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1/10/2019 Les communistes espagnols : les années difficiles (1947-1956)

Cahiers de civilisation
espagnole contemporaine
De 1808 au temps présent

2 | 2015 :
De la structure à la « fine pointe »
Histoire politique

Les communistes espagnols : les


années difficiles (1947-1956)
Los comunistas españoles en tiempos difíciles (1947-1956)

S B

Résumés
Français English Español
À travers quelques documents relatifs aux années de clandestinité du , en particulier à travers
un certain nombre de rapports rédigés à l’occasion d’assemblées de militants, de congrès ou de
conférences, nous tenterons de comprendre l’image que le parti souhaitait donner de lui-même,
de sa force, de son organisation, de ses progrès et de son action, avec une préoccupation
essentielle : exister et se renouveler. Le Parti Communiste d'Espagne ne comptait qu’un petit
nombre de militants au moment de sa fondation, et il n’est devenu un parti de masses que dans
des circonstances bien particulières pendant la guerre civile. Il s’est donc formé comme parti
militarisé, disposant d’une maigre expérience politique et d’une organisation sans grande
histoire. Le passage à la construction d’un parti démocratique ne se fera qu’à partir de la toute fin
des années soixante. Entretemps, il fut soumis à l’épreuve de la clandestinité, à une intense
répression, mais l’ennemi le plus féroce était le temps, le long temps de l’usure des
enthousiasmes.

Through documents pertaining to the underground years of the Communist Party of Spain
(Partido Comunista de España, ), particularly reports written in connection with meetings of
activists, congresses or conferences, we’ll attempt to understand the image that the wanted to
project - an image of strength, organization, progress and action. The party’s effort to construct
and project an image of itself was motivated by a vital concern: to exist and reinvent itself. At the
time of its founding, the had very few activists; it became a mass membership party under the
exceptional circumstances of the Civil War. The party grew into a militarized organization, with
very limited political experience and without a long history. The construction of a democratic
party did not begin until the very end of the 1960s. Meanwhile, the party underwent the ordeal of
surviving its underground status and an intense repression. Its most dangerous enemy, however,
was the passing of time, which was eroding members’ enthusiasm.

Analizando algunos documentos relativos a los años de clandestinidad del , particularmente


algunos informes redactados con motivo de asambleas de militantes o conferencias, se intenta
entender la imagen que deseaba difundir el partido de sí mismo, de su fuerza, organización,
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progresos y acción, con una preocupación esencial : existir y renovarse. El Partido Comunista de
España solo contaba con una fuerza militante mínima en el momento de su fundación, y no se
hizo partido de masas sino en unas circunstancias excepcionales duarnte la guerra civil. Se formó,
pues, como partido militarizado disponiendo de poca experiencia política y de una organización
con escasa historia. El paso a la construcción de un partido democrático sólo se hizo en los
últimos sesenta. Mientras tanto, fue sometido a la clandestinidad, a una intensa represión, pero
el enemigo más feroz era el paso del tiempo y el desgaste del fervor militante de muchos.

Entrées d’index
Mots clés : Franquisme, Parti Communiste d’Espagne, militants
Palabras claves : Franquismo, Partido Comunista de España, militantes
Keywords : Francoism, Communist Party of Spain, Activists

Texte intégral
1 Au début du e siècle, en Europe et en Amérique, la crise provoquée par la
révolution industrielle, les ravages de la misère prolétarienne, la sanctification du
travail comme valeur suprême et l’enrichissement personnel comme récompense
légitime de l'activité humaine, mais aussi l'épuisement des espaces libres conduisirent à
un nouveau type de conflit, international, fondé sur la conquête et la destruction. Nous
entrions dans l'ère de la guerre civile permanente, lutte de tous contre tous, qui prit sa
forme la plus achevée pendant la première guerre mondiale, guerre génocidaire ainsi
qu’elle fut qualifiée plus tard. La violence à l'échelle continentale avait donné naissance,
non pas à un homme nouveau ni à une société plus juste, mais à une nouvelle forme de
philosophie pratique, le communisme du e siècle.
2 Ce fut le temps fort de la combinaison de la propagande, qui utilisait tous les moyens
possibles de diffusion, du tract au journal, pour apporter aux masses, en l’adaptant très
souvent, un autre discours, éminemment doctrinaire, conçu comme organisateur de
l’action politique et reposait sur trois moments : l’analyse d’étape, les propositions de
programme et d’action et l’examen des forces qui allaient les porter et les mener à bien.
Il s’agissait d’un discours oral, qui avait besoin d’être entendu et approuvé, d’où les
formes diverses que prirent très tôt les rituels de parti : réunions, assemblées, congrès.
Les Partis communistes n'eurent, à cet égard, aucune originalité ; ils étaient eux aussi
les héritiers de formes antérieures, héritées de la longue expérience de l’église dans les
deux domaines de la prédication (lettres encycliques, lettres pastorales, homélies) et de
la gestion du corps collectif (la structure paroissiale et le discours à usage à la fois
interne et externe), héritage qui se fit au travers des expériences cumulées de la
première internationale. Il était accepté, par exemple que le discours de bilan de
l’action passée fut confié aux équipes sortantes, que le discours programmatique soit
dévolu aux équipes qui allaient le mettre en œuvre (dans les périodes de continuité, les
mêmes). Le discours sur l’organisation, en général autocritique, était confié à des
hommes qui connaissaient bien le détail de cette dernière, sortes de super qui,
assez vite, prirent une place de choix dans l’organigramme des partis, j’entends par là,
les secrétaires à l’organisation.
3 A travers quelques exemples, non conclusifs car il s’agit d’un travail en cours, et en
prenant en écharpe quelques années de l’histoire du , mon souhait est de tenter de
comprendre les effets induits par ces rapports sur « le Parti », l’image qu’ils
souhaitaient donner de sa force et de ses faiblesses, de son organisation, de ses progrès
et de ses crises, de la place faite aux nouvelles générations de militants, en d’autres
termes, sur ce qui devint, pendant la longue période de clandestinité une préoccupation
de premier ordre des communistes espagnols : exister et se renouveler. Le Parti
Communiste d'Espagne ne comptait qu’un petit nombre de militants au moment de sa
fondation, il n’est devenu un parti de masses que lorsque la guerre civile européenne
toucha l’Espagne, en 1936. Il s’est donc formé comme parti militarisé, disposant d’une
maigre expérience politique et d’une organisation sans grand passé. Cette brève période

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de la guerre a vu l’émergence au côté de la première génération de militants d’une


autre, plus jeune, qui prendra toute son importance quelques années plus tard.
4 Comme le temps imparti est court, j’ai choisi d’évoquer trois moments de son histoire
et trois discours : celui de Dolores Ibarruri au cours du e Congrès du de 1947,
celui qu’elle prononça en 1954 devant le congrès suivant et le discours de Josep Roman
devant le er congrès du d’octobre 1956.

1947
5 Après la période noire des premières années de l'exil, l'absence d'un réseau minimal
de coordination parmi les communistes espagnol dispersés dans toute l'Espagne et
dans le monde entier (Mexique, Argentine, Moscou et les camps Français) a conduit à
des épisodes conçus aujourd’hui comme de pures manifestations staliniennes, qu’il
s’agisse de l'échec du groupe Quiñones-Monzón et son élimination, de la mise hors du
parti de ceux qui revenaient des camps de concentration allemands1 et de la chasse aux
titistes du début des années cinquante. En fait, il s’agissait d’une série de mesures de
type militaire (gérées par la direction du parti), qui visaient à une mise en ordre d'un
parti très affaibli, ayant subi de lourdes pertes, et qui ne pourrait pas développer dans le
pays la tâche primordiale d'un parti politique au sens traditionnel, autrement dit exister
par la propagande. Ces sacrifices, qui peuvent apparaître comme autant d’actes
ignominieux ne peuvent être compris si on oublie quel rôle décisif jouait, au sein d'une
organisation communiste, la propagande écrite. Installer dans le pays des moyens de
duplication efficace, leur trouver des caches sûres, éditer des tracts, des journaux, tel fut
le premier effort engagé pour reconstituer une structure humaine organisée autour de
diffusion écrite d'idées, de propositions et d'initiatives. Ce n’est pas par hasard, si, dans
le coup de filet qui démantela une bonne partie de l’organisation clandestine du en
Catalogne, le leader du groupe décimé, sa figure principale, qui fut fusillé, ait été
Joaquín Puig Pidemunt, directeur de Treball, organe du 2.

6 Par conséquent, entre 1945 et 1950, période d’une relative liberté de manœuvre en
France, fut mis sur pied un appareil de propagande dont le principal objectif était
d’exister, d’être visible régulièrement, de mettre en place de réseaux de diffuseurs et de
porter un message encourageant à la lutte contre la dictature. Ce message était relayé
par tous les niveaux de l’organisation, aussi petits fussent-ils comme en atteste
l’exemple de ce brouillon d’affiche rédigé sur le dos d’une circulaire de la Mairie d’Agde
(le papier était rare) destinée à appeler à un meeting organisé à Montpellier le 17 février
1946 et qui laisse apparaître bien clairement l’existence de groupes organisés, disposant
d’un appareil et de responsables bien définis et connus publiquement :

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7
8 Ce qui alimentait le discours de propagande c’était le discours du parti, en particulier
celui que développait sa direction au cours des actes solennels qui rythmaient sa vie, ses
congrès. En mars 1947 le plenum du fut l’occasion pour la secrétaire générale du
, Dolores Ibárruri, de livrer un long exposé de données politiques, sociales,
culturelles, économiques et historiques, en particulier dans un chapitre de son discours
au titre sans équivoque, « Situación de España : el franquismo se desmorona ». Le
régime y est présenté comme « blessé à mort ». La Pasionaria prend pour preuve le fait
que « las organizaciones obreras, que Franco disolvió brutalmente, se reconstruyen en
la clandestinidad », que « se producen huelgas y manifestaciones de protesta contra el
hambre » que « se publican decenas de periódicos ilegales… »3. La thèse est complétée
par un autre : si Franco est maintenu au pouvoir c’est parce que l’impérialisme agresse
le peuple espagnol (le rapport dénonce avec virulence la politique des États-Unis et du
Royaume-Uni engagés également dans une guerre interventionniste qu’on a tendance à
oublier souvent : celle qui vise à écrases les maquis communistes de Grèce). Leur
intérêt est de maintenir une Espagne « réactionnaire » pour servir « leurs fins
antipopulaires, réactionnaires et agressives… »4. Autrement dit, ne sont pas évaluées les
freins intérieurs, objectifs ou subjectifs, l’Espagne est présentée comme prête pour le
changement. Si ce changement ne se produit pas, c'est parce qu’il y a un complot
international, que la solidarité des peuples du monde peuvent aider à surmonter.
L'optimisme du rapport correspond parfaitement à l'urgente nécessité de mobiliser les
communistes en leur proposant des objectifs d’action à leur portée : faire tout ce qui est
possible pour que les actes de solidarité se multiplient de par le monde.
9 Dans le rapport sur l'organisation du parti que lit Francisco Antón devant la même
assemblée, l’optimisme est identique, l’idée est la même : le parti se renforce. Pour ce
qui concerne l'application du slogan à la situation intérieure, ne sont pas fournis de

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chiffres, éventuellement pour des raisons de sécurité, mais aussi parce qu'ils ne
permettent pas de vraiment étayer la thèse des dirigeants. Ne sont égrenées que des
affirmations positives : « …el año transcurrido presenta un importante balance en la
capacidad del partido para ligarse con las masas, dentro y fuera del país… »5.
10 Les seuls chiffres évoqués concernent le parti hors d’Espagne (France et Afrique du
Nord). Le parti a enregistré 1247 adhésions et de nombreuses réadmissions, élément
que nous avons déjà mentionné tout à l’heure. Il est intéressant de voir comment
Antón, au sujet des adhésions réalisées en France, peut indiquer quelques tendances
dans cette longue et complexe démarche que constitue l’adhésion au : « 819
demandes d’adhésion examinées (c'est-à-dire soumises à examen biographique), 65
correspondant à d’anciens militants socialistes, 172 de membres de l' , 104
provenant de l'anarcho-syndicalisme ». Une façon de souligner la concrétisation d’une
position hégémonique du au sein des forces de gauche en exil.
11 Sans m'attarder plus dans l’examen de ce moment, il est nécessaire d’indiquer qu'il
est essentiel de comprendre comment les dirigeants de cette époque ont élaboré une
technique de lecture symptomatique de la réalité pour définir des lignes d'action pour
l'avenir. Si peu de données sont présentées, si certaines sont inventées et d’autres
surestimées, ce que l'on ressent dans ces discours, c’est qu’il était vital de forcer la
réalité, en exagérant les aspects positifs et en taisant les problèmes, dans un but : celui
de ne pas décourager les militants et d’assurer la relève des générations. Le à ce
moment là ressemble au personnage imaginé par Jerek Becker, Jakob der lugner,
Jacob le menteur.
12 L’autre aspect de l’activité du parti et de ses organisations de jeunes relevait plus de
l’action au jour le jour, à la mise en place d’actions concrètes, le plus souvent destinées
à collecter des fonds. Ces actes quotidiens, où l’emphase politique était presque
absente, représentaient pourtant la condition du maintien du lien actif entre tous les
communistes. Au niveau local, le besoin de fédérer les communistes, de leur donner des
objectifs concrets, de mener des actions de terrain pouvait également donner l’alerte et
révéler une certaine lassitude ou certains symptômes d’éloignement. C’est l’exemple de
cette tombola, destinée à collecter des fonds pour les de l’Hérault et, selon le
principe de la répartition des fonds collectés entre les différents niveaux, pour la
direction des en France dans le cadre d’une campagne dite pro Juventud6.

Montpellier, 8/4/47
Camarada C.
En nuestra reunión de S.G. ofrecimos una bicicleta para el club que quisiera hacer
una Tómbola. Ningún camarada la pidió y nos encontramos con la bicicleta en las
manos.

El objeto de la presente es solo para proponerte que estudiéis organizar la


Tómbola entre los clubs de Agde, Vias y Marseillan. Ya me dirás algo y ten en
cuenta que debéis sacar de ella un mínimo de 20 000 frs. Y PARA ANTES DEL
PLENO. ¿De acuerdo ? Ya me contestarás rápidamente.
Te saluda,
B.

13 Nous sommes au printemps 1947 c’est-à-dire au moment où la Jeunesse Socialiste


Unifiée en exil (qui n’était pas le Parti mais adoptait l’essentiel de ses critères
organisationnels et dont les cadres étaient assez souvent interchangeables), tenait son
premier Plenum en juin 1947. Les choses n’allaient pas de soi. Le moindre problème
pouvait indiquer, outre quelques embarras financiers et matériels, la menace d’une
perte d’influence. Il fallait donc, à l’échelle moyenne des directions départementales,
avoir recours à la fois à une rhétorique ferme mais cependant assez souple pour
conserver le lien et donner assez d’enthousiasme pour continuer, même si on était loin
des envolées des grands discours des dirigeants :

Montpellier, 15 junio 1947


Camarada C.,
A mi regreso de París me he encontrado con la « agradable sorpresa » de no
encontrar ninguna carta tuya. Quizá creíste que estando en París no tenías
necesidad de escribir y si así hiciste, mal hecho ha sido.

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El camarada R. ha asegurado la marcha del Dept. durante nuestra ausencia.

No he tenido tiempo de charlar con R. más que de cosas de trámite pero no me ha


hablado de vuestra Tómbola y la « bici » parece « descansar » aquí.

No quisiera volverte a escribir pidiéndote señales a la Dirección Dptal. [de] como


van las cosas de la Tómbola pues creo que ya debe estar avanzada y así en la
campaña pro « JUVENTUD » de un MILLION para el 19 de julio vuestros clubs
harán buen papel.

Nada más, espero que escribas,


Te saluda fraternalmente,
B.

14 Nous ne saurons jamais si cette bicyclette a finalement été gagnée et si la tombola a


apporté les fonds recherchés…

1954
15 À l'occasion du cinquième congrès du parti, qui s'est tenu en novembre 1954, Dolores
Ibárruri commence son rapport en présentant le parti comme « la seule force politique
démocratique espagnole qui a été constamment à l'avant-garde de la lutte contre le
franquisme » (p. 5). Parti de type nouveau, selon la formule habituelle, elle affirme qu’il
a grandi et a renforcé sa personnalité. Elle n'insiste pas beaucoup sur cette question,
puisque le sujet du moment c’est la signature du Pacte économico-militaire avec les
États-Unis. Après une profusion de notes économiques et une attaque très détaillée
contre le traité, il est temps pour la Pasionaria de parler de son parti. Tout d'abord, elle
propose une évocation des débuts du parti et une célébration de la nécessité pour les
communistes d’avoir des connaissances historiques. Cet intérêt marqué pour la
connaissance historique, « es necesario [para que] que cada comunista conozca la
historia del partido, que conozca el camino seguido por el Partido en su desarrollo. »
n’était pas une simple vue de l’esprit, mais bien un objectif léniniste, celui de donner
aux communistes une culture propre, et « d’élever leur niveau de conscience ». En fait,
nous avons sous les yeux le thème et presque le titre du livre de mémoires politiques
que la Pasionaria publiera quelques années plus tard, ouvrage d’édification destiné
aussi bien aux militants qu’aux cercles plus larges de l’antifranquisme : El único camino
(1960), en même temps que l’Histoire officielle du , publiée par les Editions
Sociales, tous deux destinés à mettre en conformité avec le présent des discours passés
devenus assez encombrants7.
16 Ensuite, dans l’examen du passé, le ton n'est plus enthousiaste ou encourageant mais
pédagogique pour évoquer les moments de la difficile reconstruction du PC pendant et
après la seconde guerre mondiale : « El Único Camino », La primera preocupación de la
Dirección del Partido al salir de España después de la derrota de la República fue
reagrupar nuestras filas. » (p. 77).
17 Evoquant les difficultés occasionnées par la guerre mondiale, à cette époque, la
préoccupation majeure de la direction du Parti était d’aider à « mantener la
organización en el interior y a desarrollar la lucha contra el régimen. » (Ibidem). Enfin,
un autre point apparaît dans la configuration de l'organisation du qui va dominer
au cours des années à venir : la distinction entre organisation intérieure et extérieure,
cette dernière soumise, elle aussi, à une certaine forme de clandestinité, en particulier
en France à la suite de l'opération Bolero-Paprika8.
18 Cette formulation reprend tout d'abord l’idée que l'organisation du de l’intérieur
était le fait de militants venus « desde la emigración », ceux qui rejoignirent entre 1942
et 1947 les groupes restés dans le pays (ce sont les dates que Dolorès mentionne). Peu
de chiffres, ou tout cas une vague mention faite à des « milliers » de communistes
« dormants » qui rejoignirent cet embryon d’organisation. Au passage, est rendu un
hommage en forme de requiem pour les guérillas qui est pour le moins allusif : « […] el
trabajo de los guerrilleros elevo la conciencia política de los campesinos, les dio fe y
confianza en la victoria de la causa de la democracia y de la República… »

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19 Cependant ajoute-t-elle de façon cryptée : « este trabajo no estuvo exento de graves


defectos y debilidades » (p. 79). Il ne s'agit pas de s'étendre sur ces critiques, mais
plutôt de relever ce qui est positif pour ne pas créer de hiatus avec les militants, assez
nombreux, qui avaient participé au mouvement des guérillas.
20 Les dernières pages du rapport sont celles que la Secrétaire Générale consacre au
parti, à son rôle, « guía de las masas, vanguardia dirigente de la clase obrera… ». Dans
ces dernières pages, les congressistes auront droit à une longue digression sur les
déviations, et sur l'aptitude à se livrer à la critique et à l'autocritique, chose qui n’est pas
nouvelle puisqu’on retrouvait la substance dans un folio adressé aux organisations et
militants du parti en juillet 19529. Elle revient sur la période des premières années
cinquante et la lutte interne contre le « practicismo », attaque contre l’activisme,
défense et promotion de la formation théorique des cadres, de leur apprentissage de la
discussion et de la mise en garde à la fois contre « las concepciones y procedimientos
caciquiles » qui éloigne certains communistes du parti et contre les effets possibles de
l’élargissement de la base sociale de son recrutement, à partir de critères relevant d’une
forme de déterminisme social absolu :

Al partido no vienen solo proletarios, sino campesinos, empleados, intelectuales,


pequeños burgueses, que aportan al Partido junto con su adhesión y su
disposición a la lucha, los sentimientos y los prejuicios de la clase a que
pertenecen (p. 109).

21 Entre les lignes, même si ces attaques semblent correspondre aux critiques faites à
Joan Comorera, les jalons sont placés de la postérieure critique faite aux dirigeants
intellectuels :

A veces algunos… se conducen respecto a los camaradas de la base de una forma


arbitraria y aristocrática, como grandes señores. » (p. 110) ; « …en las condiciones
de crisis del franquismo, el mayor error que podríamos cometer los comunistas
seria la excesiva valoración de la fuerza del enemigo, guiándonos por lo superficial
y lo externo, y el menosprecio de la capacidad del Partido para dirigir la lucha.
(Ibidem)

22 Les éléments constitutifs de la rupture qui se produira dix ans plus tard sont présents
dans ce rapport : l'appréciation négative de rapports des forces et le subjectivisme de
l’analyse concrète, tous deux conduisant à l'inaction. Il s’agit là des deux critiques de
fond qui seront faites au groupe Claudín au début des années soixante et seront
retournées par ce dernier dans sa critique générale des analyses et positions de la
direction de son parti.

1956
23 Un autre moment important dans l'histoire de la - est l'année 56. En octobre,
a lieu le premier Congrès de la . C’est une époque de basses eaux car elle coïncide
avec le 20e Congrès du PCUS et le congrès cherche à sortir de l’ornière en revenant sur
les faits ayant conduit à l'expulsion du premier secrétaire général, Joan Comorera. Dans
le bilan proposé sur le cas Comorera, le tente de se présenter comme un parti
communiste déstalinisé avant-la-lettre. Les thèses soumises au vote des congressistes
dénoncent ceux qui avaient rejoint le parti pendant la guerre et qui, poursuivant par la
suite une politique sectaire avaient exclu ou écarté de nombreux militants pour avoir
exprimé des doutes au lieu de « hacer los esfuerzos necesarios para que comprendieran
el caracter erróneo de sus planteamientos o actitudes »10.
24 Le rapport de Roman (Josep Serradell) qui justifie et explique les nouveaux statuts
proposés, consacre quelques pages à l'affaire Comorera. Il valide l'anticipation
présumée de son parti dans la lutte contre le culte de la personnalité dénoncée au e
Congrès du , montrant que, depuis 1951, le comme le critiquaient les
11
« métodos extraños que se habían transformado en ley del Partido » . Román affirme
que depuis la fondation du jusqu’à son expulsion en 1949, Joan Comorera avait
imposé le culte de sa propre personnalité. Il ajoute qu'il considérait le parti comme sa

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propriété personnelle, s’attribuant tous les mérites et qu'il a empêché l'intégration de


cadres plus jeunes (la génération issue des ). De façon symétrique, il souligne que
Dolores Ibárruri avait été victime de cette tendance et non son initiatrice. Ces actes ne
s’opposaient à sa grande modestie ni à l’aversion qu’elle manifestait envers les éloges
personnels et les célébrations permanentes, affirme-t-il. Roman stigmatise le non-
respect par le de ces années-là du principe léniniste de direction collective aussi
bien pendant la guerre qu’après. Il souligne aussi que le Comité Central n’avait pas été
réuni depuis le plénum d'Anvers, juste après la guerre. Le pouvoir était concentré entre
les mains du Secrétariat (de trois personnes en particulier). La violation des droits des
militants, l'usage systématique du dirigisme avait éloigné de nombreux communistes
honnêtes.
25 La caractéristique du rapport de Roman, authentique et véritable organisateur du
parti catalan, homme d'appareil, repose sur le fait qu’il n’évoque plus un Franquisme
sur le point de s'effondrer. La formule « décomposition du régime » ne vient que pour
justifier la nécessité d'utiliser les possibilités légales et de les combiner avec l'action
clandestine. Dans la nouvelle stratégie, ce qui devient essentiel c’est la propagande et
l'arme décisive, l'organe du parti, Treball. Elle vise également il définit comme cible
prioritaire dans cette stratégie combinée la conquête de positions lors des élections de
« vocales de empresa ». Dans l'avant-dernier chapitre de son long discours, Roman
évoque la création des premières commissions ouvrières à Barcelone (La Maquinista,
) et à Tarrasa. Il insiste aussi sur le fait que dans ces premières commissions se
retrouvent des militants proches de la , des communistes, républicains et
catholiques, qui exercent une pression constante sur les dirigeants de la . Dans
l'analyse qu’il propose des actions dans le cadre légal des syndicats verticaux, il insiste
également sur le fait que ces aspects positifs sont à nuancer, en particulier l’incapacité
pour ces commissions de devenir permanentes. Il indique que la tâche de son parti
consiste à accepter les formes d’unité que les travailleurs ont choisi et que sa fonction
est d'aider à consolider et à étendre ces formes d'organisation pour déboucher sur
d’autres formes de lutte ou sur la grève mais sans prendre ses désirs pour la réalité. Le
ton de son discours annonce ce que sera la politique de la grève nationale dans les
années suivantes et tempère, par l’emploi de formules prudentes, le surgissement
possible d’un sentiment de bataille ultime en évoquant seulement de possibles « passos
seriosos en el cumpliment de la nostra missió. »

Conclusion
26 Il est temps de conclure, nous savons qu’une analyse plus complète de tous les
rapports que le comme le proposèrent à la réflexion de leurs militants
s'impose comme l’étude d’archives reflétant la vie quotidienne des militants de base.
27 Ce qui est clair c’est que l’inflexion que montrent ces trois moments (1947-1954 et
1956) préfigure à la fois les succès indéniables de la politique de ce parti, au cours de la
décennie suivante, mais également ses crises, à commencer par celle de 1964, aux
aspects multiples assez souvent ignorés : par exemple, le cas Claudín-Semprún cache
souvent une autre crise, celle de la dissidence maoïste, qui concernera un bon nombre
de cadres moyens.
28 Il fallait donc ne pas désespérer les militants, leur faire accepter les changements de
perspectives (passer du temps court des années d’après-guerre à celle du temps long de
la fin des années cinquante), masquer les faiblesses de son analyse de la réalité
espagnole et tenter de renouveler ses cadres en tentant de limiter les effets possibles de
la résignation et de l’éloignement des militants issus des années de guerre. L’arrivée
massive d’une immigration économique importante, à partir de la fin des années
cinquante constituera une bouffée d’oxygène pour les communistes. Le Parti
Communiste perçut assez vite l’importance du phénomène et engagea alors toutes ses
forces dans une action de propagande et d’intégration de cette nouvelle génération de
l’immigration, ce que confirme Natacha Lillo dans un article publié en 2013 :

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A diferencia de los militantes libertarios de la Confederación Nacional del Trabajo
(CNT) que consideraban a ese conjunto de emigrantes como secuaces del régimen,
el se dirigió hacia ellos para concienciarlos…12

29 Quelques années plus tard, en Espagne même, il appliquera la même politique


d’assimilation des nouvelles générations en tentant d’engager une politique d’amalgame
qui, au cours des années soixante constituera une incontestable réussite. On peut, à ce
propos, renvoyer au rapport que fit Josep Roman devant le e plenum du du
en janvier 1963, rapport dans lequel ce dirigeant faisait état de cette priorité :

En tenir en compte la quantitat important de militants joves que caracteritza el


Partit i, en conseqüència, la composició que tenen una gran part dels Comitès i
que haurien de tenir els que anem a formar, el viratge en el treball d’oganització
imprimeix a l’activitat dels nostres quadres, especialment als més veterans i
experimentats, un caràcter quelcom particular13.

Notes
1 “Cuando llegamos a Francia, empezaron de nuevo los líos políticos. Yo no digo que en el campo
desaparecieran todos los antagonismos políticos, pero los que tenían un comportamiento
antifascista honrado no eran enemigos: el verdadero enemigo era el nazismo.
“Al llegar a Toulouse, a mí me pareció normal que a cada uno de nosotros nos hicieran, caso por
caso, un examen de lo sucedido y de las causas de nuestra deportación, a pesar de que si
habíamos sido deportados era por haber combatido. Pero cuando en una reunión presidida por
Dolores en persona, celebrada en Toulouse, se nos acusó de sospechosos por no haber muerto
matando..., me pareció un tanto lamentable.” Testimonio de Joan Martorell, en Antonio
S , Éxodos, Historia oral del exilio republicano en Francia, Barcelona, Crítica, 1989, p.
130-131. Consultable aussi sur http://bteysses.free.fr/espagne/martorell.htm.
2 Carme C , Estimat , Barcelona, Empuriès, 1997, 452 p.
3 Nuestra Bandera, n°16 (n° spécial), 1947, p. 203-205.
4 Ibidem, p. 272.
5 Ibidem, p. 272.
6 Les documents présentés relèvent d’archives personnelles.
7 Par exemple, on peut lire au chapitre 4 de cette Histoire du : “En el informe presentado al
Pleno de Toulouse, la camarada Dolores Ibárruri salía al paso de las ilusiones, alimentadas en
amplios sectores, de que el régimen franquista se iba a hundir «automáticamente». On peut en
consulter une version électronique sur le site : http://www.filosofia.org/his/1960hpce.htm
8 Je voudrais signaler à ce propos les travaux d'Aurélie D (dont sa thèse, L’exil comme
patrie, Les réfugiés communistes espagnols en RDA (1950-1989), Trajectoires individuelles,
histoire collective, thèse en cotutelle dirigée par Fabienne Bock et Thomas Lindenberger) qui
éclairent un aspect spécifique, celui des communistes installés en RDA:
A. D , « L’exil communiste espagnol en RDA : accueil, intégration, retour », Cahiers de
civilisation espagnole contemporaine, en ligne, n°9, 2012, mis en ligne le 11 décembre 2012.
URL : http://ccec.revues.org/4229 ; DOI : 10.4000/ccec.4229
9 Carta a las organizaciones y militantes del Partido, Madrid, julio de 1952, 29 p.
10 El Partit Socialista Unificat de Catalunya, Tesis aprovadas pel Ier Congrès del , celebrat
a primers d’octubre del 1956, s.l., Ed. Treball, 7 p.
11 Informe sobre els Estatuts del Partit i sobre els problemes d’orgaitzacio presenat al I Congrès
del pel camarada Josep Roman, folleto, Limoges, Imprimerie Tivet, sans date.
12 Natacha L , “Vicisitudes de la vida militante en el durante el exilio en Francia”, in
Aurora B , Teresa C , Sergio V (eds.), Entre la reforma y la revolución, la
construcción de la democracia desde la izquierda, Granada, Comares Historia, 2013, p. 239-250.
13 Intervenció de Josep Roman, membre del Comitè Executiu, IV Ple del Comitè Central, Edité
par le Parti Communiste Français, Paris, janvier 1963, p. 66.

Table des illustrations


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1/10/2019 Les communistes espagnols : les années difficiles (1947-1956)

Pour citer cet article


Référence électronique
Serge Buj, « Les communistes espagnols : les années difficiles (1947-1956) », Cahiers de
civilisation espagnole contemporaine [En ligne], 2 | 2015, mis en ligne le 02 mars 2015, consulté
le 01 octobre 2019. URL : http://journals.openedition.org/ccec/5433 ; DOI : 10.4000/ccec.5433

Auteur
Serge Buj
Université de Rouen

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