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Sommaire.
4
5
Altérités assimilées ; altérités altérées, la
définition de soi comme maîtrise/altération de
l’autre et du monde. Quelques écrits de Saint-
John Perse.1
3
Lorand Gaspar consacrant un article intitulé :- De la Poétique de Saint-John Perse,
de la conception de l’art en Chine ancienne, ajoute un amusant (rapports
imaginés). Pourtant son texte a été reçu comme un vrai travail d’érudit, et ses
rapports imaginés sont cités comme autant de preuves réelles de l’Universalité de
Perse, déjà cet article a été publié avec une présentation de Henry Colliot : ‘’ Le
Dialogue Claudel Saint-John Perse’’. Aix-en-Provence, contribution de la fondation
Saint-John Perse aux rencontres de Brangues, 1981 : Claudel, Saint-John Perse,
Segalen, Extrême-Orient/Poésie [Coll. ’’Hommages’’ de la Fondation], sd, sl, 16 p.
Il est vrai que Perse a vécu en Chine, et qu’il est resté très attaché à sa culture,
mais depuis les publications savantes de ses œuvres et de ses correspondances,
ses allusions et citations sont autant livresques que vécues, malgré ce qu’il en dit
dans la lettre à Larbaud, citée plus bas.
8
Henriette Levillain et Jean Bollack4 de l’assistance,
ont eu à souligner l’universalité, du moins votive,
de Perse et, manière de concilier les propos autant
que les hommes, à rappeler que la francité tient de
son universalité et réciproquement. Antoine
Raybaud rappelait finement que Meddeb n’a jamais
prétendu le contraire. « Nos œuvres vivent loin de
nous dans leurs vergers d'éclairs.5 »
L’événement en soi est si peu important, dans
l’optique de la compréhension de l’œuvre de Perse.
Mais il peut revêtir quelque portée quant à
l’herméneutique d’une œuvre qui, elle, doit tenir
compte de l’impact et des modalités de
l’institutionnalisation du sens de l’œuvre : à un
moment ou à un autre, fatalement, on décidera
d’autorité où doit s’arrêter le sens agréé et où
commence le sens ‘’hérétique’’ ou, plus
simplement, les interprétations exclues ou
refoulées et qui, de toutes les manières, inspirent
de l’appréhension, au lieu de participer à
compréhension… C’est ce moment qui a été
négligé par la critique moderne, occupée à affiner
ses ‘’approches’’ et oubliant les amas d’altérités
sémiologiques collatérales qu’elle favorise
allègrement, sous prétexte plausible de pluralité de
4
Voir son :-Empédocle, Les Origines, introduction, édition, traduction, commentaire
(4 vol.), Minuit, 1965. Voir aussi : Françoise E.E Henry :-Saint-Leger Leger
traducteur de Pindare. Paris : Gallimard [Publications de la Fondation Saint-John
Perse], 1986. 236 p.
5
Chronique, IV.
9
lectures, que l’on a très vite confondu avec la
pluralité des sens. Participer à la compréhension
en subissant un interdit ou une incitation a ses
conséquences sur la façon dont se construisent les
opinions littéraires, en général, et sur la
cristallisation d’une doxa admise autour d’un
auteur.
Les centres de cultures, les rassemblements
scientifiques comme le nôtre, la Fondation Saint-
John Perse, la Maison de la Poésie, au niveau de la
genèse, et au niveau de la consommation et de la
formation, l’institution scolaire sont des instruments
d’institutionnalisation du sens. L’école, toujours
empressée, obligation de résultat oblige, se
débrouille et bricole même des démarches pour
résister au contresens, à la paraphrase (répétition
forcément médiocre et inévitablement inutile du
texte) et à l’extrapolation. Cela se comprend. Il
s’agit d’un apprentissage à bien lire et à bien
comprendre. Mais ne seraient-ce pas là, également,
des manières de contrôler la production du sens et
d’en éviter toute altérité/altération ? Le cas de
l’Ecole est le plus inconfortable : elle en fait une
mission (sociale, politique, et quelquefois
personnelle) parfaitement convenue et, quoi que
l’on en dise, admise. Dans le cas de M. Oster il
s’agit d’une auto institution, ad hoc, qui s’arroge le
pouvoir de discrimination entre ce qu’il est admis
10
de dire, de ce qui ne l’est pas du tout. Donc entre
un sens identitaire reconnu et une altérité de
référence, même métaphorique ou de bonne foi, à
rejeter comme une menace d’altération du sens. Le
plus incommodant pour l’analyse est qu’il l’ait fait
en toute légitimité. Pierre Oster Soussouev a réagi
en gardien du temple, d’ailleurs plus du temple
France que du ‘’Temple Perse’’. Car justement, ce
denier, au niveau de la glose, doit sa naissance à
un genre de propos particulier, qui en construit une
image unique et inaliénable de texte fermé sur lui-
même, qui s’est pris totalement en charge, texte et
notice, d’originalité absolue :
« Moi j'ai pris charge de l'écrit, j'honorerai l'écrit.
Comme à la fondation d'une grande œuvre votive,
celui qui s'est offert à rédiger le texte et la notice6.»
Un texte ainsi conçu rend, d’office, superfétatoire
toute glose. Il incite, aussi étonnant que cela puisse
paraître, plus à la paraphrase qu’au commentaire.
Dans l’absolu, tout commentateur du texte de Perse
enfreint la loi de celui-ci. Comment ?
6
OC. p. 264.
11
pour un peu consolider, au niveau explicite et
théorique, la réception de son œuvre :
Je vous remercie par-dessus tout d’avoir pensé à
me défendre littérairement, contre ‘’l’exotisme’’.
Toute localisation me semble odieuse, aussi bien
que toute datation, pour nos pauvres fêtes de
l’esprit. Autant que d’inactualité, j’ai toujours eu
grand besoin d’affranchissement. Du lieu, et si je
tiens encore, pour une simple question de lumière,
à un certain degré de latitude en ceinture autour de
notre globe, je hais cordialement toute longitude.
Des Antillais même pourraient penser, non de mes
poèmes, qui sont tout simplement français, ni de
mes thèmes, qui furent toujours étroitement vécus,
mais de mon attitude humaine, antérieure au songe
de la vie, qu’il y a là plus d’océanien, ou
d’asiatique, ou d’africain, ou de tout autre chose
encore qu’antillais7.
7
Lettre de jeunesse. Lettre à Valery Larbaud de la fin décembre 1911, OC. p.793.
12
relation directe qui pourrait neutraliser la
dichotomie grâce aux incontournables définitions
premières de l’homme : sa langue, ses rives natales
et son humanité. L’une crée l’autre et
réciproquement :
« De la France, rien à dire : elle est moi-même et
tout moi-même. Elle est pour moi l’espèce sainte,
et la seule, sous laquelle je puisse concevoir de
communier avec rien d’essentiel en ce monde.
Même si je n’étais pas un animal essentiellement
français, une argile essentiellement française (et
mon dernier souffle, comme le premier, sera
chimiquement français), la langue française serait
encore pour moi la seule patrie imaginable, l’asile
et l’antre par excellence, l’armure et l’arme par
excellence, le seul ‘’lieu géométrique ’’ où je puisse
me tenir en ce monde pour y rien comprendre, y
8
rien vouloir ou y renoncer. »
10
« Le style n’est-il pas, après tout, la seule mesure de liberté ?–– Jolie leçon
donnée aux ‘’Existentialistes’’, qui me semblent si peu dignes de l’absurde dont ils
se croient les théoriciens, et bien trop dupes de leur rationalisme pour le vouloir
venger par le style. » Lettre à Jean Paulhan, Washington, 22 janvier 1950. OC. p.
1025.
11
Lepape (Pierre) :–Le Pays de la littérature ; Des serments de Strasbourg à
l’enterrement de Sartre. Paris, Le Seuil, Points ‘’Essais’’, 2003. Voir
particulièrement le chapitre : ‘’La Littérature contre le nationalisme’’. pp. 576-594.
14
1961 figure dans une lettre à MacLeish datée du 23
décembre 1941. Et ainsi, d’une lettre à une autre,
d’une analyse à une autre, les auteurs les plus
avisés continuent la pensée de Perse et se tisse le
réseau de sens agréé :
« Des événements obscurs se déroulent dans une
contrée, à une époque qu’aucun repère ne permet
d’identifier avec certitude ; sinon hors du temps et
de l’espace, du moins dans une durée non jalonnée,
dans une étendue non balisée, situables seulement
très loin, là où s’effacent les chronologies et où les
méridiens se confondent. Ce sont coutumes,
actions, et émotions immémoriales. Dans un
syncrétisme que le discernement et le savoir
préservent du disparate, une érudition discrète
soutient le moindre détail. De son excellence
même, le monde tire ses titres et lettres de
créance. Le support de chaque détail est attesté
dans quelque recueil autorisé. Toute donnée est
produite sur la table du juge pour ce qu’elle est
exactement : le vrai pour vrai, la fable pour fable et
l’image pour image »12.
12
Roger Caillois : Poétique de Saint-John Perse, cité dans OC. p.1291.
15
pauvres esprits méthodiques, une telle lecture
rationalise l’intuition et l’aide à mimer l’analyse,
qu’elle mine : les affirmations sont trop générales
pour être invalidées ou confirmées ; elles se
confirment d’elles-mêmes et frôlent l’évidence,
ennemie de l’étonnement13 analytique. C’est
exactement ce que voulait Perse : que le critique se
contente de mimer les poèmes, c’est-à-dire de les
restituer, ne craignant point la contradiction avec
le sens originel de mise en crise, qu’il eut pourtant
à rappeler à Rivière :
« Je me souviens encore d’une phrase de votre
lettre. Ce n’est pas « la critique » qu’à Bordeaux,
en avril, j’entendais réhabiliter à vos yeux, mais ‘’le
poème critique’’ tel que vous le concevez, et tel,
disions-nous, qu’il n’a jamais existé, sinon peut-être
en puissance, chez quelques essayistes de langue
anglaise. Il ne m’arrivera jamais de penser que les
Michel Arnauld soient lisibles. Mais le critique
auquel je songe, celui qui assume de restituer, de
recréer (et c’est, plus simplement, de situer et
relier) –secret, replié sur lui-même, et « trouvant »
à son tour comme le poète trouve, et à son tour
relié à l’inconscient et au mystère, « voyant » enfin,
avec le droit de plus dire, puisque, moins elliptique,
il évente et il comble tous les rapports sacrifiés, –ce
13
« Et c’est la poésie alors, non la philosophie, qui se révèle la vraie ‘’fille de
l’étonnement’’, selon l’expression antique à qui elle fut le plus suspecte. » Poésie ;
allocution au Banquet Nobel du 10 décembre 1960. OC. p. 444
16
critique est poète lui-même, sous peine de n’être
pas.
[...] Rappelez-vous ce sens que prend le mot
χρ ι ν ε ι ν dans la langue alexandrine (chez
Plotin tout le temps) : « appeler, provoquer une
crise14. »
Voilà en quoi Caillois est fondateur : son écrit
continue, illustre par l’exemple et reprend le texte
constitutif initial (poèmes et lettres), substituant de
l’exégèse, explication à valeur d’édification (de
l’identité qui parle et du sens moral chez celui qui
lit), au commentaire. La fondation du Temple avait
ainsi commencé, créant ses lois et ses manières de
faire, et dont le volume des œuvres complètes de la
Pléiade ne fait que reproduire, souvent peu
allusivement, la démarche. Pour que la boucle soit
bouclée, les textes des pères fondateurs sont
d’ailleurs repris par Perse, éditeur de son propre
Pléiade, comme autant de pendants naturels,
agréés et gratifiés de sa signature, à son œuvre :
articles de Larbaud, de Claudel, de Mrs Francis
Biddle, de Caillois, de Rousseaux, etc. Un tel labeur
d’essaimage et d’assimilation, de construction de
secte ou d’élite autour d’une identité/relique, est
travail de création d’une autorité et œuvre
d’institution de sens, qui ne laisse pas le choix
entre :
14
Lettres de Jeunesse, Lettre du vendredi 21 octobre 1910, OC. p.677. Je souligne.
17
• mésestimer tout cela, et recommencer depuis
le début, en ramenant l’œuvre à son véritable état
d’objet d’analyse, renonçant sa fonction de guide
ou de manuel, ou encore de sujet tiers, très actif.
D’autant plus que ‘’le’’ Pléiade est une imposture
philologique, que corrigent moyennement les
éditions savantes ultérieures.
• perpétuer le ‘’sens critique’’ persien, ce qui
peut donner l’illusion (souvent la caution) d’une
légitimité, mais favoriser l’assimilation (au sens
militaire cette fois-ci) et fonder sur une
institutionnalisation de res, pour laquelle des pans
de conclusions pourraient être déclarés altération
du sens, hérésie ou contresens.
Fort heureusement, quelques jeunes critiques
persiens ont dépassé, et de loin, le cadre tracé par
Caillois et Paulhan, ou même le modèle d’Albert
Henry. Car l’assujettissement du commentaire, et
l’assimilation consentie, louangeuse, de ce qu’en a
agréé Perse est à l’origine d’une altération du
rapport de la critique au texte persien, peut-être
même du rapport de l’Université française à ce
même texte. Beaucoup souscrivent à ses dires et
aux affirmations des ses amis, qui ont
continuellement ajouté à l’étrangeté de ses
puissants poèmes, demeurés une belle altérité
langagière et esthétique encore inaccessible.
L’institutionnalisation, dans un monde qui en veut
18
rageusement aux symboles, peut se retourner
contre l’œuvre, et au lieu de l’imposer et de la
pérenniser, risque de la frapper de caducité. Dans
ce sens, il serait légitime de se demander à quel
Saint-John Perse devait faire allusion Pierre Oster ?
A celui qui s’est choisi comme aînés (il dit souvent
race) Bossuet, Racine, Aloysius Bertrand,
Baudelaire, Rimbaud et Valéry ? Ou à celui à qui
l’on impose Hugo, coupable aux yeux de Perse de
s’être corrompu en agréant des honneurs publics et
d’avoir valu, par ailleurs, à la France la perte du
Rhône du Romantisme15. Ou bien, enfin, à celui qui
fut si fier, paradoxal Perse !, de succéder au même
Hugo pour rendre hommage à Dante ; en
reprenant, de manière plus énergique, son
argument de louange ?
« La […] Pour la
reconnaissance septième fois
des grands l’appel séculaire
peuples envers les du nom ! Dante
grands hommes Alighieri !... Nous
est de bon te saluons, Poète,
exemple. Non, ne homme de terre
laissons pas dire latine, celui à qui il
que les peuples fut donné
sont ingrats. A un d’éduquer une
15
Hommages : André Gide. Face aux lettres françaises, 1909, OC. p.480.
19
moment donné un langue, et par la
homme a été la langue, créatrice,
conscience d'une de forger l’âme
nation. En d’un peuple.
glorifiant cet […]
homme, la nation Prodigieux destin,
atteste sa pour un poète,
conscience. Elle créateur de sa
prend, pour ainsi langue, d’être en
dire, à témoin son même temps
propre esprit. l’unificateur d’une
Italiens, aimez, langue nationale,
conservez et longtemps avant
respectez vos l’unité politique
illustres et qu’elle annonce.
magnifiques cités, Par lui, le langage
et vénérez Dante. restitué à une
Vos cités ont été la communauté
patrie, Dante a été vivante devient
l'âme. l’histoire vécue de
Six siècles sont tout un peuple en
déjà le piédestal quête de sa vérité.
de Dante. Les Au cœur d’une
siècles sont les grandeur italienne
avatars de la éparse, qu’il
civilisation. A rassemble et qu’il
chaque siècle incarne, il
surgit en quelque demeure pour
20
sorte un autre toujours ferment
genre humain, et d’âme et
l'on peut dire que d’esprit…17
l'immortalité
d'Alighieri a été
déjà six fois
affirmée par six
humanités
nouvelles. Les
humanités futures
continueront cette
gloire.»16
18
Souvent neutralisées, et dont la quête propre est soumise à son cheminement
langagier et existentiel, sauf en ce qui concerne la mystique chrétienne (à
laquelle la langue française ne peut échapper) les religions extrême-orientales,
bouddhisme, Tao mis en évidence par Pierre Guerre, et enfin le ‘’paganisme’’ de
ses nourrices.
22
exclusivement archétypal, il est féminin, ce qui
évidemment jaillit de sa créativité, mais qui, par là,
peut rejoindre toutes les cultures pour lesquelles
l’arbre est naturellement féminin, dont la culture
arabe. L’arbre, dans les hommages, servira non pas
en tant que motif re-présenté, mais en tant que
‘’concept élémentaire’’ qui ordonne sa manière de
parler de (l’œuvre de) ses amis.
• adepte d’un code d’honneur de la lecture de(s
ses) textes. Très sommairement, Perse y impose
que le critique s’élève, à hauteur d’âme au
mouvement inhérent à l’œuvre. Pour cela, il doit y
subordonner son discours, et trouver à son tour. Sa
capacité à la restitution de l’œuvre analysée19 est
tributaire de la soumission-compagnonnage. Cette
forme contrainte de secondarité, restituer l’œuvre,
s’accompagne chez Perse d’une double restriction.
La première est morale, qui édicte qu’il ‘’faut’’ ne
restituer de l’œuvre que son lisible, exclusivement ;
le poème est né de rien, et est comme un fruit
détaché de son arbre. La seconde est
‘’méthodologique’’, qui recommande au critique
‘’d’adhérer’’ à l’œuvre, au risque non exclu de
frôler la paraphrase louangeuse, et d’altérer le
bonheur de la re-trouvaille, conseillé dans le
fragment cité plus haut. Il doit aussi parler dans
19
Voir le fragment de la lettre à Rivière cité plus haut. Perse mettra en application
ce principe, qu’il détourne à son profit.
23
l’estime20, à l’instar du poète apostrophant le
monde, ou l’invoquant21 –même quand le fond n’y
est pas– et, à la fois, tirer toute sa légitimité de
l’autorité22 du poète. Le problème est que Perse,
craignant toute incompréhension qui aurait menacé
l’intégrité de son œuvre, s’est lui-même chargé de
surveiller, d’orienter, de conseiller, de corriger et
d’autoriser les lectures faites de ses textes.
‘’Positivement’’, il est le propre éditeur des
hommages qui lui ont été rendus sous la direction
de Paulhan dans les Cahiers de la Pléiade... C’est
dans ce contexte qu’il faut lire la réaction violente à
l’égard de M. Saillet : refus d’une lecture qui
outrepasse les tabous d’une institutionnalisation,
non que Saillet ait particulièrement brillé dans son
ouvrage, mais parce que son étude était aussi
légitime que celle des encenseurs, qui ont fait
perdre pas mal de temps à l’avancée des études
persiennes. Si la critique persienne s’est enfermée
20
Ainsi ce passage de Mrs Francis Biddle qui pousse ‘l’analyse’’ jusqu’à confondre
étude du texte et portrait physique et moral du poète : « Il y a dans l’aspect
physique de Saint-John Perse, un je ne sais quoi, sous ce front très vaste et ces
yeux très perçants qui fait penser d’abord au visage de Baudelaire et d’Edgar
Allan Poe. Mais là s’arrête la ressemblance. Le génie poétique de Perse prend
source dans sa personnalité puissante et stable et très virile, incontestablement
normale, et d’une rare santé morale aussi bien que physique. Par sa vitalité
même, il appartient tout entier à notre siècle, ayant échappé à l’intellectualisme
du XVIIIe comme au romantisme du XIXe. » Une bêtise ! à qui il a plu pourtant à
Perse de la faire figurer parmi les articles encenseurs (souvent paraphrastiques)
qu’il cite dans son volume de la Pléiade (Voir OC. p. 1248). D’autant plus que,
hormis l’apparence physique, ces poètes, plus que Hugo ou Lamartine, ont tenu
une positions capitale (quasiment d’aînés maîtres) dans son ‘’Panthéon’’.
21
« C’est là le train du monde, et je n’ai que du bien à en dire. » (Anabase.)
22
Ainsi Albert Henry, grand gardien du temple Perse, et pionnier des éditions
savantes des poèmes, fait souvent le récit d’une rencontre avec le poète pendant
laquelle il lui a demandé telle ou telle explication de telle ou telle expression. Qui
penserait remettre sur l’arbre les fruits qu’il vient de perdre ?
24
dans un tel esprit de Temple, c’est que Perse lui-
même en a codifié les lois. Saillet dont tout le
monde parle et que personne ne cite, s’est permis
une interprétation quelque peu bio-psychanalytique
de Perse. La réaction de celui-ci fut foudroyante,
indignée pour le moins devant Adrienne Monnier
(OC. p.552). Riposte sans scrupule, personnelle, et
qui souligne rageusement la ‘compréhension’
fautive du sens littéral :
« Elle m’est au fond défavorable –et pas toujours
assez ouvertement–; empreinte, finalement
d’antipathie personnelle. Cela ne me laisse aucun
recours envers l’auteur –non certes pour chercher
en rien à atténuer la gravité de ses réserves et de
ses suspicions littéraires, non plus qu’à rectifier
l’erreur foncière de son interprétation poétique–
mais pour m’assurer seulement d’une simple
garantie, que je voudrais tenir de sa courtoisie, à
défaut de sa sympathie : qu’il ne soit publié aucun
portrait de moi dans le livre qu’il annonce. »23
Le critique, sous peine d’irrévérence, ou d’hérésie,
continue le Créateur et travaille à
l’institutionnalisation totalitaire de l’œuvre.
23
Et quels furent les défenseurs de Perse ? Ses amis du temple bien sûr. Perse note,
dans les OC. à la page 1158 : « Cette étude devait appeler une réplique de Jean
Paulhan, dans une note publiée à la fin du numéro d’Hommage des Cahiers de la
Pléiade (été-automne 1950), et de Roger Caillois, dans un appendice à son livre
sur la « Poétique de saint-John Perse » (Paris, 1954), sous le titre « Contestation
d’une contestation ». Je me demande même si la lettre à Monnier ne serait pas
une incitation à la dénonciation du ‘’crime de lèse-majesté’’ de Saillet. .
25
Or, on le devine bien, il existe, dans l’œuvre de
Perse, un paradoxe perpétuel entre, d’un côté,
l’élan humain et universel de l’œuvre,
rattachement suprême aux grandes forces qui nous
créent, qui nous empruntent ou qui nous lient24, et,
de l’autre, le totalitarisme qui prive l’analyste de sa
liberté, en imposant les lois de composition interne
de celle-ci comme préalable méthodologique. Il
serait difficile de consigner avec précision, en si peu
de lignes, le statut des motifs et des séités, que l’on
peut nommer personnages, dans son texte. Mais,
disons que la vision édénique (romantique) d’un
sujet réconcilié avec le monde a prévalu dans les
lectures initiales de l’œuvre. ELOGES a servi
d’archétype aux textes ultérieurs :
Avec l’achaine, l’anophèle, avec les chaumes et les
sables, avec les choses les plus frêles, avec les
choses les plus vaines, la simple chose, la simple
chose que voilà, la simple chose d’être là, dans
l’écoulement du jour…25
Un monde où même le mot autre est neutralisé
dans son premier sens et soutient une organisation
syntagmatique quasi-rudimentaire du monde :
Je m’éveille, songeant au fruit noir de l’Anibe dans
sa cupule verruqueuse et tronquée… Ah bien les
crabes ont dévoré tout un arbre à fruits mous. Un
24
Note pour un écrivain suédois sur la thématique d’Amers, OC.p.569
25
EXIL, Exil, V, OC. p. 130.
26
autre est plein de cicatrices, ses fleurs poussaient,
succulentes, au tronc.26
Au négociant le porche sur lamer, et le toit au
faiseur d’almanachs !... Mais pour un autre le voilier
au fond des criques de vin noir, et cette odeur !
[…]27
Il peut être également l’indice d’une accession à
un sens figuré, apanage d’une entité transcendée,
un d’un mode d’existence ‘’virtualisé’’28 :
Et comme nous courions à la promesse de nos
songes, sur un très haut versant de terre rouge
chargé d'offrandes et d'aumaille, et comme nous
foulions la terre rouge du sacrifice, parée de
pampres et d'épices, tel un front de bélier sous ses
crépines d'or et sous les ganses, nous avons vu
monter au loin cette autre face de nos songes : la
choses sainte à son étiage, la Mer, étrange, là, et
qui veillait sa veille d'Etrangère – inconciliable, et
singulière, et à jamais inapariée - la Mer errante
prise au piège de son aberration.29
Cette image idyllique, édénique est bien sûr
exacte. Mais elle n’est pas la seule. Le même autre
sert de démarcation entre une conception de la vie-
poésie
26
ELOGES, Eloges, IV, OC. p. 36.
27
ELOGES, Eloges, VIII, OC. p. 40.
28
Accession et virtualité, termes de la mystique chrétienne, relèvent du langage
‘’critique’’ de Saint-John Perse. Voir : Saint-John Perse, poète et critique. (à paraître
chez l’Harmattan).
29
AMERS, Invocation, 6, OC. p. 266.
27
« D’autres saisissent dans les temples la corne
peinte des autels :
Ma gloire est sur les sables!... Ma gloire est sur les
sables !...30 »
Ou entre une conception de l’hommage
(mondaine, indue, celle des autres) ou la sienne,
plus simplement vraie, sincère et légitime, étant lui-
même plus proche du cœur de Rivière :
« D’autres loueront son œuvre. Mon nom
n’appartient pas aux lettres et mon témoignage ne
peut servir sa mémoire littéraire.31 »
« La conscience de soi n’est possible que si elle
s’éprouve par contraste32 ». Assurément ; mais, ce
genre de scission d’avec l’autre est assez rare dans
l’œuvre de Perse. Sa logique du songe envisage
plutôt une définition du moi, du monde ou du signe
qui inclut l’altérité comme trait essentiel de l’être.
Le sujet est effectivement ‘’un autre’’33, ou abrite
un autre lui-même qui l’incite au mouvement et au
déchiffrement des signes du monde plus, à mon
30
Exil, Exil, II, OC. p.124, daté par St-J. Perse de 1941. Voir Notes OC. p.1109.
L’allusion est interprétée, sans autre appui que le cliché, comme s’adressant à
Claudel.
31
Sur Jacques Rivière, …. OC. p. 466 ; 13 mars 1925.
32
Emile Benveniste : - De la Subjectivité dans le langage, in : - Problèmes de
linguistique générale, I. Paris, Gallimard, 1966, p. 260. [Coll.. « Tél » n°7].
33
Ce n’est pas par affectation ni calcul que j’ai toujours pratiqué, aussi
rigoureusement, le dédoublement de personnalité. // En Malaisie, un jour, on m’a
cité cette croyance d’une tribu aborigène de Bornéo : l’homme libère, chaque soir,
son « double », qui sous la forme très honorable d’un singe va perpétrer toute la
nuit les plus extrêmes et belles entreprises auxquelles le pauvre esclave diurne n’a
pas accès ; mais il est interdit, en plein jour, d’évoquer jamais la moindre liaison
entre les deux êtres. Je souscris des deux mains à un tel acte de foi.. - Lettre à
Archibald MacLeish, du 23 décembre 1941, OC. p. 549. Il raconte le même récit à
Gide.
28
avis, que le simple dénombrement de ‘’l’empire des
choses vraies’’ : le pseudonyme, la figure de la
syllepse, l’étreinte des amants d’AMERS, l’Etranger
d’EXIL, la double définition entre réel et surréel, la
définition transitive des motifs34 en sont l’illustration
la plus courante. Le même dédoublement
systématique de l’être touche les personnages de
Perse. L’on a parlé de transsubstantiation et
d’adéquation totale entre moi et monde dans la
poésie de Perse. Je soutiens que c’est le seul cas du
poème liminaire Ecrit sur la porte35 où,
effectivement, le sujet-origine qui, sous différents
modes de possession (je, ma, j’ai) de subordination
du sous-sujet (la fille) et des sous-éléments
(servantes et poules) et des éléments qui
construisent le micro-monde du poème, s’édifie en
totem dictant sa loi (un homme est dur, sa fille est
douce) et annonce la claire frontière de son
identité. Et la séité énonciatrice se suffit, n’a besoin
d’aucun ailleurs, d’aucune ouverture sur aucune
altérité :
Toutes choses suffisantes pour n’envier pas les
voiles des voiliers
34
Car il est difficile d’arrêter, de fixer un motif dans une détermination convenue :
la mer est à la fois, signe (amer, ode divine, strophe), femme (amante, urne
maternelle) et motif (cours, vague, force, aquatique). Réciproquement la femme
est mer, urne et signe, etc. Retrouver les structurations inhérentes de ce circuit
de la strophe, et en préciser les lois, ferait partie de ce que Perse appelle restituer
la logique du songe. Mais peu s’y sont aventurés…
35
Voir Abdelhak Bel Lakhdar : ‘’A propos d’un sujet-origine, Ecrit sur la porte…’’
dans :– les Cahiers de linguistique et de littérature, n°1 , Fès, janvier 2001.
29
Que j’aperçois à la hauteur du toit de tôle sur la
mer comme un ciel.
36
La fille est supposée être la petite sœur d’Alexis, morte jeune et restée donc à
Pointe-à-Pitre.
37
Anabase, III, OC. p. 97.
30
Amitié du Prince, et bien que Henry ait jugé que
« de toutes les compostions de Saint-John Perse,
Amitié du Prince est fait de la simplicité la plus nue
et de la lumière la plus mystérieusement
limpide38 », la joute intervient entre cet Etranger de
renom et le Prince poète. Il n’y a nul repère pour
identifier lequel des deux serait l’autre, l’antihéros.
L’un constitue un alter ego pour l’autre, et
réciproquement. Le poète est Roi par sagesse, et le
prince est poète par les fomentations de l’esprit qui
le tourmentent. Pourtant, le Voyageur finira par
prendre le dessus, et maîtriser monde, l’accession à
l’état de ‘’moi’’ fiduciaire et le signe. Mais nul
conquérant victorieux, dans un sens narratif : le
grand gain est que l’hôte en soi (l’hôte dans son
ipséité) se libère de jour, et de nuit, pour finalement
renoncer son premier être et accéder à la
‘’virtualité’’ qui le surdétermine, puis le rend
accessible à l’autre. Tout simplement parce que son
pouvoir est de régner sur l’immensité du monde.
Mais là encore n’est pas la question. La même lutte,
plus complexe, continue dans ANABASE, ou même
après dans EXIL ou AMERS. Naît, définitivement, une
parité (in)soluble, moi et l’autre en moi. Pourtant,
Perse lui donnera deux issues contradictoires :
1) Il trouvera des émules, princiers ou insignifiants,
‘’réels’’ ou fictifs, au poète
38
Amitié du Prince (édition et commentaires par Albert Henry). Paris : Gallimard
[Publications de la Fondation Saint-John Perse], 1979. p. 47.
31
Se hâter ! se hâter ! témoignage pour l’homme !
*
Et le Poète lui-même sort de ses chambres
millénaires :
Avec la guêpe terrière, et l’Hôte occulte de ses
nuits,
Avec son peuple de servants, avec son peuple de
suivants —
Le puisatier et l’Astrologue, le Bûcheron et le
Saunier,
Le Savetier, Le Financier, Les Animaux malades de
la peste,
L’Alouette et ses petits et le Maître du champ et Le
Lion amoureux, et le Singe montreur de lanterne
magique.39
La micro-énumération semble, par ailleurs,
innocente. En réalité, elle concentre en elle, à
l’extrême, les grandes énumérations de Perse
(Anabase X, Exil VI, etc.) qui dis-persent40 l’identité
initiale, constitutive de la parité problématique.
Perse réduit les fonctions humaines, les métiers les
plus nobles à des éclats d’actions vaines ou utiles
qui font de chacun un poète et, qui plus est, un
poète qui peut se passer de ses mots. Le père-
39
VENTS, III, 4, OC. p. 224.
40
Ainsi, croissantes et sifflantes au tournant de notre âge, elles descendaient des
hautes passes avec de sifflement nouveau où nul n’a reconnu sa race/ et
dispersant au lit des peuples, ha ! dispersant –– qu’elles dispersent ! disions-nous
–– ha dispersant / Balises et corps morts, bornes militaires et stèles votives, les
casemates aux frontières et les lanternes aux récifs ; […]. VENTS, I, 3, OC. p. 184.
32
totem est remplacé par un essaim d’hommes-
actions miniaturisés.
[….] celui qui donne la hiérarchie aux grands
offices du langage ; celui à qui l’on montre, en très
haut lieu, de grandes pierres lustrées par
l’insistance de la flamme…
« Ceux- là sont princes de l’exil et n’ont que faire
de mon chant. »
2) Ou sinon, altera solutio, il contrera ce
mouvement généreux d’ouverture à l’émulation, à
l’altération de l’image princière du poète exaltée
par tous, en assimilant dans ses hommages Gide,
Larbaud, Rivière, Madariaga et les autres à des
motifs par lui célébrés (fleuve, arbre, oiseau,
aérolithe, …) ou en leur assignant des offices, en
tant que délégataires ou des provinces de son être
pour expliquer et illustrer les fondements de sa
poétique. Souvent au détriment de la vérité
historique. C’est en Prince, en prince des poètes et
des signes, que Saint-John Perse dit avoir reçu
Tagore :
Il vint à nous, hommes de l’Ouest, porteur de ce
Gitanjali dont « l’offrande lyrique » nous fut
d’abord au feuillage même d‘un grand arbre d’Asie
[…].
La voix lointaine nous fut proche ; son chant
d’homme d’Asie nous fut chant de partout un
même souffle s’animait entre toutes feuilles du
33
même Arbre, et la mousson d’été, qui hante la terre
natale du Poète, élevait jusqu’à nous sa plainte
coutumière41.
Et c’est donc en sa qualité de Prince de l’AMITIÉ qu’il
se comporte. Autocitation ? Oui. Mais à des fins
simples d’exiger que l’histoire (littéraire) continue
son œuvre et que les grands poètes de ce monde
ne servent que d’illustrations, que d’arguments
développés à la somme poétique qu’il propose. En
cela il contredit l’élan généreux du poème,
détourne les ruses du poète au profit de son
totalitarisme envahissant, et finalement se
contredit : « un poète ne peut proposer sa synthèse
à l’univers entier. » Apparemment, si ! Ainsi du
statut de la langue française, déjà évoqué. Perse
développe ses spécificités mimétiques, qu’il oppose
à celles de l’anglais. Cette dernière, très concrète,
donne lieu à une poésie abstraite et discursive. La
langue française, quant à elle, est selon lui très
abstraite, et sa poésie se doit d’être concrète. Or,
sous le prétexte de ce parallèle ‘’pseudo analytique,
entre, d’un côté, la concrétisation cratyléenne de
l’anglais résolue en exotérisme et, de l’autre, le
nominalisme du français, naturellement abstrait
jusqu’à l’ésotérisme mais poétiquement décidé en
intégration de la chose même, Perse discrimine non
pas deux langues, et par-là deux poésies, mais
41
OC. pp. 500.501.
34
l’écart, ici la tension, entre deux tendances
nécessairement dialectiques de sa propre équation
poétique. Le mythe de l’altérité linguistique n’étant,
nous le savons, qu’un mythe ou un cliché, à des fins
de subordination de l’altérité à ce que l’on suppose
être sa définition première et son identité.
Les discours des sectes, les pages ‘’littéraires’’ des magazines, les
propagandistes, savent déjà déterminer les fonctionnements de la cataphrase et
leur impact sur l’imaginaire.
44
Lettre à Archibald MacLeish, du 23 décembre, 1941, OC. p.549.
45
Lettre à Jean Paulhan, du premier novembre [19]49; in :- Cahiers St-J. Perse n°10;
Correspondance Saint-John Perse/Jean Paulhan, 1925-1966 (présenté et annoté
par Joëlle Gardes-Tamine). Paris, Gallimard [Les Publications de La Fondation St-J.
Perse], 1991, pp.68-70. Les Cahiers Saint-John Perse seront désormais notés :
CSJP, suivi du numéro de la livraison.
37
bornes de la propriété foncière46. » Je le dis sans
malice, autant nombre de poètes français
résisteraient si peu à l’épreuve de la traduction en
arabe (langue exigeant du souffle, et poésie très
métaphorique), autant Perse, malgré les quelques
querelles d’experts autour des traductions d’Amers,
coule de source en version arabe.
Car oui, il existe un Perse autre, arabe. A vrai dire,
une image de Perse créée de toutes pièces. Le
Perse que certains lettrés arabes francophones
connaissent et citent47, et le second, transposé, que
les anglophones connaissent uniquement à partir
de son image filtrée par la culture anglo-saxonne,
ou altérée, assimilée par la représentation qui en
est construite par les traductions, ou les quelques
lectures critiques. Un miroir continuel : de plan à
plan, l’image se fait autre, se cristallise autrement,
et pourrait donner naissance à un troisième. Il
faudrait mesurer tous les avatars de
l’instrumentalisation et de la création de l’image
(altérée ? et jusqu’à quel point recréée?) de
l’appropriation du poète, de tout poète en fait…
D’autant plus que l’appropriation de Perse a fondé
sur des radicelles thématiques (cheval, désert,
héros sans nom, représentation du monde, poésie
46
Georges Schéhadé..., OC. p.483.
47
Un phénomène surprenant : les poètes et romanciers d’expression française sont
tard venus à l’intégration et à la réception de ce poète. Leur gauche gauchisme,
ou leur choix d’une littérature de carte postale ou populiste le faisait juger trop
aristocrate pour eux. Mis à part, bien sûr, Abdelwahhab Meddeb et Salah Stétié.
38
amoureuse,…) et formelles classiques (récit
poétique, métaphore, langage liturgique,
raffinement formel, poésie libre …) dont les poètes
se demandaient que faire à l’heure des grandes
questions autour de la modernité et de l’identité,
particulièrement dans la revue Shi’r (poésie). Perse,
parmi quelques autres poètes occidentaux, a aidé,
à son insu, à résoudre en partie ces questions.
L’appropriation poétique n’est pas didactique : elle
est l’institutionnalisation, ou du moins la
légitimation d’une image construite (‘’appropriée’’,
altérée, faussée peut-être) d’un poème, ou d’un
poète.
« Dans une petite île de Polynésie sous protectorat
anglais, où l’on n’avait pas vu le pavillon français
depuis le temps de Louis-Philippe, on m’a fait
entendre un jour, en français, une scène d’Esther
dont les vers avaient été patiemment répétés,
pendant huit jours, par une très vielle religieuse
française de Saint-Paul de Chartres, à des jeunes
filles tongiennes incapables de comprendre un mot
de ce qu’elles récitaient : jamais Racine n’a été
moins trahi48. »
Or le problème est que l’on ait cru sans méthode
aucune, sous le faux incident, pouvoir
compromettre ou défendre le sens en opposant
universalité et identité. L’enjeu réel du ‘’rappel à
48
Témoignages littéraires, Lettre à Archibald MacLeish... du 23 décembre 1941, OC.
p.551.
39
l’ordre’’ était que l’on pouvait se hasarder à
confondre la légitimité (du lecteur) avec celle du
poète honoré. Ou simplement risquer de sous-
tendre la dichotomie universalité/identité d’une
autre plus conflictuelle : l’allégeance vs dissidence
dues à la francité native, tacitement opposée à la
francité acquise au labeur des mots, sous peine de
la mêler à soi… Cela éloigne de l’œuvre, et en
altère le ressourcement.
Ce jour-là, pour nous tous, l’autre n’était ni Perse,
ni Meddeb.
Bibliographie sélective.
Œuvres :
Saint-John Perse :-Œuvres complètes. Paris,
Gallimard [Coll. Bibliothèque de La Pléiade], 1982,
deuxième édition.
Amitié du Prince (édition et commentaires par
Albert Henry). Paris : Gallimard [Publications de la
Fondation Saint-John Perse], 1979.
Anabase (édition critique, transcription d’états
manuscrits, et études par Albert Henry). Paris :
Gallimard [Publications de la Fondation Saint-John
Perse], 1983, 323 p.
Revues et collectifs :
41
Alif n°7 : Pour fêter un souvenir. Tunis, sn, hiver
1977, 144 p
Pour Saint-John Perse; Etudes et essais pour le
centenaire de Saint-John Perse 1887-1987 (textes
réunis et édités par Pierre Pinalie). Fort-de-France
et Paris : Presses Universitaires créoles/
L'Harmattan, 1988, 220 p.
42
« Les jeunes des banlieues entre imaginaire
collectif et valeurs républicaines ».
43
nature de leur mal-être et de leurs revendications.
Ensuite sur la capacité de l’École de la République à
promouvoir auprès des jeunes les valeurs
fondamentales de la nation, à savoir : liberté,
égalité, fraternité, laïcité, droits de l’homme,
tolérance, esprit critique…
44
le tissu national. Elle agit sur le présent ensuite, en
offrant un lieu où les différences individuelles et les
inégalités réelles de la vie sociale s’estompent. Elle
agit enfin sur l’avenir, assurant une fonction bien
connue de promotion (et de reproduction) sociale.
L’action combinée de l’École sur le passé, le
présent et le futur des jeunes constitue sa
contribution à l’édification du citoyen et à la
consolidation de l’unité de la nation. Cet apport lui
est spécifique au sens où aucune autre institution
ne peut le lui disputer. Cette mission, l’École l’a
remplie avec plus ou moins de bonheur pendant un
siècle, jusqu’à la fin des Trente glorieuses dans les
années 1980. Elle a en effet puissamment contribué
à l’intégration des enfants des immigrés espagnols,
portugais, italiens, polonais… qui ont acquis les
valeurs de la République, la mémoire historique de
la nation, la promotion sociale, enfin, le sentiment
d’être Français. Pourquoi cela ne se passe pas ainsi
avec les jeunes des banlieues ?49
Notre hypothèse est que les enfants des familles
modestes originaires de l’ex-empire colonial
considèrent que l’École a triplement failli à leur
égard. D’abord, ils ne croient pas à l’égalité de
traitement dans l’espace scolaire où ils échouent
massivement (présent), pas plus qu’ils ne se croient
convenablement préparés à affronter le marché de
49
Leo Lucassen, The Immigrant Threat. The Integration of Old and New Migrants in
Western Europe since 1950, Chicago, University of Illinois, 2005.
45
l’emploi (futur). Du fait de leurs origines (passé), ils
se perçoivent plus fortement discriminés que les
Français d’origine européenne de même catégorie
sociale. Pire encore, ils ont le sentiment d’être
exclus de la communauté nationale et relégués à
des communautés méprisées : arabo-islamique et
négro-africaine. Aussi éprouvent-ils de la colère et
ressentent-ils de la honte. De tels sentiments
négatifs les empêcheraient de croire que valeurs de
la République s’appliquent également à eux, et de
partager avec le reste de la nation une mémoire
historique où ils ne figurent qu’au titre peu glorieux
de descendants de colonisés ou d’esclaves.
La nécessité anthropologique de la
reconnaissance
L’hypothèse ci-dessus énoncée s’appuie sur la
théorie de la reconnaissance dont les origines
remontent en tant que philosophie sociale au jeune
Hegel50 et en tant que psychologie sociale à George
Herbert Mead51, mais c’est à Axel Honneth que l’on
doit sa réactualisation systématique52. La thèse de
Honneth est que « l’expérience de la
reconnaissance est un facteur constitutif de l’être
humain : pour parvenir à une relation réussie à soi,
celui-ci a besoin d’une reconnaissance
50
Divers textes de l’époque d’Iéna, notamment celui écrit en 1802-1803 : G. W. F.
Hegel, Système de la vie éthique, Paris, Payot, 1976.
51
G. H. Mead, L’esprit, le soi et la société, Paris, PUF, 1963.
52
A. Honneth, La lutte pour la reconnaissance, Paris, Éditions du Cerf, 2002.
46
intersubjective de ses capacités et de ses
prestations ; si une telle forme d’approbation
sociale lui fait défaut à un degré quelconque de son
développement, il s’ouvre dans sa personnalité une
sorte de brèche psychique par laquelle
s’introduisent des émotions négatives comme la
honte ou la colère » (p. 166).
En un mot, la honte, la colère et l’indignation
ressenties face à l’injure ou au mépris constituent
la motivation affective dans laquelle s’enracine la
lutte pour la reconnaissance. L’être humain finit par
avoir honte de lui-même lorsqu’il découvre qu’il ne
possède pas la valeur sociale qu’il s’attribuait
jusque-là. La lutte pour la reconnaissance peut
revêtir diverses modalités allant de la lutte politique
à la lutte armée, les guerres de libération des
peuples colonisés entrant dans cette dernière
catégorie.
Honneth identifie trois sortes de mépris. La
violence physique constitue la première sorte de
mépris. « L’expérience de la torture ou du viol
provoque toujours un effondrement dramatique de
la confiance de l’individu relativement au monde
social et donc à sa propre sécurité » (p.163). De
même, l’esclavage constitue une « mort
psychique » (p. 165)53.
53
Voir Orlando Patterson, Slavery and social Death. A Comparative Study,
Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1982.
47
L’exclusion structurelle de droits fondamentaux au
sein de la société constitue la deuxième forme de
mépris personnel dont le sujet est victime. La
particularité de cette forme de mépris que constitue
l’exclusion sociale, car c’est de cela qu’il s’agit,
donne au sujet le sentiment « de ne pas avoir le
statut d’un partenaire d’interaction à part entière,
doté des mêmes droits moraux que ses
semblables » (p. 164). Par ailleurs, l’expérience de
la privation de droits conduit à une perte de respect
de soi, avec la même conséquence : « l’incapacité
de s’envisager soi-même comme un partenaire
d’interaction susceptible de traiter d’égal à égal
avec tous ses semblables » (ibidem).
Le regard méprisant porté sur le mode de vie d’un
groupe constitue la troisième sorte de mépris. Ce
regard méprisant porté sur des modes de vie
individuels et collectifs « est aujourd’hui
couramment désignée comme une offense ou une
atteinte à la dignité d’autrui » (p. 164). Or, l’auteur
estime que « si la hiérarchie sociale des valeurs est
ainsi faite qu’elle juge inférieurs ou imparfaits tel ou
tel mode de vie, telle ou telle conviction, alors elle
interdit aux individus concernés d’attribuer à leurs
capacités personnelles une quelconque valeur
sociale » (ibidem).
La théorie de la lutte pour la reconnaissance est-
elle adaptée au cas des immigrés originaires de
48
l’ex-empire colonial ? D’abord, leur mémoire
collective a enregistré la violence physique vécue
par leurs ancêtres, notamment l’esclavage et son
cortège d’horreurs, la spoliation des terres, le
travail forcé, l’intégration forcée aux forces
supplétives de l’armée française, les tortures
infligées aux « indigènes » pendant les guerres de
décolonisation54…
Ensuite, la négation structurelle de leurs droits. Ils
la ressentent autant par les discriminations de la
vie quotidienne que par les discriminations que
leurs grands-parents ont connues, notamment le
Code de l’indigénat55 et autres législations
d’exception et, plus près de nous, par le traitement
réservé à ces combattants originaires d’Algérie et
d’Afrique, ces harkis et autres tirailleurs sénégalais
qui après avoir versé leur sang pour la France, ont
vu leurs droits légitimes niés56. Contrairement aux
autres Français, militaires et civils, rapatriés
d’Algérie à son indépendance, en 1962, les
supplétifs arabes de l’armée française ont été
parqués dans des camps entourés de barbelés – les
« hameaux » –, réduits à la misère et plongés dans
54
Voir Pascal Blanchard, Nicolas Bancel et Sandrine Lemaire, La fracture coloniale,
Paris, La Découverte, 2005.
55
Code legislatif mis en place en Algérie dès 1874 et inscrit dans la loi à partir de
1881 faisant des peuples colonisés des « sujets français » et non pas des citoyens
français, comme l’étaient les « Français de France ».
56
Voir Émile Blanchard, « Les tirailleurs, bras armé de la France coloniale », Plein
Droit, n°56, mars 2003, numéro spécial « Les spoliés de la décolonisation ».
49
la honte pendant près de quarante ans57, sans
qu’une telle injustice ne soulève l’indignation des
élites, ni ne déclenche un mouvement de solidarité
populaire.
Enfin, le mépris d’autrui et de sa culture peut
revêtir la forme d’une violence symbolique que
nous illustrerons par les caricatures ridiculisant le
prophète Mahomet publiées dans des journaux
danois, norvégiens et français (France-Soir, Canard
Enchaîné) en février 2006. Dans l’une d’elle, le
prophète est représenté enturbanné d’explosifs,
désigné ainsi comme le responsable moral du
terrorisme islamique. Elles sont perçues, à tort ou à
raison, comme un amalgame entre islam et
terrorisme, un acte d’islamophobie, une injure à
leur culture, in fine comme une escalade dans le
mépris. Or, pour les journalistes et les intellectuels
occidentaux, il ne s’agissait rien moins que de
défendre la liberté d’opinion et la liberté de la
presse. D’où rigidité et incompréhension des deux
côtés.
Voici à titre d’illustration l’argumentaire du
philosophe Paolo Flores D’Arcais, sous le titre « Ma
liberté, ta susceptibilité » : « Si je me moque de ta
foi, je ne t’interdis pas de la pratiquer. Tu es libre
de te moquer de la mienne, pas de m’interdire de
manifester mes convictions, parmi lesquelles le fait
57
Jean-Jacques Jordi et Mohand Hamoumou, Les harkis, une mémoire enfouie, Paris,
Autrement, 1999.
50
de considérer la religion comme une superstition à
l’instar de l’astrologie ou des tarots (sauf qu’elle est
historiquement plus dangereuse) »58. Que de mépris
pour la foi d’autrui traitée de superstition et
assimilée à l’astrologie et au tarot ! Et quelle
arrogance à se proclamer le défenseur de la liberté
(valeur noble s’il en est) et à réduire la position de
l’autre à une réaction émotionnelle, irréfléchie par
définition, une simple crispation d’amour-propre,
une susceptibilité !
59
Paul Ricœur, Parcours de la reconnaissance, Paris, Gallimard, coll. Folio essais,
2004, p. 313.
52
vus par lui, relève de l’imaginaire collectif. Mais si
de nombreux politiques ont pris conscience de la
dimension sociale du problème au point
d’envisagent des mesures pour atténuer l’échec
scolaire, améliorer le logements et prévenir la
discrimination à l’emploi, la dimension imaginaire
reste incomprise.
Comment modifier l’imaginaire national de sorte à
intégrer ceux qui se sentent exclus ? Une réponse
se trouve dans les récents travaux sur l’histoire de
la colonisation et de son prolongement,
l’immigration, qui remettent en cause la vision
mythifiée de la République que l’École et les médias
véhiculent60. Ainsi Nicolas Bancel constate que « la
France n’a pas encore vraiment intégré l’histoire de
la colonisation, et surtout celle de l’immigration,
dans son récit national. Or, même si l’immigration
n’est pas la simple prolongation de la colonisation,
les deux réalités sont liées dans la mesure où la
majorité des migrants sont aujourd’hui issus
d’Afrique noire et du Maghreb »61.
L’auteur note la permanence de schèmes
coloniaux dans la culture et les mentalités en
France après la guerre d’Algérie et les
indépendances. Ce sont précisément, écrit-il, « ces
héritages historiques qui expliquent en partie des
60
Un bon apperçu de la bibliographie figure dans Pascal Blanchard, Nicolas Bancel
et Sandrine Lemaire, La fracture coloniale, Paris, La Découverte, 2005.
61
Nicolas Bancel, « L’immigration fait partie de l’histoire de France », Alternatives
Internationales, n°30, mars 2006, p. 35.
53
phénomènes contemporains, telles les
discriminations et la difficile intégration des
immigrés et de leurs enfants » (ibidem). D’où vient
la difficulté à regarder l’histoire en face ? L’auteur
l’explique par le fait que « la colonisation était liée,
au moment de la grande poussée impériale des
années 1880-1900, aux valeurs même de la
République. Au-delà d’évidents intérêts
économiques, les colonisateurs prétendaient – et
souvent sincèrement – diffuser les Lumières chez
des peuples considérés comme « inférieurs ». Le
réexamen de cette « mission civilisatrice »,
profondément ambiguë, ébranle donc les
fondements de l’idéologie républicaine et du récit
national » (ibidem).
Or, la construction du récit national est de la
responsabilité de l’École qui le transmet par les
manuels d’histoire. L’examen de ces derniers
indique que colonisation et immigration sont des
« points aveugles de l’histoire à l’École »62. Notre
récit national n’intègre en effet ni les injustices, les
souffrances et les humiliations infligées aux peuples
colonisés, ni l’étude de l’immigration comme suite
de la colonisation. « Une telle carence, poursuit
Bancel, laisse la porte ouverte à l’élaboration de
mémoires particulières par des groupes culturels ou
62
Sandrine Lemaire, « Colonisation et immigration : des points aveugles de
l’histoire à l’école ? », in P. Blanchar, N. Bancel et S. Lemaire, La fracture coloniale,
2005, pp. 93-104.
54
ethniques. Mais la mémoire n’est pas l’histoire.
Chaque groupe élabore donc la sienne isolément,
avec les risques de mythologie et de victimisation
que cela suppose. La concurrence des mémoires et
des victimes qui se développe en France est à cet
égard mortifère. Une intégration collective,
réfléchie, contradictoire de la colonisation et de
l’immigration dans le récit national peut l’enrayer »
(ibidem).
En conclusion, les violences urbaines et la crise
des banlieues, loin d’être le signe d’un
communautarisme revendiqué, constituent, bien au
contraire, une demande maladroite et désespérée
d’intégration dans le modèle français laïc et
universaliste. Pour ce faire, il convient de
« décoloniser les imaginaires », pour reprendre
l’expression de Patrick Simon, pour rendre aux
immigrés originaires de l’ex-empire leur dignité et
pour modifier le regard négatif des Français à leur
encontre. Ainsi pourra-t-on construire une mémoire
historique commune acceptable par tous.
55
Les langues comme facilitateurs de la rencontre de
l’autre, Richard LESCURE, ambassade de France en
Bulgarie - Conseiller-adjoint de coopération et d'action
culturelle - Directeur-adjoint,
Institut français de Sofia.
56
occidentale par exemple), cette association terminologique
n’est en rien pléonastique.
63
Alors secrétaire général de l’ONU, puis de l’Organisation Internationale francophone,
jusqu’à il y a peu.
57
sécurité et le progrès économique pour tous
deviendraient toujours plus difficile à assurer ».
66
contenu régulièrement repris dans les préambules de la Constitution française
60
- Que les femmes et les hommes pourront
pleinement jouer leur rôle de citoyen actif, en
participant à la vie démocratique, en ayant
conscience des droits et de l’étendue de leurs
responsabilités,
Pour cela, que l’on soit clair, comme nous l’avons dit à la
suite de Boutros Boutros Ghali, on ne peut continuer à se
focaliser sur les particularismes nationaux, les identités telles
que l’état nation les a développés au 19ème siècle (et les
exciper). Et c’est bien à ce niveau là que l’enseignement des
langues peut intervenir – parmi d’autres dispositifs possibles
(mobilités : programmes ERASMUS, COMENIUS… échanges
divers.
62
moyens qui étaient les leurs pour dire et exprimer leur univers,
défendre leurs valeurs et leurs croyances….
67
« toutes les langues européennes sont, d’un point de
-
vue culturel, égales en valeur en en dignité et font
intégralement partie de la culture et de la civilisation
européennes/…/ »69
Le laisser faire ou le libéralisme en matière linguistique
(comme en économie) ne peut qu’accentuer les dominations
(cf. l’enseignement dit « précoce » des langues en France qui a
renforcé la position de l’anglais). En matière de politique
linguistique aussi, l’absence de choix est encore le plus
mauvais choix. Le dirigisme absolu, tel qu’il a été pratiqué dans
différents pays (PECO) paraît bien peu approprié. Il convient
plutôt de convaincre, à la suite d’informations destinées aux
familles, aux élèves, aux étudiants.
69
que de replacer l’humain au centre des préoccupations du
politique. Mais, serait-ce devenu aujourd’hui la dernière utopie ?
70
C’est ce qui est au cœur des approches dites actionnelles (tâches à réaliser,
interactions avec l’autre natif ou non de la langue…)
70
d’approche interculturelle71. Il s’agit de développer des
démarches de décentration (lutte contre les centrismes : socio
et ethnocentrismes), de revalorisation des cultures en
présence, d’ouverture.
71
Nous rappellerons que l’année 2008 sera l’année du dialogue interculturel
71
B - Dispositifs et instruments en Europe pour une
éducation à la rencontre de l’autre
linguistiquement et culturellement différent
72
Les travaux sur les Niveaux-Seuils sont actuellement
poursuivis, en même temps que sont travaillées et
expérimentées des spécifications pour les autres niveaux à
l’échelle européenne (A1 survie au C2 niveau du quasi
bilingue).
72
cf . colloque ALTE d’avril 2007 et colloque CIEP juin 2007
74
Les porfolios européens des langues
76
Pour l’U.E. d’autres dispositifs renforcent la pratique des
langues :
C - Remarques et réserves
77
En ce qui nous concerne nous militons pour une adaptation
et une prise en compte de la diversité, nous luttons contre les
centrismes et les impositions extérieures qui méconnaissent le
foisonnement du terrain.
Séminaire d’anthropologie :
Les langues de l’autre (R.L. 2007)
73
la formation de l’esprit scientifique, Vrin
74
E. Levinas : Totalité et infini, 1961, au-delà de l’essence, 1974
78
(Références sélectives)
79
Luxembourg : Office des
publications officielles des
Communautés européennes,
1999
81
Les figures de l’autre chez Cornélius
Castoriadis75. Georges Bertin76.
75
sources : L’institution imaginaire de la société, Le Seuil, 1975, et Les racines psychiques et sociales de la haine, in Les
carrefours du labyrinthe, VI, Figures du pensable, Le Seuil, 1999, David Gérard, Cornélius Castoriadis, le projet
d’autonomie, éd Michalon, 2000.
76
Conférence introductive au colloque, séminaire CRAI, CNAM des Pays de la Loire,
IFORIS, 2007.
82
rapport avec l’imagination créatrice souligne la
dimension “romantique” de l’idée d’autonomie; en
même temps, les projections imaginaires de la
maîtrise rationnelle distinguent la logique de la
domination des courants contestataires qui
remontent aux lumières. A partir de la conception
freudienne, Castoriadis thématise l'élément
imaginaire constituant de la psyché. Sa définition
de la psyché comme imagination radicale, c'est-à-
dire essentiellement comme émergence de
représentations ou flux
représentatif/affectif/intentionnel non soumis à la
déterminité, implique des conséquences
ontologiques, logiques, métapsychologiques, mais
aussi une redéfinition de la psychanalyse comme
activité pratico poétique et une nouvelle conception
du sujet.
La notion freudienne de sublimation, centrale chez
lui, est reprise et ré élaborée tout au long de son
œuvre d’une façon très originale, elle est, de fait,
replacée et modifiée à travers sa double
articulation avec l'imagination radicale de la psyché
et le processus de socialisation. Dans son œuvre
ultérieure la notion de sublimation sera enrichie,
directement et indirectement, par le rôle qu’il lui
confère dans sa théorisation du sujet humain,
notamment dans son rapport avec la passion, la
réflexion et la subjectivité autonome.
83
Le point central de l’œuvre de Castoriadis est, de
fait, le concept d'autonomie.
A la question, qu’est-ce que l’autonomie ?
Castoriadis répond : « L’autonomie est autoposition
d’une norme, à partir d’un contenu de vie effectif et
en relation avec ce contenu (…) soit comme la
capacité, d’une société ou d’un individu, d’agir
délibérément et explicitement pour modifier sa loi,
c’est-à-dire sa forme. » Aujourd’hui, ce projet paraît
commun à la psychanalyse issue de Freud et, bien
qu’il y soit tombé en sommeil, au politique77.
« Deviens autonome » : voilà l’impératif pratique
qui, aux yeux de Castoriadis, domine les trois
champs, politique, psychanalytique et
philosophique. L’objet de la politique consiste à
créer, en se servant de l’imagination radicale, des
institutions qui, une fois intériorisées, permettent
l’accès de chacun à l’« autonomie ». D’après
Castoriadis, « ces institutions tiennent ensemble
parce qu’elles incarnent chaque fois un magma de
significations imaginaires sociales. Il n’y a jamais eu
et il n’y aura jamais de société purement
fonctionnelle. L'institution imaginaire de la société
vise donc à penser la conjonction du discours
politique et du mouvement des hommes avec
lequel il doit se rencontrer -peut-être dirait-on
aujourd'hui le "mouvement social", mais il n'est pas
77
Redeker Robert, Contre le conformisme généralisé, Le Monde diplomatique, août 1997.
84
sûr que ce terme convienne. Car parler du
mouvement social et lui déléguer la responsabilité
d'orienter l'action publique, c'est reléguer au
second plan -pour plus tard?- ce qui fait tout le
problème: la jonction de la théorie et du
mouvement, du dire et du faire.
Castoriadis a su, avec le thème de l'autocréation
de la société, poser dans toute sa complexité la
question de l'institution: qu'est-ce qu'instituer,
autrement dit comment une nouvelle forme de vie,
c'est-à-dire une nouvelle pratique douée de sens,
peut-elle advenir parmi les hommes? Il s'agit donc
de ressaisir dans son déploiement, contre toutes les
cristallisations imposées, ce que Castoriadis appelle
"le faire pensant".
85
radicale du sujet humain et l’imaginaire social
instituant créent, et créent ex nihilo. » C’est ex
nihilo que cette imagination confectionne les
structures de l’existence humaine : vitales,
psychiques et socio-politiques. Castoriadis renverse
la vulgate philosophique : loin d’être des
productions de la raison, les constructions
politiques, juridiques et morales sont des créations
de l’imagination (la raison étant elle-même une
dérivée de l’imagination).
87
le cadre de la psyché/soma. L'imaginaire dont parle
Castoriadis n'est pas "image de" : "il est création
incessante et essentiellement indéterminée
(social-historique et psychique) de figures, formes,
images à partir desquelles seulement il peut être
question de "quelque chose". Ce que nous appelons
"réalité" et "rationalité" en sont des oeuvres" .
Imaginaire social.
Par " imaginaire social ", Cornélius Castoriadis
entendait désigner l’ensemble des " significations
imaginaires sociales " partagées par les
78
In Journal des Chercheurs, Pr René Barbier, http://www.barbier-
rd.nom.fr/.
89
membres d’une société. Exposée dans l’Institution
imaginaire de la société, cette conception permet
de rendre compte de la nouveauté en histoire,
autrement dit de l’" Événement ": elle est
synonyme de " faculté de novation radicale ", de "
puissance de création des collectivités humaines ".
Il rend opératoires ces concepts dans son analyse
du discours de la haine, et trouve deux sources aux
racines de la haine :
• La psyché rejette ce qui n’est pas elle-même,
• L’institution sociale tend à se clore sur elle –
même.
Psychogenèse et sociogenèse.
Entre monde privé et monde public, l’individu
institué socialement relève à la fois d’une
psychogenèse et d’une sociogenèse quand la
psyché s’ouvre au monde social historique. Nous ne
93
sommes pas très éloignés de la conception du trajet
anthropologique de Gilbert Durand , lequel s’opère
chez lui, dans une perspective plus structurale,
entre intimations du milieu et pulsions subjectives.
95
Toutes deux trouvent leur origine dans le refus de
la monade psychique d’accepter ce qui pour elle
est, au même titre, étranger. Elle refus et l’individu
socialisé dont elle a été obligée de revêtir la forme,
et les individus sociaux dont elle ne peut assumer
la co-existence vécue comme moins réelle que la
sienne.
Car la société n’est pas transparente, les
institutions y socialisent, y domptent la haine par le
recours à la compétition individuelle, au potlatch, à
l’agon, voire à la malveillance, toutes ces forces
détournant une part de la haine, de l’énergie
destructive disponible.
Ceci ne peut se réaliser qu’à condition de garder
en réserve une partie de la haine disponible, de la
destruction. « La haine conditionne la guerre, elle
s’exprime dans la guerre ».
Et quand les ressources de ce réservoir de haine
ne sont pas mobilisées, elles s’expriment dans le
mépris, la xénophobie, le racisme.
Le tendances destructrices des individus
confortent les tendances sociales à se clore à se
refermer, et toute question aux collectivités est
vécue comme menace : « nos normes sont le bien,
notre dieu est vrai », chaque société est ainsi
interprétation du monde, si on l’attaque elle se
défend (impérialisme des significations). Dans ce
cadre, l’altérité est impossible.
96
La rencontre d’une société avec les autres ouvre,
dés lors, trois possibilités d’évaluation :
Deux positions intolérables pour l’individu car
vécues comme attentatoires à ses repères
identificatoires :
-les autres sont nos supérieurs, accepter cela c’est
renoncer à ses institutions, accepter celle des
autres.
-les autres sont nos égaux : si on accepte cela,
c’est faire le lit de l’indifférence .
La troisième position est dés lors choisie : les
autres sont nos inférieurs, donc leurs institutions
sont incomparables aux nôtres, sinon cela nous
conduirait à accepter chez les autres ce qui est
pour nous abominable.
Reconnaître l’altérité essentielle, c’est
accepter la rupture de la clôture de la signification,
la mise en question de l’institution donnée de la
société, c’est avec Homère, Hérodote, Swift,
Montesquieu, Montaigne , considérer que les autres
ne sont ni pervers, ni inférieurs.
Et les formes historiques d’institutions étant
multiples, hétérogènes, l’hostilité à l’égard des
étrangers parcourt tout le spectre des possibles : du
meurtre immédiat à l’hospitalité généreuse entre
tolérance totale et intolérance instituée via
certaines formes de tolérance partielle.
97
D’où la nécessité à reconnaître la quantité de
haine retenue dans le réservoir social que
l’institution n’a pas voulu canaliser vers d’autres
objets. L’imaginaire social doit pouvoir être
interrogé aussi dans ce sens.
Facteur aggravant : par pulvérisation des repères
identificatoires traditionnels, la dissolution des
collectivités intermédiaires dans les sociétés
capitalistes, privant les individus de possibilités
d’identifications alternatives pour les individus.
C’est ce qui donne les crispations sur la religion, la
nation, la race, et l’exacerbation de la misocénie.
104
105
« Figures de l’Autre dans la création
artistique », synthèse de l’atelier.
107
Toutefois, la place accordée à cet imaginaire dans
le champ de la création artistique varie selon le
domaine considéré et il s’agit là d’une idée qui
s’articule presque toujours autour de la notion
d’émotion. Mais si la part accordée à l’émotion en
tant que telle est généralement rare dans la
création artistique, il semble néanmoins que la
surprise et l’intuition trouvent, quant à elles,
souvent leur place dans ce processus. V. Liard et G.
Bertin préfèrent parler d’anima, concept emprunté
aux théories jungiennes. Cette figure, souvent
symbolisée par le mythe de Mélusine, est en effet
largement utilisée et interrogée dans la littérature
(G. Bertin). Elle et son pendant l’animus renvoient
respectivement à cette part de féminité (ou de
masculinité) que chacun, homme ou femme, porte
en soi. Ici, l’analyse de l’imaginaire dans la création
donne une image archétypique de l’autre sexe, par
laquelle il est alors possible d’appréhender la figure
de l’Autre. Cette manifestation du pouvoir
transcendant de la femme est un élément
facilitateur de l’accomplissement d’une quête :
celle de l’identité. De la même façon, le masque (Y.
de Sike) appartient à ce domaine de l’imaginaire.
En donnant, ou, au contraire, en ôtant une identité
(voire en donnant une seconde identité, une
identité autre), il constitue un « excellent moyen de
rapprocher l’Autre car il permet toutes les versions.
108
Or, toutes les versions sont bonnes car elles font
appel à l’imaginaire de tous ». Le travail de masque
constitue donc une possibilité d’apprendre l’altérité
en facilitant ce processus, notamment chez
l’enfant, alors capable de jouer avec son « moi » et
le « moi » des autres. Ceci rejoint en partie
l’analyse d’Y. Chenouf qui pose que chez Claude
Ponti, l’Autre est à construire de façon imaginaire, à
travers un petit personnage avec lequel l’enfant va
converser, mettant ainsi en avant la nécessité du
collectif et de la présence d’un lien de solidarité
dans l’établissement de la relation à l’Autre.
Les pratiques d’animation quelles qu’elles soient
(animations en maisons de retraite, formations à la
danse hiphop) évoquées par P. Arantes et D.
Pacault vont d’ailleurs dans ce sens, en favorisant,
dans un premier temps, le passage du lieu privé
vers l’espace collectif et en insistant ensuite sur la
notion de tissage de liens via les talents individuels
et les initiatives de médiation artistique.
Ce phénomène de création de passerelles
(soignant/soigné, formateur/apprenant,
auteur/lecteur…) est particulièrement prégnant
dans le secteur de l’édition, domaine dans lequel J.
Ferreux montre comment cette relation
éditeur/auteur peut être appréhendée autant sous
le jour de l’altérité que de l’altération, ce qui
conduit à placer l’éditeur en position de passeur,
109
accoucheur, véritable maïeuticien (en tant qu’aide
à la (pro)-création artistique) des idées de son
auteur. Ce point central a été repris plusieurs fois
au cours de l’atelier. C’est ainsi la façon dont A.
Bellakdar qualifie Saint-John Perse : comme
passeur, symbole de l’oscillation entre identité et
altérité, entre le « moi » et l’Autre. De la même
manière, L. Grimaud parle de la fiction, et plus
particulièrement de la voix du narrateur, comme
« porteuse » d’un savoir, c’est-à-dire mère,
vectrice, capable de générer, d’engendrer même,
une autre parole susceptible à son tour d’altérer le
lecteur en lui octroyant une connaissance
supplémentaire qu’il ne possédait pas. L’existence
de cette voix autre (car à la fois construite de
toutes parts et fruit de la création artistique)
contraint le texte en même temps qu’elle se heurte
à la logique du lecteur, qui lui est différente, autre,
en obligeant ainsi ce dernier à renoncer à son
propre logos et, partant, à ses illusions, point de
vue que partage Y. Chenouf pour qui « rencontrer
l’Autre c’est aussi abandonner quelque chose de
soi ».
Le risque est alors grand de tendre vers
l’uniformisation, la banalisation, la normalisation de
l’Autre et ce, en vertu d’une quelconque
idéalisation que l’on se fait de lui. Car il est de fait
qu’il est souvent facile de projeter dans cet Autre,
110
au sens de celui que l’on ne connaît pas, ses
propres valeurs, parfois illusoires, qui peuvent
conduire à une représentation fantasmée de cet
Autre, vision dont il est ensuite difficile de se libérer
(V. Liard). Il s’agit donc de dépasser cet
assujettissement de l’individu aux autres. L’une des
dérives mise en lumière à travers les différentes
communications réside dans l’interprétation de
l’idée d’ « être soi-même » car, si l’on suit
notamment le cheminement de V. Liard à travers
l’analyse de l’œuvre de C. G. Jung, il convient de
distinguer deux éléments : d’une part ce qui relève
de la connaissance de soi et d’autre part ce que
l’Autre attend de nous. La part
d’attendu/d’idéal(isation) est donc relativement
importante. Et face à des formes d’expression
plurielles et complexes (comme peut l’être
l’exemple de la danse hiphop), la tendance à la
différenciation selon un schéma manière conforme
vs. pratique déviante (qui n’est pas sans rappeler le
concept bourdieusien de culture dominante/culture
dominée, et toute la notion de norme qui s’y
rattache), puis à l’identification (par le biais
d’emblèmes ou, a contrario, de stigmates) est
grande. Ceci peut entraîner, à terme et dans
certains secteurs, des problèmes de revendication,
voire une certaine part de militantisme, même s’il
convient là encore de nuancer le propos. D. Pacault
111
est d’ailleurs rejoint par V. Liard lorsqu’elle pose
que s’identifier au groupe (sous-entendu dominant)
constitue le moyen le plus simple de trouver la
sécurité. D’où l’apparition de certains phénomènes
tels la xénophobie, le racisme ou le fanatisme qui,
s’ils dépassent le cadre strict de la création
artistique pour rejoindre la dimension politique,
n’en sont pas moins pertinents dans la définition
des relations d’altérité. En effet, dans ces cas
précis, l’individu n’est plus « qu’un atome au milieu
d’une structure (souvent l’État) » (V. Liard). Il n’y a
plus l’un et l’autre puisque l’existence de ce dernier
est totalement annihilée car jugée non-conforme à
une certaine représentation. Pour éviter ce genre
de dérives, qui se traduit ensuite par une perte de
repères culturels, V. Liard, tout comme Y. Chenouf
ou P. Arantes, insistent non seulement sur le rôle de
garants du comportement de référence qui
appartient aux différents éducateurs et animateurs
mais aussi sur la nécessité de maintenir une
relation avec l’Autre basée sur l’unicité et
l’individuation, ce qui empêche les sujets de se
fondre dans la masse en les maintenant comme
acteurs. Cela est notamment rendu possible par un
recentrage sur soi qui permet non seulement le
développement de soi mais aussi la découverte de
l’Autre. Et c’est bien de l’équilibre entre ces deux
éléments dont il s’agit : permettre la découverte et
112
la construction de sa propre identité tout en
maintenant l’Autre comme partenaire dans ce
processus. Dans cette optique, il apparaît que c’est
en réinterrogeant les modèles institutionnels et les
pratiques artistiques et culturelles déjà en place
qu’il sera sans doute possible – sinon de mieux la
penser – au moins de penser autrement l’altérité.
Lien http://www.cnam-paysdelaloire.fr/figures-de-l-
autre-imaginaires-de-l-alterite-et-de-l-alteration-br-actes-
du-colloque-international-d-angers--51455.kjsp?
RH=CST4
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114