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au pays de la
convergence
Sérénité, malaise et détresse dans la profession
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Journalistes
au pays de la
convergence
Sérénité, malaise et détresse dans la profession
Marc-François Bernier
ISBN 978-2-7637-8722-0
Préface.............................................................................................................. IX
Introduction.................................................................................................... 1
Chapitre 1
De la gazette à la convergence numérique................................................... 7
Mise en contexte économique...................................................................... 10
Mise en contexte sociologique..................................................................... 16
Influence sur les contenus..................................................................... 19
Qu’en pense le public ?........................................................................... 31
Chapitre 2
Les impacts de la concentration et de la convergence des médias
sur la qualité, la diversité et l’intégrité de l’information............................ 37
Les impacts sur la qualité de l’information................................................. 44
Propriété, convergence et information locale........................................ 49
Diversité de l’information............................................................................ 56
Intégrité du journalisme.............................................................................. 67
Conclusion.................................................................................................... 75
Chapitre 3
Rejet massif de la concentration et de la convergence................................ 77
Notes méthodologiques............................................................................... 78
Le profil des répondants.............................................................................. 79
La qualité de l’information.......................................................................... 85
Liberté, autocensure et professionnalisme................................................... 99
L’autocensure......................................................................................... 103
VIII Journalistes au pays de la convergence
Chapitre 4
Le credo des journalistes québécois............................................................. 149
Indice moyen de l’écart journaliste/média du credo journalistique............ 166
Conclusion....................................................................................................... 169
Annexe............................................................................................................. 179
Bibliographie................................................................................................... 185
Préface
Dans le cas particulier du Québec, on ne peut fermer les yeux sur un fait
majeur auquel nous sommes tellement habitués que l’on en minimise l’impor-
tance : la nation québécoise n’a aucun contrôle sur l’information électronique
régie entièrement par le gouvernement central qui, à travers Radio-Canada,
est en plus lui-même un acteur majeur de la radio et de la télévision. La cour
suprême du Canada nous a depuis longtemps dépouillés de nos dernières
ambitions juridictionnelles dans ce secteur pourtant vital. Peu de nations
vivent dans une telle dépendance qui n’est pas sans conséquences.
Les résultats des nombreux sondages rapportés dans ce livre démontrent
bien par ailleurs que la situation actuelle n’est pas l’apocalypse que certains
évoquent. Le présent système n’a pas que des aspects négatifs même s’il règne
de profondes inquiétudes, voire de la détresse chez plusieurs hommes et fem-
mes du métier à qui a été demandé par sondage d’en apprécier l’exercice.
Comme la profession médiatique a pour objet la réalisation concrète de l’une
des plus belles conquêtes démocratiques de l’histoire, la liberté de presse, il
ne serait que normal qu’elle s’exerce dans les conditions les plus gratifiantes.
Le niveau de frustration perçu montre bien que des correctifs s’imposent et
que c’est le devoir d’une société avancée de tenter de les apporter.
Quels sont donc ces principaux paradoxes qui préoccupent à ce point
non seulement les professionnels qui doivent les vivre au quotidien mais aussi
l’ensemble de la population ? D’abord comment rééquilibrer un monde aussi
délicat que l’information, dont la moindre manipulation étatique arbitraire
peut être néfaste, mais qui est en même temps trop important, en regard de
notre vie démocratique, pour être laissé complètement à lui-même ?
Ce paradoxe principal qui engendre la plupart des autres réside dans
le fait qu’une information de qualité constitue une valeur collective de pre-
mier ordre, à l’instar de la justice et de la sécurité, et l’on en confie pourtant
la gestion, sauf de notables exceptions, exclusivement au secteur privé. Il
s’en suit que les règles implacables de l’économie de marché s’appliquent
fatalement à l’univers médiatique, créant ainsi des turbulences analogues à
celles connues par l’ensemble de ce type d’économie, particulièrement depuis
quelques décennies.
Plusieurs événements récents illustrent en effet une tendance lourde du
capitalisme contemporain à faire dériver la liberté vers l’anarchie. L’entreprise
privée, qui reste malgré tout la meilleure façon de créer la richesse, n’est pas
Préface XI
forcément la plus vertueuse quand elle doit gérer le champ délicat du droit du
public à l’information qu’elle ne l’est dans les autres sphères de son activité.
Croire à une certaine éthique capitaliste ne veut pas dire qu’on doive l’estimer
parfaite ni pratiquée au même niveau par toutes les firmes. Cette croyance
doit évidemment n’être jamais naïve.
D’ailleurs, même les entreprises de presse non capitalistes ne sont pas
inoculées contre tous les travers de leurs homologues qui sont en affaires.
Elles ne sont pas privées certes, mais elles sont en concurrence avec des firmes
qui le sont. Cela peut les amener à des comportements semblables à ceux
de concurrents motivés par le seul profit. Ne serait-ce qu’en raison du fait
qu’elles puisent elles aussi à la même grande source de revenus publicitaires
et recherchent les tirages et les audiences les plus élevés nécessaires à leur
survie et leur expansion.
Ce système dominé par le marché peut faire des ravages considérables
surtout dans le contexte de la mondialisation. La même liberté anarchique
qui, dans l’ordre financier, a stérilisé au moins mille milliards de dollars dans
la seule mésaventure des papiers endossés ne pourrait-elle pas, si elle n’est
pas l’objet d’une régulation adéquate, causer des dégâts potentiellement aussi
néfastes même s’ils ne sont pas matériels ? Par exemple, n’est-ce pas largement
cette sorte de liberté anarchique qui a contribué directement à entraîner les
États-Unis d’Amérique, la première puissance du monde avec leurs médias
très concentrés, très orientés politiquement et presque totalement privés, dans
le cauchemar irakien qui continue à déséquilibrer la planète ?
Cela dit, on ne voit pas comment il serait pensable de tourner le dos
systématiquement à ce secteur privé qui reste malgré tout le meilleur anti-
dote au fléau plus néfaste encore que constituerait une gestion étatique de
l’information. Si donc nous sommes largement condamnés au privé, il faut
se résigner à devoir vivre avec la fatalité d’un certain nombre de ses règles. La
première étant, bien évidemment, la recherche du profit et les moyens requis
pour le porter au plus haut niveau. La convergence étant évidemment un
instrument privilégié à cette fin. Et puis, lorsque la convergence est réalisée,
les étapes suivantes en découlent naturellement. On se livre, entre géants,
des luttes impitoyables avec les moyens proportionnés à la taille des entités
concernées. Ce combat atteint présentement au Québec une intensité inégalée
et pratiquement dramatique.
XII Journalistes au pays de la convergence
1. Jean De BONVILLE (1988), La presse québécoise de 1884 à 1914 : Genèse d’un média de
masse, Sainte-Foy, Presses de l’Université Laval, p. 33.
8 Journalistes au pays de la convergence
2. Voir à cet effet Thomas FERENCZI (1996), L’invention du journalisme en France, Paris, Payot
et Rivages ; Christophe CHARLE (2004), Le siècle de la presse (1830-1939), Paris, Seuil, coll.
L’Univers historique.
3. Richard V. ERICSON, Patricia M. BARANEK et Janet B.L. CHAN, (1987), Visualizing Deviance :
A Study of News Organization, Toronto, University of Toronto Press, p. 32.
4. De BONVILLE (1988), op. cit., p. 97.
5. Idem, p. 89.
6. Christophe CHARLE (2004), Le siècle de la presse (1830-1939), Paris, Seuil, col. L’Univers
historique, p. 354.
1 • De la gazette à la convergence numérique 9
7. Mario CARDINAL (2005), Il ne faut pas toujours croire les journalistes, Montréal, Bayard
Canada, p. 238.
8. Dans le cadre d’une conférence réunissant des experts en études des médias, Kathryn
Montgomery a rappelé que, pendant les années 1930, aux États-Unis, bon nombre de groupes
de citoyens et d’institutions d’enseignement et de culture ont demandé qu’on réserve 25 % des
fréquences radiophoniques à la programmation à des fins non commerciales, mais le puissant
lobby du secteur privé leur a fait perdre cette bataille, et cela a servi de modèle pour la télévision.
Voir « Will Commercial Forces Overwhelm Needs of Public-Interest Journalism ? » in Nieman
Reports, Cambridge, Harvard University Summer, vol. 48, no 2, 1994, p. 43 et ss.
9. Plusieurs auteurs partagent ce constat. Voir plus loin Champlin et Knoedler (2002) à ce sujet.
10 Journalistes au pays de la convergence
entreprises de presse privées, il est d’avis que les pressions n’ont fait que
s’accentuer avec le temps et sont devenues plus importantes que jamais10.
10. Jeff ALAN (2003), Anchoring America : The Changing Face of Network News, Chicago,
Bonus Books, p. 278.
11. John VIVIAN et Peter MAURIN (2000), The Media of Mass Communication, Scarborough,
Allyn and Bacon Canada, 2nd Canadian Edition, p. 110.
12. Voir à ce sujet David HALBERSTAM (1979), The Powers that Be, New York, Dell.
1 • De la gazette à la convergence numérique 11
13. Robert G. PICARD (2004), « Commercialism and Newspaper Quality », Newspaper Research
Journal, vol. 25, no 1, p. 54-65, p. 56.
14. François DEMERS (2006), « Concentration de la propriété des médias et repli des médias
généralistes ; leçons des affaires Voilà et Star Académie », Cahiers du journalisme, vol 16,
no 2, p. 46-69.
15. Voir Doris A. GRABER (1986), « Press Freedom and the General Welfare », Political Science
Quarterly, vol 101, no 2, p. 257-275, p. 258, et Ann C. HOLLIFIELD, Gerald M. KOSICKI et Lee
B. BECKER (2001), « Organizational vs. Professional Culture in the Newsroom : Television News
Director’s and Newspaper Editors’ Hiring Decisions », Journal of Broadcasting & Electronic
Media, vol. 45, no 1, p. 92 et ss.
16. Voir PICARD (2004), op. cit.
12 Journalistes au pays de la convergence
17. Voir à ce sujet Bernard SCHISSEL (1997), « Youth Crime, Moral Panics, and the News : The
Conspiracy against the Marginalized in Canada », Socal Justice, vol. 24, no 2, p. 165 et ss. ainsi
que Robert A. HACKETT, Richard GRUNEAU, Donald GULSTEIN, Timothy A. GIBSON et
NESWATCH CANADA (2000), The Missing News : Filters and Blind Spots in Canada’s Press »,
Aurora, Canadian Center for Policy Alternatives/Garamond Press, 258 p.
18. Daniel CORNU (2002), « La déontologie entre l’évolution des pratiques, la sédimentation des
idées reçues et la permanence des valeurs. Journalisme et objectifs commerciaux », in Questions
de journalisme, Université de Neuchâtel, p. 7, (www.unine.ch/journalisme/questions).
19. CORNU (2002), op. cit. p. 11.
1 • De la gazette à la convergence numérique 13
27. Richard T. KAPLAN et Patrick D. MAINES (1995), « The Role of Government in Undermining
Journalistic Ethics », Journal of Mass Media Ethics, vol. 10, no 4, p. 236-247, p. 242.
28. Idem, p. 43.
29. John McMANUS (1992), « Serving the public and serving the market : a conflict of interest ? »,
Journal of Mass Media Ethics, vol. 7, no 4, p. 196-208, p. 196-197.
16 Journalistes au pays de la convergence
30. Raymond BOUDON (1991), Les méthodes en sociologie, Paris, PUF, 8e édition, coll. Que sais-
je ?, no 1334, p. 142.
31. Anne-Marie GINGRAS (1985), La politique dans les quotidiens francophones de Montréal et
de Québec en 1983, thèse de doctorat de troisième cycle en études politiques, Institut d’Études
Politiques de Paris, p. 160-161.
1 • De la gazette à la convergence numérique 17
32. Matthew C. EHRLICH (1995), « The Ethical Dilemma of Television News Sweeps », Journal of
Mass Media Ethics, vol 10, no 1, p. 37-47, p. 39.
18 Journalistes au pays de la convergence
33. En revanche, la Cour suprême du Canada n’est pas un endroit qui suscite une couverture média-
tique régulière malgré l’importance des décisions qui y sont prises. Voir Florian SAUVAGEAU
et al. (2006), La Cour suprême du Canada et les médias : À qui le dernier mot ?, Québec,
Presses de l’Université Laval.
34. Chris FROST (2000), Media Ethics and Self-Regulation, Harlow, Longman, p. 3.
1 • De la gazette à la convergence numérique 19
35. Dell CHAMPLIN et Janet KNOEDLER (2002), « Operating in the Public Interest or in Pursuit
of Private Profits ? News in the Age of Media Consolidation », Journal of Economic Issues,
vol. 36, no 2, p. 459 et ss., p. 3 (document électronique, pagination personnelle).
36. HOLLIFIELD et al. (2001), op. cit., p. 92 et ss.
37. ESPOSITO, Steven A. (1998), « Source utilization in legal journalism : network TV news coverage
of the Timothy McVeigh Oklahoma City bombing trial », Communications and the Law,
vol. 20, no 2, p. 15-33 (document électronique, pagination personnelle).
20 Journalistes au pays de la convergence
plus vaste auditoire possible serait le facteur premier qui détermine quels
procès seront couverts38, peu importe leur pertinence sociale. La crimina-
liste californienne Leslie Abramson dénonce également le sensationnalisme
médiatique qui, aux États-Unis, se drape dans le Premier amendement pour
refuser aux accusés le droit à un procès équitable avec un jury impartial, que
doit garantir le Sixième amendement39. Landman considère pour sa part que
la couverture médiatique de certains procès spectaculaires est un mélange
d’information et de divertissement qui met en opposition la liberté de la
presse et les droits des accusés. Il fait valoir que le droit d’avoir un procès
public appartient aux accusés, et non au public ou aux médias. Cela vise à
assurer aux accusés que leur procès ne sera pas vicié, tout comme les enquêtes
préliminaires du reste40.
Dans le même ordre d’idée, Popp est d’avis que la procédure d’impea-
chment à laquelle l’ex-président américain Bill Clinton a fait face, à la suite
de sa liaison avec Monica Lewinsky, s’explique par le « mélange répugnant
de trois forces très puissantes » que sont l’activisme politique d’un avocat, la
partisanerie politique, et des médias qui « recherchent constamment le profit
grâce au sensationnalisme et qui font fi des normes journalistiques en cours
de route41 ». Popp relate que la couverture médiatique de l’affaire Clinton-
Lewinsky a gonflé les cotes d’écoute des grands réseaux américains et que la
course au scoop a provoqué la diffusion de fausses informations basées sur
des sources anonymes, transgressant ainsi les normes journalistiques42. Selon
elle, cet excès a conduit un journal aussi prestigieux que The New York Times
à publier 220 articles en mars 1998 concernant cette affaire, alors qu’une
importante réforme des droits des patients, appuyée par les Démocrates et
les Républicains, n’a eu droit qu’à cinq articles. Elle est d’accord avec ceux qui
estiment que les médias ont laissé tomber leur mission de quatrième pouvoir
38. Idem, p. 1.
39. Transcription d’un colloque (1996), « The Appearance of Justice : Juries, Judges and the Media »,
Journal of Criminal Law and Criminology, vol. 86, no 3, p. 1096-1146.
40. LANDMAN, JAMES H. (2005), « Balancing Act : First and Sixth Amendment Rights in High-
Profile Cases », Social Education, vol. 69, no 4, p. 182 et ss.
41. Karen A. POPP (2000), « The Impeachment of President Clinton : An Ugly Mix of Three Power-
ful Forces », Law and Contemporary Problems, vol. 63, nos 1-2, p. 223 et ss., p. 1 (document
électronique, pagination personnelle).
42. Idem, p. 8.
1 • De la gazette à la convergence numérique 21
critique, tout comme les normes professionnelles que cela implique, pour
privilégier des contenus divertissants et plus profitables43.
Le professeur et ex-journaliste Steve Bell (ABC News) rappelle qu’à la
suite de cet épisode, un sondage réalisé pour le compte du First Amendment
Center, de la Vanderbilt University, a révélé que 53 % des Américains étaient
d’avis que la presse a trop de liberté, une hausse de 17 % sur les statistiques de
1997. Il attribue ces excès à différents facteurs économiques et technologiques
qui encouragent la diffusion de contenus plus sensationnalistes44.
Un phénomène similaire a été vécu en France dans le cadre de l’affaire
d’Outreau, où des citoyens ont été injustement accusés de pédophilie par une
justice douteuse et des médias ayant voulu exploiter à fond ce faux scandale.
Le chercheur Gilles Balbastre écrit que
Du 5 mai au 5 juillet 2004, le « procès d’Outreau » est présent vingt-six fois à la
« une » des quatre grands quotidiens nationaux, qui y consacrent 344 articles
en huit semaines : 108 dans Le Figaro, 84 dans Le Monde, 77 dans Le Parisien,
75 dans Libération. Pendant la même période, ces quotidiens consacrent trois
articles à eux quatre à la sortie d’une étude de l’Organisation mondiale de la
santé (OMS) établissant que la pollution de l’air, de l’eau et d’autres dangers
liés à l’environnement tuaient chaque année plus de 3 millions d’enfants de
moins de 5 ans45.
Selon Byrne, les titres, l’importance accordée à certains aspects, les mots
utilisés et même la disposition dans le journal contribuent au sensationna-
lisme auquel aucun média n’échappe, bien que le degré de sensationnalisme
soit relié à la politique éditoriale de chaque média. Byrne rapporte les propos
d’une avocate de Toronto selon laquelle la règle de base est que les médias
imprimés doivent vendre des journaux46.
Les phénomènes de concentration et de convergence des médias, qui
se déclinent maintenant sur les plateformes des médias traditionnels et des
nouveaux médias, ne corrigent pas la situation, selon certains spécialistes :
43. Idem, p. 9.
44. Steve BELL (2000), « Kill the Messenger ! The Public Condemns the News Media », USA Today,
vol. 128, no 2652, p. 60.
45. Gilles BALBASTRE (2004), « Les faits divers, ou le tribunal implacable des médias », Le Monde
Diplomatique, décembre 2004, p. 14-15, p. 14.
46. Kathleen BYRNE (1990), « Trial by headline », Ryerson Review of Journalism, mars 1990,
p. 6 (document électronique, pagination personnelle).
22 Journalistes au pays de la convergence
Une récente étude sur l’état des médias américains va dans le même
sens, quand elle rapporte que la tendance est de diffuser de moins en moins
de contenu original sur de plus en plus de plateformes différentes. Les auteurs
ajoutent que les pressions économiques vont expulser le service de l’intérêt
public si les journalistes et leurs supérieurs immédiats ne résistent pas assez
aux désirs des conseils d’administration48. Certes, le sensationnalisme média-
tique n’est pas un phénomène nouveau et on peut dire qu’il existe depuis
que la presse est devenue une entreprise commerciale. Le cas dramatique
du lynchage de Leo Frank, aux États-Unis, au début du 20e siècle, à la suite
d’une couverture journalistique aux accents antisémites, est révélateur de la
tendance à exploiter commercialement les événements, même lorsque cela
se fait au prix de la vérité, de la réputation et, dans quelques cas extrêmes,
de la vie humaine49.
Chez bon nombre d’auteurs, la commercialisation de l’information qui
résulte du modèle économique en vigueur se fait à l’avantage des entreprises
de presse et au détriment de l’intérêt public. L’économiste Robert G. Picard
y voit une situation qui encourage, de la part des médias, un comportement
égocentrique (self-interested behavior) pour exploiter le marché potentiel, alors
même que cela crée un conflit croissant entre le rôle du journal comme servi-
teur de ses lecteurs et l’exploitation de ses lecteurs afin d’obtenir des avantages
commerciaux plus élevés. Selon lui, il ne faut pas se surprendre que le public
perçoive la presse comme une simple entreprise, plus intéressée à ses intérêts
économiques qu’aux intérêts plus généraux de ceux qu’elle prétend servir50.
Par ailleurs, Yamamoto est d’avis que la commercialisation de l’information
a un impact significatif sur l’éthique du journalisme contemporain, car elle
51. Takenobu YAMAMOTO (2004), « Commercial Bias in the Global Media : From the Fall of the
Berlin Wall to the Iraq War », (http://www.jamco.or.jp/2004_symposium2/en/06/), p. 5 (docu-
ment électronique, pagination personnelle).
52. Thomas E. PATTERSON (2000), DOING WELL AND DOING GOOD : How Soft News and
Critical Journalism Are Shrinking the News Audience and Weakening Democracy - And
What News Outlets Can Do About It, The Joan Shorenstein Center, Harvard University John
F. Kennedy School of Government, p. 5 (document électronique, pagination personnelle).
53. Larry GROSS, John Stuart KATZ, Jay RUBY (2003), Image Ethics in the Digital Age, Minnea-
polis, University of Minnesota Press, p. X.
24 Journalistes au pays de la convergence
54. SLATTERY, Karen, Mark Doremus et Linda Marcus (2001), « Shifts in Public Affaires Repor-
ting on the Network Evening News : A Move Toward the Sensational », Journal of Broadcasting
and Electronic Media, vol. 45, no 2, p. 290-302, p. 299.
55. Kuo-Feng TSENG (2001), A Content Analysis of Market Diven Television News Magazines :
Commodification, Conglomeration and Public Interest, Thèse de doctorat, Michigan State
University, 159 pages, p. iii.
56. Idem, p. 118.
57. Lori ROBERTSON (2005), « Confronting the Culture : The Culprit Behind the Recurring Clusters
of Plagiarism and Fabrication Scandals Isn’t Just Irresponsible Youth or a Few Bad Apples or the
Temptations of the Internet. It May Be the Newsroom Culture Itself », American Journalism
Review, vol. 27, no 4, August-September, p. 34 et ss.
1 • De la gazette à la convergence numérique 25
58. Jean de BONVILLE (1995), Les quotidiens montréalais de 1945 à 1985 : morphologie et
contenu, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, p. 24.
59. Idem, p. 30-32.
60. Idem, p. 159.
61. Frédérick BASTIEN (2004), « Écouter la différence ? Les nouvelles, la publicité et le service public
en radiodiffusion », Revue canadienne de science politique, vol. 37, no 1, p. 73-93, p. 86.
26 Journalistes au pays de la convergence
62. Frédérick BASTIEN (2002), Écouter la différence ? Les nouvelles, la publicité et le service
public en radiodiffusion, Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures, Université de
Montréal, p. 121.
63. Idem, p. 122.
64. CARDINAL (2004), op. cit., p. 242-243.
65. Sophie BOULAY (2002), Les médias privilégient-ils leur mission démocratique ou éco-
nomique ? Une analyse de contenu des quotidiens montréalais, Mémoire de maîtrise en
communication publique, Université du Québec à Montréal, p. ii.
1 • De la gazette à la convergence numérique 27
71. Érik NEVEU (2004), Sociologie du journalisme, Paris, La Découverte, coll. Repères, p. 43.
72. CORNU (1996), op. cit., p. 13.
73. Nous verrons plus loin que les journalistes du Québec valorisent des fonctions sociales qu’on
pourrait qualifier de nobles qui constituent leur credo professionnel, mais qu’ils oeuvrent souvent
au sein de médias qui valorisent des fonctions différentes.
74. EHRLICH (1995), op. cit., p. 40.
30 Journalistes au pays de la convergence
loyauté des journalistes et des stations de télévision est allée aux actionnaires
et propriétaires plutôt qu’aux citoyens. Il est d’avis que la culture organi-
sationnelle des salles de presse, en accordant une attention démesurée aux
cotes d’écoute, décourage beaucoup, sinon interdit carrément, tout effort
individuel pour prendre une plus grande responsabilité éthique en ce qui
regarde ce qui sera diffusé75.
Ce chercheur a aussi constaté que cela indisposait certains journalistes et
cadres, qui se trouvaient en quelque sorte obligés d’agir de la sorte en raison
des pressions structurelles. Il rejoint les conclusions de Gardner et al. qui ont
aussi constaté que les journalistes étaient désabusés par le genre de travail
superficiel que l’on attend d’eux, alors qu’ils souhaiteraient se consacrer à des
questions plus sérieuses, d’un plus grand intérêt public76. Sigelman a lui aussi
observé le conflit de valeurs vécu par les journalistes qui se trouvent confrontés
à des normes organisationnelles différentes des normes professionnelles77.
De son côté, Stepp réfère à des enquêtes selon lesquelles bon nombre de
journalistes songent à quitter le métier et, au terme d’une recherche menée
pendant plusieurs mois, en vient à la conclusion que les médias doivent se
consacrer à nouveau au service de l’intérêt public, en tenant compte autant
de ce qui intéresse le public dans l’immédiat qu’en servant l’intérêt public à
long terme. Selon lui, cela peut se faire sans verser dans la commercialisation
excessive de l’information (crass commercialization)78.
Pour certains, l’invocation des nobles principes de l’intérêt public et
du droit du public à l’information relève davantage de ce que Philip Selznick
nomme un « mythe institutionnel ». Il s’agit d’un effort de rhétorique idéaliste
qui cherche à cacher que les objectifs réels des entreprises (rentabilité maxi-
male) sont en porte-à-faux avec leurs prétentions officielles ( la préséance de
l’intérêt public, le droit du public à l’information, la démocratie, etc.)79.
83. L’ analyse portait sur des réponses données dans le cadre de l’initiative du quotidien The
Gazette « You Be the Editor » qui demandait à ses lecteurs de jouer au journaliste. Les centaines
de réponses analysées ne sont pas scientifiquement représentatives de l’opinion publique.
84. RAUDSEPP, (1999), op. cit., p. 49-50.
85. Voir la page Forum du jeudi 6 octobre 2005, p. A21.
86. Miriam PORTER et Avrum ROSENSWEIG (2005), « An Appeal for Privacie », Toronto Star,
9 mai 2005, p. A 19.
1 • De la gazette à la convergence numérique 33
ont été marqués par des interdits de publication, le journaliste David Berman,
du Globe and Mail, rappelle que cet argument a été utilisé par les médias pour
combattre les interdits. Mais une importante proportion de la population
a fait savoir qu’elle ne voulait pas tout connaître à ce sujet87. Il cite certains
témoignages de citoyens qui soupçonnaient les médias d’invoquer de nobles
principes, alors que les motivations premières étaient commerciales et que
la surveillance du bon fonctionnement du système juridique avait peu à voir
avec ces revendications. Ces procès ont alimenté une grande concurrence et
des querelles entre les Toronto Sun et le Toronto Star, lesquelles ont contribué
à persuader le public que des intérêts particuliers, plutôt que l’intérêt public,
se cachaient derrière la campagne que menaient certains médias contre des
interdits de publication88.
Par ailleurs, à partir d’entrevues avec 78 leaders de la société civile en
Ontario, Howard-Hassman en vient à la conclusion que ces derniers favorisent
une conception non absolutiste de la liberté d’expression, et sont favorables
à des interventions gouvernementales pour protéger les droits des groupes
vulnérables qui peuvent faire l’objet de propos offensants. Ces leaders placent
la liberté d’expression en concurrence avec d’autres valeurs, dont l’égalité et
la non-discrimination. Howard-Hassman y voit un exemple de raisonnement
moral de citoyens d’une démocratie libérale qui cherchent à réconcilier les
droits des individus et des communautés89. Quant à Rodolphe Morissette,
l’ex-chroniqueur et spécialiste du journalisme judiciaire, il reconnaît que les
médias ne sont pas seulement des services publics, mais « aussi des entre-
prises commerciales de communication, dont la logique du profit et de la
concurrence les amène à privilégier souvent l’information-spectacle, voire à
“ détourner à son profit les exigences irrationnelles ” des auditoires », écrit-il en
citant Pierre-Yves Chereul90. Il s’oppose toutefois à ceux qui prétendent que les
médias traitent de certains sujets uniquement à des fins commerciales. Selon
lui, les journalistes judiciaires utilisent divers critères pour déterminer les
87. David BERMAN (1995), « Right to know », Ryerson Review of Journalism, (http://www.rrj.
ca/print 199).
88. Idem,
89. Rhoda E. HOWARD-HASSMAN (2000), « Canadians Discuss Freedom of Speech : Individual
Rights Versus Group Protection », International Journal on Minority and Group Rights,
vol. 7, p. 109-138.
90. Rodolphe MORISSETTE (2004), La presse et les tribunaux : un mariage de raison, Montréal,
Wilson & Lafleur, p. 39.
34 Journalistes au pays de la convergence
96. Rebecca Ann LIND et Naomi ROCKLER (2001), « Competing Ethos : Reliance on Profit versus
Social Responsibility by Laypeople Planning a Television Newscast », Journal of Broadcasting &
Electronic Media, vol. 45, no 1, p. 118 et ss (document électronique, pagination personnelle).
97. Il serait plus juste de toujours parler des publics afin de refléter la diversité des points de vue
à l’égard des médias et nous invitons le lecteur à tenir compte de cette nuance, même lorsque
nous parlons du public afin de faciliter la lecture.
36 Journalistes au pays de la convergence
de médias qui ne sont pas également soumis aux mêmes impératifs écono-
miques, en raison de modes de propriété différents.
Néanmoins, les journalistes demeurent des acteurs qui conservent une
certaine autonomie professionnelle dans le traitement des sujets qui retien-
nent leur attention. Ils jouissent le plus souvent de protections en vertu de
conventions collectives bien étoffées. Ils sont, bien entendu, contraints par un
corset organisationnel, mais celui-ci n’est une chape de plomb. Pour dresser
un portrait le plus juste possible, l’analyse doit donc constamment faire des
aller-retour entre les niveaux individuel et organisationnel, entre le micro et
le macro.
La prochaine section de l’ouvrage va pour sa part faire un survol des
recherches empiriques qui ont été menées afin de mesurer les impacts de la
concentration et de la convergence des médias sur la qualité, la diversité et
l’intégrité de l’information. Cette partie va préparer la présentation et l’in-
terprétation des résultats de notre enquête menée auprès de 385 journalistes
syndiqués qui oeuvrent en grande majorité pour les trois grands conglomérats
médiatiques du Québec (Radio-Canada, Gesca et Quebecor).
Chapitre 2
civile1, relativement peu d’enquêtes empiriques ont été réalisées quant aux
effets de la convergence sur la qualité et la diversité de l’information, comme
l’a observé Singer2.
La convergence des médias peut avoir plusieurs visages et des intensités
variables, allant de la mise en commun de certaines ressources de médias
différents, au gré d’ententes précises (convergence à la carte entre Gesca et
Radio-Canada par exemple), jusqu’à un modèle d’intégration maximale
(Tampa Tribune par exemple) en passant par le modèle actuel de Quebecor
de partage de contenus des journaux, de la télévision et d’Internet et les efforts
de promotion croisée. Il y a donc un continuum de convergence, et chaque
cas peut y trouver sa place3.
Huang et al. déterminent quatre catégories de convergence : celle qui
réunit les contenus de médias différents, celle qui est de nature technologique
grâce à la numérisation, celle qui existe par la mise en commun des médias
d’un même propriétaire à la suite de fusions, et la convergence des rôles des
professionnels de l’information écrite et électronique qui peuvent à la fois
assurer l’écriture et la narration des nouvelles. Les chercheurs ajoutent que
les trois premières formes de convergence ont fortement influencé et accéléré
la quatrième forme, celle qui concerne les journalistes et photographes de
la presse écrite, par exemple, et incite à effacer les frontières traditionnelles
entre ces deux métiers4. On peut ajouter que des pressions s’exercent pour
que le journaliste de la presse écrite soit également photographe, cinéaste et
preneur de son afin qu’il puisse procéder au montage de différentes versions
de son reportage en vue de sa diffusion sur plusieurs plateformes différentes
(papier, Internet, baladodiffuseur, télévision, radio, etc.).
1. Voir notamment Petty BOZONELOS (2004), « The Tension Between Quality Journalism and
Good Business in Canada : A View From the Inside », Communication, vol. 29, p. 77-92 ; Geneva
OVERHOLSER (2004), « To Big to Be Good », Broadcasting and Cable, vol. 11, p. 43.
2. Jane B. SINGER (2004), « Strange Bedfellows ? The Diffusion of Convergence in Four News
Organizations », Journalism Studies, vol. 5, no 1, p. 3-18, p. 4.
3. Voir à ce sujet Larry DAILY, Lori DEMO et Mary SPILLMAN (2003), « The Convergence Conti-
nuum : A Model for Studying Collaboration Between Media Newsrooms », Proceedings of the
Annual Meeting of the Association for Education in Journalism and Mass Communi-
cation, Kansas City, Missoury, July 30 – August 2, 2003, p. 428-457.
4. Edgar HUANG, Karen DAVISON, Stephanie SHREVE, Twila DAVIS, Elizabeth BUTTENDORF
et Anita NAIR (2006), « Bridging Newsrooms and Classrooms : Preparing the Next Generation
of Journalists for Converged Media », Journalism and Communication Monographs,
p. 221-262, p. 226-227.
2 • Les impacts de la concentration et de la convergence des médias 39
Schéma 1
Continuum de la convergence
Promotion croisée Ressources Sujets de couverture Partage de contenus
5. Les auteurs notent que ce résultat est nettement moins élevé que dans une une autre étude, mais
ne peuvent expliquer l’écart.
6. Larry DAILEY, Lori DEMO et Mary SPILLMAN (2005), « Most TV/Newspapers Partners at Cross
Promotion Stage », Newspaper Research Journal, vol. 26, no 4, p. 36-49. Voir aussi les mêmes
auteurs (2005), « The Convergence Continuum : A Model for Studying Collaboration Between
Media Newsrooms », Atlantic Journal of Communication, vol. 13, no 3, p. 150-168.
40 Journalistes au pays de la convergence
7. Stephen QUINN (2004), « An Intersection of Ideals : Journalism, Profits, Technology and Conver-
gence », Convergence, vol. 4, no 10, p. 109-123, p. 110 (notre traduction).
8. Idem, p. 111.
9. Simon COTTLE (1999), « From BBC Newsroom to BBC Newscentre : On Changing Technology
and Journalist Practices », Convergence, vol. 5, no 3, p. 22-43, p. 26.
2 • Les impacts de la concentration et de la convergence des médias 41
tâche de vérification des informations qui exige des déplacements de leur part
au lieu de le faire par téléphone ou courriel. Les longues minutes à attendre
pour enregistrer un reportage vidéo, se maquiller et se démaquiller et parfois
procéder soi-même au montage, nuisent aussi à leur travail, tout comme les
contraintes de temps qui se multiplient.
Certains répondants estiment que cela rend difficile leur travail premier
qui est d’écrire pour un journal. D’autres déclarent que devoir fournir à la fois
de la photo et du vidéo d’un événement nuit à la qualité de la couverture16.
Un journaliste a fait valoir que l’obligation constante de produire l’empêche
de flâner dans les corridors de l’hôtel de ville pour rencontrer des gens, ou
simplement de lire ce qui est affiché aux murs, ce qui réduit les occasions de
faire de meilleurs reportages. Il faut toutefois préciser que la majorité des
journalistes interrogés par Singer n’ont pas supporté l’opinion selon laquelle
la convergence va produire un journalisme médiocre17.
Les journalistes de la presse écrite qui ont participé à cette enquête empi-
rique ont soutenu que, souvent, leurs collègues de la télévision sont moins
compétents ou moins bien informés, ou moins spécialisés, ce qui provoquait
des erreurs qui se retrouvaient aussi dans les journaux, compte tenu des
stratégies de promotion et de diffusion croisées. Les erreurs et inexactitudes
importées par les journalistes de la télévision nuisaient donc à la qualité du
journal18. De plus, la convergence favoriserait la présence, dans le journal, de
faits divers qui font le régal des bulletins de télévision19. L’enquête révèle que
la convergence est inégale d’une entreprise à l’autre, si bien que, chez plusieurs
journalistes, cela n’avait pas encore changé les habitudes quotidiennes. De
plus, les journalistes de l’enquête s’entendaient pour dire qu’ils n’avaient pas
reçu de formation pour savoir comment travailler dans un environnement de
convergence. Par ailleurs, le verdict n’est pas clair en ce qui a trait à l’effet de
l’Internet sur l’exactitude de l’information. L’auteur estime que les journalistes
sont ouverts à la convergence, mais que cela dépend de la façon de la réali-
ser20. La recherche révèle cependant que la concurrence traditionnelle entre le
journalisme écrit et le journalisme télévisé est amoindrie par la convergence,
qui favorise la mise en commun de ressources et de nouvelles.
21. Randy COVINGTON (2006), « Myths and Realities of Convergence », Nieman Reports, Hiver
2006, p. 54-56.
22. Scott C. HAMMOND, Daniel PATTERSON et Shawn THOMSEN (2000), « Print, Broadcast and
Online Convergence in the Newsroom », Journalism and Mass Communication Educator,
été 2000, p. 16-26, p. 17.
23. Idem, p. 17.
44 Journalistes au pays de la convergence
24. Philip MEYER et Koang-Yhub KIM (2003), « Quantifying Newspaper Quality : “ I Know It
When I See It ” », Proceedings of the Annual Meeting of the Association for Education in
Jhournalism and Mass Communication, Kansas City, Missoury, 30 juillet – 2 août 2003,
p. 44-59.
25. Leo BOGART (1989), Press and Public : Who Reads What, When, Where, and Why in
American Newspapers (2nd ed.). Hillsdale, NJ : Lawrence Erlbaum and Associates, Inc.
26. Mark DEUZE (2006), « Books », Journalism and Mass Communication Educator,
p. 330-333.
2 • Les impacts de la concentration et de la convergence des médias 45
32. Edgar HUANG, Lisa RADEMAKERS, Moshood A. FAYEMIWO et Lilian DUNLAP (2004),
« Converged Journalism and Quality : A Case Study of the Tampa Tribune News Stories »,
Convergence, vol. 10, no 4, 73-91.
33. C’est cette dernière définition qui est du reste retenue par Stan KETTERER, Tom WEIR, J. Ste-
vens SMETHERS et James BACK (2004), « Case Study Shows Limited Benefits of Convergence »,
Newspaper Research Journal, vol. 25, no 3, p. 52-65.
2 • Les impacts de la concentration et de la convergence des médias 47
38. Les journalistes ont refusé d’accorder des entrevues aux chercheurs.
39. KETTERER et al. (2004), op. cit., p. 63.
40. Miles MAGUIRE (2004), Caught in the Churn : The Effects of Sequential Ownership
Changes On a Newspaper’s Content, 6th World Media Economics Conference, Centre d’études
sur les médias and Journal of Media Economics, Montréal, May 12-15 (http://www.cem.ulaval.
ca/6thwmec/maguire.pdf), visité le 2 juin 2007.
41. MAGUIRE (2004), op. cit., p. 6.
2 • Les impacts de la concentration et de la convergence des médias 49
45. Tom ARNOLD (1996), « Dear Conrad Black (open letter from president of Canadian Association
of Journalists) », Media Magazine, vol. 3, no 2, p. 5-6.
46. Marie Hélène LAVOIE et Chris DORNAN (2000), La concentration de la presse écrite, un
« vieux » problème non résolu, Sainte-Foy, Centre d’études sur les médias, coll. Les cahiers-
médias, no 11, sous la direction de Florian Sauvageau, p. 21.
47. Analyse non publiée réalisée en 1997 pour le compte du syndicat des journalistes du Journal
de Québec, sous notre supervision.
2 • Les impacts de la concentration et de la convergence des médias 51
48. Données communiquées à l’auteur par le Local 1450 du Syndicat canadien de la fonction
publique, en juin 2007.
49. FEDERAL COMMUNICATION COMMISSION (2004), Do Local Owners DeliverMore
Localism ? Some Evidence From Local News Broadcast, 17 juin 2004 (http://hraunfoss.fcc.
gov/edocs_public/attachmatch/DOC-267448A1.pdf), visité le 19 mai 2007.
52 Journalistes au pays de la convergence
50. Idem, p. 2.
51. MAGUIRE (2004), op. cit.
52. Idem, p. 4.
53. Idem, p. 4.
2 • Les impacts de la concentration et de la convergence des médias 53
d’information locale pour rejoindre les lecteurs qui n’intéressent pas le NYT
et qui sont souvent moins intéressants pour les annonceurs (parce que moins
éduqués et ayant moins de revenus en général). En même temps, les lecteurs
qui optent pour un quotidien national se désintéressent des enjeux locaux et
votent moins à ce niveau, indiquent d’autres recherches empiriques auxquelles
réfèrent les auteurs qui s’inquiètent de cette conséquence54.
En effet, l’information locale peut avoir des retombées majeures pour
les citoyens du marché desservi. À ce propos, dans une recherche souvent
citée elle aussi, Strömberg a montré que durant l’époque du New Deal des
années 1930, la présence de stations de radio locales a eu pour effet de créer
des citoyens mieux informés et conscients de leur pouvoir d’électeurs (ils
votent de façon plus fréquente et en faveur de ceux qui les ont bien traités par
le passé selon son modèle)55. Cela a en retour poussé le gouvernement fédéral
à investir davantage dans ces régions. Il estime que les investissements dus à
la radio locale ont été jusqu’à 20 % supérieurs à ceux de comtés possédant
peu de stations de radio56.
Procédant à une étude de cas d’une situation de convergence impliquant
un journal et une station de télévision, Huang et ses collègues ont constaté
une diminution importante de la moyenne des articles maison traitant d’en-
jeux locaux. Avant la convergence avec la station de télévision locale et le site
Internet, la moyenne quotidienne était de 21,57 articles. Elle a chuté à 19,20
au moment de la convergence et à 17,33 trois ans après. Il y a donc une chute
relative de 19,6 %. Les auteurs ne précisent pas si une telle chute est signifi-
cative sur le plan statistique et rien ne laisse croire qu’une telle vérification
a été réalisée57.
Sans lier directement la situation à des questions de concentration et
de convergence, l’étude sur l’état des médias américains de 2004 a observé le
déclin de l’information locale entre 1998 et 2002. Il y a moins de journalisme
d’enquête, davantage de nouvelles sensationnelles (faits divers, crimes, catas-
trophes) ou de nouvelles qui ne sont pas traitées par un journaliste local58.
54. Lisa GEORGE et Joel WAKDFOGEL (2004), « The New York Times and the Market for Local
Newspapers », Working Paper, 9 août 2004.
55. David STRÖMBERG (2001), Radio’s Impact on Public Spending, Institute for International
Economic Studies, Stockholm University, novembre 2001, 39 pages.
56. Idem, p. 25.
57. HUANG et al. (2004), op. cit.
58. PROJECT FOR EXCELLENCE IN JOURNALISM (2004), op. cit., p. 22.
54 Journalistes au pays de la convergence
Les auteurs indiquent par ailleurs que, de 1995 à 2002, les 10 compagnies
détenant le plus de stations de télévision ont doublé leurs revenus et triplé
le nombre de leurs stations de télévision grâce à la déréglementation de la
FCC. En somme, les changements observés ont eu lieu en même temps que
le processus de concentration.
Spavins et ses collègues ont également analysé la question de l’informa-
tion locale sous l’angle de la propriété des stations de télévision59. Plutôt que
de réaliser une analyse de contenu, ils ont eu recours à des indicateurs quan-
titatifs indirects, soit les cotes d’écoute, l’attribution de prix de journalisme
pour la couverture locale remis par la Radio and Television News Directors
Association, en 2000 et 2001, ainsi que l’attribution de prix Silver Baton A. I.
Dupont-University of Columbia en journalisme local, de 1991 à 2002. Ils ont
comparé les stations de télévision détenues et exploitées par des réseaux (Fox,
CBS, NBC et ABC) à des stations affiliées, en excluant les marchés où il n’y avait
pas de station affiliée pour concurrencer les réseaux. Il faut noter que, pour
ces auteurs, la qualité de l’information est associée aux cotes d’écoute dans
un marché où les publics ont le choix entre des programmations différentes.
À la lumière de ces critères, les auteurs n’ont pas observé de différence entre
les stations détenues et dirigées par les réseaux et les stations affiliées en ce
qui regarde les cotes d’écoute. Ils ont cependant observé que les stations des
réseaux recevaient plus de prix pour la qualité de leur information locale. Ils
ont aussi observé que, dans tous les cas où les stations de télévision étaient
associées à un journal, les résultats étaient meilleurs que ceux des stations
non associées à un journal. Sans chercher à mettre de côté cette recherche
qui laisse croire que la concentration de la propriété n’a pas d’impact sur la
couverture locale, il faut en signaler les limites, car elle n’a nullement tenté
de mesurer des indicateurs directs de la qualité ou de la quantité de l’infor-
mation locale.
Par ailleurs, une importante étude publiée en 2003, qui porte sur 172
émissions d’information et 23 000 nouvelles et reportages, fait état de résul-
tats nuancés selon lesquels la concentration et la convergence ne conduisent
pas nécessairement à une diminution de la qualité de l’information locale et
pourraient même, dans certains cas, la favoriser. Selon les auteurs, les grandes
59. Thomas C. SPAVINS, Loretta DENISON, Jane FRENETTE et Scott ROBERTS (2002), The
Measurment of Local Television News and Public Affairs Programs, Federal Communi-
cation Commission, septembre 2002.
2 • Les impacts de la concentration et de la convergence des médias 55
60. Tom ROSENSTIEL, Amy MITCHELL, Atiba PERTILA, et Lee Ann BRADY (2003), Does
Ownership Matter in Local Television News : A Five-Year Study of Ownership and
Quality, Project for Excellence in Journalism, Washington, p. 1-2.
61. SINGER (2004), op. cit., p. 7, 10.
56 Journalistes au pays de la convergence
un modèle plutôt qu’un autre, et ces raisons ont à leur tour de l’influence sur
le type d’information qui sera produite et diffusée.
Diversité de l’information
La diversité dans les médias s’exprime à plusieurs niveaux62. Diversité
des médias dans un même marché (niveau macro), diversité de la program-
mation dans un même média (niveau méso) et diversité des points de vue
sur des enjeux (niveau micro)63. Roessler convient à la fois de l’importance
démocratique de la diversité de l’information et du fait que cette diversité
est aussi un facteur de la qualité de l’information64. La diversité des enjeux
abordés par les médias est un facteur déterminant eu égard à la connais-
sance de la société et à notre représentation du monde, rappelle Roessler en
citant Walter Lippmann. En effet, résume-t-il, deux médias peuvent traiter
de thèmes différents. S’ils traitent le même thème, ils peuvent proposer des
événements différents. Et s’ils s’intéressent au même événement, chaque média
peut insister sur des aspects différents65. C’est par la fréquentation directe de
cette diversité médiatique, en s’informant dans différents médias, ou encore
par la discussion avec des gens qui s’informent à des sources diversifiées, que
les citoyens peuvent contribuer pleinement à l’idéal démocratique.
Ce modèle de la diversité médiatique invite donc à la prudence face aux
affirmations qui associent la multiplicité des plateformes de diffusion d’in-
formation et la diversité de l’information. Le plus souvent, ces plateformes
ne font que mieux diffuser ce qui existe déjà et offrent très peu de contenu
original différent. Les « nouveaux » médias, pour l’instant, sont essentiellement
des lieux de diffusion d’informations provenant des sources traditionnelles,
sans ajout significatif de nouveaux journalistes sur le terrain. Le chroniqueur
spécialiste de l’Internet Michel Dumais faisait ce constat dès 2001, quand il
62. Ekaterina SHMYKOVA (2006), Effects of Mass Media Ownership on Serving Public
Interest, University of Georgia, p. 5-6 (http://web.mit.edu/comm-forum/mit5/papers/
Ekaterina_Shmykova.pdf), visité le 27 mai 2007.
63. Patrick ROESSLER (2006), « Same Pictures, Same Stories ? Diversity on the Micro-Level of News
Coverage », Paper presented at the annual meeting of the International Communication
Association, Sheraton New York, New York City, (http://www.allacademic.com/meta/
p12040_index.html), visité le 31 mai 2007.
64. Idem.
65. Idem, p. 8.
2 • Les impacts de la concentration et de la convergence des médias 57
66. Michel DUMAIS (2001), « Où sont les contenus originaux ? », Le Soleil, 9 janvier 2001,
cahier Extra, p. 14.
67. Rémi MARCOUX (2000), « De com à point.com : le test de la réalité », allocution devant le Conseil
des directeurs médias du Québec, Montréal, 14 septembre 2000.
68. GASHER et GABRIELLE (2004), op. cit., p. 311-323.
69. Idem, p. 319.
70. Idem, p. 316.
58 Journalistes au pays de la convergence
ou des sujets perçus comme importants par le public, alors que la télévision
ferait le contraire80. On peut alors se demander s’il est sain, sur le plan de la
vigueur du débat public, de laisser un conglomérat médiatique, qui détient
une position dominante dans chacun de ses marchés du Québec, utiliser
de façon convergente ces deux types de médias (journal et télévision), pour
privilégier certains enjeux favorables à ses bénéfices et ainsi risquer de nuire
à la diversité ?
Par ailleurs, Alexander (un chercheur de la Federal Communication
Commission) et Cunningham ont observé que la diversité de l’information
locale diminuait inversement au niveau de concentration des médias dans
60 stations de télévision de 20 grands marchés américains81. Ils avaient alors
analysé plus de 10 600 nouvelles, diffusées en 1998, à l’aide de deux indicateurs
de diversité qui sont statistiquement reliés : le premier indice est relatif, il tient
compte des secondes de contenu exclusif diffusé au-delà de la moyenne de
temps que chaque station consacre à un sujet donné, lorsque celui-ci est traité
par au moins deux stations. Le deuxième est un indice absolu qui calcule les
secondes consacrées à des reportages exclusifs à chaque station. Bien entendu,
ces indices quantitatifs ne disent rien de la qualité de l’information locale ou
de la diversité des points de vue énoncés dans les reportages. Néanmoins,
ils contribuent à démontrer que concentration et diversité ne font pas bon
ménage. On verra plus loin que ce constat est largement appuyé par les journa-
listes employés par les trois grands conglomérats médiatiques du Québec.
On doit analyser ici les travaux de David Pritchard, qui s’est penché sur
la situation particulière de villes américaines dans lesquelles les propriétaires
exploitaient des médias imprimés et électroniques, en raison d’avantages
historiques reconnus par la FCC. Il a testé l’hypothèse voulant que la pro-
priété croisée de médias ait pour résultat de fournir des points de vue simi-
laires sur des questions politiques. En 2001, il a publié une recherche qui ne
concernait que les marchés de Chicago, de Dallas et de Milwaukee. En 2002,
il prolonge cette recherche en incluant les villes de Fargo, de Hartford, de Los
Angeles, de New York (deux groupes de propriété croisée), de Phoenix et de
Tampa82. Il faut noter que la Tribune Company contrôlait alors 4 des 10 groupes
de médias.
La question centrale de sa recherche était de savoir si la couverture des
deux principaux candidats en lice était biaisée dans les médias de propriété
croisée et, si oui, si ce biais favorisait l’intérêt des médias. La recherche a été réa-
lisée dans le cadre des élections présidentielles 2000, car Pritchard estime que
c’était là une excellente occasion de détecter la présence de biais systématiques
et coordonnés83, étant donné surtout que la réglementation des médias était un
enjeu de la campagne électorale et qu’il était permis de croire que le candidat
républicain, George W. Bush, et les entreprises de presse étaient favorables à la
déréglementation annoncée, contrairement au candidat démocrate Al Gore.
La recherche s’est limitée aux nouvelles et commentaires des 15 derniers jours
de la campagne, incluant les caricatures, les lettres ouvertes, les éditoriaux et les
commentaires. Pritchard note que ces deux dernières semaines de campagne
ont été marquées, sur la scène politique, par des attaques contre Bush et des
appuis à Gore, ce qui ne peut que se refléter dans la couverture médiatique,
sans être considéré comme un indicateur de biais. C’est en comparant l’écart
des biais entre la station de télévision et le journal d’un même propriétaire,
dans le même marché, que Pritchard pose un jugement : plus l’écart était
grand entre les médias, mois il y aurait d’influence du propriétaire. Le cas
échéant, il a aussi tenu compte du candidat qui a été officiellement appuyé
par le média, afin de voir si cela affectait la couverture.
Il en arrive à un constat global neutre, puisque les médias de 5 des 10
marchés étudiés affichaient un biais systématique en faveur d’un candidat,
tandis que cela n’était pas le cas pour les 5 autres marchés. De plus, dans cer-
tains cas, la couverture était défavorable au candidat appuyé par le journal.
Pritchard en conclut qu’on ne peut dégager de tendances claires en ce qui a trait
aux biais politiques de la couverture médiatique liés à la propriété croisée.
Il y a lieu de rappeler que la situation américaine restreint déjà la diver-
sité des enjeux ou des questions discutées dans un système marqué par le
bipartisme. Par ailleurs, les deux études de Pritchard portent sur l’équilibre
82. L’enquête de 2001 incluait la radio des trois marchés alors examinés, mais pas celle de 2002.
83. David PRITCHARD (2002), Viewpoint Diversity in Cross-Owned Newspapers and Televi-
sion Stations : A Study of News Coverage of the 2000 Presidential Campaign, Federal
Communication Commission, p. 4.
2 • Les impacts de la concentration et de la convergence des médias 63
84. Pritchard partage cette interprétation (correspondance avec l’auteur du présent rapport,
18 février 2001). Un biais était un énoncé pouvant inciter un électeur ordinaire indécis à voter
pour un candidat, les autres énoncés étaient catégorisés comme neutres (p. 7-8).
85. PRITCHARD (2002), op. cit., p. 13.
86. David PRITCHARD (2001), « ATale of Three Cities : “ Diverse and Antagonistic ” Information in
Situations of Local Newspaper/Broadcast Cross-Ownership », Federal Communications Law
Journal, vol. 54, p. 31-52, p. 46.
87. Correspondance de David Pritchard avec l’auteur, en date du 18 février 2001.
64 Journalistes au pays de la convergence
Intégrité du journalisme
Les textes normatifs en journalisme insistent sur l’intégrité de l’informa-
tion, ce qui fait le plus souvent référence à la question des conflits d’intérêts.
Ces conflits d’intérêts peuvent être de nature individuelle. C’est le cas, par
exemple, quand un journaliste choisit de privilégier son intérêt particulier
ou celui de ses proches au détriment de l’intérêt public, ce qui peut se faire
aussi bien par la diffusion et la promotion que par la rétention ou la censure
97. Carl Session STEPP (2004), « Journalism Without Profit Margins », American Journalism
Review, octobre/novembre, p. 37-43.
68 Journalistes au pays de la convergence
pouvant, à terme, miner les fondements mêmes de la liberté de presse qui est
étroitement associée, en théorie du moins, à la démocratie. Dans ce modèle
économique, les médias se servent du public à des fins particulières, tandis
que la loi de l’offre et de la demande définit l’intérêt public en l’associant
à l’intérêt du public. Dans ce modèle, les besoins des citoyens sont traités
de façon inégale, sinon inique, puisque ce sont les consommateurs les plus
rentables pour les annonceurs qui intéressent les médias.
Il est aussi possible, et préférable de notre point de vue, d’avoir une
conception démocratique de l’intérêt public qui favorise la diffusion d’in-
formations significatives pour éclairer les choix politiques, économiques,
sociaux, moraux et culturels des citoyens. Dans ce modèle démocratique, les
médias servent le public et son droit à une information de qualité, qui est à la
base de sa prise de décision éclairée. Ce modèle reconnaît l’importance de la
concurrence des médias dans un système économique marqué par une liberté
régulée afin d’assurer le juste équilibre entre les besoins de la démocratie et
les intérêts des médias. Il valorise la diversité des informations et des points
de vue, même de ceux qui sont impopulaires.
La convergence des médias, on l’a vue, est fortement caractérisée par une
volonté de promotion croisée, donc une volonté de servir les intérêts corpo-
ratistes ou commerciaux des entreprises de presse, ce qui se fait souvent au
détriment du service de l’intérêt public. C’est ici que se manifeste le grand ris-
que de conflit d’intérêts systémiques et le danger, surtout, que des entreprises
commerciales et privées du secteur de la radiodiffusion ne détournent l’usage
des ondes publiques au profit d’une minorité d’actionnaires, de gestionnaires
et de professionnels. À ce sujet, les données provenant des recherches empi-
riques sont inquiétantes, et elles vont bien au-delà des anecdotes.
Bien souvent, ceux qui contrôlent les médias siègent aux conseils d’ad-
ministration de grandes entreprises et de grandes corporations aux intérêts
forts diversifiés. Cela multiplie les risques de conflits d’intérêts et les occasions
de favoriser la diffusion d’informations pouvant avantager leurs actionnaires
et les compagnies qui font partie du même conglomérat. Un tel phénomène
a été observé au magazine Time, à la suite de la fusion avec Warner, en 1989.
Lee et Hwang ont constaté que Time a presque doublé sa couverture des « pro-
duits » culturels de la Warner, à la suite de la fusion, alors que le Newsweek a
70 Journalistes au pays de la convergence
101. Tien-Tsung LEE et Hsiao-Fang HWANG, (1997), « The Impact of Media Ownership – How
Time and Warner’s Merger Influence Time’s Content », American Education of Journalism
and Communication 1997 Annual Convention, 13 p.
102. David COHEN (2000), « Concentration of media concentrates conflicts », St. Louis Journalism
Review, vol. 30, p. 7.
103. HALBERSTAM (1979), op. cit.
104. Voir notamment mais non exclusivement : Marvin L. KALB , et Amy SULLIVAN (2000), « Media
Mergers : ‘Bigger is Better’ Isn’t Necessarily Better », Harvard International Journal of Press
Politics, vol. 5, no 2, 2000, p. 1-5 ; Kristina BORJESSON (2003), Black List : 15 journalistes
américains brisent la loi du silence, Paris, Éditions 10/18 ; Jeff COHEN (2006), Cable News
Confidential : My Misadventures in Corporate Media, Sausalito, PoliPointPress.
105. James MACKINNON (1999), « Media busters muffled (Canadian newspapers reluctant to report
on media critics », Adbusters, vol. 7, no 3, p. 27.
2 • Les impacts de la concentration et de la convergence des médias 71
106. Tod GITLIN (1996), « Not so fast », Media Studies Journal, Printemps/Été, (http://www.
mediastudies.org/mediamergers/mm.html) (lien Internet désactivé).
107. Norman SOLOMON (2000), « Coverage of media mergers », Nieman Reports, Cambridge, vol.
54, no 2, p. 57-59.
72 Journalistes au pays de la convergence
une108. Bien entendu, Conrad Black a connu une véritable déchéance depuis
cette étude, mais cela ne remet pas en cause l’hypothèse des conflits d’intérêts
systémiques qui menacent l’intégrité de l’information journalistique.
Dans une thèse de doctorat consacrée à une analyse de contenu des
magazines d’affaires publiques des réseaux américains de télévision, Tseng109
a observé que la concentration et la convergence des médias (qu’il nomme
synergie) affectent la qualité, la diversité et même l’intégrité de l’information
en raison des conflits d’intérêts systémiques. En effet, il observe un glissement
vers l’information sensationnaliste, l’intégration de contenus divertissants
et, surtout, une restriction de la diversité des sujets et des sources lorsque les
stations de télévision appartiennent à des conglomérats qui détiennent aussi
des médias imprimés (journaux, magazines). Dans certains cas (CNN Time
surtout), les émissions d’affaires publiques servent à la promotion de produits
du conglomérat. Il a observé que les magazines d’affaires publiques utilisaient
des images déjà diffusées afin de reformater des reportages et réduire leurs
coûts (MSNBC rediffuse des images de NBC par exemple). Sa recherche révèle
que les contenus sont devenus plus « mous » en comparaison avec des études
similaires publiées en 1997110.
De façon anecdotique, mais non moins troublante au contraire, rap-
pelons que les dirigeants de la chaîne CanWest Global ont censuré et même
intimidé leurs journalistes qui se sont opposés à leur décision de publier un
éditorial commun dans tous leurs journaux, annoncée en 2001. Selon Bozo-
nelos, le quotidien The Gazette a été forcé de ne pas publier des caricatures
et des textes qui critiquaient cette décision de la famille Asper. Une même
consigne a été appliquée au Halifax Daily News, où une chronique critique
du professeur de journalisme Steve Kimber (University King’s College) a elle
aussi été interdite de publication111. Au journal Windsor Star, un chroniqueur
a été congédié pour avoir critiqué cette décision dans le Sun de Toronto, un
journal appartenant à Quebecor112.
108. Donald GUTSTEIN (1998), « Vancouver Sun’s coverage acid test of owner’s influence »,
NewsWatch Monitor, NewsWatch Canada.
109. TSENG (2001), op. cit.
110. Idem, p. 98.
111. Ce quotidien a été racheté par Médias Transcontinental en 2002 et sa diffusion a cessé en février
2008.
112. Pertty BOZONELOS (2004), « The Tension Between Quality Journalism and Good Business in
Canada : A View From the Inside », Communication, no 29, p. 77-92, p. 86.
2 • Les impacts de la concentration et de la convergence des médias 73
113. Richard THERRIEN (2007), « TVA retire les pubs du Soleil », Le Soleil, 14 mai 2007. (http://www.
cyberpresse.ca/article/20070514/CPSOLEIL/70515004/5785/CPSOLEIL02), visité le 5 juin
2007.
114. Sanghee KWEON (2000), « A Framing Analysis : How Did Three U.S. News Magazines Frame
About Mergers or Acquisitions ? », International Journal of Media Management, vol. 2,
no 3 et 4, p. 165-177, p. 165.
74 Journalistes au pays de la convergence
que, dans le cas de Star Académie, les deux quotidiens de Quebecor « se sont
mis à parler systématiquement et abondamment de l’émission… alors deve-
nue une locomotive de la programmation de la chaîne de télévision TVA
appartenant au même propriétaire Quebecor119 ». Il fait état de la plainte
du syndicat des journalistes du Journal de Montréal au Conseil de presse du
Québec (CPQ) qui dénonçait un « conflit d’intérêts flagrant », ce que le CPQ
a « pudiquement reconnu […] en affirmant que Le Journal de Montréal s’était
placé en “ apparence de conflits d’intérêts ”120 » au point de nuire à la réputation
du quotidien et de ses journalistes. Cela était dû à l’absence d’étanchéité et
d’indépendance rédactionnelle entre le journal et la station de télévision. Dans
le cas du télé-horaire Voilà, qui appartenait à Gesca et Radio-Canada, Demers
a observé, au terme de l’analyse de 111 numéros hebdomadaires de 2001 à
2003, que les Une faisaient une « mise en manchette massive des émissions
de Radio-Canada qui reçoit 56,55 % des mentions. TVA n’en reçoit au total
que 9 % pendant que 16 autres chaînes de télévision sont mentionnées au
moins une fois en une du magazine121 ».
Conclusion
La présente revue de littérature indique que la concentration de la pro-
priété des médias et la convergence des médias d’information ne menacent pas
nécessairement, ni automatiquement, la qualité et la diversité de l’informa-
tion. Des facteurs tels que le mode de propriété (privé, public, indépendant,
conglomérat, présence d’actionnaires, etc.) ou le style de gestion peuvent
avoir des influences néfastes.
Ce qui est encore plus significatif, c’est que si les chercheurs sont sou-
vent prudents pour critiquer la concentration et la convergence, très rares
sont ceux qui publient des données montrant que cela améliore la qualité et
la diversité de l’information. Du point de vue du pluralisme démocratique,
les données sont plus inquiétantes que rassurantes.
Au chapitre de l’intégrité de l’information, la grande majorité des
recherches permettent d’affirmer que la concentration de la propriété et la
Notes méthodologiques
L’enquête a été menée auprès de 1780 journalistes syndiqués oeuvrant
dans les principaux medias d’information du Québec. Les unités syndicales de
ces journalistes sont principalement affiliées à la Confédération des syndicats
nationaux (CSN) via la Fédération nationale des communications (FNC).
La FNC représente 1580 des journalistes visés par l’enquête. Les 200 autres
journalistes sollicités sont affiliés à la Fédération des travailleurs du Québec
(FTQ) via le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP).
Des 1780 questionnaires acheminés aux journalistes via leurs syndicats
locaux, 385 questionnaires valides ont été retournés, de façons anonyme
et confidentielle, dans une enveloppe-réponse affranchie, pour un taux de
réponse de 21,6 %. Compte tenu de la population mère de 1780, la marge
d’erreur est de 4,4 % dans 95 % des cas.
Chaque questionnaire expédié aux journalistes était numéroté et accom-
pagné d’une lettre de leur syndicat et d’une lettre de notre part les invitant
à participer à l’enquête. Notons que plus d’un journaliste syndiqué sur cinq
a répondu au questionnaire, ce qui assure une représentativité satisfaisante
pour les besoins de la recherche qui permet de généraliser ses conclusions à
l’ensemble des journalistes syndiqués du Québec1.
Avant son envoi, le questionnaire a fait l’objet d’un prétest auprès de
quelques journalistes retraités qui nous ont permis de mieux cibler nos ques-
tions et les choix de réponse.
1. Il y aurait plus de 4000 journalistes au Québec dont bon nombre ne sont pas syndiqués et
échappent donc à notre regard.
3 • Rejet massif de la concentration et de la convergence 79
Graphique 1
Quel est votre groupe d’âge ?
Graphique 2
Depuis combien d’années êtes-vous un journaliste professionnel
(le journalisme est votre principal revenu) ?
3 • Rejet massif de la concentration et de la convergence 81
Graphique 33
Pour quel type de média travaillez-vous principalement ?
2. Autres = Cogeco (2,6 % ), indépendants (2,3 % ), Radio-Nord (1,6 % ), Corus (1 % ), Astral
(0,5 % ) et Journaux Transcontinental (0,3 % ).
3. Autres = Radio-Télévision (2,9 % ), Radio-télévision-Internet (1,6 % ), Presse écrite Internet
(0,8 % ), Presse quotidienne et hebdomadaire (0,8 % ) et Radio-Internet (0,5 % ).
82 Journalistes au pays de la convergence
bonne figure, tandis qu’il faut noter un important taux d’insatisfaction chez
les journalistes de Quebecor, qui sont nombreux parmi les répondants à se
dire très insatisfaits5. Il y lieu ici de préciser qu’au moment de réaliser notre
enquête par questionnaire, à l’automne 2007, un important conflit de travail
affectait les journalistes du Journal de Québec, ce qui peut avoir amplifié le
mécontentement à l’égard de Quebecor. Toutefois, l’ensemble des réponses
obtenues aux nombreuses et diverses questions abordent de multiples aspects.
Ces réponses documentent clairement un profond malaise professionnel au
sein de ce conglomérat, sinon une détresse professionnelle comme nous le
verrons tout au long du rapport.
Graphique 4
De façon générale, quel est votre degré de satisfaction à l’égard
de votre emploi actuel ? Diriez-vous que vous êtes :
6. Ces données sont basées sur ceux qui ont répondu à ces questions, soit plus de 97 % des
répondants.
3 • Rejet massif de la concentration et de la convergence 85
de cette catégorie d’âge n’a choisi les réponses plutôt négatif ou très négatif.
Plus ils sont âgés, moins les journalistes sont nombreux à trouver très positif
l’impact des nouvelles technologies. Les proportions à ce sujet diminuent
progressivement pour chaque groupe d’âge pour se situer à 17,6 % chez les
56 ans et plus.
La qualité de l’information
Nous n’avons pas cherché à définir ce qu’est la qualité de l’information. Il
est préférable de laisser les journalistes s’exprimer en fonction de la définition
qu’ils s’en font. On pourrait suggérer que, généralement, l’information est
jugée de qualité lorsqu’elle est conforme aux normes professionnelles recon-
nues dans les textes déontologiques (intérêt public du sujet abordé, vérité,
rigueur, exactitude, impartialité, objectivité, équité, intégrité). Depuis 1994,
ce sont aussi ces règles de l’art qui sont invoquées devant les tribunaux civils,
lors de procès en diffamation, lorsque vient le temps de savoir si des journa-
listes ont commis une ou des fautes professionnelles. Mais il serait téméraire
d’affirmer que tous les répondants avaient de telles références normatives à
l’esprit au moment de répondre au questionnaire.
Dans un premier temps, nous avons évalué l’intensité de certaines opi-
nions qui réfèrent de façon générale au journalisme, en utilisant l’échelle
d’attitude de Likert, déjà évoquée dans les notes méthodologiques. Ainsi, la
question La convergence des médias a un effet positif sur le journalisme a reçu
un très faible soutien (score moyen de 1,78 sur 7, écart type de 1,28). La valeur
de 1 (en total désaccord) est celle qui a été le plus souvent retenue (mode = 1)
par les journalistes (60 % des journalistes)7. À ce chapitre, on ne remarque pas
de différence significative entre les journalistes de conglomérats différents.
Cette opinion, de même que son intensité, est donc largement partagée dans
tous les conglomérats et dans tous les groupes d’âge.
7. L’écart type représente la dispersion des valeurs autour de la moyenne. Plus l’écart type est
élevé, plus est large la fourchette des valeurs autour de la moyenne. Moins est élevé l’écart type,
plus est étroite cette dispersion autour de la moyenne. À moyenne égale, un écart type plus petit
indique que cette moyenne est plus révélatrice. Le mode indique pour sa part quelle valeur (de
1 à 7) a été choisie le plus souvent par les répondants.
86 Journalistes au pays de la convergence
Graphique 5
La convergence des médias a un effet positif sur le journalisme
Graphique 6
La concentration des médias favorise le droit
du public à une information de qualité
médias que la convergence des médias, quant à leurs impacts sur la qualité
de l’information.
Graphique 7
La convergence des médias favorise le droit
du public à une information de qualité
11. Écart type = 1,65. Modes = 1 et 4 également privilégiés chacun par 23 % des journalistes.
12. ANOVA (sig = <,05).
3 • Rejet massif de la concentration et de la convergence 89
Graphique 8
Le fait qu’un média appartienne à un groupe
de presse améliore la qualité de l’information
Graphique 9
La concurrence entre les médias menace
le droit du public à une information de qualité
donc que ce n’est pas la concurrence en soi qui semble problématique, mais
la façon dont elle est mise en pratique. Encore une fois, on peut voir la dis-
tribution des réponses parmi les journalistes des trois grands conglomérats
médiatiques. À la valeur 7, qui exprime un accord total avec la proposition,
on trouve une importante présence de 37,3 % des journalistes de Quebecor
de notre échantillon, contre seulement 16,1 % des répondants de Gesca et
28,2 % de Radio-Canada. Les journalistes de Quebecor sont visiblement plus
critiques que leurs collègues, mais les écarts ne sont pas significatifs. Rappe-
lons que les journalistes de ces trois conglomérats constituent près de 92 %
de nos répondants.
Graphique 10
Ces dernières années, la concurrence entre les médias
est devenue excessive
Si on juge que la concurrence est devenue excessive entre les médias, cela
peut s’expliquer par l’importance de la mission économique des médias qui
doivent rapporter des profits intéressants à leurs propriétaires et actionnaires.
Cela explique peut-être pourquoi les journalistes appuient intensément la
proposition selon laquelle La pression économique, afin de satisfaire les action-
naires des médias, menace le droit du public à une information de qualité, qui
obtient un score élevé de 5,4915.
Graphique 11
La pression économique, afin de satisfaire les actionnaires des médias,
menace le droit du public à une information de qualité
Graphique 12
Le sensationnalisme et l’information spectacle menacent
de plus en plus le droit du public à une information de qualité
Graphique 13
Le mélange des genres (information et opinion) menace de plus en plus le
droit du public à une information de qualité
En ce qui concerne les tribunaux civils, les opinions tout comme leur
intensité sont très variées, au point où il est difficile d’y voir une réelle menace.
En effet, à l’affirmation selon laquelle Les décisions des tribunaux civils (dans les
cas de diffamation) menacent de plus en plus le droit du public à une information
de qualité, le score moyen est de 4,1321. Il semble donc que les tribunaux ne
soient pas perçus comme des obstacles majeurs à ce chapitre.
Le mode de propriété, les attentes des actionnaires, la concurrence exces-
sive, le mélange des genres journalistiques que sont l’information et l’opinion
et, surtout, la présence de sensationnalisme et de l’information-spectacle sont
des facteurs que les journalistes critiquent sévèrement. Il est permis de croire
que les journalistes sont favorables à une saine concurrence entre médias, mais
celle-ci doit s’exercer à l’intérieur de limites qui ne nuisent pas à la qualité de
l’information. Tout en tenant compte de ces considérations structurelles, il
convient de tourner notre regard vers les journalistes comme individus afin
de cerner un peu mieux si eux-mêmes identifient des limites à leur liberté
d’informer, à leur autonomie professionnelle.
L’autocensure
Traditionnellement, les journalistes se sont inquiétés de l’intervention
des tribunaux dans leur travail, y voyant une entrave à leur liberté d’informer
tout comme une grave menace au droit du public à l’information. Toutefois, la
présente enquête suggère que le risque pour le droit du public à une informa-
tion de qualité provient davantage des conglomérats médiatiques eux-mêmes
que de sources extérieures. Dans ce contexte, il est pertinent de mesurer des
notions telles l’autocensure et la liberté de la presse, en lien avec les phéno-
mènes de concentration de la propriété et de convergence des médias.
En premier lieu, nous avons soumis aux journalistes une définition
classique de l’autocensure, tirée de la littérature scientifique. Nous voulions
104 Journalistes au pays de la convergence
Graphique 14
L’autocensure est la crainte des personnes influentes et des pouvoirs
publics, qui incite les journalistes à supprimer des parties dérangeantes
de leurs textes et de leurs reportages, avant leur publication,
afin d’éviter tout risque de sanction et de réprimandes23
En second lieu, nous avons soumis des propositions qui sont autant
d’indicateurs liés à l’autocensure. Celle-ci peut être favorisée par différents
facteurs, telle l’ambition professionnelle qui vise la promotion au sein de l’en-
treprise, ou encore par l’obligation de loyauté envers l’entreprise qui incite à
faire taire les critiques la concernant, par crainte de déplaire aux propriétaires
du média ou à ses hauts gestionnaires. Nous avons vu, dans le cadre de la revue
des écrits, que pour certains conglomérats médiatiques, dont CanWest, cette
loyauté à l’entreprise justifiait d’imposer la censure à ses journalistes, à défaut
de quoi ils risquaient le congédiement. Nous allons explorer ces questions,
toujours en tenant compte principalement du facteur d’appartenance à un
des trois principaux conglomérats médiatiques pour lesquels travaillent plus
de 90 % de nos répondants.
L’affirmation la plus directe était celle voulant que Certains de mes col-
lègues se sont autocensurés ces derniers mois. Elle suivait immédiatement la
définition de l’autocensure, afin de nous assurer que les répondants avaient
toujours celle-ci à l’esprit au moment de se prononcer. Il faut noter que cette
question a été éludée par 5,2 % des répondants. On peut y voir une certaine
pudeur devant ce qui pourrait paraître être une dénonciation. Le score moyen
de 3,42 témoigne d’un désaccord majoritaire24 en même temps qu’il met au
jour des différences importantes.
Graphique 15
Certains de mes collègues se sont autocensurés ces derniers mois
Alors que 50 % des répondants ont privilégié les valeurs 1, 2 et 3, 30 %
ont témoigné d’un certain accord avec cette affirmation (5, 6 et 7). Pour les
observateurs, chercheurs et citoyens qui croient que l’autocensure est un
grave problème au sein des médias, cette proportion de 30 % de journalistes
syndiqués d’accord avec la proposition (7,7 % des journalistes sont même
totalement d’accord) est un résultat qui a de quoi inquiéter.
L’analyse des données en lien avec cette question révèle des différences
importantes en fonction de l’appartenance à un conglomérat médiatique. En
effet, on voit que l’autocensure est observée de façon beaucoup plus impor-
tante par les journalistes de Quebecor qui privilégient les valeurs 5, 6 et 7, ce
qui accrédite le constat d’une détresse professionnelle au sein de ce conglo-
mérat. Les journalistes de Gesca se distinguent en adoptant un point de vue
3 • Rejet massif de la concentration et de la convergence 107
Graphique 16
Certains de mes collègues se sont autocensurés ces derniers mois
promotion au sein de l’entreprise. C’est ainsi que nous avons soumis l’affir-
mation voulant que L’autocensure peut favoriser la promotion des journalistes
au sein de mon média. Le score moyen de 3,1126 témoigne d’un désaccord
général plus important que pour l’affirmation précédente. Plus de 60 % des
journalistes ont choisi les valeurs de désaccord (1, 2 et 3) contre 18,6 % pour
les valeurs d’agrément (5, 6 et 7). Encore une fois, les journalistes de Quebecor
se distinguent, car 19 % d’entre eux ont affiché leur accord total avec cette
affirmation, alors que leurs collègues des autres médias manifestent surtout
leur désaccord. Ici, les profils des journalistes de Gesca et de Radio-Canada se
ressemblent davantage, mais il faut néanmoins noter que 7,3 % des journalistes
de la société d’État sont totalement d’accord avec l’affirmation.
L’analyse statistique révèle cette fois des différences statistiquement
significatives entre le score moyen des journalistes de Quebecor et ceux des
journalistes de Radio-Canada, ainsi que de la catégorie Autres qui regroupe
notamment des journalistes indépendants27. Toutefois, la variable du groupe
d’âge a aussi une influence, car il existe une différence statistiquement signi-
ficative28 entre le score moyen des journalistes âgés de 18 à 35 ans (2,47) et
celui de leurs aînés (3,40) qui appuient davantage cet énoncé. Comme les
variables de l’âge et de l’expérience sont étroitement corrélées, on peut penser
que plus on a de l’expérience professionnelle, plus on est d’accord avec cet
énoncé, ce que confirme le test statistique. En somme, les journalistes qui
ont plus de 35 ans et plus de 10 années d’expérience sont davantage d’accord
avec l’énoncé voulant que l’autocensure puisse favoriser la promotion au sein
des entreprises.
Graphique 17
L’autocensure peut favoriser la promotion des journalistes
au sein de mon média
Malgré ces résultats qui suggèrent que l’autocensure n’est pas un pro-
blème majeur au sein de tous les médias, les journalistes de notre échantillon
sont assez d’accord avec l’affirmation voulant que La concentration et la conver-
gence des médias favorisent l’autocensure des journalistes. Le score moyen de
4,7129 témoigne d’un accord généralisé qui peut-être révélateur d’une inquié-
tude face à un phénomène d’autocensure non encore généralisé, mais qui
risque de se propager en raison de la mission commerciale des médias et de
l’appétit des actionnaires. Voici une autre hypothèse explicative qui mériterait
d’être explorée plus profondément. Les résultats suggèrent que l’ensemble des
journalistes s’entendent sur les risques que font peser la concentration et la
convergence des médias, une crainte encore plus intense pour les journalistes
de Quebecor (4,98) et de Radio-Canada (4,95). Les journalistes des médias
Autres, au sein desquels se trouvent des journalistes de médias indépendants tel
Graphique 18
Au sein de mon média, la loyauté à l’entreprise est très importante
Graphique 19
Je peux critiquer publiquement (dans un article, une chronique,
une entrevue, etc.) la qualité de l’information diffusée par mon média
Graphique 20
Quand mon média publie une information exclusive (scoop, enquête,
dossier), il est impossible de critiquer publiquement (dans mon média
et dans d’autres médias) la rigueur de la méthode utilisée
Graphique 21
Dans mon travail, je peux produire et faire diffuser des informations
qui nuisent aux intérêts du ou des propriétaires de mon média
une certaine protection contre ces pressions. Comme les médias ont de plus
en plus recours à des journalistes pigistes, et compte tenu de la connaissance
concrète que les journalistes syndiqués ont de leur média, il est justifié de leur
demander de réagir à l’affirmation selon laquelle Un journaliste syndiqué peut
mieux résister aux pressions de son employeur qu’un journaliste pigiste face à un
média client. Ici, le consensus favorable à cette affirmation atteint un niveau
très élevé avec un score moyen de 6,0637.
Graphique 22
Un journaliste syndiqué peut mieux résister aux pressions de son
employeur qu’un journaliste pigiste face à un média client
Test de corrélations
Tel que nous l’avons évoqué plus haut, il y a lieu de tester l’existence
de corrélations entre les quatre indicateurs de l’autocensure que sont : 1) la
loyauté, 2) la possibilité pour les journalistes de critiquer publiquement la
qualité de l’information diffusée par leur média, 3) la possibilité de critiquer
publiquement la qualité de l’information ou la rigueur de la méthode ayant
généré une nouvelle exclusive, et 4) la capacité de produire et diffuser des
informations qui nuisent aux intérêts des propriétaires du média.
Tableau 1
Test de corrélations des indicateurs de l’autocensure
Journalisme responsable
À la suite de cette section consacrée à l’autocensure, il y a lieu de s’as-
surer qu’il n’y a pas de confusion entre cette notion et celle de journalisme
38. (p<.05).
3 • Rejet massif de la concentration et de la convergence 121
Graphique 23
Dans mon travail, je peux produire et faire diffuser des reportages
à partir d’informations non vérifiées qui peuvent porter atteinte
à la réputation des gens et des institutions
Graphique 24
Dans mon travail, je peux produire et faire diffuser des informations
au sujet de la vie privée de personnalités publiques
Graphique 25
Dans mon travail, je peux produire et faire diffuser
des informations qui nuisent aux intérêts des pouvoirs politiques
43. Question inscrite au questionnaire de David Pritchard et Florian Sauvageau, en 1996, mais
dont les résultats ne sont pas rapportés dans leur ouvrage publié en 1999, Les journalistes
canadiens : Un portrait de fin de siècle, Sainte-Foy, Presses de l’Université Laval.
44. ANOVA Post Hoc Test = sig. < ,05.
126 Journalistes au pays de la convergence
Graphique 26
Quelle est votre latitude dans le choix des angles qu’il faut privilégier dans
le traitement d’un sujet ? Diriez-vous que :
moyen obtenu est de 3,6745. Ce score révèle une opinion générale assez neutre
ou ambivalente à ce sujet. Encore une fois, la comparaison d’intergroupes
médiatiques montre un portrait plus précis, comme l’illustre bien le graphique
suivant. Il révèle que les journalistes de Quebecor manifestent une grande
intensité dans leur désaccord avec l’affirmation, puisque 34 % d’entre eux se
disent en total désaccord, soit deux fois plus que leurs collègues des autres
médias, ce qui est une différence statistiquement significative46.
Graphique 27
Dans mon média, des chroniqueurs expriment des opinions
radicalement opposées à celles des propriétaires
Graphique 28
La concentration et la convergence des médias
menacent la liberté des journalistes
Graphique 29
La concentration de la propriété des médias au Québec
constitue une menace à la libre circulation des idées
Notons ici encore que l’accord total avec cette affirmation regroupe la
majorité des journalistes de Quebecor (51 % ), qui sont suivis par ceux de
Radio-Canada et de Gesca. Les valeurs 6 et 7 sont choisies par la majorité
des journalistes, peu importe le média pour lequel ils travaillent, la propor-
tion variant entre 60 % et 75 %. Il n’existe aucune différence significative
entre les journalistes de ces trois conglomérats qui font un large consensus
à ce sujet.
Au chapitre des effets de la concentration et de la convergence des médias
sur la liberté de la presse, on doit prendre au sérieux le verdict des journa-
listes qui sont les mieux au fait des effets concrets de la concentration dans
leurs pratiques quotidiennes, et des menaces que cela fait peser sur la libre
circulation des idées. Il nous paraît peu crédible de n’y voir qu’une réaction
corporatiste ou syndicale de journalistes qui affrontent leurs patrons.
3 • Rejet massif de la concentration et de la convergence 131
La diversité de l’information
face à la convergence
Comme nous l’avons vu au chapitre précédent, les grands débats entou-
rant la concentration et la convergence des médias concernent aussi la question
de la diversité de l’information dans les sociétés démocratiques. Nous avons
cherché à situer les journalistes par rapport à ces enjeux. Dans un contexte où il
est souvent affirmé que les sites Internet des médias d’information offrent une
diversité d’information jamais vécue auparavant, nous avons formulé l’affir-
mation suivante : De façon significative, le site Internet de mon média offre plus de
diversité d’information que son format traditionnel (papier, radio ou télévision).
Les journalistes sont surtout en désaccord avec cette affirmation, comme le révèle
le score moyen de 3,2749. Le fait que les valeurs 1 et 2 aient été choisies par 46 %
des répondants est révélateur de l’intensité du rejet de cette affirmation.
Graphique 30
De façon significative, le site Internet de mon média offre plus de diversité
d’information que son format traditionnel (papier, radio ou télévision)
Graphique 31
Les relations que les dirigeants de mon média entretiennent avec
des gens d’affaires influencent de façon négative la qualité
de l’information de mon média
actionnaires qui transigent sur les marchés publics (Quebecor), et dont les
attentes de rendement sont élevées, semble jouer un rôle plus important que
dans le cas d’un conglomérat à capital fermé (Gesca), dont le propriétaire
peut se satisfaire de rendements moindres.
On peut explorer plus avant cette possibilité avec l’affirmation Au
sein de mon média, l’intérêt économique des propriétaires et actionnaires passe
avant l’intérêt public. Le score moyen pour cette affirmation est de 355. Encore
une fois, l’analyse révèle un portrait très différencié selon les conglomérats
médiatiques.
Graphique 32
Au sein de mon média, l’intérêt économique des propriétaires
et actionnaires passe avant l’intérêt public
influencent le genre de nouvelles que nous diffusons, les journalistes sont très
ambivalents, puisque le score moyen est de 4,0458.
Graphique 33
Les besoins en revenus publicitaires influencent le genre
de nouvelles que nous diffusons
C’est encore une fois l’analyse croisée qui lève le voile sur la situation,
puisque les journalistes radio-canadiens se distinguent en étant massive-
ment (54 % ) en désaccord avec cette affirmation, alors que les journalistes de
Quebecor sont aux prises avec une situation tout à fait opposée, se disant
plus ou moins d’accord dans une proportion de 66 %. Chez Gesca, on est
plus ou moins d’accord dans une proportion 52 % , mais l’intensité (valeurs 6
et 7) est moins élevée que chez leurs collègues de Quebecor. En regard d’une
proposition qui les concerne peu, somme toute, surtout pour ceux qui oeuvrent
à la radio publique, les journalistes de la SRC ont un point de vue collectif qui
est statistiquement différent de ceux de leurs collègues du secteur privé59.
Il n’y a pas que l’attrait de revenus publicitaires qui puisse avoir une influence
sur l’intégrité de l’information. Dans certains cas, on peut retrouver la volonté des
gestionnaires de favoriser la promotion du média, ou celle d’autres entreprises
du même conglomérat médiatique. À ce sujet, si on s’en remet à l’ensemble des
réponses obtenues jusqu’ici, on peut s’attendre à un haut niveau de désaccord
concernant l’affirmation suivante : L’importance accordée à l’autopromotion et à la
promotion des autres médias de notre conglomérat ou groupe de presse a diminué ces
dernières années. C’est ce que confirme le score moyen de 2,1360.
Graphique 34
L’importance accordée à l’autopromotion et à la promotion des autres médias
de notre conglomérat ou groupe de presse a diminué ces dernières années
Graphique 35
Ces derniers mois, certains de mes collègues ont reçu des affectations
de couverture qui servent les intérêts de notre média ou d’autres médias
de notre groupe de presse
Graphique 36
Les relations que les dirigeants de mon média entretiennent avec
des décideurs politiques (gouvernements ou partis d’opposition)
influencent de façon négative la qualité de l’information de mon média
Graphique 37
Les opinions et les intérêts des propriétaires de mon média sont reflétés
régulièrement dans la couverture des nouvelles
Graphique 38
Qu’en est-il de votre propre travail ? À quelle fréquence diriez-vous
que les opinions et intérêts du ou des propriétaires ont un impact
sur ce que vous écrivez ou révisez ?
66. Stuart SOROKA et Patrick FOURNIER (2003), Newspaper in Canada Pilot Studey Survey
Result, (http://misc-iecm.mcgill.ca/media/results.htm), lien visité le 8 décembre 2007.
146 Journalistes au pays de la convergence
Intervention gouvernementale
Compte tenu des questions antérieures, qui établissent que les journalis-
tes des grands conglomérats médiatiques du Québec croient que la concentra-
tion de la propriété des médias et la convergence des médias sont défavorables
à la liberté de presse, à la qualité du journalisme, et à la diversité et à l’intégrité
de l’information, on peut croire que ces mêmes journalistes seront favora-
bles à une intervention gouvernementale pour limiter la concentration de la
propriété de la presse.
Compte tenu également de l’important malaise professionnel observé
chez les journalistes de Quebecor, on peut aussi anticiper que ces derniers
seront les plus favorables à l’affirmation suivante : Les gouvernements devraient
agir pour limiter la concentration de la propriété des médias au Québec. Le
score moyen obtenu est de 5,7367. En fait, 66 % des répondants ont choisi les
valeurs de 6 et 7, ce qui indique un fort consensus. Rappelons-nous que ces
mêmes journalistes estiment que ce sont les contraintes économiques des
conglomérats qui menacent la qualité, la diversité et l’intégrité de l’infor-
mation. Dans leur étude, Pritchard et Sauvageau avaient posé une question
similaire à leur échantillon de journalistes canadiens et obtenu un score de
6,28 sur 1068. Si on fait la conversion de notre score sur une échelle de 10, on
arrive à un résultat de 8,18.
Graphique 39
Les gouvernements devraient agir pour limiter la concentration
de la propriété des médias au Québec
retenir qu’aucun écart significatif n’existe entre les journalistes des différents
conglomérats médiatiques.
Jusqu’ici, de nombreux indicateurs témoignent d’une situation profes-
sionnelle pénible pour les journalistes de Quebecor. Le préjugé fortement
répandu au sein d’une certaine élite voudrait que ces journalistes soient moins
compétents ou moins professionnels que ceux à l’emploi de Radio-Canada, du
conglomérat Gesca ou encore du quotidien Le Devoir. Un tel préjugé a la vie
dure et ne tient pas compte des conditions réelles dans lesquelles les journa-
listes doivent travailler. En effet, il est permis de croire que les journalistes des
trois conglomérats partagent bon nombre de valeurs professionnelles ou de
convictions en ce qui concerne les responsabilités sociales des médias, mais
que certains doivent travailler pour des médias moins soucieux de l’intérêt
public ou de la qualité de l’information. Le prochain chapitre va confirmer
cette hypothèse.
Chapitre 4
L’hypothèse générale que nous voulons vérifier est que, à titre individuel,
les journalistes de Quebecor, de Gesca et de Radio-Canada ont un niveau
d’adhésion similaire aux fonctions sociales du journalisme que Pritchard
et Sauvageau qualifient de credo du journalisme. Les différences observées
jusqu’ici entre les journalistes des trois conglomérats médiatiques seraient
dues aux conséquences et aux craintes que la concentration et la convergence
engendrent pour la majorité de nos répondants, selon la façon dont ces phé-
nomènes sont vécus au sein de chaque conglomérat.
Selon nous, le mode de propriété – qui peut être public (SRC), privé à
capital ouvert aux actionnaires des marchés (Quebecor) ou privé à capital
fermé (Gesca) – a des incidences qui ont été bien démontrées jusqu’ici. Mais
ces incidences seront plus visibles si on compare la façon dont les journalistes
perçoivent ce qui est important pour leurs médias respectifs, eu égard aux
fonctions du journalisme, et ce qu’eux considèrent personnellement comme
les fonctions les plus importantes, lesquelles constituent alors le credo des
journalistes1.
Nous avons soumis à notre échantillon les 14 propositions de ces auteurs2,
en lien avec autant de fonctions journalistiques. Nous avons toutefois introduit
1. Pritchard et Sauvageau, op. cit., p. 34. Notons que seules les cinq fonctions jugées les plus
importantes faisaient partie de leur credo, alors que nous allons en identifier six.
2. Pritchard et Sauvageau ont publié une mise à jour de leur enquête (2005), mais en comparant
des sous-groupes de 205 journalistes de leur échantillon de 1996, dont 78 francophones. Nous
estimons que la comparaison avec leur échantillon de 1996 est plus juste, même si leur échan-
tillon de 554 journalistes canadiens contenait 148 journalistes francophones, dont certains
hors Québec, alors que notre échantillon est de 385 journalistes francophones syndiqués du
Québec.
150 Journalistes au pays de la convergence
trois différences dont il faut tenir compte. La première est celle de notre échelle
d’attitudes qui compte 7 degrés au lieu de 4. Cela produit des réponses plus
nuancées. À des fins comparatives, nous allons convertir les valeurs moyen-
nes obtenues par Pritchard et Sauvageau (m) afin de les rendre compatibles
avec notre échelle de 7 (M = m x 1,75), tout en signalant que cet exercice a
ses limites, et en rappelant que leur enquête avait été menée par entrevues
téléphoniques alors que la nôtre a pris la forme d’un questionnaire écrit.
La seconde modification est plus importante, car nous avons voulu
mesurer si des écarts existent entre l’adhésion personnelle des journalistes
aux énoncés du credo d’une part, et leur évaluation de l’adhésion de leur
média à ces mêmes énoncés d’autre part. Il nous a semblé que cette distinc-
tion s’imposait, puisqu’il est clair que les journalistes ont des évaluations
critiques, quant à leur média, en ce qui a trait à la qualité, à la diversité et
à l’intégrité de l’information. Nous croyons qu’il doit en aller de même eu
égard aux fonctions qui constituent le credo. En 1996, Pritchard et Sauvageau
demandaient pour leur part aux journalistes de se prononcer sur « l’impor-
tance [qu’ils accordaient] à un certain nombre de choses que les médias font
ou cherchent à faire »3.
La troisième modification concerne l’ajout d’une proposition concer-
nant les syndicats afin de pouvoir la comparer avec les réponses à propos du
monde des affaires.
Nous allons présenter nos résultats en ordre décroissant, selon l’impor-
tance que les journalistes accordent personnellement à ces fonctions journa-
listiques. On verra aussi comment ils évaluent l’importance que leur média
accorde à ces mêmes fonctions. Cela permettra de calculer un écart journaliste/
média (ÉJ/M) pour chaque fonction. On pourra aussi comparer nos résultats
avec ceux, convertis sur une échelle de 7, de Pritchard et Sauvageau.
La fonction journalistique jugée la plus importante par notre échantillon
consiste à rapporter fidèlement les propos des personnalités rencontrées.
Graphique 40
Il est très important … de rapporter fidèlement les propos
des personnalités rencontrées
plus négative5. Mentionnons que, sur le plan personnel, il n’y a pas de diffé-
rence statistiquement significative quant à l’importance que les journalistes
des différents conglomérats accordent à cette fonction, même si les moyennes
vont de 5,51 chez Quebecor à 6,55 chez Radio-Canada.
La deuxième fonction jugée la plus importante consiste à analyser et à
interpréter les enjeux difficiles.
Graphique 41
Il est très important … d’analyser et d’interpréter les enjeux difficiles
5. Pour les besoins du présent exercice, nous limiterons les observations statistiques aux différences
qui existent entre les trois conglomérats médiatiques, même si des écarts significatifs existent
souvent entre ceux-ci et la catégorie Autres.
6. ANOVA Post Hoc Test = sig. < ,05.
4 • Le credo des journalistes québécois 153
Graphique 42
Il est très important … d’enquêter sur les activités des gouvernements
et des organisations publiques
Graphique 43a
Il est très important … de rester sceptique face aux gestes du monde
des affaires
Encore une fois, on constate que les journalistes disent y adhérer davan-
tage que leur média. Quant à l’ÉJ/M, il est maximal chez Gesca, où on se dit
tout de même plus vigilant que les autres (1,47), suivi par Quebecor (1,32) et il
est minimal à la SRC (0,69). C’est chez Quebecor qu’on accorde le moins d’im-
portance à cette fonction journalistique, parmi les conglomérats médiatiques.
Ici, les différences significatives se trouvent entre les réponses personnelles
des journalistes de Quebecor et de Gesca, et entre la perception qu’ont de leur
média respectif les journalistes de Quebecor et de Radio-Canada8.
À de seules fins de comparaison, nous avons soumis une proposition
similaire sur les gestes des syndicats. On constate d’importantes différences
dans les opinions et perceptions des journalistes. Alors qu’ils estiment plus
important que leurs médias respectifs restent sceptiques par rapport aux
gestes du monde des affaires, ils estiment moins important qu’ils restent
sceptiques face aux gestes des syndicats. Le fait d’avoir affaire à un échan-
tillon de journalistes syndiqués a vraisemblablement joué un rôle ici pour
expliquer cette forme de complaisance. D’autant plus qu’on ne trouve pas
de différence significative chez les répondants qui ont exercé un mandat de
cadre dans une entreprise de presse et ceux qui ont exercé, ou exercent, un
mandat de représentant syndical.
Graphique 43b
Il est très important … de rester sceptique face aux gestes des syndicats9
9. Cette question n’était pas posée dans l’enquête de 1996, mais nous l’avons introduite étant
donné que les commanditaires de notre enquête étaient des organisations syndicales, et que
faire autrement aurait pu soulever des doutes. Nous n’en tenons pas compte dans le credo et,
de toute façon, l’adhésion personnelle des journalistes n’est pas assez forte pour faire partie du
credo.
156 Journalistes au pays de la convergence
Graphique 44
Il est très important … de rester sceptique face aux gestes
des personnages publics
Graphique 45
Il est très important … de transmettre l’information au public rapidement
Par ailleurs, c’est la première fois que nous observons une moyenne per-
sonnelle inférieure à celle attribuée au média. On peut croire que la rapidité
de diffusion n’est pas considérée comme une fonction associée à une qualité
professionnelle valorisée fortement par les journalistes. Le principal ÉJ/M est
de Radio-Canada (-0,67), suivi de Quebecor (-0,49) et Gesca (-0,1), alors qu’il
est presque nul pour la catégorie Autres. Aucune différence statistiquement
significative n’a été observée au niveau des conglomérats ou de l’âge.
Avec le graphique précédent, on peut déjà affirmer que le credo du
journalisme québécois est différent du credo du journalisme canadien. Si on
se réfère au critère de « fortes majorités » de Pritchard et Sauvageau, le credo
158 Journalistes au pays de la convergence
Graphique 46
Il est très important … de donner aux gens ordinaires la chance d’exprimer
leur point de vue
10. Rappelons que leur échelle n’avait que quatre valeurs, soit « très important, assez important,
peu important et sans importance ». Nous considérons que les valeurs 6 et 7 de notre échelle
signifient que les répondants trouvent la fonction comme étant très importante.
4 • Le credo des journalistes québécois 159
Ici aussi les journalistes valorisent moins cette fonction que ne le fait
leur média. L’ÉJ/M le plus élevé est celui de Quebecor (-0,25) et le plus faible
est celui des journalistes de Gesca (- 0,06). En ce qui concerne cette fonction,
il existe une différence significative entre les réponses données par les jour-
nalistes de 18-35 ans quant à l’importance que leur média accorde à cette
fonction, la moyenne des réponses de ce groupe est de 5,87, contre 5,48 pour
leurs aînés11. Il est toutefois pertinent de noter que le groupe d’âge n’inter-
vient plus quand les journalistes se prononcent quant à l’importance qu’ils
accordent personnellement à cette fonction, même si les plus âgés valorisent
un peu plus cette fonction que les plus jeunes (5,55 vs 5,31). Aucune autre
différence significative n’a été observée à ce chapitre.
Notre enquête ayant été menée à l’automne 2007, en plein milieu des
débats sur les soi-disant accommodements raisonnables, on devait s’attendre
à ce que l’importance d’étendre le champ des préoccupations culturelles et
interculturelles du public soit plus valorisée qu’en 1996. C’est ce que confirme
le prochain graphique. Cette fonction était 10e au classement de 1996, mais
elle se hisse maintenant au 8e rang.
Graphique 47
Il est très important … d’étendre le champ des préoccupations culturelles
et interculturelles du public
Le graphique révèle un très grand ÉJ/M chez Quebecor (1,76), que plu-
sieurs commentateurs publics considèrent avoir été à l’origine de ce débat ;
cela témoigne peut-être d’un désaccord sur la façon dont les médias de ce
conglomérat ont exploité la question des relations interculturelles au Québec.
Par ailleurs, l’écart n’est que de 0,04 à la SRC, où le mandat d’information et
le mode de propriété semblent faire la différence. Les différences significatives
observées ont rapport avec les évaluations de chaque groupe de journalistes
quant à l’importance de cette fonction pour leurs médias respectifs12.
Le prochain graphique révèle l’écart qui existe, dans tous les conglo-
mérats, sur l’importance de mettre l’accent sur des nouvelles susceptibles
d’intéresser le plus large public possible.
Graphique 48
Il est très important … de mettre l’accent sur des nouvelles susceptibles
d’intéresser le plus large public possible
C’est encore une fois chez Quebecor que l’ÉJ/M est le plus important
(-1) alors qu’il est plus petit chez Gesca (-0,45) suivi de Radio-Canada (-0,55),
pour ce qui est des principaux conglomérats médiatiques. Cette fonction
journalistique, au 7e rang en 1996, se trouve maintenant au 9e rang. L’im-
portance de cette fonction pour Radio-Canada, telle qu’elle est estimée par
ses journalistes, est statistiquement différente de celle que les journalistes des
Graphique 49
Il est très important … de discuter des politiques gouvernementales
lorsqu’elles sont en voie d’élaboration
Graphique 50
Il est très important … d’influencer l’opinion publique
journalistes se sont dits tout à fait d’accord à titre personnel. Cela a pour effet
de reléguer cette fonction au 12e rang de notre classement, alors qu’elle était au
11e rang en 1996. L’ÉM/J est plus prononcé pour les journalistes de Quebecor
(-2,41) que pour ceux de Gesca (-1,84) ou de Radio-Canada (-1,82). En ce qui
concerne aussi bien l’importance personnelle que l’importance médiatique
de cette fonction, les journalistes de 18 à 35 ans se distinguent de leurs aînés
de façon significative, en valorisant davantage l’importance d’augmenter
tirage et cotes d’écoute17.
Graphique 51
Il est très important … d’augmenter le tirage ou les cotes d’écoute
Graphique 52
Il est très important… de déterminer l’agenda politique
Graphique 53
Il est très important… de meubler les loisirs du public, de le divertir
Tableau 2
Écart journaliste/média du credo journalistique
Rang
Fonction journalistique ÉJ/M ÉJ/M ÉJ/M Niveaux
2006 ÉJ/M SRC
Quebecor Gesca Autres 6 et 7
(1996)
Rapporter fidèlement les
1
propos des personnalités
(1) 1,08 0,32 0,18 0,24 96,6 %
rencontrées
Analyser et d’interpréter 2
les enjeux difficiles (5) 1,46 0,74 0,25 1,06 80,5 %
Enquêter sur les activités
3
des gouvernements et des
(4) 0,64 0,66 0,35 0,82 71,7 %
organisations publiques
Rester sceptique face
4
aux gestes du monde
(9) 1,32 1,47 0,69 0,91 70,6 %
des affaires
Rester sceptique face aux
5
gestes des personnages
(8) 0,27 0,74 0,38 0,6 69,1 %
publics
Transmettre l’information 6
au public rapidement (2) - 0,49 - 0,1 - 0,67 - 0,03 63,9 %
ÉJ/M total du credo
- 4,28 3,83 1,18 3,6 -
(somme)
IÉJ/M du credo
- 0,713 0,638 0,196 0,600 -
(moyenne)
Graphique 54
Comparaison géométrique des ÉJ/M des trois conglomérats médiatiques
Conclusion
légitimité sociale majeure. Ce qui risque de limiter leurs libertés aussi bien
que leur pertinence sociale comme acteurs de la démocratie.
La concentration et la convergence ne sont pas nécessairement et auto-
matiquement des menaces. Il est possible de les contenir, et même d’en tirer
profit. Il est possible pour les entreprises de presse d’instaurer ou de raffermir
un climat professionnel qui valorise la mission démocratique du journalisme.
Il faut en premier lieu accepter de limiter les appétits des actionnaires qui
ont droit à des profits justes, mais non excessifs. Peut-être faut-il penser à
privilégier des modes de propriété à capital fermé, ce que les gouvernements
pourraient faire à l’aide de mesures économiques. Ce ne sont pas les pistes de
solutions qui manquent, c’est la volonté de les explorer, de stimuler le débat
social et d’implanter celles qui semblent les plus adéquates.
Mais l’action ne saurait se limiter à des recettes économiques. Il faut
également miser sur une éthique du travail bien fait, laquelle repose sur une
éthique professionnelle qui reconnaît le droit du public à une information
de qualité. Il faut favoriser la réflexion éthique plutôt que le réflexe journa-
listique.
De même, on doit assurer que les journalistes soient des professionnels
dotés d’autonomies, embauchés par des entreprises afin de servir l’intérêt
public. On ne peut se contenter d’un statut d’employé aveuglément loyal,
soumis aux injonctions parfois capricieuses d’une hiérarchie. L’enquête révèle
la difficulté pour les journalistes d’exercer l’autocritique, au nom d’une loyauté
à l’entreprise qui se substitue à la loyauté qu’ils devraient avoir pour le droit
du public à l’information.
En somme, il est très difficile, et surtout très risqué pour les journalistes,
de se livrer à un travail de métajournalisme, comme nous le qualifions déjà
en 19951. Le métajournalisme consiste à couvrir les médias au même titre
que les autres institutions de la société, afin de permettre au public de mieux
comprendre leur fonctionnement et de se faire une idée juste de leur utilité,
aussi bien que de leur nuisance sociale. Rappelons que le journalisme, comme
fonction sociale et démocratique, n’appartient ni aux médias, ni aux journa-
listes. Ils en sont les fiduciaires dont la tâche est d’en préserver la légitimité
sociale, l’intégrité morale et la crédibilité professionnelle.
3. Il y a lieu de préciser que, pour certains, le journalisme figure aux côtés de la publicité et de
la protection des mineurs comme « places fortes de la corégulation et de l’autorégulation »
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Conclusion 177
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