifiée pour apprécier les situations historique
tiques), ils ne surent pas traduire ces exigences pa
gramme déterminé d'action politique et en restèrent p
ment, avec leur Ligue Démocratique Nationale, à u
prétation passionnément démocratique d'un christ
qu'ils finirent, sous l'influence du modernisme, par di
clans la démocratie.
L'incapacité des catholiques à élaborer un programme spéci
fiquement politique eut des conséquences graves. Elle produisit
cette distorsion caractéristique, entre objectifs et résultats qui
est presque toujours la conséquence d'une évaluation fausse
de la situation réelle. Par l'abstention politique des catho
liques, l'intransigeantisme contribua à consolider l'Etat libéral,
son ennemi, qu'une large participation des catholiques à la
vie publique aurait certainement mis en danger. La propa
gande démocrate-chrétienne dans les masses populaires, qui
avait visé d'abord à un profond bouleversement social, prépara,
en fait, la base populaire de la « politique d'ordre » que le
mouvement catholique finit par adopter ; cette politique
d'ordre contribua à perpétuer les équivoques de la politique
giolitienne qui, en dépit de ses mérites, avait laissé sans solu
tion certains des problèmes politiques les plus graves et ainsi
favorisé la montée du fascisme.

Crise.

Au lendemain de la première guerre mondiale, le moment


semblait venu, pour le puni catholique, de réaliser sa pleine
dimension politique sous la forme d'un parti non confessionnel,
indépendant de la Hiérarchie et ne tirant pas l'essentiel de son
programme politique de considérations religieuses. « Le Parti
Populaire italien — déclarait Luigi Sturzo dans un discours
prononcé en 1919 — a été conçu par des hommes qui ont
vécu l'Action Catholique, mais il a été constitué comme
parti non catholique, non confessionnel, parti à fort contenu
démocratique, qui s'inspire de l'idéal chrétien mais ne consi
dère pas la religion comme élément de différenciation poli
tique. »
Ce' fut le mérite de Don Sturzo d'avoir su traduire, pour
la première fois, en formules authentiquement poli.iques, les
exigences religieuses qui, depuis un demi-siècle, avaient inspiré

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l'action politique des catholiques sans jamais parvenir à trouver


une expression valable. La traditionnelle opposition des catho
liques à l'Etat libéral, Luigi Sturzo la traduisit par un pro
gramme d'autonomies communale et régionale. Cette négation
du principe de la souveraineté absolue de l'Etat permettait,
du même coup, d'envisager différemment le problème de la
liberté de l'Eglise. A la revendication d'autonomie locale
venait s'ajouter une prise de position en faveur de la repré
sentation proportionnelle, seul système électoral qui eût pu
rendre inopérantes les manœuvres complexes du giolittisme et
empêcher tout retour aux solutions clérico-modérées. Tout le
programme du Parti Populaire fut, en réalité, une tentative
de dépasser les postulats du giolittisme.
Il était trop tard. Au moment où surgit le Parti Populaire,
la crise des institutions parlementaires bat déjà son plein. Il
ne faut pas oublier que l'entrée en guerre de l'Italie avait
été obtenue par la victoire, sur le Parlement, d'une poussée de
sentiments populaires, inspirée d'abord par l'indignation que
soulevèrent les atrocités allemandes en Belgique, large
ment alimentée par des courants nationalistes et par le mythe
du « bain-de-sang-régénérateur-des-nations ». C'était déjà l'une
des composantes du fascisme, l'autre devant être bientôt la
réaction antiprolétarienne des propriétaires fonciers du Nord.
En pleine crise des institutions parlementaires, le Parti Popu
laire ne se « posa » que sur le plan strictement parlementaire.
Erreur presque inévitable de la part d'hommes qui étaient
restés si longtemps hors du Parlement, cette attitude facilita
cependant la tâche du fascisme : celui-ci, exploitant le senti
ment de « la victoire trahie » et mettant à profit l'incapacité
des partis traditionnels devant les situations neuves créées par
la guerre, sut attirer à lui la petite bourgeoisie qui aurait pu
constituer la plate forme du Parti Populaire. Mais c'est le
Saint-Siège lui-même qui donna le coup de grâce au Parti
Populaire dès qu'il jugea que le fascisme pouvait constituer
un rempart plus solide contre le socialisme en marche et qu'il
lui parut impossible de s'opposer au fascisme sans déclencher
une guerre civile : qu'à tout prendre, il valait mieux accueillir
le nouveau venu de bonne grâce et tenter, si possible, d'en
atténuer la dureté et la violence. Une fois de plus, le chan
gement de l'orientation politique coïncidait avec l'avènement
d'un nouveau Souverain Pontife : Pie XI venait de succéder a
Benoît XV. Don Luigi Sturzo fut invité à abandonner le secré
tariat du parti.
Grâce à l'intuition politique de son fondateur, le Parti
Populaire italien avait réussi à franchir les limites contre
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lesquelles s'était brisé le mouvement de Murri et à dépasser l


notion d'une action inspirée de motifs religieux plus que p
tiques. Il se heurtait à un autre obstacle : sa dépendan
sur le plan électoral, des volontés du Saint-Siège et de l'ap
du clergé et de la Hiérarchie. Obstacle insurmontable po
un parti politique qui, tout en ayant proclamé son auto
nomie et son caractère non-confessionnel, n'en était pas moins
composé de catholiques et n'avait poussé ses racines électorales
que dans les milieux catholiques. Il apparut alors qu'il y avait
un fossé profond entre le programme politique de Sturzo et
les motifs psychologiques et idéologiques de beaucoup d'adhé
rents : si, dans l'esprit du premier, le Parti Populaire devait
avoir un but précis et remplir une fonction déterminée dans
la vie politique italienne, pour beaucoup de ses membres, et
non des moindres, il ne signifiait que le transfert sur le plan
politique des forces catholiques organisées. Aussi nombre
d'entre eux abandonnèrent-ils Surzo au moment de la crise
et soutinrent-ils le fascisme sur le plan parlementaire.
L'aventure du Parti Populaire marque peut-être le point
le plus avancé auquel puisse parvenir un parti catholique ;
elle trace en même temps les limites extrêmes d'une formule
qui, présupposant l'unité (du moins de principe) des catho
liques, est assurée implicitement de l'appui de l'Eglise, mais
s'expose, du même coup, à d'inévitables pressions.
Carence des catholiques et des socialistes, aveuglement des
libéraux — à quelques exceptions près — telles furent les
causes de la victoire de la réaction bourgeoise, organisée et
armée par le fascisme. L'accueil favorable que le Vatican réser
vait au nouveau régime — avec lequel il allait d'ailleurs se
trouver en conflit plus tard — constituait pour celui-ci la
meilleure des cautions. Mussolini le comprit, mit en sourdine
les accents anticléricaux du fascisme primitif et s'engagea sans
hésiter dans la voie des pourparlers pour la réconciliation
entre l'Eglise et l'Etat.

Reprise victorieuse.

Lorsque, vers la fin de la dernière guerre, la lutte pour la


Libération étant encore en cours, des réunions eurent lieu qui
préparaient la naissance de l'actuelle Démocratie Chrétienne,
quelques-uns seulement proposèrent de ne pas créer un parti
de catholiques et d'inciter les catholiques à militer dans les
partis politiques de leur choix. L'idée fut écartée aussitôt :
il apparaissait à beaucoup que les catholiques devaient, en
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tant que tels, apporter leur contribution idéologique à la


rénovation de l'Etat. La situation qui allait se produire après
la cessation des hostilités semblait exiger, d'autre part, la pré
sence en Italie d'un fort parti catholique, ne fût-ce que pour
offrir un appui solide au Saint-Siège, une fois disparue l'encom
brante protection de la dictature fasciste.
Les cadres du nouveau parti allaient être fournis par ceux
de l'ancien parti de Don Sturzo et par des éléments qui, trop
jeunes pour avoir vécu l'épisode du Parti Populaire, avaient
été formés dans le climat des organisations d'Action Catho
lique et avaient apporté ensuite une contribution non négli
geable à la Résistance.
La « base » allait s'élargir et englober ces catholiques par
habitude plutôt que par conviction qui, au milieu de l'écrou
lement des idéologies et des institutions, avaient vu dans
l'Eglise un symbole de force et de sécurité. On sait combien,
dans les dernières années de la guerre, l'Eglise s'était montrée
secourable à l'égard des persécutés politiques : bien des chefs
antifascistes avaient trouvé refuge dans les palais du Vatican,
sous la protection de l'exterritorialité. Cette attitude, et la
participation de nombreux catholiques à la Résistance, contri
buèrent à faire oublier les compromissions de l'Eglise avec le
régime écroulé. Dans les années qui précédèrent et qui sui
virent immédiatement la fin de la guerre, l'Eglise en vint
ainsi à assumer, à l'égard de l'Italie, une sorte de fonction
supplétive du sens national. En 1945, beaucoup — même parmi
les tièdes en matière religieuse — voyaient dans le Saint-Siège
un point d'appui solide pour le relèvement du pays de son
immense ruine matérielle et morale. C'est cet état d'esprit qui
fut, bien plus que la peur du communisme, la cause principale
des premiers succès de la Démocratie Chrétienne.
Pendant les premiers temps, la Démocratie Chrétienne resta
fidèle à la formule de l'unité de l'antifascisme. Elle n'avait
d'ailleurs pas le choix : l'alliance avec tous les partis anti
fascistes s'imposait ; l'entente avec les socialistes et les commu
nistes était la conséquence inévitable de la contribution domi
nante que ceux-ci avaient fournie dans le combat contre le
régime mussolinien.
On a pu croire un moment que l'accession des partis popu
laires au pouvoir, qui avait échoué après la première guerre
mondiale, allait devenir une réalité et inaugurer une nouvelle
phase de la vie politique italienne. La situation nouvelle
trouva son expression dans le bipartisme, collaboration entre
démocrates-chrétiens, communistes et socialistes.
Il faut cependant reconnaître, en dépit des regrets qu'a pu
" * 1581

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laisser cette formule, que le tripartisme avait été fondé


une équivoque : d'une part, les socialistes et les commun
n'offraient aucune garantie d'une intégration démocrat
qui sauvegardât en même temps les valeurs de la tradit
libérale et les exigences de liberté de l'Eglise ; d'autre pa
la Démocratie Chrétienne n'était absolument pas à la hau
de sa tâche et se serait immanquablement trouvée à la remor
de ses alliés. Et ceci pour les raisons que nous avons exposée
parce que les adhésions qu'elle recueillait étaient de nat
religieuse plutôt que politique ; parce qu'elle n'avait auc
programme valable à opposer à ceux des socialistes et d
communistes, et parce que sa base électorale était constit
principalement par ceux qui, entendant voter pour l'Or
avaient soutenu l'alliance clérico-modérée et, en 1924, le fas
cisme. Le succès de YUomo Qualunque aux dépens de la
Démocratie Chrétienne fut une sorte de signal d'alarme tiré
par le corps électoral.
Il fallait choisir : ou bien la réelle démocratisation de l'Etat,
au prix de la rupture de l'unité politique des catholiques et
d'une influence accrue des communistes et des socialistes ; ou
bien le maintien de l'unité des catholiques, au prix d'un
infléchissement de la ligne politique dans un sens plus conforme
à la nature composite du parti.
Un homme comme De Gasperi connaissait bien la compo
sition réelle du corps électoral démocrate-chrétien, n'ignorait
rien de la dépendance effective de la base à l'égard de la Hié
rarchie, et savait que tout maintien du parti sur des positions
de gauche pourrait provoquer un reflux violent de voix vers
l'extrême-droite ; pour lui, la seconde solution était choisie
d'avance.
Encore fallait-il trouver la nouvelle ligne politique du parti.
Ce fut le mérite de De Gasperi que d'avoir su éviter la consti
tution d'un bloc anticommuniste et fixer la Démocratie Chré
tienne sur des positions du centre : le centrisme succédait
au tripartisme. La direction de l'Etat passait aux mains des
catholiques, établis sur des positions politiques voisines de
celles du giolittisme. Les rôles seuls ont été inversés : le libé
ralisme qui avait alors mené le jeu était réduit — avec les
autres partis laïcs — au rang d'appoint à la Démocratie
Chrétienne et de garant, pas toujours efficace, du maintien
au moins partiel de l'Etat laïc. Si De Gasperi a été constam
ment soucieux d'associer les partis dits mineurs au gouver
nement, c'était essentiellement pour limiter la puissance de
la Démocratie Chrétienne, pour empêcher toute résurgence des
tendances théocratiques ancienne manière, pour libérer les
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catholiques de toute tentation de revanche et pour éviter le


rebondissement de la querelle religieuse qui avait dominé les
années d'après l'unification, enfin pour « échapper — comme
il l'a écrit lui-même — à l'alternative Guelfes-Gibelins ».
Tels sont les mérites mais aussi les limites du centrisme
de De Gasperi. Les reproches qui lui ont été adressés par
l'extrême-gauche sont connus : il a trahi les espoirs de la Résis
tance et détruit l'unité antifasciste. Il est plus intéressant de
s'arrêter quelque peu aux polémiques que le centrisme a
suscitées à l'intérieur de la Démocratie Chrétienne, particu
lièrement de la part de la jeune gauche qui, d'après le nom
de son chef de file, s'était appelée le dossettisme.
Les Dossettiens reprochaient, justement, au centrisme d'avoir
éludé le problème essentiel de la démocratie en Italie, celui
de l'insertion effective des masses populaires dans la vie de
l'Etat ; comme cependant ils étaient d'accord avec De Gasperi
sur le caractère périmé du tripartisme, ils soutenaient que
la Démocratie Chrétienne devait assumer toute seule cette
tâche historique. En raisonnant ainsi, ils méconnaissaient évi
demment les réalités du parti catholique et lui assignaient
une fonction qu'il n'eût pu remplir — c'est toujours le même
cercle vicieux — qu'au prix de la rupture de l'unité politique
des catholiques. Qui, en Italie, alors que les catholiques étaient
devenus les détenteurs de l'autorité de l'Etat et, par consé
quent, les garants de la liberté de l'Eglise, eût pu se permettre
le luxe de payer un prix si élevé ? Sans compter qu'une fois
rompue l'unité politique des catholiques, la Démocratie Chré
tienne se serait retrouvée sans la majorité indispensable à la
réalisation de sa tâche.

Aujourd'hui et demain.

Mais le centrisme de De Gasperi n'était pas davantage une


solution définitive : le peu de réformes sociales que la Démo
cratie Chrétienne a dû entreprendre pour satisfaire une partie
de son électorat lui ont aliéné bon nombre de voix bour
geoises ; les réformes qu'elle n'a pas faites lui ont enlevé des
voix populaires. De Gasperi voulut alors cristalliser une situa
tion qui commençait à lui échapper des mains par l'expédien
artificiel d'une loi électorale de circonstance.
L'insuccès de la Démocratie Chrétienne aux élections du
7 juin 1953, l'échec de « l'ouverture à droite » tentée par
M. Giuseppe Pella, le retour au centrisme avec M. Scelba, et
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P1ETR0 SCOPPOLA

enfin la récente crise ministérielle, sont autant d'étapes


l'évolution de la Démocratie Chrétienne.
C'est « l'ouverture à gauche » qui est la nouvelle formule
des exigences désormais traditionnelles de l'Etat italien. Il
n'est pas sûr que le parti catholique soit capable de l'affronter,
car le prix à payer serait, une fois de plus, la rupture de
l'unité politique des catholiques et la sécession, à la droite
de la D.C., d'une partie de ses électeurs et de sa représen
tation parlementaire. Du reste, la rupture de l'unité ne
signifierait rien d'autre que l'acheminement vers le dépas
sement de la formule même du parti catholique. Alors ? Les
réformes sociales qu'il ne sera plus possible de différer long
temps semblent rendre la rupture de l'unité inévitable ; les
exigences nouvelles de la protection des intérêts de l'Eglise
semblent rendre son maintien indispensable. Si le déchirement
entre conscience religieuse et conscience nationale a été guéri
et si l'alternative Guelfes-Gibelins peut paraître surmontée
il reste que, par la faute de l'ensemble des partis politiques
italiens, le problème de la participation des masses à la vie
de l'Etat n'a point encore reçu de solution. Et c'est préci
sément de ce problème que risquent de naître de nouvelles
oppositions religieuses, en raison de la signification idéolo
gique particulière que revêt en Italie le parti communiste. Au
milieu de la constante confusion entre mythes et politique, le
parti catholique se trouve, avec toute la démocratie italienne,
dans une impasse dramatique.
Toute conjecture sur les chemins de l'avenir serait hasar
deuse ; mais comme, dans ce bref essai d'interprétation, il a
fallu trop souvent sacrifier à l'idole de la prétendue nécessité
de l'évolution historique, il serait peut-être bon de conclure
par un rappel de la liberté de l'histoire, pour laquelle rien
n'est jamais joué, et qui est, en définitive, la liberté qu'ont
les hommes de bonne volonté d'apporter à l'histoire leur
contribution d'intelligence et d'action.

Pietro Scoppoi.a.

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