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2ème semestre :

Littérature du Tiers-Monde 3ème PES (2019/2020)


Travaux Dirigés assurés par Mme BRAHIMI Myriam. Maitre de Conférences.

Les nouvelles tendances de l’écriture / Les nouveaux maux de l’Afrique

Séance 1 : Le désenchantement (1969-1985)

Jacques Chevrier a trouvé pour caractériser le sentiment qui peu à peu envahira l’univers littéraire
africain, le beau vocable de « désenchantement ». L’euphorie des indépendances s’effilocha assez
vite. Les situations politiques et économiques se détériorèrent : les luttes tribales, les chrétiens
contre les musulmans, des coups d’état militaires, on vit les répressions, les corruptions, les
détournements des richesses des Etats, au profit de ceux qui étaient chargés de les gérer pour le bien
public, etc. Le moral africain en fut sérieusement ébranlé, pendant que les sécheresses à partir de
1972 s’abattirent sur le Sahel. La Savane se déboise, se dénude, terre rase, vaches squelettiques,
carcasses mortes. Les villages se dépeuplent, les hommes fuient vers les villes, et parfois s’y ajoute
la guerre…
Les intellectuels et même les littéraires comprirent alors que cette indépendance politique était un
leurre et que l’Afrique avait été flouée.
Et de ce fait, une forme d’intégration économique était en train de s’élaborer mais de façon
informelle : commerces non déclarés, revenus non évalués et donc non taxés, échappant au contrôle
des Etats et s’appuyant souvent sur la fraude douanière. Il est certain que le mythe d’une négritude
triomphante commençait à se fissurer et que chacun pressentait que « le meilleur n’est pas pour
demain ». Pendant ce temps, les colonies portugaises se battaient toujours pour leur libération
(Cap-vert, Guinée-Bissau, Angola, Mozambique) qu’elles obtinrent du reste durant cette décennie
(1975).

Le discours critique engagé


Comme il fallait s’y attendre, l’euphorie des indépendances n’était pas sans fausses notes. Ainsi,
certaines voix s’élevaient mais ne plaisaient guère, telle que celle de Yambo Ouologuem avec son
Devoir de violence qu’on récusa dans les milieux africains, malgré son succès en Europe. Car à
cette période, chaque œuvre publiée était évaluée en fonction de certains paramètres clairement
précisés : il fallait qu’elle aille dans le sens de l’exaltation de l’Afrique, ou de son unité, ou de sa
libération. Peu importait le genre ou le style ; ce qui comptait, c’était ce qu’on nomme aujourd’hui
aux Etats-Unis « la pensée politiquement correcte », bien que certains écrivains noirs se risquaient
hors de ces directives. Cependant, un discours critique se préparait et s’amplifiait au fil du temps et
certains écrivains rappelaient à l’ordre d’autres qui s’éloignaient de la réalité dans leurs écrits, tel
Camara Laye qui se fit tancer par Mongo Beti pour l’évocation de son enfant idyllique, alors que la
Guinée était au plus fort de l’exploitation coloniale.

Le discours critique africain dominait dans les revues et journaux africains et pouvait se résumer
suivant les principes énoncés en 1969 dans le « Manifeste du Festival panafricain » d’Alger :
« Apprécier les œuvres africaines selon les normes propres au continent et selon les impératifs de
la lutte de libération et de l’unité. Créer à cette fin en Afrique des institutions culturelles
appropriées ;
Encourager les créateurs africains dans leurs missions de refléter les préoccupations du peuple,
afin de combler le fossé creusé entre les élites intellectuelles et les masses populaires »1

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« Manifeste culturel panafricain », dans présence africaine, n° 71, 1969.

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Séance 2 : La subversion de l’écriture littéraire chez Ahmadou Kourouma

Ahmadou Kourouma, est un écrivain ivoirien contemporain dont l’œuvre inaugure le procès des
Indépendances. Ahmadou Kourouma est né le 24 novembre 1927 à Togobala ou Boundiali (Côte
d’Ivoire) et décédé le 11 décembre 2003 à Lyon (France).

Analyse de deux textes romanesques d’une tonalité assez ironique : Les soleils des Indépendances
(1970) et Allah n’est pas obligé (2000)

Désillusion et révolte dans Les Soleils des Indépendances (1970)


Les choses blanchissaient avec le matin, tout se redécouvrait. Fama regardait la concession et ne se
rassasiait pas de la contempler, de l’estimer. Comme héritage, rien de pulpeux, rien de lourd, rien de
gras. Même une poule épatée pouvait faire le tour du tout. Huit cases debout, debout seulement,
avec des murs fendillés du toit au sol, le chaume noir et vieux de cinq ans. Beaucoup à pétrir et à
couvrir avant le gros de l’hivernage. L’étable d’en face vide ; la grande case commune, où étaient
mis à l’attache les chevaux, ne se souvenait même plus de l’odeur du pissat. Entre les deux, la petite
case des cabrins qui contenait pour tout et tout : trois bouquetins, deux chèvres et un chevreau
faméliques et puants destinés à être égorgés aux fétiches de Balla. En fait d’humains, peu de bras
travailleurs. Quatre hommes dont deux vieillards, neuf femmes dont sept vieillottes refusant de
mourir. Deux cultivateurs ! Jamais deux laboureurs n’ont assez de reins pour remplir quatorze
mangeurs, hivernage et harmattan ! Et les impôts, les cotisations du parti unique et toutes les autres
contributions monétaires et bâtardes de l’indépendance, d’où les tirer ? En vérité Fama ne tenait pas
sur du réel, du solide, du définitif... (p. 106, 107)

 Commentez le texte de Kourouma en vous attachant à montrer comment l’auteur a su


exprimer, à partir de sa technique de description, la désillusion du personnage Fama.

Idée générale

 Le titre joue sur la signification du mot malinké tile, qui signifie à la fois soleil, mais aussi
jour et peut aussi signifier ère ou époque.
 Le mot soleil revient fréquemment dans le texte avec cette signification.
 Le roman narre les mésaventures de Fama Doumbouya, un Dyula dont le commerce a été
ruiné par les indépendances et l'apparition de nouvelles frontières du fait de la balkanisation
de l'AOF qui en a résulté.
 Dernier héritier d'une chefferie traditionnelle malinké que les indépendances ont placé de
l'autre côté de la frontière, sans descendance mâle, le héros tentera, sans succès, de
contrecarrer la funeste prédiction faite aux temps précoloniaux à ses ancêtres, qui annonçait
la déchéance de sa dynastie lorsque viendrait un soleil qui semble être maintenant arrivé.
 Ainsi, le personnage principal, Fama, découvre son héritage avec désillusion.

Fiche technique

 Caractère particulier de l’expression qui renvoie au style des langues locales. Volonté de
s’approprier la langue française (Malinkinisation)
 Ironie avec les expressions « rassasiait » et « estimer »…qui font croire que Fama est
satisfait du spectacle de la maison
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 Utilisation de l’imparfait duratif : découverte progressive et durée du spectacle.


 Répétition anaphorique de « rien de » accolé à des adjectifs qui connotent l’opulence :
expression d’un dénuement extrême.
 Absence de verbe : renforce le dénuement
 Ironie de la « poule épatée » met en relief, avec une certaine exagération, la petitesse de la
demeure
 Répétition de ‘débout’ pour insister sur la vétusté de la maison
 La vétusté de la maison rendue également par le choix d’expressions dépréciatives :
« fendillés », « chaume », « vieux », « beaucoup à pétrir et à couvrir »
 Réalisme de la présentation avec l’accumulation des chiffres dont le nombre contraste
d’avec une réalité de misère
 Termes dévalorisant en relation avec l’indigence, de l’héritage « bouquetin »,
« faméliques », « puants »…
 Enumération morbide allant jusqu’au refus du statut humain des autres personnages avec les
expressions « en fait d’humain », « peu de bras » très réductrices
 Opposition éloquente entre les chiffres : « 4 hommes / 2 vieillards », « 7 vieillottes / 9
femmes » : invalidité des ressources.
 Style exclamatif : personnage désemparé devant une insuffisance caractérisée.
 L’énumération « les impôts …autres contributions » renvoie à la multiplicité des charges qui
s’oppose à la modicité criarde des ressources
 Satire des indépendances et sentiment de révolte avec des expressions « contribution
monétaire et bâtardes »
 L’interrogation finale traduit le désarroi total du personnage.

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Séance 3 : L’éclatement de l’écriture dans Allah n’est pas obligé (2000)

Etudiez l’écriture de Kourouma en insistant sur les modalités scripturales qui rendent son roman
particulièrement subversif.

Nous réfléchirons sur la construction de l’extrait. La construction du texte en six points va guider le
lecteur dans sa découverte du narrateur (résumé d’ailleurs, par Birahima : « Me voilà présenté en
six points pas un de plus »).

L’incipit du roman

Je décide le titre définitif et complet de mon blablabla est Allah n’est pas obligé d’être juste
envers toutes ses choses ici-bas. Voilà je commence à raconter mes salades.

Et d’abord... et un... M’appelle Birahima. Suis p’tit nègre. Pas parce que suis black et gosse. Non
! Mais suis p’tit nègre parce que je parlemal le français.C’est comme ça. Même si on est grand,
même vieux, même arabe, chinois, blanc russe, même américain ; si on parle mal le français on dit
p’tit nègre quand même ça c’estla loi du français de tous les jours qui veut ça.

... Et deux... Mon école n’est pas arrivée très loin ; j’ai coupé cours élémentaire deux. J’ai quitté
le banc parce que tout le monde a dit que l’école ne vaut plus rien, même pas le pet d’une vieille
grand-mère. (C’est comme ça on dit en nègre noir africain indigène quand une chose ne vaut rien.
On dit que ça vaut pas le pet d’une vieille grandmère parce que le pet de la grand-mère foutue et
malingre ne fait pas de bruit et ne sent pas très, très mauvais.) L’école ne vaut pas le pet de la
grand-mère parce que, même avec la licence de l’université, on n’est pas fichu d’être infirmier ou
instituteur dans une des républiques bananières corrompues de l’Afrique francopone. (République
bananière signifie apparemment démocratique, en fait régie par des intérêts privés, la corruption.)
Mais fréquenter jusqu’à cours élémentaire deux n’est pas forcément autonome et mirifique. On
connaît un peu mais pas assez ; on ressemble à ce que les nègres noirs africains indigènes appellent
une galette aux deux faces braisées. On n’est plus villageois, sauvages, comme les autres noirs
nègres africains indigènes : on entend et comprend les noirs civilisés et les toubabs sauf les Anglais
comme les Américains noirs du Liberia. Mais on ignore géographie, grammaire, conjugaisons,
divisions et rédaction ; on n’est pas fichu de gagner l’argent facilement comme agent de l’état dans
une république foutue et corrompue comme en Guinée, en Côted’Ivoire, ect. , etc.

... Et trois... suis insolent, incorrect comme barbe d’un bouc et parle comme un salopard. Je dis
pas comme les nègres noirs africains indigènes bien cravatés : merde ! putain ! salaud ! J’emploie
les mots malinkés comme faforo ! (Faforo ! signifie sexe de mon père ou du père ou de ton père.)
Comme gnamokodé ! (Gnamokodé ! signifie bâtard ou bâtardise.) Comme Walahé ! (Walahé !
signifie Au nom d’Allah.) Les Malinkés, c’est ma race à moi. C’est la sorte de nègres noirs africains
indigènes qui sont nombreux au nord de la Côte-d’Ivoire, en Guinée et dans d’autres républiques
bananières et foutue comme Gambie, Sierra Leone et Sénégal là-bas, etc.

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… Et quatre… Je veux bien m’excuser de vous parler vis-à-vis comme ça. Parce que je ne suis
qu’un enfant. Suis dix ou douze ans (il y a deux ans grand-mère disait huit et maman dix) et je parle
beaucoup. Un enfant poli écoute, ne garde pas la palabre… il ne cause pas comme un oiseau
gendarme dans les branches de figuier. Aa c’est pour les vieux aux barbes abondantes et blanches,
c’est ce que dit le proverbe : le genou ne porte jamais le chapeau quand la tête est sur le cou. C’est
ça les coutumes du village, entendu que j’ai été au Libéria,que j’ai tué beaucoup de gens avec
kalachnikov (ou kalach) et me suis bien camé avec kanif et les autres drogues dures.

… et cinq… Pour raconter ma vie de merde, de bordel de vie dans un parler approximatif, un
français passable, pour ne pas mélanger les pédales dans les gros mots, je possède quatre
dictionnaires. Primo le dictionnaire Larousse et le Petit Rober, secundo l’Inventaire des
particularités lexicales du français en Afrique noire et tertio le dictionnaire Harrap’s. Ces
dictionnaires me servent à chercher les gros mots, à vérifier les gros mots et surtout à les expliquer.
Il faut expliquer par ce que mon blablabla est à lire par toute sorte de gens : des toubabs (toubab
signifie blanc) colons, des noirs indigènes sauvages d’Afrique et des francophones de tout gabarit
(gabarit signifie genre). Le Larousse et le Petit Robert me permettent de chercher, de vérifier et
d’expliquer les gros mots du français de France aux noirs nègres indigènes d’Afrique. L’Inventaire
des particularités lexicales du français d’Afrique explique les gros mots africains aux toubabs
français de France. Le dictionnaire Harrap’s explique les gros mots pidgin à tout francophone qui ne
comprend rien de rienau pidgin.

Comment j’ai pu avoie ces dictionnaires ? ça, c’est une longue histoire que je n’ai pas envie de
raconter maintenant. Maintenant je n’ai pas le temps, je n’ai pas envie de me perdre dans du blabla.
Voilà c’est tout. A faforo (cul de mon papa) !

… Et six… C’est vrai, suis pas chic et mignon, suis maudit par ce que j’ai fait du mal à ma mère.
Chez les nègres noirs africains indigènes, quand tu as fâché ta maman et si elle est morte avec cette
colère dans son cœur elle te maudit, tu as la malédiction. Et rien ne marche chez toi et avec toi.

Suis pas chic et mignon parce que suis poursuivi par les gnamas de plusieurs personnes. (Gnama
est un gros mot nègre noir africain indigène qu’il faut expliquer aux Français blancs. Il signifie,
d’après Inventaire des particularités lexicales du français en Afrique noire, l’ombre qui reste après
le décès d’un individu. L’ombre qui devient une force immanente mauvaise qui suit l’auteur de
celui qui a tué une personne innocente.) Et moi j’ai tué beaucoup d’innocents au Liberia et en Sierra
Leone où j’ai fait la guerre tribale, où j’ai été enfant-soldat, où je me suis bien drogué aux drogues
dures. Je suis poursuivi par les gnamas, donc tout se gâte chez moi et avec moi. Gnamokodé
(bâtardise) ! Me voilà présenté en six points pas un de plus en chair et en os avec en plume ma
façon incorrecte et insolente de parler. (Ce n’est pas en plume qu’il faut dire mais en prime. Il faut
expliquer en prime aux nègres noirs africains indigènes qui ne comprennent rien à rien. D’après
Larousse, en prime signifie ce qu’on dit en plus, en rab.) Voilà ce que je suis ; c’est pas un tableau
réjouissant. Maintenant, après m’être présenté, je vais vraiment, vraiment conter ma vie de merde
de damné. Asseyez-vous et écoutez-moi. Et écrivez tout et tout. Allah n’est pas obligé d’être juste
dans toutes ses choses. Faforo (sexe de mon papa) !
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Birahima est un enfant, et un narrateur, peu ordinaire. Il choisit d’interpeler le lecteur par son
langage, pour qu’il l’écoute et réagisse (interpellation du lecteur par un « vous ») et se présente en 6
étapes ; son langage est très particulier mais il dit les choses telles qu’elles sont.

 À quel registre de langue appartient cet incipit ? Pour le savoir, relevez les
expressions et les traits qui ne sont pas habituels.
 De quelles langues viennent-ils (anglais, bambara, wolof) ? Que signifient-ils ? les
expressions proverbiales.
 Quelle sorte de langage, nommé dans le texte, parle Birahima ?
 Outre le registre de langue et la syntaxe très particulière de Birahima, observez les
parenthèses. À quoi servent-elles la plupart du temps ? Qu’est-ce qui explique cet
usage dans le texte ?

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Séance 3 : Critique sociale et violence de l’écriture chez Mongo Béti dans Trop de soleil tue
l’amour (1999)

Alexandre Biyidi dit Mongo Beti est un écrivain français d’origine camerounaise, qui dans ses
romans et ses essais, se présente comme le dénonciateur de la situation de l’Afrique coloniale,
postcoloniale et néocoloniale. Défenseur de la culture africaine en péril, il est l’auteur de nombreux
ouvrages parmi lesquels : Pauvre Christ de Bomba, Remembrer Ruben, Ville cruelle, Main basse
sur le Cameroun, Branle-bas en noir et blanc, etc.

Le Cameroun. Les années 90. Zam est Journaliste politique : entre deux articles sans lendemain sur la
dictature au pouvoir, d’interminables rasades de whisky et sur quelques airs de jazz, il évolue dans un
univers où le meurtre, la violence et la corruption sont quotidiens.

Ce matin-là, Zam était furieux, la qualité du journal laissant toujours effroyablement à désirer, selon
lui ; Au cours de la conférence de rédaction, il avait dit à PTC : « Ce n’est plus possible, c’est
horrible, c’est du n’importe quoi. Il faudrait que les gars apprennent à écrire, ou du moins, à lire
dans un dictionnaire. »
Il lui avait mis sous le nez une liste de bévues plus cocasses les unes que les autres - par exemple :
Eventrer un complot,
Une rentrée scolaire éminente,
Perpétuer un assassinat,
Une fosse sceptique,
Les délinquants pullulent,
La politique de l’Autriche,
Vous autres qui, hier, se trouvaient de l’autre côté,
ce fait participe d’une stratégie de fraude caractérielle,
on pouvait facilement compter le nombre d’arrêts d’un poisson,
Eloundoun continue de rouler ses mécanismes,
Chaque ministre est dans le qui-vive,
La rumeur circule vite par le bouche-à-bouche.
Il y avait même un rédacteur assez sot pour écrire « il souriait ». Zam disait à PTC :
- Ce relevé n’a rien d’exhaustif. On pourrait l’étaler sur des dizaines de pages. C’est du laxisme. Il
faut sanctionner ces gars, ils n’avaient qu’à regarder dans leur dictionnaire, s’ils en ont un, c’est
quand même très simple. Ça peut pas continuer. Sinon, on fait la même chose que le pouvoir qui e
sanctionne jamais les siens. Et le lui reprochons à juste titre. alors, allons-nous sombrer dans la
culture de l’impunité ? C’est ce cancer qui ronge nos sociétés et nous paralyse. [...]
Il faut dire que Zam avait la réputation d’avoir mauvais caractère ; il en va toujours ainsi dès qu’on
tente d’améliorer les choses.
PTC ne répondait pas, parce qu’il faisait lui aussi dans le népotisme, ayant introduit un tas de
membres de sa famille dans le journal, sans aucun souci de leurs compétences. Tout le monde fait
dans le népotisme. Pourquoi ne pas l’avouer, ici c’est difficile de faire autrement. Il y a pour ainsi
dire une fatalité du népotisme dans notre culture, pourquoi le nier ? PTC pouvait arguer, non sans
raison, que Zam se plantait complètement quand il se figurait que la chose avait un effet sur le
public, qui, c’est bien probable, devait se foutre de la façon dont le journal était rédigé. Où il se
croyait Zam, au fait ? En Occident, en Amérique ? Franchement, est-ce que ça les gênait les lecteurs
ici qu’un journal soit mal rédigé ?

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Quand Zam crut comprendre que PTC était lui aussi prisonnier de l’engrenage du népotisme et, de
ce fait, impuissant, il arrêta aussi sec son laïus, il prit ses cliques et ses claques et il revint dans son
bureau.

Questions

 Dans la liste des « bévues cocasses », relevez les énoncés fautifs et donnez leur juste équivalent. Que
provoquent-elles sur le lecteur ?
 Dites de quoi ces formulations fautives sont révélatrices ?
 Relevez les mots qui appartiennent à la langue argotique ou familière et donnez leur équivalent en
langue standard.
 Quels sont les mots qui appartiennent à une langue plus soutenue ?
 Quel est l’effet produit par la cohabitation de ces deux registres de langue ?
 Que dénonce Zam ? Retrouvez les termes exacts qu’il emploie. De quoi ce qui se passe au sein du
journal est-il révélateur ?
 Sachant que le texte évoque l’ère des indépendances, que pouvez-vous dire sur cette période ?

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Séance 4 : L’écriture hyperréaliste de Léonora Miano dans Tels des astres éteints (2008)

Leonora Miano est une jeune auteure née à Douala au Cameroun dans les années 70 et qui s’installe
en France au début des années 90 afin d’entreprendre des études de littérature américaine. Son
premier roman L’intérieur de la nuit (2005) a été couronné six fois. Elle compte parmi les auteures
qui adoptent une écriture « rebelle » de par le discours direct et subversif employé – contrairement à
la première génération d’écrivaines dont l’écriture était beaucoup plus soutenue.

Dans ce roman, l’histoire se déroule en Europe, mais il est manifestement question de l'Afrique,
jamais nommée, mais omniprésente. Amok, Shrapnel et Amandla sont les personnages principaux
de cette fiction d’origine africaine mais chacun vit douloureusement ses origines et sa couleur.
Shrapnel est un jeune révolté mais pas désespéré, il consacre sa courte vie à revendiquer la
grandeur de la race noire. Dans cette scène, après sa mort il doit parcourir un chemin pour aller
rencontrer l’Esprit, son Créateur. Au cours de son cheminement douloureux dans l’au-delà, il fait
d’étranges rencontres.

L’allée s’ouvrit devant lui, et il s’y engagea. Si Dieu tenait à lui parler, il aurait bien des choses à
Lui dire, des tas de questions à Lui poser. On lui devait la vérité. Partout sur la terre, les Noirs
croyaient, priaient sans relâche. Dieu connaissait chacun d’eux, avant qu’il soit formé dans le corps
de sa mère. Il savait tout de leur vie, avant qu’il leur soit venu la moindre idée à ce sujet. Dieu
permettait que le monde soit ce qu’il était, que ceux qui Le priaient mille fois plus que les autres
vivent écrasés jusqu’au jour dernier. Là où on priait le plus Dieu, on souffrait davantage qu’ailleurs.
[…] La route n’était plus longue, à présent. Cependant, pour arriver au bout, il ne fallait pas se
retourner. Plus haut sur le chemin, on entendait des voix. Celles des personnes qu’on venait de
quitter, celles de ceux qui ne cessaient d’appeler le mort, pour le retenir auprès d’eux. Si on se
retournait parce que les appels venaient de toutes parts, on voyait le monde d’en bas. On voyait les
tâches inachevées, les actes de ceux qui avaient pris la suite. Ce spectacle était d’une longue
affliction. Cet infini chagrin était ce que les humains appelaient Purgatoire, terme inadéquat s’il en
était. C’était un état d’impuissance absolue. On ne faisait que regretter, se lamenter. On ne pouvait
ni rejoindre l’Esprit, ni redescendre sur terre. En avançant le long de l’allée, Shrapnel passerait
devant le Purgatoire. Ras lui conseillait de poursuivre son chemin. S’il pouvait parler aux âmes qui
s’étaient arrêtés là, s’il en avait envie. Cependant, s’il risquait un œil vers le bas, il ferait partie de la
troupe. Il ne verrait jamais Père/Mère, n’aurait pas avec l’Esprit, la conversation qui lui tenait à
cœur. Ras disparut comme il était venu, sans que Shrapnel puisse dire s’il s’était enfoncé, s’il s’était
envolé. Il avança sur la route qui lui avait été indiquée. Au bout d’un moment, le jeune homme vit
un attroupement. Des hommes noirs se tenaient, non pas au milieu de l’allée, mais sur le bas-côté. A
leur droite, la route continuait de s’étirer, et Shrapnel vit distinctement des silhouettes avancer. Des
individus ayant emprunté une autre voie que lui marchaient sur le chemin. Il se formula la chose
ainsi, parce qu’il ne connaissait pas de mot pouvant décrire au plus juste la manière dont ils se
déplaçaient. Ils ne bougeaient pas les pieds. Ils ne volaient pas, ne glissaient pas non plus. Ils
avançaient, néanmoins. Il s’arrêta près des hommes, dont certains étaient assis, pour ainsi dire. Ils
jouaient aux cartes, fumaient, bavardaient. Ils faisaient tout cela entre deux sanglots. Leurs pleurs
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sonores ne cessaient jamais. C’était un étrange brouhaha de voix mâles, geignant comme des
nouveaux-nés. Comme chaque fois qu’il voyait une bande de frangins, Shrapnel ne put se retenir de
faire connaissance. S’approchant d’eux, il reconnut un visage, puis deux. Un moment, il crut à une
ressemblance avec des figures connues. Il regarda encore. Tout à leur peine, les hommes ne
faisaient pas attention à lui. On aurait dit les sosies d’êtres illustres qu’il avait revus sur la toile, il
n’y avait pas si longtemps. Il voulut en avoir le cœur net. Se raclant la gorge, il s’adressa au premier
d’entre eux, celui qui se trouvait le plus près de l’allée. Il lui demanda s’il était bien celui qu’il
croyait, ce type qui avait fait un rêve. L’homme répondit que oui, et qu’on ne lui parle plus de ce
rêve quand il était arrivé ici, il avait entendu tant de personnes l’appeler, qu’il n’avait pu que se
retourner. Aux quatre coins de la terre, on prononçait son nom, on récitait le discours exposant son
rêve. On ne parlait que pour le trahir. Il s’était retourné, pour faire un signe à ceux qui l’appelaient,
pour leur demander d’achever sa tâche. Il les avait vus, ne cessait de les voir depuis, de pleurer sur c
qu’ils avaient fait de son rêve. Un slogan. Des posters. Rien. Les sanglots de l’homme furent
insupportables pour Shrapnel, qui se souvenait de sa voix de stentor, prononçant des discours censés
changer le monde. Il tenta de le rassurer, lui dit qu’il avait fait ce qu’il avait pu, et n’avait à rougir
de rien. L’homme affirma qu’il ne rougissait pas, toujours pas, ni au propre, ni au figuré. Ce qui lui
striait le cœur, c’était l’humanité pour laquelle il avait tant lutté. Les yeux baissés vers un gouffre
dont il semblait ne pouvoir détacher le regard, il supplia Shrapnel de ne pas regarder. Vu d’en haut,
c’était pire que quand on y était. Le jeune homme le quitta, pour se précipiter vers une autre âme en
peine. Il lui demanda s’il était bien celui qui avait invité les Subsahariens à l’alliance, pour former
leurs Etats-Unis, dès le lendemain des indépendances. L’homme lui ordonna de se taire. Personne
ne l’avait écouté. Depuis qu’il s’en était allé, on ne cessait d’en parler, des Etats-Unis subsahariens.
C’était tout ce qu’on faisait. Les dirigeants subsahariens se cramponnaient au pouvoir, se refusant à
créer quoi que ce soit qui les dépasse, qui leur survive, qui bénéficie aux peuples. Quand il était
arrivé ici, il avait entendu des cris. Son nom scandé avec tous les accents du monde noir. Il s’était
retourné pour remercier ceux qui propageaient son message. La vie des Subsahariens. La passivité.
La capacité de révolte perdue. L’Histoire foulée aux pieds. Le fond des amphithéâtres où son nom
avait été abandonné. C’était de là qu’il lui était parvenu. On le nommait sans arrêt dans des
colloques, dans des conférences, des cours d’histoire. On récitait, on ne faisait rien. […]

Shrapnel scruta les visages de ces hommes, condamnés au chagrin éternel. Il vit celui qui croyait
avoir fait de la terre de ses pères un pays d’hommes intègres. Il reconnut celui qui avait choisi une
lettre de l’alphabet comme patronyme, pour refuser un nom d’esclave. Celui qui avait prôné la
libération, par tous les moyens nécessaires. Sur le bas-côté qui était le séjour d’âmes enchaînées par
le chagrin, Shrapnel vit toutes les icônes du monde noir. Tous, ils avaient entendu la clameur, les
appels de ceux qui, prétendant leur rester fidèles, ne leur avaient pas fait honneur. […] L’homme
dont on avait plongé le corps dans de l’acide pour ne même pas laisser de dépouille à mettre en
terre, celui dont un tortionnaire avait conservé une dent en guise de trophée, cet homme-là
s’approcha de Shrapnel. Il le pria de passer sa route maintenant. […] (p. 341-349)

 Repérez les personnages étranges rencontrés par Shrapnel et dites à qui ils
correspondent dans la réalité. (Vous devez faire des recherches supplémentaies)
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2ème semestre :
Littérature du Tiers-Monde 3ème PES (2019/2020)
Travaux Dirigés assurés par Mme BRAHIMI Myriam. Maitre de Conférences.

 Etudiez la narration et les ruptures narratives dans cet extrait.


 Quelle est la portée symbolique du recours à la technique hyperréaliste dans ce
texte ?

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