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France
Vincent Catherine. Quand l'Église fait place à la vie associative. In: Revue d'histoire de l'Église de France, tome 76,
n°197, 1990. pp. 213-226;
doi : https://doi.org/10.3406/rhef.1990.3495
https://www.persee.fr/doc/rhef_0300-9505_1990_num_76_197_3495
Abstract
Inside conventual and parish churches, charities are often entitled to have a particular altar or a
side chapel. In return for this privilege, they are either charged a small recurring fee or asked to
help keep up the buildings. In those, they may hold their own meetings : new member's admission
ceremonies, annual ccounting report, or even banquets on their Saint Patron Day. Besides, this
brotherly spirit — that has to be viewed as an extension of the Communion of Saints — is also
displayed by special decorations, by masses and by the possible buryuing of charity members in
the associated chapel. However, by the end of the Middle Ages, banquets are gradually forbidden
in holy places, letting them be used essentially
for liturgie purposes.
QUAND L'ÉGLISE FAIT PLACE
À LA VIE ASSOCIATIVE...
17. Exemples cités pour la Normandie, dans C. Vincent, op. cit., note 3, p. 270-278 ;
d'autres en annexe II du présent article.
18. Quelques beaux spécimens sont conserves, en Seine-Maritime, au musée de Martainville
(Seine-Maritime), et dans l'Aube, à l'intérieur de l'église de Mussy-sur-Seine.
19. Y. Le Maresquier, op. cit., note 2, p. 542.
20. Allusions précises à des troncs de confréries dans les statuts de la confrérie
Saint- Jacques aux Cordeliers de Bar-sur-Aube (J.-M. Roger, op. cit., note 8, p. 533) et dans
l'autorisation donnée en 1435 par Henri IV à la confrérie Saint-Pierre-Martyr de s'établir aux
Jacobins de Paris (A. Longnon, Paris pendant la domination anglaise, Paris, 1878, p. 354).
218 C. VINCENT
patron, premier des confrères, présent ici par sa statue, devient le garant
de la bonne gestion du nouveau maître 24.
Toutes ces activités qui répondent aux nécessités de la vie associative
comportent des aspects que l'on qualifiera, faute de mieux, à la fois de
« profanes » et de « sacrés » ; or, elles se déroulent à l'intérieur de l'église
sans susciter ni réprobation, ni condamnation. La distinction que nous
établissons n'existe pas encore clairement, aux XIVe et XVe siècles, à leur
sujet. En revanche, elle semble poindre à propos du repas annuel que toute
confrérie organise et dont on sait qu'il pouvait aussi trouver place dans les
lieux de culte.
Le repas confraternel a lieu le jour de la fête du saint patron ; il fait
généralement suite à une messe solennelle en son honneur et paraît conçu
comme « le signe de la paix et bonne entente qui doit régner entre les
membres d'une même communauté » 25. Qu'il puisse donner lieu à divers
débordements, nul n'en doute, mais il n'est pas moins certain qu'il
présente nettement des caractères rituels. La présence y est obligatoire et
toute absence sanctionnée d'une amende ^ ; parfois, il se prend en silence
alors qu'un clerc donne lecture d'une vie de saint 27 ; il peut être précédé
et suivi d'une prière ; certaines confréries y accueillent un nombre
symbolique de pauvres (treize, plus un pauvre nourri pour chaque absent),
ou bien elles leur destinent les restes de menus qui prévoient large, à
défaut d'être recherchés 28. Le modèle du monde monastique se profile
derrière ces exigences. Il n'est donc pas invraisemblable qu'un tel repas se
déroule à l'intérieur de l'église : à cet égard, quelques statuts sont très
clairs. En 1484, ceux de la confrérie du Saint-Esprit de Mâcon n'hésitent
pas à expliquer que le repas se prend dans l'église Saint-Nizier où sont, par
ailleurs, célébrés des services religieux, dont ceux de la confrérie 29. Il y a
tout lieu de penser que l'expression « dans l'église » doit s'entendre « dans
la nef » ; une chapelle serait trop exiguë pour accueillir tous les membres,
nombreux, à lire les registres et les inventaires de vaisselle ! Au Puy-
Paulin, en Gironde, en 1357, il n'est pas non plus choquant de porter
« chandelles et pots de vin » aux confrères qui veillent l'un des leurs décédé,
24. Statuts reproduits par C. Memheld, Le fait associatif des gens de mer dans les ports
français du XIe au XVIIIe siècle, Paris, 1984- 1985, thèse dactyl, sous la direction de M.
Mollat, t. IV, p. 913.
25. M. Venard, « La fraternité des banquets », dans Pratiques et discours alimentaires à la
Renaissance, colloque de Tours, 1979, Paris, 1982, p. 138.
26. Ainsi à la confrérie du Saint-Esprit de Mâcon, les statuts de 1484 recommandent aux
frères, le jour de la fête, de « dyner et prendre leur réfection tous ensemble ; si n'y avoir
excusation légitime pour laquelle celui qui fauldroit peut être excusé, et ce sous peine d'une
livre de cire » ; Arch. dép. de Saône-et-Loire, G 116, fol. 2 r et v.
27. Usage de la confrérie de Muret (Aveyron), cité par N. Lemaitre, Le Rouergue
flamboyant, Paris, 1988, p. 374.
28. Prière avant et après le repas, pour les confrères du Saint-Esprit à Mâcon, dont les
statuts précisent, en outre, qu'en cas d'absence, on peut : « envoyer et mettre en son lieu un
pauvre, avec les treize pauvres auxquels on a accoutumé donner à dîner en l'honneur et
remembrance de Dieu notre benoît Créateur et de ses douze apôtres » ; Arch. dép. de
Saône-et-Loire, G 116, fol. 2 v et 3 r.
29. Ibid., fol. 2 r.
220 C. VINCENT
30. Statuts également reproduits par C. Memheld, op. cit., note 24, t. IV, p. 790.
31. Épisode rapporté par l'abbé Lecanu, dans Histoire du diocèse de Coûtantes et
d'Avranches, t. I, 1877, p. 409-410 ; (Carnet, Manche).
32. Citons, parmi d'autres, l'exemple de la confrérie Saint-Pierre-et-Paul de Nantes (C.
Memheld, op. cit., note 24, t. IV, p. 849) et celui de la confrérie de l'Assomption de Saumur,
étudiée par Fr. Poirault, « La confrérie de l'Assomption de Saumur (1402-1903) », dans
Annales de Bretagne et des pays de l'Ouest, t. 86 (1979), p. 414.
33. Ainsi, la disposition qui concerne les « pots de vin » dans les statuts de la confrérie du
Puy-Paulin (voir note 30) se trouve rayée lors de la correction du texte au XVIIe siècle (C.
Memheld, op. cit., note 24, t. IV, p. 790).
34. N. Lemaître, op. cit., note 27, p. 61 : deux confréries sur 26 possèdent des maisons (à
usage interne ou comme source de rapport ?...). À Paris, la confrérie Saint-Jacques-aux-
Pèlerins qui dispose de vastes locaux les loue aux autres associations ; H. Bordier, « La
confrérie des pèlerins de Saint- Jacques et ses archives », dans Mémoires de la Société
d'Histoire de Paris et de l'Ile-de-France, t. II (1876), p. 361-396.
35. C'est le cas de la confrérie Saint-Denis, installée dans l'église abbatiale de Saint-Denis-
en-France ; Bibl. nat., ms fr. 17723 et Arch, nat., LL 1183.
36. C. Vincent, op. cit., note 3, p. 227.
37. L'idée d'une évolution du champ du croyable (du sacré ?) a été émise par A. Vauchez
dans son introduction aux actes du colloque Faire Croire, Rome, École Française de Rome,
1981, p. 16, à propos du xme siècle ; pourquoi ne pas imaginer qu'elle puisse être pertinente
également deux siècles plus tard ?...
ÉGLISE ET VIE ASSOCIATIVE 221
Lorsque tel n'est pas le cas, les termes de la donation peuvent préciser
qu'en retour du geste, il sera fait mention nominale des bienfaiteurs au
cours des liturgies, une manière de se distinguer parmi les multiples noms
de la liste commune. L'usage ne se pratique d'ailleurs pas uniquement
après le décès du confrère, mais peut débuter de son vivant s'il s'est
particulièrement illustré 48. Pourtant, c'est principalement à l'occasion de
liturgies funèbres individualisées que se manifeste le mieux cette
préoccupation. Ainsi, les messes confraternelles peuvent s'achever par une prière
d'absoute récitée sur la tombe de tel membre, tombe qui a toutes les
chances de se situer à l'intérieur de la chapelle, pour faire l'objet d'une telle
demande 49. Mieux encore, quelques confrères plus fortunés n'hésitent pas
à charger leur association de messes régulières à leur intention, qui
s'accompagnent aussi de prières auprès du tombeau, avec aspersion d'eau
bénite50. Un bel exemple en est donné par cette fondation de 1528 du
seigneur de Chaintré, en Maçonnais, auprès de la confrérie Sainte-Anne-
et-Saint- Joseph du couvent des Cordeliers de Mâcon, pour satisfaire aux
exigences de son épouse. Elle comporte une messe hebdomadaire, « à
l'intention d'icelle Jeanne Bernard et des dits confrères » (soulignons au
passage cette double intention), messe suivie d'une lecture de la Passion
ainsi que d'une absoute sur sa tombe ; les jours de fête, la messe est
célébrée solennellement et la prière devant le tombeau doit se réciter avec
la croix et l'eau bénite ; pendant les différents services, deux cierges sur
deux chandeliers brillent « au sommet », dit le texte, de ce que l'on imagine
être le monument funéraire de la dame 51.
Sans multiplier davantage les exemples, on constate aisément que la
chapelle est bien ce lieu où les mérites ne cessent de circuler entre les
confrères, et où se conserve la mémoire de tous, plus personnalisée pour
certains. Dans son agencement comme dans son utilisation, elle porte la
marque de la manière dont était alors conçu et vécu le mystère chrétien de
la Communion des Saints. Il n'est pas jusqu'aux diverses formes des
activités associatives, y compris le repas dont un document laisse penser
qu'il serait pris en présence de la statue du saint patron, qui ne puissent
s'inscrire dans cette démarche... 52.
48. À la confrérie du Saint-Esprit de Mâcon, à la fin de l'article qui invite les membres à
prier avant de débuter le repas, il a été rajouté, d'une autre main qui paraît plus tardive, la
précision suivante : « [réciter], un Pater et un Ave pour la prospérité de honorable homme
Jean de La Rochette, clerc, notaire royal et citoyen de Mâcon, lequel a aidé à recouvrer le
barreaul de vin dû par ceulx de Chevaignie — La Chevrière » (Saône-et-Loire) ; Arch. dép. de
Saône-et-Loire, G 116, fol. 2 v.
49. C'est, par exemple, ce que demande en 1412, un couple d'Évreux en échange d'un don
de 50 sous tournois de rente annuelle à sa confrérie ; Arch. dép. de l'Eure, G 1623.
50. Voir plusieurs exemples pour la Normandie, dans C. Vincent, op. cit., note 3, p. 187
(tableau) et 188.
51. Charte de fondation de 1528, connue par une copie de 1570 ; Arch. dép. de la
Saône-et-Loire, E 1469. Chaintré (Saône-et-Loire).
52. Il s'agit du repas de la confrérie Saint- Jacques-aux-Pèlerins de Paris ; H. Bordier, op.
cit., note 34, p. 370, note 1.
224 C. VINCENT
Quand l'Église ouvre ses portes à la vie associative, sous la forme des
confréries, à la fin du Moyen Âge, elle le fait donc avec un minimum de
conditions. Celles-ci traduisent la volonté de conserver à la paroisse priorité
dans l'encadrement des fidèles, ainsi que l'affirmation progressive d'une
nouvelle conception de l'espace « sacré ». Mais, les responsables du
bâtiment savent bien qu'ils ont tout à gagner à entretenir une bonne
collaboration avec ces sociétés qui, en règle générale, font preuve envers
l'édifice d'un véritable « mécénat collectif », par leur participation aux
travaux de gros œuvre et leur contribution non négligeable à sa décoration
intérieure. Enfin, il est évident que l'utilisation qu'entend faire
l'association de l'espace qui lui est imparti, retrouve à travers les liturgies de la
Communion des saints des préoccupations communes à l'ensemble de la
vie religieuse d'alors, également partagées par les clercs et par les laïcs 53.
Son intégration ne pouvait que s'en trouver facilitée...
Catherine Vincent
Université de Paris I.
53. N. Lemaître (op. cit., note 27, p. 328) souligne, de son côté, l'importance de cette
« structure de pensée » dans la « spiritualité rouergate ».
ÉGLISE ET VIE ASSOCIATIVE 225
Jacques [en noir et blanc] dont celle du pendu dépendu. Le tout fera maistre
Guérard, paintre de Tournus, aussi richement que celui de Saint-Laurent-les-Chalon
ou même mieux si possible est »..
...le tout pour 80 francs, dont 5 écus payés d'avance.
(Arch. dép. de Saône-et-Loire, E 1214, et C. Petouraud, dans Annales de
l'Académie de Mâcon, 3e s., t. 49, p. 1-17).