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REVUE

DE

TRANSYLVANIE

CLUJ, ROUMANIE
MARS—AVRIL 1936
EN MARGE DES DÉCLARATIONS DE S.M. LE ROI
CHARLES II A L’ÉTRANGER
Une fois de plus, et cette fois avec une autorité accrue par la voix
de son « premier citoyen, de son premier soldat » et du suprême repré­
sentant de sa souveraineté dans les relations internationales, la Rou­
manie vient de se prononcer sur les grands problèmes qui s'agitent
entre les peuples et sur les plus importantes questions qui la préoc­
cupent elle-même dans sa vie intérieure d'État souverain. Profitant
d’un voyage en Occident réclamé par de douloureux devoirs à l’égard
d’un auguste défunt, le Roi George V de Grande-Rretagne, Son parent
et l’ami de Son pays, le Roi de Roumanie Charles II a entendu con­
tinuer au-delà des frontières de servir le pays à l’âme et aux destinées
duquel II s’est si profondément identifié. Chacune de Ses paroles
s’est inspirée des intérêts permanents de la Roumanie unifiée, cha­
cune de Ses déclarations —■ qui ont fait le tour du monde — s’est
exprimée dans la ligne défà traditionnelle de notre politique étrangère,
dans la connaissance et ï interprétation pleines et objectives des prin­
cipes du statut fondamental de la nouvelle communauté internationale,
ainsi que de la position et des droits de la Roumanie dans les cadres
de cette nouvelle famille d’États.

A
* *

Inspirées en premier lieu de la nécessité d’une politique de paix


méthodique et constante mais qui n’implique aucune abdication, au­
cune atténuation d’un droit de défense imposé comme une nécessité
nationale par un régime de «paix branlante..., de régression de
l’idée de droit vers celle d’équilibre b (G. Scelle), les déclarations de
S. M. le Roi au-delà des frontières ont débuté par une profession
274 G. SOFRONIE

de foi : « Je désire la paix du fond du cœur. Toutefois cela ne signifie


pas que Je sois un pacifiste à tout prix et que J’estime que dans la
situation actuelle de la politique mondiale il fetili que nous désarmions.
En dernière analyse nous devons être préparés, afin de pouvoir au
besoin combattre pour notre idéal. C’est là une impression accablante,
alors que notre idéal est la paix. Mais si nous sommes sages et puis­
sants, il faut que nous soyons prêts à combattre.
Lorsque d’autres persistent dans une politique de force pour ap­
puyer leurs arguments, il faut que nous aussi nous soyons forts ».
Et pour mieux souligner la manière dont la Roumanie entend se
rallier à ce « droit à la paix générale » de l’humanité civilisée, dans
lequel les doctrinaires du nouveau droit des gens voient un droit supé­
rieur aux droits et aux intérêts de tout État, quel qu’il soit, S. M.
le Roi Charles 11 a ajouté que l’objet fondamental de la politique de
la Roumanie est « de rester étroitement unie à la France et à la Grande-
Rretagne et de jouer son rôle de soutien de la Société des Nations.
C’est pourquoi la sécurité collective est et doit rester la politique de
la Roumanie ».
Ainsi la Roumanie, quoique si proche de l’Italie par le sang et
les affinités spirituelles, a dû adopter la politique des sanctions gene­
voises, parce que « .. .le principe qui est à la base des sanctions était
trop important pour qu’une autre décision fût possible pour nous. . .
Certes l’adoption de sanctions contre l’Italie a été pour nous parti­
culièrement désagréable, aussi bien au point de vue sentimental qu’au
point de vue de nos intérêts. Nous sommes Latins et nous sentons des
attaches de sympathie naturelle avec les Italiens. De plus, les sanc­
tions ont frappé nos intérêts matériels, car elles signifient une perte
sérieuse pour notre commerce et une diminution importante pour
notre budget, relativement réduit ».
Malgré tous les dommages soufferts, la Roumanie entend servir
avec loyauté son idéal et celui de l’humanité: une paix durable grâce
à l’organisme de Genève. C’est pourquoi, a dit le Roi Charles, « nous
serons toujours pour la coopération internationale avec la France,
avec nos amis de la Petite Entente et de l’Entente Ralkanique et avec
la Société des Nations ».
Ainsi, à côté de ses actes et de ses contributions dans le domaine
international, tous dans la même ligne politique définie depuis plus de
quinze ans, tous traduisant son aspiration à une paix durable fondée sur
le respect des traités, ainsi que l’ont voulu les constructeurs du nouvel
ordre international et de cette « Europe du droit » selon l’expression
EN MARGE DES DECLARATIONS DE S. M LE ROI CHARLES II 275

de Georges Clemenceau, la Roumanie confirme par la bouche de Celui


qui est le mieux à même de garantir l’orientation permanente de ses
relations internationales, la constance de sa politique. Et cela, dans
un temps où la succession précipitée des événements extérieurs a dé­
terminé de surprenants et souvent dangereux changements d’attitude
de la part d’autres Etats. C’est donc à bon droit qu’on a pu dire qu après
les déclarations récentes du Roi Charles, la Roumanie apparaît plus
que jamais comme « l’inébranlable pivot de la paix » en Europe centrale,
le facteur capital du maintien et de la garantie, dans cette partie du
continent, du statut territorial et politique dont dépend dans une si
large mesure la sauvegarde de la paix générale.


* *

Mais abordant aussi des problèmes d’intérêt direct et immédiat


pour la Roumanie, S. M. le Roi Charles a désiré fixer dans ses décla­
rations le point de vue national aussi bien sur la question, artificiel­
lement maintenue à l’ordre du four, de la révision des traités que sur
celle des minorités : « La Hongrie doit reconnaître, a précisé le Roi
Charles, que nous ne pouvons admettre aucune modification des traités
de paix. Il ne peut y avoir aucune ombre de discussion sur la révi­
sion des traités. Sur ce point Je crois pouvoir parler non seulement
pour Mon pays, mais aussi pour la Petite Entente. Jamais il n’a
été au pouvoir des hommes de tracer une ligne de frontière parfaite.
Je sais qu’il existe des Hongrois à l’intérieur des frontières de la Rou­
manie, mais Je sais aussi qu’il y a des Roumains qui sont restés
à l’intérieur des frontières de la Hongrie. Nous ne faisons, nous,
aucune espèce de propagande sur ce thème... Je reconnais que Je
suis aujourd’hui le souverain d’un pays qui, à côté de sa majorité
écrasante de Roumains, comprend aussi d’importantes minorités
d’autre race. Je garde toujours présente à l’esprit cette situation lorsque
Je pèse Mes décisions politiques. Je ne ferai jamais rien qui aille
contre la grande majorité des Roumains. Toutefois cela ne signifie
pas que nous ne devions pas respecter les droits des minorités. Je
tiens à vous dire que les Hongrois de Roumanie ne sont pas mécon­
tents, à l’exception bien entendu de ceux qui ne sont préoccupés que
de leur situation politique.
Il va de soi que nul ne peut s’attendre à ce que la Hongrie soit
pleinement satisfaite : le peuple hongrois est un peuple de grands
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patriotes et c'est pour lui une pensée douloureuse que des territoires
qui ont appartenu un jour à la Hongrie aient dû lui être enlevés.
Mais la Hongrie doit finir par reconnaître que cette question appar­
tient non pas au présent et à l'avenir mais au passé. Si l’on
permettait qu’il fût porté atteinte à un seul traité, ils s’effondreraient
tous et cet effondrement aurait des conséquences désastreuses. A Mon
avis ce n’est que sur des bases économiques que l'on pourra arriver
à résoudre la question de Hongrie. Mais la Hongrie doit comprendre
que la révision des frontières n'est pas possible ».
En s'exprimant en ces termes, dont la clarté et la précision mani­
festent une intelligence profonde de la pensée politique de la nation
et de son opinion publique touchant ces deux problèmes d’importance
capitale, le Roi Charles a montré à l’Occident si souvent inquiet du
sort d’une paix menacée par les interventions successives des prota­
gonistes du révisionnisme et de ceux qui agitent le problème des mino­
rités, que pour l’État roumain, construit aujourd’hui sur le principe
de la « nation satisfaite », ces problèmes sont à jamais tranchés. Par­
tant, si l’Occident désire la consolidation de la paix générale, il doit
les considérer lui aussi comme tels, toute tentative pour les poser à
nouveau signifiant une provocation belliqueuse et devant amener un
état de tension dommageable au maintien et à l’amélioration des rap­
ports entre nations.
Il ne faut pas oublier en effet que les frontières actuelles sont le
résultat de l’évolution séculaire des nations autrefois opprimées,
évolution qui s’est opérée dans le sens de leur unité nationale ; et que
d’autre part, aux minorités réduites mais non supprimées grâce à
l’application relative du principe des nationalités dans les traités de
paix de 1919—1920, il a été assuré un statut juridique de protection
beaucoup plus large que n’importe quel régime minoritaire dans le
passé. Mais ce statut n’était pas destiné à devenir une arme aux mains
de ceux qui visent à la modification de la carte politique et territoriale
actuelle, contre les États mêmes qui, dans un geste de générosité,
ont bien voulu accepter ce nouveau régime de protection, sensiblement
restrictif de leur souveraineté.
Ces vérités, dont les chancelleries doivent toujours plus se pénétrer
si l’on désire sincèrement la consolidation du nouvel ordre interna­
tional, ont été formulées, avec une autorité et une dignité reconnues
de tous, par le Roi de Roumanie. Par la voie de journaux répandus,
comme le « Daily Telegraph » et d’autres, elles ont été de nouveau
présentées à cette opinion publique occidentale qui est un facteur
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décisif de l’orientation politique internationale mais qui, quelquefois,


par suite d’une connaissance incomplète des réalités de l’Europe centrale
et orientale, s'est laissé abuser par les courants révisionnistes. De la
sorte, un service précieux a été rendu à la cause de la paix, en même temps
qu’une nouvelle confirmation publique a été apportée à la politique
étrangère de la Roumanie, constante de 1919 à nos fours dans la voie
imposée par la nouvelle mission historique de TÉtat roumain unifié:
celle d’être un gardien de l'ordre, de la paix et de la civilisation dans
cette partie de l’Europe.

GEORGÇ SOFRONIE
Professeur à V Université de Cluj.
INFLUENCE DE L’ART POPULAIRE DES ROUMAINS
SUR LES AUTRES PEUPLES DE ROUMANIE ET
SUR LES PEUPLES VOISINS
INTRODUCTION

L’historien de l’art H. Tietze, de Vienne, dans son ouvrage


capital sur la méthode en histoire de l’art x), s’efforce d’établir un
critère permettant d’estimer si une œuvre d’art est historique, et il
aboutit à la considération de l’effet produit sur la postérité ; d’autre
part, afin de fonder la classification des valeurs historiques dans le
domaine de l’art, il étudie l’intensité et l’extension dans le temps
et dans l’espace géographique de l’effet produit ; ainsi donc, posséde­
ront une signification historique toutes les œuvres d’art qui auront
produit un effet remarquable de leur temps et sur la postérité, soit
par les influences exercées sur les artistes créateurs ou par le nombre
des copies et des reproductions, soit par les appréciations, descriptions
ou mentions qu’on en trouvera chez les écrivains ou dans la tradition
verbale : « Gewirkt also historisch bedeutungsvoll ». Une telle con­
ception n’est pas éloignée de celle de G. Tarde* 2): «l’histoire est
la collection des choses les plus réussies c’est à dire les plus imitées ».
Un autre savant non moins réputé et qui s’est occupé aussi de mé­
thodologie, J. Strzygowski3), recherche les forces autochtones (Be-
harrung), les valeurs propres (Eigenwerte) dans l’art d’un peuple
ou d’une région, afin de les séparer des valeurs d’emprunt (Lehn-
werte) acquises au contact d’autres peuples ou d’autres régions.
Plus l’art d’un peuple est remarquable, robuste, original, plus les
effets et les influences qui en proviennent sont nombreux et variés.

*) N. Tietze: Die Methode der Kunstgeschichte. Leipzig, 1913, p. 18.


2) G. Tarde: Les Lois de l'imitation. Paris, 1900, p. 151.
3) J. Strzygowski: Die Krisis der Geisteswissenschaften. Vienne, 1923, pp.
218—238 et 249.
INFLUENCENCE DE L’ART POPULAIRE DES ROUMAINS 279

L’importance artistique d’un peuple ne se mesure pas seulement aux


qualités esthétiques supérieures et à l’originalité de ses œuvres,
mais aussi à leurs effets, aux influences exercées sur d’autres peuples.
Dans les pages qui suivent nous nous proposons d’étudier, autant
que le permet le cadre de cette revue, l’effet et les influences de l’art
populaire roumain, c’est à dire essentiellement de notre art rustique,
sur les peuples vivant à nos côtés en Roumanie et sur les peuples nos
voisins. Nous nous occuperons d’abord des arts plastiques et déco­
ratifs, puis nous passerons à la poésie, à la musique et à la danse pour
nous assurer si dans ces domaines aussi l’art populaire roumain a eu
quelque influence. Enfin nous nous demanderons si cet art roumain
n’a eu d’effet que dans le dernier siècle et le siècle présent, ou si
l’extension de cet effet dans le temps est plus vaste. Il est surprenant
que ce problème si important de l’influence de l’art roumain n’ait pas
fait jusqu’ici l’objet d’une étude détaillée, bien que la nécessité en
ait été reconnue: ainsi A. Veress *2) estime que les influences récipro­
ques du peuple roumain et du peuple hongrois sont séculaires et
ininterrompues « mais qu’elles n’ont guère été mises en lumière ».
I. Brenndôrffer 2), K. K. Klein 3) et d’autres reconnaissent aussi des
influences roumaines chez les Saxons de Transylvanie mais consta­
tent qu’elles n’ont pas été analysées jusqu’ici dans une étude mono­
graphique.
Nous avons en outre des voisins qui, sans doute par crainte des
résultats, trouvent de telles recherches inopportunes, sous le prétexte
que les matériaux n’en auraient pas encore été suffisamment ras­
semblés et étudiés; or il n’est jamais inopportun pour la science
d’avoir une image fidèle du stade actuel des recherches, quel que
soit leur degré de développement. Nous connaissons l’opinion de
chercheurs hongrois à l’horizon obscurci par la politique ou volon­
tairement rétréci, tels que J. Iankô4), Ch. Viski5), B. Bartók6), L.

x) A. Veress: Bibliografia română-ungară. Bucarest, 1931, I, p. XXII.


2) I. Brenndôrffer: Romdn(oldh) elemek az erdélyi szdsz nyelvben. Budapest,
1902, p. 91.
3) K. K. Klein: Rumanisch-Deutsche Literaturbeziehungen. Heidelberg, 1929;
E. Grigorovitza: Românii în monumentele germane medievale. Bucarest, 1901.
4) J. Jankó: A kalotaszegi és erdélyi magyarsdgról. Cluj, 1892; Kalotaszeg
magyar népe. Budapest, 1892; Torda, Aranyosszék, Toroczkô magyar (székely)
népe. Budapest, 1893.
5) Ch. Viski : Székely Szônyegek. Budapest, 1928 ; Székely himzések. Budapest,
1924; A székely nép müvészetérol. (Székely Nemzeti Mûzeum Emlékkônyve).
Sft. Gheorghe, 1929.
6) B. Bartok: Népzenénk és a szomszéd népek népzenéje. Budapest, 1934.
280 CORIOLAN PETRAN

Debreczeni1), lesquels évitent volontairement jusqu’à la simple


mention des influences roumaines, ou même nient leur existence,
ce qui est absurde a priori, car des peuples qui vivent durant des
centaines d’années côte à côte s’empruntent toujours mutuellement
des biens matériels et spirituels ; nous savons même certaines tenta­
tives pour inverser les rôles de créateur et d’emprunteur, inspirées
de mobiles étrangers à la science. Nous n’avons guère jusqu’à présent
que des observations et des impressions, souvent fort justes, dis­
persées dans des monographies, des revues, des journaux, plutôt
que des analyses méthodiques ; elles n’en méritent pas moins l’atten­
tion, car elles peuvent servir de base d’enquête ou de discussion,
même si parfois elles doivent être complétées, précisées ou en partie
modifiées. Rassemblées, elles suffiraient même à ouvrir des perspec­
tives nouvelles, et comme elles expriment en grande majorité l’opi­
nion de savants non-roumains, on ne saurait les tenir pour partiales
ou intéressées.

I. INFLUENCES SAVANTES ET RELIGIEUSES

Certes il existe aussi, sur les Roumains, une influence des peuples
qui vivent auprès d’eux ou dans le voisinage de leurs frontières, mais
l’étude de cette influence n’entre pas dans notre plan ; au surplus, en
matière d’influences réciproques, la proportion entre ce qu’a reçu et
ce qu’a donné un peuple est décisive. Dans notre communication au
Congrès international des sciences historiques de Varsovie (1933),
publiée dans un numéro précédent de cette revue * 2), nous avons
posé cette question: lequel des trois peuples de Transylvanie a-t-il
été plus fécond et a-t-il eu plus d’influence? et nous avons répondu
par ces deux points, évidents pour cette province: en matière d’art
savant, les Saxons, dans l’art populaire, les Roumains. Il est naturel
en effet que l’influence roumaine transylvaine se manifeste dans
l’art populaire rustique et non dans l’art savant et religieux, car les
Roumains, en raison de leur rite oriental, ont un art savant fondé
sur l’art byzantin, tandis que les Saxons et les Hongrois, catholiques

T) L. Debreczeni: Erdélyi Reformâtus templomok és tornyok. Cluj, 1929;


Arta populară maghiară (Transilvania etc.). Bucarest, 1929.
2) C. Petranu: La part des trois nationalités de la Transylvanie dans la for­
mation de son caractère artistique. « Revue de Transylvanie », T. I, No. 4, p. 461.
INFLUENCE DE L’ART POPULAIRE DES ROUMAINS 281

ou protestants, relèvent de l’art occidental. Malgré cela, des influences


roumaines se font sentir jusque dans l’art savant des Hongrois.
Rappelons quelques exemples. Divald *) voit l’influence de la so­
lennité rigide de la peinture byzantine, par exemple de celle de Curtea-
de-Argeș, dans l’autel de Șumuleu (Csiksomlyó), de la fin du XV-e
siècle. Le même auteur constate aussi d’autres influences byzantines
en Transylvanie jusqu’au XV-e siècle. Les icônes de caractère by­
zantin, écrit Divald, sont ici, selon toute probabilité, les œuvres de
peintres de Hongrie ou de Transylvanie qui, aux XlV-e et XV-e
siècles, ont travaillé au-delà des Carpathes, dans les pays balkani­
ques voisins du Danube, d’où ils sont revenus plus d’une fois avec
les copies d’anciennes icônes byzantines dites classiques, comme c’est
le cas pour les peintures de l’église de S-te Marie d’Orlea. (Observons
ici de quelle manière Divald évite de parler de la Vaia chie, de même
que Genthon * 2), lorsqu’il écrit que les formes rigides de l’autel de
Mălăncrav lui rappelle celles des icônes russes). T. Gerenzani consi­
dère, les peintures de Sânta Maria Orlea comme destinées primiti­
vement au culte orthodoxe. Non seulement la peinture byzantine de
cette église, avec ses inscriptions en caractères cyrilliques, mais
aussi son architecture appartient aux Roumains. Les Hongrois en
ont hérité lorsque le noble seigneur de la commune, Kendefi, d’origine
roumaine, a renié sa foi orthodoxe 3). Il existe encore d’autres cas.
En général, quand une partie des fidèles roumains passait à une
autre religion, on prenait leur église aux orthodoxes: ainsi pour
les églises de Turdaș, d’Abrud, de Cetatea de Baltă 4). Dans l’église
de Remetea (Bihor) la peinture ancienne byzantine avec ses inscrip­
tions slavones (et non pas grecques) de l’entrée qui est sous la
tour prouve bien son appartenance primitive roumaine et non pas
l’usage commun qu’en auraient fait catholiques et orthodoxes 56 ).
Dans de semblables cas les possesseurs et peut-être même les artistes
étaient des Roumains. Nous avons même le cas bien connu d’un

K. Divald: Székely szârnyas oltârok. Székely Nemzeti Mûzeuna Emlék-


kônyve. Sft. Gheorghe, 1919, p. 408.
2) Et. Genthon: A régi magyar festômüvészet. Vâc, 1932, p. 127.
3) Rêvai: Lexikon, vol. XI, p. 455 et V. Motogna: Familia nobilă Cînde,
« Revista Istorică », 1926, pp. 68—80.
4) E. Meteș: Istoria bisericii românești din Transilvania. Sibiu, 1935, pp.
147, 414, 170; Zugravii bisericelor române. Cluj, 1929, p. 112; T. Gerenzani:
Paesaggi rumeni. Turin, 1931.
6) J. Nemethy: « Archaeológiai Értesitô », XLII, p. 236. Budapest, 1928.
282 CORIOLAN PETRAN

peintre roumain qui a travaillé dans un château hongrois : l’arche­


vêque Iorest, étant réputé pour son talent de peintre, fut enchaîné
puis forcé d’orner de peintures le château du prince Georges Râkôczi
I-er à Iernut, en 1643 -1). L’icône miraculeuse de 1681, du peintre
roumain Luca, d’Iclodul Mare, fut mise sous séquestre par le comte
Sigismund Komis et l’original (ou sa copie) est aujourd’hui vénéré
au-dessus de l’autel principal de l’église des Piaristes à Cluj 12). Le
portrait votif de l’évêque roumain Anastase, de Vad, avec une ins­
cription de 1531 et peint probablement en Moldavie, se trouve
aujourd’hui chez l’évêque catholique latin (hongrois) d’Alba-Iulia 3).
Au château Banfi, de Răscruci (Valasut), un paysan roumain plein
de talent, loan Câmpian (Mezei) a sculpté dans un style néo-Renais-
sance des meubles et des boiseries qui décorent jusqu’aux salles
d’apparat. Enfin la plaque portant l’écusson sculpté de la Moldavie,
provenant du château fort de Ciceu et qui date du possesseur de la
forteresse, Etienne le Grand de Moldavie, a été enclavée dans la
chaire du temple réformé du village d’Uriul-de-sus en 1544, après
que la forteresse fut rasée 4).
Le portail de pierre de l’église de Sântimbru (Alba) et le
tabernacle de Porunbenii-Mari (Odorhei) révèlent l’influence des
sculptures roumaines sur bois (Voir G. Treiher, « Vierteljahrs-
schrift» 1935, qui les considère à tort comme germaniques, de
l’époque des invasions barbares).
Malgré ces témoignages, il va sans dire que l’art religieux savant
des Roumains de jadis a eu son expansion surtout dans l’Orient
chrétien orthodoxe et non chez les peuples catholiques. Les princes
et les seigneurs ou boyards de Moldavie et de Mounténie (Valachie),
dès le XlV-e siècle et jusqu’au XlX-e siècle, n’ont pas cessé d’en­
richir d’objets du culte, grâce à leurs nombreuses donations, les
trésors des monastères et des églises de l’Orient orthodoxe, ceux
du mont Sinaï, de St. Sabbas de Jérusalem, du Mont Athos, de

1) S. Dragomir: «Anuarul Institutului de Istorie Națională», II, p. 69.


Cluj, 1926.
2) G. Mânzat: Originea și istoria icoanei Maria delà Nie nia. Cluj, 1923.
3) N. Iorga: Icoana românească. « Bui. Com. Monum. Istor. », XXVI, 75,
p. 11. Vălenii de Munte, 1933.
4) Et. Meteș : « Mémoires de l’Académie roumaine, section historique »,
série III, tome VII, p. 7.
Voir notre communication à la séance des sections de l’Astra (29 juin
1925, Cluj), reproduite dans le journal « Biruința » du 2 juillet 1926, ainsi que L.
Kelemen, « Müvészeti Szalón », I, 1. p. 7. Cluj, octobre 1926.
INFLUENCE DE L’ART POPULAIRE DES ROUMAINS 283

Chypre, de Rhodes, de Paros, de Pathoms d’Epire, de Météoris, d’A­


thènes et de Constantinople ; ils ont aidé à la construction ou à la
restauration d’édifices religieux. L’album édité par M. Beza, avec ses
trois cents illustrations, nous en convainc pleinement1). Toutes ces
œuvres d’art d’une réelle valeur et qui ont accru le patrimoine artis­
tique byzantin n’ont pu rester sans influence. Les ouvrages précieux,
surtout les évangéliaires, envoyés par notre pays ont été imités
par des moines Calligraphes et des maîtres-enlumineurs de l’endroit * 2).
Les Grecs enrichis en pays roumain et qui s’en retournaient dans
leur patrie, en Epire et en Thessalie, y ont décoré des églises avec le
concours d’artistes qu’ils avaient pu connaître et apprécier au-delà
du Danube 3) ; on sait que les Grecs reconnaissent même, dans les
peintures du Mont-Athos, le genre « moldo-valaque », absolument
différent de leur genre propre 4). J. Strzygowski 5) relève l’influence
considérable qu’ont eue les voïvodes moldaves et valaques sur l’art
du Mont-Athos, grâce à leurs fondations, établissements et donations,
grâce aussi à l’apport fécond d’idées et de thèmes théologiques, de sorte
que le Mont-Athos a moins agi sur la Moldavie que la haute culture des
monastères de Bucovine ne s’est répercutée sur la montagne sainte.
En Galicie nous trouvons un certain nombre de fondations reli­
gieuses roumaines: par exemple, à Lwôw (Léopol) le fondateur de la
première « église moldave » a été Alexandre Lăpușneanu, en 1559 ;
ceux de la seconde ont été les Movilești, vers la fin du XVI-e siècle
et le début du XVII-e. Des objets du culte d’origine moldave, puis
des iconostases se trouvent dans les églises ruthènes de Galicie,
d’Ukraine, de Volhynie relevées par P. P. Panaitescu 6).
N. I. Petrov s’est occupé des « Monuments artistiques roumains
de Russie et de la possibilité de leur influence sur l’art russe », énu­
mérant les objets d’origine roumaine des XV-e—XVII-e siècles;
Th. Uspenski s’est occupé des « Vases moldaves se trouvant dans la
salle d’armes de Moscou »7). Les savants russes, et surtout Th.
Uspenski, reconnaissent qu’à dater du règne d’Etienne le Grand
’) M. Beza: Urme românești in răsăritul ortodox. Bucarest, 1935.
2) Communiqué par M. M. Beza.
3) N. Iorga: 1st. Rom. prin călători. Bucarest, 1922 vol. II, p. 206.
4) Ibidem, p. 84.
6) P. P. Panaitescu: «Buletinul Comisiunii Monumentelor Istorice», XXII,
59, pp. 1—19.
e) J. Strzygowski, « Die Zeit », 13 août 1913, et « Buletinul Comisiunii Monu­
mentelor Istorice », VI, pp. 128—131.
’) Th. Uspenski: Ibidem, XX, 52, pp. 88—97, 1927.
284 CORIOLAN PETHAN

il existe un art moldave admiré et souvent imité en Russie 1). Des


modèles de peinture religieuse du Mont-Athos sont passés, par
l’intermédiaire de la Moldavie, en Galicie ; d’ailleurs en architecture
aussi comme dans d’autres cantons de l’art il y a des points de contact
entre la Moldavie et la Galicie orientale 1). Parmi les peintres qui ont
travaillé au début du XVIII-e siècle dans les églises d’Arbanassi
(Bulgarie) l’un se dit originaire de Bucarest * 2).

II. INFLUENCES SUR L’ARCHITECTURE POPULAIRE

Dans l’art populaire, qui forme la partie principale de notre


exposé, nous pouvons commencer par l’architecture elle-même.
Jănecke34*) explique les formes architectoniques de Macédoine,
d’Albanie, de Dalmatie par la parenté d’une partie de la popu­
lation de ces régions avec la population de Roumanie. Meringer *),
Evans6), Murko6) reconnaissent l’influence des Roumains des
Balkans sur les Slaves méridionaux: ainsi le type roumain d’habi­
tation domine au Monténégro, en Albanie et en Dalmatie; le type
de village roumain se rencontre dans la Serbie du sud-ouest, dans
l’ancien sandjak de Novibazar, en Albanie septentrionale et cen­
trale et dans les montagnes de Bulgarie7). Les pâtres roumains
de Transylvanie parviennent jusqu’en Bessarabie, en Dobroudja
et quelquefois, passant le Dniester, jusqu’en Crimée et dans le
Caucase; d’autres atteignent les montagnes de Fruska-Gora. Éta­
blis en Dobroudja, les bergers roumains viennent en contact avec
des Turcs, des Tatares, des Bulgares, à qui ils apprennent à cons­
truire des maisons 8). G. Weigand 910
) a des éloges pour les maisons
des Aroumains comparées à celles des Bulgares, des Grecs et des
*) O. Tafrali: îndrumări culturale, s. d., p. 49.
2) W. R. Zaloziecky: « Byzantinische Zeitschrift », I, 25, 1935, pp. 70—71, et
« Codrul Cosminului », IX, 1935, p. 339.
3) Cf. « Byzantinische Zeitschrift », 34, 1934, p. 451.
4) W. Jânecke: Dos rumünische Bauern- undBojarenhaus. Bucarest, 1918, p.45.
8) R. Meringer: Dos volkstümliche Haus in Bosnien und Herzegovina.
Vienne, 1900.
e) Evans: Through Bosnia, and the Herzegovina. Londres, 1876, p. 24.
’) M. Murko: Zur Geschichte des volkstüml. Hauses bei den Südslaven. « Mitt,
d. Anthropol. Gesellschaft », Vienne, XXXV, 5, 312, XXVI, p. 28.
8) « Srpsky Etn. Zbornik », IIV., LXVII et S. Dragornir: Über die Morlaken
und ihren Vrsprung. Bucarest, 1924, p. 11.
•) L. Someșan: La transhumance des bergers transylvains. « Revue de Tran­
sylvanie ». I, 4, p. 473.
10) G. Weigand: Die Aromunen. Leipzig, 1895, I, 266.
INFLUENCE DE L’ART POPULAIRE DES ROUMAINS 285

Albanais: «prăchtige Lage, écrit-il, Gesamteindruck, stattliche


Hauser und hübsche Einrichtung ». Les habitations des Slaves de
la Péninsule balkanique n’ont ni la solidité, ni le confort des maisons
aroumaines. Au sujet du mobilier, et bien qu’il dépende de la situation
de chacun, il se présente pourtant comme incomparablement plus riche
que chez les Slaves, les Grecs et les Albanais. Cvijic et Weigand
croient l’un et l’autre à une influence aroumaine sur les Slaves x).
L’influence roumaine pénètre non seulement au Sud-Est mais
aussi au Nord et à l’Est, dans le district de Novy-Sacz en Pologne,
chez les Gorales, au Nord de la Haute-Tatra, dans les Carpathes cen­
trales. En dehors de l’influence du costume, des habitudes, des
danses, de la musique, des croyances et superstitions, il y a imi­
tation de la maison de bois du type montagnard, semblable à celle
de nos monts Apuseni, avec un mobilier comme chez nous, et aussi
des églises de bois, telle celle de Dembno avec ses peintures mu­
rales, ses traces d’iconostase orthodoxe et un saint Nicolas *2). Un
certain nombre de savants polonais admettent une migration pas­
torale roumaine vers les X-e—XH-e siècles, à travers les Carpathes,
sur le type de celle qui a porté les Vlaques ou bergers roumains
jusqu’en Moravie, où ils ont gardé jusqu’à nos jours certaines cou­
tumes, avec des bribes de roumain et des éléments de notre art
populaire3). Dans le district d’Abauj-Torna (capitale Kosice-Cas-
sovie) ont vécu des Roumains, aujourd’hui disparus 4* ). A Miskolc
il existe encore une église roumaine du XVIII-e siècle terminée
en 1806, car en 1728 il se trouvait là environ trois cents marchands
macédo-roumains avec leurs familles 6). Le type roumain de l’église
de bois de Transylvanie, nous le trouvons seulement chez les Ru-
thènes de Russie Subcarpathique (Podkarpacka Rus, Tchécoslo­
vaquie), donc dans le voisinage immédiat de notre province, car
dans les autres régions habitées par les Ruthènes le type de l’église
de bois est différent et comporte en particulier une coupole ®).

*) Cf. Th. Capidan: Românii nomazi. Cluj, 1926, p. 153.


2) Alex. Borza: Prin țara Goralilor. Sibiu, 1929, et «Transilvania», 1929,
No. 1—10.
•) Cf. N. Iorga: Roumains et Tchécoslovaques. Prague, 1924, pp. 7—8; B.
Jaronek: « Art Populaire », I-er Congrès international. Prague, 1928. Paris, 1931,
p. 151.
4) « Ethnographia », XIV. Budapest, 1903.
6) I. Lupaș: Istoria bisericească a Românilor ardeleni. Sibiu, 1918, pp. 169—70.
•) C. Petranu: Die Kunstdenkmâler der Siebenbürger Rumănen. Cluj, 1927,
pp. 45—47 ; Die Holzkirchen der Siebenbürger Rumănen. Sibiu, 1934, pp. 62—66.
286 CORIOLAN PETRAN

En Roumanie le type du clocher en bois de l’église roumaine


se rencontre dans l’Unghiul Căleatei (hong. Kalotaszeg) chez les
Hongrois. Kos x) et Debreczeni*2) tentent sans succès d’en attri­
buer la paternité aux Hongrois de la région. Jankô 3) nous rap­
porte que lors de la reconstruction de l’église incendiée de Șaula
(dép. de Cluj) en 1835, on a découvert sous un enduit des peintures
murales avec des caractères « gréco-cyrilliques », ce qui nous porte
à croire que l’église avait d’abord été roumaine. Kos 4) pense que
l’ancêtre direct de la maison hongroise de l’Unghiul Căleatei est
la « colibă » ou cabane de berger ; or le mot « colibă » est roumain.
Les maisons de Rimetea reproduites par Malonyai 5) présentent de
grandes analogies avec les maisons roumaines ; J. Kovâts 6) nous
informe que les poutres des maisons de bois de Rimetea (Trăscău,
hong. Torockó) sont jointes à leurs extrémités à la manière « mo-
cane » (mokâny gerezd), ce qui confirme l’influence roumaine. Ce
n’est d’ailleurs pas seulement dans l’art de bâtir mais aussi dans
les autres arts que les Ciangăî du département de Hunedoara (une
colonie de 65 familles sicules de Ciuc établies en 1780 en Bucovine
et transférées en 1891 à Deva), de même que les Crașovani (environ
8000 Bulgares mêlés de Roumains et de Serbes, dans dix com­
munes du département de Caras) présentent des traits de ressem­
blance avec les Roumains 7). Jankô 8) constate que la maison des
Sicules ou Szeklers ressemble à beaucoup d’égards à celle des Motz:
la porte dite « sicule » se retrouve en particulier chez les Motz ;
Jankô 9) la retrouve aussi dans le Bihor; en échange elle est absente
dans l’Unghiul Căleatei, et rare dans le département d’Arieș. Elle
reparaît dans ceux de Maramureș, d’Arad, de Vâlcea, de Gorj.
L’avant -toit « sicule » avec balcon ou « târnatz » se trouve aussi

x) Ch. Kos: Kalotaszeg. Cluj, 1932, p. 152.


2) Debreczeni: Op. cit., p. 5, et Arta etc., p. 1221, dans l’ouvrage collectif
« Transilvania, Banat etc. ».
3) J. Jankô: Kalotaszeg magyar népe, p. 57.
4) Kos: Op. cit., p. 61.
s) D. Malonyai: A magyar nép müviszete. Budapest, 1909, vol. II, table des
ill., LIV.
6) J. Kovâts: A székely hdz. Cluj, 1908, p. 37.
’) E. Szabo et G. Czirbusz: « Magyar N. Muzeum Néprajzi Oszt. Ertesitôje »,
IV, 1903.
8) J. Jankô: « Ethnographia », XI, p. 64, 1900.
’) Idem, ibid., N. 68, 1894.
INFLUENCE DE L’ART POPULAIRE DES ROUMAINS 287

chez les Roumains. Ce n’est que dans les parties orientale et occi­
dentale du département de Mureș que Kos *) reconnaît l’influence
populaire roumaine sur la maison sicule.
Tandis que les savants hongrois n’admettent qu’avec des ré­
serves, timidement et partiellement ces aspects de la vérité, S.
Opreanu 1 2) a bien mis en lumière l’influence profonde de l’art rou­
main de bâtir sur celui des Sicules. Nous exposerons brièvement
les résultats auxquels il est parvenu. La maison préhistorique con­
sistant en un vestibule ouvert {tindă) et une seule pièce d’habi­
tation, existe encore aujourd’hui, et c’est le type le plus ancien,
dans le pays des Sicules; or c’est aussi le type primitif de la mai­
son roumaine un peu partout. Le matériel tout entier du ménage
et de la ferme est identique à celui des Roumains d’autres régions;
même chez les Sicules de la plaine on retrouve beaucoup de détails
d’origine roumaine et jusqu’à des mots comme coteț, hambar, colibă,
draniță, cuptor, casă, (au lieu de « cameră ») et Hid (pod « grenier »),
au lieu de « padlâs ». Les Sicules ont emprunté avant tout aux Rou­
mains l’art perfectionné de travailler le bois, et ils construisent
en bois alors qu’ils ont de la pierre à discrétion. Partout leurs mai­
sons ont le toit roumain à quatre auvents pareils, descendant jus­
qu’au-dessus des fenêtres — forme de toit que nous ne trouvons
généralisée ni chez les Saxons ni chez les Hongrois proprement
dits. Puis l’absence de cheminée, la décoration des murs avec des
tapis et des linges brodés, la maîtresse-poutre sculptée au milieu
de la maison sont autant de traits roumains. La solive sculptée
du Musée national sicule de Sft. Gheorghe 3), de provenance sicule,
n’en est pas moins roumaine par son travail; la date de 1735 en
caractères cyrilliques inconnus aux Sicules le confirme d’ailleurs.
Les formes géométriques dans le travail du bois sont une ca­
ractéristique roumaine. Le portail dit « sicule » est très générale­
ment répandu chez les Roumains, tandis qu’en dehors des Sicules
les Hongrois ne le connaissent que par ouï-dire. Dans les dépar­
tements de Vâlcea et de Gorj, par exemple, on trouve plus de ces
portails sculptés monumentaux qu’en pays sicule, la différence ne
portant que sur la décoration. La porte et le balcon {pridvor) ont
été empruntés aux Roumains et aux Slaves, la galerie antérieure

1) Ch. Kos: A székely haz. Székely Nemzeti Muzeum Emlékkônyve, p. 653.


*) S. Opreanu: Ținutul Săcuilor. Cluj, 1927.
3) Al. Tzigara-Samurcaș: Izvoade de crestături. Bucarest, 1928, p. 7.
288 CORIOLAN PETRAN

{cerdac, passé en hongrois sous la forme de csardak) a été prise aux


monastères roumains. Les portes dites « impériales » ou grandes
portes des églises roumaines ont influencé la stylistique orne­
mentale des Sicules. Toute cette influence profonde de l’art popu­
laire roumain sur les Sicules est expliquée par S. Opreanu de la
façon suivante: nous avons affaire en réalité à une masse de Rou­
mains « siculisés » constituant 50% des Sicules actuels, 16% de
Roumains seulement ayant gardé intégralement leur nationalité.
La toponymie slavo-roumaine si riche dans cette région, l’indice
céphalique, l’indice biologique, le caractère psychologique du Sicule
viennent confirmer cette vue et rapprocher le Sicule du Roumain
beaucoup plus que du Hongrois de la « puszta ». Le docteur P.
Râmneanțu1) aboutit à des conclusions renforçant celles de S.
Opreanu: « Les Séklers des départements de Ciuc, Odorheiu et
Trei-Scaune ont dans l’ensemble la même origine ethno-anthropo-
logique que les Roumains. Il n’existe pas de similitude entre les
proportions des groupes sanguins des Séklers et celles des Hon­
grois, Bulgares et Finnois ». « Il n’existe pas un seul village où
des Roumains n’habitent ou n’aient habité », soutient Popa-Lis-
seanu 12) du territoire sicule. N. Iorga3) avait déjà fait observer
que la maison et le costume étaient presque identiques à ceux des
Roumains.

III. INFLUENCES SUR LES ARTS DÉCORATIFS

Tout particulièrement intense et étendue se révèle l’influence


roumaine dans les arts décoratifs. Les Ciangâï et les Crașovani 4)
ont adopté presque totalement le type d’habitation, le costume,
les tissus, les broderies et les coutumes roumaines. Les Sicules et
les Hongrois de l’Unghiul Căleatei doivent aussi beaucoup à l’art
roumain. Lors des foires de Huedin, centre commercial de cette
dernière région, des objets roumains en bois, souvent apportés de
très loin, sont achetés avec prédilection par les Hongrois. Malonyai5)

1) P. Râmneanțu: Origine ethnique des Séklers (Sicules) de Transylvanie,


« Revue de Transylvanie », II, 1, pp. 45—59.
2) G. Popa-Lisseanu: Sicules et Roumains. Bucarest, 1933, p. 8.
s) N. Iorga: 1st. Românilor prin călători, I, 192.
*) E. Szabó et G. Czirbusz: Op. cit.
6) D. Malonyai: Op. cit., pp. 39—40.
INFLUENCE DE L’ART POPULAIRE DES ROUMAINS 289

relève des couleurs et des ornements « valaques » (plàhos) sur cer-*


tains meubles de l’Unghiul Căleatei et les explique par l’action
de l’atelier roumain de Matei Chiorean ainsi que par l’influence
des peintures d’églises roumaines. On a même conservé d’un Hon­
grois comme André Pista Gâbora des meubles peints de motifs
roumains. Parmi les objets reproduits par Malonyai, un nombre

Couverture de Ciuc, au Musée Ethnographique de Budapest (Viski).

considérable est identique ou nettement apparenté aux objets rou­


mains de toutes les régions habitées par des Roumains: voir par
exemple les illustrations des pages 170, 172,173, 177, 178, 181—186,
188—192, 197, 201. Au Musée des Carpathes, à Cluj, le tabouret
No. 2044 étiqueté comme hongrois et provenant de Muerău a des
motifs décoratifs roumains, ce qui s’explique par le fait que, la
majorité de la population étant roumaine dans cette commune,
l’objet a été exécuté par un Roumain.
Les numéros 210, 211, 216, 218—219, 147 de la publication
du Musée Ethnographique de Budapestsont de l’Unghiul Că­
leatei: ils présentent des motifs roumains et se distinguent des

x) « L'art populaire hongrois ». Budapest, 1928.

2*
290 CORIOLAN PETRAN

produits de toutes les autres régions de la Hongrie proprement


dite. Leur caractère roumain se manifeste par les traits suivants:
1) toute la surface est recouverte par l’ornementation (caractéris­
tique négative de l’art hongrois) ; 2) l’ornementation est à peu
près exclusivement géométrique (autre caractéristique négative pour
les Hongrois) ; 3) le rôle de l’ornementation végétale si chère aux
Hongrois y est tout à fait réduit (la tulipe se trouve aussi spora­
diquement chez les Roumains des départements de Cluj et du Bihor
sous l’influence probable de la Renaissance allemande et de l’Orient
turc).

De même que le travail sur bois, les broderies renommées de


l’Unghiul Căleatei sont non seulement influencées par les broderies
roumaines, mais même exécutées, aujourd’hui encore, en partie
par des Roumaines. Cette petite région n’est pas un îlot purement
hongrois ; il s’y trouve aussi des Roumains, qui au surplus l’en­
tourent de toutes parts. La paysanne roumaine Ana Sasu, de Ni-
arsău, encore vivante, a exécuté les plus authentiques broderies
« hongroises » de l’Unghiul Căleatei, puisque celles-ci, bien avant
l’unité roumaine, avaient été achetées par la Bibliothèque de
l’Université, le Musée des Carpathes, le Musée transylvain et par
des Hongrois de Cluj ; cette paysanne roumaine a parcouru avec
ces broderies Breslau, Vienne, Abbazia, la Hongrie ; une partie
INFLUENCE DE L’ART POPULAIRE DES ROUMAINS 291

en a même été envoyée à Paris. Lorsqu’à partir de 1896 les bro­


deries de l’Unghiul Căleatei sont devenues comme une mode pa­
triotique chez les Hongrois et qu’on a organisé leur propagande
et leur exportation à l’étranger, les dames hongroises ont ouvert
de nombreux ateliers, où travaillaient naturellement côte à côte
paysannes hongroises et roumaines, ces dernières étant à la fois

Poutre d’une maison sicule, au Musée national sicule de Sf. Gheorghe


(Tzigara-Samurcaș).

moins exigeantes pour le salaire et plus habiles à ce travail. Ma­


dame Gyarmathy, principale directrice d’atelier à cette époque,
reçut un jour une lettre d’un intellectuel roumain qui soutenait
que les broderies « hongroises » si recherchées de l’Unghiul Căleatei

Battoir Sicule à laver le linge, de Firtușeni (dép. d’Odorheiu),


Musée des Carpathes, Cluj.

étaient en réalité l’ouvrage de paysannes roumaines ; dans sa ré­


ponse 1) M-me Gyarmathy ne reconnaissait pour roumaines que
Flora (Floare) Simion et ses deux sœurs. Elle ajoutait, sans aucun
fondement, que les Roumaines ne savaient pas tisser la toile nommée
« fodorvâszon ». Mais toutes les broderies de cette région, même
quand elles sont exécutées par des Roumaines, n’offrent pas des

1) M-me Gyarmathy: A kalotaszegi varrottasrol « egy roman urnak », s. d.


292 CORIOLAN PETRAN

motifs roumains ; celles qui portent le nom de « frâsos » ou gra­


phiques, imitées de l’écriture, sont, comme l’a reconnu justement
Kos1), des imitations simplifiées des motifs et de la technique
des foulards turcs que portaient autrefois les Hongroises de qualité.
Celles qui sont nommées « szalânvarrott » ou « d’après le fil »
ressemblent beaucoup aux broderies roumaines, avec les mêmes
motifs géométriques ou des fleurs d’une stylisation pousée jusqu’à
la géométrisation. La technique de la broderie en petites croix

Broderie hongroise « après coupure », de l’Unghiul


Căleatei (Malonyai).

(keresztoltés) est très répandue parmi les Roumaines, qui l’affec­


tionnent; de même leur coloris vif correspond à celui des broderies
roumaines. Un grand nombre de combinaisons répètent le motif
des cinq fleurs sur une branche et géométrisées. Or ce motif, nous
le trouvons dans la région de Gorj 2) et dans d’autres régions habi­
tées par des Roumains ; nous le trouvons avec trois fleurs et deux

*) Kos: Kalotaszeg, p. 160.


z) G. Oprescu: Arta țărănească la Români. Bucarest, 1922. Tabi. I. 3.
INFLUENCE DE L’ART POPULAIRE DES ROUMAINS 293

boutons dans le département de l’OIt1), et avec deux fleurs seule­


ment à Suceava * 2). La troisième technique des broderies de l’Un-
ghiul Căleatei, celle qui est « en coupure » (yagdalâsos), présente
des motifs semblables aux motifs roumains. Il en va de même des
motifs « darăzsolâs » ou «en guêpier». Les planches XIV—XVIII
de Malonyai et les illustrations 107 et 147 de « L’art populaire
hongrois » nous montrent des motifs purement roumains, à côté
d’autres seulement influencés par les motifs roumains. D’ailleurs,
pour certains de ceux qui sont dits « en coupure », nous trou­
vons la dénomination « originaires d’Abrud » (nagyabrudi, kisa-
brudi) 3), ce qui confirme leur origine roumaine.

Pièces de bois pour tendre la toile sur le métier.


Unghiul Căleatei (Malonyai).

D’après L. Kelemen 4) les broderies apparentées de l’Unghiul


Căleatei et de Rimetea (Trăscău, hong. Torockó) dérivent d’une
source commune et ne sont pas la création des paysannes de ces
régions: leur origine se trouverait dans l’art renaissant du XVII-e
siècle et elles seraient passées, avec certaines modifications, de
l’aristocratie au peuple. Cette opinion est acceptable quant aux
broderies « d’après l’écriture » et ne contredit pas celle de Kos, car
l’ornementation en faveur dans la bonne société transylvaine au

') E. C. Cornescu: Cusături românești. Bucarest, 1906, planche 20.


2) M. I. Panaitescu: Colecție de cusături naționale românești. Bucarest, s. d.,
IV, 1.
3) D. Malonyai: Op. cit., p. 249.
4) D’après une interview de L. Kelemen, dans le journal « Keleti Ujsâg »,
XVII, 239, 1934.
294 CORIOLAN PETRAN

XVII-e siècle nous présente bien le décor floral des Turcs et de


la Renaissance allemande.
Le costume des paysans hongrois de Rimetea est, selon Ke-
lemen, la traduction rustique du vêtement de la bonne société il
y a trois cents ou trois cent cinquante ans. Cette opinion est com­
battue par le dr. Joh. Künzig, dans la « Wochenschau » de Düs­
seldorf (1935): d’après ce dernier il serait d’origine germanique et
proviendrait de Styrie, avec des influences saxonnes transylvaines.

Modèle de broderie hongroise, du département de Sălaj


(Musée ethnographique, Budapest).

I. Jankô fait venir certains des habitants du pays, de Eisenwurzel


(Styrie): ils seraient arrivés comme mineurs au XIII-e siècle et
se seraient magyarisés par la suite ; cet auteur et Malonyai sont
d’accord pour reconnaître dans le costume en question des élé­
ments allemands mêlés d’éléments hongrois, mais ils se gardent
de préciser. Or nous pensons que là aussi il faut reconnaître une
influence roumaine, dans le fait même que les lignes et la coupe
du costume, à la différence de celles de toutes les autres régions
hongroises, s’ajustent aux lignes et aux formes du corps humain,
sans parler du pittoresque des couleurs vives. Cela explique qu’un
INFLUENCE DE L’ART POPULAIRE DES ROUMAINS 295

spécialiste hongrois ait pu considérer le costume de l’Unghiul Că-


leatei comme roumain 1). La dénomination de « matâszos » (« soyeu­
ses ») pour certaines broderies de Rimetea exécutées avec des che­
veux est purement et simplement le roumain « mătăsos » (même
sens). Le « kozsôk » ou manteau de peau de mouton (du roumain
« cojoc »), la large ceinture de cuir, les lieux-dits d’origine roumaine,
les poésies populaires mi-hongroises, mi-roumaines, tout cela montre
bien les rapports étroits entre Hongrois et Roumains dans l’Un-
ghiul Căleatei. Il faut d’ailleurs souligner le fait que l’art hongrois

Coffre gravé, au Musée Brukenthal Sibiu. (Phot. E. Fischer).

de cette région n’est pas un art véritablement populaire, authen­


tiquement né du peuple, mais qu’il a été organisé par la classe
supérieure à partir de 1885, sur les modèles fournis par M-me Gyar-
mathy * 2) et d’autres personnes ; or les modèles, comme on l’a vu,
sont d’inspiration turque (« l'râsos ») ou roumaine (« szâlânvarrott »
et « vagdalâsos »). Il ne s’agit donc là que d’une initiative indus­
trielle due à la bonne société d’alors, qui a su faire travailler les
paysannes hongroises et roumaines quand elle a vu que ces mo­
dèles étaient recherchés et bien payés.

’) E. Lippich: «Magyar iparmüvészet », 1903, p. 248.


2) M-me Gyarmathy: Tarka Képek. Budapest, 1896, p. 5.
296 CORIOLAN PETRAN

IV. INFLUENCES SUR L’ART


* POPULAIRE SICULE

L’influence roumaine est encore plus considérable dans le Pays


des Sicules et s’y manifeste dans les arts décoratifs. Dans les tapis,
les broderies, les menus objets en bois et même dans les dessins des
œufs de Pâques, nous trouvons employés sur une grande échelle
des motifs géométriques tels que les emploient les Roumains. N’im­
porte quel observateur impartial pourra faire cette constatation,
qui ne surprend pas d’ailleurs, puisque nous avons déjà vu, à propos
de l’architecture, dans quelle large proportion les Sicules sont en
réalité des Roumains siculisés. Les savants hongrois eux-mêmes
reconnaissent la chose, mais ils la passent sous silence dans leurs
publications, comme s’il était si honteux d’avoir appris quelque chose
des Roumains. Ils déclarent plus volontiers que la stylistique orne­
mentale si nettement roumaine des ouvrages sicules n’est que la
conséquence de la technique du tissage (Malonyai, Viski) ; ou bien
ils nous apprennent qu’elle se rencontre aussi chez les Indiens d’Amé­
rique, chez les Ostiaks, les Ruthènes, les Slaves méridionaux, ainsi
qu’en Dobroudja (Pulszky * 2), Viski 3), de même que dans toute la
population magyare au-delà du Danube 4). On relève chez eux un
soupçon de mépris lorsqu’ils considèrent comme arriérées les bro­
deries à motifs purement géométriques, parce qu’elles ne feraient
qu’imiter en broderie ce qui est le propre de l’art du tissage 56
). Il y a,
dans toutes ces affirmations de savants hongrois, nombre de contra­
dictions ; nous rappellerons seulement que certains de leurs confrères
reconnaissent sans détour que la caractéristique de l’art décoratif
roumain est l’élément géométrique: G. Téglas ®), Dômôtôr7), K.
Pulszky 8* ), Viski 8), Malonyai10), pour ne pas citer des savants étran­

*) Ch. Viski: Székely szônyegek. Introduction; D. Malonyai: Op. cit., Il, 232.
2) Ch. Pulszky: A magyar hdziipar diszitményei. Budapest, 1878, pp. 4—6.
8) Viski: Op. cit., Introduction.
4) « Székely Nemzeti Mûzeum Emlékkônyve », p. 429.
s) Viski, dans l’ouvrage « Székely Nemzeti etc. », p. 431, et Székely himzések,
Introduction.
6) G. Téglâs: Hunyadmegyei fafaragds «A Magyar Nemzeti Néprajzi oszt.
Értesitôje », 1906, pp. 126—137.
’) L. Domôtôr: Az aradmegyei himzés. « Müvészi Ipar », 1889, pp. 64—72.
8) Ch. Pulszky: Op. cit.
’) Viski: Op. cit.
10) D. Malonyai, II, 263.
INFLUENCE DE L’ART POPULAIRE DES ROUMAINS 297

gers comme Focillon 1), Kolbenheyer * 2), Fabian3), Sigerus 4), ni


surtout des savants roumains. Tous les meilleurs connaisseurs hon­
grois nous assurent que l’ornementation caractéristique des Hongrois
est d’origine végétale: ainsi Szendrei 5), Huszka 6), Pekâr, Czakó et
Viski7). « Die ungarische Ornamentile verwendet hauptsăchlich

Chemise saxonne à broderie roumaine, de lad (dép. de Năsăud).

pflănzliche Motive, ohne jedoch einige wenige geometrische und


tierische Motive auszuschliessen », écrit Huszka ; et pour ne laisser
aucun doute sur le genre de ces motifs géométriques, le même auteur

*) H. Focillon, dans «La Grande-Roumanie». (L’Illustration). Paris, 1929.


2) E. Kolbenheyer: Motive der hausindustriellen Stickerei in der Bukowina.
Vienne, 1912.
3) V. Fabian, dans « Art populaire ». Paris, 1931, p. 20 et suiv.
4) E. Sigerus: Die Siebenbürgische Volkskunst. Volkskunstausstellung. Sibiu,
1927, pp. 19, 21.
5) I. Szendrei: « Müvészi Ipar », 1892, p. 14.
6) I. Huszka: Magyarische Ornamentik. Budapest, 1900, p. 4.
’) Ch. Pekâr: A magyar diszito motivumokról. Budapest, 1906, p. 4; Ch.
Viski: « L’art populaire hongrois », p. XX—XXI. Voir aussi E. Sigerus: Op. cit.,
p. 31, « Geometrische Ornamentik ist nicht beliebt»; E. Czakó et C. Gyôrgyi:
A magyaros izlés. Budapest, s. d., pp. 9—10.
298 CORIOLAN PETRAN

ajoute *) : « Die geometrischen Ornamente der Magyaren lassen sich


zum grossen Teile aus der Kreislinie ableiten », c’est-à-dire que ces
motifs ne présentent pas les lignes droites, les losanges et les croix
de la stylistique ornementale roumaine. Viski 2) écrit: «La base de
l’ornementation (du Hongrois) est son jardin à fleurs »; et il caracté­
rise négativement de la manière qui suit la stylistique ornementale
du peuple magyar: «il s’abstient de l’ornementation à caractère
géométrique qui cependant. .. l’entoure de trois côtés ». Si les motifs
géométriques à lignes droites étaient hongrois, ou s’ils résultaient

Broderie Ucrainienne.

de la seule technique du tissage, ou si les Hongrois avaient une


prédilection pour eux, ils devraient se retrouver dans toutes les
autres régions habitées par des Hongrois, et pas seulement en Tran­
sylvanie chez les Sicules et les Hongrois de l’Unghiul Căleatei. Or
ils ne se trouvent nulle part ailleurs ; l’argument de Viski, suivant
lequel ils se retrouveraient de l’autre côté du Danube, n’est que de la
poudre aux yeux des profanes : le « Sârkôz » auquel il fait allusion
se réduit à quatre communes, et dans le Somogy ils sont l’œuvre
de tisserands compilateurs qui ont rassemblé de toutes parts des
motifs, de Transylvanie comme d’autres provinces ; Malonyai ®) le
reconnaît lui-même. Le Sârkôz et le Somogy prouvent justement le
contraire, à savoir l’expansion de l’influence roumaine de Transyl­
vanie.
’) Op. cit., p. 4.
2) Op. cit., XX—XXI.
3) D. Malonyai: Op. cit., vol. IV, 79, 107, 109, 115.
INFLUENCE DE L’ART POPULAIRE DES ROUMAINS 299

Si les motifs géométriques ne sont pas caractéristiques de l’art


populaire hongrois, la question se pose de savoir d’où les Sicules ont
pu les recevoir: des Slaves méridionaux, ou des Ruthènes, ou des
Russes, voire des Ostiaks, tous éloignés de leur pays, ou bien des
Roumains aux côtés de qui ils vivent, qui les environnent de toutes
parts et pour qui ces motifs sont si caractéristiques qu’ils y demeurent
attachés plus obstinément qu’aucun autre peuple? Les Roumains
en effet, sous quelque maître qu’ils aient vécu dans le passé, hongrois,
autrichien ou russe, et en dépit des frontières séculaires les plus
artificielles, ont tous la même stylistique ornementale. Pour les
Sicules comme pour les Slaves, l’ornementation géométrique n’est
pas employée exclusivement et ces populations se servent aussi de
l’ornementation végétale et animale.

V. EXPANSION DES MOTIFS GÉOMÉTRIQUES


ROUMAINS

C’est aussi des Roumains que les Ruthènes ont reçu les motifs
géométriques, selon l’opinion de Kolbenheyer *) et de Fabian* 2): les
Ruthènes en effet, aujourd’hui encore, les appellent «woloskie» ou
« roumains ». D’ailleurs il y a, au sein de ce peuple, des Roumains
ruthénisés tels que les Houtzouls, qui ayant perdu leur langue n’en
ont pas moins conservé des vestiges lexicaux et des toponymes
roumains 3) ainsi que leur ornementation roumaine ancestrale, de la
même manière que les Roumains siculisés en Transylvanie, grécisés
en Macédoine 45), slavisés en Moravie 6) et en Russie •), que les Gorales
de Pologne 7) et les Vlaques slavisés de Croatie et de Bosnie 8). La
nationalité et la langue se sont perdues, l’art sous son aspect orne­
mental s’est conservé. Si on examine les broderies, les tapis, les
quenouilles des musées de Belgrade et de Sofia, on constatera que

’) Op. cit., pp. 31, 25.


2) Op. cit.
3) I. Nistor: Problema Ucraineană. Cernăuți, 1934, pp. 60—61.
<) Greek Arts and Crafts Ltd. Co. Vol. I. Embroideries and Hand-woven
Materials. Sample-Book. Athènes, s. d. Préface de A. Hajimihali, pp. 97—100
pour Salonique et p. 76 pour Ianina.
5) N. Iorga: Roumains et Tchécoslovaques, pp. 7—8, et Jaronek: Op. cit.,
p. 151.
•) N. Iorga: Istoria Românilor prin călători, II, 214.
’) Alex. Borza: Op. cit.
8) S. Dragomir: Über die Morlaken etc., p. 11.
300 CORIOLAN PETRAN

tous les exemplaires qui paraissent roumains ou apparentés aux


types roumains proviennent de régions voisines de la Roumanie ou
habitées par des Roumains, par exemple du Banat yougoslave ou de
la Vallée du Timoc, où il existe une population roumaine consciente
de sa nationalité, ou de Pirot, d’Ielovce, de Nis, de Ielasnice, de
Vlask, de Moravsk etc. où cette population roumaine a existé x).
Au musée de Sofia des gravures représentent certains costumes qui
sont presque identiques aux costumes roumains de Roumanie: de
fait, ils ne sont pas bulgares mais proviennent de Roumains habitant
les villages qui environnent Vidin.
Fr. Nopcsa *23) incline à croire que le costume des pâtres d’Arcadie
a subi l’influence des Aroumains : le sayon de laine floche (sarica
/locata), le bonnet de fourrure (căciula), de provenance roumaine,
sont connus des premiers. En dehors des Grecs, dont la chemise à
plis multiples provient des Aroumains, le costume du berger arou-
main a exercé aussi une influence sur le costume albanais. L’élégance
du costume aroumain est l’effet de sa coupe, ajustée à la taille, et
surtout de la multitude des plis qu’il fait depuis la taille jusqu’en
bas ; ce costume s’est maintenu non seulement différent de celui des
autres peuples, mais avec un caractère spécifique résultant de son
élégance et de sa richesse, en face du costume pauvre et emprunté
des Grecs et du costume extrêmement lourd des Slaves. Là où ces
derniers sont venus en contact avec les bergers roumains, leurs
habitations se sont faites plus solides, plus confortables et d’un
goût esthétique plus sûr ®). Cvijié 4) loue le goût des Aroumains pour
la beauté et la perfection. Weigand 5) apprécie les beaux tapis et les
broderies exécutés par les Aroumaines; ces tapis se vendent aussi
aux foires et se distinguent par la variété de leurs couleurs, leurs
ornements simples, faits de lignes droites et surtout de carrés ;
T. Papahagi: Images <T ethnographie roumaine. Bucarest, 1930,
Il-illustr. 204—6, 191, mais ce n’est pas seulement dans les
Balkans, c’est aussi dans d’autres parties de l’Europe qu’ils sont
recherchés : le consul français de Pouqueville 6) écrivait déjà en

’) Voir l’album bulgare de R. Cukanova, Bălgarski sevici. Sotia, 1932, pp.


17—19, 31, 33—34.
2) Fr. Nopcsa: Albanien. Berlin, 1925, p. 181.
3) Th. Capidan: Op. cit., pp. 151, 154, 90.
4) Cvijic: La Péninsule Balcanique. Paris, 1918, p. 442.
5) G. Weigand: Op. cit., I, 269, 202, 188.
•) F. C. H. de Pouqueville: Voyage dans la Grèce. Paris, 1820, II, 174.
INFLUENCE DE L’ART POPULAIRE DES ROUMAINS 301

1820 qu’au XVIII-e siècle les Aroumains avaient exporté sous


pavillon français leurs divers tissus et tapis dans de nombreux
ports de la Méditerranée, à Naples, Livourne, Gênes, en Sar­
daigne, à Cadix, Séville, en Sicile, à Malte, Venise, Trieste,
Ancône, Raguse; les Aroumains ont eu en outre des relations com­
merciales avec Vienne, Constantinople, Moscou. Cela étant, il devient
clair pour nous que la même stylistique ornementale puisse se ren­
contrer par exemple en Crète et en Calabre x).
L’influence des motifs roumains se retrouve également dans notre
Dobroudja: par exemple à Șabla, où le costume roumain a été
adopté par les femmes turques a), y compris son ornementation.
Mais il y a des cas plus éloignés, du moins dans le temps: Krekwitz
nous apprend qu’en Moldavie, où il voyaga vers 1685, les Russes,
les Tatares, les Sarmates (?), les Serbes, les Arméniens, les Hongrois,
les Saxons et les Tziganes s’étaient assimilé la langue et le costume
des Roumains moldaves *23). En 1813 Marienburg nous assure que le
paysan hongrois de Transylvanie s’habille à la roumaine 4* ).
Sans entrer dans de longues hypothèses sur l’origine des motifs
géométriques en question, nous devons néanmoins déclarer que leur
explication « par la seule technique du tissage » est par trop étroite
et unilatérale et passe trop volontiers sous silence les arguments
préhistoriques et historiques, ceux de la science des arts, de l’ethno­
logie et de la psychologie des peuples. Il est inadmissible aujourd’hui
de dériver de la technique du tissage l’ornementation géométrique ;
toute cette théorie a découlé de la conception matérialiste du siècle
passé, en particulier de celle de G. Semper, et elle a été exagérée par
les successeurs de ce dernier. Le style géométrique est, d’après A.
Riegl, un produit de l’instinct de décoration (Schmückungstrieb) et il
existait bien avant l’invention du tissu, dans les objets des troglo­
dytes d’Aquitaine 6). A. Baltazar ®) croit que nos motifs géométriques
sont d’origine thrace, et N. Iorga 7), dans sa communication au
Congrès international d’histoire de Bruxelles, les croit également

« Art populaire », fig. 42, 34.


2) K. Hielscher: Rumünien. Leipzig, 1933, ill. 133 et explication.
3) I. Nistor: Op. cit., p. 75, et G. Krekwitz: Beschreibung des ganzen Kônig-
reiches Ungarn. Francfort s. M., 1685, p. 90.
4) L. I. Marienburg: Géographie des Grossfürstenthums Siebenbürgen. Sibiu,
1816, p. 98.
6) A. Riegl: Stilfragen, 2-e éd. Berlin, 1923, pp. 20, 31—32, 22.
6) A. Baltazar, « Convorbiri Literare », XLII, 5, pp. 565—585. Bucarest, 1908.
’) N. Iorga: L’art populaire en Roumanie. Paris, 1923, pp. VII—XII.
302 CORIOLAN PETRAN

d’origine thraco-illyrienne : les Thraco-Illyriens auraient dominé de­


puis les Carpathes jusqu’à l’Anatolie et à l’entrée du Caucase. Cette
hypothèse semble se rapprocher de la vérité; elle est d’ailleurs con­
firmée par celle du savant lithuanien I. Bassanavicius x), qui soutient
l’origine thrace des Lithuaniens en se fondant sur certains éléments
linguistiques lithuaniens et en particulier sur la toponymie ; il con­
sidère comme Daces les Lithuaniens du sud, nommés « Zukai »
(Zukai ne serait qu’une forme corrompue du grec Dakai). Il est
remarquable en effet que la stylistique ornementale de ces derniers,
comme celle des Lithuaniens en général, est presque identique à
celle des Roumains dans les broderies, les tissus et les travaux sur
bois. Et même le type de chanson populaire roumaine connue sous
le nom de doina se retrouve dans la doina des Zukai et dans la daina
des Lithuaniens, avec le même accent triste et douloureux. Notons
aussi que la poésie lithuanienne n’ignore pas le Danube. Enfin, non
seulement l’ornementation mais aussi la gamme des couleurs est
harmonisée comme chez les Roumains.
Baum *2), Strzygowski 3), Iorga 4) et d’autres pensent que nombre
d’éléments décoratifs ont été transportés vers le Nord par les Goths
de la région de la Mer Noire: on pourrait ainsi s’expliquer comment
l’ornementation géométrique si proche de la nôtre et si répandue
aujourd’hui en Scandinavie a pu y être apportée de la région de la
Mer Noire. « Ce n’est guère qu’avec les invasions gothiques que l’or­
nementation des peuples migrateurs des bords de la Mer Noire
pénètre vers le Nord », écrit Baum 5). (La fibule à pied retourné est
parvenue dans le Nord en partant elle aussi de l’est européen ; de
même l’église à coupoles, dans l’occident de l’Europe6). Il faut
admettre aussi qu’il existe des peuples qui inclinent à l’abstraction
dans l’art, à côté d’autres qui préfèrent le naturalisme. Le caractère
abstrait de la stylistique ornementale roumaine, dominant dans
toutes les régions habitées par des Roumains, n’est pas du tout ca­
ractéristique de l’art hongrois: au contraire, il y est très rare; et
quant à l’art sicule, les motifs géométriques n’y sont pas les seuls
1. Bassanavicius: Lietuvos Tautaus (Le peuple lithuanien): voir I. Miloia:
Câteva relații între arta populară la Români și Lituani. « Analele Banatului », I, 1,
pp. 43—52. Timișoara, 1928.
2) I. Baum: Malerei und Plastik des Mittelalters. Wildpark-Postdam, 1930,
p. 17, 30.
8) J. Strzygowski: Heidnisches und Christhiches. Vienne, 1930, p. 6.
4) N. Iorga: Țeri Scandinave. Bucarest, 1929, p. 83—84,
s) Idem, ibidem.
’) Idem, ibidem.
INFLUENCE DE L’ART POPULAIRE DES ROUMAINS 303

et sont toujours accompagnés de motifs naturalistes: l’abstraction


et la stylisation plus poussées chez les Sicules que chez les autres
Hongrois y sont dues uniquement à l’influence roumaine. L’abstrac­
tion est en général postérieure au naturalisme ; il est donc inexact
de considérer le naturalisme comme un progrès dans le développe­
ment et les motifs abstraits comme des survivances primitives. Il
est en effet incontestable que, dans l’art préhistorique de l’Europe,
le géométrisme n’est venu qu’après une longue domination d’un
naturalisme d’ailleurs brillant1) ; et selon Utitz 1 2), il est périlleux
d’accorder, suivant la conception moderne de l’art, une valeur ob­
jective plus grande au naturalisme paléolithique qu’au géométrisme
néolithique. Il en va de même de l’art populaire. Admettons nous
aussi avec A. Furtwângler 3) deux sortes de talents, celui du dessin
abstrait et celui de l’expression naturaliste, mais sans surestimer l’un
aux dépens de l’autre et sans croire qu’il ne puisse exister d’ornement
géométrique qui ne soit une abréviation ou une expression conven­
tionnelle des êtres et des objets naturels 4). Riegl et d’autres trouvent
que le style géométrique «Dipylon» par exemple, est raffiné, bien
composé et en avance sur d’autres 5).
Les motifs géométriques ne sont pas impropres aux broderies
et ne sont pas un privilège des ateliers de tissage. Les tapis du
genre covor dits « sicules », de la région de Ciuc, bien qu’ayant
des motifs pareils aux motifs roumains, offrent cependant une
note distinctive: alors que les couleurs roumaines sont vives et
intenses, les leurs sont plus pâles, comme délavées et sans vie.
Faire de ce caractère un mérite est une aberration qui aurait pour
conséquence, entre autres, de considérer comme inférieurs les tapis
orientaux persans à cause de leurs couleurs vives. Le dessin de
la croix comme élément décoratif est une caractéristique négative
de l’art hongrois ; il se trouve toutefois chez les Sicules, sur leurs
tapis et sur leurs œufs de Pâques, et se nomme « olâhkerestes »
(à croix roumaine) 6), ce qui prouvent bien cet élément décoratif carac-

1) M. Hoernes: Urgeschichte der bildenden Kunst in Europa. Vienne, 1915,


p. 12.
2j E. Utitz: Grundlegung der allegemeinen Kunstwissenschajt. Stuttgart, 1920,
p. 365.
3) A. Furtwângler: Zur Einführung in die griechische Kunst. « Deutsche
Rundschau », 34, p. 241, 1908.
4) M. Hoernes: Op. cit., pp. 28—35.
6) A. Riegl: Op. cit., pp. 14—15.
6) Malonyai, II, pp. 263, 270, 231, 229, 229, 239, 243, 248.

3
304 CORIOLAN PETRAN

téristique de l’art roumain représente chez les Sicules une influ­


ence roumaine. De même l’habitude de recouvrir la surface entière
de petits motifs, caractéristique négative de l’art hongrois et posi­
tive de l’art roumain, trahit chez les Sicules une autre influence
roumaine. L’enluminure décorative des œufs de Pâques des Sicules,
dans de nombreux cas, révèle évidemment la même influence,
puisque dans les communes de certains cantons, comme ceux
de Sf. Gheorghe et de Micloșoara, ce sont des Roumaines qui, déco­
ratrices ambulantes, viennent les exécuter1) à domicile ; la décoration
proprement sicule de ces œufs est plus simple et demande moins de
couleurs, tandis que celle des oeufs roumains est plus riche et plus
variée en couleurs. Le battoir à lessive avec manche et poignée de sabre
est d’influence roumaine *2). La bordure large de certaines broderies
sicules est plus caractéristique des Roumains, des Ciangàï et des
Saxons 3). Les quenouilles des illustrations 360 et 364 de Malo­
nyai 4) ressemblent à s’y méprendre à des quenouilles roumaines ;
les broderies et surtout celles de Praid (Nos. 372, 381, 384, 390)
et celles des pages 249—251 sont d’inspiration roumaine. Il en
va de même des « tapis sicules » publiés par Viski, de tous sans
exception, ainsi que d’une grande partie des broderies publiées
par le même 5). L’identité ou la parenté n’est pas pour nous sur­
prendre, car elle s’explique par l’existence des Roumains siculisés 6).
L’archiprêtre E. Dăianu nous communique qu’à Praid en 1903 il
a trouvé des Roumains gréco-catholiques (uniates) qui ne savaient
plus le roumain mais portaient des noms de famille roumains et
se rappelaient que leurs grands-parents savaient encore cette langue.
Touchant l’art sicule, il importerait d’examiner non seulement
ce qu’il a emprunté aux Roumains, mais aussi par quelles modi­
fications et quelles nuances il a siculisé les éléments roumains em­
pruntés. Dans le passé, les Sicules ont été en rapports même avec
les Roumains d’Olténie et de Mounténie (Valachie): les bourgeoises
sicules rapportaient de leurs voyages dans ces provinces des mou­
choirs ou voiles de tête (basmà), des tapis, des nappes, qui ont sans
>) Ibid.
2) Ibid.
3) L. Roediger: « Székely Nemz. Mùzeum Emlékkônyvé », p. 455.
«) Malonyai, II, pp. 263, 270, 231, 227, 229, 239, 243, 248.
5) Op. cit.
6) «Universul» 53 Nr. 67. 8/III 1936. Ch. Benkë (Marosszék ismertetésc.
Cluj, (1869-69) reconnaît que d’autres Roumains ont été siculisés, dans Je
département de Muresh par exemple, à Șard.
INFLUENCE DE L’ART POPULAIRE DES ROUMAINS 305

aucun doute été imités 1) ; des gens du peuple, hommes et femmes


passaient aussi la frontière comme domestiques et s’en retournaient
avec leurs économies s). Si nous feuilletons maintenant l’album de
« L’art populaire hongrois », nous pourrons constater que tous ces
motifs de broderies, de tissus divers et de travaux sur bois qui
sont identiques aux motifs roumains se trouvent uniquement chez
les Hongrois de Transylvanie et non chez ceux de Hongrie: voir
par exemple les numéros 101, 103 (Sălaj), 107 (Unghiul Căleatei),
111 (Alba Inf. et Deva), 125 (Ciuc), 210—211, 215, 218, 219 (Cluj),
147 (Vălcău). Même si l’on pouvait prouver l’origine hongroise de
certains d’entre eux, le fait géographique reste décisif. L’unique
exception est constituée par Oroshâza, commune proche de la
frontière roumaine: or le dictionnaire géographique nous informe
qu’en 1907 il y avait encore 90 Roumains. Le contraste est grand
entre les illustrations des pages 36, 70, 71, 73 et 125, toutes de
Transylvanie, et le reste de l’album Czakô-Gyôrgyi, cela en raison
de l’influence ou plus probablement de la provenance roumaine
des premières. Une petite exposition de broderies hongroises, d’Alu-
niș (dép. du Mureș) à Cluj nous a convaincu d’une influence rou­
maine (et saxonne) indubitable, en raison du travail en deux cou­
leurs, de la bordure et de détails roumains * 23).

VI. INFLUENCES SUR L’ART DES SAXONS DE


TRANSYLVANIE
Les recherches sur les influences roumaines dans l’art des Sa­
xons de Transylvaine n’en sont encore qu’à leur début. Les affir­
mations et les vues de caractère général ne font pas défaut, mais
on ressent le manque d’exposés concrets. I. Brenndôrffer4) écrit:
« L’influence du peuple roumain sur les Saxons se fait sentir non
seulement dans le costume mais aussi dans les coutumes et les
mœurs, dans la manière de penser, en un mot dans toute la vie
populaire, ce qui ressort des mots et expressions proverbiales se
rapportant aux habitudes (famille, marché, commerce), aux occu­
pations (élevage pastoral, élevage des bovins, industrie laitière),
aux superstitions etc. et qui trouvent leur écho dans la poésie po­
pulaire, dans des expressions typiques, dans les sortilèges etc. ».
>) Malonyai, II, 43, 28, 36.
2) Ibid.
3) Voir le journal « Keleti Ujsâg » (Cluj), XIV, 44, du 21 février 1931.
4) Op. cit., pp. 91—92.

3*
306 CORIOLAN PETRAN

« Cette influence roumaine est de date ancienne, elle remonte à


la première rencontre entre les deux peuples et a laissé des traces
profondes dans le peuple saxon et dans la langue saxonne ». K. K.
Klein x) reconnaît dans l’ornementation, les broderies, la céramique,
les travaux sur bois, des analogies si frappantes que seule une con­
naissance intime du sujet nous met en état de distinguer quel est
celui des deux peuples qui a agi sur l’autre. La poésie populaire
roumaine a influencé jusqu’au poète saxon (non populaire) Valentin
Frank, qui a écrit aussi des poésies roumaines. Les éléments rou­
mains des dialectes saxons ont été étudiés par Brenndôrffer, Schul-
lerus, Kisch et Ungar. M. Fleischer *2) a reconnu la nécessité d’étu­
dier comparativement les motifs roumains des broderies ; M. Orend 3)
relève une influence venue du sud-ouest dans la céramique saxonne
et les motifs géométriques roumains ; V. Roth45) remarque que
certaines idées ornementales ou formelles ont été reçues des peu­
ples environnants (donc aussi des Roumains) ; que l’art allemand
de Transylvanie n’a pas poussé tout entier du sol saxon ; que le
blidar ou vaisselier se trouve tout aussi bien chez les Sicules que
les Saxons, et les cruches chez les trois peuples ; enfin que la stylistique
ornementale des Saxons est aussi étroitement liée à l’Orient qu’à
l’Occident. E. Sigerus 6) admet l’influence des autres peuples tran­
sylvains sur la broderie saxonne. A. Schullerus 6) voit dans le man­
teau de fourrure nommé « Koschok » (du roum. «cojoc») et dans
le port de la chemise par-dessus le pantalon une influence roumaine,
et dans les contes populaires un bien commun saxon et roumain.
L’étude des influences réciproques en est arrivée à une étape
plus avancée et plus concrète grâce aux travaux sérieux entrepris
par le dr. L. Netoliczka ’) ; donnons ici quelques-uns de ses résultats

x) Op. cit., p. 42.


2) M. Fleicher: Muster von Leinenstickerein Săchsischer Băuerinnen aus dem
Nosnergau. Bistritza, 1904, p. 3.
3) M. Orend: Krüge und Teller. Sibiu, 1933, p. 19, et dans «Transilvania,
Banatul, Crișana, Maramureșul», 1918. Bucarest, 1929, p. 1229.
4) V. Roth: Geschichte des deutschen Kunstgewerbes in Siebenbürgen. Stras­
bourg, 1908, pp. XIII, XIV, 191, 204, 205, 142.
5) E. Sigerus: Die siebenbürgische Volkskunst, p. 42.
6) A. Schullerus: Siebenbürgisch-sachsische Volkskunde. Leipzig, 1926, p.
57, 61, 164.
’) L. Netoliczka: Aufgaben und Methode der Săchsischen Volkstrachtenfor-
schung in Siebenbürgen. « Siebenbiirgische Viertelsjahrsschrift », LVII, No. 2—3,
1934, p. 106; Arta populară săsească. Vălenii de Munte, 1935, p. 3, et le résumé
INFLUENCE DE L’ART rOPULAIRE DES ROUMAINS 307

les plus précieux: dans le département de Năsăud l’auteur


constate l’influence roumaine sur les broderies « à l’envers » (« pe
dos ») : ces propres mots roumains désignent chez les paysannes
saxonnes les broderies exécutées sur la gauche ; « blêsch Gâller »
désigne le col (guler) à broderies roumaines ; le « Harrasschûrz »
est un tablier acheté, dans plusieurs villages, par les Saxonnes
aux Roumaines de Prundul Bârgăului ; le « kôzen » est un manteau
d’homme confectionné par des paysannes roumaines ; le « Zukema
désigne le « suman » ou paletot, dont seule l’étoffe est achetée aux
Roumains ; la « Gluga » et la « Kuschma » ont été empruntés aux
Roumains, le nom et la chose à la fois: la « Kuschma » est un bon­
net de fourrure très haut et pointu, probablement d’origine mol­
dave, et la « Gluga » est un vêtement d’origine illyro-thrace, porté
par temps de pluie sur la tête et le reste du corps, et servant de
besace quand le temps est beau ; la « Traister » de peau (cf. rou­
main « traistă », besace), agréablement brodée de fleurs en plu­
sieurs couleurs, est exécutée pour les Saxons par les Roumains
de la commune de Zagra (voir un exemplaire au Musée ethnogra­
phique de Cluj). Dans les couleurs vives et franches du costume
saxon du département de Năsăud certains voyaient autrefois une
influence hongroise, aujourd’hui on croit que cette influence
est roumaine. Le tablier à motifs tissés noir sur noir, de Ber-
ghin (dép. d’Alha), révèle une influence roumaine de la région
des Pădureni, où les femmes portent des tabliers tout à fait sem­
blables. « De blêsch Preisn » désigne la broderie « pe dos » des
chemises féminines commandées par les Saxonnes aux Roumaines
de Petrifalău (Alba) ; le « Schtergar » (roum. « ștergar ») était une
serviette de lin que portaient jadis sur la tête les Saxonnes de Prej-
mer (Brașov). L’existence de termes roumains chez les Saxons
prouve indubitablement l’origine roumaine des pièces du vêtement
qu’ils désignent. Au Musée Brukenthal de Sibiu, dans la section
ethnographique, un coffre à décor en entailles, bien que propriété
saxonne, suppose l’activité artistique d’un paysan roumain. Focil-
lonx) est d’avis qu’au contact du génie roumain les formes

des conférences de N. dans les journaux « Die neue Zeitung ». Sibiu, 28 janvier
1933, « Sieb. Deutsches Tageblatt », 28 janvier 1933, Sibiu; « Kronstădter
Zeitung », Brașov, 15 octobre 1932, ainsi que le feuilleton sur l’exposition de
costumes dans «Sieb. Deutsches Tageblatt», 5 juillet 1935.
H. Focillon: préface au catalogue de l’« Exposition d’art roumain au
Musée du Jeu de Paume». Paris, 1925, p. 23.
308 CORIOLAN PETRAN

saxonnes de Transylvanie ont gagné une diversité plus nuancée.


D’après R. Helm le goût roumain s’affirme dans les étoffes tissées
à la main et dans certaines pièces du vêtement livrées toutes faites
par les Roumains x). Dans l’album de broderies publié par Sigerus 12)
les séries I, 14, 56; II, 50, 51; III, 37, 33, 47 sont d’inspiration
roumaine pour les motifs, ceux-ci transformés cependant dans
l’esprit saxon. Une dernière preuve de la puissance de l’influence
roumaine chez les Saxons, autrefois, nous est apportée par ce fait
que le pasteur protestant Andreas Matthesius se plaint à son cha­
pitre, en 1647, que lors des fêtes de Noël ses fidèles chantent des
« colinde » ou noëls roumains (« ihre gotteslăsterliche Colinden
wallachisch singen ») et qu’avant Noël ils apprennent des « Tai-
felsgesânge » 3).

VIL INFLUENCES SUR LA POÉSIE, LA MUSIQUE,


LA DANSE

Si l’art populaire roumain a si puissamment influencé, entre


autres, l’art hongrois, cette influence ne saurait être limitée à l’ha­
bitation, à l’église, aux arts décoratifs: elle a dû se manifester aussi
dans les autres domaines de l’art, dans la poésie, dans la musique
et dans la danse populaires. Et en effet, tel est le cas. Le Hongrois
L. Kantor 4) dans son étude sur les influences réciproques entre
les poésies roumaine et hongroise, écrit ce qui suit: «La poésie
populaire roumaine, par suite précisément de l’état de civilisation
arriérée du peuple, est une des plus riches. Il est tout à fait naturel
que les Magyars transylvains, qui vivent depuis des siècles non
seulement dans le voisinage des Roumains mais même, sur beau­
coup de points, côte à côte avec eux, n’aient pu se soustraire non plus
à leur influence dans le domaine de la poésie populaire ». En face
de Kântor, qui croit à une réciprocité d’influences, O. Ghibu.-5)
précise dans son étude: « En ce qui nous concerne, nous Roumains,

1) H. Retzlaff: Deutsche Bauerntrachten. Beschrieben von R. Helm. Berlin,


1934, p. 132.
2) E. Sigerus: Siebenbürgisch-sdchslische Leinenstickerein, édit. II. Sibiu, 1923.
3) I. Lupaș: Ursprung u. Entwicklung der bedeutendsten konfessionellen
Minderheiten in Rumanien. léna et Leipzig, 1936, pp. 17—18.
4) L. Kântor: Kôlcsônhatds a magyar és roman népkottészetben. « Az Erdélyi
Mùzeum Egyesulet 11 vândor epülésének Emlekkônyve ». Cluj, 1933, pp. 29—38.
5) O. Ghibu: Contribuții la istoria poeziei noastre. Bucarest, 1934.
INFLUENCE DE L’ART POPULAIRE DES ROUMAINS 309

nous pouvons affirmer que ce n’est pas nous qui avons subi la plus
forte influence; au contraire, c’est nous qui avons influencé dans
la plus large mesure les Hongrois»; «au XVIll-e siècle il existait
en Transylvanie, pour la poésie et la musique roumaines, un in­
térêt qui dépassait les cadres de la classe paysanne et touchait
non seulement les Roumains mais les Hongrois ». La langue rou­
maine était non seulement connue mais employée par les cercles
hongrois transylvains, avant que la Hongrie moderne ne se fût
fixé comme objectif politique la fusion totale de la Transylvanie
dans un Etat unitaire hongrois. La preuve en est qu’en 1768 un
intellectuel magyar publia une collection de poésies roumaines
qui eut deux éditions, et qu’un autre, trente ans plus tard, ras­
sembla en un volume manuscrit une série de poésies roumaines ;
en 1785, nous trouvons dans une collection hongroise la complainte
(« Cântec de tânguire ») du héros populaire Horia rédigée dans les
deux langues, de même que les poésies de 1798. Kântor relève des
influences roumaines dans les contes fantastiques, dans les chansons
et marches militaires, dans les vers satiriques criés pendant la danse
(« strigături »), dans les ballades, et il nous en donne des exemples
suffisamment précis. I. U. Soricu 4) souligne que les sortilèges, les
envoûtements, les veillées, les noëls, les coutumes de noces avec
leurs souhaits en vers, les contes etc. ont influencé profondément la
poésie magyare, et il nous cite de nombreux exemples dont cer­
tains présentent des vers roumains alternant avec des vers hon­
grois. Faute d’espace nous ne pouvons reproduire les exemples
donnés par Kântor et par Soricu; Braniște a), Alexici 3) et, de façon
plus étendue, Kristóf 4) se sont occupés de deux chansons du poète
hongrois V. Balassa, composées sur le rythme de deux chansons
populaires roumaines ; ainsi donc un poète hongrois renommé, de
la seconde moitié du XVI-e siècle, est influencé et attiré par la
poésie populaire roumaine. Kristóf conclut : « Nous devrons donc
admettre que certaines poésies populaires roumaines, soit pour leur
mélodie prenante, soit pour la beauté du fond, étaient connues
des cercles de l’aristocratie hongroise de Transylvanie ».

*) I. U. Soricu : Influențele românești în poezia și folklorul unguresc. Sibiu, 1929.


2) V. Braniște: «Transilvania», XXII. Sibiu, 1891.
3) G. Alexici: «Luceafărul». Sibiu, 1903, pp. 366—371).
4) Gh. Kristóf: Influența poeziei populare române din sec. al XVI-lea asupra
lui Balassa Bdlint. « Dacoromania », III, 350—360. Cluj, 1924.
310 CORIOLAN PETRAN

Les deux chansons de Balassa ont été composées sur la mé­


lodie de deux chansons roumaines. Mais ce ne sont pas seulement
les mélodies, ce sont aussi les danses roumaines *) qui ont charmé
ce poète. L’historien hongrois Isthvânfi* 2) nous apprend qu’en
1572, à l’occasion de l’installation de Rodolphe, Valentin Balassa
dansa une danse imitant celle des anciennes divinités des bois —■
d’après Branisce la danse roumaine du « Călușer », d’après Soricu 3)
l’« Ardeleană » de la région des Târnave — danse contemplée avec
un plaisir particulier par l’empereur. Dans la seconde moitié du
XVII-e siècle, à l’époque de Pierre Apor, on dansait aussi des danses
roumaines à la cour des princes transylvains et celles-ci étaient
répandues parmi les Hongrois. Selon Alexici c’est non seulement
la danse haïdouke (« hajdûtânc ») qui a été influencée par la danse
roumaine, c’est aussi l’instrument employé pour cette danse, le
« bordé sip », qui est d’origine roumaine (« bordé » vient du rou­
main « burduf », outre de la cornemuse). La « bătută » et le « că­
lușer » des Roumains ont influencé profondément les compagnons
des Kouroutzes roumains. En 1647 P. Eszterhâzy danse une danse rou­
maine à Pozsony (Bratislava-Pressbourg) devant l’empereur Fer­
dinand III; le poète et professeur Martin Opitz loue les chansons
roumaines et dans son poème de « Zlatna », en 1624, il écrit de la
danse roumaine qu’il est difficile de trouver son égale en beauté,
« so wunderbar gebückt wird und geneigt » ; « la danse plut fort
à l’empereur et à l’impératrice », écrit P. Eszterhâzy dans son au­
tobiographie. De telles observations sont significatives.
La première mélodie écrite de danse roumaine se trouve dans
le recueil de chants ou codex du prince Eszterhâzy, constitué vers
le milieu du XVII-e siècle et aujourd’hui à l’Académie hongroise; le
volume comprend cinq mélodies hongroises (chorea hungarica) et
une danse roumaine qui leur est apparentée. Les chansons à danser
du codex Kajoni (seconde moitié du XVII-e siècle) ressemblent,
pour le caractère général, le rythme, la mélodie, la clausule etc. aux
chansons hongroises et à la chanson roumaine du codex Eszter-
Jxâzy. D’après Fabé, historien de la musique hongroise, l’ancienne

x) V. Braniște: Muzică și dansuri la Români. Brașov, 1909.


2) N. Isthvânfi: Historiarum de rebus hungaricis Libri XXV, 1572. Cologne,
1622; B. Fabô: A magyar népdal zenei fejlôdése. Budapest, 1908; T. Brediceanu:
«Art populaire». Paris, 1931, p. 133; Șt. Mărcuș: Muzică și teatru în Bihor.
Oradea, 1935.
3) Op. cit., p. 16.
INFLUENCE DE L’ART POPULAIRE DES ROUMAINS 311

musique de danse hongroise était du même genre que les vieilles


mélodies transylvaines « que notre oreille et notre sens musical
actuel sentent comme roumaines ». Seprôdix) étudiant les mélo­
dies anciennes du codex Kâjoni se demande: «comment juger
cette saveur spéciale qu’on trouve plus ou moins à toutes ces mé­
lodies et que l’on appelle roumaine, mais dont la musique de danse
des Sicules est tellement imprégnée?». C’est un fait en vérité cu­
rieux et significatif que la plus ancienne musique hongroise res­
semble à tel point à la musique roumaine, fût-ce la plus récente,
et que les Hongrois eux-mêmes la ressentent comme roumaine ;
et il est aussi curieux que la musique roumaine ressemble plus à
la hongroise ancienne, qu’à celle-ci la musique hongroise moderne.
La seconde moitié du XVII-e siècle et le début du XVIII-e for­
ment dans l’histoire hongroise l’époque dite «des Kouroutzes»:
les Roumains avaient combattu alors aux côtés des Hongrois contre
les Impériaux, s’étaieut réjouis et avaient souffert avec eux, et
tout naturellement leur influence profonde se fit ressentir dans
les «chants populaires kouroutzes». Fabô écrit dans son livre sur
l’évolution musicale du chant populaire hongrois: «défait, dans le
développement du chant populaire kouroutze, l’élément roumain
est puissant*2)». Dans une de ces chansons il est chanté: « Nosza
Radulj, tolvaj Viduj, fujd a Bagi tançât » (Radu, bandit de Vidu,
joue — littéralement: souffle—-la danse de Bagi); on connaît
même une chanson dont les vers sont mi-partis roumains et hon­
grois. Fabô avoue que le type ancien de chanson à danser kouroutze
s’est conservé, pour le rythme et la mélodie, mieux et dans une
plus large mesure chez les Roumains que chez les Hongrois, et que
les chansons populaires kouroutzes des Hongrois semblent rou­
maines aux oreilles hongroises de nos jours 3).
L’époque la plus florissante des chansons kouroutzes doit être
cherchée au temps de François Râkoczi II; mais, d’un air à danser
haïdouk du temps de Râkoczi, Kâldy 4) nous dit qu’il peut faire
l’impression d’être roumain, avec son accompagnement qui rap­
pelle la cornemuse ou « cimpoiu ». La question qu’on en vient donc

') J. Seprôdi: A Kdjoni-Codex irodalom- és zenetôrténeti adalékai. «Irodalom-


tôrténeti Kôzlemények », XIX, 421. Budapest, 1909.
2) B. Fabô: Op. cit., pp. 108, 117, 130, 208, 131.
3) Ibid.
4) J. Kâldy: Az 1821—1861 években keletkezett magyar tort, énekekrôlés indu-
lókról. Budapest, 1895, pp. 6, 7, 8, 10.
312 CORIOLAN PETRAN

à se poser n’est plus de mesurer le degré d’influence respective


hongroise ou roumaine, mais de se demander si les Roumains eux-
mêmes ne sont pas les véritables créateurs de la musique kouroutze,
et de la plus ancienne. Les ballades historiques et les marches hon­
groises de 1848—49 étaient étroitement apparentées à celles de
l’époque des Kouroutzes x) : le chant « Zrinyi vére mosta Bécset »
(le sang de Zrinyi a lavé Vienne) se chantait sur la vieille mélodie
roumaine de Horia et Cloșca * 2). Fabô trouve que l’influence rou­
maine sur la musique hongroise s’étend de Balassa à Csermâk
(4- 1822) 3). Ces constatations objectives, évidemment, n’étaient pas
pour flatter la vanité nationale magyare ; dans la préface de son
) Fabô nous conte qu’un savant hongrois tenu pour sérieux
livre 45
l’avertit en ces termes : « Prenez garde à ce goût roumain, car vous
verrez qu’il finira, comme beaucoup d’autres, par faire un jour
explosion à nos dépens » ; un autre savant hongrois à qui il avait
communiqué le résultat de ses recherches sur la danse haïdouque
à éléments roumains lui répondit: «Le jugement froid des données
du problème n’est pas opportun mais dangereux ». Il paraît encore
bien plus inopportun et dangereux aujourd’hui à la Hongrie révi­
sionniste. Béla Bartok 6), au Congrès des arts populaires à Prague
en 1928, ne reconnaissait que quelques chansons d’un groupe hété­
rogène comme ayant été empruntées aux Roumains ; surtout, il
inversa les rôles en matière de musique ancienne, affirmant que
les chansons hongroises « ont exercé une influence essentielle sur
une partie de la population roumaine, celle du Maramureș et des
régions confinant vers l’ouest aux territoires « székely » (sicules) ».
Dans sa récente brochure 6) il ne parle plus d’influences roumaines,
considère la gamme pentatonique comme hongroise et apportée
d’Asie et déclare en conséquence que l’influence hongroise domine
dans la musique roumaine du pays des Sicules, de la Plaine d’Ouest,
de Satinar, de Sălaj, car cette musique possède la gamme penta­
tonique. Toutefois, dans la conclusion de son travail, il change

J. Kâldy: Op. cit.


‘ 2) Ibid.
3) Op. cit., p. VI.
а) Ibid.
5) B. Bartok: «Art populaire». Paris, 1931, pp. 127—130.
б) B. Bartok: Népzenénk és a szomszédnépek népzenéje. Budapest, 1934;
publiée ensuite en allemand dans les « Ungarische Jahrbiicher». Berlin, août
1935, XV, Cahier, 2—3, pp. 194—224, mais la conclusion est ajoutée non
pas au texte mais aux notes, bien qu’elle eût été écrite depuis plus d’un an.
INFLUENCE DE L’ART POPULAIRE DES ROUMAINS 313

d’avis, car il a pu se convaincre entre temps, grâce à la collection


de 8.000 phonogrammes de Bucarest, que les gammes pentato-
niques « non seulement existent mais sont même très répandues
en Bucovine, en Moldavie, en Bessarabie, voire dans d’autres ré­
gions de l’ancienne Roumanie ». Il est difficile d’admettre que
l’influence hongroise ait pu pénétrer jusqu’en Bessarabie. Ainsi les
affirmations de B. Bartok, tant au Congrès de Prague que dans
sa récente publication, se sont révélées hâtives, injustes et même
superficielles, car, à l’exception des Tchérémisses,- il ne connaît
pas la musique finno-ougrienne et turco-tatare. Ajoutons que ces
affirmations trahissent en outre l’ingratitude de leur auteur envers
les Roumains, qui ont mis à sa disposition toute sorte de moyens
pour ses enquêtes dans le Bihor et qui ont publié son ouvrage en
1913 1), sans parler des distinctions qui lui ont été accordées. Au
Congrès de Prague, Tibère Brediceanu * 2) fit les rectifications néces­
saires, constatant dans la musique roumaine « une remarquable
unité et homogénéité (bien que les différentes parties de la Rou­
manie actuelle aient été pendant des siècles séparées les unes des
autres »). « Elle a eu une incontestable et décisive influence sur
la musique nationale des peuples voisins ou cohabitants ». « Dans
la musique magyare, spécialement dans la sicule et dans la mu­
sique hongroise ancienne, dans la musique dite « kouroutze » se
trouvent bien des éléments de la musique roumaine de Transyl­
vanie ». Avec quelle objectivité Bartalus 3) écrivait-il en 1876:
« Celui qui ne connaît pas l’histoire de la Hongrie, ses peuples de
diverses langues, ne peut s’expliquer l’enchevêtrement de traits
extrêmes que l’on constate dans la musique hongroise ! ».
E. Haraszti non plus, dans son livre récent 4), ne croit pas que
la gamme pentatonique ait été apportée d’Asie et conservée par
les Hongrois, car le christianisme triomphant a étouffé les chants
primitifs et païens ; de plus, la confrontation minutieuse des maté­
riaux musicaux des peuples ouralo-altaïques avec les données mé­
lodiques hongroises n’a pas encore été entreprise. Le même auteur
constate que la gamme pentatonique est fréquente surtout en Tran-

*) B. Bartok: Cântece poporale românești din comitatul Bihor. Bucarest, t913.


Publiés par l’Académie roumaine.
2) T. Brediceanu: Op. cit.
3) E. Bartalus: Müvészet és Nemzetiség. Budapest, 1876, p. 23.
4) E. Haraszti: La musique hongroise. Paris, 1923, pp. 3, 6, 11, 15, 32.
314 CORIOLAN PETRAN

sylvanie. Riemann 1) nous informe qu’elle existait déjà en Europe


bien avant la venue des Hongrois, chez les Celtes et chez les Grecs,
à l’époque la plus ancienne de leur civilisation; beaucoup des plus
vieilles mélodies grégoriennes (fin du Vl-e siècle) sont fondées sur
cette gamme. Les compositions musicales de B. Bartok lui-même
décèlent l’influence de la musique roumaine, ce que reconnaissent
Haraszti 12) et d’autres encore: «Dans ses œuvres, à côté des traits
hongrois, on relève aussi une matière de folklore étrangère : slovaque
et roumaine ».
G. Alexici 3), dans son étude sur les éléments roumains dans la
musique populaire hongroise, résume ainsi les propriétés qui carac­
térisent la musique populaire roumaine et qui prouvent l’origine
roumaine de certaines mélodies magyares: 1. Le ton final de la césure
principale démontre absolument l’origine roumaine de la mélodie ;
2. L’apparition spontanée de la cadence phrygienne au cours de la
mélodie est également une preuve décisive de cette origine ; 3. Les
formes musicales AABB, AABB v et AA v BB v sont des preuves
de l’origine roumaine, surtout si les périodes AA v et BB v sont bien
distinctes. « Ce que l’on a cru d’origine magyare est en grande partie
emprunt roumain », et l’auteur ajoute que l’influence subie est beau­
coup plus forte encore qu’il n’a pu le démontrer avec les matériaux
réduits qu’il avait à sa disposition.
Ce serait une lacune impardonnable que de pas faire mention,
dans la présente étude, du rôle qu’a eu un Roumain dans la musique
religieuse hongroise: loan Kajoni 4), dont nous avons cité le codex
dans les pages précédentes. Né de parents orthodoxes, il se nommait
lui-même « valachus » ; il occupa à plusieurs reprises les fonctions
de supérieur du monastère catholique latin de Șumuleu et devint
vicaire général en 1676, avec droit de succession au siège épiscopal.
Veress 56) le nomme «le fondateur du chant religieux hongrois ». Son
activité est gigantesque, comme compositeur, collectionneur de
chants, musicien, lettré, facteur d’orgues, constructeur d’églises et

1) H. Riemann: Musikle xikon. Berlin et Leipzig, 1916, p. 337.


2) Op, cit., p. 122; C. Petranu: D-l Bartok și muzica românească, «Gând
Românesc», 1936, No. 2 p. 120—125.
8) G. Alexici: Elemente române în muzica populară maghiară. « Grai si Suflet »,
III, 47—54, 1927.
4) I. Seprôdi: Op. cit. et F. Inăki: Kăjoni lânos Enekeskonyve és forrâsai.
Cluj, 1914.
6) A. Veress: Bibliografia Română-Ungară, I, p. IX.
INFLUENCE DE L’ART POPULAIRE DES ROUMAINS 315

d’écoles. Il a laissé vingt-trois ouvrages, dont les codices contenant


les deux chansons à danser roumaines (« ola tancz ») et les chansons
analogues hongroises présentent de l’importance pour les Roumains.

VIII. INFLUENCES ROUMAINES DANS LE PASSÉ

Une question qui se pose ici, vers la fin de notre exposé, est de
savoir si l’art populaire ancien des Roumains a eu un effet extensif,
c’est-à-dire a trouvé un écho à des époques plus éloignées de nous.
Cet effet extensif se manifeste dans l’histoire de l’art par diverses
appréciations, par des descriptions, des mentions, des allusions et
des images ou réminiscences chez les écrivains, les voyageurs, les
artistes. Une telle question mériterait une étude spéciale, la matière
en étant riche et, au point de vue de notre sujet, imparfaitement
rassemblée, analysée et publiée 1). En ce qui touche l’art roumain,
nous pouvons néanmoins répondre dès maintenant de façon affir­
mative: l’influence qu’il a exercée dans le temps s’étend sur une
échelle assez vaste, ayant débuté des le XVI-e siècle. Et même nous
trouvons le costume populaire roumain reproduit dès 1358 —- le
costume masculin — dans le Chronicon Pictum Vindobonense * 2), et
le costume populaire féminin dès 1409 et 1417, dans les peintures
murales des églises de Strei-Sângeorgiu et de Ribița. Sur l’emblème
de la corporation des joailliers de Brașov (1556) le costume du paysan
roumain apparaît également. (Musée national de Budapest).
Sans avoir la prétention de donner une liste exhaustive, citons ici
quelques-uns des écrivains, voyageurs ou artistes qui, dans leurs
ouvrages, se sont occupés de notre art populaire: N. de Nicolai
(1580), M. Opitz (1624), L. Toppeltinus (1667), I. Trôster (1667),
l’auteur du recueil « Costume-Bilder aus Siebenbürgen » (XVII-e
siècle), M. Miles (1670), I. Kajoni (seconde moitié du XVII-e s.),
Dupont (1686), G. Krekwitz (1688), Del Chiaro (1718), La Metraye
(1727), l’auteur de l’Histoire des révolutions de Hongrie (1739), I. E.
Liotard (1742—1743), le rédacteur des « Merckwürdige Historische
Nachrichten » (1743—1744), Br. Hohenhausen (1775), K. G. von
Windisch (1780), F. Grisellini (1780), F. I. Sulzer (1781—1782),
l’auteur de l’iter per Poseganam Sclavoniae (1783), le comte A. de

x) N. Iorga: Istoria Românilor prin călători, ed. II, Bucarest, 1928—1929,


vol. I—III; A. Veress: Bibliografia etc.
2) I. Lupaș: Lupta dela Posada, « Anuarul Comisiunii Monumentelor Istorice »,
section de Transylvanie. Cluj, 1932.
316 INFLUENCE DE L’ART POPULAIRE DES ROUMAINS

Hauterive (1785), I. Seiverth (1785), Peysonnel (1787), H. Barcsai


(1789), Hacquet (1790), M. Lebrecht (1792), I. Chr. Engel (1798), S.
Bredetzky (1803—1804), Fr. Neuhauser (—f-1807), Fr. Murhard
(1805—1806), I. H. Bénigny (1807), I. L. Stoltz (1812), L. I. Marien-
burg (1813), l’auteur de la Gallerie der Menschen (1813), Breton
(1816), K. Timlich (1816), Mac Carty (1823), Rittmeister Pacsics
(1826), I. Alt et L. Ermini (1826), comte A. de Lagarde (1828),
I. von Csaplovics (1829), L. von Stümer (1830), baron d’Haussez
(1831), E. M. Blutte (1833), W. C. W. Blumenbach (1834), Ludwigh
(1835), l’ermite de Gauting (1835), H. Raffet (1837), I. G. Kohl
(1838), Thouvenel (1840), le prince A. Demidov (1840), Ch.
Doussault, M. Schnell (1842), M. Bonquet (1843), A. de Gérando
(1845), M-me de Carlowitz (1846), Th. Valerio (1851—1852), I. F.
Neugebaur (1854), Faust von Auer (1857), A. Lancelot (1860), I. M.
Salzer (1860), Ch. Boner (1865) 1). Pour juger de l’intensité de l’effet
il faut remarquer, en dehors des mentions et descriptions, que ce
sont surtout les costumes populaires, mais aussi la danse et la mu­
sique qui ont éveillé le plus d’intérêt chez les auteurs cités ; certains
nous ont laissé, outre leurs appréciations chaleureuses, des illustra­
tions représentant des costumes roumains, d’autres des transcrip­
tions musicales. Bien plus, Opitz, Trôster, Hohenhausen, Sulzer,
Grisellini, Lagarde, Stürmer, le baron d’Haussez, Paget, Poujade,
Wilkinson, de Gérando estiment très ancien l’art populaire roumain,
ou du moins certains de ses genres et le rapportent aux Daces et
aux Romains. De telles observations sont intéressantes et suggestives
en matière d’influences.
Reproduisons au moins quelques-unes des appréciations de ces
auteurs. Le comte de Hauterive (1785) est d’avis que les duchesses
françaises elles-mêmes « ne brodent pas avec une plus jolie main,
avec un plus beau bras et avec une aisance plus notable ». Le comte
Karaczay (1818) trouve le costume roumain non seulement beau mais
propre, il remarque que les mendiants eux-mêmes portent des

*) Cf. G. Oprescu: Țările romane văzute de artiști francezi. Bucarest, 1926;


M. I. Glogoveanu: « Arhivele Olteniei », VI, 162, et C. I. Karadja: dans la même
revue, IV, 152—295; I. Milovia: «Analele Banatului», I, 1; V. Bugariu: dans
la même revue, III, 1, pp. 18—34, III, 4, pp. 57—88, IV, 1, pp. 58—89; I. C.
Băcilă: Pictori francezi prin țara noastră. Sibiu, 1923; E. Barbul: Costume ro­
mânești din veacul al XVII-lea. Cluj, 1935. (Ces six derniers auteurs, communi­
qués par le dr. L. Netoliczka, chef de travaux au Musée ethnographique de Cluj) ;
E. Armeanca: « Gând Românesc », 1935. Cluj, pp. 235—242.
INFLUENCE DE L’ART POPULAIRE DES ROUMAINS 317

costumes à broderies, enfin il trouve le voile des paysannes d’une


finesse supérieure. Le peintre Lancelot (1860) dit que le costume
féminin « éveille les heureux souvenirs de la Grèce et de l’Italie ;
peint, il serait enchanteur par ses couleurs; sculpté, il serait admi­
rable par ses lignes, laissant voir les proportions du corps et la grâce
de la taille ». Ch. Boner (1865) écrit que « les tapis tissés dans cer­
taines régions de Transylvanie par les femmes roumaines sont si
beaux qu’ils seraient sûrement appréciés dans n’importe quel salon
de Londres ou de Paris ». Krekwitz (1688) et Marienburg (1816)
affirment l’influence du costume roumain sur les Hongrois et sur
d’autres peuples, ou plutôt l’adoption intégrale de ce costume. Les
appréciations élogieuses à partir de 1860 nous prendraient trop de
place ; nous en avons cité déjà une partie dans le premier numéro du
premier tome de la présente revue, pp. 82—85 (Fr. Schulcz, Weser,
Szinte, Myskowsky, J. Alazard, E. Kolbenheyer, Rômer, Jaronek,
Malonyai, Dômôtôr, Iannecke, G. Téglâs, T. Schmidt, X. Focillon,
L. Romier) ; nous en avons cité une autre partie, relative aux églises
de bois roumaines, dans une brochure spéciale x) (P. Weber, Ch.
Steinbrucker, H. Platz, L. Adler, P. Meyer, Damm, O. Bloch P.
Henry, E. Dhuicque, S. Curman, Erixon, G. Duckworth, L. Réau,
P. Perdrizet, Z. Batowski, K. Hielscher, V. Roth, Fr. Holztrăger,
G. Trieber etc.). A ces appréciations nous pourrions ajouter celles de
Ch. Diehl*2*), de E. Sigerus8) et de E. Laur4*). Le premier écrit:
« Toute une variété de produits de cet art populaire, qui a excellé
en particulier dans les œuvres de la céramique et dans le travail du
bois... Mais c’est surtout dans les broderies qui décorent les costu­
mes populaires qu’apparaît, de la façon la plus caractéristique,
toute la tradition nationale... Une variété, une richesse de couleurs
vigoureuses qui s’harmonisent le plus heureusement du monde.. .
Et partout, en Valachie comme en Bukovine, en Transylvanie comme
au Banat, on trouve la grâce infinie de ces broderies originales et
charmantes ». Le second écrit : « Ces travaux exécutés avec art, sur

*) C. Petranu: Bisericile de lemn ale Românilor ardeleni. Die Holzkirchen der


Siebenbiirger Rumănen. Cluj, 1934.
2) Ch. Diehl: L’art roumain, «La Roumanie». Paris. Union Française, s. d.,
pp. 182, 184.
s) E. Sigerus: « Siebenbiirgisch-Deutsches Tageblatt ». Sibiu, 31 octobre 1925,
et « Transilvania ». Sibiu, 1925, p. 593.
4) E. Laur: dans la revue « Die Schweizertracht. Les costumes suisses ».
Olten., VIII, 5, p. 180.
318 CORIOLAN PETRAN

une toile servant de fond, sont si beaux, si nobles, si pleins de style,


qu’ils semblent avoir été brodés au XVI-e siècle sous les yeux d’une
dame de la famille des Médicis, en Italie, et non par des paysannes
roumaines aux mains calleuses après les durs travaux des champs ».
« Nous pouvons dire en toute sincérité que nous envions aux Rou­
mains leur immense trésor d’art populaire, leurs magnifiques costu­
mes, leurs us et coutumes, très vivants aujourd’hui encore. Alors
que nous nous efforçons de réunir derechef et de raviver ce que nous
ont légué nos ancêtres et que nous n’avons que trop laissé se dis­
perser, les Roumains, eux, jouissent d’un art populaire florissant ».
Il nous faut relever aussi en cette place, où nous nous occupons
de l’influence de l’art populaire roumain, le fait qu’un nombre con­
sidérable d’artistes étrangers, aux XlX-e et XX-e siècles, se sont
inspirés du pittoresque de notre costume paysan et l’ont reproduit
dans leurs tableaux. Comme il n’existe pas encore de monographie
sur ce sujet, nous nous bornons à une énumération incomplète. Deux
peintres hongrois bien connus, Nie. Rarabăs -1) et M. Munkacsy *2),
ont reproduit dans leurs dessins et leurs tableaux le costume rou­
main ; le premier fait mention de dix de ses tableaux dans son journal ;
le second a exécuté de tels ouvrages dans sa jeunesse, durant son
séjour dans le Banat. On pourrait citer beaucoup d’autres peintres
hongrois qui se sont laissé séduire par le charme de ce costume 3):
le comte T. Andrâssy, Al. Bihari, T. Boromisza, P. Bôhm, L. Bruck,
D. Csănki, I. Csiszér, Etienne Csôk, G. Vastagh senior, H. Weber.
Parmi les peintres saxons nouveaux qui ont traité le même sujet
nous connaissons: Amerling, Steris, Melka, Makart, Trenk, Preziosi,
à côté d’un grand nombre de peintres qui ont illustré de leurs gra­
vures, dessins et tableaux la révolution de Horia, Cloșca et Crișan 4).
Comment l’art du paysan roumain n’aurait-il pas eu d’influence sur
le paysan hongrois ou saxon, quand il a inspiré des artistes savants,
dont plusieurs de grand renom, quand les objets qu’il a fabriqués et
ornés ont pénétré dans le château de l’archiduc Charles à Kolomya 5)
et dans les châteaux des magnats hongrois (D. Teleki, à Gornești, A.

4) A. Veress: Pictorul Barabas și Românii. Bucarest, 1930, pp. 32—34.


2) D. Malonyai: Munkacsy Mihdly. Budapest, 1907, p. 24, 84, et É. Berkeszi:
Temesvâri müvészek. Timișoara, 1910, p. 100.
3) I. Szendrei I. Szentinényi: Magyar Képzrômüvészek Lexikona. Budapest,
1915.
4) Oct. Beu: Răscoala lui Horia. Bucarest, 1935 (avec 105 illustrations dont
une partie présente aussi un vif intérêt ethnographique).
5) I. Nistor: Op. cit., p. 175.
INFLUENCE DE L’ART POPULAIRE DES ROUMAINS 319

Banfi, à Răscruci, etc.), quand les dames de la haute société magyare


engageaient nos paysannes dans leurs ateliers d’art hongrois ou
saxon x), quand enfin cet art roumain a forcé la porte de grands mu­
sées étrangers (Vienne, Budapest, Londres, Lyon, Sèvres etc.)?
Les Saxons et les Hongrois de Transylvanie ont rassemblé eux aussi
des objets roumains à l’intention de leurs musées publics *2) (Sibiu,
Cluj, Deva, Arad, Alba Iulia, Brașov) ainsi que pour des collections
particulières (G. Téglâs, A. Orosz, E. Sigerus). A l’Exposition inter­
nationale de Vienne, en 1873, la Hongrie n’a exposé, à la section
d’industrie ménagère, à peu près que des objets roumains ; l’album
publié3) à cette occasion contient 38 illustrations roumaines, 4
probablement roumaines, 11 hongroises (dont 3 sicules), une de
Huedin, une de Rimetea, 6 allemandes (dont 4 saxonnes) ; il résulte
de cette statistique qu’en Hongrie, vers cette époque, les broderies
roumaines étaient les plus appréciées de toutes celles des populations
de Transylvanie et que les Sicules et les Hongrois de cette province,
comme le relève Rômer 4) dans son compte-rendu de l’exposition,
ne brodaient et ne tissaient presque plus. Ces détails confirment le
fait que les broderies et tissus hongrois si réputés de l’Unghiul
Căleatei, des Sicules et de Rimetea n’ont recommencé à fleurir et à
prospérer qu’après la date ci-dessus et grâce à une organisation
artificielle. Les objets d’art populaire roumain des musées non-rou­
mains et des expositions étrangères ne sont assurément pas restés
sans influence; c’est ainsi par exemple que les motifs des broderies
et des tapis roumains font leur apparition dans les albums de mo­
dèles à broder allemands, bulgares, hongrois, le plus souvent sans que
la source en soit rappelée. Nous soulignerons à ce propos qu’une des
injustices dont a souvent souffert l’art roumain consiste précisément
en ce que ses ouvrages sont présentés comme hongrois : nous trouvons
une protestation contre cette habitude quarante-trois ans déjà avant
l’exposition, dans la «Tribuna» de Sibiu: «Plus d’une fois il est
arrivé que le bien propre des Roumains, nos mélodies, les admirables
travaux de la paysanne roumaine aient été présentés comme des
produits du génie hongrois et aient excité l’admiration des étrangers ».
Le même journal note que les travaux d’aiguille roumains, dans

J) «Tribuna». Sibiu, 1893, No. 64, et M-me Gyarmathy: Op. cit.


2) C. Petranu: Muzeele din Transilvania. Bucarest, 1922.
s) Ch. Pulszky: Op. cit.
4) Fl. Rômer: Die nationale Hausindustrie auf der Wiener Weltausstellung,
1873. Budapest, 1873, p. 21.
320 CORIOLAN PETRAN

l’atelier de la baronne de Șeica-Mare, passent pour être de « confec­


tion saxonne » et que les modèles roumains sont vulgarisés dans les
albums étrangers sous le titre de « modèles anciens magyars ». De
telles récriminations seraient aussi justifiées de nos jours, au sujet des
albums budapestois et des expositions d’art hongrois de Transylvanie
où les objets roumains ne font jamais défaut (voir à ce propos le
feuilleton du 3 décembre 1934, du journal de Cluj « România Nouă »,
II, 270). Une plainte analogue a eu lieu par la voie officielle de la
part de la Tchécoslovaquie, dont le représentant à Londres a protesté
contre l’exposition d’objets d’art populaire slovaque (donnés par le
Musée des arts décoratifs de Budapest) sous le titre d’« art hongrois »,
au Victoria and Albert Museum de Londres.

CONCLUSION

Au stade actuel où en sont arrivées les recherches nous ne sommes


pas encore en état de préciser suffisamment la profondeur extraor­
dinaire des influences exercées par l’art des paysans roumains;
celles dont nous avons parlé dans les pages précédentes ne donnent
qu’une vue fragmentaire d’un ensemble plein d’une robustesse et
d’une vitalité séculaires. Il en ressort pourtant avec assez de clarté
que l’influence de l’art populaire roumain n’a pas été simplement
accidentelle ou secondaire dans l’histoire de l’art des peuples voisins
ou cohabitants, mais profonde autant qu’étendue ; qu’elle n’est pas
limitée à certains genres mais qu’elle s’exerce sur tout le domaine
de l’art populaire: technique du bâtiment, arts décoratifs, poésie,
danse, musique.
Chez certaines populations, comme les Sicules, les Ciangăî, les
Crașoveni, ou a le droit de parler non seulement d’une influence
roumaine mais bien du fonds roumain de leur art le plus ancien,
fonds auquel ils n’ont apporté que des nuances et des modifications
de détail; dans l’art sicule il arrive même que ces modifications
fassent défaut, la cause en étant le fort mélange de sang roumain.
Dans certains genres, comme la musique hongroise ancienne, on
peut se demander également s’il n’est pas légitime de parler non
pas seulement d’une influence roumaine décisive mais bien d’une
base roumaine n’ayant jamais cessé d’agir comme force immanente.
S’il en est ainsi, nous sommes modeste quand nous affirmons
que, de toutes les populations de Transylvanie, les Roumains ont
été les p’us féconds et les plus influents. On ne peut sérieusement
INFLUENCE DE L’ART POPULAIRE DES ROUMAINS 321

parler ici de rapport ou de proportion entre les influences réciproques


exercées on subies par ces populations, car on se trouve devant la
situation dont parle Strzygowski *) : « Ce qui a poussé là comme en
pleine nature est ici conscient, intentionnellement appliqué ; et
un art présentant ces derniers caractères n’est qu’exceptionnellement
créateur ». L’effet extensif et intensif dans le temps et dans l’espace
géographique s’est produit sur une si vaste échelle qu’il implique
d’une part une origine très ancienne (daco-romaine) et d’autre part
une appréciation générale éminemment favorable de la haute valeur
esthétique manifestée par l’art du paysan roumain. Cet art a in­
fluencé non seulement les paysans d’autres nationalités, mais jusqu’à
l’art savant de l’étranger. L’expansion de l’art populaire roumain va
vers le sud très loin dans les Balkans ; vers l’ouest jusqu’en Dal-
matie, en Croatie, en Moravie; vers le nord jusqu’en Pologne. Quant
à l’art religieux savant, il pénètre jusqu’à Jérusalem et jusqu’au
mont Sinaï.
On voudra bien observer que pour notre exposé nous nous sommes
servi surtout de publications des savants étrangers sur les influences
roumaines, en particulier de publications des savants hongrois, qui
ne sauraient être soupçonnés de partialité et qui n’ont jamais fait
preuve de générosité excessive à l’égard du peuple roumain. Nous
espérons que le lecteur pourra désormais se faire une conviction
quant aux prétendues influences de l’art savant hongrois sur les
arts étrangers, influences construites tout théoriquement par les
savants hongrois après la guerre mondiale * 2) dans le dessein de faire
impression sur les profanes, sinon sur les savants étrangers impar­
tiaux. Imaginations mégalomanes, naïves chez les uns, tendancieuses
chez les autres, c’est à quoi se réduisent toutes ces constructions.

CORIOLAN PETRANU

*) I. Strzygowski: Die Krisis der Geisteswissenschajten, p. 238.


2) Voir la « Revue de Transylvanie», I, 1, p. 19. Nous nous occuperons en
particulier, dans un prochain article, d’autres prétendues influences.
L’UNIVERSITÉ ROUMAINE ET L’UNIVERSITÉ
HONGROISE DE TRANSYLVANIE

A l’occasion des fêtes jubilaires de l’Université Ferdinand I-er


de Cluj, qui ont eu lieu les 20 et 21 octobre 1930, on a organisé à
la Bibliothèque de l’Université une exposition rétrospective où l’on
a pu voir les travaux scientifiques des professeurs, maîtres de con­
férences et assistants de l’Université, groupés par instituts et facultés.
L’exposition avait pour objet de présenter de façon frappante le
bilan de l’activité scientifique de l’Université roumaine de Tran­
sylvanie pendant sa première décade, 1920—1930, c’est-à-dire à
compter du moment où le peuple roumain a recouvré ses droits
légitimes sur cette partie du sol national et où la science a commencé
à être enseignée en langue roumaine dans les chaires de l’Université
de la Dacie Supérieure.
Le bilan a été éloquent. Aussi bien les souverains, LL. MM. le
Roi Charles II et la Reine Marie, qui ont inauguré l’exposition, que
le public qui pendant les six mois suivants l’a visitée, tous sont
restés surpris de la quantité de livres, publications périodiques,
cartes, appareils et produits -— originaux ou perfectionnés ici à
Cluj ■— etc., et ont exprimé leur étonnement devant une activité
aussi féconde dans un laps de temps aussi court.
Après les fêtes l’exposition s’est transformée en un Musée per­
manent, à la Bibliothèque de l’Université, et la liste des travaux
en une bibliographie de l’« Activité scientifique à l’Université Ferdi­
nand I-er de Cluj au cours de la première décade roumaine,
1920—1930 ».
La joie légitime de notre peuple devant les réalisations du génie
roumain au cours de cette période a produit une amère déception
dans les rangs des anciens usurpateurs de cette province, les Hon­
L’UNIVERSITÉ ROUMAINE ET L’UNIVERSITÉ HONGROISE 323

grois. Pendant les premières années qui ont suivi la guerre, ils ne
voulaient pas croire que le peuple roumain fût en état d’organiser
une université en Transylvanie, que l’on pût y enseigner la science x
dans l’« inculte » langue roumaine et rassembler dans tout le pays
80 ou 90 professeurs à la hauteur dTe leur mission scientifique. Mais
le bilan de là première décade roumaine est venu démentir leur con­
viction pessimiste autant qu’intéressée touchant la puissance créa­
trice du peuple roumain dans le domaine scientifique et affermir
au contraire notre confiance dans le génie du plus éprouvé des
peuples latins d’Europe.
*
♦ *

Assurément la science ne peut guère progresser que par l’effort


des Universités. Or nous n’avions pas eu, nous Roumains de Tran­
sylvanie, de telles institutions de haute culture, car les Hongrois
ne l’avaient pas toléré. Vaines étaient demeurées toutes nos tenta­
tives pour fonder une Académie réclamée par Dimitrie Țichindeal
en 1812, par Gheorghe Lazăr vers le même temps 1), par Avram
Iancu dans son testament en 1850, par l’Association culturelle
« Astra » en 1867 et en 1870 — ou même une Université, comme
l’avaient demandé l’Assemblée nationale roumaine du 3/15 mai 1848
à Blaj pour la Transylvanie (et comme le fit la même année à Cer­
năuți une Assemblée nationale similaire pour la Bucovine), les
évêques A. Șaguna et I. Leményi en 1849, Șaguna de nouveau en
1850, la Conférence nationale de Sibiu en 1863, le Métropolitain
A. Sterca-Șuluțiu dans son testament en 1867, les députés roumains
du Parlement de Budapest en 1868, le synode de l’Église orthodoxe
d’Arad en 1872, la Conférence nationale de Sibiu de la même
année, etc. *
2).
Les Hongrois se sont toujours opposés, et officiellement depuis
1848, par leurs gouvernements, à toute réalisation de ce vœu des
Roumains ; bien plus, en 1872, dans la capitale de cette Transylvanie
peuplée de Roumains en'majorité écrasante, ils ont élevé une uni­
versité hongroise. Devant de telles manifestations d’oppression et

x) Ne pouvant réaliser son dessein en Transylvanie, ce dernier passa en Va-


lachie et fonda un tel établissement à Bucarest, réveillant ainsi le premier la cul­
ture nationale dans les Principautés roumaines.
2) Cf. O. Ghibu: Universitatea Daciei Superioare (L’Université de la Dacie
Supérieure). Bucarest, Cultura Națională, 1929, in 4°, pp. 6—13.
324 I. CRĂCIUN

d’exclusivisme, nombre d’intellectuels roumains transylvains ont


été réduits à passer dans les Principautés roumaines, où plusieurs
d’entre eux sont devenus professeurs d’université, soit à Iassy
(Simion Bărnuțiu, AL Papiu-Ilarian, Aron Densușianu, St. Micie,
I. Pop, E. Pușcariu, I. Ursu), soit à Bucarest (A. Treboniu Laurian,
Aron Florian, I. Maiorescu, V. Babes, I. Bogdan, I. Bianu, Tr.
Lalescu). Or ces grands intellectuels roumains, qui sont restés
chacun comme un titre de gloire pour les universités des
Principautés libres, auraient pu l’être tout aussi bien pour une
université roumaine de Transylvanie si cette université avait
existé 1).
Non seulement, d’ailleurs, nous aurions eu un nombre suffisant
de savants pour un enseignement supérieur en Transylvanie s’il
nous avait été donné de lutter d’égal à égal avec les Hongrois, mais
même, si nous remontions le cours de l’histoire, nous découvririons
que les fondateurs des premières universités de Hongrie n’ont pas
été hongrois mais roumains d’origine : le roi Mathieu Corvin (1458—■
1490), fils du Roumain Iancu de Hunedoara, a fondé en 1467 l’uni­
versité de Presbourg (aujourd’hui Bratislava) et en 1475 l’uni­
versité de Bude 1 2) ; un autre Roumain, Nicolas Olahus, devenu
archevêque de Strigonium et métropolitain-primat de Hongrie, a
fondé en 1566 l’université de Tirnavia 3.

1) Nous n’avons cité que les morts, et seulement les plus insignes parmi ceux
qui ont enseigné dans des universités proprement dites, sans parler des profes­
seurs d’origine transylvaine dans les Académies et les Ecoles Polytechniques.
D’après le livre de I. Moisil: Românii Ardeleni din Vechiul Regat și activitatea
Zor până la războiul întregirii neamului. [Les Roumains transylvains de l’Ancien
Royaune et leur activité jusqu’à la guerre d’unification nationale]. Bucarest, Cul­
tura Națională, 1929, le nombre des Roumains transylvains devenus professeurs
de l’enseignemenESupérieur au cours du siècle passé est de 40 (pp. 28—35), et
de 135 pour l’enseignement secondaire (pp. 16—28).
2) Sur la fondation d’universités par Mathieu Corvin, voir Abel Jenô: Egyete-
meink a kôzêpkorban [Nos Universités au Moyen-Âge], Budapest, Magyar Tu-
domânyos Akadémia, 1881, in 8°, pp. 27—46; Mârki Săndor: Mătyds kirdly em-
lékkônyv [Le Roi Mathias, volume jubilaire]. Budapest, Athenaeum, 1902, in 4°,
pp. 176—177; I. Lupaș: Istoria Românilor [Histoire des Roumains], éd. X-a.
Bucarest, Socec, 1935, in 8°, 120 p.
3) Sur le Roumain N. Olahus, voir I. Lupaș: Doi umaniști români în secolul
XVI [Deux humanistes roumains au XVI-e siècle], N. Olahus et Mihail Valahus].
Bucarest, Academia Română, 1928, in 8°, 29 p., et St. Bezdechi: Familia lui N
Olahus [La famille de N. Olahus], Anuarul Instit. de Istorie Națională, Cluj, 1928—
1930, V-e année, pp. 63—85.
L’UNIVERSITÉ ROUMAINE ET L’UNIVERSITÉ HONGROISE 325

Les Roumains ont fondé des établissements d’enseignement


supérieur chez d’autres peuples encore. En Russie, par exemple,
l’organisateur de l’enseignement supérieur au XVII-e siècle fut
Pierre Movila ou Moghila, métropolitain de Kiew, de la famille
souveraine des Movila de Moldavie 1).
Les hasards de l’histoire ont fait de nous des fondateurs d’uni­
versités justement chez les peuples dont nous avons eu le plus à
souffrir. Ce qui a manqué à notre peuple, ce n’est donc pas la
capacité créatrice dans le domaine de la civilisation; ce sont les
circonstances hostiles qui l’ont empêché de développer une culture
supérieure propre dans le cadre d’institutions nationales et avec
des hommes bien à lui. Le tronc vigoureux de la race roumaine
a étendu ses branches jusque sur le sol de la Hongrie et de la Russie,
gaspillant pour ainsi dire ses fruits au profit d’étrangers, cependant
que les branches poussées sur le sol roumain étaient systémati­
quement retranchées par les ennemis implacables de notre peuple.
Les Tchèques ont pu avoir à Prague leur université, l’Univer­
sité Charles IV, fondée en 1348 et détachée en 1882 de l’Univer-
sité allemande ; les Croates ont eu à Zagreb, dès 1874, leur uni­
versité; nous seuls, Roumains transylvains, n’avons pu avoir
la nôtre en Hongrie et avons dû attendre jusqu’à l’union de tous
les Roumains l’aube de jours meilleurs.

* *
C’est à l’automne de l’année 1919 que se sont ouverts les cours
de la nouvelle université roumaine de Transylvanie et en février
1920 que celle-ci a été officiellement inaugurée par le roi libérateur
Férâïnand I-er et la famille royale, en présence des intellectuels
roumains et des représentants ou avec les encouragements et le
salut fraternel de soixante-dix universités européennes et amé-
ricaines*2): une seule voix discordante se fit alors entendre à
l’Europe et à l’Amérique, le cri de désespoir de la Hongrie. Et

x) Cf. P. P. Panaitescu: L’influence de l’oeuure de Pierre Mogila, archevêque


de Kiev, dans les principautés roumaines. Mélanges de l’Ecole Roumaine en France.
Paris, 1925. I-ère partie, pp. 93—95, où l’on trouvera aussi la bibliographie de
la question.
2) Voir: Serbările pentru inaugurarea Universității din Cluj, 31 Ianuarie—2
Februarie 1920. Bucarest, Cartea Românească, 1920, in 8°, pp. 35—51 et 68—112.
Edition française: Fêtes de l’inauguration de l’Université roumaine de Cluj, 31
janvier—2 février 1920, etc., pp. 35—53 et 70—114.
326 I. CRĂCIUN

cette voix se contentait de répéter comme en un refrain: « Cepen­


dant, on pourrait peut-être se résigner à ces actes de violence si
la nation qui a chassé nos professeurs égalait la nôtre en culture
morale et intellectuelle, comme c’est le cas de l’Université de
Strasbourg, où un grand peuple civilisé est venu remplacer l’ancien
propriétaire... Or, rien n’autorise les Roumains, ni leur nombre
ni leur culture, à de pareilles voies de fait^1).
Le prétendu caractère d'infériorité de notre culture a toujours été
comme le paravent derrière lequel se sont abrités certains Hon­
grois afin de mieux apitoyer le monde civilisé en faveur d’une re­
constitution de leur pays dans ses anciennes frontières et d’em­
pêcher la Transylvanie, disaient-ils, de tomber dans la barbarie.
Mais notre barbarie, si barbarie il y a, n’est pas due assurément
à notre défaut d’énergie impulsive en matière de progrès scienti­
fique général, et c’est ce qu’atteste amplement, comme nous le
verrons, la simple bibliographie de l’activité scientifique de l’uni­
versité roumaine de Cluj au cours de la première décade, 192C—
1930 ; cette « barbarie », c’est à nos oppresseurs d’hier qu’elle était
due, mais sur ce sujet, laissons la parole aux étrangers.
Aux fêtes de l’inauguration officielle de l’université roumaine
de Transylvanie, le premier qui ait pris la parole après les repré­
sentants de l’État roumain a été le ministre des États-Unis d’Amé­
rique Mr. Ch. Wopicka, qui s’est exprimé en ces termes: « Un homme
qui connaît l’histoire de votre pays aussi bien que moi doit se
réjouir à cette grande victoire d’un pays opprimé et maltraité tant
d’années. Je pourrais excuser toute oppression financière et phy­
sique même, mais je ne peux pas excuser l’oppression en éducation.
Je suis certain qu’aujourd’hui vos fils et vos filles auraient été
beaucoup plus avancés s’il leur avait été accordé la possibilité d’étu­
dier et de penser dans leur propre langue sous le régime des Habs-
bourgs et, par conséquent je me réjouis avec vous que la période
d’esclavage soit terminée et qu’aujourd’hui vos enfants puissent
avoir des avantages en éducation égaux à ceux du reste du monde...»
Le ministre d’Italie, M. Martin Franklin, apportant «le salut de

x) Cf. Appel de V Université hongroise François-Joseph de Kolozsvdr [Cluj] à


toutes les Ünîversité du monde. Budapest, Magyar Aliami Nyomda, 1920. Dans
le Denkschrijt der Professoren der Universitat zu Kolozsvdr im Interesse der In­
tegrity Ungarns, Kolozsvâr, L. Lepage, 1918, in 8°, p. 34 on parle même de
l’état « primitif » de la culture.
L’UNIVERSITÉ ROUMAINE ET L’UNIVERSITÉ HONGROISE 327

Rome, salut plein d’affection de la mère à sa fille retrouvée et res­


suscitée après tant de douleurs et tant de combats », ajouta que
« ce peuple roumain, après avoir souffert mille ans en silence, déve­
loppera merveilleusement la culture roumaine, de qui nous avons
déjà plus que des promesses: des faits»1). Le représentant de là
Grande-Bretagne, M. Rattigan, voit dans l’inauguration de l’uni­
versité de Cluj « le couronnement de la renaissance roumaine, que
nous admirons tous et à laquelle l’Empire britannique s’intéresse
particulièrement...» et il ajoute que l’union des Roumains «va
donner aux grandes qualités du peuple roumain la possibilité de se
manifester dans tout leur éclat. La nation roumaine... apportera,
dans le domaine de la science et des arts, une riche contribution
au trésor commun de l’humanité » s). La parole de la France, qu’ap­
porte M. Cambon, est la parole d’un pays latin qui se réjouit de ce que
les universités de Strasbourg, Cernăutzi et Cluj soient revenues à
la latinité et qui voit dans les fêtes de Cluj comme le gage de « l’union
indissoluble du monde de la pensée de France et de Roumanie » * 245).
M. Ramon de Basterra, représentant de l’Espagne, exprime son
étonnement devant « la vitalité de votre race (roumaine) » et rap­
pelle en le soulignant « que votre peuple (roumain) a produit une
des plus belles civilisations populaires du monde, peuple que seuls
les malheurs des siècles ont empêché d’exprimer, comme d’autres
peuples plus heureux, toute son âme et qui dorénavant pourra
joindre aux voix d’Eminesco et d’Alexandri l’expression complète
de sa pensée » 6).
Enfin, les soixante-dix universités d’Europe et d’Amérique qui
nous ont envoyé leur salut ont exprimé leur admiration et leur joie
que les Roumains, après avoir replacé leur pays entre ses frontières
naturelles, aient aussitôt pensé à créer en Transylvanie une uni­
versité, fait qui « venant après les calamités de la grande guerre,
parle assez pour l’esprit élevé et le haut idéal du peuple roumâin »
(Université de Chicago) 6) ; « nous nous réjouissons, dit l’Université
de Manchester 7), que si tôt après la fin de cette guerre longue et

J) Serbările, p. 35 ; Fêtes, p. 36.


2) Ibidem, p. 39 ; Fêtes, p. 40.
s) Serbările, p. 40; Fêtes, p. 41.
4) Ibidem, pp. 42—43 ; Fêtes, pp. 43—44.
5) Ibidem, pp. 44—45; Fêtes, pp. 45—46.
•) Ibidem, p. 97; Fêtes, p. 99.
’) Ibidem, p. 96; Fêtes, p. 98.
328 I. CRĂCIUN

épuisante, les efforts militaires de votre royaume viennent d’être


couronnés par la fondation d’un nouvel établissement de haute cul­
ture. Je me permets d’exprimer l’espoir que nos rapports présen­
teront toujours le caractère le plus cordial et que nous serons en
état de collaborer pour le plus grand bien du haut enseignement et
de la recherche scientifique ». Cette collaboration, les universités de
France la voient sous son aspect latin: «L’Université de la Dacie
supérieure aura la noble tâche de faire briller le flambeau de l’esprit
latin dans les pays libérés » (Université de Touljotïse) x) ; « Puisse l’Uni-
versité de Cluj... répandre les bienfaits ae la civilisation latine,
dont elle est au centre de l’Europe la sentinelle avancée, la gardienne
vigilante, la généreuse dispensatrice ! » (Université de Nancy) *2) ;
«... Nos pays représentent aux deux extrémités de l’Europe, à l’est
et à l’ouest, le génie latin et la civilisation latine ; ils ont subi pro­
fondément l’empreinte de la Rome antique dont ils ont adopté la
langue... Cluj a subi la longue oppression des Hongrois et des
Autrichiens, sans se laisser jamais entamer par le vainqueur et en
demeurant toujours l’âme du peuple transylvain... Une tâche
semblable nous est assignée : la défense de la culture latine » (Uni­
versité de Strasbourg) 3). Et c’est aussi sur les voies de la latinité
que les universités italiennes nous donnent rendez-vous : « Romani
animi ingeniique clarissimum lumen apud universas gentes nova
universitas fiat » (Faculté de Médecine et de Chirugie de Pavie) 4*);
l’Université de Pise « exprime ses vœux bien sincères pour la pros­
périté de ce foyer de civilisation conforme à la tradition immortelle
de notre mère commune, Rome » s) ; « Heureux du triomphe et de
la joie de notre sœur latine nous vous envoyons notre plus
chaleureux salut » (Université d’Urbino) 6) ; l’Université de Cagliari
souhaite « un splendide avenir à la nouvelle Université qui se
lève en Dacie Supérieure pour maintenir bien haut le culte de
la civilisation latine, là où les Romains, nos communs ancêtres,
plantèrent leurs enseignes triomphantes »7). Les autres universités
expriment les mêmes sentiments de joie et les mêmes désirs de

x) Ibidem, p. 71; Fêtes, p. 73.


2) Ibidem, p. 51 ; Fêtes, p. 53.
s) Serbările, pp. 49—50; Fêtes, p. 51.
4) Ibidem, pp. 73—-74; Fêtes, pp. 75—76.
6) Ibidem, p. 72; Fêtes, p. 74.
6) Ibidem, p. 85 ; Fêtes, p. 87.
’) Ibidem, p. 83; Fêtes, p. 85.
L’UNIVERSITÉ ROUMAINE ET L’UNIVERSITÉ HONGROISE 329

collaboration. Voici les paroles de quelques-unes d’entre elles: «Des


liens nombreux unissent depuis longtemps nos deux pays. Puissent-ils
être de plus en plus étroits dans l’avenir... L’Université de Bruxelles
sera toujours heureuse d’entrer en rapports suivis avec l’Université
sœur » x) ; « la Dacie supérieure, à peine délivrée par les sacrifices
héroïques des soldats roumains, en fondant son Université a fait
preuve qu’elle n’a jamais cessé de comprendre qu’avant tout la
lumière des lettres, des sciences et des arts est encore la plus belle
auréole des pays et des peuples » (Université djXJièfies) * 2) ; « c’est
une immense joie pour nous, peuple de liberté, de voir rentrer dans
sa juste patrie le peuple transylvain et de savoir qu’une haute
école, foyer de sciences, va être créée et que d’elle émanera le
génie de votre race immortelle » (Université de Lausanhe) 3).
Telles ont été les paroles des nations et des universités des pays
civilisés autour du berceau de la jeune université roumaine. La seule
note discordante a été celle du refrain hongrois infatigablement
répété: «Nous protestons contre... ce crime... commis...» par
« un peuple inférieur en culture ».
Mais l’acte de courage qu’est la fondation d’une nouvelle uni­
versité roumaine n’est-il pas déjà un éloquent démenti à notre
prétendue culture « inférieure » ?

Les professeurs de l’Université Ferdinand I-er—la première


génération de professeurs ■—■ ont été recrutés parmi les intellectuels”
roumains les plus distingués, par les soins d’une commfssion uni­
versitaire composée de représentants de la science roumaine de Tran­
sylvanie et de professeurs des universités plus anciennes de Bucarest
et de Iassy. Sur la façon dont cette commission a su sélectionner les
candidats, nous avons le témoignage du premier recteur, le pro­
fesseur Sextil Pușcariu, qui dans le compte-rendu”dUTactivité de
la première année universitaire constate avec satisfaction : « Une
plaque commémorative scellée dans l’un des murs de la salle du Sénat
universitaire commémorera le labeur intense et fécond de cette
Commission universitaire qui a donné à la nouvelle université une
organisation saine et est parvenue à la doter d’un corps enseignant

Ibidem, p. 94 ; Fêtes, p. 96.


2) Serbările, p. 101 ; Fêtes, p. 103.
3) Ibidem, p. 103; Fêtes, p. 105.
330 I. CRĂCIUN

éclairé, à la hauteur de sa mission, plein d’ardeur et d’homogénéité


dans ses idées et ses sentiments. La Commission universitaire con­
sidère que l’un de ses mérites aura été son extrême sévérité dans
le choix des candidats.. .il1). Ainsi les professeurs de cette première
génération ne sont pas et ne pouvaient pas être des maîtres d’école
de villages, des popes valaques, des avocats de province et des
médecins de canton, comme l’ont insinué les Hongrois pour ra­
baisser le prestige naissant de l’Université roumaine de Transylvanie ;
car c’est bien ainsi que s’expriment nos adversaires, comme le prou­
vent les paroles suivantes qu’on trouve dans un ouvrage publié par
le professeur Jules Komis, de l’Université de Budapest, qui illustrent
à merveille ce côté de la mentalité hongroise: «En janvier 1930 j’ai
interrogé un des professeurs réfugiés de l’université hongroise de
Cluj : quel est votre successeur dans votre chaire ? Un maître d’école
de village, m’a-t-il répondu. En général on soutenait à Budapest
et l’on soutient encore aujourd’hui, à ce que je sais, que le corps
professoral de la nouvelle université a été formé de maîtres d’école
de village, de popes valaques, de petits avocats de province et de
médecins de canton, etc. On contait des anecdotes, entre autres
que les professeurs de sciences expérimentales ignoraient non seule­
ment la construction et le mode d’emploi des appareils hérités de
leurs prédécesseurs magyars mais jusqu’à leur nom»^);
Nous croyons que la production scientifique si abondante des
professeurs roumains au cours de la première décade, 1920—1930,
production exposée en détail dans la bibliographie, pourrait consti­
tuer une preuve suffisante de leurs aptitudes et de leur préparation,
en même temps qu’un démenti éclatant aux imaginations incon­
venantes des Hongtois. Cependant, pour que personne, fût-ce de
nos ennemis, ne conserve aucun doute au sujet de la préparation
scientifique de la première génération des professeurs de notre
université, nous ferons le parallèle suivant:
Des 83 professeurs des quatre Facultés (Droit, Médecine, Lettres
et Philosophie, Sciences) constituant l’Université roumaine de
Cluj, 15 seulement ont fait leurs études supérieures dans le pays,*2

*) Anuarul Universității din Cluj [L’Annuaire de l’Université de Cluj], I-ère


année, p. 6.
2) Le livre de Komis Gyula, Az elszakitott Magyarorszdg Kdzoktatdsügye [Le
problème de l’instruction dans la Hongrie démembrée] a paru en 1927j Budapest,
A Magyar Paedagogiai Târsasâg kiadâsa; la citation ci-dessus se trouve à la
p. 127. Cf. aussi O. Ghibu, op, cit., p. 70.
L’UNIVERSITÉ ROUMAINE ET L’UNIVERSITÉ HONGROISE 331

les 68 autres ont fait leurs études supérieures à l’étranger,..tm


France, en Angleterre, en Italie, aux États-Unis d’Amérique,
en Allemagne, etc, x). Pour ceux qui croient que la science supé­
rieure ne peut s’acquérir que dans les pays occidentaux, voilà donc
une proportion qui peut satisfaire leurs exigences ■—■ encore qu’aux
deux universités de l’ancien royaume de Roumanie, à Bucarest et
à Jassy, on puisse faire des études au moins aussi sérieuses que
dans n’importe quelle université de Hongrie. Quant aux professeurs
de notre université revêtus de notre plus haute distinction scienti­
fique, celle de membres de l’Académie Roumaine, ils étaient, dans
la première décade, au nombre de 7 membres actifs, dont le propre
président de l’Académie, le professeur Emile G. Racovitza, et de
10 membres correspondants ; leur nombre s’est élevé depuis et le
président en exercice de l’Académie (1935) est encore un professeur
de notre université, M. Alexandre Lapedatu. Nous ne savons pas
avec certitude dans quelles universités ont fait leurs études les pro­
fesseurs de l’ancienne université de Cluj ; mais ce qui ressort des
documents, c’est qu’en dehors de la faculté de Droit, pour laquelle
furent engagés les professeurs de l’Académie de Droit fondée en
1863 à Sibiu puis supprimée, dans les autres facultés et surtout à
la Médecine et aux Sciences, la grosse majorité des professeurs n’était
pas même d’origine hongroise et qu’aux facultés des Lettres-Philo­
sophie et des Sciences aucun professeur hongrois ne possédait au
début le doctorat: ce sont les professeurs entre eux qui se sont dé­
cerné mutuellement un doctorat honorifique par la voie du Conseil
de la faculté dont ils relevaient22 ). Quant à la haute distinction
scientifique de membre de l’Académie hongroise, deux professeurs
seulement, en 1919, étaient membres actifs et huitȚ membres cor­
respondants 3).
*
* ♦
Si nous établissons une statistique comparative de l’activité du
corps professoral de l’université hongroise d’autrefois et de celle
du corps professoral de notre université roumaine, nous constaterons
avec surprise que les Hongrois en quarante-cinq ans n’ont guère

’) O. Ghibu, op. cit., p. 73.


2) Cette collation de grade eut lieu le 2 octobre 1872 pour les professeurs de
la Faculté des Sciences et le 7 décembre de la même année pour ceux de la Fa­
culté des Lettres-Philosophie.
Pour ces statistiques, voir O. Ghibu: op. cit., p. 17, 74—75.
332 I. CRĂCIUN

plus produit dans le domaine scientifique que nos professeurs rou­


mains en une seule décade, 1920—1930. La statistique a été établie,
pour l’activité des professeurs hongrois, d’après la liste des publi­
cations scientifiques imprimée chaque année dans les 45 annuaires
de l’université hongroise c’est-à-dirè depuis sa fondation en
1872 jusqu’à 1918 inclusivement, et pour l’activité des professeurs
roumains, d’après la bibliographie « L’activité scientifique à l’Uni-
versité « Regele Ferdinand I » de Cluj au cours de la première dé­
cade, 1920—1930 ». Puisqu’il s’agit de statistique, laissons parler
les chiffres: (Voir le tableau No^.,1}.
Le total de la production scientifique roumaine pendant la pre­
mière décade est si écrasant, en face du total de la production scien­
tifique hongroise pendant la première décade de l’ancienne univer­
sité, que tout commentaire serait superflu: 3.329 publications en
langue nationale chez les Roumains, en face de 1.088 publications en
langue nationale chez les Hongrois; 1.837 publications en langues
étrangères chez les Roumains, en face de 287 publications en langues
étrangères chez les Hongrois ; sur ces chiffres, 141 traités et ma­
nuels en langue nationale chez les Roumains, en face de 33 traités
et manuels en langue nationale chez les Hongrois, et 8 traités et
manuels en langues étrangères chez les Roumains, tandis que les
Hongrois ne publient pendant cette période aucun traité ou ma­
nuel en langue étrangère. On peut relever la même disproportion
quant aux périodiques parus sous la direction des professeurs:
46 chez les Roumains pour 13 chez les Hongrois, et 18 appareils
scientifiques chez les Roumains pour 1 appareil scientifique chez
les Hongrois, sans parler de 526 préparations et de 5 cartes chez
les Roumains, tandis qu’ils n’est fait mention de rien d’analogue
chez les Hongrois. Au total, donc, 5.761 publications, appareils etc.
roumains, en face de 1389 publications, appareils etc. hongrois.
Nous tenons d’ailleurs à faire toutes réserves quant aux publi­
cations scientifiques hongroises qui n’auraient pas été mentionnées
dans les « Acta Universitatis... Kolozvâriensis » cités plus haut
et dont nous n’avions aucun moyen de connaître l’existence. Rien
toutefois ne nous fait supposer que les professeurs hongrois n’aient
pas voulu communiquer pour les annuaires de leur université
tout le bilan de leur activité scientifique et en tout cas, s’il s’est
produit des omissions, elles ne sauraient être trop nombreuses. A
*) Acta Universitatis Litterarum Regiae Hungaricae Francisco-Josephinae
Kolozsvdriensis. Kolozsvâr, 1873—73—1918—19.
L’UNIVERSITÉ ROUMAINE ET L’UNIVERSITÉ HONGROISE 333

cet égard, voici le chiffre des publications que le recteur d’alors,


Alexandre K. Ajtai, mettait à l’actif de l’université hongroise:
« La liste des publications pendant 10 ans nous montre 826 titres »
or on a vu que nous en avions relevé 1.389. Il est vrai que nous avons
considéré aussi comme travaux parus ceux qui n’étaient encore
qu’annoncés, bien qu’ultérieurement nous ne les ayons plus ren­
contrés avec leurs références bibliographiques (lieu de publication,
éditeur, année etc.) ; mais il nous était difficile de croire qu’ils n’aient
réellement pas paru après avoir été officiellement annoncés dans
les annuaires de l’Université. Nous avons procédé autrement à l’é­
gard des publications scientifiques roumaines, car nous n’avons
admis dans la bibliographie que celles d’entre elles qui possédaient
toutes leurs données bibliographiques.
La disproportion entre l’activité scientifique de l’université
roumaine pendant la décade 1920—1930 et l’activité scientifique
de l’université hongroise pendant les décades qui ont suivi la pre­
mière, 1883—1893, 1893—1903, 1903—1913 et pendant la demi-
décade 1914—1918 est encore plus frappante, sauf pourtant durant
la période 1903—1913, au cours de laquelle on observe une augmen­
tation du nombre des publications, qui n’atteint pas d’ailleurs, cette
fois non plus, la moitié du nombre des publications roumaines.
(Voir le tableau No.(^/
Ainsi, en face des 5.761 titres roumains, nous avons pendant
les décades successives de l’université hongroise: 1839, 1302, 1315,
2.123 et 1.017 titres, qui additionnés donnent un total de 7.146.
Telle est donc le tableau comparatif de l’activité scientifique des
deux universités:
1. Pour l’université roumaine, dans sa première dé­
cade, 1920—1930 ..................................... ; . . . 5.761 titres
2. Pour l’université hongroise, au cours de ses 45
années, 1872—1918 .................................................. 7.146 »
Ce tableau révèle suffisamment la puissance créatrice des deux
peuples : le roumain — que les Hongrois considéraient comme
inférieur en culture — et le hongrois — orgueilleux: de sa culture
« inégalable ».
Mais, dira-t-on, la qualité des travaux, de part et d’autre, doit
entrer en ligne de compte. Assurément, mais ici l’appréciation est

*) «A jegyzék 10 évrôl 826 czimet tünet fel ». Acta Univ., 1882—1883, Fase.
I, p. 21.
334 I. CRĂCIUN

difficile. En tout cas, par leur bibliographie de l’« Activité scien­


tifique de l’Université Ferdinand I-er de Cluj au cours de la pre­
mière décade roumaine, 1920—1930 », les Roumains montrent
qu’ils ne redoutent pas de mettre le monde scientifique à même
de juger de tous leurs efforts sans exception, au cours des premières
années de leur université transylvaine. Des travaux de haute valeur
scientifique voisinent avec des communications plus brèves, des
ouvrages de synthèse avec diverses contributions partielles, mais
tous ces apports démontrent qu’à l’Université roumaine de Tran­
sylvanie il se déploie une fébrile activité scientifique. C’est ici, à
Cluj, que se préparent le grand Dictionnaire de la Langue Rou­
maine et l’Atlas Linguistique des Roumains — au Musée de la
Langue Roumaine, sous la direction du professeur Sextil Puș-
cariu, ■— c’est ici, à Cluj, que s’édifie pierre à pierre une vaste His­
toriographie Roumaine aux cadres assez larges pour englober orga­
niquement le passé de tous les Roumains et que s’élabore la Biblio­
graphie de l’Historiographie Roumaine-—à l’institut d’Histoire
Nationale, que dirigent les professeurs Alexandre Lapedatu et loan
Lupaș, — c’est à Cluj qu’à été fondé un Institut de Spéologie, à
cette époque le premier existant dans le monde, sous la direction
du professeur Em. G. Racovitza, et qui publie « Biospeologica »,
périodique favorisé par la collaboration des spécialistes étrangers
et roumains les plus renommés. Mais nous nous arrêterons là,
n’ayant pas l’intention de juger de la qualité de nos propres
travaux.
En échange, nous rappellerons le jugement porté par les Hongrois
eux-mêmes sur la valeur de leur université de naguère: « L’Université
de Cluj a été fondée pour des motifs politiques. Les besoins scientifi­
ques et culturels n’ont servi que de prétexte. Tout s’est fait sans
aucune préparation, sans qu’on fût pourvu de moyens matériels et,
pour la plupart des Facultés, de moyens spirituels, voire de spé­
cialistes pour les chaires magistrales »1). Le même professeur
Apathy, de l’université hongroise, écrivait en 1912 : « Dans les vingt
premières années notre université a été maintenue au niveau d’un

Apâthy Istvân: A Kolozsvdri Tudomdnyegyelem dilatarli és ôsszehasonlito


anatomiai intézete és az ezzel ideiglenesem ôsszekapcsolt szôaet- és fejlodestani intézet
[L’Institut de Zoologie et d’Anatomie comparée provisoirement réuni avec l’ins­
titut d’Histologie et d’Embryologie de l’Université de Cluj]. Budapest, Hor-
nyânszky Viktor, 1903, in-8°, p. 3.
L’UNIVERSITÉ ROUMAINE ET L’UNIVERSITÉ HONGROISE 335

collège du vieux temps » 1), et il précise plus loin que l’université


était devenue une simple « fabrique orientale de diplômes pour toute
la Hongrie »2). Et en 1922 le recteur G. Menyhârt de l’université
de Szeged — que les Hongrois considèrent comme représentant
l’Université François-Joseph de Cluj exilée pour quelque temps
à Szeged! — déclare: «Notre université (de Cluj) a vu le jour
dans des haillons... L’État lui-même la considérait comme une
université de second rang » 3).
Si c’est l’idée de magyarisation qui, comme l’affirment les an­
ciens professeurs, a présidé à la fondation de l’université hongroise
de Transylvanie, et non pas un idéal de progrès scientifique, il nous
est aisé de comprendre la grande disproportion qu’il y a entre son
activité scientifique au cours de 45 années et celle de la première
décade roumaine.
La contribution roumaine et la contribution hongroise au pro­
grès de la science universelle peuvent être examinées comparative­
ment d’après la statistique ci-jointe, qui spécifie dans quelles lan­
gues étrangères ont été publiés les travaux dos deux universités,
roumaine et hongroise. (Voir le tableau No(3)./
L’Université roumaine de Cluj a donc publié dans la période
1920—1930 beaucoup plus de travaux en langues étrangères (1837)
que n’en a publié l’Université hongroise pendant 45 années d’exi­
stence (1425).
Nous avons souligné plus haut de quelle façon les représentants
d’universités des pays latins avaient souhaité à la jeune université
roumaine de devenir « une sentinelle avancée, une gardienne vigi­
lante. .. de la civilisation latine » (Universités fr^nçïuses), ou encore
« un nouveau centre de pensée latine » (Universités italiennes) :
ceux qui ont prédit à notre université une orientation latine ne se
sont pas trompés. Le tableau No. 4 montre en effet le nombre des
périodiques auxquels ont collaboré les professeurs,^eji précisant les
pays où ils ont été publiés. (Voir le tableau Np, 4).
De ce tableau deux points ressortent nettement: 1) La voie
latine où s’est engagée l’université roumaine et la voie germanique /
suivie auparavant par l’université hongroise; 2) La grand e-divçrsité
des pays avec lesquels l’université roumaine a noué des relations.

x) Egyetemünk bajairol és a bajok orvosldsdrol [Sur le malaise de notre uni­


versité et les remèdes à y apporter], Kolozsvăr, Ajtai K. Albert, 1912;in 8°, p. 4.
■ a) Cf. O. Ghibu: op. cit., p. 18.
’) Idem, ibidem, p. 15.

5
336 I. CRĂCIUN

En comparant la contribution roumaine (de Cluj) aux périodi­


ques des pays strictement latins: France (87), Italie (26), Espagne (8)
avec la contribution hongroise aux périodiques des mêmes pays,
France (35), Italie (18), Espagne (1), on constate une disproportion
étonnante. L’université roumaine a collaboré en dix ans, 1920—1930,
à unjtotal de 121 périodiques de pays latins, alors que l’université
hongroise en 45 ans n’a collaboré qu’à 54 périodiques de ces pays.
En échange on notera l’orientation très nette de l’université hon­
groise vers les pays germaniques: alors que l’université roumaine
n’a publié que dans 45 périodiques d’Allemagne et 7 d’Autriche,
l’université hongroise a publié dans 265 périodiques d’Allemagne
et 50 d’Autriche, ce qui nous donne un total de 52 périodiques de
langue allemande pour l’université roumaine dans la période
1920—1930, et de 315 périodiques de langue allemande pour l’uni­
versité hongroise au cours de 45 ans d’existence.
La collaboration de l’université roumaine aux périodiques des
autres pays constitue un titre de fierté pour la science roumaine.
La statistique du tableau No. 4 montre les pays aux périodiques
desquels l’université roumaine s donné sa collaboration entre 1920
et 1930 et l’université hongroise la sienne pendant 45 ans. Nous
avons eu des relations avec la Hongrie elle-même (les Hongrois
n’en avaient eu aucune avec la Roumanie), mais aussi avec Java,
l’Inde anglaise, le Luxembourg, les Philippines, la Pologne, la Tchéco­
slovaquie et la Yougoslavie ; les Hongrois, avec le Danemark, la
Grèce, Monaco et la Turquie.

♦ ♦
C’est ainsi que se dessinent les proportions et les directions de
l’activité scientifique de l’Université Ferdinand I-er de Cluj, capi­
tale de la Transylvanie, au cours de la première décade. D’après
les informations dont nous disposons, nous pouvons affirmer sans
crainte que cette activité peut se placer à côté de l’activité
des plus célèbres universités créées ou nationalisées après la guerre.
Elle a incontestablement dépassé de beaucoup celle de l’uni­
versité hongroise qui l’avait précédée à Cluj et elle a su la rem­
placer avec un esprit européen, un prestige latin et une ardeur
roumaine dans l’activité créatrice.
I. CRĂCIUN
Maître- de conférences àl’Unioersité
de Cluj
L’UNIVERSITÉ ROUMAINE ET L'UNIVERSITÉ HONGROISE 337

1. LA PREMIÈRE DÉCADE DE L’UNIVERSITÉ ROUMAINE COMPARÉE


A LA PREMIÈRE DÉCADE DE L’UNIVERSITÉ HONGROISE *)
Université roumaine Université hongroise
1920—1930 1872—1883

Bibliothèque

Bibliothèque
O

Médecine
Rectorat
Sciences

Rectorat
Sciences
•S te©

Lettres
Droit O 'ce +-S Ê-l
o ’© ■P<V •w©
S H Q J H

Ouvrages en langue
nationale............... 67 110 240 118 1 16 552 18 18 75 62 2 — 175
Articles en langue
nationale................... 167 1230 1076 281 23 2777 68 155 398 292 913
Total . . 234 1340 1316 399 1 39 3329 86 173 473 354 2 — 1088

Ouvrages en langues
étrangères............... 2 35 61 12 — 7 117 1 3 35 14 — — 53
Articles en langues
étrangères ............... 13 929 145 560 73 1720 4 77 75 78 234
Total . . 15 964 206 572 • 80 1837 5 80 110 92 — — 287
O O
? 75 Universitaires 29 20 3 38 — 90 — 2 2 — — 4
ÿa
—«.2
I -p Secondaires 17 33 1 51 18 11 29
fl c Total . . . 29 20 20 71 —
© * 1 141 — 2 18 13 — — 33
Universitaires — 4 3 1 — — 8 — — — — — — —
Secondaires
Total . . . — 4 3 1 — — 8 — — — — ■— — ■—

Universitaires . 6 11 12 1 — 30 — 2 2 2 — 6
En dehors de
l’université . 1 1 13 1 16 7 7
'C
PU Total . 1 7 24 13 1 — 46 — 2 7 2 2 — 13

« Appareils . . — 1 — 17 — 18 1 — — 1
c Préparations 2 524
î> — 526 — — —
Q Cartes . . . . 5 5
Total . — 3 — 546 — — 549 — 1 — — — — 1
TOTAL GÉNÉRAL
Université roumaine Université hongroise
1920—1935 1873—1883

Ouvrages et articles . . 5.166 1.375


Périodiques................... 46 13
Divers........................... 549 1
La bibliographie de l’activité scientifique de l’université roumaine étant dressée pour une
période de 11 années — 1920—1930 inclusivement — nous donnons aussi pour l’université hon­
groise, la statistique des 11 années, 1872—1883 inclusivement.

5*
338 I. CRĂCIUN

2. LA PREMIÈRE DÉCADE DE L’UNIVERSITÉ ROUMAINE COMPARÉE


AUX 45 ANNÉES DE L’UNIVERSITÉ HONGROISE

Université roumaine Université hongroise


1920—1930 1872—1883

1
1

J
Ribliothèquel

Bibliothèque
F acuités

Médecine

Médecine
Rectorat

Rectorat
Sciences

Sciences
Lettres

Lettres
Droit

Total
Total

Droit

1
I
i

i
Ouvrages en langue
nationale 67 110 240 118 1 16 552 18 18 75 62 2 — 175
Articles en langue
nationale 167 1.230 1.076 281 — 23 2.777 68 155 398 292 — — 913
Total . . . 234 1.340 1.316 399 1 39 3.329 86 173 473 354 2 — 1.088

Ouvrages en langues
étrangères................... 2 35 61 12 — 7 117 1 3 35 14 — — 53
Articles en langues
étrangères................... 13 929 145 560 — 73 1.720 4 77 75 78 — — 234
Total . . . 15 964 206 572 — 80 1.837 5 80 110 92 — — 287
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5> Préparations . . . — 2 — 524 — —. 526 — ■— — — — — —
Cartes................... — — — 5 — — 5 — — — — — — —
R
Total . . . — 3 — 546 — — 549 — 1 — — — — 1

TOTAL GÉNÉRAL

Ouvrages et articles. . . 5.166 1.375


Périodiques 46 13
Divers 549 1
L’UNIVERSITÉ ROUMAINE ET L’UNIVERSITÉ HONGROISE 339

2. LA PREMIÈRE DÉCADE DE L’UNIVERSITÉ ROUMAINE COMPARÉE


(Suite) AUX 45 ANNÉES DE L’UNIVERSITÉ HONGROISE

Université hongroise Université hongroise


1883—1893 1893—1903

1
Bibliothèque
Bibliothèque
F acuités

Médecine

Médecine
Rectorat

Rectorat
Sciences

Sciences
Lettres

Lettres
Droit

Total
Total

Droit
Ouvrages en langue
nationale 29 24 73 49 2 — 177 43 12 162 34 2 — 253
Articles en langue
nationale 50 208 358 290 — — 906 79 173 343 197 — — 792
Total . . . 79 232 431 339 2 — 1.083 122 185 505 231 2 — 1.045

Ouvrages en langues
étrangères................... — 2 9 8 — — 19 1 3 10 17 — — 31
Articles en langues
étrangères................... 6 65 21 90 — — 182 2 96 26 94 — — 218
Total . . . 6 67 30 98 — — 201 3 99 36 111 — — 249
§ -2
Univ. . . . _ 6 8 _ 14 1 2 _ 1 __ _ 4
a JȚC 2
av ce
Second. . . — — 17 3 — — 20 — — 49 2 — — 51
8 A Total . . . — 6 17 11 — — 34 1 2 49 3 — — 55
Q to to
W S * Univ. . . . 1 1 —
4*»
’5 s S Second. . . Z __ _ - _ __ _

«a 0> Total . . . — — — 1 — — 1 — — — — — — —
tion des Dro-
sous la direc­


Périodiques

Universitaires . 1 2 2 — 5 — 2 — 2
fesseurs

En dehors de
l’université . 1 6 1 8 1 5 1 7
Total . . . — 2 6 3 2 — 13 — 1 5 1 2 — 9

to Appareils .... — — — 1 — — 1 — — — — — — —
Préparations . . — — — — — — — — — — — — — —
S Cartes................... — — 1 3 — — 4 — — 12 — — — 12
Total . . . — — 1 4 — — 5 — — 12 — — — 12

TOTAL GÉNÉRAL

Ouvrages et articles. . . 1.284 1.294


Périodiques................... 13 9
Divers ........................... 5 12
340 I. CRĂCIUN

2. LA PREMIÈRE DÉCADE DE L’UNIVERSITÉ ROUMAINE COMPARÉE


(Suite) AUX 45 ANNÉES DE L’UNIVERSITÉ HONGROISE

Université hongroise Université hongroise


1903—1913 1913—1918

Bibliothèque

Bibliothèque
Facultés

Médecine

Médecine
Rectorat

Rectorat
Sciences

Sciences
Lettres

Lettres
Droit

Total

Total
’5
Q

Ouvrages en langue
nationale 53 31 171 66 2 — 323 19 8 64 15 2 — 108
Articles en langue
nationale 81 445 519 240 — — 1.285 64 140 292 211 — — 707
Total . . . 134 476 690 306 2 — 1.608 83 148 356 226 2 — 815

Ouvrages en langues
étrangères................... 2 3 10 11 — — 26 6 1 2 5 — — 14
Articles en langues
étrangères................... 17 260 40 155 — — 472 5 70 16 85 — — 176
Total . . . 19 263 50 166 — — 498 11 71 18 90 — — 190
<J1
<X>
a o ce
Univ. . . . 9 5 5 7 26 2 2 8 12
. CCG WJ
ce GcB Second. . . — — 29 3 — — 32 2 — 7 1 — — 10
2 a L4) Total . . . 9 5 34 10 — — 58 2 2 9 9 — — 22
4-»« -
<Z) a>
-<D g çj Univ. . . . — — — 1 — — 1 — — — 1 — 1
6o OC
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■ H . a G
O Total . . . — — 1 1 — — 2 — — 1 1 — — 2
i direc-
es pro-
diques

Universitaires . — 1 — — 2 — 3 — — — 2 2 — 4
æurs

En dehors de
O T CA
l’université . —
*2 1 10 3 — 14 1 1 4 2 — — 8
•4) O23£3 £?p
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CL Total . — 2 10 3 2 — 17 1 1 4 4 2 — 12

ce Appareils ....
> Préparations . . . —
: Q Cartes................... —
Total . . . —

TOTAL GÉNÉRAL

Ouvrages et articles. . . 2.106 1.005


Périodiques................... 17 12
Divers ........................... — —

Total général: 5.761 pour l’Université roumaine, dans la première décade, 1920—1930.
7.146 pour l’Université hongroise, en 45 ans, 1872—1918.
L’UNIVERSITÉ ROUMAINE ET L’UNIVERSITÉ HONGROISE 341

3. TRAVAUX SCIENTIFIQUES PUBLIÉS EN LANGUES ÉTRANGÈRES


PAR L’UNIVERSITÉ ROUMAINE ET L’UNIVERSITÉ HONGROISE

Université roumaine Université hongroise


1920—1930 1872—1883

!
i
|
Langue
Allemand

Allemand

Roumain
Espagnol

Hongrois

Polonais

F rançais
Français

Anglais
Anglais

Italien
Italien

Serbe

Total
Latin
.S

Total
cC

J
Ouvrages.................... 17 1 52 2 36 8 _ _ 1 117 37 4 1 __ 8 3 53
Articles .................... 166 1 1.366 10 113 50 13 1 — 1.720 170 10 10 5 8 31 234
Total.................... 183 2 1.418 12 149 58 13 1 1 1.837 207 14 11 5 16 34 287

(suite)
Université hongroise

1883—1893 1893—1903

j
Langue
Grec mod.
Grec mod.

Allemand
Allemand

Roumain
Français
Français

Anglais
Anglais

Italien

Latin

Total
Latin
Total

Ouvrages.................... 17 1 1 19 18 3 1 1 2 3 3 31
Articles .................... 161 8 7 1 5 182 186 15 1 2 14 218
Total ................ 178 9 8 1 5 201 204 18 2 1 4 3 17 249

(suite)
Université hongroise

1903—1913 1913—1918
Langue
Espéranto

Allemand
Allemand

Roumain

Roumain
Français
Français

Anglais

Anglais
Italien

Latin
Total

Total
Turc

Ouvrages ....'. 19 __ 5 _ 1 1 __ 26 12 — 1 _ 1 14
Articles....................... 390 1 63 9 6 2 1 472 160 10 1 4 1 176
Total ..... .409 1 68 9 .7 3 1 498 172 10 2 4 2 190
Total général: 1.837 pour l’Université roumaine, dans la première décade, 1920—1930.
1.425 pour l’Université hongroise, pendant 45 ans, 1872—-1918.
342 I. CRĂCIUN

4. NOMBRE DES PÉRIODIQUES ÉTRANGERS AYANT PUBLIÉ DES

U n i v e r
Université roumaine
1920—1930
1872—1883 1883—
PAYS

Bibliothèque

Bibliothèque
Médecine

Médecine
Médecine

Sciences
Sciences

TOTAL

TOTAL
Lettres

Lettres
Lettres

Droit

Droit
Droit

....:

Roumanie . . . 28 53 140 63 24 308 - __ __ __ _ _ __ ——


Hongrie . tf" . . — — 6 1 — 7 19 15 59 21 — 114 14 21 56
Allemagne . . . 5 23 9 11 — 48 1 20 4 20 — 45 3 24 1
Autriche .... — 4 1 2 — 7 — 7 — 6 — 13 — 4 —
Belgique .... — 1 — 3 — 4 — — ■— — — — — — —
Danemark . . .
Espagne .... — — 1 7 — 8 — — — — — — — — —
États-Unis . . . — — 4 5 — 9 — — 4 ■— — 4 — — 2
France .... 3 52 8 23 1 87 1 2 2 1 — 6 — — 1
Grande-Bretagne — — — 4 — 4 — — — 3 — 3 — 1 —
Grèce............... — 1
Java............... — — — 1 — 1 — — — — — — — — —
Inde-Anglaise . — — — 1 — 1 — — — — — — — — —
Italie............... 1 5 11 9 — 26 — — 4 1 — 5 — — 1
Luxembourg . . — 1 1 — — 2 — — — — — — — — —
Monaco .... — — — — — — — — — — — — — — —
Pays-Bas . . . — 1 1 — — 2 — — — 1 — 1 — — —
Philippines . . — — — 1 — 1 — — — — — — — — —
Pologne .... — 1 — 2 — 3
Suède .... — 2 — — — 2 — — — — — — — — —
Suisse............... 1 1 — 2 — 4 — — — — — — — — —
Tchécoslovaquie 1 1 3 — — 5
Turquie .... — — — — — — — — — — — — — — —
Yougoslavie . . — — — 2 — 2 — — — — — — — — —
Total
pour l’étranger . 11 92 45 74 1 223 2 29 14 32 — 77 3 29 6

Total général 39 145 185 137 25 531 21 44 73 53 — 191 17 50 62


L’UNIVERSITÉ ROUMAINE ET L’UNIVERSITÉ HONGROISE 343
LA FRONTIÈRE OCCIDENTALE DE LA ROUMANIE
A LA LUMIÈRE DES ÉTUDES STATISTIQUES
HONGROISES

C’est un fait généralement reconnu que la stabilisation de la


frontière ethnique des peuples roumain et magyar s’est opérée
durant la domination turque, dans la plaine de la Tisza. L’élément
roumain, capable pendant tout le moyen âge d’expansion vers
l’Ouest et le Nord, dans les territoires compacts de hongrois ou de
slaves, a dû céder le terrain et se retirer sur une ligne qu’il a dé­
fendue avec entêtement jusqu’à l’aube des temps modernes.
Des études statistiques sur ce processus, nous n’en avons guère
que pour la seconde moitié du XVIII-e siècle, lorsque la Hongrie,
loin d’être un État ethniquement unitaire se présentait comme une
mosaïque de peuples, selon les dires de Schwartner, comme on n’en
voit nulle part au monde1).
D’après les chiffres et données statistiques utilisées par Karl
Gottlib von Windisch, dans son étude géographique du royaume
de Hongrie, la frontière ethnique roumaine passait en 1780 sur
bien des points au delà de la frontière politique actuelle, pénétrant
assez profondément à l’intérieur du bloc hongrois, vers l’Ouest.
A cette date les Roumains formaient un pourcentage important
de la population des départements Ugocia, Szabolcs, dans la région
de plaine du Bihor, dans les « plasa » de Sarretek et Ermellek, restés

Schwartner: Statistik des Konigsreichs Ungerti. Pest, 1798, p. 87: « In keinem


Lande der Welt sind vielleicht mehrere Sprachen, -und eben deswegen auch so
viele Nationen-einheimisch, als in Ungern ».
LA FRONTIÈRE OCCIDENTALE DE LA ROUMANIE 345

aujourd’hui à la Hongrie, ainsi que dans les départements Bekes


et Csanâd 1).
Le Lexique géographique de la Hongrie, édité par Krabinszky
en 1786, indique une série de localités roumaines au-delà de la fron­
tière actuelle, sur les départements de Szabolcs et Bihor *2).
Csaplovics L V. indique en 1829 des Roumains sur le territoire
de Hongrie, formant la majorité absolue et relative de la population
dans les départements d’Arad, Bihor, Satinar, Maramureș, Ugocia,
Szabolcs, Csanad, Bekes 3).
L’élément hongrois n’occupait en masse compacte que quelques
départements de la plaine de la Tisza; dans le reste de la Hongrie
il était disséminé en îlots ethniques parmi d’autres nationa­
lités.
Magda P. donnait en 1834 la répartition suivante pour les dé­
partements situés à l’Ouest de la Roumanie actuelle: Satu-Mare:
les Hongrois habitaient 141 communes, les Valaques 124, les Alle­
mands 19, les Ruthènes 19, les Slovaques 3, les Bohémiens 1, les
Arméniens 1. Dans le département de Szabolcs, toutes les com­
munes sont hongroises sauf 9 Ruthènes, 5 Valaques, 6 Allemandes,
15 Slovaques originaires de Bohême. Pour le Bihor, les Roumains
occupent 237 communes, les Hongrois 134, les Ruthènes 2. Dans
le département de Bekes 15 localités sont hongroises, 5 Slovaques,
33 Roumaines, 2 Allemandes. Dans celui de Csanad 6 Hongroises,
4 Roumaines, 1 Slovaque. Enfin pour celui d’Arad les Hongrois
occupent à peine 11 communes alors que les Roumains en habitent
169, les Allemands 8, les Serbes 145).
Le Dictionnaire Géographique de Alexie Fényes B) paru en 1851
nous fournit aussi d’intéressants renseignements sur l’extension
de l’élément roumain dans la plaine de la Tisza occupée actuellement
par l’État roumain. Voici d’après ses chiffres quelle était alors la
répartition de la population par départements et communes:

*) K. Gottlib von Windisch: Géographie des Kiinigreicks Ungarn. Pressburg,


1770, pp. 134—143.
2) Krabinszky J. M.: Geographisch-Historisches und producten Lexicon von
Ungarn. Pressburg, 1786, pp. 4, 8, 38, 108, 274, 277, 535, 443, 722, 823.
s) Csaplovics I. V.: Gemülde von Ungarn. Pest, 1829, vol. I, pp. 204—205.
4) Magda P.: Neuste Statistich-Geographisch beschreibung des Kônigreichs Un­
garn, Croatien, Slavonien und der ungarischen Miliiar-Grenze. Leipzig, 1834, pp.
404, 409, 415, 421, 430, 434—435.
5) Fényes E.: Magyarorszag Geographiai Szotdra. Pest, 1851, vol. I—IV.
346 ET. MANCIULEA

Département de Satu-Mare x) :

Localités roumaines............................... 76
» hongroises. . ............................................. 112
» magyaro-roumaines................ 25
» roumano-hongroises................ 8
» roumano-allemandes................ 7
» magyaro-ruthènes.................... 5
» ruthènes .............................................. 4
» magyaro-allemandes................ 3
» germano-roumaines.................... 3
» slovaco-roumaines.................... 1
» roumano-magyaro-allemandes ... 1
» magyaro-roumano-allemandes ... 1
Total.... 260

Soit 112 communes purement hongroises


et 148 » appartenant à d’autres nationalités.

Département du Bihor :

Localités roumaines .............................................. 318


» hongroises....................................................115
» magyaro-roumaines.......................... 17
» roumano-hongroises.......................... 8
» roumano-slovaques .......................... 5
» slovaco-roumaines.............................. 2
» roumano-magyaro-slovaques. ... 1
» roumano-allemandes.......................... 1
» allemandes........................................... 1
» slovaques ........................................... 1
Total .... 469

Soit 115 communes purement hogroises


et 354 » appartenant à d’autres nationalités.

*) Il faut souligner le fait que les départements actuels de Satu-Mare et du


Bihor s’étendaient jusqu’en 1918 bien au delà de la frontière actuelle, en Hon­
grie. La délimitation de frontière laissa la majorité des communes hongroises
de ces départements à la Hongrie.
LA FRONTIÈRE OCCIDENTALE DE LA ROUMANIE 347

Département d’Arad :
Localités roumaines.................................. 150
» hongroises.................................... 6
» roumano-hongroises................ 6
» roumano-magyaro-allemandes ... 6
» allemandes................................ 6
» magyaro-roumaines................ 4
» roumano-magyaro-slovaques ... 1
» roumano-serbes........................ 1
» serbo-roumaines........................ 1
» roumano-allemandes................ 1
» roumano-slovaques .......................... 1
» germano-hongroises................ 1
Total .... 184
Soit 6 communes purement hongroises
et 178 » appartenant à d’autres nationalités.

Voilà nous semble-t-il assez de preuves accumulées pour montrer


que jusqu’en 1850, la limite des masses roumaines et hongroises, du
Maramureș au département d’Arad, correspondait à peu près avec
la frontière politique actuelle.

II

Les cartes ethnographiques de l’Autriche-Hongrie publiées


depuis 1830 mettent en évidence le même fait.
Celle de C. F. von Czoernig1), datant de 1856, montre la limite
de l’élément roumain correspondant avec la frontière fixée par
les traités de paix.
Celle de A. Ficker parue en 1869 montre que les Roumains for­
maient plus de 50% de la population des départements d’Arad, du
Bihor, et du Salaj, 20% dans le département de Satu-Mare. Il les
cite aussi dans les départements situés au-delà de la frontière: plus
de 10% de roumains dans ceux de Bichis, Cenad, plus de 1% dans
ceux de Szabolcs, Bereg et Ugocia *2).

*) Ethnographische Karte der Osterreichischen Monarchie 1856.


2) Dr. A. Ficker: Beoôlkerung der Osterreichischen Monarchie. Gotha, 1860.
— Die Volkestamme der Oster-Ungarischen Monarchie. Ihre
Gebiete, Gansen und Inseln. Wien, 1869.
348 ET. MANCIULEA

La carte de l’élément roumain publiée dans le travail de Lang


et Jekelfalussy x), établie d’après les chiffres du recensement de 1880,
donne les pourcentages suivants: dans le département de Satu-Mare
25 à 50% de Roumains, dans le Salaj 60 à 70%, dans le Bihor
40 à 50%, dans celui d’Arad 60 à 70%.
Aussi les cartes ethnographiques bien connues de Fr. Monnier
et Kipert, basées sur les données du recensement de 1880, mon­
trent-elles que la limite de l’élément ethnique roumain coïncide
partout avec la frontière politique actuelle.

III

Dans la seconde moitié du XlX-e siècle s’enracine en Hongrie


l’idée de « l’Étàt unitaire Hongrois ». Celui-ci ne pouvait être réa­
lisé que par la dénationalisation des sujets parlant une autre langue.
Chaque année, aidés dans leur œuvre de magyarisation par l’église
et l’école, par une politique systématique de colonisation, par la
pression exercée dans les entreprises industrielles et commerciales,
ou encore par la falsification des chiffres statistiques, les organes
officiels de l’État Hongrois ont tenté de prouver que la Hongrie
n’était habitée que par des Magyars, tandis que les autres natio­
nalités voyaient leur nombre chaque jour diminuer et leur limite
ethnique repoussée à la périphérie de la plaine pannonique, dans
le cadre de collines et de montagnes qui entoure cette dépression.
Malgré tous ces efforts de magyarisation et de dénationalisation,
la frontière ethnique roumaine n’a pu être refoulée bien loin vers
les Monts Apuseni, si bien qu’en 1880 encore elle correspondait à
peu près à la frontière politique actuelle. D’après Lang et Jekel­
falussy 2) la limite du bloc hongrois (qui est aussi celle du bloc
roumain) partait alors d’un point situé à l’Est du département
de Ugocia, descendait vers le Sud-Ouest en traversant par le milieu
les départements de Satu-Mare et du Bihor, atteignait la partie
occidentale du département d’Arad, franchissait celui de Csanad
et s’avançait dans la région comprise entre la Tisza et le Danube.
Mais sous la pression de la maghiarisation systématique exercée
de 1880 à 1900, apparaissent dans le bloc roumain les premières
brèches. Toutefois les cartes ethnographiques hongroises établies

’) Lang et Jekelfalussy S.: Magyaroszâg népeségi statistikâja. Budapest,


1884, p. 126.
a) Lang et Jekelfalussy: op. cit., p. 126.
LA FRONTIÈRE OCCIDENTALE DE LA ROUMANIE 349

d’après le recensement de 1900 exagèrent singulièrement les pertes


roumaines. Elles donnent pour limite au bloc roumain une ligne
qui, partant du département de Ugocia sur la Tisza, descend dans
la région orientale du département de Satu-Mare jusque dans la
Vallée du Somes ; elle tourne ensuite à l’Ouest jusque près de
Satu-Mare, puis au Sud-Ouest dans la vallée Ierului, près de la
commune de Săcueni; dans le Bihor elle descend au Sud, paral­
lèlement à la zone des collines jusqu’en un point situé à l’Est d’O-
radea Mare, dans la vallée du Cris Repede ; elle suit cette rivière
jusqu’à la frontière actuelle près de la commune de Toboliu, passe
au Sud-Est et au Sud en traversant la région de plaine du Bihor pour
retourner de nouveau à l’Ouest en touchant le Cris Noir et at­
teindre la frontière d’aujourd’hui près de Ateiaș-Geszt ; elle suit
alors une ligne sinueuse jusqu’au moment où elle rencontre le dé­
partement d’Arad, s’avançant de Ghiula-Vârsand à Curtici, gare-
frontière de la Roumanie actuelle. Elle est rejetée ensuite au Sud-
Est et à l’Est par l’îlot serbe de la plaine d’Arad et par les quelques
colonies hongroises datant du XlX-e siècle, et atteint enfin le
Mureș x).
Dix ans plus tard, de 1900 à 1910, les statisticiens hongrois, qui
s’évertuent à nous représenter en pleine régression ethnique, af­
firment que l’élément roumain a perdu toute la plaine du Satras
jusqu’au pied des Monts du Vihorlat, du Țibles et du Gutin; dans
la Vallée du Somes les Hongrois nous auraient repoussés jusque
dans le bassin de Zalău, la limite ethnique roumaine passant désor­
mais à l’Est de cette petite ville au cœur des Monts Mezes et par
une série de localités atteignant le Cris Repede à l’Est d’Oradea
Mare; de là elle suit une ligne sinueuse de direction Sud-Ouest,
Ouest, Sud-Est, laissant de côté toute la plaine du Bihor et d’Arad
pour atteindre le Mures à Radna-Lipova.
Ces tracés, œuvre des statisticiens et ethnographes hongrois
d’après les recensements de 1890, 1900, 1910 surtout, ne correspon­
dent point avec la réalité. Ils reposent sur des chiffres truqués:
d’une part on considérait comme Hongrois tous ceux qui déclaraient
parler la langue magyare sans tenir compte de leur origine ethnique ;
d’autre part les Juifs étaient passés à la rubrique « Hongrois ».
L’élément roumain de ces régions occidentales du pays n’a été

’) Balogh P.: A népfajok Magyarorszâgon. Budapest, 1902. Carte de la limite


ethnique et des îlots ethniques de la plaine de la Tisza.
350 ET. MANCIULEA

dénationalisé qu’en quelques endroits, au cours de la seconde moitié


du XlX-e siècle, là où il s’est trouvé englobé dans des centres hon­
grois plus importants; on ne peut donc parler de dénationalisation
au sens propre du mot, mais seulement d’affaiblissement, surtout
autour des centres urbains devenus des îlots puissants de magya-
risme. Le bloc hongrois a incontestablement gagné du terrain aux
dépens de la masse roumaine, mais il n’a point réussi à conquérir
sans lutte le territoire qui est resté essentiellement roumain.

IV

Les principaux moyens dont s’est servi l’État hongrois pour


purger son territoire ethnique des éléments roumains par une intense
magyarisation ont été l’école et l’église, puis la politique de coloni­
sation dans les régions de population non-magyare.
L’école confessionnelle, sévèrement contrôlée par l’État et con­
trainte d’adopter la langue hongroise comme langue d’enseignement,
n’a pu résister à l’offensive de magyarisation ; et quand une mesure
bien réfléchie fit remplacer l’une après l’autre ces écoles confes­
sionnelles par des écoles d’État de toutes catégories, les effets de
la magyarisation apparurent surabondamment, là surtout où se
cramponnait la frontière ethnique roumaine. A côté de l’école,
l’Eglise aussi fut utilisée, cette arme si puissante de dénationali­
sation. Bien qu’il n’ait jamais existé en Hongrie de « Maghiars
gréco-catholiques », les gouvernements de Budapest réussirent à
obtenir de la Cour de Vienne comme du Saint-Siège, en 1912, la
création d’un évêché gréco-catholique magyar à Hajdu-Dorogx).
Le but secret de cet évêché était d’introduire la magyarisation
parmi les Roumains et les Ruthènes de la Hongrie et de la Tran­
sylvanie, là où ils offraient la résistance la plus faible. Les inten­
tions politiques du nouveau diocèse éclatent à travers la presse de
l’époque, de toutes nuances de parti; le nouvel évêché est con­
sidéré « comme une puissante citadelle pour la défense nationale »,
car il est « une cause nationale et non confessionnelle »2).
En vérité le nouvel évêché n’a été qu’une création politique;
il n’a jamais existé de Hongrois gréco-catholiques ou, si l’on en cite,

1) Dossier de l’évêché gréco-catholique magyar de Hajdu- (Archiva Metro­


politana Blaj).
a) « Felvidéki Ujsàg », 1913, No. 119; « Egyhâzi Kôzlôny», 1913, Nr. 18.
LA FRONTIÈRE OCCIDENTALE DE LA ROUMANIE 351

ce sont des Roumains, des Ruthènes ou des Serbes magyarisés.


Grâce aux archives urbaines et aux « schématismes » (annuaires
ecclésiastiques) de l’évêché ruthène de Munkacs ou de l’évêché
gréco-catholique roumain d’Oradea-Mare, parus entre 1819 et
1825, l’on peut suivre le processus de magyarisation par l’église
d’une partie des pays roumains de Satu-Mare, Szabolcs, Hajdu
et Bihor.
La ville de Hajdu-Dorog (Hongrie actuelle) avait jusqu’en 1816
deux paroisses, l’une roumaine, l’autre ruthène. En 1748, lors d’une
visite canonique qu’il y fit, l’évêque de Agria signalait qu’il y avait
trouvé deux prêtres, l’un pour les Ruthènes, l’autre pour les Rou­
mains 1).
La Commission d’enquête qui, en 1767, est envoyée à Hajdu-
Dorog pour régler le conflit survenu entre les Roumains et les
Ruthènes, prend la décision suivante, approuvée par l’impératrice
Marie-Thérèse: « Judex in oppido Dorog ex solitis Ruthenis, pri-
marius autem senator ex Valachis semper eligatur ».
Les villages roumains qui se trouvaient dans la région sud du
département de Szabolcs et à l’Est du département de Hajdu (tous
deux aujourd’hui en Hongrie) utilisaient au début du XlX-e siècle
la langue roumaine à l’église et dans toutes les circonstances de
la vie journalière 2). Leurs livres rituels avaient été traduits en rou­
main dès le XVII-e siècle ; au XVIII-e siècle ils les faisaient venir
de Moldavie et de Munténie, jusqu’au jour où un ordre de Marie
Thérèse (1770) interdit pour toujours cette importation 3).
En me basant sur les données fournies par les « schématismes »
des années 1819—1835, j’ai réussi à vérifier 23 communes pourvues
d’églises où la langue liturgique était le roumain, au-delà de la
frontière actuelle de la Roumanie. Elles sont portées sur le tableau
ci-contre avec les paroisses qui s’y trouvaient rattachées et dans
lesquelles le nombre des fidèles roumains était plus réduit. Toutes

’) Bôhm J.: A liturgikus nyelvek. Eger, 1897, pp. 132—135.


2) Schematismus venerabilis cleri diocesis Magno-Varadiensis Graeci ritus,
catholicorum pro anno 1822.
Schematismus venerabilis cleri Graeci ritus catholicorum diocesis Munca-
siensis pro anno Domini 1922.
3) N. Firu: Date și documente cu privire la istoricul școalelor românești din Bihor.
Arad, 1910, p. 43.
352 ET. MANCIULEA

ont été les victimes de la magyarisation, mais par leur résistance


séculaire elles ont rendu les plus grands services au maintien de
l’élément ethnique roumain en ne cédant que pas à pas le terrain,
au prix de luttes difficiles.
Le nombre des Hongrois a grandi considérablement au cours
de la seconde moitié du XlX-e siècle dans la zone de plaine de la
Roumanie occidentale, par suite de la colonisation. Ces colonies
hongroises, destinées à la dénationalisation du territoire, étaient
systématiquement organisées: c’étaient tantôt des localités entière­
ment nouvelles, tantôt une infiltration parmi les populations rou­
maines d’ouvriers agricoles ou industriels ou d’artisans. Dans leur
désir de pénétrer en Transylvanie, les autorités magyares fondèrent
leurs colonies nouvelles en suivant les vallées et en choisissant les
terres les plus proprices à l’agriculture. Elles pensaient ainsi dis­
loquer le bloc ethnique roumain de Transylvanie et de l’Ouest du
pays, l’émietter et isoler chaque lambeau affaibli au milieu d’une
ceinture de villages hongrois d’année en année plus puissants.
Bezsics G., un des partisans de cette colonisation par petites unités
dispersées au milieu des autres nationalités de Hongrie, fixe ainsi
leur rôle et leur importance : « La politique de colonisation est sus­
ceptible de mettre entre les mains des Hongrois toutes les vallées
transylvaines, et d’isoler les Valaques des Saxons ; de même l’in­
dustrie peut introduire les Hongrois jusque dans les régions les
plus lointaines du Nord de la Transylvanie ». Puis ayant montré
comment on réaliserait la dénationalisation des villages et des
villes, il conclut en disant « que c’est ainsi seulement qu’on pouvait
doubler le nombre des Hongrois 1).
Dovany exprime la même idée sur la constitution d’un État
unitaire magyar par la colonisation: «Si nous étudions, dit-il2),
la situation actuelle de notre patrie, nous arrivons à cette conclusion
qu’aujourd’hui plus que jamais la colonisation doit être faite dans
un but essentiellement national. Elle doit tendre, selon moi, à ren­
forcer la « nation » hongroise là où elle se trouve en état d’infériorité.
C’est l’intérêt de l’État et de la Nation... Regardons la carte
ethnographique de notre pays: du Maramureș et de la Bucovine
en passant par les départements du Bihor et d’Arad, jusqu’au

*) I. Russu Sirianu: Românii din Statul Ungar. Arad, 1904, p. 172.


’) Dovany I. : A telepités s az azzal kOpcsolatos kirdések ügyében. Budapest,
1900, p. 430—432.
LA FBONTIÉBE OCCIDENTALE DE LA BOUMANIE 353

Caras-Severin et au Danube, s’élève une puissante muraille nationale


qui sépare les Hongrois de la Tisza du pays des Szeklers. Il faut
à tout prix anéantir cette muraille en conjuguant les effets de
l’église, des écoles, des routes et des voies ferrées, des établisse­
ments industriels et de la colonisation. L’une de ces lignes de jonc­
tion est fixée là où la population magyare pénètre, même en nombre
restreint, et où il est naturel qu’elle soit aidée pour lutter contre
le bloc ethnique qui nous sépare: cette ligne mène du pays des Sze­
klers par la Câmpia transylvaine, les départements du Mures et
de Turda, vers les pays du Somes, de Cluj, du Salaj, de Satu-Mare
et du Bihor. Une autre ligne doit être la vallée du Mures, où cesse
le bloc ethnique magyar par Aiud, Alba-Iulia, Orăstie, Deva et
Arad ».
Des commissions spéciales ont été instituées par l’État pour
étudier le problème sous différents aspects ; leurs conclusions les
meilleures étaient communiquées au gouvernement qui en tenait
compte lorsqu’il s’agissait de fonder de nouvelles colonies au milieu
des autres nationalités. « Il faut, écrivait Kenéz B.1), établir
avec précision les domaines, — limites et îlots, — linguistiques
magyars et les zones de liaison possible entre eux, éventuelle­
ment celles qui paraîtraient les plus propices à un rattachement
par colonisation, et là accroître la puissance de la nation magyare
par une action à la fois économique et culturelle. L’idée con­
ductrice de notre politique de colonisation? Relier les bassins
hongrois, surtout ceux de la Bega, avec nos compatriotes du Haut
Mures ».
Pour amener la disparition plus rapide des minorités ethniques
de son territoire, l’État hongrois a usé aussi dans la seconde moitié
du XlX-e siècle de la puissance matérielle et spirituelle des villes
qu’il a transformées en autant de forteresses du magyarisme * 2).
Les statistiques antérieures à 1880 montrent que toutes les villes
de l’Ouest de la Roumanie, Satu-Mare, Careii-Mari, Oradea-Mare,
Arad, Timisoara avaient une population hongroise peu nombreuse,

x) Kenéz B.: Javaslalok a nemzetiségi kérdés megolddsdra. Budapest, 1913,


p. 5 et sq.
2) Jâszi: A nemzeti dllamok kialakuldsa és a nemzetiségi kérdés. Budapest,
1912, pp. 358, 390—391, 400.

G*
354 ET. MANCIULEA

mais comptaient surtout des Roumains, des Allemands et des


Serbes 1).
Elles n’ont pris un caractère hongrois qu’après 1869; mais leur
magyarisation a été si rapide qu’en quarante ans à peine elles ont
pu devenir des centres puissants d’expansion économique et spiri­
tuelle hongroise.
C’est par cette action continue et systématique que les Hongrois
ont pu, dans la seconde moitié du XlX-e siècle, affaiblir la masse
ethnique roumaine de la Transylvanie occidentale, au point de pré­
tendre, avec l’aide de cartes ethnographiques, dès avant la guerre
et aujourd’hui encore, que toute cette partie du pays formait une
unité purement hongroise.

VI

En dépit de tous ces efforts, l’élément roumain se maintint le


long d’une ligne que suit la frontière actuelle et même vers l’Ouest,
sous forme d’îlots ethniques, disséminés dans la masse hongroise
de la plaine de la Tisza ; c’est ce qu’ont montré un grand nombre
d’hommes magyars qui étudiaient objectivement le problème des
nationalités en Hongrie ; c’est ce qu’ils ont déclaré dans leurs tra­
vaux jusqu’en 1914.
Ainsi Batky Zs. 12) reconnaît que les populations magyares occu­
pent la partie centrale du pays, l’Alfold et les régions transdanu­
biennes. Leur extension est limitée au Nord par les villes de Brati­
slava, Nyitra Rozsnyo, et Ungvar; à l’Est par Satu-Mare, Oradea,
Gyula et Arad ; au Sud par O-Becse, Baja et le cours de la Drave ».
« Les Roumains occupent tout ce que les Allemands et les Szeklers
ont laissé libre en Transylvanie, ainsi qu’une zone aussi large que
l’Alfold, du Danube au Maramureș, parallèlement à la Tisza ».
Après 1910 parurent à Budapest de vastes monographies sur
les divers départements de la Hongrie, sous la direction de l’histo­

1) Acsâdy I.: Magyarorszàg Budavâr visszafoglalàsa koràban. Budapest, 1886,


pp. 50—198. Marczali H: Magyarorszàg tôrténete II, Iôzsef koràban. Budapest,
1885, vol. I, pp. 112—228. Borovszky S.: Ternes vàrmegye monogrdfiàja,
pp. 92—93. Lakatos 0.: Arad tôrténete. Arad, 1881, vol. II, pp. 220—235.
Szimay A.: Szatmàr vàrmegye. Budapest, 1810, vol. II, p. 7. p. 300. Lâng L. és
Jekelfalusy I.: op. cit., p. 129. Hanus I.: Nemzetünk erôsôdése az Alfôldôn. Fôld-
kôzl. 1899, p. 222.
21 Batky Zs.: Magyarorszàg néprajza. Budapest, 1905, pp. 177, 179—180.
LA FRONTIÈRE OCCIDENTALE DE LA ROUMANIE 355

rien et académicien Borovszky S., avec la collaboration de nom­


breuses personnalités marquantes, appartenant au monde de la
politique ou des sciences. On y trouve sur la population de la région
de frontière actuelle de la Roumanie la reconnaissance que les
Roumains formaient la presque totalité des habitants et qu’en
quelques départements les centres magyars n’ont été créés que
tardivement.
Ainsi dans la monographie du département de Satu-Mare, on
lit sous la signature de Borovszky x) : « A mesure que nous avançons
vers l’Est, aux confins de la nation hongroise, il semble que les
éléments magyars sont de petits postes isolés dans la mer roumaine.
Même dans le « plasa » de Erdôd, qui s’étend au pied des monts, seules
les communes les plus importantes sont hongroises: Erdôd, Geres,
Kiralydarva, Krasnabéltek, Dobra. Ces régions sont envahies par
les Roumains qui lentement mais avec acharnement tendent à des­
cendre dans la plaine. «Et, p. 274: «Les Roumains possèdent en
propre les trois «plasa» de Somcuta-Mare, Baia-Mare et Simleu;
leur invasion a dépassé même cette limite. Ils occupent les parties
occidentales des «plasa» de Careii-Mari et de Satu-Mare. Mais les
affaires publiques sont encore entre les mains des Hongrois grâce
aux fonctionnaires et aux grands propriétaires ».
Toujours d’après le témoignage du même Borovszky, nous trou­
vons les Roumains installés dans la zone de plaine du département
du Bihor, jusque dans le voisinage de la frontière actuelle, soit en
masse compacte, soit en groupes plus isolés dans la masse magyare.
En 1912, ils formaient la majorité de la population du départe­
ment d’Arad, englobant des îlots disséminés de Hongrois *2).

’) Borovszky S.: Szatmdr vdrmegye, p. 256.


2) Dr. Somogyi Gy.: Arad vdrmegye és Arad szab. kir. vdros néprajzi leirdsa.
Arad, 1912, p. 225.
Les Hongrois habitent des communes plus ou moins grandes en groupes isolés,
au milieu de populations de langue allemande et roumaine; leur nombre est sui­
vant les lieux assez important ou très réduit. Dans les villages nous ne trouvons
pas de masses magyares compactes ; ceux qui ont la population hongroise la plus
pure sont situés au N.E. du département, près du Bihor (Belserind, Nagyzerind,
Vadasz, Simonyfalva, Agya) ou à l’W près de Csongrad (Kisvarjas, Nagyvarjas,
Kispereg, Nagukamovas, Medgyesbodsas, Magyarpecska. Au centre du départe­
ment nous trouvons de trop rares villages proprement hongrois, tels que Zimand-
ujfalu, Zimandkôz, Fakert, Szentleânyfalva. Partout ailleurs où vit un élément
magyar assez notable, il se mêle à une population roumaine, allemande et, mais
plus rarement, ruthène ».
356 ET. MANCIULEA

Ainsi au début du XX-e siècle la limite entre les blocs ethniques


roumain et hongrois correspondait bien avec la frontière politique
actuelle. La Roumanie a donc parfaitement raison d’occuper cette
région de plaine de sa frontière occidentale: le Banat, la Crisana,
le Maramureș, habitée en majorité absolue par des Roumains; ce
pied-mont n’a jamais été un pays essentiellement magyar. La fron­
tière fixée par les traités de paix est bel et bien conforme au principe
des nationalités, sépare distinctement deux groupes ethniques diffé­
rents par la race et par la langue. S’il existe de ci de là des îles
ethniques hongroises et allemandes isolées dans une majorité écra­
sante de Roumains, nous avons vu qu’elles sont artificielles, récentes,
de simples colonies créées uniquement dans un but politique de
magyarisation. Bien mieux, certaines régions des départements de
Satu-Mare et du Bihor, que les révisionnistes magyars décrivent
comme peuplées de Hongrois, sont en fait peuplées de Roumains
magyarisés par force dans la seconde moitié du XX-e siècle.

ET. MANCIULEA
Professeur
LA SITUATION DES ÉCOLES CONFESSIONNELLES
DE LA MINORITÉ ROUMAINE DE HONGRIE
APRÈS LA TRAITÉ DE TRIANON

Au sujet du régime scolaire des minorités de Hongrie, l’art. 58


du traité de Trianon stipule que « les sujets magyars appartenant
à une minorité de race, de religion ou de langue jouiront du même
traitement et des mêmes garanties de droit et de fait que les autres
citoyens magyars. A savoir : « ils auront un droit égal de fonder, de
diriger et de contrôler, à leurs frais, les institutions de bienfaisance,
religieuses ou sociales, écoles et autres établissements d’éducation,
avec le droit d’user de leur langue propre et de pratiquer librement
leur religionx) ». De son côté l’article 59 du même traité stipule
qu’ « en matière de droit public, le gouvernement hongrois accordera,
dans les villes et districts où habite une proportion considérable de
ressortissants hongrois de langue non-hongroise, des facilités destinées
à assurer dans lès écoles primaires, aux enfants de ces ressortissants
hongrois, une instruction dans leur langue propre. Cette stipulation
ri empêchera pas le gouvernement hongrois de rendre obligatoire l’ensei­
gnement de la langue hongroise dans les dites écoles ». Telles sont
les deux sources de droit international garantissant la protection
de l’enseignement minoritaire en Hongrie.
Or nous allons voir qu’aussi bien le régime juridique cle droit
international que celui de droit interne relatifs à la protection des
minorités demeurent pour l’Etat magyar, dans leur application
pratique aux minorités de ce dernier, purement et simplement
lettre morte. La Hongrie ne respecte pas les engagements pris par
le traité de Trianon, non plus que les lois intérieures qu’elle a été
obligée de voter en conformité avec les stipulations de ce traité

’) Voir le dernier alinéa de l’art. 58 du traité de Trianon, signé le 4 juin 1920.


358 PETRE PETRINCA

et qui lui ont été imposées à titre de législation fondamentale, sous


la garantie de la Société des Nations x).
En matière d’enseignement minoritaire, les lois intérieures de
la Hongrie répètent les dispositions de la fameuse Lex Apponiana * 2),
triste souvenir de la monarchie austro-hongroise. Le gouvernement
magyar n’a accordé de droits culturels et d’enseignement que sur
le papier et il continue d’exercer, dans sa politique pratiquée envers
les écoles et institutions culturelles de ses minoritaires, les abus
les plus révoltants.
Le décret publié par le gouvernement d’Etienne Frederich, en
date du 21 août 1919, No. 4.044 M.R., sur l’égalité en droit des
minorités nationales, dispose (art. 12) : « Les administrations ecclé­
siastiques, communautés religieuses et paroisses, sans qu’il soit
touché aux droits des autorités religieuses, peuvent décider libre­
ment quelle sera la langue officielle de leur église, la langue d’en­
seignement dans leurs écoles et elles peuvent s’en servir dans leurs
rapports avec les administrations de l’Etat et autonomes ».
Art. 13: « Il faut prendre soin que les citoyens de l’Etat appar­
tenant aux minorités nationales et vivant en unités compactes
assez considérables sur le territoire de l’Etat, puissent obtenir,
dans les établissements d’enseignement de l’Etat proches de leur
résidence, que leurs enfants soient élevés dans leur langue mater­
nelle, jusqu’au début de l’enseignement supérieur ».
« Dans les universités, on érigera des chaires spéciales pour
chaque langue et littérature des minorités nationales ».
Art. 14: «Les municipalités, communes, églises, paroisses ou
particuliers appartenant à une minorité nationale quelconque peu­
vent de leurs propres moyens ou en société fonder des écoles pri­
maires, secondaires et supérieures. A cet effet et pour favoriser

x) Voir la décision du Conseil de la S. D. N. à la séance du 30 août 1921


(« Journal Off. », décembre 1921, pages 1—12).
2) En 1906 et 1907, lorsque fut mise en pratique la loi Apponyi, les Roumains
orthodoxes de Hongrie avaient 1.697 écoles avec 1.785 maîtres, et les Roumains
gréco-catholiques avaient 1.278 écoles avec 1.300 maîtres — soit au total:
2.975 écoles primaires et 3.086 instituteurs. Cinq ans après (en 1912), par suite
de l’application de cette loi, il ne restait plus que 2.655 écoles et 2.767 instituteurs:
on avait fermé 171 écoles orthodoxes et 149 écoles gréco-catholiques roumaines,
au total 320. Tels étaient déjà, en moins de 5 ans, les résultats de la loi Apponyi
(Voir I. Enescu: dans Ardealul, Banatul, Crișana și Maramureșul. Bucarest
p. 111).
LA SITUATION DES ÉCOLES CONFESSIONNELLES 359

le développement économique national, les citoyens de l’Etat appar­


tenant à des minorités nationales peuvent former des sociétés et
faire des collectes sous le contrôle légal de l’Etat ».
« Les établissements d’éducation et autres, ainsi que les écoles
érigées de cette façon, jouissent des mêmes droits que les autres
écoles et établissements. Les fondateurs déterminent la langue qui
y sera en usage *) ».
La mise en application pratique de ce décret s’est faite par le
règlement du ministère de l’instruction publique et des Cultes
hongrois, No. 209.494, de 1919 *2), et par le règlement No. 1262,
de 1920, du ministère hongrois de la Justice 3).
En 1923, le décret No. 4.800 du ministère hongrois de l’instruc­
tion publique et des Cultes apporte un nouveau règlement juri­
dique à l’enseignement minoritaire de Hongrie, créant les diffé­
rents types d’écoles minoritaires.
Tel serait le régime juridique de l’enseignement minoritaire en
Hongrie après le traité de Trianon; mais à la manière dont il est
appliqué nous verrons qu’il a des conséquences funestes pour toutes
les minorités du pays voisin.

II
L’ancien président de la section minoritaire près le Secrétariat
de la Société des Nations, le professeur espagnol Pablo de Azcarate,
à la suite d’une plainte adressée par les Allemands de Hongrie à
l’organe de protection des minorités à Genève, en 1931, a visité
la Hongrie pour se convaincre sur place de la situation de l’ensei­
gnement minoritaire. L’attention du professeur Azcarate, au cours
de cette enquête, a été attirée surtout par la minorité allemande,
et il a visité en premier lieu les écoles allemandes de type B, à Șo­
pron. Les écoles de type B sont celles où les principales matières
d’étude sont enseignées en langue magyare et les matières secon­
daires dans la langue de la minorité respective. Ce sont, relative­
ment, les meilleures écoles minoritaires de Hongrie, car les écoles
de type A, où toutes les matières devraient être enseignées dans la
langue maternelle des élèves et la langue magyare ne figurer que comme
matière secondaire, n'existent que sur le papier, dans le texte de la

]) Publié le 19 novembre, au Journal Officiel (Budapesti Kozlôny).


2) Publié le 28 décembre 1919, au Journal officiel (B. K., 28.XII.1919).
3) Publié le 23 janvier 1920, au Journal officiel (B. K., 23.1.1920).
360 PETRE PETRINCA

loi de 1925 ; le type le plus répandu d’écoles minoritaires est le


type C, où tout est enseigné en langue magyare et où la langue
maternelle ne constitue qu’une matière d’étude secondaire: or dans
ces écoles non plus (type C) la langue maternelle n'est pas enseignée
systématiquement et l’on n’a pas admis de maîtres formés pour son
enseignement. C’est dans cette catégorie qu’entreraient aussi les
écoles minoritaires confessionnelles roumaines de Hongrie. Les insti­
tuteurs qui enseignent toutes les matières, y compris la langue
de la minorité respective, sont en grande majorité de nationalité
hongroise et ne possèdent donc pas suffisamment la langue mino­
ritaire pour l’enseigner. Pour se justifier les autorités hongroises
allèguent qu’il ne dépend que de la population minoritaire de se
choisir le type d’école qui lui convient: en pratique,personne n’ose
réclamer des écoles de type A ou B ; et si une telle demande se
produit, elle n’est presque jamais prise en considération. Certaines
écoles de type B se trouvent uniquement dans des régions pure­
ment non-magyares: ce sont surtout les Allemands qui possèdent
de telles écoles, tandis que l’élément slovaque ou roumain est forcé
de ne fréquenter à peu près que des écoles purent magyares.
« Le professeur Azcarate n’a pas eu l’occasion de se convaincre
du véritable état de choses, car son séjour en Hongrie a été occupé
par des réceptions, des banquets et des visites. Au sujet des ques­
tions scolaires minoritaires le professeur Azcarate a été surtout
informé par l’ancien ministre hongrois le Dr. Bertolak, qui a pris
part liii aussi au banquet offert par le premier ministre. Le ministre
de l’intérieur a organisé de même un banquet en l’honneur du
délégué de la Société des Nations. De même enfin les préfets des
villes visitées par le Pr. Azcarate ont veillé aux banquets. Presque
partout M. Azcarate a été accompagné des émissaires du ministère
hongrois des Affaires étrangères ’) ».
Dans ces conditions, on ne peut guère espérer que le Pr. Azca­
rate se soit fait une opinion directe et exacte de la situation de
l’enseignement minoritaire en Hongrie.
La loi scolaire minoritaire hongroise de 1925, qui institue les
trois types d’écoles (A, B et C), a été appliquée par les autorités
officielles de telle sorte qu’elle a privé la minorité roumaine de tout
droit à un enseignement dans sa langue propre, le roumain. « Les

’) Extrait de l’article : Les Minorités de Hongrie, paru dans le journal « Che­


marea », à Cluj, le 8 mars 1931.
LA SITUATION DES ÉCOLES CONFESSIONNELLES 361

écoles confessionnelles roumaines, orthodoxes et uniates sans dis­


tinction, ont été supprimées et les écoles d’état à langue d’enseigne­
ment roumaine n’ont jamais été créées par le gouvernement hon­
grois. De sorte qu’en Hongrie il n’existe pas une seule école à langue
d’enseignement roumaine, ni même avec le roumain comme matière
d’étude facultative ».
« Pour n’être pas accusé d’intolérance à l’égard de ses minorités
ethniques, le gouvernement hongrois a pris soin de se couvrir,
comme avant la grande guerre, en énonçant sur le papier certaines
dispositions libérales. Mais ces dispositions sont demeurées lettre
morte ; et non seulement elles n’ont pas été mises en application
par les organes de l’état, mais il a été interdit en fait d’en divulguer
le texte et le contenu dans les communes à population mino­
ritaire, lesquelles n’ont par conséquent pas la moindre idée des
droits qui leur ont été accordés. Toutes les tentatives d’éclairer
la population minoritaire sur ses droits ont été empêchées ou sévè­
rement réprimées. Le député Victor Knaller a protesté avec violence,
à la séance du 13 novembre 1935 de l’Assemblée nationale hon­
groise, contre cette conduite de l’administration et du gouverne­
ment: mais cette protestation n’a eu aucun effet. L’ordonnance
ministérielle citée plus haut et la loi du 29 février 1924 sont restées
ce qu’était la vieille loi de 1866, dite des nationalités: un texte
mort, tout juste bon à montrer à l’étranger comme un témoignage
de conceptions libérales, mais sans aucun effet réel sur la situation
de minorités ».
III
La majorité des anciennes écoles confessionnelles des Roumains
orthodoxes ont été supprimées en Hongrie et remplacées par des
écoles primaires hongroises où les instituteurs magyars enseignent
dans la langue de l’État. Dans les communes de population en ma­
jorité roumaine, il est permis aux Roumains d’entretenir un nombre—
au total très réduit — d’écoles confessionnelles, dont le rôle éducateur
est tout à fait illusoire car la langue roumaine n’y est que peu ou
pas employée. Dans ces écoles en effet la langue d’enseignement
est le hongrois, excepté pour l’instruction religieuse qui est donnée
en roumain par les quelques prêtres roumains demeurés en Hongrie 1 2).

1) V. Stoica: Românii din Ungaria, «Graiul Românesc» (La Langue rou­


maine), octobre 1928. Bucarest.
*) Cf. l’acte No. 11.276/1933, Inspectorat régional de police. Timișoara.
362 PETRE PETRINCA

Avant la grande guerre la statistique des écoles confessionnelles


roumaines (orthodoxes) pour le territoire constituant la Hongrie
actuelle se présentait de la façon suivante:

Nombres Nombre
d’écoles minimum
conf. orth. d’instituteurs
Communes roumaines roumains

1. Apateul Unguresc . . . 1 1
2. Cristur............................. 1 1
3. Comandi......................... 1 1
4. Darvas............................. 1 1
5. Homorog......................... 1 1
6. Jaca................................. 1 1
7. Micherechiu.................... 1 2
8. Peterd............................. 1 1
9. Săcal................................. 1 1
10. Vecherd ............................ 1 1
11. Meghieșpusta................... 1 1
12. Cenad................................. 1 1
13. Chitighaz......................... 2 2
14. Ghiula (grande ville) . . 2 2
15. Ghiula (petite ville) . . 1 1
16. Bătania............................. 1 1
17. Bichis................................. 1 1
18. Bichis Ciaba.................... 1 1
Total . . . 20 22

Ainsi donc, avant la guerre, les Roumains orthodoxes du co­


mitat de Bihor (aujourd’hui tronqué et resté en partie à la Hongrie)
avaient 10 écoles primaires confessionnelles, avec 11 ou 12 insti­
tuteurs. Aujourd’hui ils n’ont plus, pour le même territoire, que
2 écoles primaires confessionnelles (orthodoxes) avec 3 institu­
teurs, à savoir: 1) à Apateu, où le prêtre Gavril Mureșan est en
même temps instituteur; 2) à Micherechiu, où fonctionne une école
confessionnelle roumaine et orthodoxe avec 2 institutrices. Notons
que ce n’est que dans la commune de Micherechiu que l’enseigne­
ment se donne en langue roumaine et seulement dans deux
classes, car dans les autres l’enseignement se donne en hongrois.
A Apateu, le prêtre Gavril Mureșan (rénégat, qui a adhéré à
l’action de Ștefan Nemeth tendant à la création d’une église
LA SITUATION DES ÉCOLES CONFESSIONNELLES 363

gréco-orientale magyare) n’enseigne plus en roumain mais en hon­


grois x).
Pour la portion du département d’Arad restée à la Hongrie il
y avait des écoles confessionnelles roumaines dans deux communes
(Pusta Meghies et Aletea), mais elles ne fonctionnent plus, faute
d’instituteurs confessionnels roumains: les élèves roumains de ces
deux communes suivent les cours de l’école officielle hongroise et
dans la langue d’enseignement de l’État. Donc, dans ce département
non plus, il n’y a pas d’école minoritaire roumaine.
Dans le comitat de Csanâd (roum. Cenad) il y a deux écoles
confessionnelles roumaines, toutes deux orthodoxes, dans les com­
munes de Cenadul Unguresc et de Batania. Une seule fonctionne
encore aujourd’hui, celle de Cenad, qui a un instituteur roumain.
Dans le comitat de Békes (roum. Bichiș) il y avait des écoles
confessionnelles orthodoxes et roumaines dans les communes de
Chitighaz, de Ghiula-grande-ville-roumaine (« Gyula nagy roman
vâros) et de Ghiula-petite-ville roumaine (« Gyula kis roman vâros »).
A Chitighaz, en 1919, il y avait deux écoles confessionnelles ; de
même à Ghiula-grande ville. A Chitighaz, seule enseigne aujourd’hui
une institutrice roumaine ; à Ghiula-grande ville, un seul institu­
teur roumain; quant à Ghiula-petite ville, les autorités ont imposé
comme institutrice une Hongroise, la femme de Roth Arpâd, qui
ignore le roumain et fait la classe en hongrois aux élèves roumains.
Les écoles confessionnelles et orthodoxes roumaines de Bătania, Bi­
chiș, Bichiș Ciaba, de même que les écoles de Cenad et de Ghiula-
grande ville ne sont pas fermées faute d’instituteurs roumains ;
la langue d’enseignement y est bien, à côté du hongrois, le rou­
main: mais étant donné qu’aucune école confessionnelle orthodoxe
roumaine n’est pourvue de manuels scolaires roumains, l’enseigne­
ment en langue roumaine se réduit à celui de la religion et, autant
que le permettent les circonstances, à celui de la lecture et de
l’écriture.
Le ministère des Cultes à Budapest n’a approuvé depuis la
guerre aucun manuel en langue roumaine. Un prêtre roumain de
Hongrie ayant réussi à passer la frontière avec quelques manuels
roumains qui avaient été imprimés à Arad avant l’union avec la
Roumanie et avec l’approbation du ministère hongrois de cette
époque, s’est vu confisquer ces abécédaires par Théodore Szent-
kereszti, inspecteur primaire de Ghiula.
’) Voir l’acte No. 209/1933, Préfecture du département d’Arad.
364 PETRE PETRINCA

En 1919, les Roumains orthodoxes de Hongrie avaient 21 écoles


confessionnelles roumainesx) : il en reste 5 aujourd’hui, dans les
communes de Micherechiu (comitat de Bihor), Cenad (comitat de
Csanâd), Chitighaz, Ghiula-grande ville et Ghiula-petite ville (co­
mitat de Békes). Mais comme dans l’école confessionnelle de Ghiula-
petite ville les Hongrois ont imposé une institutrice magyare igno­
rant la langue roumaine, il ne reste donc à vrai dire que 4 écoles
primaires confessionnelles orthodoxes et roumaines où les élèves
puissent étudier quelque peu en roumain, du moins dans les deux
premières classes.
Telle est donc la situation scolaire faite à la minorité roumaine
orthodoxe dans la Hongrie d’après-guerre.

IV
Les Roumains uniates, ou catholiques de rite oriental, avaient
en Hongrie avant la guerre, et pour le territoire actuellement hon­
grois, des écoles confessionnelles dans les communes suivantes :
Nombre Nombre
d’écoles minimum
conf. cath. d’instituteurs
Communes roumaines roumains

1. Almosd............................ 1 1
2. Adoni................................. 1 1
3. Bogomir............................ 1 1
4. Bedeu................................ 1 1
5. Cocad ................................ 1 1
6. Leta Mare......................... 1 4
7. Poceiu............................. 3 3
8. Paleu................................. 1 1
9. Virtiș................................. 1 1
10. Porcialma......................... 1 1
il. Ujfalău............................ 1 1
12. Ciegold............................. 1 1
13. Abrani............................. 1 1
14. Aciad................................ 1 1
15. Macău............................. 1 1
Total . . . 17 20

x) Dans la statistique ci-dessus nous n’avons indiqué que 20 écoles: suivant


d’autres renseignements il y aurait eu aussi dans la commune d’Aletea (Elek,
comitat d’Arad) une école confessionnelle orthodoxe roumaine — soit 21 au
total.
LA SITUATION DES ÉCOLES CONFESSIONNELLES 365

Sur 17 écoles confessionnelles gréco-catholiques roumaines il n'en


existe plus aujourd'hui une seule : dans aucune d’entre elles n’en­
seigne plus aucun instituteur confessionnel roumain.
La majorité des communes roumaines uniates sont répandues
le long de la frontière roumano-hongroise, dans les comitats de
Bihor, Sabolcs, Hajdu et Sătmar. Dans ces communes fonctionnent
encore aujourd’hui les anciennes écoles confessionnelles roumaines
magyarisées, sous la dénomination de « Gorôg-katholikus magyar
felekezeti iskolâk », c’èst-à-dire d’« écoles confessionnelles gréco-
catholiques magyares ». Les instituteurs de ces écoles, aujourd’hui,
sont hongrois, alors que jusqu’à la guerre c’étaient des instituteurs
confessionnels roumains qui faisaient la classe.
« Les Roumains de ces districts sont tenus de participer, prêtres
et instituteurs en tête, à toutes les fêtes nationales ainsi qu’aux
manifestations de caractère révisionniste. Pour que la haine contre
les Roumains soit plus vive, les enfants des écoles, sont obligés
d’entrer dans les organisations « leventistes » et d’y prendre part
à l’instruction patriotique et prémilitaire x) ».
Au sujet de ces écoles le document No. 1893/1933 de la Direc­
tion générale de police à Cluj nous donne les renseignements sui­
vants : « A l’école l’enseignement ne se donne qu’en langue magyare,
de même qu’à l’église les offices religieux. Les élèves, des l’âge
de 7 ans, sont inscrits dans les organisations de « Levente » (« bra­
ves »), sans considération de nationalité, et ils y apprennent des
chants irrédentistes magyars ainsi que l’instruction militaire; en
un mot, tout le programme scolaire, dans ces villages peuplés en
majorité de Roumains, consiste à étouffer tout sentiment national
chez les minoritaires, et à favoriser la propagande irrédentiste ma­
gyare ».
Ainsi, sur 17 écoles gréco-catholiques roumaines d’avant la
guerre, les Roumains uniates n’en possèdent plus aucune où un
instituteur confessionnel roumain enseigne leur langue maternelle
roumaine, fût-ce à titre de matière d’étude facultative. Les auto­
rités, ce qui est un comble, obligent même les organisations parois­
siales roumaines à entretenir de leurs deniers les instituteurs ma­
gyars qui ont remplacé dans les écoles uniates les instituteurs rou-"
mains.

J) Cf. l’acte No. 101/1933, Préfecture du département de Satu-Mare.


366 PETRE PETRINCA

V
M. Ivân de Nagy l), traitant de Ia situation de l’enseignement
minoritaire roumain dans la Hongrie actuelle, tire les conclusions
suivantes :
«... Nous devons constater avec regret que dans notre patrie
(Hongrie) le plus grand nombre d'illettrés se trouve chez les Roumains,
en comparaison de qui la situation des Ruthènes seule est plus
défavorable. L’une des causes de ce triste état de choses est, selon
moi, le fait que sur le terrain de l’instruction élémentaire les Rou­
mains demeurent volontairement étrangers aux écoles del’État et aux
autres écoles confessionnelles, qu’ils évitent. Dans plusieurs endroits
les Roumains préfèrent ne pas apprendre, plutôt que de s’inscrire
aux écoles de l’État, ou bien ils fréquentent les écoles confession­
nelles roumaines qui, dans la plupart des cas, sont très mal pour­
vues et peu surveillées, de sorte que les élèves oublient rapidement
le peu qu’ils y ont appris. Près de 40% de ces illettrés qui, devenus
adultes, ont oublié ce qu’ils ont appris, se recrutent dans les écoles
confessionnelles roumaines ».
Les constatations de M. I. de Nagy sont exactes ; nous avons
vu en effet que, sur les 37 écoles confessionnelles roumaines (20
orthodoxes et 17 uniates) il n’y en a que quatre où l’on apprenne
le roumain, tandis que dans les 33 autres tout enseignement rou­
main a été supprimé. En somme, ces 33 écoles confessionnelles
roumaines ont été purement et simplement fermées et dans leurs
locaux ce sont des écoles magyares qui ont été rouvertes, avec
des instituteurs hongrois remplaçant les anciens instituteurs rou­
mains. Aussi longtemps que ces écoles ont existé, les élèves rou­
mains les ont fréquentées ; dès qu’elles ont été supprimées, les
Roumains ont préféré l’ignorance à la fréquentation d’écoles offi­
cielles hongroises où ils étaient menacés de perdre leur nationalité,
leur langue et leur foi. Cela, M. Ivan de Nagy le reconnaît sans
détour: seules les conclusions qu’il en tire sont illégitimes.
En 1920, la minorité roumaine de Hongrie donnait une forte
proportion d’illettrés et à peine 46 ou 47% d’entre eux (46,8%)
savaient lire et écrire. « Touchant l’instruction scolaire, nous ne
donnons à nos observations qu’une conclusion statistique, écrit
M. I. de Nagy. Dans les premières années après la guerre des

*) Cf. son étude: Les Roumains de Hongrie, dans la revue «La Voix des
Minorités », No. 10, 1927.
LA SITUATION DES ÉCOLES CONFESSIONNELLES 367

difficultés sont nées du fait que les instituteurs des communes rou­
maines situées le long de la frontière ont abandonné purement et
simplement leurs écoles, passant la frontière et se réfugiant en Rou­
manie, où ils espéraient trouver de meilleures places ». Cette affir­
mation est tout à fait controuvée, car c’est la terreur magyare qui a
chassé les prêtres et les instituteurs roumains ou les a contraints à
quitter leurs paroisses et leurs écoles.
« La conséquence de ce fait, c’est qu’au cours des années de
caractère révolutionnaire il n’y a eu en somme de leçons que dans
une seule école confessionnelle roumaine (uniate), avec 2 institu­
teurs et 105 élèves ; pendant ces deux années (1919—1920) on a
enregistré 935 élèves roumains obligés de fréquenter les autres
écoles élémentaires (d’État). Grâce à la disparition d’un état de
choses exceptionnel et au rétablissement de l’ordre ébranlé, les
écoles ont naturellement recommencé à fonctionner, de sorte qu’en
1922—1923 il y avait déjà 7 écoles (3 uniates et 4 orthodoxes),
en 1923—1924, neuf (une d’État, 3 uniates et 5 orthodoxes), et
en 1924—1925, dix écoles populaires élémentaires, qui donnaient
l’enseignement dans les deux langues magyare et roumaine, ce qui
correspond pleinement à la proportion de population roumaine (?).
Il va de soi que le nombre des instituteurs et des élèves s’est, lui
aussi, multiplié de sorte qu’en 1924—1925 quinze instituteurs (dont
7 d’état) instruisaient déjà dans les écoles citées 698 élèves ».
Le même auteur nous explique comme suit le nombre réduit
des élèves roumains dans les écoles magyares: « Tant dans les écoles
secondaires que dans les écoles supérieures, la cause du faible chiffre
statistique des élèves roumains s’explique par le phénomène devenu
public que les jeunes minoritaires, ayant l’occasion de connaître
au cours de leurs années d’études la valeur plus haute de la culture
et de l’histoire magyares ( ?), même si l’origine de leur famille et le son
de leur nom les rattachent à telle nationalité, néanmoins ces jeunes
gens commencent à reconnaître avec amour ( ?) la langue hongroise
pour leur langue maternelle, afin de donner par là un fondement
à leur foi nationale envers le sol et l’État dans les cadres desquels,
en définitive, leur peuple, luttant et souffrant durant des siècles
à nos côtés, s’est fondu avec le Magyar organisateur d’État (!) ».
« Négligeons donc l’affirmation de « magyarisation forcée », car
le nombre très réduit des intellectuels appartenant aux nationalités
de Hongrie n’est que la conséquence non préméditée de la magya­
risation des écoles secondaires des villes de province et de la vie

7
368 PETRE PETRINCA

universitaire des écoles supérieures: tout en restant fiers de leur


origine, les jeunes gens non-magyars qui achèvent leurs études ou
sont déjà diplômés, se sentent de plus en plus confondus avec le
peuple qui les a reçus à bras ouverts, eux et leurs frères, en leur
donnant un appui dans les cadres de l’État ».
Ainsi M. loan de Nagy reconnaît la magyarisation de la jeunesse
scolaire des minorités de Hongrie, mais cette assimilation, il nous
la donne pour volontaire. Au sujet de la magyarisation dans les
écoles hongroises, la conférence faite par M. Somody Istvân x) de­
vant la commission d’enseignement du corps pédagogique, « sur
les méthodes pour populariser l’action de magyarisation parmi les
élèves des écoles » est tout à fait significative ; le titre seul en est
déjà éloquent. D’autre part, au cours d’une des conférences orga­
nisées en faveur de la magyarisation des noms de famille, le direc­
teur d’une école commerciale de Budapest a déclaré avoir effectué
60 magyarisations de noms parmi les élèves de son école et dans
un temps très court. S’il en est ainsi, on ne saurait qualifier de
volontaire, avec M. de Nagy, cette magyarisation de la jeunesse
scolaire opérée sous la pression du corps enseignant hongrois. M.
de Nagy a constaté le phénomène, mais il en a donné une expli­
cation erronée et qui n’est conforme qu’aux intérêts de l’Etat
hongrois.

VI
Les statistiques culturelles hongroises, fondées sur des estima­
tions fausses (considérant par exemple, comme écoles minoritaires
roumaines, les anciennes écoles confessionnelles roumaines dont les
maîtres ont été remplacés par des maîtres magyars) ne présentent
qu’une situation illusoire et qui ne correspond pas du tout à l’état
misérable de l’instruction minoritaire roumaine de Hongrie. Or, ces
données mensongères, la Hongrie les fournit à l’étranger comme
une justification du régime minoritaire qu’elle a institué chez elle.
C’est d’après ces données que l’italien Enrico Aci Monfosca
après avoir affirmé qu’en Hongrie on ne saurait parler d’un pro­
blème des minorités («A parlare quindi per l’Ungheria di una ques?
tioné di minoranze nazionali c’è quasi da non essere compresi» (!),

x) Cf.'A magyar névmozgalom, paru dans le journal « Pesti Hirlap ». Budapest,


14 avril 1934. ,
2) Daps son ouvrage: Le minoranze nazionali contemplate dagli atti interna­
zionali, p. 32. ' .
LA SITUATION DES ÉCOLES CONFESSIONNELLES 369

assure que « les Roumains de Hongrie ont dix écoles élémentaires ».


Or, comme on l’a vu, il n’ y a pas en Hongrie dix écoles élémen­
taires enseignant à la fois en roumain et en hongrois, mais seule­
ment quatre et encore l’enseignement n’y est-il donné en roumain
qu’en première et en seconde année. Peut-être y a-t-il, théorique­
ment, d’autres écoles confessionnelles roumaines, puisqu’avant la
guerre il y en avait 37 ou 38, mais dans ces écoles tous les maîtres
sont hongrois, comme l’avoue M. Ivan de Nagy.
Les Roumains, orthodoxes et uniates, au nombre de 50 ou
60.000 âmes, sont obligés d’entretenir les anciennes écoles confes­
sionnelles qui magyarisent leurs enfants à l’aide d’instituteurs im­
posés par l’État hongrois et ne parlant pas la langue maternelle
des élèves roumains. Dans ces écoles, nous le répétons, le roumain
n’est même pas enseigné à titre de matière facultative et les ma­
nuels scolaires roumains, même ceux que le ministère hongrois
de l’instruction publique avait approuvés avant la guerre, sont
proscrits de l’enseignement et ne peuvent être réimprimés *).
Ces écoles confessionnelles, roumaines avant la guerre, sont
encore considérées comme telles par la statistique hongroise; et
comme ces écoles sont « confessionnelles », ce sont les commu­
nautés de fidèles roumains qui, par un étrange abus, doivent
les soutenir et payer les instituteurs magyars imposés par l’État,
payer par conséquent pour que leurs enfants soient obligés de n’ap­
prendre que la langue hongroise.
Quant à l’affirmation que les instituteurs roumains, à la
veille du traité de Trianon, se seraient réfugiés en Roumanie,
rentrant derrière les troupes roumaines dans l’espoir d’une meil­
leure situation, nous la repoussons aussi, car ces malheureux nont
dû se réfugier que pour échapper aux persécutions et aux mauvais
traitements des autorités hongroises ; d’une foule de tristes cas
de cette espèce,retenons le suivant: «Dans la commune de Sitalău,
l’école roumaine a été fermée'. L’instituteur Pelle a protesté contre
cet acte arbitraire, réclamant la réouverture de l’école, propriété
de l’église. Pour cette raison, les menaces ont commencé à son
adresse, de sorte qu’il a dû passer la frontière et se réfugier en Rou­
manie ». Le fait, notons-le, s’est produit il y a quelques années,
et non pas au retour des troupes roumaines de Hongrie. «Tout

Sur le traitement infligé aux élèves roumains dans les écoles de Hongrie,
voir l’article: Cum sunt tratați Românii din Ungaria, paru dans le journal
« Neamul Românesc » du 4 novembre 1930.

7*
370 PETRE PETRINCA

mouvement pour défendre les droits humains des déshérités est


considéré comme rébellion. Aussitôt qu’on apprend qu’un instituteur
a parlé roumain à ses élèves, l’instituteur est arrêté et l’école fermée.
C’est ce qui s’est produit pour les écoles et les églises des communes
roumaines Ciegold et Porcialma, églises et écoles qui ont été fermées ».
« Sous la même terreur vivent les Roumains de Leta Mare et
de Poceiu. A Leta Mare il y avait une école roumaine avec quatre
salles de classe et quatre maîtres ; à Poceiu, trois maîtres d’école.
Tous ont été chassés de ces communes. A leur place ont été instal’és
des maîtres hongrois qui verseront la bonne parole hongroise dans
l’âme des pauvres enfants J) ».
Voilà donc l’explication de la fuite des instituteurs roumains
de Hongrie en Roumanie. Quant aux écoles roumaines orthodoxes
et uniates de Hongrie, les 37 ou 38 communes qui en possédaient
sont restées sans instituteurs roumains et n’ont reçu à leur place
que des instituteurs hongrois: ces écoles n’en restent pas moins,
aujourd’hui encore, considérées comme roumaines par les statis­
tiques de nos voisins, lorsque ceux-ci ont besoin de se justifier aux
yeux de l’étranger, et aussi aux rêtres, car il nous serait facile
d’user de rétorsion. Mais toutes ces statistiques ne sont plus une
nouveauté pour nous, quelque habilement déguisées qu’en soient
les données, car nous savons depuis longtemps que tout l’appareil
de l’État hongrois est mis au service de la même magyarisation
qu’autrefois, perfide et tueuse d’âmes. Nous savons, et l’étranger
ne l’ignore plus, que la maxime de l’État hongrois, quant aux na­
tionalités que malheureusement il domine encore, se résume dans
leur destruction complète en tant que nationalités et dans leur
assimilation radicale au peuple établi dans ces contrées, il y a dix
2).
siècles *
PETRE PETRINCA

’) Voir l’article: Frații noștri de sub Unguri. Viața Românilor din Ungaria.
Prigonirea legii și limbei românești. Fuga preoților și a învățătorilor, paru dans
«Cuvântul Liber», 30 mars 1930.
2) Au sujet de l’enseignement minoritaire roumain de Hongrie, on pourra
consulter aussi notre étude: Școala confesională a Românilor din Ungaria, parue
dans la « Gazeta Antirevizionistă », Nos. des 10 et 17 mars 1935.
QUELQUES CONSIDÉRATIONS SUR LA RÉFORME
AGRAIRE EN TRANSYLVANIE.
La réforme agraire de Transylvanie est, parmi les nécessités
sociales qui se sont imposées après le grand cataclysme européen,
une des plus importantes. Elle a été exigée par l’Assemblée du 1-er
décembre 1918 à Alba-Iulia où des milliers de paysans sont venus
de tous les coins de la Transylvanie pour décider de leur sort.
Ce pas décisif dans l’évolution de ces provinces au point de
vue agricole a son origine dans certains événements qui ont précédé
la Révolution de 1848 et dans d’autres qui se sont déroulés depuis
cette révolution jusqu’à nos jours. Il est donc nécessaire que nous
jetions un court regard en arrière.
La Révolution de 1848 brisa les chaînes du servage, elle trans­
forma le paysan en homme libre et le déclara propriétàire du lot
« urbarial » *) inscrit en 1819—1820. Mais lors de cette inscription,
les nobles avaient réussi à induire les serfs en erreur: ils leur avaient
conseillé en effet de ne pas déclarer toute la terre qu’ils cultivaient,
pour la raison qu’ils auraient à payer de trop lourds impôts et des
charges de toutes sortes. En 1848 les paysans se sont vu exproprier
d’une partie des terres auxquelles ils avaient droit, tandis que les
nobles ont reçu des droits de propriété sur toutes les terres qui
n’avaient pas été inscrites dans le recensement de 1819—1820. Les
anciens serfs, spoliés de la sorte de leurs droits ancestraux, se sont
adressés à la justice, ce qui a donné naissance à une interminable
suite de procès.
Dans son livre « The Fate of Transylvanian Soil», Budapest,
1934, p. 24, M. N. Moricz, bien qu’il admette que l’inscription des

’) « Lot urbarial»: Terre dont le serf avait la jouissance moyennant certaines


prestations en nature dues au seigneur. Le « lot urbarial » correspond à peu près
à la tenure servile du droit féodal français.
372 JACQUES RUSU

terres paysannes en 1819 fut pleine d’erreurs, affirme cependant


aux pages 44 et 48, que la réforme agraire de 1848 effectuée par
l’Etat hongrois a été juste et qu’elle a complètement résolu le pro­
blème agraire, de sorte que la récente réforme n’a plus trouvé de
terres disponibles pour l’expropriation dans les régions habitées
par les Roumains. M. Moricz néglige évidemment le fait que les
paysans ont souffert de sérieuses pertes par suite des erreurs du
recensement, erreurs dont ils demandaient le redressement par une
longue série de procès. De plus la noblesse cherchait à profiter des
dispositions obscures de la loi de 1848, afin de prouver que les
terres occupées par les serfs n’étaient pas inscrites et devaient par
conséquent revenir aux seigneurs. Pour mettre fin à ces différends,
l’Etat hongrois a dû intervenir par plusieurs lois promulguées entre
1871 et 1986; notamment l’inscription des terres dans les registres
fonciers a été réglementée par une procédure spéciale, par une
suite d’échanges permettant de remédier à la dispersion parcellaire
par le remembrement. (« segregare » et «comasare»). Il en est d’ail­
leurs résulté de nouveaux procès dont certains ont duré jusqu’à
nos jours, car cette procédure avait particulièrement servi les in­
térêts des nobles qui en profitèrent pour reconstituer leurs domaines
sur les meilleures terres, ne laissant aux paysans que les versants
des collines, stériles et desséchés par le soleil et par le vent. C’est
pourquoi les paysans avaient les terres de la plus basse qualité,
les plus mal situées au point de vue économique et géographique,
défavorisées surtout en ce qui concernait les moyens de communi­
cation et les débouchés. Par cette législation dont le but était la
consolidation de la propriété, ainsi que par les procès qui l’avaient
provoquée, l’élément roumain, qui dans une proportion de 98 % était
formé d’anciens serfs, a été dépouillé de 25% environ de la totalité
des terres cultivables que lui avaient accordées les lois de 1848 x).
La politique de magyarisation de l’ancien régime a cherché
systématiquement à affaiblir l’élément roumain en Transylvanie et
à renforcer l’élément hongrois. La possession de la terre était con­
sidérée comme le plus sûr moyen d’arriver à ces fins, et c’est ce
qui explique que les efforts de la politique agraire hongroise se
soient portés dans cette direction. Ce dessein a été servi par les
colonisations de 1880, financées par les Instituts de crédit destinés
à venir en aide aux exploitations agricoles hongroises. Le but de

*) Dr. loan Iacob: Chestia agrară în Ardeal, 1924, p. 77.


QUELQUES CONSIDÉRATIONS SUR LA RÉFORME AGRAIRE 373

la « Banque altruiste », en particulier, était d’accorder facilement


des crédits aux exploitations qui se trouvaient dans la gêne et
d’acheter les propriétés à vendre afin de les lotir et de les coloniser
avec des Hongrois 1).
Malgré sa pauvreté, une partie de la classe roumaine paysanne,
grâce à son labeur assidu et à des économies péniblement amassées,
s’efforçait d’acheter les terres dont elle avait absolument besoin.
Mais les cercles intéressés s’alarmèrent bientôt, car ils voyaient
dans ces achats de terres par des Roumains un affaiblissement de
la domination hongroise. Les protestations de Tokay Laszlo, claire­
ment énoncées dans son livre « Elado Orszâg » (Pays à vendre),
celles du comte Bethlen et de bien d’autres ont déterminé le Mi­
nistère à suspendre le droit d’acheter des terres en Transylvanie
— et dans cette province seulement — par l’ordonnance ministé­
rielle No. 4000 de la Présidence du Conseil des Ministres. Confor­
mément à cette ordonnance, pour tout achat de terres en Transyl­
vanie il fallait demander au Ministère une approbation, qui d’habi­
tude était refusée aux Roumains pour n’être accordée qu’aux Hon­
grois. Comme on le voit, l’évolution naturelle de la propriété fon­
cière a été détournée de son cours normal au détriment de la popu­
lation dominante. On n’a pas tenu compte de l’étendue insuffisante
des terres que cette population possédait. Etant donné ces circon­
stances difficiles, les paysans roumains de Transylvanie ont été
obligés de vivre dans la misère. Cet état économique peu favorable
et le désintéressement voulu de l’État hongrois sont responsables
du grand nombre d’illettrés de cette province et du faible progrès
culturel réalisé par les Roumains sous la domination des Hongrois.
Ainsi donc la propriété paysanne avait une superficie trop
faible par rapport à la grande propriété, ce qui imprimait à la dis­
tribution des terres un caractère anti-social très prononcé. Si l’on
étudie cette situation à la lumière des chiffres, la répartition des
terres se présente ainsi: 99,4% du nombre total des propriétaires
possédaient à peine 63% de la surface totale des propriétés, tandis
que 37% de la propriété foncière appartenait à 0,6% des proprié­
taires (voir graphique No. 1). Au point de vue de la répartition par
nationalités: 2.653.072 agriculteurs roumains possédaient 3.598.669
jugăre*2), ce qui revient approximativement à 1 jug. 5 par tête
*) Dr. loan Iacob: ibidem, pp. 79—80 et Dr. loan Luca Ciomac dans: Despre
stările agrare in Transilvania, pp. 18—22.
2) Unité de superficie: 1 jugăr = 0,5755 ha.
374 JACQUES RUSU

d’agriculteur. D’autre part, 768.867 agriculteurs non-roumains pos­


sédaient 11.293.818 jugăre, ce qui donne une moyenne de 15 jugăre
environ par tête d’agriculteur (Roumains et non-Roumains) 1).
En ce qui concerne la population agricole ne possédant pas de
terres, nous devons prendre en considération les données mêmes
fournies par le Directorat agricole de Budapest et reproduites dans
le livre de M. Moricz déjà cité. Nous prenons les pourcentages de
population roumaine, hongroise et allemande dans chaque dépar­
tement et nous les représentons graphiquement, puis les pourcen­
tages de population agricole ne possédant pas de terres, toujours
par nationalité et par département (voir graphique No. 3). En les
inscrivant à côté des premiers pourcentages, nous obtenons 4 co­
lonnes pour chaque département. (Pour ne pas compliquer le gra­
phique, nous avons supprimé les données concernant les Allemands
dans les départements où ils sont trop peu nombreux; dans ceux
où le pourcentage est plus élevé, nous l’avons représenté dans la
même colonne que celui des Hongrois). Nous avons donc 4 colonnes
pour chaque département. La I-ère colonne de gauche à droite
représente le pourcentage de population roumaine de ce départe­
ment (en noir). La 2-ème colonne (hachurée) le pourcentage de
Hongrois. Ces 2 colonnes forment le groupe a. La 3-ème colonne
représente le pourcentage de Roumains non-propriétaires. La 4-ème
colonne le pourcentage de Hongrois non-propriétaires. Si l’on étudie
ce graphique, on remarque en premier lieu que dans le plus grand
nombre des départements l’élément roumain domine. L’élément
hongrois n’a la majorité que dans les départements habités par les
Séklers ou Sicules. Si dans chaque département on compare le
pourcentage de population roumaine avec celui des Roumains non-
propriétaires, on constate que ce dernier est toujours le plus grand.
Si l’on procède de même pour la population hongroise, on observé
le contraire, c’est-à-dire que le pourcentage de Ceux qui n’ont pas
de terres est beaucoup plus petit que le pourcentage de Hongrois
dans le département (on a une légère exception dans deux dépar­
tements). Pour certains départements, on remarque sur le graphique
l’absence du groupe è, c’est-à-dire du pourcentage de population
agricole sans terres. Ceci est dû au fait que M. Moricz a jugé bon

*) Ces données ont été recueillies par l’enquête que le Conseil dirigeant de
Transylvanie entreprit à l’époque encore trouble de l’après-guerre (1919). C’est
pourquoi elles ne sont pas tout à fait complètes, mais les chiffres se rapprochent
beaucoup de la vérité.
QUELQUES CONSIDÉRATIONS SUR LA RÉFORME AGRAIRE 375

d’écarter du calcul les départements dont une partie seulement a


été attribuée à l’État roumain (les départements divisés ont été
marqués d’un x sur le graphique) pour la raison qu’on ne saurait
tirer de conclusions des données qui comprendraient aussi les dépar­
tements divisés dans lesquels on ne connaît pas le pourcentage des
populations passées au nouveau régime. Par cette habile explica­
tion, M. Moricz se permet d’écarter du calcul les 692.953 Roumains
de ces départements. Or, comme seule est passée à la Roumanie
la partie de ces départements peuplée de Roumains, le pourcentage
trouvé par M. Moricz pour les départements non-divisés est donc
inférieur à la réalité. Ce n’est que par de semblables procédés que
M. Moricz est arrivé à trouver en Transylvanie pour l’année 1910,
229.900 seulement ou 63,4% de Roumains non-propriétaires, et
91.022 ou 26,1% de Hongrois non-propriétaires. Non seulement
nous devons tenir compte de l’omission dans le calcul des 692.953
Roumains, mais encore nous devons faire les restrictions nécessaires
quant à Vexactitude des données statistiques hongroises en ce qui con­
cerne la nationalité. C’est un fait bien connu que les statisticiens
de Budapest considéraient comme Hongrois tous les Juifs et tous
les citoyens d’autre nationalité dont les noms étaient magyarisés
ou qui parlaient le hongrois. En tenant compte de ces faits, le pour­
centage des Hongrois doit être considéré avec scepticisme car il
est en réalité beaucoup plus petit et celui des Roumains beaucoup
plus grand que ne le montrent ces statistiques. Par conséquent
on ne peut accepter pour exacts les chiffres de M. Moricz quand il
prétend que 28% des paysans auxquels on a accordé des terres
devaient être des Hongrois.
Une fois tous ces points éclaircis, nous pouvons examiner le
graphique No. 3 où nous allons observer les pourcentages discutés
plus haut pour les 18 départements (notés par A), comparés avec
les pourcentages de la population rurale répartie par nationalités
dans toute la Transylvanie en 1930 (notés par B), et ensuite avec
les pourcentages provisoires des paysans ayant reçu des terres
jusqu’en 1929 (notés par C). Si l’on compare ces trois groupes entre
eux, on observe une analogie qui n’est pas due seulement au hasard.
Si les pourcentages du groupe A étaient exacts et complets, on
n’aurait probablement pas à enregistrer de différences. Même avec
les données incomplètes du groupe A, données dont nous avons
vu les insuffisances et qui sont défavorables à la population rou­
maine, il est évident que les nationalités de Transylvanie qui
376 JACQUES RUSU

forment la population rurale dans les proportions indiquées par le


groupe B, participent au bénéfice delà réforme agraire (groupe C)
à peu près dans les proportions dans lesquelles elles constituaient
en 1910 la population privée de terres (groupe A). Il faut remarquer
que le nombre définitif des paysans de Transylvanie mis en pos­
session de terres à la suite de la réforme agraire est de 310.583,
parmi lesquels 227.943 (73,3%) sont Roumains et 82.640 (26,7%)
ne le sont pas. On observe donc une légère baisse du pourcentage
des Roumains en faveur des minorités (la baisse est représentée
dans le graphique dans la colonne des Roumains, par une ligne
pointillée). On peut donc conclure que, de toutes les nationalités
de Transylvanie, l’élément roumain est celui qui a été le plus privé
de terres par rapport aux minorités, ce qui résulte clairement même
des chiffres officiels hongrois. Ces comparaisons prouvent que le
caractère national de la récente réforme agraire disparaît si Ton
considère la proportion assez élevée des non-Roumains qui en ont
bénéficié (26,7%), en tenant compte du fait qu’ils forment au­
jourd’hui les 37,3% seulement de la population rurale et que la
majorité des Allemands et des Hongrois étaient déjà des proprié­
taires aisés avant la réforme agraire. A propos des non-possédants
d’avant la guerre, il est intéressant de connaître les observations
faites par Barabas Endre dans ses études monographiques sur la
Transylvanie 1). Il arrive à la conclusion que l’excédent de popu­
lation agricole émigrait faute de terres et que, des deux pays où
les émigrants trouvaient du travail: Etats-Unis d’Amérique et Rou­
manie, c’est à ce dernier qu’ils s’attachaient le plus.
De tout ceci il résulte qu’après la guerre une réforme agraire
s’imposait. La disproportion injustifiée de la grande propriété par
rapport à la petite propriété devait disparaître, d’autant que la
plupart des grandes propriétés étaient travaillées par les paysans
et surtout par ceux qui ne possédaient pas de terres. Pour améliorer
le sort de ceux qui la travaillaient, la terre devait leur être donnée.
De plus, comme la réforme agraire avait été réalisée dans le reste
du pays, elle ne pouvait être évitée en Transylvanie, car une telle
exception aurait poussé les paysans à s’emparer de force des terres,
d’autant plus que dans des pays voisins, comme la Russie et la
Hongrie, des révolutions communistes avaient éclaté. La distribution

’) Maros-Torda Vdrmegye és Maros-Vasdrhely etc.... k&zgazdasâgi leirdsa,


par Barabas Endre, Budapest, 1907.
QUELQUES CONSIDÉRATIONS SUR LA RÉFORME AGRAIRE 377

des terres aux paysans qui en étaient privés et la consoli­


dation de la petite propriété étaient pour notre époque des néces­
sités sociales impérieuses. La culture extensive devait être rem­
placée par la culture intensive. Le premier pas dans la voie de cette
transformation ne pouvait être effectué que par la petite propriété
et l’éducation professionnelle du paysan. Les événements histori­
ques ont tellement précipité la solution de ce problème, que l’on
n’a pu en réaliser que la première partie.

♦ *
Dès la fin de la guerre, quand la situation se fut dans une cer­
taine mesure éclaircie, le Conseil dirigeant de Transylvanie, par un
décret-loi du 10 septembre 1919, posa les bases légales de la réforme

No. 1

MINORITAIRE

agraire dont le but était: 1) d’agrandir la propriété paysanne et


d’en faciliter le développement, 2) d’encourager la production in­
tensive, 3) d’assurer le progrès de l’industrie nationale en lui réser­
vant les terrains nécessaires, 4) de permettre aux habitants des
villes, des centres miniers, industriels et balnéaires, de se créer des
foyers, grâce à la constitution de lotissements.
Pour éviter une baisse de la production, le Conseil dirigeant
a affermé les terres de l’Etat et a obligé à en faire autant les per­
sonnes morales et les particuliers qui ne pouvaient exploiter leurs
domaines. De la sorte, on a affermé 154.136 « jugăre » en 1919,
770.881 « jugăre » en 1920 et 1.304.201 « jugăre » en 1921.
378 JACQUES RUSU

En 1921, la loi de la réforme agraire de Transylvanie est venue


changer quelques dispositions du décret-loi, dispositions qui pou­
vaient donner lieu à des abus. En vertu de la loi de réforme agraire,
on a exproprié les superficies suivantes x) :

Terres cultivables................ . . . . 470.389,56 ha


Prés................................. . . . . 80.746,60 »
Pâturages ............................. . . . . 398.745,50 »
Forêts..................................... . . . . 663.967,24 »
Vergers, vignes etc............... . . . . 12.114,04 »
Terrains à bâtir..................... . . . . 14.006,35 »
Terres improductives . . . . . . . 24.328,71 »
Total . . . 1.663.809,03 ha

La répartition des terres. Les terres expropriées devaient être


réparties entre les ayants-droit. Cette mise en possession des béné­
ficiaires de la réforme s’est faite selon l’ordre prévu par la loi: 1) les
invalides, veuves et orphelins de guerre capables de travailler la
terre, 2) les agriculteurs ne possédant pas de terre, 3) ceux dont
la propriété était plus petite que le lot-type fixé pour le dépar­
tement respectif, 4) tous les autres. Le lot-type pouvait varier
entre 1 et 7 «jugăre».
La loi prévoit une série de dispositions destinées à assurer une
organisation aussi économique que possible des nouvelles pro­
priétés paysannes. Pour éviter le morcellement, la loi n’admettait
pas la division des lots au-dessous de 2 « jugăre ».
Le prix de la terre était payé par l’Etat, qui accordait une rente
perpétuelle aux personnes morales et une rente de 5% amortis­
sable en 50 ans aux particuliers. Le paysan acquittait seulement
la moitié du prix du lot reçu, le reste était complété par l’Etat
afin de faciliter au paysan l’acquisition de l’outillage agricole né­
cessaire.
A l’occasion de la réforme, des paysans des régions trop peu­
plées ont été envoyés pour coloniser les régions moins denses. On
a accordé aux colons des lots de 7, 8, 10, 12 « jugăre ». Jusqu’en
1931, 42,748 «jugare» ont ainsi été distribués à 4.271 familles de
colons. L’Etat à aidé dans la mesure du possible à la construction
des maisons, étables et autres installations agricoles indispensables,

1) Dr. A. Nasta: La réforme agraire en Roumanie, «Actes» du XIV-ème Con­


grès international d’agriculture, Bucarest, 1929, p. 21 (publié en 1930).
QUELQUES CONSIDÉRATIONS SUR LA RÉFORME AGRAIRE 379

procurant en même temps aux colons des semences sélectionnées


dont la valeur s’élevait en 1931 à 197 millions de lei1).
Les résultats de la répartition des terres sont les suivants: sur
490.520 ayant-droits inscrits, 310.583 ont reçu des lots.

SUPERFICIE EN HECTARES

Catégories de Avant la % de la Après la % de la


propriétés réforme sup. tot. réforme sup. tot.

au-dessous de 10 ha 2.536.738 34 4.200.547 56,45


10—100 ha.............. 2.153.117 29 2.153.117 28,94
au-dessus de 100 ha . 2.751.457 37 1.087.648 14,61
Total . . 7.441.312 100 7.441.312 100

Dans le tableau ci-joint 2), nous voyons combien la réforme


agraire a transformé la répartition de la propriété foncière par
catégorie de grandeurs (voir graphique No. 2). La superficie des
propriétés paysannes inférieures à 10 ha est passée de 34 à 56,45%
c’est-à-dire qu’elle a presque doublé, tandis que la grande propriété
qui occupait les 37% de la superficie totale n’en représente plus
que les 14,61%. Il faut remarquer que dans les autres provinces
du pays, le pourcentage de la grande propriété est beaucoup plus
réduit et particulièrement dans l’ancien royaume où il est de 7,75%,
en Bessarabie de 8,43% et en Bucovine de 7,51%. Du fait que
dans la répartition de la propriété foncière en Transylvanie il s’est
produit un tel changement, il résulte naturellement une série entière
de conséquences dont nous nous proposons d’étudier quelques-unes
dans les limites de l’espace restreint qui nous est accordé.

* *
Les conséquences de la réforme agraire. Comme M. Moricz affirme
que la réforme agraire a causé la crise économique qui sévit dans
la Roumanie victorieuse, dont la situation économique serait plus
critique que celle de la Hongrie vaincue et démembrée, nous cher­
cherons à comparer certains phénomènes dans la Roumanie et dans

b Voir: La réforme agraire en Roumanie, par Emile Pétrini, Bucarest, 1931.


Extrait du « Bulletin mensuel de renseignements économiques et sociaux », XXII-ème
année, No. 3, Mars 1933, édité par l’institut International d’Agriculture, Rome,
p. 39. .
8) Dr. Nasta: op. cit.
380 JACQUES RUSU

la Hongrie d’aujourd’hui, en tenant compte du fait que les deux


pays ont effectué une réforme agraire. Le premier effet très impor­
tant de la réforme a été d’améliorer les conditions d’existence du
paysan en mettant à sa disposition la terre qui est sa principale
source de revenus. Dans le graphique No. 4 on trouve la répartition
de la propriété par catégories de grandeurs, en Transylvanie, en
Roumanie et en Hongrie. Il faut noter qu’en ce qui concerne la

No-2 TRANSYLVANIE
RÉPARTITION DELA PROPRIÉTÉ FONCIÈRE

LA RÉFORME AGRAIRE

83 C-lOOha.
O audcssus de iOOha

Roumanie et la Transylvanie, les données du calcul se réfèrent aux


terrains arables et sont exprimées en hectares, tandis que pour la
Hongrie elles comprennent toute la superficie des propriétés et sont
exprimées en « jugăre ». Les catégories de propriétés sont approximati­
vement comparables entre elles dans l’ordre où elles sont groupées 1).

’) Les données poui' la Roumanie et la Transylvanie sont extraites de TAgri­


culture en Roumanie, album statistique publié par le Ministère de l’Agriculture
et des Domaines, Bucarest, 1929. Les données se rapportant à la Hongrie pro­
viennent du livre de M. Liptak Làszlo: Magyar Agrdrpolitika az Uj Idôk Tükrében,
Budapest, 1935. Elles ont été calculées par M. Konkoly Thege Gyula, vice-pré­
sident de l’Office central de statistique de la Hongrie.
QUELQUES CONSIDÉRATIONS SUR LA RÉFORME AGRAIRE 381

En regardant le graphique qui représente les proportions des


différentes catégories de propriétés, on observe que le pourcentage
des petites propriétés (0—100 « jugăre ») est plus grand en Hongrie
qu’en Transylvanie ou en Roumanie, tandis que le pourcentage
des propriétés au-dessus de 50 ha est plus élevé dans ces deux der­
niers pays qu’en Hongrie.
Si l’on examine les surfaces possédées par chaque catégorie, on
observe que les petites propriétés de Transylvanie et de Roumanie
possèdent un pourcentage de terres arables supérieur à celui des
petites propriétés de Hongrie, où les grands propriétaires possèdent
la moitié de la superficie totale du sol. En Roumanie et en Tran­
sylvanie au contraire, ils détiennent à peine 1/6 de la superficie
totale des terres arables.
Au bas des deux graphiques se trouvent les moyennes des sur­
faces possédées par chaque catégorie de propriétaires. On voit
qu’en Transylvanie un petit propriétaire possède en moyenne 1,66 ha
de terres arable, en Roumanie 1,95 ha, tandis qu’en Hongrie sur
une moyenne de 1,68 ha de propriété totale les 2/3 à peine sont
constitués par des terres arables. On peut faire des remarques ana­
logues sur les autres catégories (avec la réserve qu’en Hongrie il
s’agit de propriété totale) sauf sur la dernière de ces catégories con­
cernant la moyenne des grandes propriétés, qui en Hongrie sont
deux fois plus étendues qu’en Roumaine ou en Transylvanie.
Signalons que pour trouver la superficie moyenne des caté­
gories comprises entre 10—20 « jugăre » et 20—100 « jugăre », nous
avons utilisé les données trouvées dans le livre déjà cité de M. Liptak
Laszlo (p. 86). C’est là de même que se trouve une remarque im­
portante: en Hongrie, les propriétés inférieures à 100 «jugăre»
occupent 67% des terres arables du pays; et les propriétés de 0 à
20 «jugăre» représentent à peine 22,6% de la surface arable du
pays. En Transylvanie ce pourcentage est directement indiqué
sur le graphique; pour les propriétés au-dessous de 50 ha, la surface
arable occupe les 82,4% des terres labourables de la province (la
catégorie de 0 à 5 ha en a les 42%). Ces proportions sont également,
à peu de chose près, celles de la Roumanie.
Pour conclure, remarquons qu’en Transylvanie et en Roumanie
en général, les possibilités d’existence des différentes catégories de
petits propriétaires sont meilleures que celles des propriétaires des
catégories correspondantes de Hongrie où dominent encore les
grandes propriétés. Dans ce dernier pays en effet, 3.600 propriétaires
382 JACQUES RUSU

possèdent aujourd’hui 36,6% de la surface du pays, alors


que plus d’un million et demi de travailleurs agricoles (avec les
petits propriétaires ce nombre s’élève à 3 millions) vivent dans
la plus noire des misères, comme le constate M. Kerék Mihaly dans
son étude L'alimentation des travailleurs agricoles1). Le travail
de ces malheureux est exploité sans pitié, ils reçoivent par journée
de travail de 60 à 80 filler au plus, alors qu’un kgr. de pain coûte
de 30 à 36 filler, de sorte qu’ils travaillent toute la journée pour
2 kg de pain. Si l’on tient compte du fait qu’ils ne sont employés
que l’été (et encore seulement quand ils trouvent du travail), nous
pouvons nous faire une idée de la misère que doit endurer « ce tra­
vailleur qui, l’hiver, cherche dans les jardins des racines de bet­
teraves ou des navets parce qu’il n’a rien d’autre à manger », ainsi
que l’affirme M. Kerék Mihaly. Plus loin, le même auteur écrit:
« Les familles de travailleurs agricoles qui possèdent ou afferment
quelques « jugăre » ont une existence meilleure que celle de ces
travailleurs rongés de dettes dont l’existence dépend absolument
des fluctuations éventuelles du marché des travailleurs »*2). La
conclusion de M. Kerek, très intéressante, mérite d’être reproduite:
« Au cours des dernières années le nombre a fortement augmenté
de ces travailleurs agricoles qui en hiver, pendant des semaines
entières, ne préparent aucun repas chaud, ne mangent toute la
journée que du pain noir, se couchent à cinq heures de l’après-midi
et se lèvent le matin à neuf heures pour ne pas souffrir de la faim...
« Il ne nous serait pas mauvais de connaître de plus près cet état
de choses, même si nous devons en avoir honte ■— parce que nous
sommes des hommes — car enfin il est question ici du sort de 3
millions de Hongrois »3). Le fait que l’étude citée a été publiée
dans la revue « Magyar Szemle » dont le président est le comte
Bethlen lui-même, nous est une garantie de son caractère sérieux.
En Transylvanie et en Roumanie, on a distribué des terres au
prolétariat agricole que l’on a ainsi fortement attaché au sol, ce
qui a consolidé la base du droit de propriété qui était menacé par
le bolchevisme. En Hongrie, 200.000 familles seulement ont reçu
des terres et, comme l’affirme M. Ormândy Ianos4), parmi les

b Magyar Szemle, vol. XIX, 1933, p. 135 (revue paraissant à Budapest).


2) Magyar Szemle, vol. XIX, 1933, p. 138.
3) Ibidem, p. 145.
4) Dans son article L'Etat actuel de l’agriculture hongroise, dans la « Kôgazda-
sâgi Enciklopédia ». Budapest, 1929, p. 1030.
QUELQUES CONSIDÉRATIONS SUR LA RÉFORME AGRAIRE 383

agriculteurs qui gagnent quelque chose, 700.000 environ n’ont pas


de terres. M. Kerék constate en 1933 dans le livre déjà cité qu’il
y en a plus d’un million et demi; par conséquent leur nombre aug­
mente constamment et personne ne s’occupe de leur sort. Tandis
que ces malheureux sont sous-alimentés, leurs patrons exportent
les produits agricoles ; M. Liptâk caractérise en une formule lapi­
daire cette situation paradoxale et incroyable dans un pays civi­
lisé : « La Hongrie, pays de population dense et de culture exten­
sive, exporte des produits agricoles » 1). Cette exportation peut à
juste titre être accusée de provoquer la famine.
En Transylvanie, chaque fermier a sa terre, grâce aux produits
de laquelle il assure d’abord l’existence de sa famille et mène en
tout cas une vie bien plus facile que celle des paysans nòn-proprié-
taires de la Hongrie d’aujourd’hui.
Il est hors de doute que l’économie nationale a souffert chez
nous de la réforme agraire, surtout au cours des premières années
qui l’ont suivie, et que les productions totale et relative sont tom­
bées au-dessous du niveau antérieur à la réforme. Si l’on examine
le graphique No. 5 qui représente la variation à l’ha de la produc­
tion des principales céréales en Transylvanie pour une période
d’avant-guerre: 1908—1912 par exemple, et une d’après-guerre:
1920—1930, on peut faire les remarques suivantes:
Dans les premières années d’après la guerre, 1920—1924, la
production par ha est tombée au-dessous du niveau de celle d’avant
la guerre. Les principales causes de cette baisse étaient: A) La
guerre qui a contribué effectivement à détruire l’outillage agricole
que l’on a reconstitué à grand peine durant cette période 1920—1924.
B) La nature elle-même qui, par des précipitations insuffisantes
au cours de ces années et particulièrement en 1924, travailla à
l’encontre des intérêts des exploitations agricoles. C) Les opérations
de redistribution des terres, par la confusion qu’elles entraînèrent,
ont entravé la bonne marche des travaux agricoles. D) Les espèces
sélectionnées de céréales n’étaient utilisées dans ces régions que
depuis quelques années. Mais dès qu’il a été possible au paysan
de reconstituer son outillage, la production à l’ha. s’est améliorée.
Il est certain que lorsque l’on aura établi définitivement quelles
sont les espèces de céréales les mieux appropriées à chaque région
agro-géographique du pays et quand la classe paysanne possédera

’) Op. cit., p. 23.

8
384 JACQUES RUSU

plus de connaissances techniques, le rendement à l’ha. pourra at-


teindre le maximum permis par les conditions naturelles de ces
provinces. Si tout ceci avait précédé et non suivi la réforme agraire,
elle aurait pu atteindre une bien plus grande perfection. Mais les
événements politiques l’ont précipitée, et ce n’est que grâce à elle
que notre pays est devenu un des meilleurs soutiens de la paix
dans le Sud-Est européen.
Si l’on examine sur le graphique No. 6 la production totale
des différentes céréales en Transylvanie, on observe ici aussi une
certaine stagnation et même une légère baisse de 1920 à 1924 ;
tandis qu’en 1925 la production augmente et se maintient à un
niveau plus élevé, qui atteint son point culminant au cours des
années 1929—1930. De ce graphique il ressort de façon évidente
que le blé et le maïs prédominent, car ils forment la base de l’alimen­
tation de notre peuple.
Si nous calculons la production des céréales alimentaires: blé,
maïs, seigle, par tête d’habitant, nous obtenons pour chaque année
une moyenne que nous avons représentée au bas de la colonne de
l’année respective. Comme M. Ion Luca Ciomac, qui dans son étude
sur la situation agricole de la Transylvanie s’occupe à fond de ce
problème, a trouvé qu’une moyenne de 2,5 qx par tête d’habitant
est suffisante, nous adoptons nous aussi ce chiffre. En le reportant
sur le graphique, nous pouvons constater quelles sont les années
d’abondance et les années déficitaires. Nous observons de la sorte
qu’en 1920—22—23, la production par tête a été déficitaire dans
une très faible mesure, tandis que les années suivantes et même
en 1924 qui fut une année très peu favorable, la production dépasse
les nécessités locales, permettant même de consacrer une part du
surplus à l’exportation. Depuis 1918, il n’y a pas eu pour la Rou­
manie entière d’année dont la production ait été plus faible que
celle de 1934; or cette année défavorable a donné en Transylvanie
une moyenne de 3,39 qx de céréales alimentaires par tête d’habi­
tant, c’est-à-dire 1,45 qx de plus que la moyenne suffisante. Donc
même pendant les années déficitaires, il existe un excédent de pro­
duction. Ce fait confirme définitivement les conclusions établies
par M. I. L. Ciomac et dément de façon catégorique les affirmations
tendancieuses de ces auteurs révisionnistes qui soutiennent que la
Transylvanie a besoin des blés de la puszta hongroise. La qualité
des céréales de cette année, tant au point de vue du poids de l’HI
que de la pureté, a été exceptionnelle, comme le constate le service
QUELQUES CONSIDÉRATIONS SUR LA RÉFORME AGRAIRE 385

statistique du Ministère de l’Agriculture. C’est d’ailleurs là un fait


caractéristique de notre climat: le blé surtout est plus riche en
gluten dans les années sèches.
Le petit propriétaire, en Transylvanie, comme dans le reste du
pays, reçoit des directives et une aide matérielle de la part des
Chambres d’agriculture. Le soutien accordé par ces Chambres
consiste en général à aider les paysans dans l’acquisition des ins­
truments et machines agricoles, notamment des semeuses, trieuses
et binettes mécaniques que les paysans achètent soit individuel­
lement, soit associés en petits groupements. Pour mettre en évi­
dence la nature de ces secours, nous donnons ci-dessous les dépenses
effectuées par les Chambres d’agriculture du pays pour encourager
l’agriculture dans la période comprise entre 1926, date de leur
création, et 1934. La somme totale de 1.282.733.687 lei dépensés
dans cette intention se répartit de la façon suivante:
Semences sélectionnées..................... 107.955.750 lei 8,2%
Machines perfectionnées................ 133.770.153 » 10,5%
Stations de monte......................... 105.681.323 » 8,1%
Animaux pour la reproduction . . 114.710.398 » 8,9%
Lutte contre les épizooties . . . . 24.145.082 » 1,9%
Lutte contre les maladies crypto-
gamiques ..................................... 25.548.384 » 1,9%
Fermes, pépinières, champs de sé­
lection et de démonstration . . 60.749.843 » 4,8% etc.

Le progrès de la classe paysanne est indiqué aussi par la grande


consommation d’instruments agricoles ; les usines de Réchitza (Re­
șița) produisent annuellement 50.000 charrues, et nous achetons
en outre à l’étranger d’importantes quantités d’instruments et de
machines agricoles. Par suite des restrictions à l’importation et
de la demande en machines agricoles, une des grandes fabriques
de machines de Sibiu se transforme en vue de leur production.
Le plus grand obstacle au développement de l’agriculture et
en général de toutes les branches de la production a été le manque
de crédits. A la suite du récent Congrès économique de Transyl­
vanie, nous avons de sérieux motifs d’espérer un redressement de
la situation difficile dans laquelle le crédit se trouve depuis la guerre
mondiale.
Le fait que la classe paysanne se rend de mieux en mieux compte
des avantages de la coopération est un indice rassurant. Etant

s*
386 JACQUES RUSU

donné la situation actuelle de notre pays, la plupart des écono­


mistes sont d’avis que les intérêts de la classe paysanne ne pour­
ront être encouragés que par la coopération.
M. Cornațeanu, de l’institut de recherches agronomiques de
Roumanie, écrit dans une étude documentée sur les exploita­
tions paysannes du pays x) : « Quand il sera pourvu d’une meil­
leure organisation, encadré dans un système coopératif fécond et
doté d’une solide culture professionnelle, le paysan roumain de­
viendra, nous en sommes sûrs, un bon producteur. L’essentiel, ce
n’est pas ce qu’il est actuellement mais ce qu’il pourra devenir
quand il disposera des facilités dont jouit le paysan d’Occident ».
Donc il nous faut encore du temps avant de posséder une agri­
culture rationnelle, mais le premier pas vers son intensification a
été fait par la réforme agraire. Pour atteindre ce but, la propriété
paysanne est la plus indiquée, parce qu’elle utilise le travail des
bras de la famille et seulement en temps opportun, car le paysan
étant indépendant peut veiller en tout temps aux intérêts de son
exploitation. D’autre par c’est sur la propriété paysanne que subsiste
le maximum d’individus par unité de superficie, ce qui résout chez
nous le problème de l’existence pour la majorité des habitants.
Sur ces questions, le grand économiste rural hongrois M. Mattya-
sovszky, est du même avis dans son article La grande et la petite
propriété12). «Au point de vue politique et social, la petite pro­
priété a l’avantage d’attacher la famille au sol et de donner la ré­
colte à ceux qui travaillent la terre par leurs propres forces. La
petite propriété est l’assise la plus solide de la propriété foncière
privée ». Le même auteur affirme que de nouveaux spécialistes
hongrois tels que Milhoffer Sândor, Daniel Arnold, Farkas Geiza
et Buday Dezsô, considèrent la petite propriété, comme étant la
forme vers laquelle évolue le droit de la propriété foncière.
M. J. D. E. Evans, qui a étudié sur place la situation des pays
danubiens dans son ouvrage « That Blue Danube » 3), écrit au sujet
de la réforme agraire: « Son effet sur l’industrie agricole peut n’être
pas évident, mais sur la vie quotidienne du paysan il est incontestable.
Le paysan a sa maison et sa terre à lui, il est son propre maître,
c’est un homme et non pas un « chien de paysan » selon l’expression

1) Recherches sur la rentabilité de l’agriculture paysanne, Bucarest, 1935, p. 45.


2) Kôzgazdasâgi Enciklopédia (Encyclopédie économique), Budapest, 1929,
pp. 421—28.
s) London, 1935, pp. 198—199.
QUELQUES CONSIDÉRATIONS SUR LA RÉFORME AGRAIRE 387

favorite des anciens grands propriétaires. Il nous est très dif­


ficile à nous autres (Anglais) de nous imaginer ce que c’est que d’avoir
en propre à soi sa terre, sa récolte et sa maison. Il y a plus: le
paysan qui possède sa terre est au moins assuré du minimum néces­
saire d’aliments et, sauf dans les années exceptionnellement mau­
vaises, il y a fort peu de misère réelle dans les villages roumains.
Mais quelle serait la situation des paysans d’aujourd’hui si l’on
n’avait pas introduit la réforme agraire? Le grand propriétaire,
incapable de trouver des débouchés pour ses céréales, ne serait
guère porté à cultiver ses terres de façon intensive ; le bas prix
des produits agricoles attirerait inévitablement des salaires très
faibles ; dans le meilleur des cas, les paysans non propriétaires ne
seraient employés que très rarement et pour des salaires de famine.
Telle est en effet la situation actuelle en Hongrie, où l’on n’a in­
troduit aucune réforme effective et où par conséquent la vie des
paysans dépourvus de terres est lamentable...
« Le fait essentiel est que les paysans, qui constituent la ma­
jorité écrasante de la population, ont été mis en possession des
terres. Pour la classe paysanne de Transylvanie, cela constitue la
justification primordiale du traité de Trianon. Les Hongrois sont
libres de critiquer la réforme agraire, mais s’ils sont de bonne foi,
ils ne peuvent nier que les masses hongroisses sont impatientes de
voir introduire dans la Hongrie une réforme semblable... ».
De tout cela, il résulte de façon évidente que la vie de nos paysans
s’est améliorée par suite de la réforme agraire et c’est un fait que
même des voyageurs étrangers, s’ils sont objectifs, ont constaté
eux aussi. D’autre part, les études sérieuses de M. Cornațeanu
prouvent que dans notre pays — ce qui a été confirmé pour d’autres
pays également ■— le problème de l’existence de la famille paysanne
ne peut être résolu, tant au point de vue économique qu’au point
de vue social, que par la propriété paysanne. La réforme a donc
été la bienvenue.
Il est certain qu’elle doit être suivie de la formation profes­
sionnelle du paysan, afin d’élever celui-ci au niveau exigé par les
temps où nous vivons ainsi que par les nécessités toujours crois­
santes de la population de notre pays. L’éducation du paysan doit
être faite en ce qui concerne l’organisation des coopératives de crédit
car c’est de cette manière seulement que l’on pourra obtenir les
capitaux à bon marché dont l’agriculture et particulièrement l’agri­
culture paysanne a besoin. Les coopératives de consommation
388 JACQUES RUSU

familiale, celles qui ont pour but d’exploiter les produits agricoles,
de procurer des machines ou des instruments et de rationaliser les
cultures, sont les formes de coopératives qui, par une éducation
appropriée, doivent être conseillées à la classe paysanne. Par la
coopération, la petite propriété paysanne peut s’assurer les avan­
tages de la grande propriété. Et l’amélioration de l’existence du
paysan roumain assurera la prospérité de l’agriculture roumaine
tout en permettant un développetnent naturel des autres industries
nationales.
JACQUES RUSU
QUELQUES CONSIDÉRATIONS SUR LA RÉFORME AGRAIRE 389

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390 JACQUES RUSU

No. 4

PROPORTION CENTÉSIMALE DES DIVERSES PROPRIÉTÉS AGRICOLES


/

SURFACES MOYENNES pour chaque catégorie de propriété

TRANSYLVANIE ROUMANIE

LÉGENDE:

POUR LA TRANSYLVANIE [TLA ROUMANIE'


a. 5O-25Oha.

O-1O JUGĂRE 50-100 JUG 100-500 JUG


POUR LA HONGRIE
1JUGÀR ‘0,5754 HECTARE PAR J.RU SU
/ KANÒYLVA h I l. PRODUCTION PAR HECTARE EN QUINTAUX QUELQUES CONSIDÉRATIONS SUR LA RÉFORME AGRAIRE
391
N o. 6.
TRANSYLVANIE
PR O D U C TIO N T O T A L E A N N U E LLE DE C ÉR ÉALES (ÉN MILLIONS DE QUINTAUX)-
JACQUES RUSU

QUINTAUX PRODUCTION DE CÉRÉALES PAR TETE D'HABITANT (n a w i.n à in


392
NOTES
ÉDOUARD BÉNÈS
I
Le 14 décembre 1935, en se démettant de la dignité de Président de
la République tchécoslovaque, Masaryk le sage a tenu à rappeler à ses
conseillers que « les États se maintiennent par l’idéal dont ils ont tiré
leur être » et à recommander Édouard Bénès comme son successeur,
pour la raison excellente qu’il le connaissait parfaitement, ayant longue­
ment collaboré avec lui, à l’étranger puis dans la patrie retrouvée.
Quiconque est tant soit peu au courant des circonstances où est
née et s’est développée la République voisine devra admettre qu’il était
difficile de faire un meilleur choix, Édouard Bénès garantissant par son
activité tout entière de rester un combattant dévoué à l’idéal pour lequel
il a toujours milité, à savoir: le bien et le progrès de sa patrie ressuscitée
du tombeau des oppressions séculaires.
Né le 28 mai 1884 à Koslany, dans la Bohême occidentale, d’une
famille de paysans pour qui se posait le problème de l’éducation de
dix enfants, le jeune Édouard Bénès dut affronter de bonne heure de
nombreuses privations et surmonter de nombreux obstacles. Deux de
ses frères aînés qui avaient embrassé la carrière d’instituteurs purent
lui être de quelque secours pendant ses études secondaires à Prague.
Mais comme étudiant aux universités de Paris et de Dijon, Édouard
Bénès dut gagner par ses propres moyens, en collaborant à des journaux
et à des revues, de quoi vivre et poursuivre ses études.
Ainsi son enfance et sa jeunesse furent aussi besogneuses que celles
de Masaryk, qui sut s’élever par ses seules forces au plus haut poste de
l’État. Thomas G. Masaryk ne manque pas, dans ses mémoires, de sou­
ligner l’identité de son sort et de celui d’Édouard Bénès : « A tous
deux, écrit-il, cela nous a fait du bien d’avoir été contraints de faire
une dure expérience de la vie: nous sommes parvenus à percer,
à nous élever par nous-mêmes d’une situation modeste, et cela prouve
que nous avons acquis des aptitudes pratiques, de l’énergie, du courage ».
Au début de ses études supérieures Bénès s’était préparé pour occuper
une chaire de philologie; mais arrivé à la Sorbonne, il se sentit attiré
surtout par les sciences politiques. A Dijon il étudia le droit, et après la
394 NOTES

soutenance de sa thèse sur Le problème autrichien et la question tchèque


il fut proclamé docteur (1908). Il passa ensuite quelque temps à Londres
afin d’apprendre la langue anglaise et fréquenta pendant deux semestres
l’université de Berlin pour se perfectionner dans la langue allemande.
De retour dans sa patrie, il passa aussi le doctorat en philologie, à Pra­
gue, puis fut appelé à occuper une chaire d’économie nationale à l’Acadé­
mie commerciale de cette ville. Les luttes des Tchèques contre l’Autriche
l’attirèrent bientôt dans la direction du réalisme politique enseigné par
le professeur Masaryk. Après le déclenchement des hostilités en 1914
il devint l’un des membres principaux de la Maffia, inaugurant une
guerre systématique et bientôt décisive en vue de la destruction de la
monarchie austro-hongroise. En septembre 1915, il se réfugia à Genève,
puis de là à Paris, où il fonda au printemps de l’année suivante avec
Masaryk, Duryck et Stefanyk le Conseil national tchéco-slovaque et où
il publia en langues française, anglaise et italienne l’ouvrage de propa­
gande intitulé « Détruisez V Autriche-Hongrie ».
Après la fin heureuse de la guerre l’émigrant révolutionnaire Bénès
assume le rôle d’homme d’Etat et d’habile diplomate, présidant avec
Kramar la délégation tchécoslovaque à la Conférence de la Paix, où
il obtient de très heureux résultats pour la jeune république ; dès lors
il va de succès en succès, avec la création et l’organisation de la Petite
Entente, sa participation continuelle aux travaux de la Société des Na­
tions, l’orientation prudente qu’il donne, dix-sept ans durant, à sa poli­
tique étrangère et cela sans s’écarter jamais de la tâche qu’il s’est im­
posée, de contribuer de toutes ses forces à l’œuvre de consolidation de
la paix européenne.

II
Son intense participation aux actes essentiels de la politique inter­
nationale n’a pourtant pas épuisé toute sa puissance de travail: il a
encore trouvé du temps pour une série respectable de publications litté­
raires et scientifiques, ainsi que pour les discours anti-revisionnistes
qu’il a prononcés au cours de l’année 1934, avec une admirable persévé­
rance, dans de nombreux centres de Slovaquie et de Russie Subcarpa-
thique (Podkarpatska Rus) soulignant d’arguments décisifs, comme
ceux de la sécurité internationale et du maintien de la paix en Europe
centrale, le besoin impérieux pour la République tchécoslovaque de se
trouver dans le voisinage immédiat de la Roumanie. C’est à la même
occasion qu’il a rappelé que la solution apportée par le traité de Saint-
Germain n’est pas provisoire, comme beaucoup seraient portés à le
croire, mais véritablement définitive et que la jeune république saura
la défendre jusqu'à la dernière goutte de sang dès que les tendances révi­
sionnistes tenteront de passer à l’action.
Fort de l’expérience acquise au cours de la guerre mondiale, lorsqu’il
eut l’occasion d’être à la meilleure école diplomatique, Édouard Bénès
a entendu mettre tous ces enseignements et ces connaissances variées
au service de la patrie retrouvée, afin de lui assurer le plus de possibilités
NOTES 395

de développement et de lui permettre de prendre plus aisément sa


place comme facteur constructif dans le complexe des Etats européens.
C’est pourquoi il a toujours été un apôtre convaincu de la politique de
conciliation, conformément à l’esprit de la Société des Nations dans le
cadre de laquelle il a travaillé dans la meilleure harmonie avec les repré­
sentants de la France, de la Roumanie et de la Yougoslavie.
Pas plus que les autres, son pays n’a pu échapper aux contre-coups
de la guerre qui ont agité l’Europe centrale ; dès l’époque des pourparlers
de paix il a dû soutenir une lutte difficile, diplomatique d’abord, puis
militaire, avec la Hongrie qui n’entendait pas renoncer aux territoires
slovaques, même après l’effondrement du bolchévisme. Le ministre Bénès,
grâce à la constance de ses efforts, réussit à obtenir la fixation des fron­
tières telles qu’elles existent actuellement entre la Tchécoslovaquie et la
Hongrie. Le différend avec la Pologne relatif à la région de Teschen put
être aplani pacifiquement, par voie d’arbitrage. Mais un autre péril se
leva bientôt pour le jeune Etat avec le retour de Charles de Habsbourg
en Hongrie, en 1921 : il put par bonheur être rapidement conjuré grâce
à l’opposition catégorique et concertée de la Tchécoslovaquie, de la
Roumanie et de la Yougoslavie, qui avaient conclu une alliance défensive
durable. Par le nouveau pacte d’organisation signé au début de 1933,
la Petite Entente a revêtu une forme plus consistante encore et qui pourra
être élargie et fortifiée plus tard, afin d’assurer une base de plus en plus
ferme à la politique extérieure des trois Etats et une garantie suffisante
au développement pacifique de l’Europe centrale.
Si l’on veut bien considérer de près cette infatigable activité politique
et diplomatique d’Edouard Bénès, on n’en appréciera que mieux sa
puissance de travail et son talent original d’écrivain et de publiciste qui
a su faire place aux préoccupations d’ordre théorique sans jamais perdre
de vue les exigences de la politique pratique. Avant la guerre il avait
publié des études sociologiques touchant le problème des nationalités,
le développement du socialisme moderne, etc. ; après la guerre il publia
toute une série de monographies politiques succinctes: Les difficultés de
la démocratie (1924), Politique extérieure et démocratie (1928), Le problème
du désarmement (1929), L'armée démocratique, le pacifisme et la politique
extérieure (1932), Les problèmes de la politique slave et plusieurs autres,
qui toutes ensemble prouvent bien la préparation intense et méthodique
de leur auteur, habitué à ne jamais procéder empiriquement, à ne jamais
se laisser submerger par les événements en cours, mais au contraire à
les dominer scientifiquement, à les analyser et à les exploiter enfin dans
l’intérêt bien compris de son pays.
L’activité littéraire et scientifique d’Edouard Bénès atteint son point cul-
minuant avec la publication de ses mémoires, imprimés à Prague en 1927 en
langue tchèque sous le titre de Svetova-Valka a Nase Revoluce (La guerre
mondiale et notre révolution), parus l’année suivante à Berlin en allemand
(Der Aufstand der Nationen) et bientôt édités en français x) et en anglais.

*) Éd. Bénès, Souvenirs de guerre et de révolution (1914—1918); la lutte


pour l’indépendance des peuples. Paris, Leroux éd., 1928—29, 2 vol. in-8.
396 NOTES

C’est en considération de cette importante activité littéraire et scien­


tifique que l’Académie roumaine a élu Edouard Bénès membre d’honneur,
au cours de la session générale de mai 1934.

III

Le fait d’avoir pu se maintenir si longtemps et sans interruption à la


tête du ministère des affaires étrangères de son pays constitue pour
Edouard Bénès la preuve éclatante de sa maturité politique et de sa sa­
gesse prudente et réfléchie ; cette stabilité et cette continuité sont d’au­
tant plus étonnantes que pendant toute cette période les démocraties
ont paru s’effondrer l’une après l’autre à une vitesse croissante.
Au début de 1934 un groupe de journalistes français lui demandait
à quelles circonstances attribuer cet exemple, aussi rare qu’édifiant, de
saine démocratie: Bénès avoua en toute sincérité qu’en dépit de nom­
breuses sautes d’impopularité dont il fut victime dans son propre pays
au cours de ces années difficiles, la confiance du parlement ne lui fit
jamais défaut, non plus que celle du président Masaryk, qui sut placer
au rang de ses collaborateurs toute une pléiade d’hommes exceptionnels
par leurs capacités. Tous pénétrés en effet et pour ainsi dire guidés par
la pensée dominante que cette période d’après-guerre constituait la page
la plus importante de leur histoire nationale, les hommes qui ont tenu
le gouvernail de la République tchécoslovaque ont appliqué sans cesse
leur effort et sont parvenus à créer entre eux une étroite solidarité dans
toutes les circonstances décisives. Il est certain en particulier que la
personnalité et l’attitude du président Masaryk ont exercé une influence
déterminante sur la conduite de ses collaborateurs, car son autorité était
reconnue dans le monde entier et appréciée de toutes les classes de la
population tchécoslovaque dans une mesure telle que Bénès a pu la
qualifier à juste titre de « dictature morale ».
Voilà bien une dictature compatible avec le régime démocratique
le plus authentique, dictature considérée comme nécessaire, dans l’intérêt
même de ce régime ! Du moment que le président manifestait le désir
que son ami Edouard Bénès conservât la dignité des affaires étrangères,
tous les partis acquiesçaient ; et même quand il a pu s’élever entre eux
et le ministre quelque difficulté passagère, ils ne lui ont pas demandé
d’abandonner la direction de la politique extérieure, car chez tous le
souvenir était encore vivant de la contribution importante de cet homme
à la fondation de l’Etat tchécoslovaque et la reconnaissance ne s’était pas
éteinte dans les coeurs pour tant de services rendus.
En recueillant ces témoignages, les journalistes français ont exprimé
l’opinion que la nation tchécoslovaque, pleinement consciente de l’im­
portance du moment historique, avait vraiment procédé en accord avec
les tendances profondes de son caractère national. Dans le même entretien
Bénès a ajouté que, bien que rationaliste et intellectualiste dans sa pensée
et dans son action politique, il sait néanmoins se rendre compte des dan­
gers du rationalisme et s’efforcer sans cesse de concilier le cœur et la
NOTES 397

raison, d’être toujours attentif à ne pas tomber dans l’excès et de rechercher


partout l’harmonie.
Ces confidences instructives d’Edouard Bénès constituent le plus
précieux document et comme le message révélant le secret du succès à
tout homme intègre placé au gouvernail d’une nation sérieuse et mûre
politiquement.
Quand je l’ai vu à Prague, le 14 mai 1934, et lui ai souhaité de se
maintenir encore triomphalement au pouvoir dans le second demi-siècle
de sa vie, il m’a avoué qu’il serait heureux de poursuivre son activité
pour le bien de son pays et des autres Etats de la Petite Entente pendant
une vingtaine d’années encore. Nous lui souhaitons davantage: qu’il
atteigne et dépasse l’âge du vénérable président-patriarche Masaryk,
afin de pouvoir mener à bonne fin tous ses projets, pour le progrès de sa
patrie et la consolidation définitive de la paix européenne.
Si la Tchécoslovaquie, par suite de son organisation républicaine, ne
peut jouir des bienfaits d’une continuité dynastique à sa tête, elle n’en
a pas moins réussi, en accueillant la sage recommandation de Masaryk,
le 18 décembre 1935, à s’assurer, dans la personne du nouveau président
Bénès, une parfaite continuité spirituelle dans la conduite de la politique
d’Êtat.

de l’Académie Roumaine

LES FRONTIÈRES DE L’ÉTAT ROUMAIN

Nous avons sous les yeux deux travaux qui s’occupent des frontières
de l’Etat roumain. L’un représente le point de vue de propagande poli­
tique de l’écrivain Fr. d’Olay, qui a déjà publié de semblable ouvrages
dans d’autres domaines ; nous devons l’autre à M. Jacques Ancel, qui
fixe1) à la suite d’une analyse minutieuse l’aspect scientifique de ce
problème. Nous croyons qu’il y a intérêt à examiner les arguments ap­
portés par les deux ouvrages sur des plans complètement opposés, car
de cet examen peut se dégager, comme une conclusion logique, la réalité
qui a trouvé son expression adéquate dans les traités de paix.
Comme ses autres ouvrages le travail de M. d’Olay — Les Frontières
de la Hongrie de Trianon, Budapest, 1935 — fait partie de cette masse
de volumes imprimés en Hongrie après la guerre pour convaincre « le
monde civilisé » de la nécessité d’une révision des traités de Trianon.
Cette brochure comprend 103 pages, entre lesquelles s’intercalent 35
esquisses de cartes destinées elles aussi à mettre en relief, comme dit
l’auteur, les injustices commises « par l’Occident civilisé en supprimant
d’un trait de plume, non seulement l’unité nationale et économique,
mais même l’unité géographique de la Hongrie — sans tenir compte
du principe souvent proclamé du droit des peuples à disposer eux-mêmes
de leur sort ».

’) Les Frontières roumaines, Bucarest, 1935.


398 NOTES

La préface, signée de M. Ajtay, président de la Fédération nationale


hongroise, non seulement renferme une foule d’inexactitudes mais a été
composée sur la base des mêmes principes erronés que nous relèverons
au cours de nos observations. De la façon dont les auteurs de la brochure
interprètent les problèmes de géographie économique, physique et po­
litique ainsi que ceux d’histoire on peut conclure qu’ils ne sont pas des
hommes de science ; autrement, ils n’auraient pas énoncé avec tant de
légèreté des thèses insoutenables.
Se plaindre à chaque page que c’est une injustice que le sort a imposé à
la Hongrie par la Conférence de la Paix, n’apporte rien à la solution
scientifique du problème. Si l’on n’avait tenu compte à Trianon que de l’avis
des représentants de la Hongrie, et surtout si celle-ci avait été victorieuse,
non seulement elle n’eût pas accepté la juste réparation accordée aux
peuples opprimés durant tant de siècles, mais elle eût exigé (comme
cela s’est passé en fait avec la Paix de Bucarest en 1918) une extension
de ses frontières au delà des Carpathes et au détriment de l’ancien ro­
yaume de Roumanie, extension dont on ne peut dire qu’elle eût parfait
l’unité géographique de la Hongrie.
On a détruit, dit-on, une unité géographique, ethnique et économique?
Mais sur quoi se fondait cette prétendue unité à qui l’on a si souvent
recours? Nul n’en a jamais démontré jusqu’ici le triple aspect, aucun
ouvrage révisionniste et encore moins l’ouvrage et les cartes annexes
de M. d’Olay. De l’unité géographique, ethnique et économique de l’Etat
hongrois actuel — vaste plaine habitée à peu près complètement par une
population homogène —■ nul n’a jamais douté. Il y a vingt ans, par contre,
la Hongrie avec l’empire d’Autriche formaient comme un corps chargé
d’explosifs à qui il a suffi d’être atteint par la guerre mondiale pour se
disperser en une foule de pays et de provinces qui attendaient depuis
des centaines d’années le moment de se grouper en unités nationales
naturelles. Si l’on veut bien jeter un instant les yeux sur n’importe quelle
carte ethnographique de l’ancien Etat hongrois, même dressée par des
géographes et des ethnographes hongrois, on se rendra compte immédia­
tement de quelle sorte d’unité ethnique pouvait se réclamer la Hongrie
d’avant-guerre, alors que toutes les régions avoisinant la plaine magyare
étaient comme à présent habitées par les populations allogènes dans
une proportion allant de 75 à 90%.
L’unité économique, il est vrai, représentée d’ailleurs par un réseau
de voies de communication exclusivement et artificiellement orientées
vers le centre politique de la Hongrie, a été pour ainsi dire déséquilibrée;
mais les principales artères fluviales, le Danube, la Tissa, le Somesh,
le Muresh, l’Olt, s’adaptent mieux au cadre de la nouvelle unité géogra­
phique roumaine qu’à celui de l’ancien État hongrois. D’ailleurs les voies
de communication artificielles sont des organismes économiques éphé­
mères qui peuvent être dirigés n’importe quand suivant les exigences
de l’intérêt d’État.
Par le rattachement de la Transylvanie à l’ancien royaume de Rou­
maine, l’on n’a rien fait d’autre que de compléter une unité géographique ;
car que peut-il y avoir de plus unitaire dans la physionomie d’un État,
NOTES 399

qu’un plateau élevé, tel que la Transylvanie, entouré de montagnes


dominant les plaines d’alentour et dont les versants intérieurs et exté­
rieurs sont défendus par la même population qui en a baptisé de noms
roumains tous les sommets et toutes les vallées, si souvent chantés dans
notre poésie populaire : Codru-i frate cu românul « le mont boisé est le
frère du Roumain », dit une de nos poésies populaires. Et un illustre
représentant de la poésie magyare, Alexandre Petôfy, dans son poème
intitulé « les Carpathes », s’exprime ainsi au sujet de ces montagnes
étrangères à la vie du peuple hongrois : « Je vous admire mais ne vous
aime point, parce que mon imagination ne peut franchir vos sommets
et vos vallées ».
L’auteur de l’ouvrage montre également que les pertes de la Hongrie
en territoire se chiffrent à 232.745 kmq, avec une population de 13.281.966
habitants dont il n’indique pas, toutefois, l’identité ethnique. Ne pen-
se-t-il pas que c’était une monstruosité que de voir 7.604.521 sujets
hongrois en dominer onze millions d’autres, d’origine étrangère ?
Après avoir exposé en quelques pages le travail de fixation des nou­
velles frontières et souligné les différends nés à cette occasion entre les
représentants de la Petite Entente, M. d’Olay en revient à l’unité éco­
nomique de l’ancienne Hongrie, dont la destruction, dit-il, est domma­
geable aux intérêts pratiques et généraux de l’Europe centrale dans sa
nouvelle configuration, d’ailleurs fragile: « Sans aucun motif valable,
écrit-il (p. 42), les grandes puissances ont, par la délimitation des fron­
tières, séparé les communes de propriétés, de gares, de canaux, de jardins
maraîchers etc. etc., de même qu’un grand nombre de villes hongroises,
jadis prospères, se débattent aujourd’hui dans une situation difficile,
car par suite des nouvelles frontières une grande partie de leur zone
d’attraction est passée au pouvoir de puissances étrangères ».
Nous savons que les causes de l’état économique inquiétant de la
Hongrie sont bien plutôt la crise économique générale, sa politique
d’abstention ou de refus à l’égard des Etats voisins et surtout l’action
révisionniste qui sans aucun doute a des répercussions préjudiciables
pour elle. Certes, les villages et les villes du voisinage des frontières ont
dû souffrir d’un certain nombre de désagréments, mais c’est là une con­
séquence inévitable de toute modification de frontière, et il est impossible
de tenir compte des intérêts particuliers de chaque propriétaire suscep­
tible d’être lésé par un tel changement. Les villes hongroises, dit l’au­
teur, ont été dépossédées d’une grande partie de leur zone d’attraction ;
mais, rétorquerons-nous, les villes devenues roumaines, comme Arad,
Oradea-Mare, Satu-Mare, Timișoara et d’autres moins importantes,
situées entre six et dix kilomètres de la frontière, au lieu de tomber dans
le marasme économique ont vu au contraire s’accroître la prospérité
de leurs entreprises et le nombre de leurs habitants.
Avec aussi peu de fondement M. d’Olay rend l’Etat roumain res­
ponsable, non seulement des inondations qui se produisent au printemps
et en automne sur le territoire hongrois (p. 56), parce que la Roumanie
n’a pas continué les travaux de canalisation du Muresh et des trois Crish,
mais aussi du trafic de contrebande entre les deux pays limitrophes,

9
400 NOTES

pour le motif que s’il n’y avait pas de frontière la population hongroise
n’aurait pas à souffrir de ce trafic. C’est précisément le fait que les syn­
dicats de canalisation ont été créés par les Hongrois avant la guerre, qui
démontre que ces inondations sont des phénomènes d’ancienne date
qui ont précédé le défrichement des forêts des Monts Apuseni (Bihor
etc.), dont l’auteur nous accuse également. Il nous semble qu’il y a là
quelque contradiction.
M. d’Olay se plaint que 63% de la longueur totale des voies de com­
munication de la Hongrie soit passé aux mains des Etats voisins ; or
il ne tient pas compte du fait que ce réseau a été suffisamment racheté,
non seulement par les impôts plus lourds et les prestations continuelles
fournis dans le passé par les minorités opprimées, mais encore par le
sang qu’elles ont versé pour la défense de la Hongrie contre tant d’in­
vasions venues du Nord et de l’Est.
M. d’Olay ajoute que nous possédons injustement la partie du cours
du Danube qui traverse les Carpathes. Mais ce « chemin sans poussière »
est bordé sur ses rives, du cœur des Carpathes à la mer, d’une double
frange de villages roumains.
Pour donner plus de retentissement à son ouvrage, l’auteur a trouvé
bon de souligner une observation de M. Harold Nicolson, qui affirme
que la conférence préparatoire au traité de Trianon a déroulé ses travaux
« dans une atmosphère de mollesse, d’ennui, de négligence et de som­
nolence » (p. 66) : que pouvons-nous répondre à de telles affirmations, si
visiblement dépourvues de sérieux?
Avec des matériaux médiocres, sur la base de principes et d’affir­
mations erronés, il est paradoxal de vouloir, comme le fait M. d’Olay,
reconstruire, non pas même un bâtiment modeste, mais tout un empire
qui s’est effondré justement parce que les matériaux dont il était édifié
étaient par trop hétérogènes.
*
» *

Nous éprouvons une satisfaction particulière à constater que M.


Jacques Ancel est au contraire animé d’un intérêt purement scientifique,
qui ne se borne pas à l’étude de portions de frontières de quelques kilo­
mètres mais procède à l’analyse de tout le complexe géographique de
l’Etat roumain pour aboutir à des résultats durables et valables aux
yeux de tout lecteur objectif comme de tout spécialiste.
L’étude détaillée des problèmes géopolitiques et ethniques de l’Etat
roumain amène M. J. Ancel à constater qu’en dehors des zones montagn­
euses, des coll'nes et des plateaux, qui occupent 70% de la surface
actuelle de la Roumanie, s’étendent trois vastes plaines ouvertes sur
les frontières du Sud, du Sud-Est et de l’Ouest. Les montagnes et les
collines dominent cependant la vie de l’Etat roumain, à qui elles sont
si familières que très longtemps la population roumaine a ignoré la dé­
nomination scientifique des Carpathes, employant simplement pour les
désigner le nom commun de muntele « la montagne ». Ce sont ces mon­
tagnes qui ont donné aux Roumains leur premières et leurs plus ancien-
NOTES 401

nes formations politiques, les « voïvodats » des Monts du Bihor, du Jiu,


de l’Argesh et celui du Maramuresh, où est née la dynastie qui a créé
la Moldavie. Ce lien étroit entre le peuple roumain et les Carpathes
ressort également du nom donné à certaines provinces: Muntenia ou
Pays des montagnes, véritable nom géographique de la Valachie, Tran­
silvania, pays des forêts carpathiques qui pénètrent jusqu’au cœur des
plaines voisines, lesquelles sont subordonnées aux cours d’eau des Car­
pathes qui leur donnent la fertilité. Ce point sera d’autant mieux saisi
que l’on soulignera davantage la variété des richesses carpathiques, pâ­
turages, forêts, prairies fourragères, mines d’or, d’argent, eaux miné­
rales, fer, lignite, pétrole—ainsi que l’abondance des ruisseaux et ri­
vières, et enfin le fait que ce massif est percé de cols naturels et parsemé
de plateaux parcourus dans un sens et dans l’autre sans arrêt, en toutes
saisons, par de véritables vagues de bergers et d’émigrants qui ont
fortement contribué au réveil de la conscience nationale de ce peuple.
Ce fut une erreur de l’histoire que d’avoir si longtemps nié l’unité
géographique du sol carpathique, axe vital de l’ancienne Dacie, et de
l’avoir considéré comme une frontière entre deux peuples asiatiques de
steppe, les Hongrois et les Turcs, installés dans les deux plaines voi­
sines.
Du fait de leur situation entre ces deux plaines, les montagnes et
collines comprises entre les frontières de la Roumanie actuelle ont cons­
titué un véritable bastion battu de tous côtés par ces peuples nomades.
Des préhistoriens comme Vasile Pârvan ont montré que plus de 1.000 ans
av. J. C. les peuples cimméro-scythiques se répandaient sur l’Europe
par trois voies : celle de Galicie, vers le Brandebourg, celle de Moldavie
vers la Transylvanie par le défilé d’Oïtuz, et celle de Bessarabie-Olténie
vers la Bulgarie et le Banat. Cette invasion iranienne a contourné le bloc
géto-dace, peuple de pasteurs et d’agriculteurs, fixé en Dacie, entre le
Dniester, le Danube et la Tissa.
Les invasions celtiques du V-e siècle, qui ont inauguré l’occidenta­
lisation de la Dacie, se terminent à la conquête romaine, qui a créé
le nouveau peuple daco-romain.
Plus tard, les invasions des Goths, des Huns, des Gépides, des Ava­
res etc., se sont toutes brisées au pied de la forteresse carpathique.
La pénétration des Slaves, qui a laissé des traces surtout dans la
toponymie, a coupé en deux le monde roumain, séparant un groupe
septentrional d’un groupe méridional représenté aujourd’hui par les
Valaques de la péninsule balkanique, qui ont conservé leur nom de Rou­
mains : ce fut la première blessure produite dans la masse du peuple
roumain.
Au IX-me siècle arrivent les Hongrois; ils franchissent les Carpathes
ruthènes en 869, puis s’installent dans la plaine pannonienne, d’où ils
essaiment pour franchir peu à peu la « silva » (Monts Apuseni) qui les
séparaient, à l’Est, du massif transylvain. En 1200 ils atteignent les
sommets des Carpathes, où ils créent une province militaire de frontière,
une marche. A leur arrivée les Roumains étaient organisés en knézats
et en voïvodats, comme ceux de Munkaci, Ugocea, Sătmar, Crasna,

9’
402 NOTES

Bihor, Banat, etc. ; en 1392, la Moldavie ayant parfait ses frontières,


son voivode s’intitule « Domn din munte până la Mare », seigneur de la
montagne à la mer.
Les Hongrois ne sont pas encore bien établis qu’au XIII-e siècle,
le peuple roumain est de nouveau mis en péril, vers l’Est cette fois, et
par les Tatares, qui dès lors feront chaque automne un raid chez nous
pour prélever une dîme. Avant que les invasions tatares ne soient ter­
minées, les Turcs font leur apparition au midi, pénétrant en Valachie
et en Moldavie (1462—1538).
Deux siècles après la retraite des Turcs, l’empereur d’Autriche (1775)
nous arrache le Nord de la Moldavie (Bucovine), et en 1812 le tzar de
Russie nous ravit la Bessarabie, moitié orientale de la Moldavie. Il a
fallu l’effondrement des deux empires rivaux pour que nous puissions
recouvrer notre pleine liberté dans la configuration politique actuelle
de l’Etat roumain. La solidarité de l’élément autochtone avec le sol
qu’il habitait — montagne, collines et plaine — a été si étroite qu’elle
n’a pu être affaiblie par aucun des dangers qui l’ont menacée. Les pâtu­
rages, les forêts, le sol, de la montagne à la plaine, sont demeurés aux
mêmes mains et la population roumaine, loin de les abandonner, les a
ornés et embellis sans cesse davantage d’églises et de monastères et de
toute une poussière de villages d’où les bergers partaient avec leurs mou­
tons, tantôt vers les hautes terres, tantôt vers les plaines s’étendant à
leurs pieds.

Les frontières politiques de l’Etat roumain sont fixées au pied des


dernières pentes des Carpathes roumaines, à l’Est, au Sud et à TOuest,
pentes qui se prolongent par des collines et des coteaux jusqu’au Dnie­
ster, au Danube et à la Tissa.
Le versant moldave est défendu par le Dniester, ligne séparant deux
mondes distincts: l’Europe et l’Asie. D’un côté le Plateau moldave a
droite et à gauche du Prut, formé des mêmes matériaux carpathiques,
avec des collines et des coteaux fertiles couverts çà et là de forêts, celles
de Tigheciu, de Bâc et d’Orheiu, appartenant à une nombreuse popu­
lation roumaine; de l’autre côté du Dniester, une vaste plaine, celle des
steppes où erraient encore il y a un siècle et demi des tribus de pasteurs
nomades. La ligne du Dniester (Nistru) marque la limite orientale d’un
sol profondément agité aux époques géologiques, la limite orientale d’un
climat et celle des forêts de hêtres, celle aussi d’une population séden­
taire et pacifique, d’un monde dont l’histoire est complètement diffé­
rente et qui a dû sans arrêt se défendre contre l’Orient autour d’une
série de forteresses élevées sur le Dniester: Hotin, Soroca, Tighina et
Cetatea Albă.

La Bucovine s’étend aux abords d’une triple frontière: roumaine,


polonaise et tchécoslovaque. Ses régions hautes ont leur point culmi­
nant à l’Ouest, dans les Monts de Rodna, à 2.300 m. A l’Est, la
NOTES 403

province s’étend en collines parallèles et en plateaux jusqu’au lit du


Dniester. Les forêts occupent 45% de sa superficie.
Dans aucune autre province il n’y a autant d’églises et de monas­
tères: c’est que nous nous trouvons ici dans le pays des anciennes capi­
tales des princes moldaves. La richesse des œuvres d’art déposées dans
ces monastères fondés par les voïvodes en souvenir de leurs luttes vic­
torieuses racontent toute l’histoire de la Moldavie. Au cours des temps
ces monastères furent des centres de pèlerinage, jusque sous la domi­
nation de l’empire d’Autriche. Les éléments étrangers, allemand, ruthè-
nes et polonais, ont été installés comme colons au milieu des Roumains
par les Autrichiens ; quant'aux juifs, ils se sont infiltrés peu à peu, venant
de Galicie. Les villes qui ont été les capitales successives de la Moldavie
sont situées à la croisée des voies commerciales où les marchands alle­
mands et juifs de Léopol se rencontraient avec les Grecs et les Armé­
niens des ports génois de la Mer Noire et avec ceux de Transylvanie.
Les vallées, avec leurs bocages et leurs petites plaines fertiles, nour­
rissent la population la plus dense: 155 habitants au kmq. pour la vallée
de Suceava, 133 pour celle du Sireth, 146 pour celle du Prut.
Malgré l’affluence d’éléments étrangers, les Roumains sont presque
partout en masses compactes. Les Ruthènes, minorité de beaucoup la
plus nombreuse qui ne saurait être confondue ni avec les Polonais ni
avec les Roumains, comptent 300.000 âmes mais sont peu néanmoins
par rapport au total de 900.000 habitants de la Bucovine (1930).

La Bessarabie. Les forêts de la région centrale, la plus élevée de Bes­


sarabie, partagent cette province en deux parties: au Nord, des collines
basses et assez pauvres, au Sud une bande de plaine sur les bords de la
Mer Noire.
Les forêts de Bessarabie sont un prolongement des forêts carpa-
thiques à travers la Moldavie, sur la rive droite du Prut et jusqu’au
Dniester: les Roumains y trouvent le même paysage familier qu’aux
pieds des Carpathes. On s’explique bien, maintenant, le proverbe déjà
cité: Codru-i frate cu românul, et l’on comprend pourquoi les endroits
les plus fertiles, entre 200 et 475 m d’altitude, couverts de morceaux
de forêts et de terre à pozzol, sont occupés seulement par des Roumains.
La vallée du Dniester, étroite, sinueuse et aux berges abruptes, prolonge
sur la rive bessarabienne et presque jusqu’à la mer un rideau d’arbres
avec une zone compacte de population roumaine. Cette population a
une densité de 25 à 75 habitants au kmq. Plus d’un million de Rou­
mains qui ont franchi le fleuve pour s’installer dans la steppe transni-
strienne — où ils constituent aujourd’hui la République soviétique
moldave—y subissent la pression de 2 millions d’Ukrainiens ou Ru­
thènes.
Les Ruthènes de Bessarabie, au nombre de 210.000, sont dispersés
dans la masse des 2.863.000 Roumains (1930) qui forment 72,2% de la
population rurale. « Malgré la tentation de la russification combinée à
l’analphabétisme — car sous le régime russe 83% des hommes et 96%
des femmes ne savaient ni lire ni écrire — la conscience nationale
404 NOTES

roumaine, maintenue par l’unité de la langue parlée, s’est manifestée par


le rattachement de la Bessarabie à la patrie roumaine le 27 novembre
1918 ». La réforme agraire qui s’est effectuée après la guerre en faveur
des paysans pauvres a amélioré leur état économique et cimenté d’autant
mieux l’union. Grâce à ses progrès constants la Bessarabie se différencie
mieux chaque jour des steppes d’au-delà du Dniester.
Le sud de la Bessarabie ou Boudjak présente un paysage plus mono­
tone. Le relief ondulé du Nord s’efface en une plaine étroite située à
moins de 100 m. au-dessus de la mer. Les vents d’est impriment à la
steppe un climat rigoureux aux hivers très froids, aux étés chauds et
causant parfois la sécheresse.
Comme la Bucovine, le sud de la Bessarabie est une région colo­
nisée par des éléments étrangers: Bulgares, Allemands, Ruthènes, « Gă-
găoutzes 1) », etc., installés parmi les Roumains.
Aujourd’hui le Dniester ne transporte plus ni bois, ni céréales et
Cetatea Albă porte encore les traces de l’oppression bolchéviste à laquelle
seuls les juifs ont résisté ; c’est pourquoi la Roumanie, réfractaire aux
expériences communistes, est considérée comme une frontière de l’Eu­
rope, qui finit ici.
Le versant valaque. Aux Carpathes méridionales font suite les mêmes
zones de collines, de coteaux et de plaines que nous avons rencontrées
à l’est. Mais la comparaison s’arrête ici, car tandis qu’à l’est le Plateau
moldave domine partout la Plaine russe sans qu’il y ait de limite linguis­
tique nette entre les deux rives du Dniester, puisque l’élément roumain
s’étend aussi en territoire soviétique, la frontière valaque est plus basse
que le rebord septentrional du Plateau pré-balkanique et sépare vrai­
ment deux unités ethniques.
Après sa sortie des Portes-de-Fer, le Danube erre paresseusement
au milieu d’une large lunca (zone bocagère inondable) parsemée d’une
multitude d’îles, d’étangs et de bras abandonnés où pousse un épais
rideau de roseaux. Comme il s’élargit et qu’il reçoit d’innombrables afflu­
ents du versant extérieur des Carpathes, il ne ressemble plus ni au Da­
nube étranglé entre les montagnes, ni au Danube à demi desséché par
les sables de la steppe hongroise. Tandis que la rive droite, bulgare,
s’abaisse vers le fleuve en une falaise abrupte, haute et oblique, la rive
gauche est une succession de larges terrasses qui unissent la plaine à la
«lunca » du fleuve. C’est pourquoi le Danube se trouve plus lié à la vie
de l’Etat et du peuple roumains qu’à celle du peuple bulgare. Le fleuve
est en même temps une frontière politique naturelle et une grande route
commerciale. Les rivières carpathiques lui impriment un régime nou­
veau qui double sa puissance et le pousse continuellement contre la rive
bulgare.
Non seulement le Danube sépare deux régions, les Balkans au sud
et le commencement de l’Europe centrale au nord, mais il constitue
aussi la limite du climat méditerranéen, lequel s’annonce dès qu’on passe
dans la péninsule balkanique ; il est aussi une limite phyto-géographique,

’) Population d’origine turque mais christianisée.


NOTES 405

car c’est au Danube et au plateau Déliorman de Dobroudja que s’arrê­


tent les tentacules que jette la steppe de l’Est et que commencent les
forêts basses balkaniques.
Les bocages et prairies (lunca) du Danube, sur la rive roumaine,
ont en été une couleur verte pleine de vie, tandis que la rive bulgare,
plus haute, présente la couleur jaune de la sécheresse. La « lunca » du
Danube, avec une population roumaine qui est toujours demeurée plus
dense que dans la Plaine, est aussi une zone d’attraction pour les bergers
de la montagne et de Transylvanie, qui viennent hiverner ici avec leurs
moutons depuis qu’il existe un peuple roumain. Pour les Bulgares, qui
le voient du haut d’une falaise et dont l’histoire est tournée vers Byzance,
le Danube est bien plutôt une frontière qu’un lien économique.
En 270, lorsque Aurélien et les services administratifs eurent abon-
donné la Dacie, sur la rive droite du Danube il se substitua une « Romania
autonome » à une « Romania coloniale ».
L’arrivée des Hongrois interrompit le rôle économique important
que le Danube avait eu jusque là en ouvrant la voie à Venise par la Mé­
diterranée et la Mer Noire. Ce n’est guère qu’avec l’installation d’un
empire tatare à la fin du XIII-e siècle et l’établissement à Kaffa d’une
colonie génoise, que le Danube retrouvera sa vie économique passée.
Sur la ligne du Danube et du Dniester ont pris naissance l’Etat bulgare,
l’Etat moldave et, au XlV-e siècle, l’Etat valaque.
Pendant les trois siècles de joug ottoman, le rôle d’autrefois du Da­
nube se restreint de nouveau à la circulation intérieure. Mais par la paix
de Passarowitz (1718) il voit de nouveau son rôle se relever.
Un siècle plus tard, le Danube roumain commençait à devenir l’objet
des ambitions rivales de la Russie et de l’Autriche ; mais après 1589, les
Principautés roumaines unies peuvent commencer à dire leur mot sur
le problème du Danube. Un siècle de vie pacifique a été suffisant pour
que des villes comme Tulcea, Chilia-Nouă, Ismail, Vâlcov, Sulina, St.
Gheorghe et surtout Brăila et Galați aient pu devenir des plus impor­
tantes parmi les villes de Roumanie.
Les bouches du Danube sont défendues par la Dobroudja, dont le
relief s’élève à 400 m. sur la rive droite du delta du fleuve.

La Dobroudja. Cette province s’est trouvée sur la voie de la plupart


des invasions: le Valium Trajani et les fortifications bâties par les Turcs
à Vizir-Tépé démontrent l’importance stratégique de ce territoire. La
Dobroudja offre trois zones de défense: au nord les montagnes, a
centre un couloir qui relie le Danube à Constantza, au sud enfin, une
zone défensive composée de hauteurs calcaires masquées de forêts basses,
au voisinage desquelles se trouve la « Coasta de Argint » ou Riviera rou­
maine.
Le recensement fait par les Russes en 1878 a donné pour le dépar­
tement de Tulcea 36% de Roumains, 29% de Bulgares, 12% de Russes
et 11% de Lipovans, population slave de pêcheurs.
Au cours du siècle dernier, le péril des invasions et celui de l’occu­
pation turque ayant disparu, la Dobroudja est devenue un centre de
406 NOTES

colonisation spontanee pour les Roumains agriculteurs et pasteurs de


la bordure du Danube, de la zone des collines sub-carpathiques et de
la Transylvanie.
Après l’annexion de 1878, complétée en 1913, la colonisation offi­
cielle, les transformations agricoles, les chemins de fer, les fermes mo­
dernes et la labeur tenace des paysans ont relevé la densité de peuple­
ment de 25 habitants à 59 au kilomètre carré. Entre 1912 et 1930 la
population est passée en Dobroudja de 380.430 à 811.332 habitants.

La frontière transylvaine. De toutes les frontières de l’État roumain


celle de l’Ouest a été la plus contestée. Les mécontentements se sont
concentrés sur les questions ethniques et géographiques.
On a soulevé diverses objections — que la frontière occidentale n’est
pas naturelle, qu’elle coupe la plaine d’entre les montagnes et la Tissa
en deux morceaux, qu’elle ne correspond pas à la frontière ethnique,
etc., etc. Comme la géographie physique ne peut à elle seule nous fournir
des données suffisantes pour la solution de ce problème, nous devons
recourir au facteur historique. Au cours des siècles les deux unités géo­
graphiques, la montagne et la plaine, ont vu s’opérer des échanges de
population, que les Hongrois se soient élevés vers la montagne ou que
l’élément roumain soit descendu vers les plaines voisines.
Après l’occupation de la Dacie (106 ap. J. C.) les Roumains lui don­
nent la civilisation latine ainsi qu’une population qui se fixe sur son sol.
Lorsque les invasions barbares se répandent dans les plaines d’alentour,
y créant des Etats éphémères, la masse des paysans daco-romains con­
tinue, grâce à la langue et à la conscience populaire, à former un monde
à part.
Après- l’établissement des Hongrois dans la « puszta », ceux-ci cher­
chent bientôt à s’assurer une frontière défensive comme les nomades de
l’Est et pour cela montent à l’assaut du bastion transylvain et des Car­
pathes, considérés comme un mur entre les deux peuples de la steppe,
Hongrois et Tatares.
Les chroniques rapportent qu’à l’arrivée des Hongrois la Tran­
sylvanie était gouvernée par les voïvodes des pasteurs roumains, « pa-
stores romanorum », qui peuplaient le haut pays. La pénétration
hongroise a réduit au servage la population locale. Mais dans les
montagnes les anciens voïvodats se sont maintenus même après la con­
quête hongroise, « la Transylvanie demeurant malgré tout une terre
roumaine », pays rural, sans frontières, occupant les sommets et con­
servant ses traditions spirituelles et religieuses en dépit de toutes les
tentatives hongroises.
Après la bataille de Mohâcs (1526), quand sur l’ancienne Hongrie
médiévale s’installent les pachaliks turcs de Bude et de Timișoara, la
Transylvanie préserve sa vie personnelle. D’au-delà des Carpathes immi­
grent dans cette province des moines, des prêtres et des boyards, et la
langue roumaine se constitue en langue littéraire écrite grâce aux ouvrages
religieux rédigés ou traduits dans les monastères du Maramuresh, au quin­
zième siècle.
NOTES 407

Au moment où Michel le Brave refait, pour un temps trop court


(1594—1601), l’unité des Roumains, la Transylvanie est vraiment le foyer
de civilisation de ce peuple.
En 1687, lorsque l’Autriche, qui a mis la main sur la Transylvanie,
veut y introduire la discipline catholique, l’église orthodoxe se soulève
pour défendre la foi et la culture roumaines.
En 1784 et en 1848, les paysans roumains se révoltent contre les nobles
hongrois, réclamant la liberté et la justice. Cependant la constitution
de 1867 ne reconnaît en Transylvanie qu’une nation, la nation hongroise.

La conquête statistique. Bien que les Roumains aient toujours eu une


natalité plus forte que les Hongrois, le recensement de 1910 répartit les
2.678.367 habitants de la Transylvanie proprement dite en 1.472.000
Roumains et 918.000 Hongrois, en indiquant que de 1867 à 1919 les
Roumains ont enregistré un accroissement de 11% et les Hongrois de
82%. En regard de ces chiffres, donnons ceux qu’a calculés M. Em. de
Martonne pour la Transylvanie et le Banat: 5.413.962 habitants, dont
2.916.360 Roumains et 1.255.296 Hongrois.
Les méthodes statistiques, scolaires, politiques, électorales, celles de
la répartition du sol, ont été autant d’armes tournées par les anciens
maîtres contre l’élément roumain de Transylvanie.
A partir de 1879, les enfants roumains entre trois et dix ans sont
obligés de fréquenter les jardins d’enfants où seule est parlée la langue
magyare. Les écoles non-magyares tombent de 58 à 14%. Sur 40.595
élèves de l’enseignement secondaire, entre 1880 et 1890, 72% sont hon­
grois et 6% seulement roumains. Sur les 58 professeurs de l’université de
Cluj, la seule de Transylvanie, aucun n’est roumain ; les étudiants hongrois
sont 72%, les roumains 11%. Suivant la loi électorale mise en vigueur
en 1874, il revenait un député à 17.000 Hongrois, mais il fallait 34.000
Roumains pour un député. Les délits de presse se succèdent sans arrêt,
les journaux roumains sont interdits et les portes de l’administration
restent closes à l’élément roumain: sur 6.595 fonctionnaires départemen­
taux on compte 405 Roumains seulement ; sur 428 magistrats, dix.
La presse magyare de l’époque concluait: « Seule la force brutale
peut faire impression sur cette masse inculte ». « La Hongrie n’a à tenir
compte que d’une question : la politique de son hégémonie », écrivait le
« Magyar Hirlap », le 16 février 1892.
Les propriétés latifundiaires des nobles avaient parfois une étendue
de 228.000 hectares. Les domaines des grands propriétaires (au-dessus
de 100 ha.) couvraient avant la guerre 37% de la superficie de la Tran­
sylvanie, et les propriétés au-dessous de 2 hectares n’occupaient que 50%,
dont à peine 7 ou 8% de terre arable. Entre les moyens propriétaires
(57 hectares) les Roumains ne comptaient que pour 2,5%.

La descente des Roumains. La Transylvanie est un vaste bassin récent,


occupé surtout par des collines, parsemé de montagnes et entouré d’une
zone forestière.
408 NOTES

Le Roumain est avant tout l’homme de la montagne et des collines.


Les deux éléments géographiques qui se combinent sur le sol roumain,
la montagne et la plaine, sont les facteurs principaux qui ont donné
naissance au type d’élévage transhumant, si important dans la vie du
peuple roumain.
Les montagnes ont servi de refuge quand les plaines herbeuses étaient
envahies par les nomades, mais c’était aussi un réservoir de population
qui alimentait en période de calme les plaines voisines.
Le Banat a des montagnes granitiques et calcaires qui s’élèvent jusqu’à
2.511 m. Sur les hauteurs au-dessous de 1.000 ou 1.300 mètres les villages
roumains disséminés forment comme un haut pays isolé de la vie qui
se développe au pied des monts.
L’élevage, avec la montée des moutons dans la zone alpine au retour
des beaux jours et leur descente pour l’hivernage dans le fond des vallées
ou dans la plaine, est pratiqué aussi dans le Banat.
Dans le fond de certaines vallées sont installées des localités minières
exploitant le cuivre, le plomb et l’argent, et qui abritent des colons hon­
grois et allemands. Au pied des montagnes s’étend une étroite bande de
terres fertiles: elles ont été colonisées, suivant le plan autrichien, par
des Serbes et des Souabes (Allemands) dont certain d’origine française
(Lorrains). Tandis que dans la plaine les Roumains se trouvent ainsi
mêlés aux étrangers, dans la montagne ils sont les seuls maîtres.
La densité de peuplement en montagne est de 25 habitants au kmq. ;
elle est de 75 en plaine. La statistique magyare de 1910 donne pour la
plaine du Banat 39,3% de Roumains (au total: 592.049), 24,5% d’Alle­
mands (387.545), 19,7% de Serbes (313.724) et 15,2% de Hongrois
(242.152).
La frontière de Trianon a coupé le Banat en deux, laissant à la Rou­
manie toute la région montagneuse avec la bordure de plaine qui en dé­
pend par solidarité économique et donnant le reste à la Yougoslavie.

Le Bihor, qui de loin domine la Tissa, fermant l’horizon occidental


des collines transylvaines, est un haut bastion carpathique. C’est aussi
le massif le plus peuplé des Carpathes. Grâce à leur nombre compact,
les Roumains des Carpathes occidentales (Munții Apuseni) installés sur
les pentes douces jusqu’à 1.300 m. ont été en état de faire les deux révo­
lutions de 1784 et de 1848 pour réclamer leur liberté. Leur persistance
en un bloc aussi homogène juste à la frontière ouest de l’Etat roumain
est la preuve la plus éloquente de la vitalité des Roumains de Transyl­
vanie. La bande de plaine qui s’étend au pied de ces montagnes est
l’œuvre des cours d’eau, qui y ont construit de vastes cônes de déjection.
La densité de la population montagnarde est de 2,575 habitants au kmq. Si
les villes qui se trouvent au pied du massif conservent encore une forte
population hongroise, elles se trouvent néanmoins noyées dans une masse
puissante de Roumains qui les alimente sans cesse et finira par les assimiler.
La statistique hongroise de 1910 reconnaît pour les départements .
limitrophes qui constituent cette région: 928.355 habitants, dont 71,4%
de Roumains, 21,6% de Hongrois et 3,7% d’Allemands.
NOTES 409

Le Maramuresh. La même succession harmonieuse des trois zones


— montagnes, collines et plaine marginale — avec les mêmes essences
sylvestres, sapins, hêtres et chênes, que dans les autres régions roumaines,
caractérise la région du Maramuresh. Ce pays, avec le Pays d’Oash et celui
de Năsăud, est une vraie citadelle de la race roumaine, où la vie patriarcale
des paysans s’est conservée avec encore moins d’altérations qu’ailleurs.
Tous ces pays ont ensemble plus de 440.000 ovins et 154.000 bovins, que
nourrissent les pâturages des montagnes et le fourrage des vallées.
Dans les zones plus élevées, la population a une densité de 48 habi­
tants au kmq. ; plus bas, la densité atteint 75 habitants au kmq. Le
recensement hongrois de 1910 donne pour le Maramuresh 164.450 habi­
tants, dont 55,2% de Roumains (90.786), 22,2% de Juifs (36.459), 11,8%
de Ruthènes (19.346) et 6,9% seulement de Hongrois (11.381), la plupart
fonctionnaires.

Ainsi donc la population roumaine domine dans toute la Transylvanie.


A la différence des Hongrois et des Saxons, dont une partie seulement
est groupée en îlots, soit à l’intérieur, soit à la périphérie de la Transyl­
vanie, les Roumains ont la majorité absolue par rapport aux éléments
étrangers. La statistique officielle hongroise de 1910 donne dans les dé­
partements limitrophes, pour une population totale de 1.071.426 habi-
tans (sans le Banat): 69% de Roumains (731.356), 12% de Hongrois
(224.945) et 6,3% d’Allemands (68.496).
La pénétration des Hongrois en Transylvanie comme fonctionnaires
et l’accroissement naturel des Roumains ont élevé le chiffre de la popu­
lation totale de 5.248.522 en 1910 à 5.549.441 habitants en 1930, malgré
les pertes causées par la guerre, et la position des Roumains est allée en
se fortifiant.
La situation économique des Roumains était déplorable, car la ma­
jeure partie du sol était aux mains des latifundiaires : en 1919, la moitié
de la population transylvaine ne détenait même pas 8% de la terre de
cette province, tandis que 11% de la population ou 1.189 familles possé­
daient chacune plus de mille hectares. La loi agraire demandée par l’as­
semblée nationale d’Alba-Iulia, le 1-er décembre 1918, n’a exproprié que
1.163.809 hectares, en face de 2.775.401 hectares expropriés dans l’ancien
royaume. Néanmoins la loi agraire, faite pour toute la population pauvre,
a sensiblement amélioré la vie rurale. Quoique l’application de cette
réforme ait à peu près coïncidé avec le début de la crise économique
générale, le rendement du blé à l’hectare s’est élevé de 10,2 à 11,6 quin­
taux. L’amélioration de la récolte de blé et des autres produits agricoles
a relevé le niveau de vie de tous les cultivateurs, qui avaient vécu
jusqu’ici dans un état proche de la misère.
M. Jacques Ancel a parfaitement mis en lumière le fait que les trois
grands versants de la Roumanie, qui descendent peu à peu des montagnes
aux collines puis aux plaines et sur lesquels ont peiné et lutté des siècles
durant les mêmes bras et les mêmes cœurs roumains, sont unis indisso­
lublement par une étroite solidarité physique, économique et spirituelle
que les traités de paix ont définitivement consacrée.
410 NOTES

L’exposé du savant professeur a en même temps le mérite de dissiper


la confusion produite par des ouvrages tendancieux comme celui de M.
d’Olay et, en fixant en toute compétence et avec une parfaite objectivité
le point de vue scientifique au sujet de nos frontières et en particulier
de celles de la Transylvanie, il est en mesure d’éclairer l’opinion publique
européenne sans laisser planer le moindre doute. Pour une œuvre aussi
utile nous tenons à remercier tout particulièrement son auteur.
Laurian Someșan

CONTRIBUTION A L’ÉTUDE DE L’ÉVOLUTION DE LA POPU­


LATION HONGROISE DE CLUJ

De Cluj situé au centre de la Transylvanie, partent trois chemins


principaux: l’un vers l’ouest (Oradea-Budapest), un autre par le Someș,
vers le nord et l’est (Maramureș-Bucovine), le 3-e au sud (Alba Iulia-
Bucarest) ; ces routes étant placées à des passages importants ont
toujours eu une grande importance pour le transit commercial et surtout
culturel et politique.
Cluj n’a jamais joué un très grand rôle industriel. Ancienne capitale
de la Transylvanie autonome, elle a servi, après l’union avec la Hongrie,
comme de tremplin pour la pénétration de l’esprit hongrois dans la grande
masse roumaine qui occupe les environs. La ville a été pourvue d’im­
portants édifices officiels, en particulier d’écoles de toutes catégories
mais l’abondance des fonctionnaires a changé radicalement la popula­
tion de la ville qui avait été jusqu’alors composée en grande partie
d’ouvriers, de commerçants et de petits agriculteurs. Cette invasion a
éloigné en premier rang les Saxons, anciens citoyens de la ville. Grâce
aux fonctionnaires engagés par l’État on a obtenu la magyarisation presque
complète de la ville ; les éléments roumains n’étaient pas admis dans
l’administration et leur pénétration comme ouvriers et commerçants était
impossible. De la sorte Cluj est devenu une enclave hongroise dans une
région roumaine.
A la chute de l’empire, en 1919, il s’est produit un brusque chan­
gement. La plus grande partie des éléments qui n’avaient pas avec la
ville des attaches profondes et qui étaient venus de Hongrie ont émigré.
Les services publics étant aux mains des Roumains, de plus en plus
les éleménts autochtones s’établirent dans la ville, spécialement les fonc­
tionnaires. Naturellement a commencé aussi l’exode de l’élément rural
vers la ville. N’étant plus gênés par les réglements les paysans se hâtent
de plus en plus de gagner facilement leur pain. De sorte que lors du
recensement de 1930, nous trouvons la situation de la population de la
ville modifiée de la façon suivante:
Toutes
les natio­
nalités Roumains Hongrois Juifs Allemands

1910............... 100 12,4 83,4 _ 2,8


1931 . . . . . 100 34,9 49,2 13,5 2,4
NOTES 411

Les chiffres de 1910 sont empruntés au recensement hongrois et ceux


de 1931 au recensement roumain effectué le 31.XII.1930. Depuis
cette époque j’ai suivi personnellement, année par année, le mouvement
de la population de Cluj et je suis arrivé à des conclusions qui méritent
l’attention. Tous les chiffres auxquels nous nous reportons plus bas
sont ceux de l’office de l’état-civil et se réfèrent aux changements de h
population provenant des naissances et des décès. Nous n’avons pas pu
calculer la valeur de l’immigration faute de données suffisamment précises.
En échange les données de l’état civil sont recueillies avec la plus grande
précision, les déclarations se faisant très consciencieusement ; nous ne
croyons pas que les phénomènes non enregistrés dépassent 0,5 %.
Voyons maintenant l’évolution comparée de la population pendant
les cinq dernières années.

Roumains Hongrois
(proportion pour 100 habitants)

1931 ................... 34,9 49,2


1932 ................... 35 49,2
1933 ................... 35 49,1
1934 ................... 45 48,9
1935 ................... 35 48,8

Nous voyons que la proportion numérique des Roumains augmente


d’année en année tandis que décroit celle des Hongrois.
Cet accroissement continu est toutefois très lent.
Nous soulignons de nouveau que cet accroissement provient exclu­
sivement de facteurs naturels, c’est-à-dire de l’excédent des naissances
sur les décès.
Cet accroissement, rapporté à 1.000 habitants de chaque nation, se
présente de la façon suivante:

Roumains Hongrois
(Augmentation naturelle par rapport
à 1.000 hab.)

1931 ................... 9,3 3,7


1932 ................... 9,7 2,9
1933 ................... 8,6 2,6
1934 ................... 9,4 3
1935 ................... 6,6 1,6

Nous voyons ainsi que les Roumains s’accroissent trois fois plus que
les Hongrois et que dans la dernière année l’augmentation de ces derniers
est tombée à peu près à 0.
Cette différence si nette d’augmentation s’explique par le phéno­
mène de la faible natalité et de la mortalité plus grande des Hongrois.
Voici les chiffres face à face en regard les uns des autres:
412 NOTES

Natalité pour 1.000 Mortalité pour 1.000


Roumains Hongrois Roumains Hongrois

1931 .... 20,0 17,3 11,0 13,8


1932 .... 20,6 16,5 10,9 13,7
1933 .... 18,1 13,6 9,4 11,1
1934 .... 19,0 14,4 11,3 11,4
1935 .... 17,9 13,2 11,3 11,6
Nous voyons que toutes les années la natalité est beaucoup plu
grande chez les Roumains que chez les Hongrois ; la difference va de
3 à 5 par mille habitants. En même temps la mortalité est plus élevée
chez les Hongrois. Les chiffres sont éloquents. Ils prouvent que l’élé­
ment roumain à une vigueur biologique plus élevée que celle de l’élément
hongrois, ce qui se manifeste spécialement par la natalité plus grande.
La mortalité plus élevée des Hongrois a selon moi une autre cause.
Les villes de tous les pays civilisés vivent et s’agrandissent par le surplus
de population rurale qui y est attiré. Pour nous aussi l’accroissement
par nos propres forces est insuffisant ; l’augmentation des Roumains
indiquée ci — dessus est exceptionnelle.
La population d’une ville ayant un accroissement rural insuffisant
vieillit parce que les éléments âgés ont la prépondérance sur les éléments
jeunes.
Or, chez nous le fait se produit seulement et partiellement dans la
population hongroise.
Manquant d’une réserve rurale voisine et suffisante, ils doivent se con­
tenter de leur propre pouvoir biologique et nous avons vu plus haut
combien il est modeste.
Je n’ai pas pu jusqu’à présent obtenir les chiffres correspondant à la
stratification de la population d’après l’âge et pour chaque nation, et
j’ai cherché par voie détournée à me convaincre de l’exactitude de
mes suppositions. J’ai eu recours à l’analyse des causes de décès et j’ai
pris celle qui m’a paru la plus caractéristique: le marasme sénile.
Si nous étudions les décès dus à cette cause nous obtenons les résul­
tats suivants très concluants.
Proportion pour 1.000 habitants et par
nation de décès dus à la sénilité
Roumains Hongrois

1931............... 7,1 14,9


1932 ............... 7,6 16,4
1933 ............... 9,8 15,4
1934 ............... 3,3 7,1
1935 ............... 2,2 5,8
Nous voyons ainsi que toutes les années la proportion des Hongrois
décédés par vieillesse dépasse celle des Roumains.
Voici donc comment, par les effets biologiques, se modifie la compo­
sition de la population de Cluj. Les régions entourant la ville montrent
leur caractère ethnique roumain et la preuve que le phénomène observé
NOTES 413

sans la domination hongroise d’imposer à la ville exclusivement des


éléments apportés d’autres parties du pays ne se répète pas avec les
Roumains et que le roumanisme fait place au chauvinisme agressif des
anciens maîtres ; nous en donnons comme preuve les mariages mixtes.
La vie des Roumains et des Hongrois dans la même ville a pour con­
séquence inattendue les mariages mixtes roumains-hongrois très fréquents.
Pour l’année 1934 nous avons recueilli les chiffres suivants :
Roumains ayant épousé des Roumaines 224
» ayant épousé des Hongroises 110
Hongrois mariés à des femmes hongroises 351
» mariés à des femmes roumaines 45.
Voici une préférence tout à fait curieuse pour les Hongroises et qui va
si loin qu’un Roumain sur trois choisit une femme d’une autre nation.
Est-ce là une preuve de la barbarie roumaine ? Dans ce cas la femme
hongroise, a une prédilection pour l’oppresseur de sa nation.
N’est-ce pas plutôt que la haine entre les deux nations n’est soutenue
qu artificiellement par des éléments qui ne veulent pas oublier le passé
et qui rêvent de révision pour pouvoir satisfaire leurs intérêts aux
dépens de la tolérance roumaine.
C’est bien ici la meilleure preuve que la vie en commun des deux
peuples se fait de façon civilisée et que les relations sociales sont
étroites et intenses.
Voici quelques conclusions qui ressortent de ce que nous avons exposé
plus haut.
1. La roumanisation de Cluj se fait lentement mais sûrement.
2. La différence de natalité est suffisante pour expliquer l’augmen­
tation des Roumains.
3. L’augmentation effective est certainement plus importante que
celle qui est indiquée parce que l’immigration des éléments ruraux
est en faveur des Roumains.
4. La population hongroise de Cluj, privée de l’aide de l’immigration
rurale, vieillit.
5. Cette roumanisation lente est la preuve le plus éclatante que pour
l’atteindre il n’est pas employé de moyens brutaux mais que seules en­
trent en jeu les lois naturelles qui veulent que les villes aient la structure
ethnique des régions qui les entourent.
6. C’est la preuve la meilleure que la magyarisation de Cluj a été due
à des procédés forcés qui ne résistent pas au jeu des lois naturelles quand
celles-ci peuvent se manifester librement. Mais surtout nous ne voyons
aucune tendance d’oppression brutale dans les mariages mixtes si fré­
quents à Cluj.
7. Enfin nous croyons que Cluj, comme les autres villes de Transyl­
vanie, va acocœplir inévitablement la destinée que lui assigne l’histoire:
cesser de former un corps étranger dans l’organisme vivant du pays.
En aucun cas les Hongrois n’ont de motif de se plaindre de cet état
de choses, mais nous ne savons pas si les Roumains peuvent être satis­
faits des progrès sûrs mais un peu lents de la roumanisation des villes.
Dr. P. Vlad
COMPTES-RENDUS
Dr. GHEORGHE CIUHANDU, Les évêques Samuel Vulcan et Ghe-
rasirn Raț. Pages choisies de l'histoire des Roumains de la Crișana (1830
jusqu'à 1840). Arad, édition de l’auteur, Typ. diocésaine, 1935, in-8°,
XXX, 702 p. (Fig.).
Par cette vaste étude dans laquelle nous est retracée une époque
d’âpres luttes de l’histoire du diocèse d’Arad il y a un siècle, l’abbé Ciu-
handu apporte une précieuse contribution à la connaissance de l’his­
toire de l’église des Roumains dans les provinces de la Crișana et d’une
partie du Banat. A vrai dire, l’auteur ne traite que d’une période de
dix ans, mais il a su choisir pour cette étude les années qui, justement,
forment le plus beau chapitre de l’héroïque résistance des Roumains
orthodoxes habitant ces régions, dans la lutte inégale qu’ils eurent à
soutenir contre la tendance de catholicisation des autorités hongroises.
Pour composer cette précieuse étude, l’abbé Ciuhandu a recueilli
un immense matériel documentaire composé d’actes contemporains
authentiques dont il extrait une série d’exemples à l’appui des affirma­
tions contenues dans son étude. En se fondant sur ces documents, il
dégage à propos de chaque événement une série de prémisses dont il
tire les conclusions logiques.
Comme nous le verrons dans ce qui suit, tous les événements qui se
sont déroulés au cours de ces 10 ans gravitent autour de deux évêques:
Samuel Vulcan, d’Oradea, et Gherasim Raț, d’Arad, que l’auteur présente
dans une lumière nouvelle, tout à fait inconnue jusqu’à présent.
Au début, il expose brièvement les essais tentés à différentes repri­
ses pour écrire une histoire du diocèse d’Arad. Il nous montre les dif­
ficultés qui ont empêché les auteurs désireux de la faire, de réaliser leur
dessein. Il parle ensuite des archives diocésaines d’Arad, de celles des
départements de la Crișana: Arad et Oradea, de celles du Banat, des
archives d’Etat de Vienne et de Budapest, des archives ecclésiastiques
des autres diocèses orthodoxes serbes et roumains du Banat, y compris
celles de la cathédrale de Carlowitz où il a recueilli les précieux maté­
riaux documentaires et les informations nécessaires à la composition
de cette vaste étude. Il annonce ensuite son intention de présenter « les
tourments subis par l’âme roumaine pour préserver son héritage ortho­
doxe du fanatisme catholico-magyar qui tendait à désorganiser le dio­
cèse d’Arad par la catholicisation des Roumains ».
COMPTES-RENDUS 415

L’étude est divisée en deux grandes parties. La première est l’ex­


posé historique des faits et se subdivise en plusieurs chapitres et para­
graphes suivant la nature des faits et des événements. La deuxième
partie comprend 186 documents.
L’étude proprement dite commence par une vue d’ensemble sur
l’action entreprise par les Roumains pour se libérer du joug de l’autorité
de l’église serbe et acquérir dans l’église plus d’indépendance au point
de vue roumain. Il nous indique que le début de cette action remonte
au XVIII-e siècle, alors que les presses de «la typographie royale de
l’Université de Pesth » se mettent à publier une série de travaux rou­
mains dont le but principal était de favoriser le progrès culturel, moral
et religieux. L’auteur énumère ici une série de ces études, accordant
une attention spéciale aux travaux des « trois illustres Roumains bri­
més par les autorités ecclésiastiques de Blaj » 1). Toute cette partie du
travail est une bonne bibliographie des travaux roumains de cette époque.
Il parle ensuite de l’école théologique et de l’école normale d’instituteurs
d’Arad, qui avaient été offertes par les autorités aux Roumains de la
Crișana et du Banat parce qu’elles les considéraient comme « une po­
pulation dense, saine et éveillée ». Malheureusement, la politique de
catholicisation des Habsbourgs commence à s’exercer ici aussi sous l’im­
pulsion de l’évêque d’Oradea, Samuel Vulcan; et ce qui constitue une
circonstance aggravante est le fait que cette campagne coïncida avec
le ralentissement des éditions de Buda et la déclaration de vacance du
siège épiscopal d’Arad, ce qui signifiait que la propagande catholique
n’allait pas rencontrer une trop grande résistance.
A la mort de l’évêque Nestor Ioanovici (1830), les autorités deman­
dèrent à Samuel Vulcan de leur désigner la personne qui serait la plus
indiquée pour occuper le siège épiscopal et qui en même temps serait
disposée à reconnaître le mouvement uniate et à le propager dans le
diocèse entier. C’est alors que l’évêque Vulcan commence l’attaque, et
la lutte qui va s’ensuivre sera l’événement le plus important — dans le
sens négatif — de l’histoire de ce diocèse.
Pour pouvoir mieux rendre compte de l’action catholicisante entre­
prise par Samuel Vulcan ainsi que des essais de défense qui lui ont été
opposés, l’auteur tient à nous renseigner sur la politique uniatiste en
Transylvanie et en Dalmatie. II nous décrit d’abord Vétat de choses en
Transylvanie, il remarque les ravages causés par le catholicisme parmi
les Roumains d’ici, il retrace en lignes générales les violences par les­
quelles ce résultat a été obtenu et illustre ses affirmations d’une série
d’exemples authentiques. Il n’oublie pas les sacrifices consentis par les
fidèles orthodoxes pour la sauvegarde et même l’augmentation du pres­
tige de leur église et il donne comme exemple les sacrifices des habi­
tants de Rășinar. Il parle ensuite des pertes subies par l’église orthdoxe
au profit des catholiques sur l’autre front, en Dalmatie.
Il jette ensuite un regard d’ensemble sur la Crișana de cette époque ;
il nous la présente d’abord au point de vue politico-religieux et nous

1) S. Micu-Clain, P. Maior et G. Șincai.

io
416 COMPTES-RENDUS

montre les mesures prises par les autorités pour introduire la langue
hongroise comme langue officielle, mesures qui allaient jusqu’à demander
aux évêques roumains de rédiger les registres d’état-civil en hongrois.
Le règlement de l’emploi de cette langue dont il s’occupe ensuite met
en évidence de façon indiscutable l’intention nette de magyarisation.
On n’accordait de fonctions qu’à ceux qui connaissaient le hongrois.
Il cite même des cas où des prêtres qui avaient été nommés avant l’ap­
plication de cette loi ont été révoqués parce qu’ils ne savaient pas le
hongrois. Quant aux autorités départementales, elles commencent à
s’ériger en facteur de contrôle des écoles roumaines. Les lois qui régle­
mentaient l’emploi de la langue hongroise opéraient de concert avec
l’action de catholicisation de Vulcan ; elles renforcèrent l’élan de magya­
risation du pays des Cris, étant donné que l’évêque encourageait dans
une certaine mesure la prédication en hongrois. En second lieu, l’auteur
traite de la situation de la Crișana au point de vue ecclésiastique et cul­
turel. Il s’occupe d’abord des conflits qui se sont élevés entre les Hongrois
et les églises orientales, à propos de l’introduction du calendrier gré- 1
gorien. Il étudie ensuite en partie le rôle des communautés orthodoxes
d’Oradea dont l’activité intense a beaucoup contribué à affirmer le ca- ,
ractère roumain de ce département, où la question de l’emploi de la Ì
langue roumaine à l’église a été le plus vite résolue. L’auteur fait plus /
loin quelques remarques sur l’état du clergé diocésain, montrant la situa­
tion matérielle très précaire où se trouvait au XVIII-ème siècle le dio­
cèse d’Arad. L’évêque était entretenu par une « convention épiscopale »,
sorte d’impôt qui était payé par les communautés ecclésiastiques. En
outre, l’évêque percevait des taxes d’ordination. Les prêtres, de même,
devaient vivre d’impôts prélevés sur les fidèles et de contributions bé­
névoles versées par ces mêmes fidèles en échange des services religieux
reçus. Il est vrai que Marie-Thérèse avait donné l’ordre aux grands pro­
priétaires d’accorder des terres aux prêtres, mais bien peu nombreux
furent ceux qui exécutèrent cet ordre. D’après tout ce qui précède nous
pouvons voir quel grand contraste il y avait entre la situation maté­
rielle de l’évêque d’Arad et celle de l’évêque d’Oradea, qui possédait des
domaines étendus et qui recevait en outre des subsides de l’Etat hon­
grois, tant pour lui que pour ses prêtres. Cet état de misère où vivaient
nos prêtres a poussé certains d’entre eux à commettre des abus dans
la perception des taxes prélevées sur les fidèles, et nous connaissons des
cas où les autorités départementales sont intervenues en faveur des
fidèles, non pas dans l’intention de leur rendre justice mais dans celle
de les irriter contre leurs propres prêtres.
L’auteur parle ensuite de la culture et de la discipline du clergé diocé­
sain, qui prirent dans cette province un élan assez vigoureux grâce à
fondation des écoles d’Arad.
Il n’oublie pas de montrer comment les difficultés de la vie des pay­
sans ont été exploitées par la propagande catholique. Pour indiquer
le lien qui existe entre l’exploitation des serfs et cette politique de catho­
licisation, l’auteur s’occupe en général de la situation des serfs en Hon­
grie à cette époque. Tous les mécontentements des serfs, qui en 1784
COMPTES-RENDUS 417

avaient abouti au soulèvement des paysans, « devaient être orientés dans


le sens de promesses matérielles faites en échange du passage au catho­
licisme ». Les autorités ont su par conséquent associer de façon magis­
trale l’attente des paysans, qui depuis de longues années espéraient
une amélioration de leur état, avec le passage de la religion orthodoxe
à la religion catholique.
Il s’occupe spécialement des candidats au siège épiscopal d’Arad,
et d’abord des successeurs de P. Avacumovici. Il englobe ici les efforts
déployés par les Roumains pour mettre à la tête de l’évêché d’Arad
un des leurs. Il énumère aussi les recommandations adressées par le
métropolitain aux sept candidats qui se présentèrent pour le siège épis­
copal et en tête desquels venaient Maxime Manuilovici et Gherasim
Rat. Après de longues tergiversations, le 2 février 1835 fut nommé Ghe­
rasim Rat, à qui les plus graves accusations ne furent pas épargnées.
Il ne fut d’ailleurs intronisé que le 15 août 1838, par suite du manque
de fonds.
Le deuxième chapitre est consacré à l'offensive uniatiste déchaînée
par Samuel Vulcan et à la défensive orthodoxe. L’auteur s’occupe d’abord
de F évêque Samuel Vulcan, de sa cour, de sa politique, montrant qu il
a certainement été une des personnalités les plus puissantes parmi les
Roumains. L’auteur lui reconnaît donc des mérites, mais pas dans
les proportions exagérées dans lesquelles ils ont été présentés par les
uniates. Son but le plus élevé était la propagande catholique. Il a pris
l’initiative de faire donner aux prêtres et aux chapelains de son diocèse
des résidences propres. C’est à son nom qu’est lié le grand fait du dé­
membrement de l’évêché ruthène de Munkacs, qui avait commencé à
cèder à la politique de magyarisation ; c’est de lui également que part
le mouvement entrepris pour enlever le diocèse d’Arad à la juridiction
serbe. Ici l’auteur se demande pourquoi Samuel Vulcan n’a pas fait
preuve du même patriotisme pour arrêter la magyarisation des villages
de son diocèse, magyarisation qui s’exerçait même parfois jusque dans
les écoles uniates. Et c’est l’auteur lui-même qui répond: c’est parce
qu’il avait complètement fait sien le programme de catholicisation qui
était celui des Hongrois. Mais avant d’entrer dans le vif de la question
qui fait le sujet de ce chapitre, il jette un regard sur les conquêtes uniates
plus anciennes et sur celles de Samuel Vulcan dans le Bihor. Il nous
décrit comment le mouvement uniate s’est fait un chemin en Transyl­
vanie, par delà le Bihor, vers Arad et le Banat ; il s’occupe ensuite direc­
tement de la campagne uniatiste dans le département d’Arad au printemps
de l’année 1834; il nous indique d’abord les conditions dans lesquelles
se faisait la propagande et les persécutions qui restent liées au nom de
Samuel Vulcan et de ses deux missionnaires, V. Erdély et A. Dobra,
lesquels à leur tour reçurent un évêché en échange de leurs services.
Leur moyen de propagande le plus efficace était de promettre aux serfs
un allègement de leur condition et des taxes qu’ils supportaient ; puis
ils leur promettaient de les exempter du paiement des impôts ecclé­
siastiques. Au point de vue du dogme, les missionnaires soutenaient
qu’il n’y avait aucun changement, qu’il était seulement question du

10*
418 COMPTES-RENDUS

passage de la juridiction serbe à la roumaine. En d’autres endroits, ils


présentaient le mouvement uniate comme un retour à la religion ances­
trale. Dans cette propagande assez déloyale, on s’est même servi sur cer­
tains points, comme moyen de persuasion, de distributions généreuses
de boisson. Sans tenir compte des procédés employés, on a présenté
tous ces efforts de Vulcan comme les manifestations de son zèle aposto­
lique. L’auteur nous décrit ensuite de façon détaillée les luttes que se
sont livrées les deux confessions: la lutte de Galșa, la propagande faite
dans la vallée du Mureș, dans le vignoble d’Arad, l’insuccès de cette
chasse aux âmes dans la vallée de la Dezna.
Par opposition à tout cela, il nous présente la réaction orthodoxe
conduite par le métropolite Stefan Stratimircivici, depuis mai 1834,
jusqu’au printemps de l’année suivante. Il traite ici de toute
l’action du Consistoire, de l’évêque M. Manuilovici et du métro­
politain et de toutes les tentatives de ce dernier pour empêcher
la réussite du mouvement uniatiste, puis des accaparements de la
région de Sebeș, de Mocréa et de Siria, ainsi que des nouveaux troubles
de Galșa. Comme beaucoup de ceux qui s’étaient faits uniates voulaient
revenir à l’ancienne croyance, on prit une série de mesures pour les en
empêcher. L’auteur énumère ici toutes les communes qui ont présenté
des demandes pour obtenir la permission de revenir à l’orthodoxie. Il
n’oublie pas l’action entreprise à Vienne par le métropolitain, qui dans
une série de suppliques protesta contre les mesures terroristes des auto­
rités départementales. Le courant du retour à l’orthodoxie mobilise de
nouveau Samuel Vulcan qui dénonce aux organes supérieurs de l’Etat
tous les prêtres orthodoxes qui défendaient leur foi, sous prétexte qu’ils
provoquaient des dissensions parmi les uniates. Samuel Vulcan devait
donc maintenant entreprendre une action pour le maintien de la situa­
tion acquise, car le mouvement du métropolitain gagnait du terrain
et cela parce qu’il avait réussi à faire monter sur le siège épiscopal d’Arad
Ghérasim Raț qui dès le printemps de l'année 1835 déclenche la réaction
orthodoxe. L’auteur traite ensuite de la personne et de la famille de Ghé­
rasim Raț, puis il souligne le fait que la présence de cet évêque canonique
sur le siège épiscopal d’Arad a donné à d’autres communes le courage
de demander à être reçues à nouveau dans le sein de l’église orthodoxe.
Malgré tout, il s’est trouvé, nous dit l’auteur, des prêtres assez nom­
breux qui, sur la promesse d’être nommés archiprêtres ou pour
d’autres avantages, ont quitté la religion de leurs ancêtres. Il pré­
sente comme un de ces derniers l’archiprêtre Gheorghe Chirilovici.
Il n’oublie pas la supplique présentée en 1835 par le clergé et le peuple
du diocèse d’Arad, où est exposée la tragique situation de ce diocèse.
Cette supplique et celle que les protestants rédigèrent à la même époque
parvinrent toutes deux à être discutées jusqu’à la Diète hongroise.
L’auteur s’occupe ensuite de la politique culturelle et confessionnelle
de Samuel Vulcan, de son école de Beiuș et des écoles orthodoxes d’Arad,
et il fait une comparaison entre ces deux centres scolaires: Arad était
un centre purement roumain de culture, tandis que Beiuș était surtout
un centre catholique servant de contrepoids à l’orthodoxe Arad.
COMPTES-RENDUS 419

Une des parties les plus importantes de la présente étude est le cha­
pitre IV, où il est question de la vie ecclésiastique, religieuse et morale
au temps de l’évêque Ghérasim Raț. Il envisage successivement la conduite
et l’organisation centrale du diocèse ; il parle de l’intronisation du nou­
vel évêque et des visites canoniques de celui-ci ; du centre du diocèse,
où il nous montre comment était formé le Consistoire et de quelle ma­
nière l’évêque chercha à le consolider en s’entourant d’un groupe d’hom­
mes bien préparés. Puis il passe à l’administration externe : archiprêtres,
prêtres et diacres. Le recrutement des premiers se faisait avec soin et
selon une juste appréciation des études et de la personnalité du can­
didat. Ceux-ci une fois nommés étaient fixés pour la vie, quelquefois
la fonction se transmettait de père en fils. Le choix se portait sur le can­
didat connaissant le plus grand nombre possible de langues. L’auteur
parle en général des études que devaient faire ceux qui voulaient entrer
dans le clergé, il indique la manière suivant laquelle se faisait l’examen
d’admission qui précédait l’ordination. Il présente la situation maté­
rielle du clergé et montre que le but de ceux qui étaient à la tête du diocèse
était d’améliorer autant que possible cette situation. Comme les paroisses
étaient inégales à tous les points de vue, elles furent réparties en trois
classes et les prêtres furent nommés dans le cadre de ces trois classes
suivant leur préparation et les études qu’ils avaient faites. L’auteur
parle encore de la vieille cathédrale du diocèse qui exista jusqu’en 1861,
du monastère de Hodoș-Bodrog et de ceux qui l’ont dirigé à cette épo­
que, puis des chapelles et autres lieux de prière dont la majorité était
en bois et qui tous pour ainsi dire étaient l’œuvre de gens du peuple,
parfois même de prêtres.
Touchant la vie du clergé et des fidèles du diocèse, l’auteur relève que la
discipline dans le sein du clergé était quelque peu négligée ; c’est pour­
quoi Ghérasim Raț, dès qu’il fut monté sur le siège épiscopal, voulut
faire quelque chose dans cette direction et distingua dans le clergé quel­
ques éléments de valeur. Par malheur nous constatons à la même épo­
que un grand nombre de cas où des mesures disciplinaires sont prises
contre des membres du clergé. L’évêque désirait que le clergé eût une
vie aussi exemplaire que possible et il voulut réprimer les abus ; c’est
ce qui ressort d’une circulaire du 7 février 1839 par laquelle il obligeait
les prêtres à éviter les cabarets, les maisons mal famées, les forçait à
porter l’habit ecclésiastique, etc.
En ce qui concerne la vie séculière du peuple, il veut également y
apporter une amélioration et prend d’abord des mesures contre l’ivro­
gnerie. L’auteur termine cet important chapitre en évoquant des figures
de prêtres dignes par leur attitude d’être à l’honneur dans n’importe quel
livre d’histoire de l’église, et il souligne enfin la conscience et l’attitude
nationale et religieuse du peuple.
Dans un chapitre à part, il s’occupe du déclin mélancolique et
de la triste fin de Samuel Vulcan. Il nous présente d’abord la pro­
pagande catholique entreprise dans le Banat, où elle ne gagna d’ail­
leurs de terrain que parmi quelques éléments. Après avoir donné
une série d’exemples, il arrive à la conclusion que l’œuvre la plus
420 COMPTES-RENDUS

importante de Samuel Vulcan dans le Banat a été de semer parmi les frè­
res la désunion et tous les maux qui en ont résulté. Les dernières années
de l’évêque Vulcan furent tristes, d’abord parce que la propagande ca­
tholique commencée en 1834 avait dû être arrêtée par suite de l’oppo­
sition du département d’Arad. Le 25 décembre 1839, il mourut à l’âge
de 81 ans. Le problème de la succession se pose immédiatement, parce
que la vacance devait être aussi courte que possible afin que le mouve­
ment uniate parmi les Valaques (Roumains) se poursuivît sans inter­
ruption. C’était là en effet le souci dominant de la hiérarchie catho­
lique hongroise. En effet, pour le seul temps de la vacance, l’auteur enre­
gistre plusieurs conflits entre les agissements de la propagande catho­
lique et l’héroïque résistance orthodoxe.
Dans le dernier chapitre, l’auteur s’occupe des mouvements nationaux
dans l’église roumaine de cette époque. Il parle d’abord de Moïse Nicoară,
que le diocèse serbe envoya en exil, puis de l’instituteur Moïse Bota, de
l’activité de Diaconovici Loga et d’Alexandre Gavra. Il parle de la vie
scolaire et des difficultés qu’elle devait surmonter, il décrit l’action en­
treprise pour faire reconnaître les droits de la langue roumaine, action
en tête laquelle se trouvait l’évêque Gherasim Raț lui-même, et il con­
clut que de cette façon « on a posé les bases initiales du grand procès
national qui allait suivre: notre séparation hiérarchique d’avec les Ser­
bes ». L’auteur s’arrête un moment aussi sur la question des bourses
accordées aux étudiants pauvres du diocèse d’Arad.
Parlant de la pétition de Ciacova, présentée par les Roumains du
Banat, il dit que « la conscience roumaine de cette province se réveillait
à la lumière des nécessités de la vie roumaine, dans les cadres naturels
et traditionnels de notre orthodoxie, qui seule pouvait la protéger de
façon sincère et permanente ». Il est certain que, de l’exposé de cette
attitude collective des Roumains du Banat, on peut retenir « que l’o­
pinion publique du Banat était d’accord sur la nécessité d’ignorer les
voix mielleuses des sirènes catholicisantes et que les frictions nationales
avec les Serbes n’étaient pas un argument suffisant pour abandonner
la foi orthodoxe des aïeux ». En évitant le nouveau joug catholique,
« les Roumains de la Crișana et du Banat faisaient preuve d’une soli­
darité religieuse et d’une culture nationale qui leur faisaient honneur
et rendaient service au pays ».
Quel était le milieu culturel où vivaient ces deux évêques? Le milieu
culturel de l’évêché d’Oradea était nourri du dogme catholique uni­
versaliste, qui formait un clergé en danger de ne rien pouvoir produire
sur le terrain culturel roumain. En contraste, l’auteur nous présente
Damaschin Bojanca et Alexandre Gavra issus du centre purement rou­
main d’Arad, qui détient dès lors la primauté culturelle. Il conclut:
« Un de ces évêques faisait du catholicisme, et par lui tout ce qui était
roumain se trouvait rabaissé ou devenait un instrument au service de la
conquête des âmes, dans le dessein d’augmenter la troupe hétéroclite
des catholiques de Hongrie..., tandis que l’autre donnait au dogme or­
thodoxe l’importance traditionnelle qu’il avait toujours eue chez nous
et en faisait un moyen de résistance nationale ».
COMPTES-RENDUS 421

Dans la seconde partie de l’étude sont publiés 186 documents choisis


parmi les plus importants ; vient ensuite un bon index des noms de per­
sonnes et des noms géographiques, index qui malheureusement ne se
réfère pas à la partie documentaire de l’étude.
Gheorghe Vinulescu

Dr. IOAN LUPAȘ, Ursprung und Entwicklung der bedeutendsten kon-


fessionellen Minderheiten in Rumünien. Vortrag gehalten im Anlagege-
băude der Friedrichs-Wilhelms Universităt in Berlin am 11. Mai 1934.
Jena und Leipzig, Verlag von Wilhelm Gronau W. Agricola, 1936, 23 p.
(dans la collection « Vom Leben und Wirken der Romanen », éditée
par Ernst Gamillscheg, II, Rumănische Reihe, Heft 8).
Dans cette conférence faite à l’université de Berlin le professeur loan
Lupaș esquisse d’abord les moments les plus importants du développement
des minorités confessionnelles, en particulier de celles qui vivent sur le
territoire transylvain de la Roumanie unifiée. S’appuyant sur les résul-
tats du recensement officiel de 1930, il montre qu’environ 76% de la
.population de notre pays est formé par les Roumains orthodoxes et
seulement 24% par les diverses minorités confessionnelles, dont les élé­
ments ethniques jouissent chez nous d’une large autonomie religieuse
et scolaire.
Parmi ces minorités, il cite d’abord la minorité confessionnelle catho­
lique latine (hongroise) qui, soutenue dans le passé par les rois aposto­
liques de Hongrie et par la papauté, a réussi de loin en loin à briser le
bloc compact des Roumains orthodoxes. Néanmoins le catholicisme,
bien que reconnu autrefois en Transylvanie comme religion dominante,
est toujours resté dans cette province minorité confessionnelle: c’est
que la confession la plus importante y était et y est encore l’orthodoxe.
C’est pour cette raison, écrit l’historien hongrois Kôvâri Ladislas, que
la Transylvanie a sans cesse gravité vers l’Orient orthodoxe, à la diffé­
rence de la Hongrie qui gravitait vers l’Occident catholique. Même les
premiers efforts d’évangélisation des Hongrois païens étaient partis
autrefois de l’Orient; et au XVII-e siècle les Sicules ou Szeklers res­
pectaient encore les jeûnes de l’église orientale et leurs prêtres se ma­
riaient.
Avant d’étudier la naissance de la seconde minorité confessionnelle,
l’évangélique luthérienne, M. Lupaș analyse les abus des dirigeants de
l’église catholique en Transylvanie ; puis il décrit la manière dont le
luthéranisme a pénétré dans le pays et les rapides progrès qu’il y a faits,
surtout à l’époque de la vacance du siège épiscopal après la mort de
l’évêque Statileo. A la fin de ce chapitre il souligne le fait qu’en 1557
on pouvait parler en Transylvanie de deux minorités confessionnelles
la catholique romaine et la luthérienne évangélique.
Vient ensuite, toujours dans l’ordre chronologique, la minorité cal­
viniste, puis la minorité anti-trinitaire ou unitarienne, née des efforts
du médecin Șervet, d’Aragon, laquelle a réussi à gagner assez de terrain
en Transylvanie. Ces deux dernières confessions eurent fort à souffrir
422 COMPTES-RENDUS

et se virent même menacées dans leur existence par suite de la politique


intolérante de catholicisation entreprise par les Habsbourgs au XVIII-e
siècle.
Ainsi donc, dès la seconde moitié du XVI-e siècle, les orientations
confessionnelles étaient déjà bien définies en Transylvanie ; il ne leur
restait plus qu’à s’affermir en gagnant le plus de fidèles possible, pro­
sélytisme qui s’est exercé surtout parmi les Roumains de la province.
Mais aux tentatives de la propagande protestante comme de la propa­
gande catholique les Roumains ont été en état d’opposer une résistance
héroïque.
L’auteur montre ensuite la situation de ces confessions lorsqu’elles
ont été englobées dans la Roumanie unifiée et donne les chiffres sui­
vants: les 300.000 catholiques latins de Transylvanie ont un diocèse
partagé en 16 archidiaconats, 246 paroisses et 2.113 filiales, avec 89
professeurs, 342 instituteurs, 31 institutrices, 7 lycées, 9 gymnases de
filles, 189 écoles primaires et 2 écoles normales de filles ; à ce diocèse il
faut ajouter les diocèses de Satu-Mare et de Timișoara, qui n’ont qu’un
nombre réduit de paroisses, ainsi que la communauté des catholiques
arméniens. Il y a ensuite 230.000 luthériens saxons, sous la direction
de l’évêque de Sibiu et répartis en 10 districts ou doyennés, 250 paroisses,
25 paroisses filiales organisées et 60 non-organisées, avec 243 pasteurs
et 99 prédicants, 80 professeurs pour 5 lycées, 2 gymnases, une « école
réele » et 2 séminaires, 257 écoles primaires avec 782 instituteurs. Les
422.000 Hongrois calvinistes ont 1 évêque à Cluj, 18 archiprêtres, 539
paroisses, 548 clercs, une faculté de théologie, 7 lycées, 25 écoles primaires
confessionnelles avec 284 instituteurs ; à ces calvinistes il faut ajouter
les fidèles qui relevaient auparavant de l’évêché réformé de Debreczen.
Enfin il y a 73.000 unitariens ; ils ont un évêché (Cluj) avec 112 pa­
roisses et 59 filiales, 104 clercs, un séminaire théologique à Cluj, 2 lycées,
34 écoles primaires et 39 instituteurs confessionnels.
Des autres confessions (mahométans, baptistes, adventistes et israé-
lites mosaïques) l’auteur ne s’occupe pas, les considérant comme dé­
pourvues de racines profondes dans notre pays.
Avant de terminer, il tient à souligner le fait qu’aussi bien l’Assem-
blée nationale d’Alba-Iulia (1-er décembre 1918) que la Constitution de
1923 ont été plus généreuses envers ces confessions que la Conférence
de la Paix elle-même, laquelle n’avait octroyé qu’aux Saxons et aux
Sicules l’autonomie religieuse.
Gheorghe Vinulescu

Dr. ASZTALOS MIKLOS, Histoire des nationalités de Hongrie depuis


leur installation jusqu’à nos jours (A nemzetségek tërténete Magyarorszdgon
betelépülésüktol maig), Budapest, Lantos éd., 1934, 124 p., in-8°.

L’ouvrage de M. Asztalos a paru dans les vitrines des librairies sous la


bande : « Réponse à Barthou » ; c’est un bref essai historique sur les na­
tionalités de l’ancien royaume hongrois et qui a plutôt le caractère d’une
COMPTES-RENDUS 423

explication en famille, dans un dessein exclusivement révisionniste, que


celui d’une étude destinée à éclairer l’opinion publique et objective de
l’étranger sur l’évolution historique de la Hongrie avant la guerre. C’est
pourquoi nous pensons que la bande sous lequel s’est présenté ce volume
ne lui convenait guère.
Dans cet ouvrage, en effet, à la bibliographie copieuse et aux pré­
tentions scientifiques évidentes, M. Asztalos, loin d’apporter du nouveau,
ne fait que rééditer les vieux clichés des historiographes chauvins de la
Hongrie ; ou plutôt, il y ajoute encore d’autres invraisemblances, pour
mieux démontrer que les nationalités n’étaient nullement en droit de
revendiquer l’égalité politique dans les cadres de la vie publique de l’Etat
magyar, ou que si, après 1848, elles pouvaient dans une certaine mesure
réclamer ces droits politiques au titre de la majorité numérique et de la
justice, l’Etat hongrois leur a fait toutes les concessions possibles et dans
l’esprit le plus libéral: c’est leur ingratitude et leur entêtement à vouloir
dissoudre l’Etat national hongrois qui ont empêché toute entente entre
elles et ce dernier.
Pour démontrer cette thèse en ce qui nous concerne, nous Roumains,
l’auteur reprend la théorie périmée et cent fois contredite de notre immi­
gration en Transylvanie à partir du XH-e siècle, comme peuple alors
plus slave que latin (p. 9) ou de race indécise (p. 8) — le terme de « vlach »
que donnent les documents étant le nom générique des bergers nomades
de diverses races des Balkans (p. il) ; une fois installés sur les deux ver­
sants des Carpathes, avec une culture slavo-byzantine qui nous a empêchés
de nous magyariser (les Roumains passés au catholicisme se sont magya-
risés, au dire de l’auteur) nous nous sommes sans cesse accrus numéri­
quement, jusqu’à former au temps du désastre de Mohâcs environ 25%
et en 1721, 48% de la population de la Transylvanie. Cet accroissement
rapide de l’élément roumain dans cette province, l’auteur l’explique par
le mouvement incontrôlable d’émigration des Roumains des principautés
valaque et moldave, lesquels, en butte aux cruautés de leurs princes,
regardaient vers la Hongrie comme vers la terre promise (p. 11). Les
Roumains, bien entendu, ne purent pénétrer que comme main d’œuvre à
vil prix, dans la classe des serfs et sous la terreur du clergé orthodoxe
arriéré (p. 12), de sorte que les Hongrois durent les contraindre à une vie
rurale stable et organisée (p. 12). Cette théorie hongroise trop connue
sur l’origine des Roumains et sur l’état social en Transylvanie ne mérite
pas la discussion scientifique : elle n’est qu’un écho de la doctrine surannée
de Iancsó Benedek, qui étend la théorie de notre immigration des Princi­
pautés en Transylvanie sur le XVIII-e siècle tout entier (p. 34). Or toute
l’œuvre de Iancsó, au témoignage de l’écrivain hongrois Kemény Gâbor,
se fonde non sur la raison mais sur le sentiment: « son émotivité alimente
son labeur mais, d’autre part, elle obscurcit son jugement »1).
Cette immigration massive de Roumains en Transylvanie n’est con­
firmée par aucun document. Assurément, pour les bergers roumains de la

’) Kemény Gâbor: A mennyetiségi kérdés Magyarorszdgon 1867—1919 ig,


« Szâzadunk », VIII, No. 1—2, janvier-février 1933, p. 18.
424 COMPTES-RENDUS

zone frontière, les Carpathes n’ont jamais constitué un obstacle et chaque


année ils les franchissaient dans un sens et dans l’autre, selon le rythme
saisonnier de la transhumance ; mais il semble bien que M. Asztalos ne
fait aucune différence entre ce dernier phénomène, qui ne provoque ni
accroissement ni diminution durables de la population, et les mouvements
de migration proprement dite. Or les documents prouvent juste le con­
traire de la thèse de M. Asztalos: la migration s’est produite à l’inverse, de
Transylvanie, où régnait la plus cruelle oppression sociale, dans les Prin­
cipautés roumaines au-delà des Carpathes, et cela précisément surtout
au XVIII-e siècle; et même les témoignages sont nombreux des mesures
prises par les organes administratifs autrichiens pour arrêter cet exode,
fût-ce par la force x).
Les Roumains des Principautés pouvaient-ils regarder la Hongrie des
féodaux et des serfs comme une terre promise? Mais la jacquerie de 1437,
et la sanglante rébellion des serfs en 1514, comme celles de 1707, de 1748,
et la terrible révolte des paysans roumains avec Horia, Cloșca et Crișan
en 1784, dont M. Asztalos oublie de parler, démontrent tout justement le
contraire, à savoir que la Transylvanie était un véritable enfer social.
Mais notre auteur avait besoin de sa théorie pour prouver que la thèse
de la continuité daco-roumaine en Transylvanie (les exagérations qui
mettent l’accent sur la romanité pure et simple sont condamnées par
l’historiographie roumaine elle-même) et son corollaire politique, l’idée
du royaume daco-roumain, sont dépourvus de tout fondement, n’étant
qu’un produit artificiel de l’école littéraire de la fin du XVIII-e siècle,
devenu comme le testament politique de l’irrédentisme roumain de Tran­
sylvanie et de Hongrie. L’auteur omet volontairement les témoignages
littéraires des XVI-e et XVII-e siècles sur notre conscience nationale,
qui, après la belle lutte politique menée par l’évêque Micu en 1744 * 2),
était parvenue à se manifester si énergiquement par ses revendications:
les unes d’ordre politique, d’autres touchant le droit d’user de la langue
nationale, comme il ressort du Supplex libellus VaJachorum, et cela à
une époque où, de l’aveu de l’auteur, « à la diète de 1790—1791 le problème
de la langue hongroise n’était encore discuté que sous une forme embryon­
naire » (p. 29).
Toutes ces manifestations sociales, politiques et culturelles des Rou­
mains jusqu’à la fin du XVIII-e siècle montrent clairement combien est
tendancieuse l’affirmation de l’auteur que, dans la situation d’égalité
assurée par la constitution transylvaine aux « trois nations » (hongroise,
saxonne et sicule) et aux quatre religions (réformée, luthérienne, unita-
rienne et catholique de rite latin) « le peuple roumain, n’ayant pas été
appelé en Transylvanie, ne pouvait trouver place ni au titre religieux ni
comme nation » et que, « si malgré tout il a supporté sans mot dire un tel
sort pendant des siècles, cela ne s’explique que par son infériorité cultu­
relle » (p. 35). De telles assertions, cyniques et mensongères, sont bien

’) Nous avons donné quelques-unes de ces mesures dans notre recension


de l’ouvrage de M. Velani Dionisi (Revue de Transylvanie, I, 243—244).
2) Présentée par M. Asztalos sous l’angle de la théorie en question (p. 36).
COMPTES-RENDUS 425

les symptômes morbides d’une mentalité qui ne pouvait conduire la Hon­


grie qu’à l’effondrement de Trianon.
Toutefois, il est un fait que M. Asztalos doit reconnaître comme réel:
c’est qu’en 1794, sur un total de 1.300.000 habitants en Transylvanie, il y
avait 800.000 Roumains. Mais à partir de cette date, ajoute l’auteur,
« l’accroissement rapide des Roumains est terminé, ce qui ne peut s’ex­
pliquer que par un arrêt de l’immigration, résultant d’une amélioration
de l’état de choses en Roumanie ». Or, abstraction faite du cynisme de
l’explication, l’auteur ne devrait pas ignorer un fait élémentaire que con­
naît tout élève sur les bancs de la petite classe: en 1794 il n’existait pas
encore de royaume de Roumanie ; il n’y avait, comme formations politi­
ques roumaines, que les principautés de Moldavie et de Valachie, dont
la situation n’était ni meilleure ni pire qu’au début du même siècle. Si
l’auteur avait été de bonne foi dans l’explication de ce cas démographique
assurément curieux, il aurait tenu compte du fait qu’à cette date la lutte
avait déjà commencé pour la substitution de la langue magyare à la
langue latine comme langue de l’Etat et que l’esprit hongrois affirmait de
plus en plus ses tendances impérialistes au détriment des autres nationa­
lités. La révolte de Horia, le Supplex libellus Valachorum avaient fini par
éveiller les Hongrois à la conscience de l’importance de l’élément roumain
en Transylvanie ; dès lors les générations succesives de Hongrois apprirent
peu à peu la pratique où ils sont enfin passés maîtres, celle de rectifications
patriotiques compensées dans les statistiques démographiques ; et quand
ces modifications né suffirent plus, alors ce fut le déchaînement de la
magyarisation forcée, par l’église, par l’école, par les exigences imposées
aux professions libérales, etc.
Ce régime, qui a duré pendant tout le siècle passé et jusqu’à la paix
de Trianon, l’auteur, en dépit de ses efforts ne parvient pas à le justifier
du point de vue hongrois. Sans avoir de point de vue personnel, M. Asztalos
critique tous les courants politiques hongrois, reprochant aux gouverne­
ments d’hier de n’avoir pas eu une politique des nationalités conséquente
et qui ait su imposer solidement l’idée d’Etat hongrois. Le cadre restreint
de ce compte-rendu ne nous permet pas de nous occuper en détail de la
politique des gouvernements magyars à l’égard des nationalités ; mais
de la présente étude de M. Asztalos ainsi que de celle de M. Komis Gyula 1)
et de l’intéressant article de M. Kemény Gâbor 12) nous détacherons quel­
ques traits caractéristiques de l’état d’esprit des anciens gouvernants
hongrois.
A dater du déclenchement de la lutte pour l’introduction du hongrois
comme langue officielle et langue de culture d’un empire national, c’est-
à-dire à dater de la fin du XVIII-e et du début du XlX-e siècle, les Hon­
grois se sont jetés dans une aventure nationale dont les suites ont été
prévues avec une lucidité remarquable par le palatin Joseph: en 1825, à
la demande présentée par les jeunes gens groupés dans l’association de la
« Jeune-Hongrie » (Ifiju Magyarorszàg), celui-ci fit la réponse suivante:

1) A magyar müvelodés eszményei 1777—1848, vol. I—II. Budapest, 1927.


2) Op. cit.
426 COMPTES-RENDUS

«Jeunes gens, vous organisez dans tout le pays des associations: dans
quel dessein? Pour changer les vieilles choses? Vous n’êtes pas les seuls.
Carbonari, chartistes, francs-maçons, jacobins s’efforcent tous vers le
même but. Il existe un « Jung-Deutschland » de même qu’il existe une
«Giovine Italia»: votre « Ifiju Magyaroszâg » n’en est que l’écho. Il se
peut que tous les autres aient raison. Mais la Hongrie, pourquoi veut-elle
se rajeunir? Les rénovateurs des pays étrangers, nous pouvons les com­
prendre, leur but est clair: en éveillant la conscience nationale, forger une
fois pour toutes l’unité d’un pays aujourd’hui réduit en morceaux. Peut-
être atteindront-ils leur but. Mais le même but la Hongrie l’atteindra-t-elle,
si nous éveillons la conscience nationale endormie? Un autre sort qu’aux
autres peuples lui est réservé : le démembrement, en ses éléments composants,
d’un pays formé de parties hétérogènes. Regardez la carte du territoire :
comptez les comitats qui formeront le pays que vous rêvez, dessinez-lui ses
frontières et redoutez l’avenir que vous voulez lui forger. Prenez ensuite la
statistique et demandez-vous ce qu’il reste, ôté 9 de 14. Ce pays vivra
aussi longtemps qu’il dormira. Malheur à celui qui le tirera de son sommeil !
Nous sommes un coin de paradis au milieu de l’Europe. Nous existe­
rons aussi longtemps que nous ne suivrons pas ses modes. Nos qualités
et nos privilèges rendent tout le monde égal ici, à l’intérieur. Le bien est
le bien pour tous, le mal est le mal pour tous, ici, à l’intérieur du pays.
Il n’existe pas de rivalité. La noblesse domine. Nous avons une seule
langue, qui ne protège personne mais qui ne provoque pas non plus.
C’est une langue classique: le latin. C’est la langue des lois, de la justice,
de l’école, de la liturgie, des facultés. A côté d’elle nos institutions nobiliaires
nous assurent la suprématie nationale. Sur le sol français, allemand,
italien la démocratie va produire une nation française, allemande, italienne :
sur le sol hongrois la démocratie formera de nouvelles nations étrangères et
nous engloutira. Et quels sujets de mécontentement le peuple a-t-il chez
nous ? L’impôt est faible ; sa terre est bonne. Les moeurs de ses ancêtres et
sa rude simplicité le gardent de la plaie des mauvaises mœurs de l’étranger.
Il est pauvre, mais il n’a pas de dettes. Son niveau n’est guère élevé:
il n’en tombera pas. Il ne se bat pas pour des lauriers, mais il n’est pas
vaincu. Il dort, mais il vit. Et vous voulez l’éveiller? Enfants que vous
êtes ! » x).
Tel est le dramatique tableau ■—■ ethnique, politique et spirituel —
d’un état médiéval de création artificielle que les historiens hongrois
s’entêtent à présenter aujourd’hui encore comme ayant été un état na­
tional et magyar — un état qui, par son caractère féodal, ôtait le droit
de vivre à neuf millions d’individus appartenant aux nationalités, au
profit exclusif d’une noblesse recrutée dans les rangs des cinq millions de
Hongrois. « Si la vieille constitution féodale hongroise s’effondre, écrit M.
Komis, et avec elle la domination de la noblesse en grande majorité
hongroise, la masse des nationalités délivrées par le principe de la liberté
et de la démocratie menacera aussitôt d’oppression et de démembrement

1) Komis Gyula: Op. cit., t. II, pp. 211—212. (Les passages soulignés le sont
dans le texte original. N. a.).
COMPTES-RENDUS 427

l’Etat hongrois. Le progrès au sens strict de l’Europe occidentale signifie


la mort de la Hongrie»1).
Mais ce progrès ne pouvait être arrêté. L’idée démocratique et natio­
nale, caractéristique des mouvements politiques et sociaux des Roumains
transylvains, s’est emparée à leur tour des jeunes générations magyares;
•celles-ci, sous la direction de Kossuth, partant de la préoccupation immé­
diate de délivrer le royaume hongrois de la domination autrichienne, ont
mis les idées d’égalité sociale et de liberté nationale au service d’une
chimère, celle de l’état national intégralement magyar, foulant ainsi
aux pieds les majorités ethniques étrangères et ne leur réservant des droits
politiques que dans la mesure où elles renonceraient à leur ethnicité et
s’accommoderaient de l’idée d’Etat adaptée à l’usage et au profit de la
minorité hongroise. Des généraux principes de liberté et d’égalité les
Hongrois avaient ainsi forgé l’arme de l’impérialisme magyar et chauvin
imposé par la force.
C’est contre cet impérialisme que les Roumains se sont soulevés en
1848 ; c’est à cause de cette chimère que nous n’avons pu unir nos armes
à celles de Kossuth; c’est en raison de ce chauvinisme aveugle que le
grand idéologue de la révolution roumaine, Nicolas Bălcescu, qui avait
commencé par négocier notre réconciliation avec Kossuth, a dû finir par
avouer, dans une lettre adressée au polonais Zamoysky, que « l’idée de
l’état magyar historiquement et politiquement unitaire équivaut à vrai
dire au suicide de la race hongroise » 1 2).
Cette chimère impérialiste a continué de hanter les Hongrois même
après la révolution de 1848 ; c’est elle qui les a déterminés à repousser les
décisions de la diète de Sibiu (1863—1865) qui reconnaissaient l’égalité
politique aux Roumains: guettant alors la défaite autrichienne, qui se
produisit à Sadowa et à Kœniggraetz, ils s’apprêtaient à imposer le dua­
lisme austro-hongrois qui leur laisserait les mains libres dans leur œuvre
d’étranglement de nationalités plus nombreuses que l’élément hongrois. M.
Asztalos souligne et donne comme preuve du libéralisme hongrois la Loi
des Nationalités de 1868, qu’il déclare « la plus équitable de toutes celles
qu’on pouvait prétendre de cette époque». Et il ajoute que «le peuple
hongrois, par la loi des nationalités, a élevé les nationalités à son niveau
et a ouvert toute grande la voie à leurs efforts culturels. Ce don gracieux,
écrit-il encore, n’a pourtant pas été suffisant pour servir de base à une
collaboration avec les nationalités du royaume»3). Laissons de côté la
générosité assez cynique de M. Asztalos ; il reste sa mauvaise foi, qu’ac­
cuse le fait qu’il sait fort bien que cette loi n’a jamais été appliquée,
puisque vingt pages plus loin il cite l’opinion de Kristoffy sur la façon dont
l’archiduc François-Ferdinand concevait le réorganisation de la monarchie :
celui-ci préconisait —- un demi-siècle après le vote de la loi — le droit de vote
universel et simultanément l’application de la loi des nationalités 4).

1) Ibidem, p. 211.
2) Asztalos M.: Op. cit., p. 61.
3) Op. vit., p. 63.
4) Ibidem, p. 84.
428 COMPTES-RENDUS

En ce qui concerne l’effet culturel de la non-application de cette loi


et de l’application, au contraire, des trop fameuses lois scolaires du comte
Apponyi (1907) dont le chauvinisme aboutissait à la suppression de 800
écoles primaires roumaines — lois auxquelles M. Asztalos ne trouve qu’un
tort, celui « d’être arrivées un demi-siècle trop tard » ]) — nous avons le
précieux témoignage du Hongrois Braun Robert : « la plus faible nationa­
lité autrichienne (les Slovènes), dit-il en 1917, constitue une plus grosse
difficulté au point de vue culturel que la plus grande nationalité magyare
(les Roumains). Et pourtant les nationalités magyares représentent une
force relativement plus grande que les Slovènes ou les Tchèques en com­
paraison de la culture impériale allemande » *2). Tel est donc le niveau de la
culture hongroise, et c’est à ce niveau que nous contraignaient à nous
ravaler les généreuses lois hongroises !
Mais les erreurs volontaires de M. Asztalos sont infinies, comme la
passion qui les inspire, dans le travail dont nous nous occupons. Traitant
du mouvement « mémorandiste » des années 1890—1894, il déclare que
les affirmations que contenait la pétition adressée par les Roumains au
souverain étaient de simples « calomnies ». En fait, dans cette pétition, les
Roumains dévoilaient au monarque des réalités politiques et culturelles :
ils montraient par exemple, dans l’ordre de l’exercice des droits politiques,
qu’on nous imposait en Transylvanie, de façon spéciale, une loi électorale
aux principes si rétrogrades et si injustes que, pour l’élection d’un député,
50.000 Roumains ne valaient pas plus que 4 ou 5.000 Sicules. L’auteur
passe de même sous silence d’autres « détails » et, après avoir traité nos
accusations de calomnieuses, il s’exclame (page 76): « Il est curieux qu’à
côté de la forte proportion des nationalités le nombre de leurs députés ait
été aussi faible en 1906. Mais il faut savoir que, d’une part, tantôt l’une,
tantôt une autre tombait dans un état de passivité, et que d’autre part
leurs circonscriptions, lors d’élections vénales, étant les plus faciles à
acheter et à accommoder, envoyaient au parlement une foule de députés
gouvernementaux » 3).
Elles sont encore trop récentes dans le souvenir des générations actuel­
les, les sanglantes élections opérées par les gendarmes magyars, pour qu’il
soit nécessaire de souligner la mauvaise foi de l’auteur: si M. Asztalos
avait pris part comme Roumain à ces élections, il aurait risqué de ne
jamais voir le jour où il a écrit de si audacieuses contre-vérités. Il est vrai
qu’on ne saurait exiger de lui plus d’objectivité, car c’est un adepte des
principes de ce Bânffy qui disait: « Si la Hongrie veut vivre, elle doit
devenir magyare, nationale et unitaire et, avec ses tendances magyarisa-
trices, s’élever contre toutes les aspirations occultes ou déclarées qui, sous
prétexte de revendications nationales, sont dirigées contre la consolidation
de l’unité nationale hongroise et, secrètement ou franchement, gravitent
en dehors des frontières »4). C’est ainsi que les gouvernants hongrois

’) Ibidem, p. 74.
2) Kemény Gy.: Op. cit., p. 22.
3) Op. cit., p. 88.
4) Ibid., p. 88.
COMPTES-RENDUS 429

comprenaient le problème des minorités. C’est le même état d’esprit que


révèle le livre de M. Asztalos, lequel, après l’âpre réquisitoire qu’il dresse
contre les gouvernements hongrois d’avant-guerre, s’écrie en manière de
conclusion: « Hélas ! non seulement notre politique à l’égard des minorités
a été indécise, mais nous avons aussi négligé totalement la politique pré­
ventive nationale: le renforcement de l’élément hongrois dans les terri­
toires menacés par les nationalités. Si les fautes de notre politique envers
les nationalités peuvent s’excuser par des circonstances intérieures et
extérieures, en échange, pour avoir négligé la politique préventive natio­
nale, les politiciens de l’époque dualiste seront sévèrement condamnés
par l’historien du pays démembré...» (p. 85).
M. Asztalos est injuste pour ses devanciers. Rassurons-le : comme
le prouvent les lois Apponyi, l’ouvrage de Huszâr -1) et l’ordonnance mi­
nistérielle No. 4000/1917, ils ont fait leur devoir patriotique en imaginant
les moyens les plus monstrueux pour détruire les nationalités. Seulement
l’histoire, qui n’est que la vie elle-même dans le développement des lois
naturelles, a emporté la chimère du royaume national magyar de la cou­
ronne de saint Etienne.
I. Moga

) Voir « Revue de Transylvanie », tome I, pp. 61—72.


NOS MORTS

L’ÉVÊQUE ROMAN CIOROGARIU


Le très regretté Roman Ciorogariu, qui descendait pat sa mère
du fameux Moïse Nicoarâ, le courageux champion de l’indépen­
dance religieuse des Roumains de la frontière occidentale, semblait
avoir hérité de son ancêtre ce caractère combatif qui est resté la
note fondamentale de toute son activité publique.
Il a été un combattant dans un triple sens du mot: pour la foi,
pour la lumière et pour la justice.
Dans le saint combat pour la foi, l’idéal qui l’a guidé était la
restauration de notre unité spirituelle sur les assises de l’orthodoxie
traditionnelle: il était convaincu en effet que celle-ci, par son passé
de glorieux sacrifices, s’était si bien confondue avec l’âme même
de la nation qu’il était impossible de concevoir l’une sans l’autre.
Dans son combat pour la lumière il s’est efforcé de former, en
qualité d’ancien professeur et de directeur du séminaire théologique
et pédagogique d’Arad, toute une phalange de serviteurs de l’autel
et d’instituteurs bien préparés pour les écoles chrétiennes orthodoxes
qui se trouvaient protégées par l’autonomie religieuse, celle-ci étant
garantie à son tour par les dispositions du Statut organique de ce
remarquable législateur qu’a été André Șaguna.
Enfin, comme champion de la justice, l’évêque Roman a manié
de façon exemplaire la plume de publiciste, défendant sans cesse
les droits d’un peuple opprimé, le réconfortant et entretenant en lui
l’espérance en une prochaine revanche de la justice. Ses articles
de la Tribune d’Arad étaient très appréciés; entre autres celui qu’il
intitula Cheia delà Xilokerkos « la Clef de Xilokerkos », paru au
cours de l’été 1908 et dont l’objet était de dégager les conséquences
néfastes de la séparation religieuse entre frères, demeurera comme
NOS MORTS 431

un fleuron impérissable de la prose roumaine au début du XX-e


siècle.
Mais ce n’est pas seulement par sa parole ou ses écrits que R. Cio-
rogariu en imposait, c’est surtout par son attitude virile. Après l’en­
trée de la Roumanie dans la guerre aux côtés des Alliés, pendant le
tercible hiver de 1917, quand on extorquait à nos évêques et à nos
intellectuels des signatures en faveur d’une déclaration mensongère
présentant les Roumains d’entre Carpathes et Tissa comme adver­
saires de leur propre libération et désireux de rester à jamais sous
le joug de la « sainte couronne hongroise », les Magyars ne parvin­
rent jamais à la lui faire signer, en dépit de toutes leurs menaces:
« que je périsse plutôt, répondait courageusement Ciorogariu, si
la Roumanie doit périr ! » C’est ainsi que le comte Etienne Tisza
dut renoncer à la satisfaction de voir la dite déclaration appuyée
d’une telle signature; les regrettés Vasile Goldiș, Valére Branisce
et deux ou trois autres chefs des Roumains transylvains refusèrent
de même de se laisser convaincre de mettre leur nom au bas d’une
déclaration aussi humiliante.
Par deux fois Roman Ciorogariu était revenu « du seuil de la
mort », comme il avait lui-même coutume de le dire. Une première
fois au printemps 1915, quand les bolchevistes de Béla Kun l’avaient
condamné à mort: le lendemain, l’entrée victorieuse des troupes
roumaines dans la capitale du Bihor le rendait à son peuple, lequel
était en droit d’attendre encore de nombreux services de sa sagesse
éprouvée. La seconde fois, ce fut vers la fin de l’année 1920, lorsque
l’attentat du juif Goldberg au Sénat de Bucarest lui brisa le bras
droit: l’évêque roumain endura alors de cruelles souffrances mais,
en vrai martyr, il ne se départit pas un instant de son courage.
Si dès lors sa main droite, celle qui bénissait, ne put plus con­
tinuer le bon combat de la croix et de la plume, ce fut la gauche
qui la remplaça valeureusement. Ses mandements et instructions
pastorales à l’occasion de diverses fêtes religieuses étaient lus pieu­
sement par les prêtres et respecteusement écoutés par les cen­
taines de milliers de fidèles du diocèse d’Oradea ; et ses articles
lumineux de direction culturelle et politique trouvaient le même
puissant écho.
Vers la fin de sa vie et de son gouvernement pastoral il était
profondément inquiet au sujet de sa propre succession dans la
chaire épiscopale d’Oradea, surtout après que son vicaire affectionné
Andrei Crișanul eut été élu, avec enthousiasme, évêque d’Arad.

h
432 NOS MORTS

Auprès du cercueil de l’évêque Roman endormi dans la paix


du Seigneur, tous ceux qui doivent prendre part à l’élection de
son successeur ont fait le serment de veiller à ce que sa crosse épis­
copale ne soit remise qu’entre les mains les plus dignes de la porter
par leur piété et que celui qui doit s’asseoir sur son siège encore
vacant offre les plus hautes garanties que le dur combat pour la
victoire de l’orthodoxie et de la civilisation roumaine soit poursuivi
sans défaillance sur cette frontière occidentale à jamais immuable.
1. L.

UN HOMME D’ACTION : L’ÉVÊQUE NICOLAS IVAN

Quand l’évêque Nicolas Ivan a été fêté l’été dernier à Cluj,


il a rappelé quelques souvenirs sur ses parents, paysans du village
d’Aciliu (dép. de Sibiu), donnant ainsi de précieuses indications sur
les qualités morales qu’ils lui ont transmises.
Son père, Jean Ivan, fils de paysan serf, avait suivi l’école de
garde-frontières d’Orlat avant 1848; après cette année d’émancipa­
tion, en sa qualité d’homme sachant lire, il fut élu et il resta maire
de la commune d’Aciliu 15 ou 16 années de suite. Ceux qui
connaissent les habitants d’Aciliu et leur caractère âpre et
vif, comprendront combien le paysan Jean Ivan a dû être doué
de qualités exceptionnelles pour pouvoir se maintenir si longtemps
à la tête de son village natal. De ses qualités morales il a transmis
une partie importante à son fils Nicolas, devenu évêque de Vad,
Feleac et Cluj.
Tout aussi précieux sont les souvenirs sur l’habileté, l’énergie
et la spontanéité de sa mère Marie, femme qui dans une circons­
tance très difficile de la vie de son mari, a donné des preuves d’une
habileté et d’un courage admirables. Avec le courage et la sponta­
néité de sa mère l’évêque Ivan a hérité d’un héritage de grand
prix ; il a hérité de même des qualités morales de son père.
L’évêque décédé a conservé jusqu’à l’extrême vieillesse l’un de ses
portraits du temps où il était étudiant en théologie à Sibiu. Ce por­
trait qui nous le montre à côté de ses parents, Jean et Marie Ivan,
est un document inappréciable, preuve tangible, de la richesse
morale de notre paysan qui peut donner naissance à un héritier
doué pour n’importe quelle carrière.
NOS MORTS 433

Bien qu’ils fussent de situation assez aisée, dès que leur fils
Nicolas eut terminé l’école primaire de Saliste, craignant les dé­
penses, ils ne lui ont pas laissé faire ses études secondaires
au lycée de Sibiu où leur fils aîné Jean avait terminé ses classes
pour devenir plus tard notaire à Gura Riului (le notaire Scurtu
des « Esquisses » de Virgile Onițiu) et ils l’ont envoyé se familia­
riser avec le commerce dans le magasin de Matei Gligor à Sibiu.
Un an il est resté là, comme un oiseau en cage, mais il est enfin
parvenu à fléchir ses parents et à suivre lui aussi les 8 classes du
lycée pour s’inscrire, après les avoir terminées, au cours de
théologie du séminaire Andreian.
Nicolas Ivan s’est affirmé comme homme de devoir, comme
ami du progrès et comme Roumain d’une incontestable dignité au
cours d’une activité publique d’un demi siècle et plus. Il commença
sa carrière comme instituteur à Săliște pour la continuer ensuite
comme aumônier au pénitencier d’Ajud, comme protopope à Alba
Julia et Orăstie, comme rédacteur du «Télégraphe roumain»,
comme assesseur au consistoire, comme professeur de religion au
lycée d’Ëtat de Sibiu et la finir comme titulaire de l’évêché
d’Etienne le Grand enfin reconstitué. Il n’a jamais manqué à son
devoir, à lutter et à se sacrifier pour les intérêts publics auxquels il
a toujours subordonné ses intérêts particuliers.
Sa qualité principale a été son irrésistible penchant pour les
faits, sa soif inassouvie de créations, d’où sont sorties de nombreuses
initiatives et des réalisations qui perpétueront son nom tant parmi les
fidèles de l’archevêché de Sibiu que parmi ceux du diocèse de Cluj.
Ce fut une heure bénie et pleine de conséquences heureuses
que celle où arriva à Cluj, venant de Sibiu, l’assesseur Nicolas
Ivan, au cours de l’été 1919. Lui qui n’était venu qu’avec une
liasse d’actes administratifs, une table et deux chaises, il a réussi à
restaurer et à organiser avec une rapidité inouïe l’évêché orthodoxe
d’autrefois qui avait été emporté dans la tempête des premières
décades du 17-e siècle.
Le nombre des créations solides de ces 16 années de travail
intelligent et plein d’entrain est la preuve que dans les circons­
tances d’alors l’homme le plus indiqué pour conduire cet évêché
ressuscité des cendres du passé ne pouvait être autre que cet
homme d’action : Nicolas Ivan.
Il a su remplir au mieux cette mission historique et au cours
de son activité il ne s’est jamais arrêté à mi-chemin.

il*
434 NOS MORTS

La reconnaissance du clergé et du peuple fidèle n’a pas tardé


à souligner, à l’occasion de la consécration de la cathédrale or­
thodoxe de Cluj, cette activité plus riche en fruits durables que
n’importe quelle autre en Roumanie.
Mais mieux que de cette reconnaissance l’âme de l’octogénaire
infatigable attendait sa récompense de Celui qu’il n’avait cessé
de servir tel l’homme de l’Evangile qui a creusé profondément et
jeté les fondations de sa maison sur la pierre et quand les eaux
ont débordé, leurs vagues viennent se briser contre cette maison
mais ne peuvent l’ébrànler.
Sur le roc de la croyance orthodoxe l’évêque Nicolas Ivan
a bâti d’autres autels dans des villages et dans de nombreux cen­
tres urbains où l’église orthodoxe n’était autrefois tolérée qu’à la
périphérie. Ces autels dureront des siècles: quelles que soient les
tourmentes, les vagues de l’adversité ne pourront pas les ébranler.
Nous avons la promesse du Sauveur que ce qui est bâti sur la
pierre de la foi ne peut être détruit même par les portes de l’enfer.
Dans cette foi en la promesse divine l’âme de l’évêque de
Cluj a eu sa récompense suprême pour toutes les fatigues consacrées
depuis la jeunesse jusqu’à l’extrême vieillesse à l’église et à la na­
tion roumaines.
Il eut été en droit de prononcer dans les derniers moments de
sa vie terrestre les paroles de l’apôtre Paul «j’ai combattu, j’ai
gardé la foi et le temps s’est accompli ». Les grandes souffrances
corporelles l’ont empêché toutefois de les prononcer. Les dernières
paroles qui ont pu franchir ses lèvres au début de son agonie de
trois jours ont été: «Mère, mère, aide-moi à mourir!».
Il est difficile de séparer l’évêque Nicolas Ivan de la vie
roumaine, dont il a réussi à augmenter de façon considérable les
établissements religieux, culturels et économiques: il en ressentait
les insuffisances et il témoignait d’une intelligence remarquable
en vue de leur perfectionnement.
Depuis 1918 personne mieux que l’évêque Nicolas Ivan n’a
contribué a donner à Cluj un aspect plus profondément roumain.
Les paroles prononcées le jour de son enterrement ont souligné à
juste titre sa part dans la transformation de l’aspect architec­
tonique de Cluj. Par de nombreuses institutions religieuses et
culturelles appelées à la vie par ce grand évêque, il s’est élevé
dans le jugement des générations actuelles et futures au rang
d’un des plus importants représentants de la foi et de la culture
NOS MORTS 435

nationales. Il ne s’était pas habitué à l’idée que sa vie de lutte


fût terminée à 80 ans. Il voyait attristé toutes les misères de la
vie roumaine dans les villages du nord et de l’est de la patrie et
tout particulièrement dans les villes restées étrangères et par lesquel­
les saignent comme par des plaies béantes l’organisme de ce pays.
Ce n’est pas suffisant, écrivait l’évêque Nicolas dans un article
publié dans le Parlement roumain d’avril 1935, que j’aie réussi
à élever quelques églises monumentales dans ce centre urbain:
elles restent en péril tant que e commerce et l’industrie se trou­
veront comme en 1918, aux mains étrangères qui nous exploi­
tent. L’élément étranger progresse et s’enrichit de jour en jour,
tandis que les pauvres Roumains dès le début de la crise finan­
cière sont allés à reculons, comme s’ils étaient entrés sons le signe
du cancer......
Profondément affligé il couche sur le papier cette triste cons­
tatation, indiquant en même temps les moyens pratiques pour
remédier au plus tôt à un tel état de choses. C’était la dernière
alarme publique de l’évêque octogénaire. Quoiqu’il ait indiqué un
programme sur lequel les dirigeants de la Roumanie devront revenir,
les conseils de l’évêque Ivan ont résonné pour le moment comme
la voix de celui qui crie dans le désert, et c’est le même sort qu’a eu
la lettre adressée au Conseil économique réuni à Cluj en novembre
1935. De son tempérament rude, porté aux faits dans l’intérêt du
bien public, est sorti le désir exprimé. Dans les termes suivants
du préambule à son testament (par lequel il donne tout ce qu’il
possède à des fondations dont le revenu annuel sera versé comme
aide aux étudiants en théologie et aux élèves éminents d’autres
écoles) il dit:
« Après m’être efforcé de servir l’église et la nation, avec la vo­
lonté de Dieu jusqu’à l’âge de 80 ans passés, dans différentes fonc­
tions, en commençant par celle d’instituteur de l’école orthodoxe-
roumaine de Săliște et en terminant par celle d’évêque du diocèse
ressuscité d’Etienne le Grand, sentant que mes forces corporelles di­
minuent de jour en jour et que la fin de ma vie terrestre approche,
je tiens à remplir en parfaite conscience mon devoir d’évêque
en indiquant dans ce testament quelle est ma dernière volonté,
quelles sont les dispositions qui doivent être prises de la part des
administrateurs de l’évêché après ma mort et que je désire qu’après
qu’on aura placé mes restes terrestres dans un lieu de repos, je
puisse rester en esprit avec le troupeau qui m’a été confié et
436 NOS MORTS

pour le bien duquel j’ai lutté sans cesse et à chaque heure du matin
au soir».
Le bien de l’évêque Ivan s’est trouvé relativement modeste,
car il n’était pas habitué à courir après des revenus dits
« stolare » ni à encaisser des taxes pour la bénédiction des églises
ou des prêtres. Il comprenait cependant qu’il devait représenter
l’église dominante dans le centre le plus difficile de Roumanie avec
toute la dignité d’un prince de l’église. Pour concilier de nombreuses
obligations pécuniaires avec sa dignité d’évêque, il n’économisait
pas, évitant de glisser sur la pente de l’avarice condamnable chez
tous les mortels et d’autant plus chez un haut représentant de
l’église.
Ce n’est pas d’après la somme d’argent qu’il sera jugé main­
tenant et dans l’avenir mais sur l’importance de ses fondations
et selon l’idée chrétienne d’où est sorti le désir de l’évêque octo­
génaire de rester en esprit avec son troupeau même après que
ses restes mortels auront été ensevelis dans le secret du tombeau.
Cette dernière volonté de l’évêque, les exécuteurs testamentaires
avec tous les membres du conseil de l’évêché ont le devoir de la
respecter dans les conditions les plus satisfaisantes. Il est à désirer
que la crosse tombée de la main de l’évêque Nicolas de Cluj, homme
puissant en actes et en paroles, ne soit confiée qu’à un homme doué
du même trésor spirituel de foi active et constante, décidé à
travailler sans cesse et à consacrer sa vie entière au service de
l’église et des fidèles.

I. LUPAȘ

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