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Alexandra Bidet
Alexandra Bidet est chargée de recherche en sociologie au CNRS (Centre Maurice Halbwachs), ancienne
élève de l’École normale supérieure de Cachan et agrégée de sciences sociales. Elle a coordonné l’ouvrage
Sociologie du travail et activité (Toulouse, Octarès, 2006) et le manuel Sociologie du travail (Paris,
Montchrestien, 2000).
Il porte ainsi la marque du type d’épreuve qu’il organise. L’enquête ne se limite pas 5
en effet à attester la réalité de transformations. Si le développement des formes de
participation directe dessine une « fantastique remise en question » du
fonctionnement des entreprises [7] , il est aussi soumis à une épreuve qui seule
décidera de la validité de ses prétentions, en conduisant finalement les auteurs à
minorer la portée du développement de la participation directe. En quoi consiste
cette épreuve, qui aboutit à un verdict et voit l’incessante mise en tension de termes
contradictoires ?
L’épreuve ne consiste pas seulement, comme cela était le cas chez les héritiers de G. 7
Friedmann, à mesurer l’autonomie de postes de travail. Précisons l’argument de
l’article. Le projet participatif déploie l’horizon d’un « modèle holiste,
communautaire et unanimiste où l’adhésion consentie à une entité élargie, celle de
l’entreprise tout entière, est censée remplacer les ressorts identitaires et les matrices
d’intégration sociale antérieures ». Cette unification aurait pour corollaire
l’« atomisation » des salariés : « unité et individualisation cheminent toujours
ensemble ». L’atomisation signifie la déstabilisation des « communautés naturelles
de producteurs – celles qui épousent les contours de la division actuelle du travail ».
Caractérisées par le particularisme de leurs régulations, élaborées autour de l’activité
productive, « dans une pratique professionnelle commune, dans la proximité
géographique et sociale », elles forment autant d’écrans entre les individus et
l’entreprise. Leur « effacement » relèverait à la fois de la nouvelle exigence de
mobilité et de flexibilité des producteurs, qui interdit toute stabilité aux groupes de
travail, et du projet participatif lui-même, fabriquant l’unité de l’entreprise par la
multiplication de groupes ad hoc, à géométrie variable selon la question inscrite à
l’agenda : « agrégat instrumental éphémère et changeant », le nouveau groupe type a
pour seul principe de cohésion « l’entreprise et sa logique ». Élargir l’adhésion à
l’échelle de l’entreprise, lieu alors d’une participation « ouverte » des salariés,
engagerait donc la fin des communautés intermédiaires de travail.
Mais ce mouvement n’implique pas une réelle attention, dans l’article, au « travail 10
réel ». L’informel n’est convoqué que par et pour l’épreuve, tel un appui [10] .
L’existence de « savoir-faire informels, méconnus des services fonctionnels, mais
Ce premier moment, qui rabat l’informel sur un collectif, l’acte de travail sur une 11
communauté, en autorise un second. Si le premier repose sur l’« essence interactive »
de l’informel, le second fait valoir la « nature transgressive » des régulations
collectives. Ces « arrangements internes », par lesquels les salariés construisent un
ordre productif à leur mesure, relèvent bien d’une logique foncièrement productive.
Le souci de l’efficience productive anime l’incessante production normative qui
assure la gestion quotidienne du processus de production. Ces « accommodements
domestiques » ont toutefois « pour particularité d’être vécus comme transgressifs par
leurs auteurs », affirme l’article. Plus encore, leur « ciment » tiendrait précisément à
leur nature transgressive et à leur « saveur », à leur valeur de contestation. S’opère
ainsi au fil du texte un second passage, du collectif au pouvoir, de l’alignement
collectif de l’acte de travail à sa vocation polémologique, qui fait du travail un
« consentement paradoxal ». L’inflexion du lexique se marque par l’emprunt
explicite à l’analyse stratégique. Le geste de travail, mis d’abord en valeur comme
interactif et collectif, l’est alors comme clandestin et subversif. Il engage des
régulations « édifiées pour détourner et contourner la norme » : la participation
informelle est une participation clandestine tramée de « logiques transgressives ».
Son enjeu est fondamentalement un enjeu de pouvoir et le projet participatif renvoie
lui-même à une « logique de normalisation » : le déplacement de la frontière entre
formel et informel, par dévoilement et formalisation de ce dernier, affecte les zones
d’incertitude maîtrisées par les salariés, donc leur pouvoir.
Cet article voit une première mise à distance du cadre friedmannien. L’introduction 12
du travail comme activité se manifeste – positivement – par la dissociation du poste
et de l’acte de travail ; et négativement, par l’étendue du formatage requis pour
restaurer, malgré tout, une commensurabilité avec les schèmes salariaux. Apparaît
ainsi une figure que nous connaissons bien : l’engagement dans le travail comme
« consentement paradoxal ». Jusque dans des travaux récents, ses déclinaisons sont
nombreuses et variées : implication contrainte, autonomie contrôlée, participation
paradoxale, etc. Il s’agit toujours de porter une évaluation de l’état du rapport
salarial. Cette figure, en affirmant la vocation polémologique du travail, n’associe pas
seulement autonomie et transgression. Elle valorise aussi l’autonomie,
simultanément « vitale », « conquise » et « menacée », comme un bien commun, à
même de résumer toute contestation portée par un collectif de « producteurs ». Ce
cadrage du travail emporte donc une montée en généralité. Alors que la distinction
introduite entre travail prescrit et travail réel semblait menacer une critique
humaniste qui se suffit d’une comptabilité des tâches [11] , il réussit le coup de force
d’intégrer l’implication productive à cette critique : l’engagement dans le travail en
devient un point d’appui. Ce qui clôt l’épreuve n’est plus l’évaluation du degré
d’autonomie/hétéronomie des tâches, mais la référence à la nature informelle de
l’engagement dans le travail. Ce faisant, l’opération critique s’autorise de la valeur
polémologique du travail lui-même.
Dans cet article que Ph. Bernoux consacre à la description d’un atelier de l’industrie 14
mécanique traditionnelle, « Les OS face à l’organisation industrielle » [12] , nous
retrouvons toutefois la double mise en forme du travail analysée dans l’article
précédant. L’article reste ainsi largement tributaire du prisme salarial et de sa double
opération de traduction, de l’informel en collectif et du collectif en contre-pouvoir.
Dans la description du système technique de production de l’atelier, le geste
s’identifie ainsi d’abord comme informel, par opposition à la tâche prescrite :
15
Le travail des compagnons OS est d’un modèle uniforme : mettre les pièces sur
les machines, s’assurer de la bonne position, mettre sa machine en route.
Lorsque l’opération est terminée, éventuellement arrêter la machine, enlever la
pièce, en mettre une autre, etc. La tâche est donc simple, répétitive,
l’apprentissage n’exigeant aucune qualification préalable. C’est le plus bas
niveau de ce genre de travail. Les OS ne font aucun apprentissage ; ce sont les
tests, passés à l’entrée et le niveau de qualification antérieur ou celui du diplôme
acquis qui permettent l’affectation à des niveaux supérieurs. (…) Le temps de la
mise au courant est lui-même peu élevé. Quelques minutes tout au plus, sous le
contrôle d’un régleur, voire si ceux-ci sont occupés, d’un autre OS plus ancien ou
plus habile. En principe, l’OS doit effectuer les opérations décrites et aucune
autre. Il ne doit ni changer les outils ni régler lui-même sa machine (…). En fait,
dans les cas les plus simples et qui ne demandent pas beaucoup de temps, les OS
effectuent eux-mêmes les changements d’outil et les réglages faciles. Assez
rapidement, en fonction de la compétence qu’ils leur reconnaissent, les régleurs
confient un petit matériel élémentaire aux OS (…) Faire appel à un régleur pour
un changement d’outil très élémentaire désigne un ouvrier peu doué, maladroit.
Il y a donc sur le tas une très faible qualification possible par un modeste
apprentissage. Mais l’un et l’autre sont informels [13] .
que le freinage constitue pour Ph. Bernoux le mode « normal » d’engagement des OS
dans l’entreprise ; et l’article se focalise ensuite quasi exclusivement sur ce groupe dit
« ouvrier ».
Dans cet article, le travail engage un « auteur », il est « travail à soi » [31] , et émerge 22
ainsi de l’alignement collectif où le maintenaient les deux précédentes figures.
Considéré dans sa singularité, comme relevant d’un accommodement toujours
localisé et contingent à un « espace individuel », il semble avant tout façonné par le
souci d’une convenance personnelle : pouvoir « s’identifier à son travail ». Ainsi,
l’auteur considère « que la personnalité de l’ouvrier se construit dans un rapport de
possession (qui n’est pas forcément de propriété) à sa machine » [32] . Ces points
énoncés, on peut introduire l’« énigme » constitutive de l’article : pourquoi ne
saurait-on « exister » sans « s’identifier à son travail » ? Quelle est la nécessité de
« l’appropriation », d’une « présence au travail » engageant une riche production
normative ? « Pourquoi se donner des normes ? », interroge encore Ph. Bernoux.
Ayant déplié l’atelier comme espace de production normative, Ph. Bernoux revient à 24
la question du sens des comportements observés, en s’opposant à une « littérature
classique » trop encline à privilégier des raisons « économiques » ou
« utilitaires » [33] . Si la « source de l’action » ne saurait s’éclairer par de tels motifs,
c’est que le comportement des ouvriers remontant la chaîne ou bricolant leur
machine, etc., ne se résume pas à la seule poursuite d’« objectifs négociables ». Le
sociologue critique l’horizon polémologique de l’analyse stratégique qui, à la suite de
M. Crozier, regarde l’action organisée comme « une compétition pour le
Mais cette contestation n’est pas fondatrice ; elle n’épuise pas l’ordre des « motifs ». 25
Si le rythme de travail des ouvriers varie grandement au cours de la journée, Ph.
Bernoux souligne qu’il est « indépendant de la présence de la maîtrise supérieure
(contremaître et chef d’atelier) » [35] ; de même, la critique de la gestion n’est « pas le
fait de tous les compagnons, contrairement à celle du temps, de l’espace et de la
technique » [36] . La conflictualité et la contestation passent ainsi au second plan,
l’autonomie n’étant plus elle-même définie comme l’exercice d’un contre-pouvoir,
dans un rapport constitutif à la hiérarchie : comprise comme une logique
d’appropriation, elle se déploie plutôt dans le rapport incarné de l’ouvrier à son
milieu de travail, outils et collègues [37] . Plus précisément, les conflits ne sont plus
interprétés comme le fruit d’une volonté de « réduire le pouvoir des autres », mais
comme l’effet d’un double attachement à l’outil de production et au groupe de
travail : « dans le cas de célèbres conflits de licenciements, les salariés ont défendu
autant l’outil de production et la communauté de travail que l’emploi ; le slogan “Lip
… ou Teppaz, ou Rateau, etc. est viable” n’est pas seulement une simplification
stratégique. Il rend compte de la conviction profonde que ce licenciement est un
scandale », écrit l’auteur ; ou encore : « se définissant comme producteurs, leur
résolution dans la lutte vient de ce qu’ils perçoivent l’ensemble des machines et de
l’organisation de la production comme capable de sortir un bon produit » [38] . Les
motifs s’analyseraient ainsi en termes de représentation : « celle que les salariés se
donnent de leur outil de production d’une part et de la densité du lien social d’autre
part ». Mais ces représentations procèdent d’une identification, à la fois à l’outil et au
groupe. Contre des motifs « utilitaires », l’auteur localise donc le sens des pratiques
dans la constitution d’une identité à la fois individuelle et sociale. Le souci du pouvoir
fait ainsi place au souci du groupe et l’enjeu de la négociation de zones d’autonomie
dans l’atelier, à celui de « l’identité sociale de ceux qui le composent ». Le sens
s’épuise dans la reconnaissance d’une identité.
même appui : « ce sont les choses qui leur permettent d’exister » [41] . C’est dans une
relation d’identification aux objets de travail que les travailleurs se constituent
comme individus, que le groupe de travail se lie en une communauté, que cette
communauté enfin « existe » : « [la logique d’appropriation] est donc nécessaire à la
constitution du groupe de travail, qui sera d’autant plus structuré qu’il se sera
davantage approprié les outils de production » [42] . Les objets de travail permettraient
ainsi la définition du groupe et la reconnaissance de son identité sans l’inscrire
d’emblée dans un horizon polémologique. Or, le lien ainsi opéré entre technicité et
socialité n’est pas exempt d’ambiguïtés. La clôture de l’énigme du « sens » sur la
constitution d’une identité au sein d’une communauté de travail repose en effet sur
une délicate torsion du concept d’appropriation.
L’analyse glisse ainsi de l’appropriation personnelle d’un objet à une relation plus 29
symbolique d’identification aux « objets de travail », engageant une représentation
partagée de la « valeur de l’outil » et du « bon produit », « le fait de se donner
quelque chose dont on est le maître », etc. Convoquer la logique d’appropriation pour
penser le « passage de l’individu au groupe » n’est donc pas sans difficulté : n’est-ce
pas supposer les formes d’appropriation personnelle commensurables à une
« identité sociale » ? Le sens d’un tel attachement réside-t-il nécessairement dans
l’accession à une « reconnaissance sociale » ? Le « pouvoir sur soi » ne s’envisage-t-il
qu’au sein d’une « communauté » ? Force est de constater que l’article ne se défait
pas sans mal des schèmes inhérents au prisme salarial. Pour conclure, revenons donc
sur l’acte de travail en soulevant un paradoxe : le cadre interprétatif de l’article repose
à la fois sur une opposition entre sens et efficacité et sur l’ancrage du sens dans la
relation aux objets de travail. Ces deux thèses se concilient aisément dans une théorie
de l’identité. Mais on en voit le prix : l’effacement de la question de l’efficacité et du
souci productif des personnes ; le glissement également d’une attention au
maniement des objets à une approche en termes de « maîtrise » et de « contrôle », ou
privilégiant leurs fonctions symboliques.
L’activité de travail trouve donc ici à s’incarner dans un milieu, un espace, une 30
temporalité, parmi les hommes et les choses. Se marque ainsi une double rupture.
Les questions de la conflictualité et de la norme s’émancipent du strict cadre salarial,
et l’autonomie se trouve redéfinie comme appropriation, ordonnée à une exigence de
sens et d’identité. Mais le souci de proposer une approche de la communauté de
travail en rupture avec l’horizon polémologique classique prime sur celui de faire
toute sa place à l’acte de travail dans l’abord des logiques d’appropriation. L’article
conserve ainsi la trace du prisme salarial. L’incarnation gagnée par l’acte de travail,
dans cette troisième figure, est principalement une incarnation par ses entours :
objets, espaces, personnes, etc., plus qu’une incarnation du geste lui-même, laquelle
ne peut faire l’économie d’une réflexion sur le souci d’efficacité. La structure même de
l’enquête comme sa clôture attestent la persistance de traits salariaux : l’engagement
productif est toujours présenté comme une énigme ; le sens ne lui est pas coextensif,
il doit lui être conféré ; enfin, il ne s’agit pas de suivre la manière dont la présence fait
sens, mais de trouver la manière dont on lui donne sens. Loin de résider dans
l’activité productive, le sens renvoie prioritairement au groupe de travail, dont il nous
est simultanément dit qu’il doit toute son existence aux « choses ». Or, n’est-ce pas
l’insertion productive des choses, des personnes et des lieux qui prête à des logiques
d’appropriation personnelle ? [44] N’est-ce pas cette commune insertion productive
qui constitue le propre de « l’atelier » face aux « hiérarchiques » ? En glissant
L’unité d’analyse se déplace encore. Étudier une activité de travail, c’est désormais 32
dresser le tableau de ses « conditions réelles » ; en l’occurrence, restituer le « cadre
réel » de l’activité de saisie des clavistes dans l’atelier de composition d’un grand
quotidien régional. L’analyse débute ainsi par une « typologie des conditions de
saisie » : les « premiers résultats attestent de l’existence de fluctuations dans les
conditions de déroulement de la saisie, dont la fréquence et la durée sont modulées
par la nature des modifications au regard des conditions prévues ». Les retards dans
la transmission des textes à composer et l’arrêt de dispositifs techniques viennent en
effet perturber l’activité, de manière différente selon qu’elle s’opère suivant le mode
d’organisation prévu (la saisie au kilomètre) ou un mode d’organisation mixte
(alternant des périodes de saisie au kilomètre avec cadence contrôlée et des périodes
au cours desquelles la maîtrise du rythme de travail est possible). Il faut également
prendre en compte « l’irrégularité d’apparition de ces différentes conditions de
déroulement de la saisie au cours des trois factions » et des variations dans leur
durée. Le travail tient dans la confrontation des « conditions d’exécution » à la
« production réalisée (nombre de signes tapés pour une durée effective de travail) ».
Dans ce cadre, « les bordereaux de production contenant les productions
individuelles et les bordereaux d’arrêt de travail comprenant la durée et la nature des
arrêts (pannes de l’ordinateur, absence de copies) constituent les principales sources
d’information » [47] .
Prenons l’exemple de la régulation des objectifs. L’article met en évidence une norme 36
implicite de production inférieure en moyenne de 20 % à la production requise.
Toutefois, il n’interprète pas immédiatement en termes de freinage cette
« contestation », de fait, des normes de rendement, car leur caractère impraticable
dans les « conditions réelles » de saisie les condamne d’emblée : « lors de la
composition du journal, tout se passe comme si la règle officielle ne pouvait
permettre de réaliser la sortie du journal à temps qu’au prix de sa contestation et que
la contestation n’avait de sens qu’au regard de la logique de l’efficacité, tournée vers
la réalisation de la production, qu’elle intègre ».
La création normative ne se déploie plus seulement sur les entours de l’activité, mais 38
sur le terrain proprement productif. Le travail suppose de la part des « exécutants »
l’invention sans cesse réitérée d’une pertinence locale ; la « réponse des ouvriers »
s’ancre toujours dans les aléas les plus singuliers affectant le processus de travail.
Inhérentes à toute activité de travail, les normes sont saisies à travers leur genèse,
comme l’élaboration d’une régulation qui fait la « contribution active » de chacun
face aux circonstances réelles de l’activité. La valence non plus seulement
hiérarchique mais pragmatique des normes, élaborées par et pour l’activité, marque
un déplacement dans le traitement de la norme : l’élaboration normative s’ancre dans
la nécessité d’agir et l’« informel » revêt une rationalité productive. Ce déplacement
signe un abandon du prisme salarial.
Les derniers éléments d’une épreuve salariale s’estompent en effet dans l’affirmation 39
d’une épreuve productive. L’enquête ne soumet plus le travail à une aune extérieure ;
elle s’attache à l’épreuve qui en fait une « activité réelle », dotée de sa propre
normativité. L’analyse des normes productives échappe désormais au principe
polémologique. Cette épreuve ne connaît aucune concurrence entre règles ni
antagonisme a priori, mais bien seulement la « coexistence » d’instances normatives,
pour reprendre l’expression de N. Dodier : les normes sont d’abord saisies et
appréciées dans leur valeur opératoire, et non seulement (le cas échéant)
hiérarchique. Les règles formelles ne constituent ainsi qu’une ressource parmi
Cet article est, comme les précédents, emblématique à la fois d’un nouveau mode 40
d’enquête et d’une nouvelle manière d’écrire le travail. Pour la première fois, il nous
propose de regarder l’activité comme un accomplissement pratique en contexte.
Nous lisons ici à la fois la proximité de l’auteur avec l’ergonomie, sa prime attention
au travail de surveillance-contrôle [53] et sa sensibilité à une approche non pas
mécaniste mais socio-juridique de la norme, qu’il hérite de J.-D. Reynaud [54] . Deux
conséquences majeures en découlent : l’engagement productif n’est plus une énigme
à résoudre mais un agir créatif à explorer ; l’activité étant dotée d’une consistance
propre, le prisme salarial se défait.
C’est ainsi dans l’élément de la motricité que s’éprouve l’insertion sociale, donc aussi 52
l’efficacité du symbolisme : « le sujet est inséré socialement dans la mesure où il
déroule ses chaînes opératoires sans heurts, au fil des moments normaux de
l’existence » [84] . De l’exigence proprement vitale d’une organisation systématique de
l’espace habité au réseau rythmique rigoureux propre à un système social et à une
centralisation urbaine développée, le souci de la rythmicité apparaît au cœur des
préoccupations proprement humaines et des formes de symbolisation : « Créer une
surface artificielle qui isole l’homme comme un cercle magique n’est pas séparable du
fait de pouvoir y faire entrer, matériellement ou symboliquement, les éléments
maîtrisés de l’univers extérieur, et il n’y a pas une grande distance entre l’intégration
du grenier, réserve de nourriture, et celle du temple, symbole de l’univers contrôlé
[…]. Si le tissu de symboles qui recouvre la réalité fonctionnelle des institutions
humaines offre d’une civilisation à l’autre d’aussi extraordinaires coïncidences, c’est
précisément parce qu’il se moule sur des reliefs profonds […]. Ce n’est pas par une
sorte de raffinement intellectuel gratuit qu’une cité est l’image du monde » [85] . Il
n’est pas en effet de thème plus constant chez A. Leroi-Gourhan que celui de
l’« équilibre dynamique entre la sécurité et la liberté », entre les deux faces de
« l’assurance matérielle ou métaphysique » et de « la lancée dans une exploration
efficace ». L’« échappée libératrice », « l’activité créatrice », suppose pour
l’anthropologue « le confort d’une parfaite insertion » [86] . Si les deux visages du
rythme sont liés, c’est qu’en s’arrachant à la rythmicité propre à un milieu, on
commence à organiser avec son appui celle d’un autre. Le symbolisme social soutient
lui-même, avec le déploiement de mouvements rythmiquement adéquats, la créativité
propre à l’activité humaine [87] . Cette exigence de « confort dans l’activité créatrice »
fait la continuité du social, entendue comme convention rythmique, avec ce qu’A.
Leroi-Gourhan regarde comme le fait le plus fondamental de l’existence biologique :
« l’intégration dans un milieu dont il faut vivre et dans lequel il faut survivre ».
affranchis du soupçon managérial qui pèse sur les sociologues du travail. Décrivant
comme un « opportunisme méthodique » le déplacement des usagers au sein d’une
gare, elle-même « véritable espace de travail », I. Joseph a dépeint une activité
perceptive soucieuse d’un « calcul suffisamment confortable pour me donner le loisir
de flotter » et « suffisamment pertinent pour me déplacer sans encombres. » [92] Ce
subtil calcul de l’engagement n’engage que l’intentionnalité pré-réflexive du corps. De
même, en exergue de son article « Travaux en public », M. Relieu rappelle avec
Merleau-Ponty le statut du corps comme véhicule de l’être au monde [93] . Si I. Joseph
compare de façon heuristique l’espace de la gare à un espace de travail, M. Relieu
souligne plus généralement le rôle central de l’analyse de situations de travail dans le
nouvel intérêt porté à l’espace par les études sociologiques de l’action. Le travail
aurait bien un statut privilégié pour l’analyse de l’ancrage écologique des activités. M.
Relieu se donne ainsi comme objet « la dynamique d’une situation problématique »
et l’enquête infra-conceptuelle par laquelle les passants, confrontés à la présence d’un
chantier sur la chaussée, « produisent une conduite de déplacement rationnellement
ajustée à la perception d’un environnement normalisé ». Cet ajustement n’est pas le
produit d’une délibération. Nous percevons directement la valeur pratique des
éléments de l’environnement, en tant qu’ils nous offrent des opportunités d’action ou
des prises. L’exploration visuelle de la meilleure issue possible, la découverte
d’opportunités et de limitations est ainsi coextensive à l’activité : les passants se
livrent à l’« analyse tacite des possibilités d’action » et des affordances une fois
« engagés physiquement sur le tarmac sans savoir comment en sortir » [94] . Dans la
mesure où elle s’appuie sur l’exploration perceptive des opportunités de traverser la
zone de travaux, cette « praxis opérante » n’a rien d’arbitraire ; en témoigne la
formation de « files improvisées de passants ».
Le « moment actif » est en toute généralité « l’essai inventif d’un nouveau rapport du 56
vivant et de ses conditions » [108] . On peut repartir ici de H. Bergson, pour qui le statut
du corps humain comme « centre d’action » engage une rupture avec l’épistémologie
du sujet connaissant et de l’objet connu, et la notion d’adaptation de l’individu à son
milieu. Si « connaissance et action ne sont ici que deux aspects d’une seule et même
faculté », la perception ne peut plus correspondre à une pure réflexivité de la pensée
sur elle-même ; elle nous place d’emblée dans les choses [109] . M. Merleau-Ponty et les
pragmatistes américains appréhendent la dimension corporelle de l’action en des
termes très proches de ceux de H. Bergson [110] : nous ne percevons une situation
qu’en vertu de la tendance du corps à se mouvoir et de notre disposition actuelle à
agir ; la motricité n’est pas « une servante de la conscience, qui transporte le corps au
point de l’espace que nous nous sommes d’abord représenté », elle constitue « notre
intentionnalité originale » [111] . Le monde se donne à la lumière d’actions possibles, ou
plus précisément, il s’édifie à travers les formes élémentaires de notre faculté d’agir :
« Chaque être décompose le monde matériel selon les lignes mêmes que son action y
doit suivre : ce sont ces lignes d’action possible qui, en s’entre-croisant, dessinent le
réseau d’expérience dont chaque maille est un fait » [112] . Les travaux contemporains
corroborent largement ces vues, notamment ceux d’A. Berthoz qui a longtemps
travaillé avec les ergonomes avant d’occuper une chaire de physiologie de l’action et
de la perception au Collège de France [113] .
dont l’invraisemblable établi, bricolé de toute part, est remplacé soudainement par un
établi « normal », « tombé du ciel », qu’il n’approche qu’« avec des gestes maladroits
de débutants » [120] . Son dénuement rappelle l’évocation par P. Levi de son père,
trouvé mort dans son atelier, le marteau à la main : « pour cet homme, ne plus
pouvoir faire son travail, c’était la fin de tout » [121] . En s’intéressant aux moments
d’absorption dans le travail, en embrassant une perspective génétique, qui lui
redonne une épaisseur temporelle et la qualité d’une expérience, on pénètre une zone
laissée obscure par l’analyse ordinaire des déterminants de l’effort et de l’engagement
dans le travail. Que savons-nous en effet du « développement de lignes d’intérêt
actives » [122] ? De cette expansion du mouvement, par laquelle chacun devient sujet
de son milieu, s’individue ? La « liberté dans les actes », au principe, nous rappelle A.
Leroi-Gourhan, du caractère problématique de l’agir humain, signifie pourtant bien
pour le groupe la nécessité « de se particulariser plus profondément en augmentant
ses moyens d’action » [123] .
Si le sens réside ainsi dans l’opération elle-même, s’il désigne « un rapport d’êtres, 58
non une pure expression » [124] , comment ignorer plus longtemps la richesse de
significations qui habitent l’invention et le maniement des techniques ? Au-delà de la
seule main artisane, d’aucuns se demandent si les techniques ne seraient pas en passe
de devenir aujourd’hui, avec leur réticulation, la part la plus intrigante ou fascinante
même parfois de notre environnement [125] . Les travailleurs peuvent alors perdre
toute trace du temps [126] . La démultiplication des relations dites « post-sociales » –
cette sociabilité avec les objets techniques réticulaires, ou « ouverts » de l’ère
numérique [127] – invite du moins à sauter moins rapidement du constat d’une
individualisation à celui d’une moindre insertion des groupes humains.
Conclusion
« Si l’on fait exception des instants merveilleux et singuliers que le destin peut
nous réserver, le fait d’aimer son travail – qui est, hélas ! le privilège de peu de
gens – est bien ce qui peut donner la meilleure idée et la plus concrète du
bonheur sur terre : mais c’est là une vérité qui n’est guère connue. Cette région
illimitée qu’est la région de la tâche, du boulot, du job, du travail quotidien en
somme, est moins connue que l’Antarctique. »
Primo Levi, La Clef à molette, tr. fr., Paris, 10/18, 1980, p. 102.
Les quatre articles étudiés dans ce chapitre représentent autant de façons – parmi les 59
premières en sociologie du travail, de commencer à explorer la région chère à P. Levi.
Ils marquent, à divers degrés, une introduction du travail en personne – avec la
relation du travailleur au milieu qu’il s’efforce de faire sien. Prolonger ce
cheminement, en renouant davantage encore avec le G. Friedmann soucieux
d’interroger la « valeur attachée à l’opération » par le travailleur et de saisir les
« instincts » dans leur genèse, comme genre de vie, suppose de laisser l’individu pour
les processus d’individuation. L’engagement en personne dans le travail n’épouse
aucun des registres classiques de la « satisfaction dans le travail » : expressif
(expression de soi), instrumental (rétribution économique) ou sociologique
(reconnaissance par autrui) [128] . Comprendre les phénomènes relatifs au vrai boulot
demande aussi de préférer le lexique de la genèse à celui de l’« épreuve ». Il s’agit
d’associer l’analyse du travail à la prise en compte des parcours et des histoires,
comme l’envisage P. Levi lui-même [129] . Cette profondeur temporelle donne prise sur
ce qui émerge de l’activité, ses valorisations, comme sur ce qui s’y défait, dans la
violence, l’angoisse ou l’ostracisme. Pouvoir étudier d’un même mouvement les
aspects « créatifs » et « destructeurs » est propre à la sociologie, relativement à une
psychologie où l’étude des identités repose avant tout sur la notion de
« développement » [130] . Le travail en personne ne pointe ainsi pas seulement un
angle aveugle de la sociologie du travail, mais de la psychologie elle-même.
autonome de dispositifs techniques. Les agents, qui se relayent jour et nuit par
équipes de trois ou quatre devant les écrans et la fenêtre d’alarme du superviseur [132] ,
sont avant tout des vigies. Saisir le travail comme une opération technique, c’est
introduire d’emblée, avec l’individuation simultanée d’un milieu et de ceux qui s’y
engagent, la diachronie. Nous allons ainsi, pour commencer à éprouver notre
perspective, tracer la genèse de ce centre de calcul comme milieu de travail en suivant
ses premiers protagonistes. Avant que l’activité ne devienne opérationnelle, à l’orée
du XXIe siècle, divers acteurs sont en effet à pied d’œuvre depuis une dizaine
d’années.
[1] Celle-ci « n’envisage à aucun moment que cette joie des opérateurs puisse être liée au surgissement de
“l’action” dans l’activité technique, tant l’action est hors du champ de sa réflexion dès qu’il s’agit de
technologie ». La « prouesse », qu’il suit dans les « arènes de la virtuosité technique », produit aussi
une « œuvre de l’instant » : être engagé dans l’ethos de la virtuosité, c’est « considérer l’activité
technique comme une épreuve en soi, à travers la mise à l’épreuve de certaines qualités de la
personne ». La perspective demeure toutefois encore tributaire du cadre arendtien. De l’ancrage
premier de l’action dans le domaine politique, elle conserve en effet le caractère « extra-ordinaire » de
l’épreuve ; sa nature intrinsèquement publique (la prouesse est un spectacle, et les arènes, des « lieux
d’épreuve des capacités de l’individu confronté dans ses actes au fonctionnement des objets
techniques et placé au carrefour des jugements d’autrui ») ; enfin, son enjeu (la « révélation de
l’identité personnelle », sans cesse à réitérer, plutôt que sa genèse continuée). Si la prouesse vaut comme
« intensification de la conscience de soi et de la présence au monde », elle laisse peut-être échapper la
quotidienneté du rapport aux choses, et ce qui se trame dans la durée. La limite semble celle d’une
sociologie des épreuves, là où l’individuation, ou plus radicalement encore la notion de présence chez
A. Piette, permet de considérer – non pas seulement un moment d’incertitude sur un état de choses –
mais la durée inhérente au rapport opératoire au milieu. N. Dodier, Les Hommes et les Machines, op. cit.,
p. 211, 219-221.
[2] B. Latour, Nous n’avons jamais été modernes, op. cit., p. 183.
[3] « Dans chacune de nos activités, ce que nous fabriquons nous dépasse » (B. Latour, Petite réflexion sur le
culte moderne des dieux Faitiches, Paris, Synthélabo, 1996, p. 43-46). Et ces « sources d’action neuves et
inattendues » font-faire. Les « déplaceurs d’action » produisent aussi bien déplacements et
décentrements, que cristallisations et stabilisations. C’est dans les mêmes termes que B. Latour
conçoit ainsi l’ordre social : « il est impossible de ne serait-ce que définir la plupart des
caractéristiques de ce que nous entendons par “ordre social” – échelle, asymétrie, permanence,
pouvoir, hiérarchie, distribution des rôles – sans recruter des non-humains socialisés. La société est
bel et bien construite, mais elle n’est pas socialement construite ». Op. cit., p. 208-209.
[4] Il faut souligner que chez B. Latour, comme chez G. Simondon, l’individuation de l’individu suppose
celle d’un collectif et ne s’opère que dans l’élément de la relation : « il faut partir de l’opération
d’individuation du groupe », en prenant le contrepied du « substantialisme qui oblige à penser le
groupe comme extérieur à l’individu ou l’individu comme antérieur au groupe, ce qui engendre le
psychologisme ou le sociologisme », écrit G. Simondon. Ibid., p. 183-185.
[6] « Au-delà du caractère incantatoire des mots et des effets de mode, s’opèrent dans l’entreprise de
profonds mouvements qu’il convient de considérer avec attention ». Ibid.
[7] Sont évoqués ici à la fois « le nouvel environnement économique des entreprises », caractérisé par une
exigence de variété et de qualité de la production, en somme de réactivité de l’atelier à l’égard du
marché des produits (« il faut que l’atelier entre en entreprise », synthétisent les auteurs) ; et une
« révolution technologique » marquée par l’informatisation et l’automatisation croissante des
processus productifs. Tous deux contribuent à reconfigurer profondément le statut de l’atelier dans
l’entreprise et les formes de contribution attendues des salariés dans le sens d’une « fluidité, mobilité
et flexibilité » accrues, soit aussi d’une nouvelle homogénéité et « unification » de l’entreprise. On
comprend que la participation et la transparence puissent alors constituer les grandes lignes de
nouvelles logiques d’organisation des entreprises.
[8] La référence à l’acte de travail apparaît bien évidemment très tôt dans les travaux de sociologie du
travail, bien antérieurement à cet article, somme toute bien récent. Notre propos n’est pas de tracer
une genèse de l’attention à l’acte de travail, mais d’identifier les façons dont il est convoqué dans cette
littérature. Notre parcours sera lui-même plus logique que chronologique. Ce premier article, plus
classique que pionnier, mentionne d’ailleurs le caractère tout à fait commun des distinctions qu’il
opère : « L’implication positive des salariés dans l’acte productif au-delà et à la marge des consignes
technologiques, des ordres hiérarchiques et des prescriptions formelles émanant des bureaux des
méthodes est maintenant chose bien admise. L’apport des ergonomes à qui l’on doit cette distinction
féconde entre travail réel et travail prescrit est, à cet égard, décisif. Les sociologues ont de leur côté
largement contribué à mettre en évidence cette partie informelle, non dite, de l’activité
professionnelle des salariés réalisée individuellement ou collectivement selon les situations ». Ibid.
[9] C’est du moins la dichotomie dite « taylorienne » de l’exécution et de la conception qui est ainsi
condamnée.
[10] Corrélativement, l’objet privilégié tend à se déplacer des situations de travail aux formes
managériales : il ne s’agit plus tant de mesurer des postes effectifs, que d’évaluer – à la même aune –
les potentialités d’un projet. Le sociologue se trouve dès lors face à un objet « en gestation » dont il est
tenté de déployer lui-même les devenirs possibles. L’épreuve salariale se trouve ainsi confrontée à des
objets ambigus : tout à la fois projetés par le sociologue et évalués dans une effectivité, qui est
anticipée autant que condamnée.
[11] Cette menace explique même, selon les auteurs, le faible intérêt longtemps porté au travail réel : « le
syndicalisme de classe français a en effet longtemps résisté à l’idée d’implication positive du salarié de
base dans l’accomplissement de sa tâche, au nom du combat qu’il mène contre le système capitaliste.
Comme si le simple fait de reconnaître une forme quelconque de participation active ouvrière risquait
de saper les fondements d’une idéologie protestataire s’exprimant en termes d’exploitation,
d’oppression et d’aliénation. Le terme de participation lui-même était récemment encore banni du
vocabulaire syndical au nom du refus vigoureux de toute prémice de “collaboration de classe” ». Op.
cit., p. 40.
[12] Ph. Bernoux, « Les OS face à l’organisation industrielle », Sociologie du travail, no 4, 1972.
[13] Ibid., p. 412 (nous soulignons). Selon la même logique, il est relevé que « les communications
horizontales sont toutes informelles ». Ibid., p. 433.
[14] Nous renvoyons en particulier au numéro spécial consacré par Sociologie du travail à « La qualification
du travail », no 2, 1973 ; et pour trois regards critiques : M. Dadoy, « La notion de qualification chez
Georges Friedmann », Sociologie du travail, no 1, 1987 ; C. Paradeise, « Faut-il repenser le concept de
qualification ? », Revue Pour, no 112, 1988 ; M. Stroobants, Savoir-faire et compétences au travail. Une
sociologie de la fabrication des aptitudes, Bruxelles, Éditions de l’Université, 1993.
[15] Cf. B. Mottez, Systèmes de salaire et politiques patronales. Essai sur l’évolution des pratiques et des idéologies
patronales, op. cit., 1966.
[17] Ibid., p. 418. Le groupe paysan se définit par une série de traits terme à terme opposés : « non-
implication dans une entreprise qui reste étrangère, absence de projet de mobilité personnelle,
existence d’une mentalité de groupe de type soumise et fataliste ». Ibid., p. 416.
[19] On peut s’interroger sur l’interprétation en termes de mépris des critiques faites par les ouvriers sur
leur travail : « les compagnons ont très fort le sentiment du non-intérêt et de la pénibilité du travail
qu’ils font et, conjointement, du mépris social dont il est affecté », le sentiment de « leur situation
déchue », de « faire le dernier des métiers », écrit l’auteur. Mais comment rendre compte alors du
sentiment de prestige que leur procure leur accès aux seuls « bons » boulots, « situés en haut de la
hiérarchie de valeur attribuée par les compagnons aux machines » : « le groupe “ouvrier” “occupe” des
machines de prestige » ? Ibid., p. 422.
[20] Le niveau d’analyse jugé d’emblée pertinent est celui du collectif d’appartenance : « c’est à travers cette
relation de groupe, que doit sans doute être cherchée la clef du comportement des groupes des OS
dans l’entreprise », écrit l’auteur. Ibid., p. 435.
[22] Ibid., p. 427. Si les grèves sauvages sont entendues comme « un mode de conflit dans le prolongement
direct du freinage », elles peuvent être elles aussi définies comme des « mouvements de reconquête de
l’autonomie ». Ibid., p. 434.
[25] L’auteur justifie ainsi l’usage de la notion de « système social » par sa volonté d’insister sur « la
cohérence interne de la vie d’un groupe, sur son langage, ses symboles et son comportement ». Ibid., p.
436.
[27] « Le système de calcul de la production est fondé sur la quantité produite par ouvrier mesurée selon le
type de machine et d’opération », précise l’auteur. Ibid., p. 423.
[28] Ph. Bernoux, « La résistance ouvrière à la rationalisation : la réappropriation du travail », Sociologie du
travail, no 1, 1979, p. 76-90.
[29] Si nous analysons cette inflexion à partir de deux articles de Ph. Bernoux dans Sociologie du travail, elle
engage plus largement deux grandes enquêtes, à dix ans de distance : Ph. Bernoux, D. Motte, J. Saglio,
Trois ateliers d’OS., Paris, Éditions ouvrières, 1969 ; Ph. Bernoux, Un travail à soi, Toulouse, Privat, 1981.
[30] Nous renvoyons ici à notre analyse de l’article d’A. Borzeix et D. Linhart au début de ce chapitre.
[31] Cette dernière expression n’est pas présente dans l’article, mais constitue de manière très
significative le titre de l’ouvrage paru peu après à partir de cette même enquête. Cf. Un travail à soi, op.
cit.
[32] « La résistance ouvrière à la rationalisation : la réappropriation du travail », op. cit., p. 83.
[33] L’auteur fait ici référence aux analyses classiques du freinage comme manière pour les ouvriers
« d’établir un rapport avantageux entre leur travail et leur rémunération », ou encore, façon de se
protéger contre l’autorité, d’éviter une pression sur les salaires, une augmentation des cadences, une
éventuelle mutation, etc.
[34] Ph. Bernoux fait référence à M. Crozier et E. Friedberg, L’Acteur et le système, Paris, Seuil, 1977 et à la
synthèse proposée par E. Friedberg, « L’analyse sociologique des organisations », Revue Pour, no 28,
1988.
[37] L’auteur n’use pas de la notion générique de milieu de travail. Il évoque juste l’outil et le groupe de
travail.
[43] Ibid., p. 84. Ph. Bernoux s’appuie ici sur la description par R. Sainsaulieu du groupe OS comme « un
groupe à modalité de sociabilité très fusionnelle ». Le propos se veut toutefois plus générique, dans la
mesure où la relation aux objets de travail est vue comme le principal appui de la constitution d’une
communauté de travail.
Évoquée dans certains passages du texte, cette insertion paraît bien nouer, dans sa passivité même,
sens et efficacité. Ainsi, constate l’auteur, « il n’est pas possible de travailler sur une machine, aussi
simple en soit le maniement, sans chercher à développer à son égard certaines connaissances
techniques et à revendiquer le droit de ne pas être muté en permanence de machine à machine, sauf à
manifester un comportement de retrait ». Ibid., p. 83 (nous soulignons).
[45] Ainsi, écrit Ph. Bernoux, « les OS se définissent d’abord comme producteurs et se réfèrent à une
rationalité de ce type. Ils vont donc être très attentifs à tout le domaine de la production, en
particulier dans un système taylorisé. Ils vont aussi opposer une logique de la production à toutes les
logiques gestionnaires des directions. L’appropriation est une manière d’affirmer et cette capacité
technique, voire organisationnelle, et cette logique de producteur ». Ibid., p. 87. L’appropriation
recouvre « l’expression d’une conscience de soi à travers la fonction de production », nous est-il encore
dit.
[46] Sociologie du travail, no 3, 1987. Si notre analyse s’appuie principalement sur cet article, nous ne nous
interdirons pas de faire également référence à l’ouvrage publié peu après par G. de Terssac, Autonomie
dans le travail, Paris, PUF, 1990 ; et à une contribution antérieure : « La régulation ouvrière dans les
industries à processus continu », in La Division du travail. Colloque de Dourdan, Paris, Galilée, 1978.
[47] Le corpus est constitué par un ensemble de 962 services de 6 h 06 chacun, effectués par une
population de 28 clavistes femmes.
[48] L’examen des différentes conditions de saisie conclut à leur instabilité : « les interruptions comme
l’alternance entre rigidité (saisie au kilomètre) et souplesse (saisie « en conscience ») modifient le
mode d’organisation affiché ».
[49] Nous retrouvons l’ambivalence de l’ergonomie qui associe souci humaniste et efficacité productive.
[50] G. de Terssac nuance ici l’opposition entre régulation autonome et régulation de contrôle que trace J.-
D. Reynaud, dont il s’inspire par ailleurs fortement. Chez J.-D. Reynaud en effet, le freinage constitue
le modèle même d’une régulation autonome : il « cherche à établir une régulation contre d’autres
venues d’en haut. Il affirme une autonomie contre l’effort de contrôle des techniciens et des
organisateurs (…). La régulation des subordonnées ne se trouve pas être différente de celle de la
direction parce qu’elle a un objet différent mais parce qu’elle essaie d’affirmer une autonomie ». Cf.
Autonomie dans le travail, op. cit., p. 147-152.
[51] La définition que donne G. de Terssac de l’autonomie se ramène à notre deuxième figure. Elle
s’énonce comme suit : « en un premier sens, l’autonomie peut être caractérisée comme la capacité
d’influence qu’ont ou que se donnent les exécutants au regard de la production. De ce point de vue,
avoir de l’autonomie c’est pouvoir faire varier la quantité produite et en particulier pouvoir substituer
à la norme de production exigée une autre norme généralement plus faible ; c’est la pratique du
freinage ». Ibid., p. 114.
[52] Le groupe de travail lui-même est ici l’objet d’une genèse dans l’activité.
[53] Cf. notamment G. de Terssac, « La régulation ouvrière dans les usines à processus continu », in La
Division du travail. Colloque de Dourdan, op. cit. ; et G. de Terssac et B. Coriat, « Micro-éléctronique et
travail ouvrier dans les industries de process », Sociologie du travail, no 4, 1984.
[54] Voir plus généralement sur ce point : G. de Terssac (éd.), La Théorie de la régulation sociale de Jean-Daniel
Reynaud. Débats et prolongements, Paris, La Découverte, 2003.
[55] P. Tripier, Du travail à l’emploi. Paradigmes, idéologies et interactions, Bruxelles, Éditions de l’Université,
1991, p. 99. Cette primauté s’énonce ainsi : « (…) disons qu’au plan méthodologique l’objet central de
recherche est toujours l’acte de travail, que celui-ci soit une intervention directe conduisant à la
transformation de la matière, comme l’est une intervention effectuée grâce à un outil, ou une
intervention indirecte (grâce à une machine impliquant ou non manipulation humaine). L’acte de
travail consiste aussi à intervenir sur une information, que celle-ci soit liée à la transformation de la
matière ou non, que cette intervention consiste à produire de l’information, à la transmettre, à en
modifier le support ou à la transformer. La sociologie du travail s’est dotée d’une méthodologie
centrale qui consiste à analyser en toute première priorité l’acte de travail pour ensuite interpréter
l’ensemble des informations que l’on possède en fonction de la connaissance que l’on a de cet acte de
travail ».
[56] Pour une présentation plus complète de cette thèse, nous renvoyons à P. Tripier, « Sociologie du
travail », in J.-P. Durand et R. Weil, Sociologies contemporaines, Paris, Vigot, 1997 (2e édition). L’auteur
trace la genèse et les effets de ce qu’il désigne comme un « refus (implicite) de considérer la situation
de travail comme universellement explicative ». Op. cit., p. 458.
[61] Deux articles sont emblématiques de cette approche, portée dans le premier d’entre eux par un vif
[62] Cf. C. Durand, « L’idéologie technocratique dans l’organisation du travail », in Sociologie du travail,
Toulouse, Octarès, 2000 (1re édition in Esprit, mars 1978). La critique du déterminisme technologique
est un thème récurrent chez C. Durand. Cf. notamment « Les politiques patronales d’enrichissement
des tâches », Sociologie du travail, no 4, 1974.
[63] C. Durand, « L’idéologie technocratique dans l’organisation du travail », op. cit. On trouve des
développements similaires dans le chapitre consacré au rapport entre « innovation technique et
conditions de travail », in Le Travail enchaîné. Organisation du travail et domination sociale, Paris, Seuil,
1978, p. 130.
[64] On rejoint ici les profondes ambiguïtés des thèses qui plaident pour une approche de la « construction
sociale » des techniques, bien mises en évidence par G. Button, « The Curious Case of the Vanishing
Technology », in G. Button (éd.), Technology in Working Order : Studies of Work, Interaction and Technology,
London, Routledge, 1993.
[65] G. Simondon, L’Individu et sa genèse physico-biologique, Paris, Éditions Jérôme Million, 1995 (1964), p. 49.
[66] De façon proche, J. Dewey voit dans le travail un modèle d’« activité continue ». Op. cit., p. 398-399, 415.
[67] Le graphique présenté en annexe 4 rassemble des éléments sur l’hybridation de ces trois traditions. B.
Conein et S. Gherardi ont proposé des cartographies complémentaires, plus centrées sur les filiations,
et focalisées respectivement sur les approches « situées », et sur le champ des Pratice-Based Studies.
Nous y renvoyons le lecteur : B. Conein, Sociologie du travail, no 4, 1994 ; S. Gherardi, « Situated
Knowledge and Situated Action : What Do Practice-Based Studies Promise ? », in D. Barry, H. Hansen
(Eds.), The Sage Handbook of New Approaches in Management and Organization, London, Sage
Publications, 2008.
[68] Nous renvoyons aux riches développements sur « les fondements naturels de l’altérité
anthropologique », dans un ouvrage largement inspiré par les travaux d’A. Leroi-Gourhan : F. Tinland,
La différence anthropologique. Essai sur les rapports de la nature et de l’artifice, Paris, Aubier-Montaigne, 1977.
[70] L’Individuation psychique et collective, op. cit., p. 273. Au-delà de l’individuation initiale, se poursuit ainsi
une individuation individualisante : « un être n’est jamais complètement individualisé ; il a besoin pour
exister de pouvoir continuer à s’individualiser en résolvant les problèmes du milieu qui l’entoure et
qui est son milieu ; le vivant est un être qui se perpétue en exerçant une action résolvante sur le
milieu ; il apporte des amorces de résolution parce qu’il est vivant ; mais quand il effectue ces
résolutions, il les effectue à la limite de son être et par là continue l’individuation ». Ibid., p. 126.
[73] La distinction entre question et problème n’est pas sans rappeler la distinction bergsonienne des
problèmes géométriques et des problèmes vitaux. Les premiers sont posés en fonction d’un résultat
déterminé d’avance, alors que les seconds impliquent un geste d’invention : la solution vient avec la
création des termes du problème.
[74] Ibid., p. 150-151. Nous retrouvons ici la définition de l’individu comme relation, ou plus précisément
comme « acte relationnel », que G. Simondon oppose au substantialisme qui nous a habitués à
regarder la relation comme un simple rapport entre des termes préexistants à leur mise en rapport :
« L’individu est réalité d’une relation constituante, non intériorité d’un terme constitué ». L’individu
s’unifie bien seulement dans et par l’activité relationnelle. Cf. L’Individu et sa genèse physico-biologique,
op. cit., p. 60.
[75] L’Individuation psychique et collective, op. cit., p. 255-256. C’est bien seulement par une permanente
médiation constructrice que « le sujet prend progressivement conscience du fait qu’il a résolu des
problèmes, lorsque ces problèmes ont été résolus dans l’action ».
[76] Ce qui fonde cette pensée de la genèse est une attention fondamentale au caractère problématique du
vivant – soit à la catégorie de problème, qui remplace à partir de H. Bergson celle du besoin dans la
pensée du vivant : J. Douçot, « Le vivant en activité. Besoin, problème et créativité de l’action chez H.
Bergson », Archives de philosophie, vol. XXVII, no 2, 2008.
[77] A. Leroi-Gourhan regroupe dans cette catégorie les premiers anthropiens. Identifiés en Afrique entre
la fin du tertiaire et le début du quaternaire, ils sont les premiers à présenter la forme qu’il caractérise
comme proprement hominienne.
[80] Même si la vie sociale apparaît déjà à des stades plus primitifs que l’Homo sapiens. Ibid., p. 205.
[81] A. Leroi-Gourhan, Le Geste et la parole. La mémoire et les rythmes, op. cit., p. 80,89.
[87] Pour présentation plus complète, voir : A. Bidet, « Le corps, le rythme et l’esthétique sociale chez A.
Leroi-Gourhan », Techniques & culture, no 46-47, 2007.
[88] Dans la seconde partie de sa « note complémentaire sur les conséquences de la notion
d’individuation », intitulée « Individuation et invention », in G. Simondon, L’Individuation psychique et
collective, op. cit., p. 261-290.
[89] Ibid., p. 256. On se souvient de la maxime de F. Bacon : on ne commande la nature qu’en lui obéissant.
[92] I. Joseph, « Ariane et l’opportunisme méthodique », Annales de la recherche urbaine, no 71, 1996.
[93] Et qui l’engage à « se confondre avec certains projets et s’y engager continuellement ». Cf. M. Relieu,
« Travaux en public. La dynamique d’une situation problématique », in La Logique des situations.
Nouveaux regards sur l’écologie des activités sociales, Paris, EHESS, Raisons pratiques, no 10, 1999, p. 95.
[94] La notion d’affordance – souvent traduite par « prise » – est issue de l’écologie de la perception de J. J.
Gibson, qui reprend lui-même K. Lewin et la psychologie de la Gestalt. Les affordances sont pour lui les
objets premiers de la perception. Elles sont à la croisée des habitudes et des capacités d’action d’un
organisme et des propriétés physiques des objets de l’environnement. Cf. The Ecological Approach to
Visual Perception, London, Lawrence Erlbaum Associates, 1986.
[96] G. Simondon, Du mode d’existence des objets techniques, op. cit., p. 228.
[99] Nous entendons ici par objet technique ce que G. Simondon dénomme plus précisément « individu
technique ». Composé d’un ensemble organisé d’« éléments techniques », il peut être lui-même associé
à d’autres individus techniques pour composer un « ensemble technique ». Par opposition à l’élément
ou à l’ensemble, l’individu technique possède un « milieu associé », qu’il crée autour de lui par
l’interaction de ses processus internes, par le processus de « concrétisation » qui peu à peu unifie son
fonctionnement et qui constitue sa condition d’existence.
[101] G Simondon évoque par exemple en ces termes la turbine Guimal : « la concrétisation est ici
conditionnée par une invention qui suppose le problème résolu ; c’est en effet grâce aux conditions
nouvelles créées par la concrétisation que la concrétisation est possible ». Elle est ainsi conditionnée
« par un milieu qui n’existe que virtuellement avant l’invention ». Cf. Du mode d’existence des objets
techniques, op. cit., p. 55-56.
[102] Sur la place privilégiée du travail chez J. Dewey, voir : J. W. Donohue, « Dewey and the Problem of
Technology », in J. Blewett (Ed.), John Dewey. His Thought and Influence, New York, Fordham University
Press, 1960, p. 131 ; et celle du « professionnel réflexif » comme personnage conceptuel, qui inscrit J.
Dewey, comme antithèse de la rationalité instrumentale à la H. Simon, au cœur des Practice-based
Studies et de l’étude des organisations : R. Frega, John Dewey et la philosophie comme épistémologie de la
pratique, Paris, L’Harmattan, 2006, p. 232-247, 279 sq.
[103] Avant même le récent Technology as Experience, de J. McCarthy et P. Wright, qui place J. Dewey au cœur
de l’étude des usages des technologies de l’information et de la communication, citons : L. Hickman,
John Dewey’s Pragmatic Technology, Bloomington, Indiana University Press, 1990 ; Philosophical Tools for
Technological Culture : Putting Pramatism to Work, Indiana University Press, 2001.
[108] Y. Schwartz, Expérience et connaissance du travail, Paris, Messidor, 1988 (préface de G. Canguilhem), p.
705. Pour une synthèse de la lecture que fait Y. Schwartz de G. Canguilhem, nous renvoyons au
chapitre que G. Le Blanc consacre à « l’activité de travail » in La vie humaine. Anthropologie et biologie chez
Georges Canguilhem, Paris, PUF, « Pratiques théoriques », 2002, p. 223-238.
[109] H. Bergson, L’Évolution créatrice, in Œuvres, op. cit., p. 622. De même, J. Dewey, op. cit., p. 164, 406.
[110] Nous renvoyons à H. Joas, La Créativité de l’agir, op. cit., pour une mise en perspective synthétique sur
ce point des traditions phénoménologique et pragmatiste : la première affirme le corps comme sujet
de la perception, la seconde ancre toute perception dans l’agir. Sur les liens étroits de M. Merleau-
Ponty avec H. Bergson, voir l’ouvrage de R. Barbaras, Le Tournant de l’expérience. Recherches sur la
philosophie de Merleau-Ponty, Paris, Vrin, 1998. Le titre est une expression de H. Bergson lui-même, par
laquelle il invite à se saisir de l’expérience au moment où elle devient pratique – geste que prolonge M.
Merleau-Ponty dans son mouvement de retour aux choses.
[111] « Mon corps a son monde ou comprend son monde sans avoir à passer par des “représentations”, sans
se subordonner à une “fonction symbolique” ou “objectivante” ». M. Merleau-Ponty, op. cit., p. 160-164.
Pour une critique de la réduction du « savoir-comment » au « savoir-que » : G. Ryle, La Notion d’esprit.
Pour une critique des concepts mentaux, tr. fr., Paris, Payot, 1978 (1949).
[113] A. Berthoz, Le Sens du mouvement, Paris, Odile Jacob, 1997 ; « La coopération des sens et du regard dans
la perception du mouvement », in O. Aslan (éd.), Le Corps en jeu, Paris, CNRS Éditions, 1993. Voir
également F. J. Varela, L’Inscription corporelle de l’esprit, Paris, Seuil, 1993 ; et Quel savoir pour l’éthique ?
Action, sagesse et cognition, Paris, La Découverte, 1996. Pour une critique radicale des approches
abstraites de l’action : L. Quéré, « La cognition comme action incarnée », in A. Borzeix, A. Bouvier et P.
Pharo (éds.), Sociologie et connaissance. Nouvelles approches cognitives, Paris, CNRS Éditions, 1998.
[115] A. Piette, Ethnographie de l’action. L’observation des détails, Paris, Métailié, 1996. On peut consulter notre
recension de ses deux ouvrages parus en 2009 : « L’anthropologie de la présence et de l’attention
d’Albert Piette », Sociologie du travail, no 4, 2010. On trouve chez J. Elster une critique pour partie
convergente de l’« obsession du sens ». Op. cit.
[116] P. Veyne, « L’interprétation et l’interprète. À propos des choses de la religion », Enquête, no 3, 1996, p.
250 (l’auteur souligne). On trouve aussi chez G. Simondon les éléments d’une entreprise de déflation
des croyances dissociées de la quotidianité : « L’étude des croyances est un assez mauvais moyen de
connaître l’homme en tant que membre d’un groupe. L’homme qui croit se défend, ou veut changer de
groupe, est en désaccord avec d’autres individus ou avec lui-même ». Cf. L’Individuation psychique et
collective, op. cit., p. 186.
[120] Voir l’analyse de ce passage in M. Breviglieri, « Habiter l’espace de travail. Perspectives sur la routine »,
op. cit.
[123] A. Leroi-Gourhan, Évolution et Techniques. II. Milieu et Techniques, Paris, Albin Michel, 1945, p. 385. On
trouve chez P. Levi une évocation du travail tout à fait concordante, qui associe au « fait d’être
compétent dans son propre travail, et donc de l’exécuter avec plaisir », « le genre de liberté le plus
accessible, le plus goûté subjectivement, et le plus utile à l’homme ». Op. cit., p. 178.
[125] A. D. Lowe, « Objects and the Production of Technological Forms of Life : Understanding
Organisational Arrangements from a Postsocial Perspective », Journal of Organisational Change
Management, vol. XVII, no 4, 2004. Sur les « passions cognitives », voir le numéro récent de la Revue
d’anthropologie des connaissances, no 3, 2009.
[126] S. Ladner, « “Agency Time”. A Case Study of Postindustrial Timescape and its Impact on the Domestic
Sphère », Time & Society, vol. 18, no 2-3, 2009.
[127] « La participation au réseau est ce par quoi l’objet technique reste toujours contemporain de son
utilisation, toujours neuf ». Sur ce lien entre ouverture et réticularité des objets techniques
contemporains, voir G. Simondon, « Mentalité technique », Revue philosophique de la France et de
l’étranger, vol. CXXXI, no 3, 2006, p. 356. L’analyse écologique des infrastructures participe du même
constat : Star S. L., « The Ethnography of Infrastructure », American Behavioural Scientist, vol. XLIII, no
3, 1999. Ainsi que l’observation rapprochée de leur maintenance : J. Denis et D. Pontille, op. cit.
[128] Pour une synthèse : S. Paugam, « La solidarité organique à l’épreuve de l’intensification du travail et
de l’incertitude de l’emploi », in S. Paugam (éd.), Repenser la solidarité. L’apport des sciences sociales, Paris,
PUF, 2007.
[129] Lui-même dessine une perspective en termes d’individuation : « Il est malheureusement vrai que
beaucoup de travaux ne sont pas agréables, mais il est néfaste de vouloir les juger et les condamner
avec une haine préconçue : ceux qui le font se condamnent eux-mêmes pour la vie à détester non
seulement le travail, mais à se détester aussi et à détester le monde. On peut et on doit combattre pour
que le fruit du travail reste aux mains de celui qui le fait et pour que le travail lui-même ne soit pas un
châtiment ; mais l’amour ou la haine du travail sont des données intérieures, originelles, qui
dépendent beaucoup de l’histoire de l’individu et moins qu’on ne le croit des structures de production
dans lesquelles le travail s’effectue. » Ibid.
[130] H. Joas, The Genesis of Values, Chicago, The University of Chicago Press, 2000, p. 156-158.
[131] La distinction entre situation « complexe » et situation « compliquée » est thématisée notamment in
B. Latour, « Une sociologie sans objet ? Remarques sur l’interobjectivité », Sociologie du travail, no 4,
1994.
[132] Nous identifions par « superviseur » le dispositif technique de remontée de mesures, de confection,
d’affichage et de gestion des alarmes.