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Nuevo Mundo Mundos Nuevos

Nouveaux mondes mondes nouveaux - Novo Mundo


Mundos Novos - New world New worlds
Cuestiones del tiempo presente | 2015

Le fado et la dictature : les figures de la « victime »


Agnès Pellerin

Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/nuevomundo/68239
DOI : 10.4000/nuevomundo.68239
ISSN : 1626-0252

Éditeur
Mondes Américains

Référence électronique
Agnès Pellerin, « Le fado et la dictature : les figures de la « victime » », Nuevo Mundo Mundos Nuevos
[En ligne], Questions du temps présent, mis en ligne le 18 septembre 2015, consulté le 20 juin 2019.
URL : http://journals.openedition.org/nuevomundo/68239 ; DOI : 10.4000/nuevomundo.68239

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Le fado et la dictature : les figures de la « victime » 1

Le fado et la dictature : les figures


de la « victime »
Agnès Pellerin

1 Cet article se penche sur l’histoire du fado, chant portugais accompagné à la guitare, né
dans le port de Lisbonne au début du XIXème siècle, parmi les couches sociales les plus
basses et les plus marginales de la capitale. Il part du constat de la difficile reconnaissance
des dommages subis par cette expression culturelle sous la dictature dans laquelle le pays
a été plongé durant 48 ans, entre 1926 et 1974, dictature formalisée à partir de 1933 par
António de Oliveira Salazar sous le nom d’État Nouveau. Aujourd’hui encore, le fado reste
majoritairement représenté dans l’imaginaire collectif portugais, comme un « complice »
naturel de la dictature.
2 Pourtant les faits historiques sont bien là, et il y a bien eu dans le cas du fado une atteinte
à la liberté d’expression. Le fado n’est pas né sous la dictature, contrairement à ce qu’on a
longtemps pu croire1, même si la période suivant la Seconde Guerre mondiale correspond
à « l’âge d’or » du fado : ce moment où le fado passe d’un état de « sous culture »,
« culture non officielle, non légitime, presque souterraine »2 et même criminalisée (par
les liens entretenus avec la prostitution, le mot fadista restant pendant longtemps
synonyme de voyou ou de femme de mauvaise vie) à une culture de masse, largement
diffusée. Le fado est né plus d’un siècle avant l’avènement de la dictature et il a subi, au
même titre que d’autres champs d’expression culturelle, des atteintes, certes teintées
d’ambigüité, car elles se sont doublées dans le cas du fado d’une forme de « promotion
forcée »3.
3 Ces dernières années, plusieurs travaux de recherche ont proposé d’approfondir l’histoire
plus lointaine du fado, permettent d’amorcer un certain retournement des
représentations4. Ce texte propose d’y contribuer, en écho à Michel Foucault : « Il s’agit
d’appréhender ce mouvement par lequel ce qui provoquait la suspicion vaut aujourd’hui
pour preuve – autrement dit, par lequel le faux est devenu le vrai. La fin du soupçon : c’est
ce moment historique que nous voulons saisir. »5

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Le fado et la dictature : les figures de la « victime » 2

Le fado de l’État nouveau : censure et moralisation


4 Dès 1927, la pratique du fado subit une nouvelle législation mise en place après le coup
d’Etat instaurant la dictature. Le régime publie le décret 13564, élaboré par l’Inspection
générale des théâtres, qui impose à tout chanteur de posséder une « carte
professionnelle » pour pouvoir se présenter en public. Contre les représentations de
vagabondage et d’oisiveté qui sont associées au fado depuis ses premiers temps, ce décret
lui impose donc de devenir un exemple de travail, une profession véritable, aussi précaire
soit-elle. Dans la pratique, la délivrance de cette carte professionnelle exclut notamment
tous ceux dont le casier judiciaire n’est pas vierge. Les chanteurs doivent par ailleurs
exercer dans un lieu dévolu au fado, les Maisons de fado (Casas de fado). Dès 1933, la Police
de vigilance et de défense de l’État (future PIDE), créée par Salazar, compte, parmi ses
missions de contrôle, la dissipation du moindre groupe formé hors du cadre familial,
notamment dans l’espace public. Derrière un programme de développement des loisirs, le
régime veut bâillonner la liberté d’expression : les chanteurs de fado amateurs n’ont plus
le droit de chanter dans le cadre de regroupements spontanés et informels au sein des
quartiers. Enfin, dès les années 1930, les chanteurs professionnels ne peuvent chanter que
les chants passés par le filtre de la Censure. Chaque « maison de fado » doit établir une
liste préalable des textes qui seront interprétés durant les sessions, avec leurs paroles. Les
chanteurs doivent s’en tenir à ce programme ; l’improvisation constituant un délit qui
menace à la fois le chanteur6 et la maison où il se produit. Une fois passé par le timbre de
la Censure, le fado devient intouchable et peu à peu les paroles des fados, jusqu’alors
sculptées par l’inventivité des chanteurs, rajoutant un couplet ou changeant un mot, se
fixent dans une forme définitive. Cette interdiction de l’improvisation rompt avec
l’ouverture textuelle des fados traditionnels, qui pouvaient se dérouler à l’infini, sur un
schéma musical d’accompagnement simple et répétitif, base émulatrice pour la créativité
du chanteur et sa liberté d’associer entre elles des strophes indépendantes, non cadrées
par un refrain7. Cette main basse portée par le pouvoir sur les représentations artistiques,
constitue un enjeu de maintien de l’ordre social urbain, étant donnée la capacité de
diffusion de la chanson populaire, particulièrement à l’heure où l’enregistrement
discographique et la diffusion radiophonique commencent à se développer.
5 S’imposant discrètement, cette mainmise se fait de manière ambivalente. A travers la
professionnalisation du fado (casas de fado versus fado amateur), la moralisation du genre,
sa légitimisation littéraire (la fixation des textes impliquant nécessairement la censure
des mots d’argots et de tout un parler populaire principalement oral), le fado est récupéré
pour promouvoir une certaine idée de l’« âme nationale ». Un article de presse montre
comment aux débuts des années 30, avec la mise en place d’un secrétariat à la Propagande
nationale, la presse spécialisée sur le fado elle-même relaie une nécessaire mission
“ purificatrice ” envers le fado : “ Nous faisons tout pour que la chanson portugaise par
excellence, qui connaît toutes les parties du cœur humain, ne soit pas avilie par des
individus sans scrupules qui, dans les taudis ignobles, chantent d’une voix avinée, parmi
les éclats de rire des femmes de mauvaise vie. ”8
6 Le regard mémoriel9 porté a posteriori sur ce passé douloureux qu’a été la dictature
portugaise, se fondant sur le seul résultat des transformations du fado sous la dictature, en
gommant le processus historique de sa transformation, le présente ainsi comme le complice

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Le fado et la dictature : les figures de la « victime » 3

naturel de la dictature, outil de propagande moralisante et catholique, destiné à endormir


les capacités de révolte d’un peuple en souffrance. Complice plutôt que victime, donc.

Le fado : complice, « bouc émissaire » ?


7 Ces représentations déformées ont très facilement pris dans les années 1960 et 70, alors
que le Portugal s’enferme dans d’interminables guerres coloniales et dans le déclin
économique, un virage accusatoire, très sensible durant la période qui précède la
Révolution des Œillets, laquelle mettra fin à la dictature le 25 avril 1974, et la période qui
lui fait immédiatement suite. La fin de la dictature, l’urgence de la démocratie sont
marquées par le besoin d’incarner dans des symboles cette dictature pernicieuse et
diffuse, dont tout le pays reste si imprégné. Le fado, amputé d’une grande partie de son
histoire, des nuances de sa réalité sociale et musicale, fait les frais de cette stigmatisation
réductrice. Ainsi l’opposition démocratique à la dictature présente le fado comme un des
“ 3 F ” de l’État Nouveau : Fado, Fátima, Football – un chant, un miracle religieux, un
sport : trois pôles d’un cercle obscurantiste tracé par le régime autoritaire autour d’une
population majoritairement rurale et analphabète. Et juste après la Révolution des
Œillets, les maisons de fado des quartiers emblématiques de Lisbonne sont brusquement
délaissées, le fado devenant identifié comme un chant sinon réactionnaire, en tout cas
politiquement incorrect.
8 La figure d’Amália Rodrigues (1920-1999), chanteuse reconnue internationalement, ayant
participé à plusieurs cérémonies officielles du régime, et que l’opposition surnomme
parfois la « dernière caravelle des Découvertes » pour son rôle d’ « ambassadrice », est à
ce titre emblématique. Le caractère « irresponsable » de certaines chansons qu’elle a
popularisées à l’étranger, comme « Casa portuguesa / Maison portugaise », qui rencontre
un très grand succès en France, est souligné par les opposants au régime : l’expression
« l’allégresse de la pauvreté » semble prendre pour argent comptant le discours de
propagande paternaliste, nationaliste et ruralisant10 du régime au sujet du « bon foyer
portugais » :

Numa casa portuguesa fica bem Dans une maison portugaise, on est bien

Pão e vinho sobre a mesa Le pain et le vin sont sur la table

Quando à porta humildemente bate alguém Et quand quelqu'un frappe humblement à la porte

Senta-se à mesa da gente On l'invite à s'asseoir à notre table

(...) (...)

Fica bem esta franqueza fica bem On se sent bien, dans cette franchise

Que o povo nunca desmente Que le peuple jamais ne trahit,

A alegria da pobreza L'allégresse de la pauvreté

Está nesta grande riqueza Fait toute cette grande richesse

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Le fado et la dictature : les figures de la « victime » 4

De dar e ficar contente D'être content de donner11.

9 Mais ce type de chanson à succès ne doit pas masquer d’autres aspects de sa carrière, sa
collaboration avec des intellectuels et poètes engagés à gauche, par l’intermédiaire du
compositeur Alain Oulman12 qui instaura une petite révolution dans le fado en
enrichissant musicalement les fados traditionnels et en y introduisant des poèmes de
poètes lettrés contemporains.
10 La mémoire d’une chanson comme « O Abandono / L’Abandon », chanson censurée, est
ainsi passée sous silence après la dictature. Ce fado fut rebaptisé au moment de sa sortie
« Fado de Peniche », du nom de la prison politique de la ville de Peniche, réputée pour ses
conditions de détention barbares dans laquelle Álvaro Cunhal, chef de file du Parti
communiste portugais, est plusieurs fois emprisonné et notamment, effet du hasard, au
moment de la sortie de cette chanson13.

Por teu livre pensamento Pour tes pensées libres

Foram-te longe encerrar. On t’a enfermé au loin

Tão longe que o meu lamento Si loin que mes plaintes

Não te consegue alcançar. Ne peuvent pas t’atteindre

E apenas ouves o vento Et tu n’entends plus que le vent,

E apenas ouves o mar. Et tu n’entends plus que la mer 14.

11 Subissant des rumeurs sur sa collaboration au régime15, alors qu’elle s’est défendue
publiquement de tout positionnement politique et que son amitié, son soutien financier
apportés à des intellectuels poursuivis par le régime seront portés à la connaissance de
l’opinion publique au moment de son décès16, Amália Rodrigues ne sera symboliquement
« réhabilitée » que dans les années 1980, en tant qu’artiste douée d’un immense talent
devenu un symbole international du pays. A noter qu’il s’agit bien de réhabiliter Amália
en tant que figure publique, et nullement le fado dans son ensemble, d’autant que la
production de l’artiste a largement dépassé ce seul répertoire.
12 Le mécanisme expiatoire se construit, dans les années 1960 et 70, à travers la construction
d’une opposition binaire entre fado et « chant d’intervention », lequel émerge dans les
années 1960, parmi des étudiants réfractaires de l’armée portugaise, refusant les guerres
coloniales, poursuivis par le régime et souvent émigrés à l’étranger pour cette raison.
Caractérisé par l’utilisation de la « poésie et musique d’action », selon Fernando Lopes
Graça, le chant d’intervention répond explicitement à la nécessité d’une « alternative » au
fado.17
13 On peut prendre ici pour exemple du chant d’intervention le très beau Cantar alentejano de
José Afonso. Elle se réfère à Catarina Eufémia, ouvrière agricole des plaines de l’Alentejo,
tuée par un représentant des forces de l’ordre en 1954, lors d’une révolte des ouvriers
agricoles. Chanson qui ravive la mémoire d’une victime politique directe de la dictature,
qui légitime les raisons de sa lutte, contre la pauvreté des travailleurs, chanson qui

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Le fado et la dictature : les figures de la « victime » 5

dénonce également subtilement les tentatives de « récupérations » partisanes de cette


figure de victime universelle :

Chamava-se Catarina Elle s’appelait Catarina

O Alentejo a viu nascer L’Alentejo l’a vu naître

Serranas viram-na em vida Les paysannes l’ont vu vivre

Baleizão a viu morrer Et Baleizão l’a vue mourir

Ceifeiras na manhã fria Les faucheuses dans le matin froid

Flores na campa lhe vão pôr Vont fleurir sa tombe

Ficou vermelha a campina La plaine est devenue rouge

Do sangue que então brotou Du sang qui a coulé alors

Acalma o furor campina Que ta fureur se calme, ô plaine,

Que o teu pranto não findou Ton cri ne s’est pas tu.

Quem viu morrer Catarina Qui a vu Catarina mourir

Não perdoa a quem matou Ne pardonne pas celui qui l’a tuée

Aquela pomba tão branca Colombe blanche

Todos a querem p'ra si Tous t’ont voulue rien que pour eux

Ó Alentejo queimado O Alentejo, terre brulée

Ninguém se lembra de ti Personne ne se souvient de toi

Aquela andorinha negra Une noire hirondelle

Bate as asas p'ra voar Bat des ailes pour s’envoler

Ó Alentejo esquecido Ô Alentejo oublié

Inda um dia hás-de cantar Un jour tu chanteras 18

14 Ainsi au moment de la Révolution des Œillets, coup d’état du Mouvement des Forces
Armées, c’est bien le chant d’intervention qui est unanimement et exclusivement
présenté comme le chant de la liberté, de la paix, et c’est d’ailleurs un chant

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Le fado et la dictature : les figures de la « victime » 6

d’intervention, Grândola Vila Morena, qui donne le coup d’envoi de l’opération militaire
dans la nuit du 24 au 25 avril. Par contraste, le fado est relégué au statut de chant aliéné.
Comme en témoignent ces paroles de José Mário Branco, évoquant dans « A Cantiga é uma
arma / La chanson est une arme » :

O faduncho choradinho Le fado pleurnichard

De tavernas e salões Des tavernes et des salons

Semeia só desalento Ne sème que le découragement

Misticismo e ilusões Le mysticisme, les illusions…

Canto mole em letra dura Un chant mou sur des paroles dures

nunca fez revoluções N’a jamais fait la révolution ! 19

15 Ce type de discours stigmatisant le fado20 comme intrinsèquement « faible » et incapable


de révolte – discours qui existent en fait dès le XIXème siècle – émanent curieusement,
sous la dictature, de personnalités politiques les plus opposées entre elles. Dès 1936, une
campagne d’émissions radiophoniques menée par Luís Moita, personnalité active au sein
du régime salazariste, donne lieu à la publication d’un ouvrage intitulé Fado, chanson de
vaincus dédié à la Jeunesse Portugaise, organe de l’État Nouveau formé sur le modèle des
Jeunesses hitlériennes. On peut y lire : « tant par ses paroles que par la mélodie spéciale
qui le caractérise, le fado est la négation de tous les idéaux nobles de la vie. (...) Il amollit
les nerfs, affaiblit la volonté et abrutit l'intelligence, comme l'opium ». La diffusion du
fado subit alors un véritable « acharnement critique »21. Et la représentation du fado
comme chant « auto-victimisant », suscite un très fort consensus chez les intellectuels,
opposants ou non au régime. En 1953, Fernando Lopes Graça, compositeur, musicologue
et militant du Parti Communiste évoquera « l’exécrable fado », « produit d’une débauche
de la sensibilité artistique et morale »22. On distinguera donc là deux formes de
stigmatisations qui justifient d’une part qu’on transforme le fado et qu’on le récupère
(propagande salazariste) et d’autre part, qu’on en fasse table rase pour inventer de
nouvelles formes (promotion du chant d’intervention).
16 Le cas du fado montre donc bien comment la reconnaissance du statut de victime, ne peut
se faire sans reconnaissance de la légitimité sociale du sujet en question. Aujourd’hui, si le
fado jouit indéniablement d’une légitimité patrimoniale (il est reconnu comme
patrimoine immatériel de l’humanité de l’UNESCO depuis 2011) et d’une légitimité
historique, économique, touristique, cela ne signifie pas pour autant que la question de sa
légitimité politique et surtout « thématique » soit entièrement résolue… Cette difficulté
pour le fado à émerger comme double victime, victime des contraintes ayant pesé sur sa
liberté d’expression sous la dictature d’une part, et victime des discours qui ont fait de lui
un complice naturel de la dictature d’autre part, peut être liée à son univers thématique,
à la manière dont il met lui-même en scène la figure de la victime, dans ses textes.

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Le fado et la dictature : les figures de la « victime » 7

Expression musicale et mise en scène de « la victime »


17 L’univers thématique originel du fado, celui du « destin », qui lui a donné son nom (par
dérivation du latin fatum) peut conduire à « soupçonner » ce genre musical d’être de
manière définitive et irrémédiable du côté de la résignation, de la passivité, promouvant
une vision du monde auto-victimisante, incapable de distinguer des « coupables », de
revendiquer une réparation, d’engager une forme de transformation sociale et politique.
Le fado serait-il ainsi, par « essence », le porteur d’un message conservateur, d’une
attitude face à la vie purement individualiste et fataliste, particulièrement impropre dans
le contexte d’une dictature violente et réactionnaire ?
18 Les paroles du fado, né parmi des populations pauvres et déracinées, se font, dès ses
débuts, le reflet des déterminismes qui contraignent l’être humain. Le mot fado désigne
dans la langue portugaise le « sort », la « destinée », voire la « mauvaise fortune ». Et
avant même d’être une forme musicale, le fado désigne, outre le sort, une « histoire »,
parfois tragique, « déroulée » le long d’un récit qui se transmet oralement.
19 Les paroles de fado peuvent ainsi évoquer des victimes de catastrophes naturelles, de
naufrages. Dans les textes, le « destin » vient nommer un ensemble de contraintes
caractérisées par leur suprématie sur l’être humain. Le fado Azenha velhinha (Le mieux
moulin), qui fait le récit, « témoignage impassible », et impuissant, de la crue d’une
rivière qui emporte un meunier et son fils illustre bien cet enchaînement de
conséquences funestes, l’impossibilité de fuite et l’idée que la victime ne se relève pas,
que son sort est scellé, qu’elle est sacrifiée de manière définitive. La « boucle » tragique
est manifeste dans ce très beau fado interprété par Lucília do Carmo, qui s’ouvre et se
termine par le même vers :

Aquela azenha velhinha Ce vieux moulin à eau

Na margem da ribeirinha Sur le bord de la rivière

Que por vales serpenteia Qui parmi les vallées serpente

Foi testemunha impassível Fut le témoin impassible

Da tragédia mais horrível De la tragédie la plus horrible

Que houvera na minha aldeia Qui arriva dans mon village

Naquela noite de inverno Lors d’une soirée d’hiver

O céu parecia um inferno Le ciel paraissait un enfer

Estavam os astros em guerra Les astres étaient en guerre…

E a ribeira mal sustinha Et la rivière ne retenait guerre

A grande cheia que vinha La grande crue qui venait

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Le fado et la dictature : les figures de la « victime » 8

Pelas vertentes da serra Des versants de la montagne

Vendo a ribeira a subir Voyant la rivière monter

O moleiro quis fugir Le meunier voulut fuir

Levando o filho nos bracos Portant son fils dans les bras

Pela ponte carcomida Sur le pont vermoulu

Já velhinha e ressequida Déjà bien vieux et desséché

A desfazer-se em pedaços Qui en morceaux se défaisait

Mas ai, a ponte quebrou-se Mais hélas le pont se brisa

E o moleiro como fosse Et le meunier comme s’il allait

Na cheia da ribeirinha Dans la crue de la rivière

Levou o filho consigo Emporta son fils avec lui

E nunca mais moeu trigo Et jamais plus ne moulut de blé

Aquela azenha velhinha Ce vieux moulin à eau 23.

20 Au statut impersonnel de « victime », les textes préfèrent la mise en scène dramatique, ils
parlent un langage diégétique immédiat qui permet une personnalisation très forte des
récits, sans laquelle l’identification des auditeurs au récit ne peut se faire ; les textes
préfèrent ce langage à la neutralité froide et brève du fait divers, à l’anonymat du statut
de victime qui renvoie à une pluralité de vécus, car s’il y a une victime, victime d’une
cause extérieure, il y a toujours potentiellement d’autres victimes. La notion de victime
implique une sorte d’élargissement et de banalisation24 du vécu de la victime. Or, le fado a
besoin du caractère exceptionnel, sublime, de ce qui est raconté, pour que la performance
du fado, le rituel cathartique opère, performance toujours éphémère, qui se vit dans le
risque de la rencontre, unique, entre chanteur, fadista, guitaristes et auditoire.
21 Le fado est ainsi majoritairement perçu comme un chant où la notion de victime s’efface,
au profit d’une vision de la condition humaine perçue dans sa finitude en général, plutôt
que dans un contexte social précis. Pourtant, historiquement, le fado s’est également fait
le vecteur de luttes sociales, notamment à la charnière des XIXème et XXème siècles,
distinguant de manière très explicite « coupables » et « victimes ». Durant cette période,
les textes de fado évoquent très concrètement les victimes de l’injustice sociale générée
au moment de l’industrialisation de Lisbonne (fados socialistes, anarcho-syndicalistes,
pro-républicains). D’après Rui Vieira Néry25, ces fados ouvriers, qui dénoncent
l’exploitation des travailleurs, constituent la « seule période » où le fado a été
explicitement porteur d’un discours politique, dénonçant la misère et l’exclusion sociale :

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Le fado et la dictature : les figures de la « victime » 9

A vil malta burguesa La vile clique des bourgeois

Que vive à custa da escumalha Vit aux frais de la frange sociale…

Se há cofres a abarrotar Si ses coffres sont pleins,

Não há direito de roubar Elle n'a pas le droit de voler

Dois por cento a quem trabalha Deux pourcents à ceux qui travaillent ! 26

22 Cette phase de l’histoire du fado a été tardivement prise en compte. Mais au-delà de ce
rappel historique et de la pluralité thématique de ce chant, masquée par la censure de la
dictature interdisant les thèmes revendicatifs, anticléricaux ou dérangeant la bonne
morale, le fado ne porte-t-il pas en lui, même lorsqu’il met l’accent sur des récits
purement individuels et apparemment fatalistes, une force collective émancipatrice
d’appréhension du réel ?
23 En effet, on peut voir dans le fado, un véritable outil d’appropriation, à la première
personne et dans le même temps nécessairement collectif puisque partagé dans le
contexte d’une transmission orale, du réel, sur lequel il est en prise. Les récits qu’il donne
à connaître sont toujours basés à l’origine sur un vécu, une expérience, un fait divers. Au
XIXème, on dit non pas chanter « le » fado mais chanter « son fado », ce qui traduit l’idée
de témoignage direct d’un événement, d’une histoire et de ses rebondissements, et en
tout cas une identification du chanteur avec ce qu’il chante, impliquant une forme de
responsabilité de sa part vis à vis de la signification du texte. Ainsi, les déterminismes
qu’il énonce sont le fruit d’une confrontation à la réalité de conditions de vie
quotidiennes où l’impuissance humaine s’éprouve, via les incertitudes du travail en mer,
la violence des rapports sociaux en milieu urbain, la séparation des proches ou encore la
confrontation à la maladie et à la mort.
24 Loin de se cantonner à un pur divertissement, une distraction incapable de saisir le réel et
proposant plutôt de s’en évader, le fado possède au contraire un « usage interne » très
fort, d’éducation populaire qui est celui de s’approprier, de traduire le réel, et de le
partager collectivement : le réel des populations les moins légitimes socialement qui sont
victimes des représentations dominantes. Le fado se construit un langage propre pour
faire entendre l’existence de cette réalité difficile. Et il le fait au sein d’une population
éloignée du langage normé des productions culturelles légitimes. On doit donc voir dans
la « fictionnalisation » de la victime dans le fado une condition, un rouage essentiel pour
une appropriation subjective des événements, à l’encontre du langage de l’information
objective qui tend à rendre « acceptables » les pires situations. Le fado propose ainsi une
liberté d’appropriation subjective du réel, à travers une performance spontanée et
informelle, parfois improvisée, autonome par rapport aux codes du langage dominant.
Cette manière de « dire »27 le réel par un langage poétique avant tout oral et populaire
rend possible une prise de conscience, c’est à dire une véritable « interprétation » du réel,
comme il y a une « interprétation » musicale de la part du chanteur. Le sens du texte d’un
fado, qui ne peut être pris à la lettre, dépend de la réception collective qui en est faite, car
le fado est avant tout un art de scène, une performance communicative : gestes du
chanteur, jeux de regards, intonations ironiques, doubles sens, suggestion, humour,

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Le fado et la dictature : les figures de la « victime » 10

enrichissent ou orientent le sens du texte, dévoilant une intention du chanteur,


nullement passif. Il y a donc du « jeu » dans le rituel fadiste, un va et vient entre
l’authentique et le simulacre, une fausse naïveté, qui permet à la communauté fadiste
d’aller « cogner » le réel, dans toute sa diversité, voire son absurdité. A travers cette
dimension ludique, s’affirme une liberté de sens, ou de non sens de la vie, et une volonté
de croire à la chance, au « destin ». Au fond, cette liberté, qui passe par une connaissance
des déterminismes, dérange l’idée dominante du libre arbitre, fondement de l’idéal
progressiste européen. Si le fado ne peut être pleinement « légitime », aujourd’hui
encore, c’est peut-être parce que le réel qu’il reflète, épars, immaitrisable, revêt une
vérité insupportable, qui met l’accent sur l’aléatoire et la finitude de la condition
humaine.
25 Aujourd’hui, les représentations du fado sous la dictature semblent quelque peu libérées
d’une certaine cristallisation qui a eu lieu après la Révolution des Œillets. L’anthropologie
et l’ethnomusicologie28 se sont penchées sur le fado pour mettre le doigt sur l’effet
déformant que sa diffusion de masse, à travers les différents supports médiatiques que
furent le disque, le théâtre et la radio, avait provoquées sous la dictature.
26 Plusieurs groupes de musique portugaise font aujourd’hui des allusions à la
« diabolisation » de ce genre musical. C’est le cas du groupe Deolinda, dans leur chanson
au titre explicite : « O fado não é mau / Le fado n’est pas mauvais » 29. Une réhabilitation
depuis l’intérieur s’opère, au sein des mémoires portugaises, au-delà de la légitimation
internationale du fado par des élites culturelles européennes, sur le marché des musiques
du monde, auprès d’un public non nécessairement lusophone, qui, elle, a commencé dès
les années 1990.
27 Le miroir déformant de l’ « usage externe » d’un fado de grande échelle, diffusé
massivement, qui tend à mettre l’accent sur des thématiques très formatées – le
déterminisme venant se mêler à un discours de propagande nationaliste sur la prétendue
« identité » portugaise – laisse ainsi la place aux parties immergées, moins connues, d’un
fado « à usage interne »30, beaucoup plus protéiforme, structurant sa véritable fonction
sociale, à savoir refléter et s’approprier le réel, collectivement.

BIBLIOGRAPHIE
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Brito, Joaquim Pais de, “Le fado: ethnographie dans la ville”, dans Recherches en Anthropologie du
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Le fado et la dictature : les figures de la « victime » 11

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Nery, Rui Vieira, Para uma história do fado, Lisboa, Público-Corda Seca, 2004.

Nery, Rui Vieira, Fados para a República, Lisboa, Imprensa nacional – Casa da Moeda, 2013.

Pellerin Agnès, « Fado et contestation », dans Latitudes, Cahiers lusophones, n°26, avril 2006.

Pellerin Agnès, Le fado, Paris, Chandeigne, 2003.

Pénet, Martin, « L'expression homosexuelle dans les chansons françaises de l'entre-deux-guerres


: entre dérision et ambiguïté », Revue d'histoire moderne et contemporaine, 2006/4 n° 53-4, p.
106-127.

Silva, Manuel Deniz, «La musique a besoin d’une dictature»: Musique et politique dans les
premières années de l’Etat Nouveau (1926-1945), thèse de doctorat, Université Paris VIII, 2005,
p. 386.

Silva, Manuel Deniz, « Musique nationale et mémoire collective : le débat critique autour de
l’identité du fado dans les années 30 », dans Musique et mémoire, L’Harmattan, Paris, 2003.

NOTES
1. Pour appuyer cette idée d’une méconnaissance du fado au Portugal, on peut citer ici Joaquim
Pais de Brito qui évoquait en 2001 une « illusion de familiarité » des Portugais avec le fado. (Brito,
2001 p. 103).
2. Pénet, 2006, p. 106.
3. Pellerin, 2003, p. 80.
4. Voir l’ouvrage de Rui Vieira Néry, spécialiste de l’histoire du fado, consacré spécifiquement
aux Fados républicains. (Néry, 2013).
5. Fassin, Rechtman, 2007, p. 16.
6. Sur la question de la répression des fadistes, encore mal connue, on peut citer ici Manuel Deniz
Silva qui évoque l’exemple de la fadiste Deonilde Gouveia, arrêtée en février 1932 pour avoir
« chanté en public des vers considérés de propagande subversive », puis finalement relâchée.
(Silva, 2005, p. 386).
7. La présence d’un refrain constituera l’une des caractéristiques spécifiques de la plupart des
“fados-chansons”, par opposition aux “fados traditionnels” ; les fados chansons se développent
au moment de la diffusion de masse du fado. Pour plus de précisions sur la diversité formelle du
fado, voir Castelo Branco, 1998.
8. Revue A Canção do Sul, Lisbonne, 1932.
9. Comme l’explique bien Manuel Deniz Silva, « la mémoire collective » du «groupe social qui
était à l’origine du fado» lui fut peu à peu «confisquée». (Silva, 2003, p. 202)
10. Sur la ruralisation de Lisbonne par la propagande, la « sentimentalisation » du foyer, et le
retour imaginaire à une ère préindustrielle pour empêcher la capitale de cultiver une culture
ouvrière, voir Gray, 2001, p. 147.
11. « Casa portuguesa / Maison portugaise », Reinaldo Ferreira, chanson de 1953. Traduction de
l’auteur.
12. Arrêté par la police politique en 1966, Alain Oulman sera libéré de prison notamment grâce à
ses contacts dans les milieux intellectuels français.

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Le fado et la dictature : les figures de la « victime » 12

13. Voir à ce sujet le film Com que voz réalisé par Nicholas Oulman (2009).
14. « Abandono / Abandon », David Mourão Ferreira, album Busto, Lisboa, 1962. Traduction de
l’auteur.
15. « Pour les opposants de l’État Nouveau, tout ce qui pouvait promouvoir l’image du Portugal à
l’étranger, faisait également la promotion du régime, la supposée neutralité politique de la
fadiste signifiait nécessairement son appui au gouvernement de Salazar, attitude impardonnable
en cette période d’intense polarisation idéologique. » (Monteiro, 2013, p. 67).
16. Notamment par José Saramago, prix Nobel de littérature, au lendemain de sa mort en 1999.
17. Voir Côrte Real, 1996, p. 155.
18. « Cantar alentejano », José Afonso, album Cantigas do Maio, enregistré en région parisienne en
1971. Traductions françaises de José Afonso dans Vingt chansons de mai, association Mémoire Vive,
2010.
19. José Mário Branco « A cantiga é uma arma », enregistré en 1976, G.A.C. Traduction de
l’auteur. (Voir Pellerin, 2006).
20. La virulence des positions défendues à l’encontre du fado qui s’explique par le contexte
politique des années 60-70, est illustrée par certaines images d’archives de Chant en exil de
Dominique Dante (1973), présentes dans le film Mudar de vida de Pedro Fidalgo et Nelson Guerreio
(2015). “Le fado, il faut le vomir!”, s’y exclame l’un des chanteurs.
5B du fado dans les années 30 5D qui annonça les premiers pas d’une
21. « Cette diffusion F0 F0

consommation culturelle de masse fut l’objet d’un acharnement critique venu de presque tous les
secteurs intellectuels de l’époque », écrit Manuel Deniz Silva (Silva, 2003, p.202). Et plus loin: « La
mémoire collective se constitue par stratification, ces strates se distinguant par des contenus
divers (musicaux, philosophiques, sociologiques et idéologiques) parfois divergents (…) Le
discours des intellectuels hostiles au fado F0
5B dans les années 30 5D constitua une couche importante
F0

dans la structuration de cette mémoire. » (Silva, 2003, p. 212


22. Extrait de A canção popular portuguesa de Fernando Lopes Graça (1953). Pour un éclairage
approfondi et nuancé des positions antérieures de Fernando Lopes Graça sur le fado, dans les
années 30, voir Silva, 2005, p. 395.
23. « Azenha velhinha / Le vieux moulin à eau » paroles de Frederico de Brito. Répertoire de
Lucília do Carmo, 1960. Traduction de Nicole Siganos, Fado une anthologie, Paris, Chandeigne, 1998.
24. « L’universalisation du traumatisme conduit à sa banalisation. » (Fassin, Rechtman, idem).
25. Voir Néry, 2004, histoire très complète du fado, traduite en français en 2015 aux éditions de
La Différence.
26. Alfredo da Penha, cité dans Carvalho, 1903.
27. La « diction » est d’ailleurs l’un des critères appliqués par les jurys de fado, lors des concours
de fado.
28. Sur les travaux anthropologiques et ethnographiques sur le fado, voir principalement le très
riche catalogue de l’exposition « Fado, Vozes e sombras » (Brito, 1994).
29. Deolinda, « O fado não é mau », album Canção ao lado, iPlay, 2008.
30. Sur la distinction chanson à usage externe et à usage interne, voir Martin Pénet, idem p. 123.

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Le fado et la dictature : les figures de la « victime » 13

RÉSUMÉS
Aujourd’hui, 40 ans après la fin de l’Etat Nouveau (1933-1974) au Portugal, le fado, chant soliste
accompagné à la guitare, reste majoritairement représenté dans l’imaginaire collectif portugais
comme un « complice » naturel de cette dictature. Pourtant le fado, chant populaire spontané,
très longtemps considéré comme une sous culture, a subi durant cette période une atteinte à sa
liberté d’expression. Certes, il a paradoxalement connu une diffusion de masse et le régime a
voulu voir en lui un support facile de propagande. Mais le fait que le fado reste perçu comme le
symbole moteur d’une idéologie réactionnaire masque la censure dont il a été victime et
l’enferme dans un cadre interprétatif qui illustre la complexité de la transition démocratique
portugaise. Cristallisant, par son origine thématique (peinture réaliste des « malheurs » de la
vie), l’idée de « résignation » humaine, le fado a été stigmatisé, par opposition à son double
positif que fut la « chanson engagée », émancipatrice, apparue dans les années 1960. Démontrant
ainsi comment la reconnaissance du statut de victime présuppose avant tout une pleine
légitimité sociale.

Today, forty years after the end of the Estado novo (1926-1974) in Portugal, the fado, performed
by a solo singer accompanied by guitars, is ever considered, in the collective Portuguese
imaginary, as a natural accomplice of this dictatorship. However, this popular spontaneous song,
considered during a long time as a « subculture », suffered during this period violations of his
freedom of expression. Fado paradoxically knows a mass diffusion and the power considered it as
an easy tool of propaganda. But the fact that the fado has been looked as an active symbol of a
reactionary ideology hide the censorship he suffered and enclosed it in a limited interpretative
frame that shows the complexity of the Portuguese democratic transition. Due to his poem topics
(realistic picture of the “sadness” of life), fado crystallized the idea of a human « resignation »,
and turned scapegoat, as opposed to the “protest song”, defending liberty, born in the 1960’s.
Showing us that the status of victim requires, first of all, a social legitimacy.

INDEX
Mots-clés : État Nouveau, chanson populaire, censure, chanson engagée
Keywords : Estado novo, popular song, censorship, protest song

AUTEUR
AGNÈS PELLERIN
Formée en littérature et philosophie, auteur d’un essai sur l’histoire du fado (Le Fado,
Chandeigne, 2003) et sur l’histoire de la présence des Portugais en Ile-de-France (Les Portugais à
Paris, au fil des siècles et des arrondissements, Chandeigne 2009), Agnès Pellerin poursuit aujourd’hui
ses activités de chercheuse indépendante.

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