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EXPERIENCE DE MILGRAM: L’ETRE HUMAIN PREFERE (ENCORE)

TORTURER QUE DESOBEIR


https://sante.lefigaro.fr/article/experience-de-milgram-l-etre-humain-prefere-encore-
torturer-que-desobeir/
Par : Cécile Thibert
Publié le 22/03/2017
Parce qu’on leur a demandé, 90% des participants à une étude ont administré des chocs
électriques (fictifs) à un tiers. Des résultats qui confirment ceux obtenus 50 ans plus tôt par
Stanley Milgram.
Il y plus d’un demi-siècle, un jeune chercheur en psychologie sociale à l’université de Yale
(États-Unis), hanté par les atrocités de l’holocauste, eut l’idée d’une expérience inédite pour
tenter de comprendre les mécanismes psychologiques ayant conduit des milliers d’hommes
à torturer et tuer des millions d’autres. Sous prétexte d’étudier l’efficacité de la punition sur
l’apprentissage, il demanda à des participants d’administrer des décharges électriques
(fictives) à un tiers. L’objectif réel est en fait de mesurer le niveau d’obéissance à un ordre
contraire à la morale.
Les résultats, publiés en 1963 dans le Journal of Abnormal and Social Psychology,
ébranlent l’opinion publique : les deux-tiers des participants infligent cette torture, dès lors
qu’une figure d’autorité le leur demande. Le nom de Stanley Milgram fait le tour du
monde. Par la suite, le jeune scientifique réalise une série d’expériences du même type dont
les résultats démontrent que, sous la pression d’une autorité, la majorité des personnes
exécutent les ordres, même si elles sont informées qu’elles peuvent se retirer de
l’expérience à tout moment et qu’elles savent que les chocs électriques qu’elles infligent à
l’autre peuvent avoir de graves effets sur sa santé.
Cinquante ans plus tard, les conclusions de Milgram semblent toujours d’actualité. Une
équipe de l’université de Varsovie (Pologne) a obtenu des résultats très proches de ceux du
scientifique américain en reproduisant fidèlement l’expérience de départ. Leur étude
publiée en mars dans la revue Social Psychological and Personality Science montre que 72
des 80 participants ont accepté d’administrer à leur « victime » le niveau d’électrochoc le
plus élevé (450 volts, soit le 10e niveau dans l’expérience de Milgram, qui présentait 30
niveaux au total). Pour la même expérience, Milgram avait obtenu un taux de 65%.
«Attention, choc dangereux»
L’expérimentateur (E) amène le sujet (S) à infliger des chocs électriques à un autre
participant, l’apprenant (A, un acteur). La majorité des participants continuent jusqu’au
maximum prévu (450 volts).
Tout comme l’expérience de Milgram, l’étude polonaise met en scène trois personnes : le
chercheur en blouse, qui représente l’autorité scientifique, le vrai sujet, chez qui on teste le
niveau d’obéissance, et enfin l’élève, un comédien complice du chercheur. Le sujet prend le
rôle de l’enseignant à la suite d’un tirage au sort truqué. Il dicte les syllabes à l’élève et doit
lui envoyer une décharge électrique s’il ne les mémorise pas correctement. Ce dernier
simule des réactions de douleur : à partir de 75 V il gémit, à 120 V il se plaint à
l’expérimentateur qu’il souffre, à 135 V il hurle, à 150 V il supplie d’être libéré, à 270 V il
lance un cri violent...
Si le participant manifeste des doutes, l’expérimentateur est chargé de le rassurer en lui
affirmant qu’il ne sera pas tenu pour responsable des conséquences de ses actes. S’il
exprime le désir d’arrêter l’expérience, l’expérimentateur lui adresse quatre ordres. Si le
sujet souhaite toujours arrêter après cela, l’expérience est interrompue. Sinon, elle prend fin
après qu’il a administré trois décharges maximales (450 volts) où il est mentionné sur un
écran : « Attention, choc dangereux ».
L’obéissance, un caractère universel ?
« Cette expérience a, par le passé, été répliquée dans de nombreux pays, avec des taux
d’obéissance importants à chaque fois. C’est un caractère relativement universel », explique
Peggy Chekroun, professeure de psychologie sociale à l’université Paris Nanterre. Italie,
Afrique du Sud, Australie, Espagne... Entre 1968 et 1985, pas moins de huit études ont été
réalisées, avec des taux d’obéissance compris entre 50% et 87,5%. Plus récemment, une
réplication partielle menée en 2006 aux États-Unis a montré un taux d’obéissance de 70%.
Enfin, en 2010, un faux jeu télévisé réalisé en France, « le jeu de la mort », a montré que
81% des candidats envoyaient des décharges électriques de plus en plus fortes à un autre
candidat.
Que se passe-t-il lorsque les participants ne sont plus contraints par la figure d’autorité à
continuer ? Dans ce cas, 80% des sujets ne vont pas au-delà de 120 volts. « Au final, seule
une personne sur quarante a utilisé le dernier curseur, rapporte le Dr Nicolas Guéguen,
chercheur en sciences du comportement à l’université de Bretagne-Sud et auteur de
l’ouvrage « Psychologie de la manipulation et de la soumission » (Dunod, 2015). Même si
un tel comportement est terrifiant, nous sommes loin des chiffres précédents. Il semble
donc que nous ne sommes pas tous des tortionnaires spontanés mais, pour peu que nous
nous retrouvions dans une situation d’autorité, nous pouvons le devenir ».
Responsabilité et éducation
Comment expliquer que, dans chacune de ces expériences, un nombre si important de
personnes accepte d’en torturer d’autres ? « Elles se considèrent comme de simples agents
d’exécution et attribuent la responsabilité de leur acte à la figure d’autorité qui leur ordonne
de le faire, explique Peggy Chekroun. Milgram a d’ailleurs montré dans une variante de son
expérience que, lorsque la prise de responsabilité des participants est accrue, comme
lorsqu’on leur demande de mettre la main de l’élève sur une plaque conductrice, ils ont
tendance à moins obéir ».
La soumission prend-elle racine dès le plus jeune âge ? Oui, selon une étude jordanienne
menée en 1977 auprès de 192 enfants âgés de 6 à 16 ans. Comme chez les adultes, le taux
d’obéissance obtenu fut extrêmement élevé, notamment chez les 10-12 ans, où il atteignit
près de 94%. En parallèle, les chercheurs menèrent l’expérience auprès d’un groupe
d’enfants libres de ne pas administrer le choc. Seul un tiers d’entre eux s’étaient alors
soumis à l’autorité.
« L’obéissance est une norme sociale très importante, elle permet le fonctionnement des
groupes sociaux. Quand on éduque un enfant, c’est d’ailleurs l’une des premières choses
qu’on lui apprend, explique Peggy Chekroun. Avec l’expérience de Milgram, on s’aperçoit
que l’obéissance peut conduire au pire. Mais d’un autre côté, il y a un risque à éduquer les
enfants à remettre en cause l’autorité ».

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