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Hervé Guillorel

Représentation politique du territoire et de l'urbain : de la théorie


à la pratique
In: Espace, populations, sociétés, 2003-3. Populations, élections, territoires. pp. 415-425.

Abstract
Political Representation of Territory and Town: From Theory to Practice.

Territory has always been a basic channel for political, and more particularly, electoral representation : place for the expression of
interests but, in the same time, place for discrimination. The development of formal democracy based on the principle One man =
One vote has always had difficulties (practical as well as theoretical) to cope with the place of territory within representation's
mechanisms. Starting with the Kleisthenes' reform, we shall recall how different theories of representation have consider territory,
and then we shall illustrate our research with one more concrete example : the representations of the urban.

Résumé
Le territoire a toujours constitué un vecteur fondamental de la représentation politique et électorale : lieu d'expression des
intérêts mais aussi lieu de discrimination. Le développement de la démocratie formelle basée sur l'axiome 1 homme = 1 voix n'a
pas résolu la question de la place du territoire dans les mécanismes de la représentation. En partant du modèle clisthénien, nous
rappellerons quelle peut être la place du territoire dans les théories de la représentation, pour ensuite illustrer cette
problématique à partir d'un exemple concret : les représentations de l'urbain.

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Guillorel Hervé. Représentation politique du territoire et de l'urbain : de la théorie à la pratique. In: Espace, populations,
sociétés, 2003-3. Populations, élections, territoires. pp. 415-425.

doi : 10.3406/espos.2003.2094

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/espos_0755-7809_2003_num_21_3_2094
Hervé GUILLOREL Laboratoire d'Analyse des systèmes politiques (LASP)
Bureau F 515
Université de Paris 10 - Nanterre
200, avenue de la République
92001 Nanterre Cedex
herveg@ u-paris 1 0.fr

Représentation politique

du territoire et de l'urbain

de la théorie à la pratique

INTRODUCTION

Le territoire a toujours constitué un vecteur de l'urbain. En effet, le découpage territorial


fondamental de la représentation politique et opéré par Clisthene individualise un secteur
électorale : lieu d'expression des intérêts territorial appelé astu, à savoir la ville en
mais aussi lieu de discrimination. Le déve tant qu'elle est opposée à la campagne. Bien
loppement de la démocratie formelle basée sûr, on peut s'interroger sur le contenu
sur l'axiome 1 homme = 1 voix n'a pas réso societal exact de Y astu et sur les comparai
lu la question de la place du territoire dans sons possibles dans le temps et dans l'espa
les mécanismes de la représentation. En par ce avec d'autres entités qui seraient à mettre
tant du modèle clisthénien, nous rappelle sous la catégorie « urbain ». Mais il n'en
rons quelle peut être la place du territoire demeure pas moins que, dès l'origine1,
dans les théories de la représentation, pour quelque chose qui serait de l'urbain, est
ensuite illustrer cette problématique à partir « reconnu » et « représentable », dans une
d'un exemple concret : les représentations logique territoriale.

LE MODÈLE CLISTÉNIEN

Le précédent historique le plus ancien et le Ce qu'on a appelé la " révolution " clisthé-
plus éclairant est sans conteste le découpage nienne2 comprenait notamment une réorga
de l'Attique par Clisthene l'Athénien, à la nisation fondamentale de l'espace civique.
fin du 6ème siècle avant J.-C.

1 Nous ne situons pas l'origine à l'époque de Clisthene. sur la nature des réformes de Clisthene. Révolution ou
Il se trouve simplement que la réforme de Clisthene a réforme(s) ? Rupture et/ou continuité ? Contextes et
été attestée par Aristote et Hérodote et que ces témoi idéologies des « relectures » de ces réformes, etc. En
gnages sont parmi les plus anciens à soulever les ques effet, la réalité des réformes ou les interprétations de
tions qui font l'objet de cet article. cette réalité impliquent les mêmes questionnements
2 Nous n'abordons pas ici les discussions toujours vives quant au statut du territoire.
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Cartel . Le découpage de l'Attique par Clisthène l'Athénien.

parJ. Désiré,
d'après maquette
de H. Gullbrel
6t docunwit
de P. Lévêque
etP.Vklal-Naquet

Cette carte est une version remaniée d'un document présenté par Pierre Lévêque et Pierre
Vidal-Naquet dans leur ouvrage sur Clisthène l'Athénien (Lévêque et Vidal-Naquet, 1964 : 15).
Elle permet d'identifier et de localiser :
- les trois régions, délimitées par des pointillés épais :
A = Astu, c'est-à-dire " la ville et ses environs ",
P = Paralie, c'est-à-dire " le bord de mer " ou " la côte ",
M = Mésogée, c'est-à-dire " l'intérieur des terres ",
- les trente trittyes, délimitées par des petits pointillés,
- les dix tribus.
Nous n'avons pas indiqué les noms des 10 tribus et des 30 trittyes, car ce qui est important
c'est la logique du découpage.

La carte se lit de la façon suivante :


il y a trois trittyes possédant le même numéro ; chacune d'elle appartient aux trois régions (A, P et M)
et leur agrégation équivaut à une tribu dotée du même numéro.
Nous prendrons un seul exemple :
La tribu nommée Hippothontis a été affectée traditionnellement du numéro 8 : elle est
composée de trois trittyes :
- une trittye localisée dans la région de la ville et de ses environs, Pirée, n°8 de la région A,
- une trittye localisée dans la Paralie, Eleusis n°8 de la région P,
- une trittye localisée dans la Mésogée, Décélie n° 8 de la région M.
Cet exemple illustre également les phénomènes de discontinuité spatiale.

Les 140 dèmes qui constituent le maillage initial et qui ont servi à créer des trittyes
homogènes ne sont pas localisés. Pour une analyse plus détaillée et plus récente et pour une carte
précise, voir Traill, 1986. Des débats subsistent quant aux dénominations et localisations des dèmes et
des trittyes. Les trois dèmes cartographies sont des enclaves : c'est ainsi, pour ne prendre qu'un seul
exemple, que le dème (a), dénommé Probalinthos, enclavé entre les trittyes du bord de mer n° 2 et n° 9,
est " annexé " à la trittye de la ville, n°3, Cydathénaion, composant la tribu n°3, dénommée Pandionis.
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Dans la mesure où le principe territorial l'em intérêts de tous, somme correspondant à


porte de façon décisive sur le principe genti- l'époque à l'addition des intérêts de la ville,
lice (liens personnels), et que, comme le de la côte et de l'intérieur (qu'il serait tentant
disent Lévêque et Vidal-Naquet, "les réalités d'assimiler aux intérêts "urbains", "mari
nouvelles peuvent désormais s'inscrire sur times" et "ruraux/agricoles").
une carte" (Lévêque et Vidal-Naquet, 1983, Si ces intérêts sont localisables dans l'espace,
p. 13), on assiste à la naissance du "territoire" il n'en reste pas moins que la réforme clisth
comme projection spatiale d'un nouvel ordre énienne se refuse à constituer des tribus qui
social. En effet, la révolution clisthénienne va seraient composées de trois trittyes contiguës,
beaucoup plus loin dans sa façon de découper dans le but de prévenir la création de "partis"
l'espace que les exemples historiques anté régionalistes.
rieurs (en Grèce ou ailleurs). Les dèmes3 Chaque tribu "représente" une alliance de
constituant les unités de base (communautés trois intérêts territorialisables, mais ne "repré
rurales ou quartiers d'Athènes) sont regrou sente" pas une région particulière ; au mieux,
pés en trois secteurs homogènes, le secteur de elle représente l'ensemble de l'Attique.
la "ville" (astu), le secteur de la « côte » Ce découpage joue sur les deux registres les
(Paralie) et le secteur de « l'intérieur » plus importants de la représentation : le
(Mésogée). Chaque secteur est divisé en 10 registre fonctionnel et le registre territorial
trittyes. Enfin, il existe désormais 10 tribus (sur les rapports entre espace et théories de la
composées chacune de trois trittyes apparte représentation, voir Guillorel et Lévy, 1988a
nant aux 3 secteurs mentionnés (carte 1). et 1988b). La "ville", dans sa globalité y est
Cette réorganisation territoriale avait pour but: définie comme source d'intérêt propre, et est
• de briser les anciens liens personnels (non- considérée comme l'élément structurant de
territoriaux), l'Attique. Mais, d'un autre côté, la vision
• de définir a priori des zones " homogènes " "utopique'Vsolidariste" de ce découpage,
dont les intérêts propres devaient être implique une division de la "ville" en 10
représentés (en l'occurrence trois « inté zones de manière à pouvoir reconstituer les
rêts » : ville, mer, campagne) tribus tri-fonctionnelles.
• et de constituer de nouvelles régions com Il y a donc à la fois isolement de la ville et
posées à parité égale de morceaux de terri découpage dans la ville.
toire choisis dans chacune des trois zones Il semble bien, cependant, que le découpage
fonctionnellement homogènes. interne au secteur de la ville n'ait pas été
Les 3 secteurs homogènes sont terri- opéré avec l'idée qu'il y aurait des intérêts
torialement d'un seul tenant (à une exception distincts internes à la ville. On peut penser
près) ; il n'en est pas de même pour les tri que la "ville", dans l'Attique de cette époque,
ttyes qui comprennent des enclaves répondant n'est pas encore suffisamment diversifiée et
à un souci de circonscrire le pouvoir de cer hétérogène pour générer des intérêts spéci
tains grands lignages, en créant des ruptures à fiques intra-urbains, et aussi, que l'opposition
l'intérieur de leur zones d'influence. Le cas le ville/campagne l'emporte sur des clivages
plus intéressant est bien évidemment celui internes à la ville.
des tribus qui sont systématiquement compos Toutes ces suppositions demanderaient à être
ées de 3 zones "fonctionnelles" non conti- détaillées : la « révolution » clisthénienne
guës (sauf à de très rares exceptions). reste fondamentale dans sa logique et ses
On a là une véritable opération de "marqueter applications globales ; il n'en reste pas moins
ie" politique : le montage de Clisthène qu'il serait dangereux de faire un parallèle
l'Athénien visait à favoriser l'intégration de trop poussé entre la ville4, la côte et l'inté
tous dans un espace civique centré sur la rieur de l'Attique à la fin du 6ème siècle avant
ville. Il s'agit d'une certaine vision "uto- J.-C, et leurs homologues possibles ultérieu
pique" de la Cité. L'idée était que chaque rement, de la même façon qu'il faut être pru
tribu (base de la représentation politique) dent en estimant que ces trois "secteurs" ren
devait constituer le reflet (microcosme) le voient à des intérêts "urbains", "maritimes"
plus exact possible, de la somme globale des et "ruraux/agricoles" perçus en tant que tels.

3 Au nombre de 139 ou de 140 d'après les derniers tr 4 Sur les diverses acceptions du mot astu et ses rapports
avaux. avec le terme polis, voir Lonis, 1983.
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LE TERRITOIRE DANS LES THEORIES DE LA REPRESENTATION

Une fois admise la "nécessité" d'une repré re "local" de la représentation. Aux yeux de
sentation comme médiation entre l'individu Stuart Mill, le système de Hare, qui se veut
et le pouvoir central, "justifiée" par un critè une représentation proportionnelle ou mieux
re géographique (l'étendue du territoire), on : "personnelle" (nom choisi à l'origine), est
ne trouve pas de correspondance automat le mode de scrutin idéal pour respecter l'i
ique entre représentation et élection. D'une ndividu dans son désir de voir "représenter"
part, la pratique des élections est antérieure tel ou tel critère. Ce n'est pas toujours le cas
aux théories de la représentation ; d'autre des représentations proportionnelles actue
part, la représentation n'implique pas néces llement en vigueur.
sairement des mécanismes de type électif : Dans une perspective différente de celle de
le roi de France a été conçu comme repré Stuart Mill, Alfred Fouillée a également
sentant de la Nation, la constitution fran développé l'idée selon laquelle le territoire
quiste affirme le caractère représentatif du constitue un obstacle à la représentation des
caudillo. La représentation peut être pluriell intérêts individuels, notamment quand il
e, fonctionner à différents niveaux ; elle conditionne la translation des voix en sièges
peut être politique ou non politique, être (Fouillée, 1910). Cette affirmation doit être
véhiculée par plusieurs organes (dualité resituée dans le cadre de la théorie politique
Législatif/Exécutif, bi- ou multicaméralisme de Fouillée, pour qui la nation est à la fois un
législatif, etc.) élus ou non. Enfin elle peut contrat social et un organisme social. "Pour
concerner plusieurs niveaux spatiaux diffé que le Parlement représente la nation, il faut
rents avec à chaque fois des modalités dis donc qu'il en exprime les deux aspects
tinctes. essentiels. Selon nous, c'est l'objet des deux
Pour introduire un nouveau concept, ne Chambres. Celle des députés répond au
peut-on penser que l'"intérêt général" est contrat social, au consentement des volontés
d'autant mieux représenté que l'on s'élève libres et égales"; le Sénat est donc la "repré
dans la hiérarchie spatiale, dès lors que l'in sentation de l'organisme social".
térêt général serait l'intérêt du niveau spatial Si le Sénat, selon Fouillée, doit représenter
le plus élevé : la Nation, l'État souverain? les grands organes sociaux, qu'entend-il
On peut simplifier les théories selon qu'elles exactement par cette expression? Ne va-t-on
sont globalement pour ou contre le territoi pas voir réapparaître la représentation du
re. territoire en tant que tel, par le biais des col
lectivités territoriales infra-étatiques, à l'ins
Contre le territoire tarde nombreuses chambres des systèmes
La position la plus radicale est celle de John bicaméraux ? Non, répond franchement
Smart Mill, philosophe et théoricien libéral, Fouillée, qui valorise les regroupements
défenseur, dans son livre sur la représentat économiques et sociaux, bref « corporat
ion, de l'axiome "one man, one voté". istes » sans base localisée.
Selon Mill, il ne doit y avoir aucun interméd Ces textes de Stuart Mill et de Fouillée sou
iaire,aucune médiation, de quelque nature lèvent de nombreux problèmes, centraux
que ce soit, entre Y homo elector -alls « nu » pour notre problématique. Pour eux, il ne
et l'organe souverain. C'est pour cela qu'il doit y avoir aucun intermédiaire formel
va défendre le mécanisme électoral proposé entre l'individu et la nation ou l'État : la
par Thomas Hare (Single Transferable Vote, forme de "représentation proportionnelle"
STV, appliqué à un collège unique) en affi que défend Stuart Mill est celle proposée par
rmant : "Pour ma part, je rangerais ce plan Hare dans son fameux traité sur l'élection
parmi les plus grands progrès qu'on ait faits des représentants, publiée en 1859. Or Hare
jusqu'à présent dans la théorie et dans la était également un conservateur adepte de la
pratique du gouvernement". Puis il réfute les théorie du libre-échange et, de ce fait, sou
arguments opposés au système de Hare, son cieux de supprimer tous les obstacles au
caractère impraticable à l'échelle de la libre-arbitre de l'individu, que ces obstacles
Grande-Bretagne et la perte du lien néces soient de nature professionnelle, territoriale
saireentre l'élu et l'électeur, bref le ou partisane. Il en est du vote comme des
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droits de douane ou de la langue : il faut car c'est le seul moyen de réunir des col
favoriser au maximum sa libre circulation, il lèges électoraux formés des seuls citoyens,
faut unifier le marché intérieur, le rendre et donc non susceptibles de représenter des
transparent, jusqu'aux limites de l'État; intérêts particuliers. Maurice Du verger
c'est l'idéologie libérale à l'état pur. Cette oppose ainsi le "suffrage géographique" au
théorie de la représentation "assumed a per suffrage corporatif (Duverger, 1948). Cela
fect market in political relevant knowledge, n'autorise pas pour autant les députés à
a perfect market among the choosers, namel "représenter" le département ou la circons
y the electorate... Just as Ricardo's model of cription qui les a élus. Cette interdiction,
economics is that of a glorified Stock qui rejoint celle du mandat impératif, se
Exchange..., so this Radical view is a retrouve dans presque toutes les constitu
Ricardian model of representation - which tions françaises ou étrangères, même si, en
accounts for its enthusiastic adoption by pratique, on n'en tient pas compte (Alsace-
Jeremy Bent ham and James Mill" (Finer, Lorraine en 1870, Algérie aux débuts de la
1985). Cinquième République, députés "assistantes
La position de Fouillée répond à une problé sociales", etc.).
matique différente : s'il choisit la représen La théorie d' Edmund Burke constitue une
tation proportionnelle, c'est pour sa meilleu approche plus réaliste de la représentation
re prise en compte de l'intérêt général. Mais politique : elle permet de rendre compte des
il s'agit aussi d'une conception organiciste grands traits de l'évolution du régime repré
de la société, ce qui l'amène à proposer un sentatif en Angleterre. Burke part de l'idée
Sénat de type corporatiste, pour contreba qu'il existe des "intérêts", limités en
lancer le poids du nombre; or les constitu- nombre, fixes et clairement définis (Ganzin,
tionnalistes français classiques reconnais 1972). Ces intérêts sont pour lui essentiell
sent tous qu'il y a incompatibilité entre ce ement économiques, sont "associés" à des
genre de représentation et l'intérêt général. localités et sont supérieurs aux intérêts des
Car pour nombre d'entre eux, c'est just individus : ainsi les intérêts agricoles se
ement la médiation du territoire qui permet, situent-ils au-delà des intérêts individuels
en partie et selon des modalités diverses, de des agriculteurs. Pour Burke, puisque Bristol
dégager l'intérêt général. "possède" une certaine "homogénéité" au
regard de certains intérêts (ici, ceux du comm
Pour le territoire erce), on peut considérer que le représent
Parmi les penseurs qui reconnaissent au ter ant de cette ville (ce qu'il était lui-même à
ritoire une fonction utile à la représentation, la fin du 18ème siècle) représente l'intérêt du
on peut retenir quatre conceptions, qui se commerce pour l'ensemble de la nation.
chevauchent en partie. Burke distingue la représentation "réelle",
La théorie de la "fiction juridique" de la sou qu'il estime imparfaite et peu souhaitable, de
veraineté nationale incarnée notamment par la représentation "virtuelle", quelque peu
Sieyès constitue la pierre angulaire de la organisée d'en haut. C'est ce même Burke
théorie exprimée par la quasi-totalité des qui, dans sa fameuse adresse aux électeurs
constitutions françaises. Les députés repré de Bristol, en 1774, opposera le "bien génér
sentent la Nation, c'est-à-dire non pas la al"aux "préjugés locaux". La conception de
"collection" des citoyens considérés "ut sin- la représentation politique que propose
guli", mais le corps indivisible qu'ils for Burke, conception considérée comme l'une
ment. Le droit de se faire représenter n'ap des pierres angulaires du régime représentat
partient aux citoyens qu'en raison des quali if, soulève plus de problèmes qu'elle n'en
tés qui leur sont communes ; celles qui les résout : nature des intérêts, nature de l'asso
différencient sont au-delà du caractère de ciation entre ces intérêts et les "localités",
citoyen : elles doivent donc être éliminées etc. En ce qui concerne ce dernier problème,
de la scène politique. Pour mieux isoler l'i plusieurs "solutions" ont été proposées pour
ndividu national, il faut supprimer tout inte faire en sorte que les intérêts soient effect
rmédiaire. Il s'ensuit, pour certains constitu- ivement "représentés". La première consiste
tionnalistes français, que la base de la repré à constater tout simplement l'existence
sentation doit être purement géographique, d'une "variété naturelle des circonscriptions
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électorales", vision libérale d'une complé nale et du régime représentatif dans la mesur
mentarité spatiale des intérêts aboutissant à e où, pour lui, la base géographique de la
l'intérêt général. Cette variété "fait qu'une représentation n'est pas seulement un pis-
minorité importante dans le pays tout entier aller, un moindre mal ou un artefact ; elle ne
est inévitablement majorité dans un certain produit pas non plus l'intérêt général par
nombre de circonscriptions électorales". agrégation de circonscriptions. C'est en sens
Ainsi le représentant de cette minorité, élu inverse, la meilleure façon de localiser l'in
grâce aux effets du découpage, peut-il repré térêt général. "Les intérêts généraux étant
senter l'ensemble de cette minorité au territoriaux, le corps électoral doit être
niveau national. Mais peut-on affirmer, par essentiellement une population d'habitants
exemple, qu'un élu communiste de Seine- d'une circonscription électorale" (Hauriou,
Saint-Denis "représente" réellement les 1923). Et, après avoir rappelé l'importance
électeurs communistes du Finistère ou de la du territoire dans la constitution et le fonc
Lozère qui, faute d'un découpage "ad hoc" tionnement de l'État, il poursuit : "L'intérêt
ou en raison de leur faible concentration spa général, dans le régime de l'État, c'est tout
tiale n'ont pas pu élire un député communist intérêt commun engendré par les rapports de
e ? Une réponse affirmative dépend de nom voisinage entre habitants d'une même unité
breux facteurs, dont celui des caractéris territoriale. C'est une notion éminemment
tiques des idéologies partisanes, et pose le spatiale". On notera au passage la modernit
problème de la signification du territoire. é du mot spatial. Reste à savoir, ce que M.
L'autre solution est de type volontariste et Hauriou ne précise pas, si cette "production"
consiste à découper des espaces électoraux d'intérêt général s'effectue à n'importe
homogènes au regard de certains critères quelle échelle.
(ville/campagne, minorités ethniques, forces De nombreux auteurs estiment, en effet, que
politiques,...) - ce qui suppose la possibilité l'intérêt général ne peut être détecté qu'à
effective de territorialiser des intérêts : est-il partir d'un certain niveau de la hiérarchie
possible, par exemple, de découper un espa territoriale. On retrouve le débat classique,
ce qui permettrait de représenter les intérêts en France, entre les défenseurs du départe
de la communauté homosexuelle ? Que se ment et ceux de l'arrondissement.
passe-t-il lorsque deux "minorités" sont très Pour illustrer les questions abordées ci-des
imbriquées territorialement ? sus nous avons choisi l'exemple des repré
La position de Maurice Hauriou va au-delà sentations politiques et électorales de la
des thèses classiques de souveraineté ville, ou de l'urbain .

LES REPRÉSENTATIONS DE L'URBAIN

Nous avons vu dans un premier temps que la La ville isolée


réforme territoriale de Clisthène l'Athénien Analysant le mouvement urbain médiéval,
isolait un bloc territorial appelé « astu », que Yves Barel montre une novation capitale
l'on traduira par ville ou urbain. Nous venons qui réside dans "...la translation de certaines
dans un second temps, de voir que les théo règles seigneuriales et féodales à un domai
ries et les pratiques de la représentation poli ne nouveau. Mais ce pouvoir issu d'un
tique et électorale prenaient en compte le ter domaine nouveau ne peut naître, s'exercer et
ritoire. On peut alors d'interroger sur les dif se conserver (se produire et se reproduire)
férentes manières de prendre en compte l'ur que si l'objet urbain n'est pas fractionné,
bain (où les intérêts urbains) à travers le pri autrement dit si le pouvoir s'y exerce collec
sme « obligé » du territoire. Nous avons émis tivement" (Barel, 1977). Le dispositif mis en
l'hypothèse qu'on trouvait dans le précédent place comprend notamment les organisa
clisthénien à la fois isolement de la ville et tions verticales (corporations), les « partis
découpage dans la ville. Cette opposition se politiques », la pratique des élections et l'ac
retrouve dans toute l'histoire du développe quisition de techniques de manipulation de
ment urbain en Europe depuis le Moyen Age. ces élections, etc.
421

Cette situation maximise la dichotomie Il faut noter également un effet logique du


urbain/rural : les villes et les bourgs vont être système de représentation corporatiste, le
représentés en tant que tels, dans les diffé non-respect de la continuité territoriale ;
rentes instances représentatives qui vont se ainsi, prendre le cas de la Bretagne, le pays
développer jusqu'à l'avènement d'un suffra de Rhuis (actuelle presqu'île de Rhuys) est
ge basé non plus sur une base officiellement assimilé à une ville, mais il s'agit en fait d'un
corporatiste mais sur une base territoriale, et territoire essentiellement rural, dont la repré
en application progressive du critère démo sentation est attribuée à trois îlots urbains
graphique ("1 homme = 1 voix"). non contigus considérés comme constituant
La forte homogénéité interne de la ville une "ville" unique (avec 1 seule voix).
médiévale, en tant qu'elle s'oppose à l'exté Ce système de représentation est commun à
rieur, ne doit quand même pas cacher l'appa presque toute l'Europe.
ritionprogressive de nouveaux types de cl Le passage à un suffrage de plus en plus uni
ivages à l'intérieur de la ville, clivages locali versel, à base territoriale, se fera de façon
sables dans des espaces intra-urbains bien plus ou moins progressive suivant les pays.
circonscrits, au fur et à mesure des processus Compte tenu de l'ancien système qui pénalis
de différenciation sociale, économique et ait fortement la croissance démographique
politique. Simplement, pendant une période des villes, l'application du nouveau système
assez longue, la représentation politique et de représentation au milieu urbain impliquait
électorale des villes niera cette diversité soit un découpage intra-urbain, soit l'adop
croissante, du moins tant que ne sera pas net tion pour l'ensemble du territoire d'un mode
tement confirmée la prééminence de l'axi de scrutin "évitant" l'éclatement des villes
ome un homme = une voix (critère démograp (comme par exemple un scrutin de liste
hique). Nous verrons également que le res départemental : France 1789 ou 1986), soit
pect de ce critère n'impliquait pas obligato l'adoption d'un mode de scrutin spécifique
irementun découpage électoral intra-urbain, aux villes, soit enfin, une politique délibérée
mais pouvait être pris en compte en appli de sous-estimation ou de surestimation des
quant aux villes un mode de scrutin différent villes par rapport aux campagnes. Les choix
de la campagne (scrutin de liste et/ou repré historiques de ces diverses possibilités ont
sentation proportionnelle). été en partie déterminés par l'acuité du cliva
Dans un premier temps, la négation de ge rural/urbain.
l'émergence d'une forte différenciation
interne de l'espace urbain, porteuse de cl + politique délibérée de sous-estimation
ivages menaçant la conception d'intérêts ou de sur-estimation des villes dans leur
homogènes de la ville, a consisté à refuser spécificité globale
d'élargir les "limites" légales de la ville, pour Le cas de la Norvège est le plus révélateur :
ne pas englober de nouveaux espaces la constitution du 4 novembre 1814 avait,
sociaux ; cette amorce d'une distinction dans son article 59, appelé le "paragraphe
centre-ville - banlieue est ancienne : Yves paysan" (bondeparagraferi), "gelé" le rap
Barel cite l'exemple de la ville d'Ypres où le port de forces entre le nombre de représent
patriciat urbain attendra la fin du 14ème siècle ants des zones rurales et celui des zones
pour accepter de reculer les murailles afin urbaines, dans un rapport de 2 à 1 . Le texte
d'inclure les faubourgs "ouvriers" qui ont de cet article était le suivant : "Le nombre
essaimé aux pieds de la vieille enceinte. des représentants au Storthing pour les villes
Jusqu'en 1789, pour prendre le cas de la sera toujours (souligné par nous) dans la pro
France, les villes sont représentées (à égalité) portion d'un à deux du nombre des représent
dans le cadre du Tiers-Etat. ants au Storthing pour les circonscriptions
Ainsi, en 1467, les 64 principales villes de rurales" (Dareste et Dareste, 1910, tome 2, p.
France envoient chacune 3 représentants. Il 132). En 1878, les zones rurales élisaient 76
en est de même pour les États provinciaux ; députés, contre 38 pour les villes ; en 1905,
le plus souvent chaque ville pouvant être ces nombres passent respectivement à 82 et à
représentée, n'avait qu'une voix, quelle que 41, etc.
soit sa population, et même si le nombre de Les articles 57 et 58 de la constitution don
délégués pour chaque ville était très variable. naient la liste nominative des villes pouvant
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élire des députés, puis indiquaient, pour sieurs cas selon que l'on privilégie l'opposi
chaque province de Norvège, le nombre de tion rural/urbain ou que l'on commence à
districts ruraux qui les composaient. mettre en cause l'homogénéité de l'espace
Certaines villes importantes avaient droit à urbain.
plus d'un député (prise en compte du critère Voici l'exemple de l'Allemagne de la fin du
démographique) (par exemple, 4 députés 19ème siècle et du début du 20ème siècle, véri
pour Bergen, et 5 pour Kristiania5) ; mais, table laboratoire des diverses tentatives
dans certains cas, plusieurs villes disconti effectuées par les souverains des nombreux
nues spatialement pouvaient constituer un États allemands pour ralentir au maximum le
district électoral urbain élisant un unique passage à un suffrage universel généralisé.
député : 2 villes (ex : Aalesund et Molde), 3 Le cas du Wurtemberg est très révélateur :
villes, voire 4 villes ; ainsi, Lillehammer, l'article 133 de sa constitution était le sui
Hamar, Gjôvik et Kongsvinger, élisaient 1 vant ( en 1910 ) : "La seconde Chambre
député ensemble, dans une province dont la (Chambre des députés) se compose :
zone rurale en envoyait 5). 1 . d'un député par chaque district de baillia
Cette spécificité norvégienne est liée à ge (Oberamtsbezirk) (au nombre de 63) ;
l'acuité du clivage rural/urbain dans ce 2. de six députés pour la ville de Stuttgart et
pays ; le "bondeparagrafen" devait assurer d'un député élu par chacune des villes de
les circonscriptions rurales contre une sous- Tubingue, Louisbourg, Elwangen, Ulm,
représentation trop accentuée. Heilbronn et Reutlingen ;
L'exemple norvégien montre clairement 3. de dix-sept députés des deux cercles élec
l'impossibilité croissante à vouloir concilier toraux du pays {Lande swahlkreise), dont
le critère démographique (1 homme = 1 le premier, comprenant le cercle du
voix) et l'idée de "geler" le clivage Neckar et le cercle de Jagst, nomme neuf
rural/urbain. députés, et le second, comprenant le
La "paragraphe paysan" fut aboli en 1952. cercle de la Forêt-Noire et le cercle du
L'exemple norvégien témoigne de la volont Danube, nomme huit députés."
é de figer juridiquement le clivage Ensuite, dans un deuxième temps, l'article
rural/urbain au détriment de la seconde com 144 indique que les représentants de la
posante de ce clivage. Situation qui ne pou seconde Chambre sont élus au scrutin major
vait être que temporaire : en effet la montée itaire à deux tours, sauf les 6 députés de
en puissance des revendications démocrat Stuttgart et les 17 députés des deux cercles
iques basées sur l'axiome un homme = une du pays qui sont élus d'après le principe des
voix délégitimait cette stratégie, sur le plan listes et le système proportionnel (système
des principes et de la réalité du boom démo d'Hondt avec apparentement).
graphique urbain. Nous avons ici un montage qui à la fois
Dès lors, les volontés politiques de sous- "isole" les villes, et qui, en même temps dis
représentation globale de l'urbain vont être tingue la ville de Stuttgart des autres villes,
camouflées à l'aide d'autres arguments : par en jouant sur le mode de scrutin.
exemple la règle qui veut, qu'en France, un L'intérêt des exemples norvégien et all
département soit représenté par au moins emand du 19eme siècle vient du fait que les
deux députés ou bien le système électoral du logiques politiques sont explicites et qu'on
Sénat, qui pensé comme « grand conseil des n'hésite pas à « nommer » les villes.
communes de France » accorde une place Le régime récent et actuel des élections
« hypertrophiée » au secteur rural, compte municipales en France respecte aussi les
tenu des effets cumulés du mode de scrutin limites juridiques de la ville, mais avec cer
et du morcellement communal de la France. taines modifications de la loi électorale en
fonction de leur taille démographique
+ modes de scrutin spécifiques à la ville (modes de scrutin différents, candidatures
Cette deuxième solution suppose évidem individuelles, panachages, etc. selon les
ment une certaine reconnaissance électorale seuils). Il s'agit bien là d'une « adaptation »
de jure de la ville ; on peut distinguer du régime électoral en fonction d'un clivage
5 Ancien nom de l'actuelle capitale de la Norvège, Oslo.
423

de type rural/urbain. Il ne faut pas oublier profit des zones urbaines, et où, dans le
non plus les cas de découpages internes à la même temps ou presque, se généralisait
ville avec par exemple la loi PLM (Paris- l'application de l'axiome 1 homme = 1 voix,
Lyon-Marseille), la ville découpée étant une ces solutions devenaient de plus en plus dif
seconde option. ficiles à appliquer, pour peu que l'on veuille
Il faut dépasser ici le cadre de la reconnais à la fois utiliser un mode de scrutin majorit
sance de jure de la ville pour soulever la aireuninominal, et ce, pour l'ensemble
question plus large de savoir dans quelle d'un territoire donné : nous venons d'évo
mesure il est possible et/ou souhaitable que querl'idée que d'avoir sur un même territoi
l'urbain soit « représenté » de manière spé re, des modes de scrutin différents appli
cifique, l'idée étant en quelque sorte d'adapt cables à un même type d'élections, est sou
er un mode de scrutin à un type de socialite vent perçu comme anti-démocratique.
spécifique à l'urbain. Le plus difficile est de Historiquement, cela a souvent été vérifié ;
savoir comment dépasser le cadre juridique cependant, en théorie, cette hétérogénéité
de la commune peut être acceptable et justifiée.
II y a plusieurs stratégies possibles : une Les exemples de villes « découpées » abon
extension du cadre légal de la commune par dent et font les délices des amateurs de char-
agrégation territoriale pouvant prendre plu cutage politique et électoral (« gerrymander
sieurs formes : fusion de communes, villes ing »). On les trouve essentiellement dans
nouvelles, syndicats de commune, etc. On les pays où fonctionnent les systèmes unino
retrouve ici tout les débats actuels sur l'in- minaux (quel que soit le nombre de tours),
tercommunalité et les nouveaux méca qui supposent un découpage fin du territoire
nismes de représentation politique et électo (un élu = une circonscription).
ralecorrespondants. Il faut distinguer plusieurs cas : le premier
L'autre solution, plus ancienne, a consisté à cas est celui du découpage de la ville en
se servir, dans un cadre spatial plus large, du autant de parties qui sont ensuite « noyées »
critère démographique comme pouvant dans une environnement rural contigu.
rendre compte de l'importance du facteur Le second cas est celui d'un découpage
urbain : en France, aujourd'hui, les élections interne en circonscriptions qui restent total
sénatoriales prévoient des modes de scrutin ement incluses dans la ville mais qui peuvent
différents en fonction de la taille démogra être tout autant révélateurs de pratiques de
phiquedes départements et, régulièrement, « gerrymandering ». En effet l'existence
certains hommes politiques proposent d'un clivage rural/urbain ne doit pas faire
d'étendre cette solution aux élections des oublier que la ville est devenue un territoire
députés. Au-delà de la question de savoir de plus en plus hétérogène, et où de nomb
quelle est, derrière l'argument démogra reux « intérêts » peuvent être représentés,
phiqueavancé, la nature exacte des sociali d'autant plus facilement que ceux-ci peu
tes qui mériteraient des représentations spé vent être territorialisables.
cifiques (l'urbain ?), cette solution pourrait Nous prendrons un exemple tiré de la pra
être critiquée car elle porterait atteinte au tique et de la jurisprudence des États-Unis
« principe » selon lequel il faudrait avoir une d'Amérique en matière de découpage élec
homogénéité des modes de scrutin pour toral. Il s'agit de l'arrêt United Jewish
l'ensemble de la France, du moins pour un Organizations of Williamsburg v. Carey
type d'élections donné. On pourrait rétor (Cour Suprême, 1977). Dans le but de
quer que les élections municipales et sénato renoncer à "noyer" la communauté noire au
rialesne sont pas homogènes. Sauf que, jus sein de quatre circonscriptions, les promot
tement, l'exigence de l'homogénéité devient eursd'un gerrymandering « affirmatif »
impérieuse quand il s'agit de la Chambre proposaient un redécoupage tel que cette
Basse, celle qui devrait le mieux respecter communauté, étant plus concentrée dans une
l'axiome 1 homme = 1 voix. circonscription pouvait élire « son représent
ant ». Mais ce nouveau redécoupage dimi
La ville « découpée » nuait fortement pour ne pas dire annihilait
Dans la mesure où, d'une façon générale, le les chances que la communauté juive hassi-
développement démographique s'est fait au dique de Brooklyn avait de réélire son
424

propre représentant. La Cour Suprême n'a Seine gagne à être « ghettoïsé » électorale-
pas retenu les arguments de cette dernière ment pour maintenir ses derniers bastions.
communauté. Au-delà des arguments oppos On mettra à part le découpage interne d'une
és,nous avons là un cas intéressant qui ville en arrondissements ou secteurs à l'oc
montre que la question de la représentation casion des élections municipales : l'arg
des « intérêts » est tout aussi pertinente en umentpeut être justifié par des critères démog
milieu urbain, dans la mesure où ceux-ci raphiques mais les exemples montrent que
sont territorialisables (notion de concentrat ce découpage peut répondre également à des
ion spatiale). Or on peut penser que la stratégies politiques visant moins à rappro
concentration de l'habitat en milieu urbain cher les électeurs des élus qu'à diminuer le
favorise plus la « verticalité » des intérêts poids politique global de la ville. En effet,
(en tant qu'elle s'oppose à une « horizontal on peut penser que généralement le décou
ité » peut-être plus spécifique du rural) et pageterritorial a un effet de moindre légit
donc se prête moins à une délimitation de imation de l'élection. C'est le cas par
type euclidien. C'est là où on peut estimer exemple pour les élections législatives en
justement qu'un mode de scrutin propor France : la légitimité de l'Assemblée
tionnel permettrait d'échapper à la logique Nationale qui n'est que l'agrégation de 577
euclidienne et de faire en sorte que les indi élus de circonscriptions est considérée
vidus puissent voir leurs intérêts conver comme moindre que celle du Chef de l'État
gentset divergents mieux pris en compte, élu d'une seule circonscription, même si la
sauf à constater qu'un faible nombre d'indi théorie constitutionnelle continue à affirmer
vidus fortement concentrés spatialement que le député représente la Nation dans son
gagnerait à bénéficier d'un découpage ad ensemble. Il en est de même pour Paris,
hoc. C'est ainsi par exemple qu'aujourd'hui, Lyon ou Marseille, ou pour l'Union
face au recul de ses scores, le Parti Européenne dans un avenir proche.
Communiste Français, dans les Hauts-de-

CONCLUSION

Le territoire a été dès le départ le vecteur En effet, même si le contenu societal de Vas-
privilégié de la représentation politique et en tu en Grèce ancienne peut sembler très éloi
même temps un instrument de discrimina gné de celui d'une « ville nouvelle »
tion dont l'efficacité est liée aux faits que les contemporaine, il n'en reste pas moins que
intérêts « à représenter » sont plus ou moins ces deux contenus renvoient à la définition
territorialisables. Dans ce dernier cas, le ter de l'urbain et que dès le départ, cet objet
ritoire peut permettre de localiser de tels urbain était déjà perçu comme générateur
intérêts et cette fonction du territoire peut d'une spécificité qui a été délibérément prise
être valorisée en tant que telle. À l'opposé, en compte dans les mécanismes concrets de
le territoire peut être pensé comme permett représentation politique, qu'il s'agisse de
ant de « noyer » ces intérêts par un décou reconnaître ou de noyer cette spécificité.
pagead hoc. Cependant, cette dernière stra Même s'il faut cependant se méfier à la fois
tégie, qui semblerait avoir comme finalité du contenu sémantique des termes et du
ultime de « dégager » l'intérêt général, a degré de comparabilité de leur signifié dans
souvent permis au contraire de privilégier le temps et dans l'espace, il n'en reste pas
des intérêts particuliers. moins que, depuis toujours, 1' « urbain », et
son rapport au territoire, a été pensé en tant
L'exemple des représentations de l'urbain qu'il peut être « représenté » dans le champ
illustre ces diverses possibilités. politique et électoral.
425

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