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GEORGES ABI-SAAB
G. ABI-SAAB
A la mémoire
d'Abdallah El Erian
15
Avant-propos 29
Chapitre I. Méthodes d'approche 33
I. Trois niveaux d'analyse 33
II. Le droit: norme ou processus? 35
1. Les études anthropologiques du droit 35
2. L'école «réaliste« ou «décisionniste» 36
3. L'école de «New Haven» 37
4. Critique de l'approche exclusivement processuelle 39
III. Entre la norme et le comportement 40
1. La langue 40
2. Le système juridique 41
Première partie. Le droit international dans son environnement 45
Chapitre II. Origines et évolution 45
1. Le droit international : générique ou spécifique ? 45
1. Ubi societas, ibi jus 45
2. Les origines historiques du système actuel du droit internatio-
nal 46
n. L'évolution du système par rapport au monde extra-européen . . . 49
1. L'universalisme des origines 49
2. La hiérarchisation de la communauté internationale 51
a) La pratique 51
b) Le rôle de la «reconnaissance» 52
c) La théorie des cercles 55
3. Vers l'universalisme contemporain 57
III. L'évolution interne du système 58
1. «L'Etat mondial de la chrétienté médiévale» 58
2. La nouvelle structure de la communauté internationale 60
3. La base idéologique du nouveau système 62
a) Le droit naturel : du «divin» au «rationnel» 62
b) Le souverain: du «prince» à l'«Etat» et la montée du posi-
tivisme volontariste 64
Chapitre III. Spécificité du système: la position dominante de l'Etat . . 67
I. L'Etat en tant que «fait primaire» 68
1. La rationalisation juridique de l'Etat 69
2. Le rôle primordial du territoire 69
II. L'aménagement des compétences étatiques 70
1. L'établissement de la compétence 70
a) Bref rappel de l'évolution du droit en matière d'acquisition
du territoire 70
16 Georges Abi-Saab
NOTICE BIOGRAPHIQUE
Georges Abi-Saab, né le 9 juin 1933 à Héliopolis-Le Caire (Egypte).
Licencié en droit de l'Université du Caire (1954). Etudes supérieures en droit,
en économie et en sciences politiques aux Universités du Caire (D.E.S. droit
privé, droit public), de Paris, de Michigan (MA. Econ.), de Harvard (LL.M.,
S.J.D.), de Cambridge et de Genève (doctorat es sciences politiques). Diplômé de
l'Académie de droit international de La Haye.
Professeur de droit international à l'Institut universitaire de hautes études
internationales de Genève depuis 1969, ayant enseigné à cet Institut dès 1963.
Membre de l'Institut de droit international.
Consultant du Secrétaire général des Nations Unies pour la préparation de ses
deux premiers rapports sur le «Respect des droits de l'homme dans les conflits
armés» (1969 et 1970) et pour la préparation de son rapport sur le « Développe-
ment progressif des principes et normes du droit international relatifs au nouvel
ordre économique international» (1984).
Membre de la délégation égyptienne à la Conférence d'experts gouvernemen-
taux (1972) et à la Conférence diplomatique sur la réaffirmation et le développe-
ment du droit humanitaire applicable dans les conflits armés (1974-1977).
Conseil du Gouvernement égyptien dans la procédure consultative devant la
Cour internationale de Justice relative à l'Interprétation de l'accord du 25 mars
1951 entre i OMS et l'Egypte et dans la procédure consultative relative à la
Licéité de l'utilisation des armes nucléaires par un Etat dans un conflit armé et
à la Licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires.
Conseil et avocat du Gouvernement tunisien devant la Cour internationale
de Justice dans l'affaire du Plateau continental (Tunisie/Jamahiriy a arabe
libyenne); conseil et avocat du Gouvernement égyptien dans l'arbitrage portant
sur le Différend frontalier (Taba) (Egypte/Israël).
Juge ad hoc dans l'affaire du Différend frontalier (Burkina Faso/République
du Mali), portée devant une chambre de la Cour internationale de Justice. Juge
ad hoc dans l'affaire du Différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad),
portée devant la Cour internationale de Justice.
Ancien membre de la chambre d'appel du Tribunal pénal international pour
l'ex-Yougoslavie et du Tribunal international pour le Rwanda.
Membre du tribunal administratif du Fonds monétaire international et de
divers tribunaux arbitraux.
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PRINCIPALES PUBLICATIONS
Livres et monographies
Les exceptions préliminaires dans la procédure de la Cour internationale : Etude
des notions fondamentales de procédure et des moyens de leur mise en œuvre,
Paris, Pedone, 1967, XII+280 pages.
The Structure, Role and Functions of the United Nations System (Lectures by G.
Abi-Saab et al.), Uppsala, Dag Hammarskjöld Foundation, 1968, 2 vol.
International Crises and the Role of Law : The United Nations Operation in the
Congo 1960-1964, Oxford University Press, 1978, 206 pages.
«Wars of National Liberation in the Geneva Conventions and Protocols», Aca-
démie de droit international, Recueil des cours, tome 165 (1979-IV),
pp. 353-445.
Le concept d'organisation internationale (G. Abi-Saab, dir. pubi.), Paris,
Unesco, 1980, 292 pages. (Edition anglaise révisée, 1981.)
«Progressive Development of the Principles and Norms of International Law
Relating to the New International Economic Order: Analytical Study», dans
Nations Unies, Documents officiels de l'Assemblée générale, doc. A/39/
504/Add.l, 23 octobre 1984, pp. 28-111.
Articles et études
«The Newly Independent States and the Scope of Domestic Jurisdiction», Proceed-
ings of the American Society of International Law, vol. 54 ( 1960), pp. 84-90.
«Nationality and Diplomatic Protection in Mandated and Trust Territories»,
Harvard International Law Journal, vol. 3, n° 2 (1962), pp. 44-76.
« The Newly Independent States and the Rules of International Law », Howard
Law Journal, vol. 8, n°2 (1962), pp. 94-121.
«Peaceful Change and the Integration of the Newly Independent States in the
International Community», Yearbook of the AAA, vol. 32/33 (1962-1963),
pp. 172-178.
The United Nations Conference on Trade and Development : The Issues and their
Significance, Dag Hammarskjöld Foundation, Uppsala, 1968, 36 pages; ver-
sion italienne dans // Risparmio, vol. 17, n° 2 (Feb. 1969), pp. 197-230.
Law and Economic Development, National Institute of Administration, Beyrouth,
1968, 41 pages.
« The Role of Law in the Process of Development, with Special Reference to the
Transfer of Technology to Underdeveloped Countries », dans Nader et Zahlan
(dir. pubi.), Science and Technology in Developing Countries, Cambridge Uni-
versity Press, 1968, pp. 493-519.
«The Development of International Law by the United Nations», Revue égyp-
tienne de droit international, vol. 24 (1968), pp. 94-103.
« The International Law of Multinational Corporations : A Critique of American
Legal Doctrines», Annales d'études internationales, Genève, vol. 2, 1971,
pp. 97-122.
«Innerer Wandel und Internationale Rechtsordnung: Eine Perspektive der Dri-
tten Welt», dans Walther (dir. pubi.), Recht und Sozialer Umbruch, Francfort,
O. Lembeck, 1971, pp. 21-36.
«Wars of National Liberation and the Laws of War», Annales d'études interna-
tionales, Genève, vol. 3, 1972, pp. 93-117.
«Le renforcement du système d'application des règles de droit humanitaire»,
Revue de droit pénal militaire et de droit de la guerre, Bruxelles, vol. 12, 1973,
pp. 223-240.
26 Georges Abi-Saab
«The Third World and the Future of the International Legal Order», Revue égyp-
tienne de droit international, vol. 29, 1973, pp. 27-66.
«Wars of National Liberation and the Development of Humanitarian Law»,
Declarations on Principles : A Quest for Universal Peace. Liber Amicorum
Disciplorumque Dr. Bert V. A. Rating, Leyde, Sijthoff, 1977, pp. 143-170.
«Les guerres de libération nationale et la Conférence diplomatique sur le droit
humanitaire», Annales d'études internationales, Genève, 1977, vol. 8, pp. 63-
78.
«Les mécanismes de mise en œuvre du droit humanitaire», Revue générale de
droit international public, Paris, 1978, LXXXII, pp. 103-129.
«The Implementation of Humanitarian Law », dans Cassese (dir. pubi.), The New
Humanitarian Law of Armed Conflicts, Naples, Editoriale Scientifica, 1979,
pp. 310-346.
«The Legal Formulation of a Right to Development», dans Dupuy (dir. pubi.),
Le droit au développement au plan international, colloque 1979, Académie de
droit international de La Haye, pp. 159-175.
«El derecho al desarrolo: interpretación juridicia», Revista del derecho indus-
trial, Buenos Aires, 5 e année, janvier-avril 1983, n° 13, pp. 7-23.
«The Specificities of Humanitarian Law», Etudes et essais sur le droit humani-
taire et sur les principes de la Croix-Rouge, en l'honneur de Jean Pictet,
Genève, La Haye, CICR, Martinus Nijhoff, 1984, pp. 265-280.
«La nouvelle Convention sur le droit de la mer en tant qu'accord de produits de
base» (avec Lucius Caflisch), Mélanges Georges Perrin, Lausanne, Payot,
1984, pp. 21-50.
«Grotius As a System Builder: The Example of the Jus Ad Bellum», Grotius et
Vordre juridique international (travaux du colloque Hugo Grotius, Genève,
10-11 novembre 1983), Lausanne, Payot, 1985, pp. 80-88.
«Wars of National Liberation and the Laws of War Ten Years After», dans R.
Falk, F. Kratochwil and S. Mendlovitz (dir. pubi.), International Law: A
Contemporary Perspective, Boulder, Colorado, et Londres, Westview Press,
1985, pp. 410-437.
«Les conflits de caractère non international», Les dimensions internationales du
droit humanitaire, Paris, Pedone (pour l'Unesco et l'Institut Henry Dunant),
1986, pp. 251-277.
«Respect des normes humanitaires dans les conflits internationaux: guerres
interétatiques et guerres de libération nationale», La guerre aujourd'hui: défi
humanitaire. Paris, Berger Levrault, 1986, pp. 97-134.
«Respect of Humanitarian Norms in International Conflicts : Interstate Wars and
Wars of National Liberation », Modern Wars. The Humanitarian Challenge,
Londres, Zed Books, 1986, pp. 60-85.
« La coutume dans tous ses états, ou le dilemme du développement du droit inter-
national général dans un monde éclaté», Le droit international à l'heure de sa
codification. Etudes en l'honneur, de Roberto Ago, Milan, Giuffrè, 1987,
vol. I, pp. 53-65.
« The Role of International Law in the Peace Strategy of the Charter », Is Univer-
sality at Jeopardy ? (Report of a Symposium Organized by the United Nations
in Connection with the Commemoration of the Fortieth Anniversary of the
Organization, Geneva, 16-17 December 1985), New York, United Nations,
1987, pp. 35-49.
«Le rôle du droit international dans la stratégie de paix de la Charte», L'univer-
salité est-elle menacée ? (rapport d'un colloque organisé par l'ONU à l'occa-
sion du quarantième anniversaire de l'Organisation, Genève, 16-17 décembre
1985), New York, Nations Unies, 1987, pp. 35-50.
« Non-International Armed Conflicts », International Dimensions of Humanita-
rian Law, Genève, Institut Henry-Dunant, Paris, Unesco, Dordrecht, Martinus
Nijhoff, 1988, pp. 215-239.
«The Concept of "International Crime" and its Place in Contemporary Interna-
Cours général de droit international public 27
AVANT-PROPOS
CHAPITRE I
MÉTHODES D'APPROCHE
selon cette école, c'est l'existence d'un juge, d'une instance, d'un
processus autorisé de décision. La norme n'est pas la prémisse
majeure mais le produit final de ce processus; et elle est toujours
individuelle (bien qu'elle puisse servir de base de prédiction pour
l'avenir). Elle n'est que la variable dépendante et non pas le para-
mètre de ce processus.
Ce n'est pas par hasard si cette école a vu le jour dans un pays de
common law, un droit d'origine judiciaire (et si elle compte des
juges illustres parmi ses adeptes tel Oliver Wendell Holmes). Et mal-
gré ses faiblesses évidentes et ses exagérations, elle peut à la limite
s'accommoder à la notion de droit comme ensemble de règles, car la
common law nous fournit le suprême exemple, à travers le principe
du stare decisis, de la conversion des décisions judiciaires particu-
lières en règles générales. De plus, ces mêmes règles sont inhérentes
à l'idée de «prédictions de droit». Il s'agit en fin de compte d'une
controverse sur les sources des règles plutôt que sur leur existence.
De toute manière, que le droit émane du législateur ou du juge, il
s'agit dans les deux cas d'organes du système juridique en tant que
tel, ayant une certaine autonomie par rapport aux justiciables. Et
l'examen aussi bien de leur processus de décision que ces décisions
elles-mêmes sont deux manières ou deux angles différents d'appré-
hender ce système.
pour les adeptes de cette école, les normes sont des propositions
ouvertes (open textures) qui s'accommodent d'une infinité d'inter-
prétations. Ce qui fait la spécificité du droit et constitue son essence,
ce ne sont pas les règles qui se prêtent à des utilisations contradic-
toires, mais le processus qui permet la prise des décisions autorisées.
Il s'agit donc de la manière de procéder dans la prise de la décision,
dans sa présentation et dans sa justification.
A la différence de l'école «réaliste», il ne s'agit pas ici du proces-
sus de décision du juge (ni a fortiori du législateur qui n'existe pas
sur le plan international), mais de tout «décideur», c'est-à-dire de
tous ceux qui sont habilités à agir sur le plan international, et qui
sont en premier lieu les Etats. C'est un déplacement d'accent signi-
ficatif du processus de décision des organes du système juridique
vers celui des sujets de droit, et qui nous projette sur le terrain de
l'auto-interprétation, un terrain semé d'embûches.
Ainsi, pour cette école, le test de la licéité d'une décision ou d'un
acte est sa conformité avec les objectifs fondamentaux de la commu-
nauté internationale, ou avec les attentes légitimes ou partagées
(legitimate or shared expectations). Mais c'est l'acteur ou le déci-
deur lui-même qui juge cette compatibilité. Ce qui amène le profes-
seur McDougal, dans un fameux article sur la licéité des essais
nucléaires en haute mer (un usage privatif, du moins pour une
longue période, de la res communis), à dire que si ces essais se font
dans le but de défendre et de promouvoir la dignité humaine (ce qui
s'appliquait d'après lui aux essais américains), ils étaient licites,
mais que si leur but ultime est l'asservissement de cette dignité
humaine (ce qui était le cas, à ses yeux, des essais soviétiques), ils
ne l'étaient plus 7 .
Est-il besoin de souligner les dangers d'une telle approche, selon
laquelle ce qui compte réellement n'est pas la conformité de la déci-
sion ou du comportement social avec un standard externe et objecti-
vement determinable, qui est la norme, mais plutôt le style et la
manière dont on échafaude et on présente la justification de cette
décision ou de ce comportement? A la limite, et par reductio ad
absurdum, toute décision ou comportement serait licite, ou conforme
au droit selon cette école, si on peut le justifier dans un «style» juri-
dique, c'est-à-dire en utilisant un langage juridique et des arguments
7. Myres S. McDougal, «The Hydrogen Bomb Test and the International Law
of the Sea», AJIL, 49 (1955), pp. 356-361.
Cours général de droit international public 39
Cela ne veut pas dire que l'aspect normatif épuise tout le phéno-
mène ou l'univers juridique. Car, si nous ne voyons dans le droit
qu'un ensemble de normes, de sérieux problèmes subsisteront pour
appréhender le contenu des normes et pour évaluer leur effet social,
c'est-à-dire leur emprise réelle sur le comportement et le milieu
social.
1. La langue
2. Le système juridique
PREMIÈRE PARTIE
LE DROIT INTERNATIONAL
DANS SON ENVIRONNEMENT
CHAPITRE II
ORIGINES ET ÉVOLUTION
A cet égard, il faut préciser ce que nous entendons ici par droit
international. S'agit-il du droit international dans un sens générique,
englobant tous les systèmes historiquement connus de droit entre
communautés humaines organisées, ou d'un certain droit interna-
tional dans le sens d'un ordre ou d'un système juridique spéci-
fique ?
En effet, selon la fameuse maxime romaine, ubi societas, ibi jus,
là où il y a société, c'est-à-dire un réseau de rapports sociaux relati-
vement stables, le droit fait son apparition d'une manière ou d'une
autre. Et c'est un fait historique que chaque fois que des communau-
tés humaines se sont organisées et que ces communautés sont entrées
en contact de manière récurrente, qu'il soit pacifique ou violent (pro-
bablement violent d'abord, pacifique ensuite), certaines normes ont,
consciemment (par accord) ou inconsciemment (par voie coutu-
mière) fini par faire leur apparition, normes que nous pouvons consi-
dérer d'une certaine manière comme des règles de droit internatio-
nal. Ainsi, l'un des premiers traités que nous connaissons est celui
conclu par Ramsés II avec le roi des Hittites, au XIIIe siècle avant
46 Georges Abi-Saab
sujets qui s'est établie à travers cette paix et qui a donné lieu à un
mécanisme qui, en intégrant les éléments disparates déjà existants ou
en gestation, a pu digérer l'aspect normatif de ce riche héritage intel-
lectuel, et a commencé à le gérer de manière nouvelle, selon le
double paramètre de la souveraineté et de Végalité.
C'est cette transformation radicale, ce saut qualitatif, dans l'agen-
cement juridique des relations internationales, qui constitue le point
à partir duquel les linéaments du système actuel commencent à appa-
raître de manière claire, bien qu'il ait subi depuis lors beaucoup de
secousses et de modifications.
Ainsi, qu'on considère le système issu de la paix de Westphalie
comme un système nouveau ou simplement renouvelé, bien que de
manière radicale, cette paix marque un tournant suffisamment essen-
tiel et lointain pour ne pas remonter au-delà.
Cela ne veut pas dire non plus que ce système était le seul à exis-
ter à ce moment-là. Car avant et même après cette période, d'autres
systèmes de droit international existaient ou ont continué d'exister
dans d'autres régions du monde, et même à ses propres portes.
Mais comment peut-on affirmer que ce système régional de droit
international, qui s'est cristallisé il y a quelques trois siècles et demi
en Europe dans un univers matériel, mental et social radicalement
différent du nôtre, est le même ou l'ancêtre direct de notre système
universel de droit international ? Pour répondre à cette question, il
nous faut examiner rapidement comment ce système a évolué depuis
cette période pour devenir ce qu'il est aujourd'hui; et cela sur deux
plans :
a) La pratique
16. Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales, vol. 2, p. 829 (Max Huber,
arbitre unique).
52 Georges Abi-Saab
b) Le rôle de la « reconnaissance »
22. Dans sa première édition de 1905, Oppenheim formule ainsi les conditions
d'admission dans la «famille des Nations» :
«A State to be admitted must, first, be a civilised State which is in
constant intercourse with members of the Family of Nations: Such a State
must expressly or tacitly consent to be bound for its future international
conduct by the rules of international law; and those States which have
hitherto formed the Family of Nations must expressly or tacitly consent to the
reception of the new member.» (L. Oppenheim, International Law, vol. 1,
Londres, Longman's Green, 1905, p. 32; l'italique est de nous.)
Les deux dernières conditions reflètent la forte approche volontariste qui régnait à
l'époque. C'est par le biais de son aspect d'«acte de volonté constitutif» que la
reconnaissance a paradoxalement servi d'instrument d'exclusion de la commu-
nauté internationale, permettant aux puissances européennes d'«excommunier»
les anciennes communautés afro-asiatiques avec lesquelles elles avaient traité
pendant les deux siècles précédents plus ou moins sur un pied d'égalité. (Cf.
Charles Henry Alexandrowicz, «Doctrinal Aspects of the Universality of the Law
of Nations», BYBIL, 37 (1969), p. 508.)
Cours general de droit international public 55
25. James Lorimer, The Institutes of International Law, publié en 1883, abrégé
et traduit par Nys sous le titre Principes de droit international (1888), p. 69.
26. Franz von Liszt, Völkerrecht, publié en 1898. Cf. Antonio Truyol y Serra,
«L'expansion de la société internationale aux XIXe et XXe siècles», RCADI,
tome 116(1965-111), p. 149.
27. John Westlake, International Law, 2e éd., Cambridge University Press,
1910, p. 40 (la première édition date de 1904); L. Oppenheim, op. cit. supra
note 21, p. 42.
28. La citation est reprise dans sa traduction par Truyol y Serra, op. cit. supra
note 26, p. 149.
29. Voir par exemple Von Liszt, ibid., p. 150; Oppenheim, op. cit. supra
note 21, p. 42:
« The Law of Nations, as a law between States based on common consent
Cours général de droit international public 57
of the members of the Family of Nations, naturally does not contain rules
concerning the intercourse with and treatment of such States as are outside
that circle . . . (7 is discretion and not International Law, according to which
the members of the Family of Nations deal with such States as still remain
outside that Family. » (L'italique est de nous.)
30. Bert Roling, International Law in an Expanded World, Amsterdam, Djama-
batan, 1960.
58 Georges Abi-Saab
36. Prolégomènes XXIX (traduction libre de l'auteur pour les mêmes raisons
que celles mentionnées dans la note précédente). Grotius parle ici du droit de la
guerre et non du droit international général. Pour son rôle dans l'articulation du
système en général, voir G. Abi-Saab, «Grotius As a System-Builder, The
Example of the Jus Ad Bellum», Grotius et Vordre juridique international (tra-
vaux du colloque Hugo Grotius, Genève, 10-11 novembre 1983, édités par A.
Dufour, P. Haggenmacher et J. Toman), Lausanne, Payot, 1985, pp. 80-88.
Cours general de droit international public 65
nauté des Etats. C'est la lutte entre ces deux approches et l'équilibre
mouvant entre elles qui font la «dynamique» du droit international,
ou les forces dialectiques en son sein, et qui déterminent sa physio-
nomie à un moment donné.
Cependant, avant de nous tourner vers les facteurs qui influent sur
cet équilibre mouvant, il faut commencer par le commencement,
c'est-à-dire par la position centrale et privilégiée de l'Etat dans le
système.
67
CHAPITRE III
SPÉCIFICITÉ DU SYSTÈME:
LA POSITION DOMINANTE DE L'ÉTAT
1. L'établissement de la compétence
En premier lieu, en ce qui concerne l'emprise ou l'établissement
initial de la compétence, il s'agit là d'un fait primaire par rapport
auquel, faute de pouvoir le contrôler, le droit international classique
préfère rester sur sa réserve.
37. L'Etat peut cependant exercer son pouvoir d'exécution dans les espaces
libres, tels la haute mer ou l'espace extra-atmosphérique, sur les vaisseaux battant
son pavillon.
Cours général de droit international public 75
à ces questions, l'Etat n'a pas une liberté totale de choix et d'action
et qu'il doit effectuer ses choix ou exercer ses pouvoirs de manière
compatible avec les exigences du droit international en la matière.
Y a-t-il à cet égard, de par leur nature même, des domaines ou des
«espaces de liberté» qui se situent en dehors de telles limites? C'est
la question du «domaine réservé» qui a donné lieu a beaucoup
d'exégèses et de controverses depuis qu'elle a été introduite pour la
première fois dans le Pacte de la Société des Nations. Le droit inter-
national classique, de par sa dénomination même, tant qu'il était
perçu comme un phénomène purement inter- (et non intra) étatique,
c'est-à-dire se déroulant ou se situant dans une sorte de limbes ou
d'espace entre les Etats, ou sur la marge extérieure des boules de
billard étatiques, suggérait que tout ce qui se passait à l'intérieur de
l'Etat lui était indifférent ou hors de sa portée et constituait par
conséquent un «espace de liberté» ratione materiae pour l'Etat.
C'est ce qui correspond plus ou moins à la notion des «affaires inté-
rieures» qui peuvent être présentées comme un noyau dur entouré
d'une pénombre ou d'une zone de transition qui le sépare d'un troi-
sième cercle, celui des «affaires extérieures», apanage du droit
international.
Le noyau dur recouvrirait la constitution et la consistance de
l'Etat lui-même. Car si l'on définit le «fait primaire», ainsi que nous
l'avons proposé, comme une population organisée souverainement
sur un territoire, le noyau dur peut être succinctement formulé en
termes d'un droit souverain d'«auto-organisation». Conçu stricto
sensu ce droit implique une totale liberté de choix de l'appareil et
des orientations étatiques: structures et formes de gouvernement,
choix du système politique, juridique, économique et culturel, type
de rapports avec les citoyens, etc.; un droit qui a été maintes fois
réaffirmé dans les grandes résolutions normatives de l'Assemblée
générale, telle la résolution 2625 (XXV) de 1970, qui stipule que:
«chaque Etat a le droit inaliénable de choisir son système poli-
tique, économique, social et culturel sans aucune forme d'ingé-
rence de la part de n'importe quel Etat» 38 .
39. C/J Recueil 1975, p. 43, par. 94: «De l'avis de la Cour, aucune règle de
droit international n'exige que l'Etat ait une structure déterminée.»
40. CPJI série B n" 4 (1923), p. 24.
78 Georges Abi-Saab
41. Cela répond à certaines voix qui se sont élevées récemment dans la
doctrine française, pour mettre en question ou du moins exprimer un scepticisme
marqué à l'égard de la «systématicité» du droit international. Voir, par exemple,
Jean Combacau, «Le droit international: bric-à-brac ou système?» Archives de
philosophie du droit, 31 (1986), pp. 85-105 ; Serge Sur, «Système juridique inter-
national et utopie», Archives de philosophie du droit, 32 (1987), pp. 35-45.
80 Georges Abi-Saab
42. Cela ne veut pas dire que l'Etat puisse, par sa seule reconnaissance, ériger
n'importe quelle entité en sujet de droit international. Il s'agit là d'un saut logique
ou d'un pas qu'il ne faut pas franchir, mais qui est malheureusement parfois
franchi, comme dans la sentence arbitrale Texaco Calasiatic de 1977 (JDI (Clu-
net), 104 (1977), pp. 350-389; p. 369, par. 66). Car la reconnaissance doit porter
sur une entité «reconnaissable» juridiquement, c'est-à-dire qui correspond à un
type ou à une catégorie de sujets établi en droit international général.
Cours general de droit international public 81
CHAPITRE IV
/. L'Etat
Prenons l'Etat en premier lieu. Nous sommes passé de l'Etat post-
féodal du XVIIe siècle à l'Etat libéral du XIXe, puis à l'Etat social du
XXe. Et à chaque étape les idées, les sciences et les techniques ont
Cours général de droit international public 85
//. L'environnement
d'échange. Or, pour que ces moyens donnent leur plein rendement, il
fallait «laisser faire» les forces du marché, c'est-à-dire l'interaction
des opérateurs économiques, sans intervention ni obstacles de la part
de l'Etat à l'intérieur comme à l'extérieur.
La dimension extérieure ou internationale devient cruciale, car en
rendant possible cette intensification des activités économiques, les
nouvelles techniques ont étendu par là même l'échelle optimale de
leur opération bien au-delà de l'assise territoriale de la plupart des
Etats. Elles ont ainsi posé comme nouvel impératif catégorique, qui
s'est réalisé progressivement au cours du XIXe siècle, l'existence
d'une économie internationale à l'échelle mondiale, fondée sur une
division internationale du travail, surtout entre producteurs de
matières premières et ceux de produits finis.
b) La révolution de la communication
46. Au début de notre ère, la population mondiale s'élevait, selon les estima-
tions actuelles, à 200 millions. Il lui a fallu seize siècles pour arriver, autour de
1600, à un demi-milliard. En 1900, elle s'élevait à 1 milliard 600 millions. Voir
Colliers Encyclopedia, vol. 19, pp. 248-253 (édition de 1980) («Population», par
T. H. Hollingsworth).
Cours général de droit international public 91
///. Le système
1. L'approche unilatérale:
l'extension des compétences étatiques et ses limites
a) L'extension des compétences
Face à l'intensification des activités de l'homme et des rapports
entre les hommes, rendue possible par les progrès techniques les
plus récents, et étant donné la tendance de l'Etat à jouer un rôle
grandissant dans toutes les activités sociales, les Etats ont réagi en
94 Georges Abi-Saab
b) Les limites
47. Il suffit de penser, par analogie avec le droit interne, à l'extrême complexité
et à la grande variété des règles des conflits de lois et de juridictions en droit inter-
national privé; avec la complication additionnelle ici que leur application ne serait
pas nécessairement confiée en dernière instance à un juge.
96 Georges Abi-Saab
48. L'Etat peut resserrer les mailles de son filet, en y mettant le prix en termes
de ressources, d'efforts et d'isolement matériel et politique, tâche qui devient de
plus en plus onéreuse et difficile sinon impossible avec l'évolution des techniques
de communication. Mais il renoncerait par là même et de façon proportionnelle
aux grands avantages de l'intégration dans ces circuits.
Cours général de droit international public 97
a) Origines et évolution
L'approche collaborative a été suivie depuis le XIXe siècle déjà
pour répondre aux problèmes de type global posés par la révolution
industrielle. Son instrument privilégié, le traité multilatéral, était non
seulement un «traité-loi» véhiculant une réglementation juridique de
type nouveau, mais également un traité « organique » fournissant une
infrastructure institutionnelle qui sous-tend et «gère» cette régle-
mentation. Il s'agit là de la première génération d'organisations
internationales. Cette approche, fondée sur des solidarités partielles,
est suivie chaque fois qu'un besoin ou un intérêt commun est suffi-
samment ressenti.
Mais, là aussi, les tendances sont contradictoires. On observe
d'une part que cette approche s'est répandue, surtout après la
seconde guerre mondiale, comme l'atteste la prolifération des orga-
nisations internationales ; que ces organisations occupent de plus en
plus de terrain ratione materiae; qu'elles ont tendance à étendre
leurs compétences et leurs pouvoirs, et surtout à passer des questions
sectorielles, techniques et spécialisées, à celles qui occupent le
centre, ou même l'avant-scène, du droit international, par l'applica-
tion de cette nouvelle approche — dans le Pacte de la Société des
Nations et surtout dans la Charte des Nations Unies — aux pro-
blèmes de la paix et de la sécurité internationales. Après tout y a-t-il
un intérêt ou un bien qui soit plus commun et plus primordial ? Plus
les Etats font appel à cette approche en utilisant les organisations
internationales, plus celles-ci essaient de s'affermir vis-à-vis des
Etats et de remplir, à travers leurs propres organes, les fonctions du
système juridique international, en lieu et place de leur «auto-
accomplissement» par les Etats, agissant uti singuli.
b) Les limites
Cette approche, aussi séduisante qu'elle apparaisse au départ, se
heurte cependant plus ou moins rapidement à des obstacles et suscite
des résistances et des contre-courants qui s'expliquent principale-
ment par deux raisons.
i) Les limites des notions de « solidarité» et d'« interdépendance »
La première raison se rapporte à la présomption qui est à la base
même de cette approche: la solidarité issue d'un besoin ou d'un inté-
98 Georges Abi-Saab
50. Il faut bien garder en vue qu'il ne s'agit pas là de la «solidarité par simili-
tude» (ou «solidarité mécanique») de Durkheim qui caractérise les sociétés pri-
mitives, relativement non différenciées, précédant les sociétés modernes ou indus-
trielles où prédomine la division du travail social. La solidarité par similitude est
issue de ressemblances donnant lieu à des états de conscience communs à tous les
membres de la société, ce qui engendre un droit «répressif» de toute déviation ou
transgression. En revanche, les besoins et intérêts communs envisagés dans le
texte sont eux-mêmes l'issue d'un degré très poussé de division du travail.
100 Georges Abi-Saab
Les Etats ont un autre motif, bien plus impérieux encore de leur
point de vue, qui aiguise leur résistance à l'approche collaboratrice.
Car, comme nous l'avons déjà vu, à l'origine et à la base même du
système actuel du droit international nous trouvons la négation radi-
cale par l'Etat de toute instance de décision qui lui soit supérieure et
sa monopolisation du pouvoir comme étalon de sa souveraineté,
même s'il reconnaît sa soumission aux règles de droit international.
Or, l'approche collaborative implique nécessairement une prise de
décision en commun, ou par des organes communs, ce qui veut dire
que le pouvoir de décision échappe à la compétence unilatérale des
Etats, pour intégrer celle des organes collectifs ou centralisés. Une
perte de pouvoir que les Etats acceptent plus facilement, mais tou-
jours à contrecœur, quand il s'agit d'une délégation ponctuelle
comme dans l'arbitrage, ou à la limite sectorielle, dans des domaines
techniques et spécialisés. Mais ils l'acceptent avec beaucoup plus de
difficulté et d'autant plus de résistance lorsqu'on s'approche de
l'essentiel, c'est-à-dire des questions de guerre et de paix et de ce
qu'ils considèrent comme étant les ressorts de leur pouvoir politique
et militaire, ainsi qu'économique et technologique. C'est ce qui
explique les importantes difficultés rencontrées et les résultats miti-
gés obtenus jusqu'ici dans l'application de cette approche par la
Société des Nations et par les Nations Unies aux problèmes de la
paix et de la sécurité internationales. Cela explique également les
difficultés auxquelles s'est heurté tout effort sérieux pour traiter de
cette manière les conflits de répartition des valeurs dans la commu-
nauté internationale; sauf évidemment lorsque cela peut servir,
comme dans la crise du Golfe, les intérêts politiques des puissances
dominantes, en leur apportant le sceau de la «légitimité collective»,
comme on le verra plus loin.
tional, opérant par action et réaction unilatérales des Etats, est trop
rudimentaire pour faire face à la complexité, à l'imbrication et à la
mondialisation croissantes de tous les aspects de la vie sociale, et,
par là même, au dépassement de l'Etat. On en revient ainsi au thème
de la correspondance entre la densité normative et la densité institu-
tionnelle du système.
Dans ces conditions, nous avons objectivement besoin d'un sys-
tème juridique plus «activiste» ou «directif», au niveau des règles
et de leur application, pour résoudre les problèmes de plus en plus
complexes que ces développements engendrent et les chevauche-
ments de compétences et les conflits de répartition qui s'ensuivent;
autrement dit un droit ou un système juridique conçu en fonction de
ces problèmes, se situant à l'échelle et au niveau de leur complexité,
plutôt qu'un droit à la traîne des faits et des confrontations, qui ne
fait qu'enregistrer passivement les rapports de force entre les
acteurs, au lieu de leur fournir des réponses adéquates aux pro-
blèmes auxquels ils sont confrontés.
D'autre part, l'Etat essaie de préserver ce système et surtout sa
position privilégiée dans son sein, en étendant de plus en plus ses
propres compétences pour faire face aux nouveaux problèmes et à
leur complexité croissante. Mais plus il avance dans cette direction,
plus il s'étire, se disperse, perd de son efficacité et devient vulné-
rable, tout en ajoutant à la complexité et au chevauchement, c'est-
à-dire aux problèmes qu'il essaie de résoudre en ce faisant. En même
temps, il est de plus en plus dépassé par les flux transnationaux qu'il
n'arrive plus à contrôler et par les problèmes de type global qu'il ne
parvient pas à résoudre unilatéralement.
A ce sentiment de frustration, de perte de maîtrise et d'efficacité
et à la menace d'un rétrécissement progressif de sa marge de liberté
et de manœuvre, l'Etat réagit par sursauts, par des réaffirmations
appuyées, et souvent exagérées, de la souveraineté (non seulement
de la part des Etats qui viennent d'y accéder, mais autant, sinon plus,
de la part des anciens) et par une résurgence d'un volontarisme
excessif, qui se manifeste également au niveau doctrinal.
Il est vrai que l'Etat reste l'élément incontournable du système
par lequel tout ou presque doit formellement passer. Mais s'il garde
en main le levier de décision, il ne s'agit plus du bon vouloir d'un
souverain arbitraire mais du calcul d'un décideur rationnel, face à
des choix de plus en plus limités (avec de moins en moins de
«degrés de liberté» (degrees of freedom), au sens technique du
Cours general de droit international public 103
52. Cette dichotomie recoupe très largement celle proposée par Wolfgang
Friedmann entre le «droit international de coexistence» et le «droit international
de coopération»; dichotomie sur laquelle nous reviendrons longuement dans la
troisième partie de ce cours.
105
DEUXIÈME PARTIE
CHAPITRE V
55. Il faut préciser également que le terme «système» n'est pas utilisé ici dans
le sens de ('«esprit de système», si sévèrement critiqué par Charles De Visscher
(«Méthode et système en droit international», RCADI, tome 138 (1973-1), pp. 75-
79). De Visscher entend par là une «méthode conceptuelle», ou une vision sub-
jective, qui — pour «faire scientifique» — réduit le droit à «un ordre technique
formel [et] le dépouille de ce qui ... lui est essentiel: sa finalité» {ibid., p. 75). Il
vise notamment, et nommément, par cette critique la théorie pure du droit de Hans
Kelsen, analysée ci-dessous dans une optique très proche de celle de Charles De
Visscher. «Système» est utilisé ici simplement pour désigner un phénomène
social objectif et observable qu'on pourrait appeler «le droit» tout court; mais si
nous privilégions cette utilisation, c'est pour faire ressortir son caractère collectif
ainsi que l'aspect interdépendant et interactif de ses éléments; ce qui n'exclut
aucunement son caractère téléologique. Il s'agit cependant d'un ensemble, et non
d'une règle isolée, qui tend vers sa finalité avec toute la pesenteur et les limites
d'un ensemble.
108 Georges Abi-Saab
56. Ce n'est pas par hasard que les internationalistes sont surreprésentés parmi
les théoriciens et les philosophes de droit; peut-être parce que l'étude des cas
limites incite à clarifier la nature et les caractéristiques, c'est-à-dire l'essence, du
phénomène ou de la catégorie générique auxquels ils appartiennent.
Cours général de droit international public 109
57. Hans Kelsen, Théorie pure du droit (2e éd., traduite par Ch. Eisenmann),
Paris, Dalloz, 1962, p. 13.
110 Georges Abi-Saab
65. Par exemple, Tomaso Perassi et Roberto Ago. Cf. P. Ziccardi, «Règles
d'organisation et règles de conduite en droit international», RCADI, tome 152
(1976-IV), pp. 123-375.
116 Georges Abi-Saab
a) Kelsen
Ainsi, pour Kelsen66, le droit international correspond à sa défini-
tion du système juridique en tant qu'«ordre de contrainte de la
conduite humaine», parce qu'il réagit contre les actes illicites, c'est-
à-dire contraires à ses normes, par des sanctions (n'oublions pas que
la sanction est un élément constitutif de la norme chez Kelsen). Et
cela même si la plupart des normes du droit international ne sont pas
des normes autonomes qui spécifient leur propre sanction, mais des
normes non autonomes qui dépendent d'autres normes pour définir
leur sanction. Ces dernières sont celles qui prescrivent les sanctions
générales en droit international, à savoir, les représailles et la guerre.
Car même la guerre, qui est un recours généralisé à la violence, ne
peut être un acte « neutre » en droit (comme le prétend la théorie de
l'indifférence qu'on examinera plus loin); elle ne peut qu'être une
violation ou une sanction du droit. Mais à la différence des ordres
étatiques, le droit international ressemble au droit des sociétés primi-
tives, c'est-à-dire à un droit sans organes spécialisés pour la création,
l'application et éventuellement la sanction de ses règles. C'est l'Etat,
à la fois sujet et organe du système, qui applique les sanctions
lorsqu'il s'estime lésé.
b) Romano
Romano, quant à lui, considère également la sanction comme un
attribut ou un élément essentiel du droit, qui dépasse cependant les
normes et se rapporte à l'ordre juridique dans son ensemble. Il
conçoit la sanction d'une manière plus large que Kelsen et plus déta-
chée du caractère purement coercitif. Pour Romano, il s'agit davan-
tage d'une garantie qui entoure la règle de droit, qu'elle soit «directe
ou indirecte, assurée ou seulement probable, partant incertaine, mais
toujours, en un sens, préétablie et organisée au sein même de l'ordre
juridique». Elle ne doit pas pour autant être l'objet d'une norme spé-
cifique, mais peut, au contraire, être «immanente, latente dans les
rouages mêmes de l'appareil organique que constitue l'ordre juri-
dique pris dans son ensemble» 67 .
Une notion aussi large de la sanction s'accommode bien du droit
international, auquel manque un pouvoir de sanction organisé de
manière centralisée68.
c) Hart
Enfin, Hart va encore plus loin, car, pour lui, les raisons qui expli-
quent le respect des règles du droit par les sujets sont multiples et ne
se ramènent pas toutes à la menace de la sanction69. La preuve en est
qu'il existe des règles et même des pans entiers du droit, tel le droit
constitutionnel, qui n'ont pas toujours de sanction, du moins pas de
sanction spécifique. Ils n'en relèvent pas moins du droit, car ce qui
compte c'est que la règle soit suivie par les sujets du système juri-
dique (aspect externe), et qu'elle le soit en tant que règle de droit et
pas autre chose, quelle que soit la raison psychologique ou la moti-
vation à la base de ce respect (aspect interne).
Par conséquent, l'absence en droit international de sanctions orga-
nisées de manière centralisée (centrally organized sanctions), ne le
disqualifie pas en tant que droit. De surcroît, si des sanctions maté-
rielles ou coercitives sont possibles et même nécessaires dans des
sociétés d'individus qui sont approximativement égaux en force phy-
sique et vulnérabilité, cela n'est pas le cas dans une société compo-
sée d'Etats, ce qui fait que les sanctions ajoutent peu aux autres fac-
teurs naturels de dissuasion, tels les risques et les enjeux des
violations et les besoins mutuels ou communs des Etats. Ce qui
compte — et c'est également un point que relève Romano — c'est
que les sujets du droit international pensent et parlent des prescrip-
tions exigées par ces règles comme obligatoires, et que quand ils les
méconnaissent ils ne se justifient pas en invoquant le caractère non
obligatoire de la règle violée, mais par d'autres arguments de fait ou
de droit qui ne mettent pas en question son existence juridique.
On arrive ainsi à l'autre interrogation à propos de l'ordre juri-
dique international se rapportant à son identification. Car si ce qui
compte est que les sujets de droit le perçoivent comme tel et se com-
portent en conséquence, il nous reste à éclaircir les raisons ou les
causes qui suscitent une telle perception.
70. Selon Kelsen, en droit interne, cette norme fondamentale hypothétique est
celle qui prescrit que la constitution doit être respectée. Pour ce qui est du droit
international, Kelsen admet qu'après l'avoir identifiée comme étant pacta sunt
servanda, il a changé d'avis, car même ce principe tire sa force d'un autre, qui ne
peut être que consuetudo est servanda (la coutume doit être observée) (op. cit.
supra note 57, pp. 289-293, notamment note 3 à la page 292).
120 Georges Abi-Saab
71. Ce dernier terme est utilisé par Romano (op. cit. supra note 58, p. 41,
par. 17), qui cite Triepel et Anzilotti. N'oublions pas que Triepel est l'auteur de la
théorie de la Vereinbarung, de la convention, ou accord général, qui se détache des
volontés individuelles qui la composent pour s'imposer à elles.
Cours general de droit international public 121
75. La question des sources est cruciale en ce sens que même si l'on arrive à
identifier et à s'accorder sur quelques principes substantiels qui conviendraient
particulièrement aux relations commerciales internationales (ce qui pourrait éven-
tuellement leur servir de « source matérielle »), cela ne suffirait pas (à moins qu'on
ne tombe dans l'erreur de la «génération instantanée») pour établir ni leur exis-
tence en droit ni leur appartenance à un ordre juridique déterminé, pas plus qu'à
un «tiers ordre»; en d'autres termes, pour leur servir de source formelle, source
qui demeure introuvable pour la lex mercatoria. Et si cette source formelle relève
d'un autre sysème juridique, alors les règles qu'elle engendre relèveraient égale-
ment de ce même système.
Ce n'est pas le moindre mérite du grand juriste américain Philip Jessup que
d'avoir défini — dans son livre Transnational Law (New Haven, Yale UP, 1956)
— ce droit par l'unité des objets sur lesquels portent ses règles («actions ou évé-
nements qui transcendent les frontières nationales», ibid. p. 2), tout en reconnais-
sant que ces règles relèvent de différents systèmes juridiques, c'est-à-dire sans
réclamer pour le compte de ce droit le statut d'un système ou d'un ordre juridique
à part.
124 Georges Abi-Saab
CHAPITRE VI
LA FONCTION LÉGISLATIVE
76. Dans son sens technique, le concept de « fonction » peut être défini comme
une tâche ou une mission bien circonscrite en termes de compétences et de pou-
voirs confiés à un organe déterminé, qui est chargé de les exercer comme un
devoir et non à titre de simple faculté, selon un schéma préétabli ; ce qui ne peut
exister que dans un système à constitution organique.
128 Georges Abi-Saab
fait que les normes ainsi adoptées deviennent par là même obliga-
toires vis-à-vis de tous leurs destinataires. Or, il est évident que ces
trois éléments font défaut pour ce qui est du droit international géné-
ral.
L'autre procédé de création et de développement conscients du
droit, l'accord, n'est malheureusement à cet égard qu'un instrument
imparfait, car il ne peut avoir qu'un effet relatif limité aux parties; il
lui manque ainsi l'effet législatif. Il ne peut servir que comme instru-
ment d'ordonnancement juridique des rapports interpersonnels et
non transpersonnels ou impersonnels, c'est-à-dire objectifs. La dis-
tinction entre traité-loi et traité-contrat, quoique très utile comme
explication théorique, l'est beaucoup moins au niveau opératoire. Il
est significatif à cet égard que la Conférence de Vienne sur le droit
des traités de 1968-1969 n'ait pas suivi la proposition visant à distin-
guer les «traités plurilatéraux» (contrats) des «traités multilatéraux»
(lois) à vocation universelle.
Il ne reste que le processus inconscient de la coutume ; un proces-
sus qui a sécrété l'ossature et l'essentiel du droit international clas-
sique. Cependant, il s'agit là d'une accretion normative impercep-
tible, se produisant inconsciemment, donc de manière non directive.
C'est un processus très lent qui est à la traîne des faits et qui sécrète
des normes parcellaires, éparpillées, au gré des circonstances, plutôt
que des canevas normatifs complets. De plus, ces normes sont impli-
cites, car induites directement du comportement social, et doivent
par conséquent être identifiées, explicitées et formulées par celui qui
les invoque ou les applique.
La coutume est ainsi très peu apte à répondre aux besoins en
règles générales d'une communauté internationale en pleine expan-
sion et mutation. Et cela non seulement pour intégrer et socialiser les
nouveaux venus dans les règles du système en transformation, mais
surtout pour faire face aux grandes mutations de son environnement.
Peut-on forcer le pas de la coutume? Peut-on l'accélérer, l'orien-
ter, la transformer en processus conscient? Y a-t-il d'autres voies
vers le droit international général? Et que faire si la réponse à ces
interrogations est négative, comme elle semble l'être, du moins for-
mellement ?
Etant donné les demandes pressantes de changement social — ou
plutôt de changement du droit pour faire face au changement social
— et les limites des mécanismes juridiques de changement, nous
retombons sur les moyens classiques ou traditionnels pour identifier,
Cours général de droit international public 129
1. La jurisprudence
que les précédents, surtout ceux des hautes juridictions, telle la Cour
de cassation, aient une grande valeur persuasive. Car la stabilité et la
protection des attentes légitimes sont des valeurs prisées dans tout
système juridique et militent en faveur d'une jurisprudence cons-
tante. Un juge ne commet pas une erreur de droit en refusant de
suivre un précédent d'un tribunal supérieur, fusse-t-il la plus haute
instance.
C'est cette dernière solution qui prévaut en droit international, par
nécessité et non par choix, en l'absence d'un pouvoir judiciaire à
proprement parler qui s'impose à tous les Etats et qui puisse leur
imposer les précédents comme obligatoires, et d'un système judi-
ciaire intégrant et établissant une hiérarchie entre les diverses juri-
dictions. Ainsi, les précédents judiciaires (ou arbitraux) n'ont qu'une
valeur indicative et ne s'imposent pas comme source formelle, c'est-
à-dire en tant que tels, de manière automatique et obligatoire, au
juge ou à l'arbitre international. Mais de là à dire qu'ils ne font
qu'éclairer la substance normative sans l'affecter ou y ajouter, il y a
un grand pas logique qu'il ne faut pas franchir, sous peine de faire
violence à la réalité objective ; et cela particulièrement dans un sys-
tème caractérisé par l'absence d'un pouvoir législatif centralisé77.
l'interpréter, car ils doivent agir en tant que juges. Or, la fonction du
juge est d'appliquer le droit et non pas de le créer ou de le changer.
Si la liberté d'interprétation du juge est très large — surtout par
rapport à la coutume non encore formulée que les tribunaux distillent
directement du comportement social — cette liberté n'est cependant
pas illimitée. Car si les tribunaux veulent garder leur crédibilité aux
yeux de leurs justiciables, notamment dans un système de juridiction
consensuelle, ils doivent s'astreindre à une certaine réserve inhérente
à leur fonction, la «réserve judiciaire» (judicial caution). C'est ce
qui explique certaines tendances dans le comportement des organes
juridictionnels, telle la tendance des tribunaux de ne pas traiter ce
qu'ils n'ont pas besoin de traiter pour trancher l'affaire en cours, ni
d'examiner tous les arguments formulés par les parties, c'est-à-dire
toutes les règles invoquées par elles à cette fin ; de même leur ten-
dance, notamment celle de la Cour internationale de Justice, de déci-
der les affaires sur la base juridique la plus étroite possible, et, en
général, de ne pas aller trop loin dans l'innovation judiciaire.
Ainsi, la Cour internationale de Justice (comme la Cour perma-
nente de Justice internationale avant elle) n'a pas fait grand usage —
en réalité presque pas du tout — des «principes généraux de droit
reconnus par les nations civilisées» de l'article 38, paragraphe 1,
lettre c), de son Statut, ce qui lui aurait permis d'étendre la régle-
mentation juridique internationale au-delà des traités et de la cou-
tume. Elle évite même, dans toute la mesure du possible, de baser
ses décisions sur des règles coutumières générales, et par conséquent
à avoir à se prononcer sur leur existence, sauf pour les plus évidentes
d'entre elles, qui peuvent être invoquées de manière purement axio-
matique; à moins évidemment qu'elle n'ait pas le choix, comme
c'était le cas dans l'affaire des Activités militaires et paramilitaires
au Nicaragua85.
Une illustration saisissante nous en est fournie dans l'affaire du
Droit de passage sur territoire indien86. Le Portugal a invoqué, pour
établir son droit de passage, quatre bases juridiques possibles: une
coutume universelle, un principe général de droit reconnu par les
nations civilisées, des arrangements conventionnels et des pratiques
bilatérales. La Cour s'est contentée de la dernière pour trancher
l'affaire, en la qualifiant de «coutume bilatérale». Elle a évité ainsi
85. Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua, CÌJ Recueil J986,
p. 14.
86. CU Recueil 1960, p. 6.
138 Georges Abi-Saab
2. La codification
a) Quatre acceptions
La codification est une activité juridique connue en droit interne
depuis la Haute Antiquité (code d'Hammourabi), mais sa transposi-
tion en droit international ne se fait pas sans ambiguïté ; ce qui nous
permet d'en identifier quatre acceptions différentes dans la littérature,
acceptions pas toujours différenciées d'ailleurs:
1) La codification stricto sensu: c'est l'instantané ou la version
photographique de la coutume qui n'opère qu'une simple mise en
mots de son contenu, sans rien ajouter, soustraire ou modifier; une
simple formulation et systématisation par écrit de sa substance nor-
mative qui n'affecte en rien ses prescriptions. C'est l'acception
anglo-américaine traditionnelle de la codification.
2) La codification lato sensu: elle intervient davantage sur la
coutume, en fournissant une présentation systématique et écrite des
règles, tout en remplissant les lacunes, en éliminant les chevauche-
ments et les contradictions et en les mettant à jour. C'est l'acception
civiliste de la codification.
Ces deux définitions sont fonction de la matière première (input)
de laquelle procède la codification. Les deux suivantes sont fonction
du produit final (output) auquel elle aboutit.
3) Certains, tel Y. L. Liang, premier directeur de la division de
codification des Nations Unies, préconisent une acception très large
de la codification qui — tout en englobant le développement pro-
gressif — se définit par son produit final, recouvrant, toujours selon
Liang, tous les traités multilatéraux adoptés dans les conférences
internationales depuis l'Acte final du Congrès de Vienne, et qui pro-
clament des principes de droit international obligatoires pour un cer-
tain nombre de parties88. Cette acception évoque la notion vague de
tion, et n'a pas essayé de la faire dans les projets d'articles qu'elle
prépare depuis lors 92 .
c) Avantages de la codification
Les avantages de la codification peuvent être résumés comme
suit:
1) La codification rend les règles plus claires et plus systéma-
tiques ; et cela sur le double plan de la preuve de l'existence même
des règles et de l'identification de leur contenu. En effet, le droit
coutumier, droit non écrit, est induit directement du comportement
social, ce qui laisse une très grande marge d'appréciation à l'inter-
prète pour constater l'existence des deux éléments de la coutume par
rapport à un comportement qui devient ainsi prescrit et pour établir
sa teneur normative exacte; au point où une vieille théorie de la cou-
tume considérait que la reconnaissance arbitrale (ou judiciaire) était
le troisième élément constitutif de la coutume. Théorie intenable sur
le plan logique, car elle présupppose une erreur judiciaire à la base
de chaque règle coutumière: la première fois que le tribunal la
reconnaît et l'applique comme règle coutumière, elle ne l'est pas
encore, étant donné qu'il lui manque un de ses éléments constitutifs,
qui est précisément cette même reconnaissance. Mais elle est révéla-
trice de l'ampleur et de l'importance du rôle de l'interprète face aux
incertitudes et aux controverses qui entourent le droit non écrit et
plus particulièrement les règles coutumières.
En fournissant une sorte d'interprétation authentique de ces
règles, tout en les transformant en règles écrites, la codification dis-
sipe ces incertitudes, et favorise la perception et l'application uni-
formes du droit.
2) En rendant les règles plus claires, la codification les rend plus
visibles et plus accessibles à de larges couches d'utilisateurs poten-
tiels.
3) En associant les Etats nouvellement indépendants à la refor-
mulation des règles du droit international et en répondant ainsi à leur
grief d'exclusion, la codification rend le produit de ce processus —
c'est-à-dire les règles codifiées ou le droit tout court — plus «accep-
table » psychologiquement et politiquement à leurs yeux.
92. Voir The Work of the International Law Commission, New York, Nations
Unies, 4 e éd., 1988, p. 15, et surtout note 28.
Cours général de droit international public 143
d) Désavantages de la codification
Cela ne veut pas dire que la codification n'a que des avantages.
Car, comme toute activité humaine, elle comporte des dangers et des
risques qui ont fait l'objet de maintes critiques à son égard.
1) La première de ces critiques est que la codification risque
d'étrangler le droit et d'arrêter son évolution. Elle remonte au
XIXe siècle, à Savigny et à son «école historique» en Allemagne,
pour qui le droit est, comme la langue, une émanation sociale directe
exprimant l'esprit du peuple (Volksgeist), son génie propre et sa
conscience juridique, à travers la coutume qui se module directement
94. Sir Cecil Hurst, «A Plea for the Codification of International Law on New
Lines», Transactions of the Grotius Society, 32 (1946), p. 151.
Cours général de droit international public 145
95. «En attendant qu'un code plus complet des lois de la guerre puisse être
édicté, les Hautes Parties contractantes jugent opportun de constater que,
dans les cas non compris dans les dispositions réglementaires adoptées par
elles, les populations et les belligérants restent sous la sauvegarde et sous
l'empire des principes du droit des gens, tels qu'ils résultent des usages éta-
blis entre nations civilisées, des lois de l'humanité et des exigences de la
conscience publique. »
146 Georges Abi-Saab
96. J. Stone, «On the Vocation of the International Law Commission», Colum-
bia Law Review, 57 (1957), pp. 16-51.
97. Loc cit. supra note 78.
150 Georges Abi-Saab
a) La notion de résolution
100. Procédure de vote applicable aux questions touchant les rapports et péti-
tions relatifs au Territoire du Sud-Ouest africain, CU Recueil 1955, pp. 118-119.
Cours général de droit international public 159
autre traité; alors que, s'ils ne figuraient pas dans le traité constitutif,
le développement de ces principes et de ces règles aurait bien pu
faire l'objet d'un traité.
103. Pour une première tentative d'un tel examen critique par l'auteur, voir G.
Abi-Saab, «La coutume dans tous ses états ou le dilemme du développement du
droit international général dans un monde éclaté», Le droit international à l'heure
de sa codification: Etudes en l'honneur de Roberto Ago, vol. 1, Milan, Giuffrè,
1987, pp. 53-65.
170 Georges A bi-Saab
]. L'explication coutumière
cette même Académie, en classant les effets possibles que les traités
de codification peuvent produire par rapport à la coutume en trois
catégories :
— un effet déclaratoire d'une coutume déjà existante, simple trans-
cription qui lui apporte une expression écrite, sans ajouter à son
contenu normatif ni à son statut de règle de droit. C'est l'effet
d'une codification stricto sensu;
— un effet cristallisant une coutume naissante, dont le processus de
maturation en tant que règle coutumière est mené à terme à tra-
vers l'élaboration, la négociation et l'adoption du traité de codi-
fication ; de sorte que la norme coutumière et son reflet codifié
achèvent leur parcours en même temps, l'un portant l'autre dans
sa lancée au point d'aboutissement. En d'autres termes, le pro-
cessus de codification affecte et accélère la formation de la cou-
tume au-delà de son cadre ; le meilleur exemple à cet égard est le
rôle qu'a eu la troisième Conférence des Nations Unies sur le
droit de la mer dans l'avènement en droit international général de
l'institution de la zone économique exclusive, dont on pourrait à
la limite soutenir qu'elle est arrivée à maturation avant même la
conclusion de la Convention ;
— un effet générateur d'une nouvelle coutume, partant du texte et à
son image. La convention propose à la communauté internatio-
nale une solution commode à un certain problème; la pratique
internationale la suit, de sorte que, à la manière d'une self-ful-
fdling prophecy, la règle conventionnelle finit par se doubler
d'une règle coutumière. Contrairement à l'effet déclaratoire, où
la coutume est à la base du texte (son input), la coutume est ici
le produit du texte (son output).
111. Il est vrai que l'article 38 a pour but d'énumérer les «règles» que la Cour
est appelée à appliquer, c'est-à-dire le produit final et non pas son processus de
production. Mais il est également vrai que ces règles sont définies et classifiées
dans ce texte selon leurs «sources», ce qui rend impossible l'examen du texte en
faisant abstraction de cette problématique.
176 Georges Abi-Saab
112. C'est l'une des thèses maîtresses du professeur Roberto Ago (voir par
exemple son cours, « Science juridique et droit international», RCADI, tome 90
(1956-11), pp. 851-958) que de considérer que «le droit en vigueur» peut jaillir
directement du corps social, en forme de «droit spontané», sans passer par une
«source formelle»; en d'autres termes, de considérer la coutume comme une
alternative au droit posé ou positif plutôt qu'une de ses variantes.
113. Voir F. Gény, Science et technique en droit privé positif, vol. 3, Paris,
Sirey, 1921, pp. 47-48, par. 193.
Cours général de droit international public \11
114. S. Sur, «La coutume internationale: sa vie, son œuvre», Droits, 3 (mars
1986), p. 127.
178 Georges Abi-Saab
3. Le dilemme de la classification
a) Un processus cumulatif
Si par coutume on veut simplement désigner tout le droit non
conventionnel, on peut alors considérer cette nouvelle coutume
i) Les échappatoires
Etant donné la répartition très inégale et très diffuse du pouvoir
dans le monde, réalité reconnue par le droit international faute de
pouvoir l'influencer, ce procédé, qui s'est développpé au sein des
structures onusiennes, se voit assorti d'échappatoires. En d'autres
termes, ce qu'on voit se dessiner sous nos yeux est un pouvoir légis-
latif avec des possibilités de s'y soustraire par des mécanismes de
contracting-out, évoquant vaguement le modèle du pouvoir régle-
mentaire qu'on trouve dans la constitution de certaines organisations
internationales déjà mentionnées; sauf qu'il s'agit ici d'un procédé
généra], c'est-à-dire qui relève du système juridique international en
tant que tel et non pas d'un traité constitutif donné.
Si le procédé lui-même s'est clarifié et a acquis un profil recon-
naissable, on ne peut en dire autant pour ce qui est des échappa-
toires, qui font l'objet actuellement d'une lutte au sein de la commu-
nauté internationale ayant trait aux possibilités, aux conditions et aux
modalités de s'en prévaloir. D'où l'intérêt renouvelé dans ce qu'on a
pu percevoir comme une remontée du volontarisme, ainsi que dans
le syndrome de l'«objecteur tenace» (persistent objector). C'est une
lutte qui se situe au niveau des «règles sur les règles», en d'autres
termes sur les paramètres du système juridique international et l'évo-
lution constitutionnelle de la communauté internationale, qui rap-
pelle celle engagée il y a deux décennies autour du jus cogens et
dont la partie de bras de fer entre les Etats-Unis d'Amérique et la
grande majorité de la communauté internationale sur le régime juri-
dique de la zone internationale en haute mer n'est que l'épisode le
plus récent et le plus spectaculaire.
118. Judgement of the International Military Tribunal for the Trial of Major
War Criminals (Londres, 1946), Cmd. 6 964, p. 64; Judgement of the Internatio-
nal Military Tribunal for the Far East for 1948, United Nations War Crimes Com-
mission, Law Report of Trials of War Criminals, vol. 15 (1949), p. 13, Cf. R. R.
Baxter, «Multilateral Treaties as Evidence of Customary International Law»,
BYBIL, 41 (1965-1966), p. 299.
184 Georges Abi-Saab
1. Notion et classifications
a) Notion de source
L'ambivalence de la notion de «source» ressort clairement de
l'explication que donne à ce terme Oppenheim, en faisant appel à
119. Cela se dégage très clairement de l'arrêt de la Cour internationale de Jus-
tice dans l'affaire du Droit d'asile (CU Recueil 1950, p. 395) pour ce qui est de la
coutume régionale; et de celui dans l'affaire du Droit de passage sur territoire
indien (CU Recueil I960, p. 6) pour ce qui est de la coutume bilatérale.
Cours général de droit international public 185
126. Cette perception s'est trouvée renforcée par la clause incidente du cha-
peau de l'article 38, paragraphe 1, qui ne figurait pas dans le Statut de la Cour per-
manente de Justice internationale mais a été ajoutée en 1945, et qui stipule: «La
Cour, dont la mission est de régler conformément au droit international les diffé-
rends qui lui sont soumis, applique : ... » (L'italique est de nous.)
192 Georges Abi-Saab
Et si, du point de vue formel, elles ne peuvent être que des sources
dérivées, car relevant d'un ordre juridique également dérivé (celui
du traité constitutif de l'organisation), cette remarque est d'une por-
tée purement théorique pour ce qui est des résolutions des organes
des Nations Unies, qui émanent d'un système juridique profondé-
ment imbriqué dans le droit international général qu'il a largement
restructuré et influencé. Et si par source on envisage un processus de
création normative, il est indéniable que les résolutions en consti-
tuent une forme originale sur le plan international.
En ce qui concerne les actes unilatéraux, et plus particulièrement
ceux émanant des Etats, il faut peut-être rappeler qu'il est possible,
en poussant la logique de la théorie kelsenienne à l'extrême, de pré-
senter toute la production normative en forme d'actes unilatéraux —
la coutume comme une série d'actions et de réactions (ou absence de
réactions) unilatérales ; le traité par deux ou plusieurs actes unilaté-
raux — qui sont sanctionnés dans les deux cas par des normes supé-
rieures qui leur attribuent certains effets juridiques. Mais ce n'est pas
cela qui nous intéresse ici, c'est plutôt de savoir si le droit interna-
tional reconnaît les actes unilatéraux comme méthode, procédé ou
moyen spécial de production normative, et par conséquent s'ils
constituent une source formelle à l'instar des trois premières sources
de l'article 38, paragraphe 1.
Pour répondre à cette question, nous devons vérifier si les actes
unilatéraux suffisent en eux-mêmes pour produire l'effet juridique
voulu et, par conséquent, s'ils constituent un procédé ou une moda-
lité «autonome» de le faire, qui ne se confond pas avec une autre
source reconnue, ou ne s'explique pas par elle.
Dans quelle mesure ces exigences d'«autosuffisance» et d'«auto-
nomie» sont-elles remplies dans les types d'actes unilatéraux les
plus courants qui portent une signification et des conséquences juri-
diques plus ou moins grandes ?
ce qu'un tel effet lui soit reconnu. C'est ce qu'a déclaré la Cour
internationale de Justice dans l'affaire des Essais nucléaires121.
Cela veut dire que les actes unilatéraux qui engagent ou sont au
détriment du sujet du droit, lorsqu'il assume une obligation ou
renonce à un droit, ont un effet immédiat, bien que leur destinataire
éventuel puisse par la suite en décliner le bénéfice. En revanche, les
actes portant prétention de droits à l'égard d'un tiers ne peuvent pro-
duire d'effets juridiques immédiats; leurs effets dépendent de la
réaction du tiers.
En somme, les effets juridiques que les Etats peuvent produire par
une action ou une réaction informelle (action portant prétention de
droit, comportement impliquant acquiescement ou résistance à une
telle prétention, ou reconnaissance de la légalité d'une action ou
d'une situation) peuvent également être produits par un acte unilaté-
ral formel.
Mais il est évident qu'on parle ici des actes unilatéraux en tant
que source de droits et d'obligations subjectifs et non du droit objec-
tif ou de règles générales. C'est ce qui ressort clairement de l'arrêt
susmentionné de la Cour, où elle a pris grand soin, en se référant aux
actes unilatéraux, de spécifier qu'ils «peuvent avoir pour effet de
créer des obligations juridiques» ,28 .
a) L'ambiguïté de l'article 38
130. Par exemple, P. Reuter, Droit international public, 6e éd. (collection The-
mis), Paris, PUF, 1983, p. 163; J.-P. Jacqué, Eléments pour une théorie de l'acte
juridique en droit international public, Paris, LGDJ, 1972, pp. 345 ss.
131. J.-P. Jacqué, ibid., p. 361.
Cours général de droit international public 197
132. Par exemple, affaire des Pêcheries norvégiennes, CIJ Recueil 1951,
p. 126 (il est à relever également qu'aux pages 130, 131, 133 la Cour utilise en
français le terme «droit international commun», traduit en anglais par «general
international law ») ; affaires du Plateau continental de la mer du Nord, CIJ
Recueil 1969, p. 28, par. 37 ; affaire du Golfe du Maine, CIJ Recueil 1984, p. 294,
par. 94 ; affaire du Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte), CU
Recueil 1985, p. 39, par. 46; affaire des Activités militaires et paramilitaires au
Nicaragua, CIJ Recueil 1986, p. 92, par. 173.
133. Voir J.-P. Jacqué, op. cit. supra note 130, p. 485.
198 Georges Abi-Saab
135. Cf. P.-M. Dupuy, «Le juge et la règle générale, RGDIP, 93 (1989),
pp. 569-597.
136. Par exemple, affaires du Plateau continental de la mer du Nord, CU
Recueil 1969, p. 28, par. 37: «une règle de droit international général qui, de
même que les autres règles de droit international général ou coutumier... » ; affaire
des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua, CtJ Recueil 1986, p. 92,
par. 172:
« Selon les Etats-Unis, il n'existerait pas d'autre droit international général
et coutumier sur lequel le Nicaragua puisse fonder ses demandes que celui de
la Charte...»
L'inférence vient du fait que les deux termes ou qualificatifs «général» et «cou-
tumier» sont employés de manière alternative ou cumulative qui implique leur
identité. Mais il faut préciser que dans les deux cas cet emploi des termes inter-
vient dans le cadre de la présentation par la Cour des arguments de l'une des par-
ties, et sont attribuables par conséquent à cette partie plutôt qu'à la Cour elle-
même.
200 Georges Abi-Saab
d'autres termes par générer une opinio juris généralisée, si l'on veut.
A mon avis cependant il n'y a pas deux types de sentiment d'obliga-
tion juridique, l'un généré par voie de coutume, l'autre par voie de
traité ; soit on a la conviction d'être juridiquement obligé soit on ne
l'a pas.
La seconde interrogation concernant les sources du droit interna-
tional général, qui n'est pas sans lien avec la première, est celle de
savoir si une règle de droit international général peut être incarnée
par deux sources à la fois. C'est une question qui s'est posée avec
une acuité particulière dans l'affaire des Activités militaires et para-
militaires au Nicaragua l37, notamment par rapport au principe de
l'interdiction du recours à la force, étant donné les réserves attachées
à la déclaration d'acceptation par les Etats-Unis d'Amérique de la
juridiction obligatoire de la Cour internationale de Justice, qui
excluait l'application en l'espèce des traités multilatéraux, y compris
la Charte des Nations Unies, et par voie de conséquence de son
article 2, paragraphe 4.
Les Etats-Unis ont soutenu que le droit coutumier en la matière a
été «résumé et supplanté» («subsumed and supervened » ; à traduire
plutôt par «intégré et remplacé») par le droit conventionnel, dont la
Cour ne pourrait faire abstraction pour trancher l'affairel38. La Cour
a rejeté cette objection, en affirmant l'existence continue d'une
norme coutumière en la matière, parallèle à celle de la Charte, sur la
base de la démonstration suivante. En premier lieu, la Cour constate
que les deux normes ne sont pas identiques quant à leur contenu,
mais plutôt complémentaires. La règle de la Charte renvoie au droit
coutumier sur plusieurs points importants, comme le laisse entendre
l'adjectif «droit naturel» (inherent right) qui décrit la légitime
défense dans l'article 51, par exemple en ce qui concerne la condi-
tion de proportionnalité ou la définition de la condition préalable
d'«agression armée». De même pour ce qui est du principe de non-
intervention qui est également invoqué en l'espèce. En second lieu,
la Cour affirme que même si le contenu normatif des deux règles
était identique, la règle coutumière ne perdrait pas nécessairement
toute autonomie d'application, car elle a un «cycle de vie» différent
de celui du traité (qui peut être suspendu ou résilié dans certaines
conditions qui ne s'appliquent pas à la coutume) et les modalités
145. Il faut préciser que seules les idées et les valeurs sociales — c'est-à-dire
celles qui sont largement partagées et non pas les simples desiderata individuels
— peuvent se transformer en règles de droit. Car le droit est ni pure idée, idéolo-
gie ou idéal, ni un simple pouvoir social ou simple force brutale. Il s'agit plutôt
des idées portées par suffisamment de pouvoir social ; et aucune de ces deux com-
posantes ne peut survivre par elle-même comme droit: pas pour très longtemps en
tout cas pour ce qui est de la simple force; et pas immédiatement pour ce qui est
des idées, du moins pas avant qu'elles n'arrivent à mobiliser suffisamment de
pouvoir social derrière elles.
Cours général de droit international public 205
juridicité l46 , mais qui est très difficile à épingler ou à identifier exac-
tement sur la courbe de ce long processus de transformation progres-
sive à travers la zone grise qui sépare la valeur sociale émergente de
la règle de droit bien établie. Une zone qui est très difficile, et par-
fois même impossible, à diviser a posteriori entre les deux. En
d'autres termes, le seuil du droit positif, ou la frontière entre le droit
et le prédroit, la lex lata et la lex ferenda, ne peut pas toujours être
clairement défini.
A moins évidemment, que ce seuil ou ce passage ne soit marqué
par un rituel ou une procédure de consécration. Mais, comme on l'a
déjà vu, cela n'est guère le cas des règles du droit international géné-
ral, qui doivent se former à travers le processus cumulatif déjà
esquissé, c'est-à-dire en traversant cette zone grise. Un processus
dont une analyse plus poussée pourrait indiquer la direction d'une
approche alternative, moins schématique, réductionniste et dichoto-
mique que la théorie traditionnelle des sources.
146. Pour que les valeurs, qui sont une émanation sociale directe, deviennent
droit, elles doivent être saisies par le système juridique et traduites en ses propres
termes. Autrement dit, elles doivent être circonscrites (et peut-être même rava-
lées), en les réduisant à des critères objectifs, c'est-à-dire qui se prêtent à une
application et à une vérification juridique avec le moins de controverses possibles.
Cela ne signifie cependant pas que tous les critères objectifs de la norme consa-
crant la valeur sociale doivent être définis avec le même degré de spécificité avant
que le seuil de la juridicité ne soit atteint. En effet, toutes les théories de l'évolu-
tion du droit admettent que le cycle de vie de toute norme comporte toujours une
marge d'imprécision et un élément d'élaboration continue: qu'il s'agisse de la
théorie aristotélicienne ou néothomiste du droit comme une finalité en perpétuel
devenir qui s'explicite et se précise en fonction des conditions changeantes qui
l'environnent; ou de la théorie d'Ihring du droit comme moyen vers une fin, et
son développement comme une lutte permanente pour réaliser cette fin ; ou des
théories sociologiques du droit comme un registre de l'équilibre des intérêts en
société ou comme un instrument d'architecture sociale (social engineering) ; ou de
la théorie marxiste du droit comme un élément de la superstructure, enregistrant à
la manière d'un accord d'armistice l'état de la lutte des classes à un moment
donné. Toutes ces théories de la dynamique juridique font apparaître la marge
d'indétermination ou de jeu dans l'évolution du droit, qui rend précisément pos-
sible cette évolution, et que nous ne pouvons ignorer sans faire violence à la réa-
lité.
206 Georges Abi-Saab
a) Quelques clarifications
b) « Le seuil du droit »
150. La Cour a employé un langage et des critères similaires dans son évalua-
tion de la signification et des effets juridiques des actes unilatéraux des Etats dans
l'affaire des Essais nucléaires (Australie c. France) (CU Recueil 1974, p. 253),
quand elle dit des déclarations de la France qu'elles «doivent être envisagées
comme un tout», et qu'elles constituent «un engagement de l'Etat, étant donné
leur intention et les circonstances dans lesquelles elles sont intervenues» (ibid.,
p. 269, par. 49; l'italique est de nous).
208 Georges Abi-Saab
155. «Textes internationaux ayant une portée juridique dans les relations
mutuelles entre leurs auteurs et textes qui en sont dépourvus», M. Virally, rappor-
teur. Voir Annuaire de VIDI, 60 (1983), t. 1, pp. 166-257 (rapport préliminaire),
pp. 307-327 (rapport définitif); t. 2, pp. 117-153 (discussion du sujet).
156. Voir remarques G. Abi-Saab, ibid., pp. 144-145.
214
CHAPITRE VII
LA FONCTION JURIDICTIONNELLE
L'existence des règles une fois établie, c'est leur mise en œuvre
qui concrétise leur emprise sur la réalité sociale, en fournissant le
relai entre leurs propositions normatives générales et les situations
particulières, ou en d'autres termes en les traduisant dans les faits,
administrant ainsi la preuve ultime de leur effectivité. Car les règles
de droit ne sont pas là pour être contemplées en tant que postulats
abstraits, mais pour être intégrées dans le comportement des sujets
de droit.
La mise en œuvre des règles implique deux catégories de proces-
sus ou d'opérations juridiques. La première consiste à spécifier et à
fixer la teneur de la règle et les conséquences juridiques qui en
découlent par rapport à une situation donnée de manière définitive,
pour les besoins de la sécurité juridique. La seconde vise à assurer le
respect de cette solution, quitte à faire appel en dernier lieu à d'éven-
tuelles sanctions pour garantir l'effectivité du système ainsi que sa
stabilité ; ce qui nous ramène à nouveau à la sécurité juridique.
Cette dernière catégorie de processus ou d'opérations relève
davantage de la troisième fonction du système juridique, la fonction
executive. Elle se rapporte moins à la norme en tant que telle, à son
contenu et à ses applications spécifiques, qu'à l'autorité et à la force
légale qui s'attachent à ces applications, et que nous examinerons
dans le chapitre suivant. C'est la première catégorie qui constitue la
fonction juridictionnelle à proprement parler.
1. Le processus d'interprétation
2. L'acte de constatation
160. Pour une tentative d'appliquer cette approche aux délimitations spatiales,
voir Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), CU Recueil 1986,
opinion individuelle du juge ad hoc Abi-Saab, p. 659 (notamment par. 15).
218 Georges Abi-Saab
le choix entre ces différents sens appelle une décision qui relève du
vouloir de l'interprète; décision dont la signification et les effets
juridiques dépendent du pouvoir de cet interprète au sein du système
juridique.
Si nous classons les différents types d'interprétation selon ce der-
nier critère (pouvoir), nous devons distinguer en premier lieu entre
l'interprétation privée ou scientifique, de portée générale, mais sans
effets juridiques directs (bien qu'elle ne soit pas dépourvue de signi-
fication, du moins celle de l'article 38, paragraphe 1, lettre d), du
Statut) et l'interprétation publique effectuée par des sujets du droit
ou par des organes collectifs.
Pour ce qui est des sujets du droit, il y a une différence qualitative
entre l'interprétation adoptée par un Etat intéressé, qui n'est qu'une
auto-interprétation, avec des effets particuliers que nous verrons
plus loin, et celle adoptée par les Etats intéressés, qui est une inter-
prétation conventionnelle, qui lie ces Etats en tant que telle. Si elle
émane de tous les Etats qui ont créé la règle (ou d'une procédure
qu'ils ont prescrite à cet effet), il s'agira d'une interprétation
authentique, qui se confond avec la règle elle-même, lui imprimant
son sens pour l'avenir161.
Quant à l'interprétation par un organe collectif ou une organisa-
tion internationale, il faut distinguer entre les organes politiques et
les organes juridictionnels. Les premiers, tels le Conseil de sécurité,
l'Assemblée générale des Nations Unies, ou la Conférence sur la
sécurité et la coopération en Europe, procèdent fréquemment, au
cours de leurs travaux, à des interprétations de la norme qui peuvent
être soit générales et abstraites soit spécifiques, en appliquant la
norme générale à des situations particulières. Dans les deux cas, la
valeur juridique formelle de cette interprétation est celle de la réso-
lution qui la porte. Mais, comme on l'a vu, la résolution peut véhi-
culer une opération juridique qui va au-delà de sa valeur formelle, si
les conditions juridiques de cette opération sont remplies en
l'espèce, telle une «interprétation conventionnelle», ou une «inter-
prétation authentique» générale, ou une «constatation», pour ce qui
161. Kelsen considère que toute interprétation à effet obligatoire par un organe
d'application du droit est «authentique», car elle est «créatrice du droit» (c'est-
à-dire d'une norme individuelle inférieure, appliquant la norme générale à la
situation particulière) {op. cit. supra note 57, p. 461). Mais il s'agit là d'une
acception par trop particulière, qui ne correspond pas à celle communément signi-
fiée par le terme.
Cours general de droit international public 219
162. O. Schachter, «The Quasi-Judicial Role of the Security Council and the
General Assembly», AJIL, 58 (1964), p. 960.
163. Comme nous venons de le voir, le produit final de l'opération d'interpré-
tation peut également être une interprétation générale et abstraite de la norme, en
dehors de tout contexte particulier (qu'elle soit doctrinale, conventionnelle,
authentique ou autre). Cependant, il s'agit là d'une interprétation qui ne peut être
qu'«intermédiaire» et «préventive»: préventive (ou prospective) car elle vise à
clarifier les contours de la norme pour faciliter son application future, sans pour
autant mener le processus de l'individualisation de la norme à son tenne, c'est-
à-dire à son application aux cas spécifiques. Ce n'est donc qu'une «étape intermé-
diaire» dans l'application de la norme, c'est-à-dire vers ('«interprétation spéci-
fique» (ou la «qualification juridique») des situations particulières.
220 Georges Abi-Saab
des organes du système, sans passer en premier lieu par les indivi-
dus, qui n'en restent pas moins les bénéficiaires et même les destina-
taires ultimes de ces règles. Tel n'est pas le cas en droit international
général, étant donné son caractère non organiquel64.
D'autre part, même dans les cas, qui restent de loin les plus nom-
breux en droit interne, où les règles s'adressent directement aux indi-
vidus — et où par conséquent les règles peuvent être appréhendées
diversement par les sujets de droit intéressés, donnant lieu à des
conflits d'interprétation portant sur un même objet — le système
juridique interne prévoit une issue obligée à de tels conflits, en four-
nissant un organe social pour les trancher en dernier lieu, le juge,
dont la compétence est obligatoire, en ce sens que s'il est saisi par
une des parties l'autre ne peut pas s'y dérober.
Rien de tel en droit international général, qui est en principe un
droit non organique, en ce sens que, sauf arrangement spécial, il n'y
a pas d'autorité ou d'instance au-dessus de l'Etat ou dont la compé-
tence oblige l'Etat. Il n'existe pas non plus de cas d'individualisation
ou d'exécution directe des règles par des organes sociaux qui font
également défaut. Et, s'il y a conflit d'interprétation entre les sujets,
le système n'en fournit pas une issue obligée.
Ainsi qu'on l'a vu, le droit international, comme tout droit, n'est
pas seulement un ensemble de normes ou de propositions norma-
tives, mais également une dynamique ou un mouvement continu
d'interaction entre les sujets de droit ainsi qu'avec ses organes quand
ils existent, fait de prétentions et contre-prétentions, actes ou déci-
sions qui s'articulent autour de l'application des normes. De l'issue
ou du produit final de ce processus d'interaction — processus qui
révèle la structure ou les règles secondaires du système juridique
dont il relève — dépendent l'effectivité et le poids social réel des
normes substantielles de comportement et, partant, du système juri-
dique en général.
Ce processus d'interaction trouve toujours à sa base un conflit
d'interprétation. Cela ne veut pas dire cependant que tout conflit
d'interprétation donne lieu à un «différend international», et en par-
ticulier à un «différend juridique international».
Déjà dans son deuxième arrêt dans l'affaire des Concessions
Mavrommatis en Palestine, la Cour permanente de Justice internatio-
nale nous fournit une définition devenue classique du «différend
international » :
224 Georges Abi-Saab
Cela ne veut pas dire que le droit n'a aucun rôle à jouer dans le
règlement de la plupart des différends où il n'y a ni accord conclu ni
obligation de les soumettre à un organe juridictionnel. Car même
dans de telles situations chaotiques de blocage, qui laissent libre
champ au jeu des rapports de force, l'exercice unilatéral et contra-
dictoire de l'auto-interprétation par les Etats n'est pas dépourvu de
signification ni d'effets juridiques.
C'est que toute prise de position par un sujet de droit, qu'elle soit
explicite ou implicite dans son comportement, sur un point général
de droit ou sur la qualification juridique d'un acte, d'un fait ou d'une
situation concrète, peut avoir des effets juridiques, qui varieront
cependant selon le degré d'intéressement du sujet dans l'objet qui
suscite cette prise de position. Emanant d'un tiers qui ne prétend
226 Georges Abi-Saab
alors que perdure l'impasse juridique, les faits peuvent toujours évo-
luer. Des effectivités s'établissent ou se renforcent. Si ce sont elles
— par la fameuse «force des choses» — qui finissent par prévaloir,
ce serait aux dépens du droit, ou le triomphe de la force sur le droit.
Car c'est l'ultime mesure de l'efficacité d'un système juridique et de
son emprise ou effet total sur la société (ce que les anglais appellent
the acid test) que de savoir s'il va céder à la longue aux effectivités
contraires à ces prescriptions, ou s'il va les contenir ou leur trouver
des antidotes, ou du moins imposer des limites au jeu de l'effecti-
vité. Ce à quoi nous reviendrons.
168. Voir G. Abi-Saab, «Le rôle du droit international dans la stratégie de paix
de la Charte», dans L'universalité est-elle menacée? (rapport du colloque orga-
nisé par les Nations Unies à l'occasion du quarantième anniversaire de l'Organi-
sation, Genève, 16-17 décembre 1985), Nations Unies, 1986, pp. 36-39.
Cours général de droit international public 229
bons offices
diplomatique
ou politique
médiation
ad hoc
enquête impliquant ou institutionnel
intervention
conciliation d'un tiers
arbitrage juridictionnel
justice } institutionnel
4. Le dépassement de la problématique
du « règlement des différends»
176. A part les systèmes primitifs ou peu formalisés, il faut souligner que,
même dans les systèmes juridiques hautement développés, une petite portion seu-
lement des différends est portée devant les tribunaux et qu'avec la complexifica-
tion croissante des systèmes judiciaires et l'explosion des coûts une certaine
désaffection se manifeste actuellement à l'égard de ces systèmes, avec une
recherche parallèle de voies alternatives plus simplifiées. Ce qui explique le foi-
sonnement des études et des cours offerts par les plus grandes écoles de droit, telle
la Harvard Law School, intitulés «Alternative Dispute Resolution», «Informai
Justice», «Citizen's Justice», etc. Voir Jerold Auerbach, Justice Without Law?
Resolving Disputes Without Lawyers, OUP, 1983.
177. En réalité, même en droit interne il s'agissait originairement d'une ques-
tion de degré d'institutionnalisation, car la séparation entre le public et le privé et
la centralisation de la puissance publique est également fonction de l'institution-
nalisation progressive de l'Etat.
Cours général de droit international public 245
183. Sentence arbitrale rendue par le roi d'Espagne le 23 décembre 1906 (Hon-
duras c. Nicaragua), CU Recueil 1960, p. 192; Sentence arbitrale du 31 juillet
1989 {Guinée Bissau-Sénégal), C1J Recueil 1991, p. 53.
Il faut mentionner également les recours contre les jugements des tribunaux
administratifs des Nations Unies et de l'Organisation internationale du Travail,
bien qu'il s'agisse d'une autre histoire, ces recours étant prévus dans les statuts
mêmes de ces tribunaux et traités par la Cour par voie d'avis consultatif, ayant
force obligatoire en vertu de ces statuts, ce qui ne manque pas d'inconvénients.
De toute manière, il s'agit là d'un domaine technique pour lequel la Cour aurait
pu créer une chambre spécialisée, comme cela est prévu dans son statut.
La même problématique s'est présentée devant la Cour permanente de Justice
internationale, dans un autre contexte cependant, en forme de recours en appel
contre des jugements des tribunaux arbitraux mixtes de l'après-première guerre
mondiale, recours prévus également dans les actes constitutifs de ces tribunaux
(Appel contre une sentence du tribunal arbitral mixte hungaro-tchécoslovaque
(Université Peter Pázmány), CPJ1 série A/B n° 61 (1933), p. 208). Voir égale-
ment (bien que le recours ait été retiré avant que la Cour ne se prononce), CPJI
série A/B n" 56 (1933), p. 162 (ordre).
Cours general de droit international public 251
184. On laisse à part ici les projets non aboutis, telle la Cour internationale de
prises, créée par la convention n° 12 de La Haye de 1907, mais qui n'a pas vu le
jour faute de ratifications suffisantes ; ou ceux prévus sur un plan régional, telle la
Cour de justice centraméricaine, établie également en 1907 et qui a fonctionné
pour dix ans, sans être prorogée au-delà de cette période initiale.
252 Georges Abi-Saab
187. Voir G. Abi-Saab, « The Newly Independent States and the Rules of Inter-
national Law», Howard Law Journal, 8 (1962), p. 95.
256 Georges Abi-Saab
rice, «The Law and Procedure of the ICJ : Questions of Jurisdiction, Competence
and Procedure», BYBIL, 34 (1958), p. 23 ; ainsi que son opinion individuelle dans
l'affaire du Cameroun septentrional, CU Recueil 1963, p. 99). Ce qui aurait rendu
totalement impraticable la procédure judiciaire internationale, déjà trop lourde,
lente et fort complexe.
Heureusement la Cour ne l'a pas suivi sur cette voie. Elle est même allée en
sens contraire, dans sa révision de son Règlement, en 1972 et en 1978, en simpli-
fiant la procédure des exceptions préliminaires, par l'abandon de la possibilité de
la jonction des exceptions au fond. Au cas où il s'avère impossible de trancher
l'exception sans préjuger le fond, la Cour, aux termes de l'article 79, paragraphe 7,
déclare simplement que «cette exception n'a pas dans les circonstances de l'es-
pèce un caractère exclusivement préliminaire».
258 Georges Abi-Saab
192. Pour un échantillonnage des attaques acerbes dirigées contre la Cour pen-
dant cette période, voir André Gros, «La Cour internationale de Justice 1946-
1986: les réflexions d'un juge», dans Y. Dinstein et M. Tabory (dir. pubi.), Inter-
national Law at a Time of Perplexity : Essays in Honour of Shabtai Rosenne,
Dordrecht, Nijhoff, 1990, p. 289; Shabtai Rosenne, «The Changing Role of
the International Court», Israel Law Review, 20 (1985), p. 182 ; id., «The Role of
the ICJ in Inter-State Relations Today», Revue belge de droit international,
20 (1987), p. 275. Dans cette dernière étude, l'auteur va même jusqu'à insinuer dans
sa conclusion, en 1987, que la Cour est en passe de devenir un instrument de la
politique étrangère soviétique: «it is doubtful... that we will not see a prominent
jurist from the Western world publish an article on the International Court in the
service of Soviet foreign policy» ! {ibid., p. 289); bien qu'il ajoute «but no one
would be more pleased than I to be proven wrong».
Cours général de droit international public 259
218. Cette idée apparaît pour la première fois à travers une question adressée
par le juge Waldock à l'agent de Fidji, lors des plaidoiries sur sa demande d'inter-
vention dans les affaires des Essais nucléaires. Mais étant donné que la Cour est
arrivée à la conclusion que les demandes de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande
sont devenues, par la déclaration de la France, sans objet, elle n'a pas eu à statuer
sur la demande d'intervention (C1J Recueil 1971, pp. 530 et 535).
L'article 81, paragraphe 2, du Règlement révisé exige que la requête à fin
d'intervention, fondée sur l'article 62 du Statut, spécifie inter alia : «c) toute base
de compétence qui, selon l'Etat demandant d'intervenir, existerait entre lui et les
parties».
219. CU Recueil 1990, p. 92 (requête à fin d'intervention du Nicaragua). Cf.
Marcelo Konen, «La requête à fin d'intervention du Nicaragua dans l'affaire du
différend frontalier terrestre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras) :
l'ordonnance de la Cour du 28 février 1990 et l'arrêt de la Chambre du 13 sep-
tembre 1990», AFD1, 36 (1990), pp. 341-367.
Cours général de droit international public 269
tables, sans trop les définir ni leur donner un contenu objectif iden-
tifiable, rend plus aisée la tâche d'arriver à des solutions transaction-
nelles d'espèce.
La Cour démontre ainsi une très grande flexibilité dans le manie-
ment du petitum et du droit applicable : flexibilité ou éclectisme qui
frise parfois la témérité, mais c'est une hardiesse de «forme», qui
est paradoxalement un moyen au service de la «prudence judi-
ciaire», pour pouvoir mieux accommoder les parties en arrivant à
des solutions transactionnelles.
Ainsi, tous ces indices ou moyens techniques s'expliquent par une
double recherche de consensus: un consensus «extérieur», en arri-
vant à un résultat qui soit satisfaisant pour les parties du moins mini-
malement; et un consensus «intérieur» aussi large que possible au
sein même de la Cour, composée de juges représentant un monde
beaucoup plus hétérogène et ayant eux-mêmes des formations pro-
fessionnelles beaucoup plus diverses qu'avant, avec beaucoup plus
de diplomates et un passage fréquent par la Commission du droit
international, où l'on négocie ou renégocie les règles, les envisa-
geant ainsi comme des variables plutôt que comme des paramètres
impliables.
C'est ce facteur avant tout qui explique le relâchement des liens
entre les motifs et le dispositif. En effet, avec l'accroissement de
l'hétérogénéité de la Cour, ses membres peuvent plus facilement
tomber d'accord sur un résultat transactionnel, issu des majorités
acquises sur les différents points tranchés, que sur les raisons qui les
amènent à ce résultat. Les décisions reflètent ainsi souvent un rai-
sonnement alternatif (pour donner un minimum de satisfaction aux
deux parties sur certains points ou arguments qu'elles auraient sou-
levés, surtout à celle qui perdrait le plus dans le résultat final; et
pour rassembler la plus large majorité possible de juges non seule-
ment sur le dispositif, mais aussi sur les motifs), plutôt qu'une pro-
gression logique, rigoureuse, qui conduit à la conclusion de manière
visiblement inévitable; ce qui exige une articulation claire et nette
de la ratio decidendi et un choix net lui aussi parmi les différentes
bases juridiques possibles.
Cela nous amène à une interrogation paradoxale: quel est l'élé-
ment essentiel dans les décisions de la Cour? Est-il aujourd'hui
davantage ce que la Cour fait (le résultat incorporé dans le dispo-
sitif), plutôt que ce qu'elle dit (son raisonnement juridique ex-
posé dans les motifs)? En d'autres termes, serions-nous en train de
272 Georges Abi-Saab
naturelle, les juges ont agi comme les dramatis personnae des tragé-
dies grecques qui marchent vers leur destin tout en le redoutant,
parce qu'ils ne pouvaient pas faire autrement. Ils ont agi comme des
juges qui devaient «dire le droit» et le faire prévaloir en l'espèce,
quelles qu'en fussent les conséquences qu'ils entrevoyaient
d'ailleurs clairement.
Ils ont agi ainsi comme les organes du droit international, plutôt
que des parties ou d'une partie, fût-elle la plus puissante. Ce faisant,
ils sont allés contre leur inclinaison subjective et peut-être même
contre les intérêts immédiats de leur institution. Mais ils ont admi-
nistré ainsi avec éclat la preuve de l'objectivité de la Cour. De sorte
que même s'il s'avère que l'effet pratique de l'arrêt est d'affaiblir la
position politique de la Cour dans l'immédiat, il ne peut à la longue
qu'accroître sa crédibilité et consolider sa position.
Même si la Cour devait avoir pour quelque temps moins de tra-
vail, un arrêt tous les cinq ou dix ans tel celui sur les Activités mili-
taires et paramilitaires au Nicaragua — qui confirme les principes du
droit international et les articule ensemble et par rapport aux condi-
tions actuelles de la vie internationale — contribue davantage à asseoir
et à consolider le système juridique international, et même à l'apaise-
ment des tensions entre les Etats, qu'une multitude d'affaires portant
sur des questions secondaires, mais qui gonflent les statistiques.
De toute manière, une telle appréciation pessimiste, même si elle
se justifiait immédiatement après l'arrêt, ne s'est pas vérifiée dans
les faits. Et la Cour n'a jamais eu autant d'affaires inscrites simulta-
nément à son rôle que depuis ce jugement.
Ainsi, avec la modération dans le recours aux chambres ad hoc et
dans leur composition, avec l'admission de l'intervention sur la base
de l'article 62 du Statut et la «rectitude judiciaire» démontrée dans
l'affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua mal-
gré des risques et des pressions énormes, nous constatons, pendant
cette dernière étape de la politique judiciaire de la Cour, une rectifi-
cation de parcours et un rééquilibrage sensible dans sa démarche en
tant qu'organe du droit international à l'apex du système judiciaire et
même du système juridique international. Le changement radical de
l'attitude des anciens membres du bloc de l'Est et surtout de l'ex-
Union soviétique vis-à-vis de la Cour et les pourparlers des membres
permanents du Conseil de sécurité (et bilatéralement entre les Etats-
Unis et la Russie) en vue de renforcer le rôle de la Cour sont de très
bon augure pour l'avenir de celle-ci si elle continue sur cette voie.
275
CHAPITRE VIII
LA FONCTION EXECUTIVE
226. C'est par exemple la position de Hart, discutée supra, p. 118. Cf. l'excel-
lent article de Charles-Albert Morand, « La sanction », Archives de philosophie de
droit, 35(1990), pp. 293-312.
227. Voir supra, p. 117. Il faut relever cependant que l'école italienne, et
notamment son chef de file Tomaso Perassi, inclut dans cette panoplie de garan-
ties la «fonction juridictionnelle» (accertamento juridizionali ou del diritto, en
contraste à celle de la production des règles). Cf. Tomaso Perassi, Lezioni di
diritto internazionale, 7 c éd., partie I, Padoue, 1961, p. 18.
Cours général de droit international public 277
/. L'application directe
1. La règle générale
des rapports entre droit international et droit interne qui a fait cou-
ler beaucoup d'encre en son temps et a donné lieu à maintes écoles
doctrinales, tels le monisme, le dualisme et les variantes à l'intérieur
du monisme avec primauté du droit international ou du droit interne,
qu'il n'y a pas lieu de récapituler ici.
Il suffira ici de faire deux remarques d'ordre tout à fait général.
La première, de caractère technique, est que la concentration de la
doctrine sur le problème du conflit ou de l'opposition entre règles du
droit international et du droit national, notamment devant le juge
interne, a largement dévié l'attention du vrai problème qui est celui
de rapports de systèmes, juridiques ou autres, en tant qu'ensembles
complexes; un problème d'une envergure autrement plus large et de
nature structurelle et non simplement linéaire.
Dans une telle optique, on ne peut logiquement qu'être moniste en
fin de compte, avec primauté du droit international. Car il n'y a
qu'un seul droit international et une multitude de droits internes
(c'est-à-dire d'ordres étatiques ou d'Etats), dont les compétences
respectives ne peuvent être limitées que par lui. La question de
savoir si le droit international s'impose automatiquement au juge
interne et si ce dernier, en cas de conflit, doit l'appliquer de préfé-
rence à son droit national, bien que d'une importance pratique cer-
taine, est de nature partielle et somme toute secondaire par rapport à
cette problématique générale.
De plus, la hiérarchie entre les deux systèmes ne dépend pas tant
du parcours ou du cheminement spécifique du droit international en
droit interne — qui est fonction de la consistance particulière de
chaque droit interne — que de l'issue ou du résultat final qui ne peut
être que favorable au droit international, même quand elle n'est pas
immédiate. Il suffit de penser ici au cas parallèle, mais non iden-
tique, des rapports au sein d'une fédération entre la loi fédérale et les
droits des Etats fédérés.
La seconde remarque, concernant les rapports entre droit interne
et droit international, est de nature sociologique. Il faut se rappeler
que les théories juridiques ne sont pas formulées in vacuo, mais en
vue d'expliquer et de systématiser la réalité. Ainsi, la théorie dua-
liste était-elle peut-être assez proche de cette réalité quand le droit
international ne s'adressait que rarement à des activités ou à des rap-
ports qui se déroulaient à l'intérieur même des Etats et se confinaient
à leurs points de contact «de l'extérieur», c'est-à-dire aux rapports
directs entre souverains, plutôt que ceux qui touchaient leurs sujets.
280 Georges Abi-Saab
229. Voir Virginia Leary, International Labour Conventions and National Law:
The Effectiveness of Automatic Incorporation of Treaties in National Legal Sys-
tems, La Haye, Nijhoff, 1982.
Cours général de droit international public 281
230. Il faut distinguer ce que nous avons appelé F«exécution initiale» par le
sujet du droit de la fameuse théorie du dédoublement fonctionnel de Georges
Scelle, selon laquelle, en l'absence d'organes propres du droit international, ce
sont les organes étatiques qui, tout en remplissant leurs fonctions en droit interne,,
agissent en même temps en tant qu'organes du droit international.
Cette théorie, aussi séduisante soit-elle, comporte une grande part d'artifice.
Car l'organe en question, le juge interne par exemple, agit consciemment en tant
qu'organe du droit interne et non pas du droit international, quand bien même son
activité puisse avoir une signification ou des effets en droit international. Ainsi,
même quand le juge applique le droit international, il le traite en tant que compo-
sante de son système juridique interne, avec le rang qu'il occupe dans ce système,
et non en tant que juge international. Son acte peut constituer une «application
directe» de la règle du droit international par son destinataire, l'Etat, agissant à
travers son arme judiciaire; ce qui est très différent d'un acte d'un «organe» du
droit international.
Même pour les règles de «distribution» ou d'«attribution» de valeurs, dont
l'application demande une «exécution initiale», mais qui ne peut s'effectuer en
droit international que par les Etats, on ne pourra pas parler de «dédoublement
fonctionnel », à cause du conflit d'intérêt entre l'Etat-sujet (intéressé) et la qualité
d'organe (objectif)- Ce qui revient à dire que cette fonction est remplie par
Cours général de droit international public 283
l'Etat non pas en tant qu'organe, mais toujours en tant que sujet de droit interna-
tional.
Evidemment, il serait bon, de lege ferenda, que le juge, ou tout autre organe
interne, se mette consciemment au service du droit international. Mais il serait
alors au service de deux maîtres à la fois, avec un conflit d'intérêt évident, en cas
d'opposition. Et cela d'autant plus que le juge puise sa qualité d'organe et sa base
de légimitation exclusivement dans le droit interne; à moins qu'il n'intègre le
droit international, comme un élément de rang supérieur, dans son droit national.
Ce qui lui permet de s'en prévaloir dans l'exercice du contrôle de la légalité ou de
la constitutionnalité des actes internes. Mais, dans ce cas, il agit toujours comme
organe du droit interne, même s'il en adopte une vision large.
284 Georges Abi-Saab
1. Généralités
231. Il est intéressant de relever la position de Jean Combacau, dans son excel-
lent ouvrage intitulé Le pouvoir de sanction de l'ONU: étude théorique de la
coercition non militaire (Paris, Pedone, 1974, p. 44), où il conteste la position de
ceux qui considèrent la responsabilité comme une sanction juridique. Car, selon
lui, la responsabilité n'interrompt pas la chaîne normative, mais opère simplement
une transformation du contenu des obligations, établissant des rapports nouveaux
entre les parties; alors que la sanction vise l'Etat auteur de l'acte comme cible
d'une mesure de coercition et non en tant que partie à un rapport normatif, fût-il
renouvelé ou transformé. En fait, sa définition de sanction, si on la limite aux
mesures socialement décidées, correspondait à notre définition de la sanction
stricto sensu. Cependant, en tant qu'une des garanties dont le système juridique
entoure la règle pour assurer son respect, la responsabilité participe de la sanction
lato sensu, selon notre définition.
288 Georges Abi-Saab
règle violée. Il s'agit donc d'un type de règles qui créent des obliga-
tions erga omnes à la charge des Etats, et qui habilitent tous les
autres Etats, même ceux qui ne sont pas directement touchés par la
violation, à réagir juridiquement contre leur violation, et dans une
certaine mesure leur en imposent même l'obligation.
C'est ce qu'a formulé le professeur Ripaghen (le deuxième rap-
porteur spécial de la Commission du droit international, sur la res-
ponsabilité des Etats) dans l'article 14 de son projet d'articles (par-
tie II) 235 , qui est en fait une codification succincte généralisant les
conclusions auxquelles est arrivée la Cour internationale de Justice
dans son avis consultatif sur la Namibie236. Ces conclusions sont à
leur tour une élaboration des obligations des Etats membres de l'Or-
ganisation des Nations Unies, en vertu de l'article 2, paragraphe 5,
2) que les Etats Membres des Nations Unies ont l'obligation de reconnaître
l'illégalité de la présence de l'Afrique du Sud en Namibie et le défaut de
validité des mesures prises par elle au nom de la Namibie ou en ce qui la
concerne, et de s'abstenir de tous actes et en particulier de toutes relations
avec le Gouvernement sud-africain qui impliqueraient la reconnaissance
de la légalité de cette présence et de cette administration, ou qui constitue-
raient une aide ou une assistance à cet égard ;
3) qu'il incombe aux Etats qui ne sont pas membres des Nations Unies de
prêter leur asistance, dans les limites du sous-paragraphe 2 ci-dessus, à
l'action entreprise par les Nations Unies en ce qui concerne la Namibie.»
Cours general de droit international public 291
a) La notion de contre-mesures
238. Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales, vol. 18, pp. 458-493,
par. 81.
239. Annuaire de la CD!, 1979, vol. II, p. 128 (art. 30).
240. Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran, CU
Recueil 1980, p. 3.
Cours général de droit international public 293
241. Voir Annuaire de la CD!, 1979, vol. I, p. 62 (pour la discussion); vol. II,
p. 128 (pour le commentaire de la Commission sur l'article 30, notamment para-
graphe 21).
294 Georges Abi-Saab
b) L'exclusion de la rétorsion
Il est vrai que les mesures de rétorsion, bien que licites, peuvent
être un moyen puissant de pression sur l'Etat cible pour le ramener à
un comportement conforme au droit, si elles sont prises en réaction
à un acte illicite. Mais, ne tombant pas dans le champ d'interactions
sociales saisies par le droit, nous ne pouvons pas considérer qu'elles
relèvent des garanties ou moyens fournis par le système juridique
pour assurer le respect de ses normes.
Que ces mesures puissent éventuellement constituer un abus de
droit ou des actes d'«intervention» si elles n'étaient pas prises en
rétorsion245 ne les transforme pas pour autant en moyens juridiques.
Car il s'agit là de limites généralisées à la liberté d'action des sujets
du droit, impliquant le «détournement» d'activités licites à des fins
qui ne le sont pas. Elles s'appliquent à tout comportement ou à toute
action licite, couvrant ainsi, mais dépassant de loin, l'hypothèse de
la rétorsion. Dire que ces mesures sont prises en rétorsion ne fait
qu'invoquer une preuve matérielle, parmi d'autres, de l'absence des
visées interdites, et non pas un moyen juridique, plus particulière-
ment une cause d'exonération spécifiquement reconnue en droit246.
Il en va de même pour ce qui est de l'argument, impressionnant à
première vue, selon lequel la plupart des mesures visées par l'ar-
ticle 41 de la Charte (qui traite des «mesures collectives» de contrainte
non armée) sont des mesures de rétorsion et que, par conséquent,
toujours selon cet argument, si ces mesures peuvent faire partie des
sanctions stricto sensu, elles entrent a fortiori dans la catégorie plus
large des contre-mesures247.
Cependant, dans le cadre de l'article 41, le droit ne saisit et ne
mobilise ces mesures à ses propres fins qu'en tant que «mesures col-
lectives». C'est le caractère collectif, ou l'agrégation de ces
mesures, plutôt que leur nature intrinsèque, qui les rend «produc-
tives » ou « efficaces » en tant que « sanction » ; car elles servent —
de par ce caractère même — à l'isolement de l'Etat cible et à sa mise
au ban de la communauté internationale ; ce que ces mesures, prises
individuellement, ne peuvent ni signifier ni produire.
c) Les représailles
251. Voir Laurence Boisson de Chazournes, Les contre-mesures dans les rela-
tions internationales économiques, Paris, Pedone, 1992.
252. A/CN.4/444/Add.3(17juin 1992).
Cours général de droit international public 299
a) Notion
Comme nous les avons déjà définies, nous entendons par sanc-
tions stricto sensu des mesures de contrainte prises à rencontre d'un
Etat ou d'une autre entité en application d'une décision d'un organe
social compétent.
Trois éléments sont à retenir dans cette définition :
1) Il s'agit de mesures coercitives, c'est-à-dire de contrainte,
qu'elle soit armée ou non armée, matérielle (militaire, économique,
etc.), morale (condamnation) ou purement juridique (suspension ou
perte de la qualité de membre d'une organisation internationale, bien
que de telles sanctions puissent également avoir des conséquences
matérielles).
Contrainte veut dire également contre la volonté du destinataire,
ou du moins sans son consentement; le but ultime de ces mesures
étant précisément, comme toutes les voies d'exécution forcée,
d'infléchir sa volonté pour le ramener à un comportement conforme
au droit. C'est en tant que cible et non pas en tant que partie dans un
rapport juridique qu'il est visé par ces mesures.
2) Ces mesures sont prises à rencontre, c'est-à-dire au détriment,
de leur destinataire, en lui infligeant une valeur négative, une « pri-
vation » ou une perte par rapport à sa situation antérieure, en somme
une diminution quelconque dans son patrimoine de valeurs maté-
rielles ou morales.
Parallèlement à la distinction connue en matière de responsabilité
entre damnum emergens et lucrum cessans, ces sanctions peuvent
être afflictives d'un dommage (telles les mesures de contrainte
armée ou non armée des articles 42 et 41 de la Charte) ou privatives
d'un avantage. Ce qui correspond grosso modo aux sanctions des
deux versants de la summa divisio du droit international selon le
Cours général de droit international public 301
254. Voir Charles Leben, Les sanctions privatives de droits ou de qualité dans
les organisations internationales spécialisées, Bruxelles, Bruylant, 1979.
302 Georges Abi-Saab
tions stricto sensu. Il faut noter cependant que, dans cette hypothèse, l'exercice du
droit de légitime défense reste assujetti aux conditions qui lui sont imposées par le
droit international général, notamment la proportionnalité dont on pourrait raison-
nablement soutenir qu'elle n'a pas été respectée, mais dont le dépassement a été
défendu en l'espèce par la poursuite des objectifs globaux des Nations Unies dans
la région. Ce qui ne tiendrait pas juridiquement si l'on fonde l'action militaire sur
la légitime défense collective. Toutes ces controverses illustrent bien les grands
dangers qui entourent le recours à ce type hybride d'action.
260. Une action collective de contrainte armée aurait demandé d'autres déci-
sions du Conseil impossibles à obtenir, et ne pouvait provenir de l'Assemblée géné-
rale; bien qu'une tentative d'étendre la compétence de l'Assemblée générale aux
mesures collectives de contrainte ait été entreprise dans la résolution 377 (V) de
1950, dite «Union pour la paix», qui, de par son caractère manifestement exorbi-
tant et les fortes contestations auxquelles elle a donné lieu, n'a jamais trouvé appli-
cation. On est parvenu par la suite à échafauder d'autres types de «mesures collec-
tives, mais non coercitives », par l'entremise de l'Assemblée, puis le Conseil, en
forme d'«opérations de maintien de la paix» (peace-keeping operations).
Cours général de droit international public 309
262. Pour un essai par l'auteur de déceler les linéaments de cette stratégie,
notamment le rôle fondamental de l'obligation de non-reconnaissance, dans deux
cas particuliers, voir G. Abi-Saab, «Foreword», dans Vera Gowlland-Debbas,
Collective Responses to Illegal Acts in International Law: UN Action in the Ques-
tion of Southern Rhodesia, Dordrecht, Nijhoff, 1990, pp. 17 ss., et G. Abi-Saab,
«Namibia and International Law», African Yearbook of International Law, 1
(1992).
Cours general de droit international public 313
TROISIÈME PARTIE
CHAPITRE IX
I. Essai de comparaison
CHAPITRE X
I. Généralités
275. Cf. Ph. Jessup, A Modem Law of Nations, New York, Macmillan, 1946,
p. 95; G. Abi-Saab, loc. cit. supra note 187, pp. 95-113.
Cours général de droit international public 335
276. E/CN.4/L.24:
«Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes comprend en outre un
droit de souveraineté permanent sur leurs richesses et leurs ressources natu-
relles. Les droits que d'autres Etats peuvent revendiquer ne pourront en
aucun cas justifier qu'un peuple soit privé de ses propres moyens de subsis-
tance. »
277. A/Rés. 626 (VII) (l'italique est de nous). Le climat dans lequel fut adoptée
cette résolution, parfois qualifiée de «résolution sur les nationalisations», a été
décrit de façon suggestive dans les termes suivants :
«The resolution hit the Assembly while the Iranian oil controversy was
still very intense. Bolivia had just nationalized its tin industry . . . The Gua-
temalan Government was getting ready to take over United Fruit properties.
Nationalization was a very live issue in Chile and Argentina and had
recently been in Mexico. » (E. H. Kellog, The 7th General Assembly
"Nationalization Resolution " : A Case Study in United National Economic
Affairs, New York, Woodrow Wilson Foundation, 1955, p. 7.)
278. Anglo-Iranian Oil Co. v. Indeitsu Kosan Kabushiki, International Law
Reports (¡LR), vol. 20, pp. 305-313; Anglo-Iranian Oil Co. v. SUPOR, ILR,
vol. 22, pp. 23-40. Signalons toutefois qu'il a été fait droit à une revendication
similaire dans l'affaire Rosemary, ¡LR, vol. 20, p. 316. Mais il s'agissait d'une
décision rendue par un tribunal britannique (d'Aden), autrement dit par le tribu-
nal de l'une des parties et non, comme dans les deux autres cas, par une tierce
partie neutre.
336 Georges Abi-Saab
rence entre ces deux textes se révèle comme portant non pas sur la
proposition normative qui s'en dégage, mais plutôt sur l'importance
relative qu'ils attribuent à ses différentes composantes. En effet, la
référence au droit international dans la résolution 1803 n'apporte
aucune réponse à la question de savoir si — ou comment — ce droit
complète ou limite la législation et la compétence nationales par rap-
port aux investissements étrangers, bien qu'il s'agisse là du cœur de
la controverse qui a suscité la résolution. De même, l'absence de
référence au droit international dans la Charte des droits et devoirs
économiques des Etats, si elle a un effet psychologique certain,
n'exclut pas que ce droit s'applique lorsqu'il y a lieu. Ce à propos de
quoi la résolution 1803 ne nous éclaire pas davantage.
On peut en dire autant de la réaffirmation du principe pacta sunt
servanda dans cette même résolution et de son absence dans la
Charte. C'est là un principe fondamental du droit, reconnu par tous
les systèmes juridiques internes comme en droit international. Il
s'applique donc à tous les accords, y compris ceux qui ont été passés
entre des Etats et des investisseurs étrangers, quel que soit le droit
qui régisse ces accords, et que ce principe soit ou non mentionné
dans les résolutions des Nations Unies. Cependant, dans aucun sys-
tème juridique, pacta sunt servanda ne signifie que les accords
échappent à toute modification. Du point de vue pratique, l'impor-
tant est que soient précisées la portée et les modalités d'application
du principe et les limites et exceptions qu'il comporte, toutes choses
qui varient d'un système juridique à l'autre. La simple mention de ce
principe dans la résolution 1803 ne nous avance guère à cet égard.
Elle ne nous renseigne pas davantage sur le droit applicable à ces
accords entre Etats et investisseurs étrangers. Le principe étant recon-
nu par tous les systèmes, sa mention dans la résolution ne signifie
pas, comme d'aucuns l'ont affirmé, que ces accords sont régis par le
droit international, ni du reste par un hypothétique troisième ordre
juridique, intermédiaire entre le droit interne et le droit international,
qu'on le dénomme «droit transnational» ou «lex mercatoria»219.
Loin de constituer un « accord international », qualification ferme-
ment réfutée par la Cour internationale de Justice dans l'Affaire de
l'Anglo-lranian Oil Co. en 1952280, ce type d'accord «n'est rien de
plus qu'un contrat ... entre un gouvernement et une société privée
3. Expropriation et nationalisation
b) Le motif de la nationalisation
283. Voir supra note 279. Un problème différent — appelant une solution dif-
férente — se pose en ce qui concerne les avoirs des sociétés étrangères nationa-
lisées se trouvant hors des limites de la juridiction territoriale de l'Etat qui natio-
nalise au moment où celui-ci prend une telle mesure.
344 Georges Abi-Saab
c) L'obligation d'indemniser
i) Le droit applicable
La résolution 1803 et la Charte des droits et devoirs économiques
des Etats utilisent le même adjectif « appropriate » en anglais (mal
traduit par « adéquate » en français, pour des raisons qui deviendront
plus claires par la suite, et que nous avons traduit par «appropriée»)
pour qualifier l'indemnité. Elles semblent diverger cependant dans
leur formulation du standard permettant de jauger le caractère
«approprié» de l'indemnisation. Toutes deux se réfèrent en premier
à la loi nationale de l'Etat qui nationalise. Mais la résolution 1803
ajoute le droit international, alors que la Charte élargit la marge dis-
crétionnaire du standard national en ajoutant, après «compte tenu de
ses lois et règlements», le membre de phrase «et de toutes les cir-
constances qu'il juge pertinentes».
Cependant, ici aussi, la différence entre les deux textes réside
davantage dans leur éclairage respectif que dans leur contenu norma-
tif. En effet, même si seule la loi nationale est applicable, le rôle du
droit international ne disparaît pas complètement, car il continuera
pour le moins à contrôler la «régularité» de l'application de la loi
nationale aux étrangers. Il en est de même pour ce qui est de
l'absence de référence au droit international dans la Charte; car, hor-
mis l'effet psychologique, la formule de la Charte n'exclut pas la
possibilité de se référer à d'autres éléments que ceux expressément
mentionnés. Mais il faut alors, puisque la disposition ne les men-
tionne pas, que ces éléments reposent sur des bases juridiques qui
leur soient propres, c'est-à-dire qui relèvent du droit international
général. Et, en se référant à une indemnisation «appropriée», la
Charte confirme elle-même qu'il s'agit là, au moins dans le principe,
d'une exigence du droit international général.
289. G. Hackworth, op. cit. supra note 288. Cette opinion est partagée par
quelques éminents juristes occidentaux comme Lauterpacht, qui ont estimé que
lorsque les nationalisations s'inscrivent dans le cadre d'une vaste réforme
sociale une indemnisation partielle peut être suffisante (Oppenheim, Internatio-
nal Law, vol. 1, 8e édition par Lauterpacht, Londres, Longmans, 1955, p. 352).
Voir aussi P. Guggenheim, Traité de droit international public, vol. I, Genève,
Georg, 1953, p. 334, et les nombreuses sources qui y sont citées; I. Brownlie,
Principles of Public International Law, Oxford, Clarendon Press, 1966, p. 440.
Il y a lieu toutefois de noter qu'en dehors des nationalisations générales ou à
très grande échelle l'expropriation d'une seule propriété ou entreprise étrangère
(évidemment de taille importante) peut être un élément décisif d'une réforme
sociale, par exemple lorsque cette entreprise contrôle un secteur clé de l'écono-
mie ou possède de vastes domaines fonciers dont l'expropriation est nécessaire
à une réforme agraire. En pareil cas, la ratio legis sur laquelle repose la règle de
l'indemnisation partielle ne dépend donc pas du caractère spécifique ou général
de l'acte dont on fait parfois un critère de distinction entre expropriation et
nationalisation, mais peut s'appliquer aux deux types d'actes.
348 Georges Abi-Saab
290. Voir, par exemple, les affaires citées supra note 181.
Cours general de droit international public 349
291. Voir, par exemple, la sentence n" 310-56-3 (du 14 juillet 1987). Cf.
D. W. Bowett, «State Contracts with Aliens; Contemporary Developments on
Compensation for Termination or Breach», BYBIL, 1988.
350 Georges Abi-Saab
292. Voir le jugement significatif rendu par la cour d'appel des Etats-Unis
d'Amérique pour le deuxième circuit dans l'affaire Banco Nacional de Cuba v.
Chase Manhattan Bank, 658 F2d. 875, 892 :
«It may well be the consensus of nations that full compensation need not
be paid "in all circumstances" . . . and that requiring an expropriating State
to pay " appropriate compensation " — even considering the lack of precise
definition of that term — would come closest to reflecting what internatio-
nal law requires. »
293. Il importe à cet égard de distinguer entre l'arbitrage international propre-
ment dit et l'arbitrage commercial international. Le premier s'appuie toujours
sur un accord international, même lorsque l'affaire relève plus directement d'un
autre accord, conclu entre l'Etat et une partie privée, et pour lequel l'accord
international sert de base nécessaire. C'est le cas des arbitrages rendus dans le
cadre du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux inves-
tissements (CIRDI) de la Banque mondiale. En revanche, l'arbitrage commercial
international se fonde sur un engagement contractuel, même si l'une des parties
est un Etat. Il relève toujours du droit interne et de la compétence nationale,
puisque le juge statuant en dernier ressort est toujours un juge national (soit de
l'Etat en cause soit d'un autre Etat où la sentence est contestée ou son exécution
requise), même lorsque ce juge défère, conformément au droit de son pays, à la
volonté des parties telle qu'elle est exprimée dans le contrat.
Cours general de droit international public 351
CHAPITRE XI
en la situant dans un cadre général, qui s'est avéré être par la suite la
formulation presciente des linéaments du système juridique émer-
gent294.
Grotius commence par réfuter la position de ceux qui considèrent
«que la guerre est incompatible avec toute sorte de droit» 295 , ou qui
s'imaginent «que l'obligation de tout droit cesse entre ceux qui ont
les armes à la main l'un contre l'autre» 296 . Il affirme, au contraire,
sa conviction «qu'il y a un droit commun à tous les peuples, qui a
lieu et dans les préparatifs [lire le recours] et dans le cours [lire la
conduite] de la guerre» 297 ; la dichotomie reflétant la distinction
classique entre le jus ad bellum et le jus in bello.
Selon Grotius, en effet, loin d'être la négation de tout droit, la
guerre peut être mise au service du droit. Car elle est l'ultime
recours contre ceux qui sont, ou croient qu'ils sont, à cause de leur
force, au-dessus du droit298. En d'autres termes, la guerre peut servir
comme un instrument rationnel pour la réalisation de la justice natu-
relle, une voie d'exécution du droit naturel. Et c'est en remplissant
ce rôle qu'elle devient «guerre juste».
La notion de «guerre juste» a aujourd'hui une mauvaise connota-
tion. Elle évoque l'image de belligérants fanatisés qui croient que la
justice de leur cause prime tout droit et légitime tous les dépasse-
ments jusqu'à son triomphe final. Or, la «guerre juste» est une théo-
rie du droit naturel. Et cette image négative correspond grosso modo
à une interprétation caricaturale de la version «révélée» ou théocra-
tique du droit naturel en la matière, qu'on peut déceler dans cer-
taines justifications des croisades, et plus encore de la conquista du
Nouveau Monde, comme riposte à la résistance des Amérindiens à la
propagation de la foi, ainsi que dans certaines acceptions extrémistes
de la doctrine dejihad en Islam. En d'autres termes, c'est la guerre
de ceux qui croient qu'ils détiennent la vérité absolue et qui luttent
pour établir son empire universel, par la force s'il le faut, car ceux
qui y font obstacle, en refusant de reconnaître cette vérité, mènent
une guerre injuste par définition, même s'ils ne font que résister à
cette imposition.
294. Supra, chapitre II. Cf. G. Abi-Saab, loc. cit. supra note 36.
295. Prolégomènes III.
296. Prolégomènes XXVI.
297. Prolégomènes XXIX. (L'italique est de nous.)
298. Prolégomènes XXV: «Car à l'égard de ceux qui sont ou qui se croient
assez forts pour lui tenir tête, on est obligé de prendre contre eux la voie des
armes. »
354 Georges Abi-Saab
2. Le problème de la « constatation »
et le «processus d'interaction»
3. Mattel
4. La «théorie de l'indifférence»
312. Kelsen, op. cit. supra note 144, p. 36. P. Guggenheim, Traité de droit
international public, t. II, Genève, Georg, 1954, p. 94.
Cours général de droit international public 359
d'une réaction du système juridique en tant que tel, même quand son
exécution est confiée aux Etats individuellement.
Ce système relativement simple et logiquement cohérent a été for-
tement contesté dans la pratique surtout par les plus puissants, qui le
considèrent trop restrictif de leur «liberté d'action». Beaucoup
d'ingénuosité et d'acrobatie rhétorique ont été déployées pour le
faire exploser, ou du moins certaines de ses limites, en œuvrant dans
trois directions :
a) rétrécir, par une interprétation restrictive, le champ d'application
de la règle ;
b) étendre, par un processus opposé, presque ad infinitum, le champ
d'application de l'exception de la légitime défense, au point par-
fois de lui faire perdre tout sens ; et
c) essayer de faire admettre d'autres exceptions qui n'ont de limites
que celles de l'imagination.
Il n'y a pas lieu de se pencher ici sur ces diversions, si ce n'est
qu'incidemment au cours de l'exposé rapide de la règle et de
l'exception, que nous entreprenons en nous appuyant sur trois
moments décisifs dans l'élaboration et l'élucidation de ce principe à
partir de la Charte et de la pratique subséquente, à savoir la Déclara-
tion de 1970 (résolution 2625 (XXV)); la résolution 3314 (XXIX)
de 1974, portant sur la «Définition de l'agression», et enfin l'arrêt
au fond de la Cour internationale de Justice dans l'affaire des Acti-
vités militaires et paramilitaires au Nicaragua, de 1986.
315. CU Recueil 1986, pp. 64-65, par. 116. Cf. p. 62, par. 110; p. 139,
par. 277; p. 148, par. 292 (dispositif, al. 9).
364 Georges Abi-Saab
316. Le texte anglais original est plus clair: «The first use of armed force by
a State in contravention of the Charter shall constitute a prima facie evidence of
an act of aggression. »
366 Georges Abi-Saab
319. Si cette mesure est prise par une partie forte contre une partie faible,
cette dernière acquiesçait d'habitude à cette qualification juridique pour en limi-
ter les dégâts ; autrement, elle n'était pas liée par cette qualification juridique de
l'acte de belligérance perpétré contre elle, et pouvait pour sa part le considérer
comme inaugurant un «état de guerre» entre elles.
370 Georges Abi-Saab
par ceux qui défendent une attitude plus permissive quant au recours
individuel à la force. Ces échappatoires sont pour la plupart des
extensions, parfois sans limite et presque toujours de prime abord
inadmissibles, de la légitime défense. Procédant d'habitude d'une
interprétation ultra-extensive de la légitime défense, le raisonnement
change fréquemment, au milieu du parcours, pour déboucher sur une
autre base de justification.
Dans beaucoup de ces cas, il s'agit en réalité de représailles
armées déguisées en légitime défense, en l'absence d'une des condi-
tions, ou au mépris d'une des limites, de l'exercice de ce droit. Cer-
tains de leurs partisans continuent à les qualifier de légitime défense
tout en invoquant en même temps et pour les mêmes actes les
«représailles» comme base légitime et indépendante d'intervention
militaire; et cela malgré le texte clair de l'article 2, paragraphe 4, de
la Charte et la mention expresse des représailles dans la Déclaration
de 1970 parmi les formes interdites du recours à la force aux termes
de cet article.
Il en est de même, pour ce qui est du «droit de poursuite», qu'on
invoque comme base autonome (par la fausse analogie avec le droit
de la mer, bien qu'il n'existe juridiquement que dans ce contexte et
dans des conditions limitativement spécifiées), tout en le représen-
tant comme une espèce de légitime défense au mépris de plusieurs
de ses limites (sur le territoire d'un tiers Etat, après le fait, d'habi-
tude en riposte à des actes indivuduels n'atteignant pas le seuil
d'agression armée). Pour ne pas mentionner les «attaques contre les
sanctuaires des terroristes», une justification des plus ténues en elle-
même ou par rapport à la légitime défense; ou, plus fantaisistes
encore, «les attaques contre les trafiquants de drogue».
Enfin, la «défense des citoyens à l'étranger» est pour certains de
la légitime défense (au mépris des limites ratione loci et ratione
materiae), pour d'autres une exception autonome et pour d'autres
encore une «intervention d'humanité».
En passant de la légitime défense à l'intervention d'humanité,
nous changeons cependant de logique juridique, de celle d'une
action entreprise uti singulus à celle d'une action uti universas ou au
nom de la communauté, comme si l'Etat agissait comme son manda-
taire ou son agent d'exécution. Cependant, il s'agit là d'une qualité
et d'un mandat que l'Etat ne peut s'arroger unilatéralement.
Il est vrai qu'avec la tendance vers la hiérarchisation des normes
et l'émergence d'obligations erga omnes les Etats ont acquis une
Cours general de droit international public 375
rerait ou produirait dans son sillage un droit à son image, qui serait
modifié à son tour par l'acte suivant.
Dans cette perspective, quelle est alors la pratique internationale
en la matière? En premier lieu, il n'existe pas une pratique permis-
sive généralisée. Cette tendance est limitée à peu d'Etats, presque
toujours les mêmes, et on ne peut pas généraliser à partir d'une telle
base étroite.
Ce comportement, même s'il est sélectif et partiel, peut-il du
moins être «destructif» du principe, en révélant l'absence d'une
opinio juris généralisée le soutenant? Tout d'abord il s'agit là de
normes conventionnelles, car Figurant dans la Charte. Mais même si
l'on s'en tient au droit international général, cet argument ne porte
pas. Car — et c'est là l'un des apports majeurs de l'affaire des Acti-
vités militaires et paramilitaires au Nicaragua, mettant l'hypocrisie
au service du droit — si les Etats qui commettent les violations ne se
justifient pas sur la base de l'absence ou de la disparition du prin-
cipe, mais en se prévalant de certaines justifications ou exceptions
découlant de leur interprétation de ce principe, même si cette inter-
prétation n'est pas acceptable, le comportement de ces Etats, loin
d'affaiblir le principe, le consolide en rafermissant Yopinio juris
quant à son obligatoriété324.
Quant à la réaction aux violations, s'il est vrai qu'il n'y a pas tou-
jours eu condamnation collective chaque fois qu'une telle violation a
eu lieu325, il est également vrai qu'il y a eu suffisamment de com-
damnations de cas de violations, davantage à l'Assemblée générale
324. CU Recueil 1986, p. 98, par. 186. La Cour commence par une déclara-
tion générale :
«La Cour ne pense pas que, pour qu'une règle soit coutumièrement éta-
blie, la pratique correspondante doive être rigoureusement conforme à cette
règle. Il lui paraît suffisant, pour déduire l'existence de règles coutumières,
que les Etats y conforment leur conduite d'une manière générale et qu'ils
traitent eux-mêmes les comportements non conformes à la règle en question
comme des violations de celle-ci et non pas comme des manifestations de la
reconnaissance d'une règle nouvelle.»
Elle poursuit en développant l'argument spécifique mentionné dans le texte:
«Si un Etat agit d'une manière apparemment inconciliable avec une règle
reconnue, mais défend sa conduite en invoquant des exceptions ou justifica-
tions contenues dans la règle elle-même, il en résulte une confirmation plu-
tôt qu'un affaiblissement de la règle, et cela que l'attitude de cet Etat puisse
ou non se justifier en fait sur cette base. »
325. Il faut préciser qu'il y a toujours des réactions individuelles; mais
celles-ci, à moins qu'elles ne soient très nombreuses, peuvent être contrées sous
prétexte qu'elles ne font que révéler une divergence d'interprétation.
378 Georges Abi-Saab
CHAPITRE XII
326. Terme et catégories que nous pouvons trouver jusque dans la littérature
contemporaine. Voir par exemple Ch. Rousseau, Droit international public,
vol. IV, Paris, Sirey, 1980, p. 46.
382 Georges Abi-Saab
CHAPITRE XIII
/. Origines et évolution
1. Avant la Charte
c'est-à-dire des habitants des territoires qui allaient être cédés ou rat-
tachés à d'autres. C'est dans ce sens qu'on peut dire qu'une certaine
idée de l'autodétermination a commencé à prendre racine dans la
pratique du XIXe siècle; mais il s'agit d'une accception très particu-
lière et limitée à l'Europe. On n'avait surtout pas en vue l'autodéter-
mination des peuples des contrées lointaines qu'on était en train de
subjuguer par l'épée.
C'est dans le même esprit, mais dans une formulation beaucoup
plus affirmative, que le principe de l'autodétermination trouve sa
place parmi les quatorze points proclamés par le président Wilson au
cours de la première guerre mondiale, pour le règlement des pro-
blèmes de l'après-guerre. Mais là également l'autodétermination est
prévue exclusivement à l'intention des peuples de l'Europe centrale
et orientale, qui constitueront sur cette base les Etats issus de la dis-
location des empires austro-hongrois et russe. En revanche, sont lais-
sés pour compte les peuples de l'autre grand empire qui s'effondre,
l'Empire ottoman, dont la dislocation a donné lieu à l'expansion
coloniale franco-britannique au Moyen-Orient.
Le Pacte de la Société des Nations ne porte aucune mention du
principe, malgré les efforts de Wilson, et ne lui accorde aucun rôle,
sauf peut-être très indirectement en ce qui concerne les mandats A.
337. H. Kelsen, The Law of the United Nations, Londres, Stevens, 1950,
p. 51.
Cours général de droit international public 395
339. Il est vrai qu'au cours des débats certaines réserves ont été émises à
l'encontre de l'article 1, par exemple de la part du Portugal et du Royaume-Uni.
398 Georges Abi-Saab
340. En ce qui concerne les populations de ces territoires, l'article 76, lettre b),
de la Charte énumère parmi les «fins» du régime de tutelle:
«favoriser ... leur évolution progressive vers la capacité à s'administrer
eux-mêmes ou l'indépendance, compte tenu des conditions particulières à
chaque territoire et à ses populations, des aspirations librement exprimées
des populations intéressées...»
402 Georges Abi-Saab
346. CU Recueil 1986, p. 108, par. 206. Cette phrase incidente a valu à la
Cour une longue diatribe dans l'opinion dissidente du juge américain Schwebel,
ibid., pp. 348-352.
416 Georges Abi-Saab
CHAPITRE XIV
348. «Dans la conduite des relations entre Etats, il n'est pas d'exigence plus
fondamentale que celle de l'inviolabilité des diplomates et des ambassades...»
(C/7 Recueil 1979, p. 19; CU Recueil 1980, p. 42, par. 91.) La formule est plus
percutante dans l'original anglais: «There is no more fundamental prerequisite
for the conduct of relations between States than the inviolability of diplomatic
envoys and embassies. . . . » (L'italique est de nous.)
Cours général de droit international public 419
349. CU Recueil 1979, pp. 19-20, par. 38, 39, 41 ; CU Recueil 1980, p. 24,
par. 41-43, p. 41, par. 88. Ces règles sont-elles pour autant du jus cogens? Cf.
Ch. Dominicé, «Les rapports entre le droit diplomatique et le système de contre-
mesures entre Etats », Diplomazia e storia della relazioni internazionali. Studi
in onore di Enrico Serra, Milan, Giuffrè, 1991, pp. 795-811.
420 Georges Abi-Saab
350. Cette tendance, bien que présente dans les pays de droit civil depuis la
période de l'entre-deux-guerres, est relativement récente dans les pays de com-
mon law.
Cours général de droit international public 421
352. Voir l'article de Lauterpacht, cité supra note 78, pp. 17-19.
Cours general de droit international public 425
dans certains de ses aspects au dol, car elle implique également une
conduite frauduleuse de la part d'une partie en soudoyant le «repré-
sentant» de l'autre pour l'amener à contracter.
4) La contrainte est consacrée dans deux articles: le premier,
l'article 51, concerne la contrainte sur le «représentant» de l'Etat.
C'est d'ailleurs l'ironie du droit international classique de nous four-
nir quelques rares exemples où il reconnaît la contrainte sur la per-
sonne du représentant de l'Etat comme cause de nullité, alors qu'il
ne la reconnaît pas comme vice de consentement si elle s'exerce sur
l'Etat lui-même. Et c'est là que réside la grande innovation de
l'article 52, qui consacre la contrainte contre l'Etat comme cause de
nullité absolue. C'est la conséquence inévitable du principe de
l'interdiction du recours à la force dans son application au droit des
traités. Cet article n'a pas été adopté sans difficultés et ne recouvre
en fait que la contrainte armée, tout en laissant la voie libre pour une
évolution plus extensive dans l'avenir353.
5) La lésion n'a pas été retenue dans la Convention de Vienne. Se
basant sur un déséquilibre fondamental entre les prestations des par-
ties, la lésion, dans les systèmes juridiques qui la reconnaissent, est
fondée sur une présomption de dol ou de contrainte initiale. Elle
s'est exprimée dans la literature du droit international classique à
travers la théorie des traités inégaux. Et là où elle opère elle est
considérée comme une cause de révision ou de résiliation plutôt que
cause de nullité. Cependant, si la volonté est protégée en amont par
un système complet de vices de consentement, elle n'a pas besoin de
cette protection additionnelle en aval.
353. Voir G. Abi-Saab, loc. cit. supra note 53, p. 51. La formule de compro-
mis de l'article 52 renvoie à la Charte, de sorte que si dans l'avenir l'artricle 2,
paragraphe 4, de la Charte est interprété comme recouvrant l'emploi d'autres
formes de force que celle de la force armée, cette interprétation s'appliquera
automatiquement ici aussi. Il faut signaler également la «Déclaration sur l'inter-
diction de la contrainte militaire, politique ou économique lors de la conclusion
des traités », résolution adoptée en même temps que la Convention à la clôture
de la Conférence de Vienne en 1969.
Cours general de droit international public 427
a) La reformulation de la problématique
La responsabilité est une composante fondamentale de tout sys-
tème juridique. Mais elle est perçue et présentée de manières diverses.
Contrairement au droit des traités, dont les règles péchaient initia-
lement par leur caractère par trop général, qui les rendait insensibles
à la fonction et au contenu de l'instrument, les règles classiques de la
responsabilité internationale se sont développées et affinées à partir
d'une base, ou d'une catégorie d'activités, très étroite, à travers la pra-
tique résultant de l'expansion économique des grandes puissances dans
le reste du monde, surtout l'interaction entre les Etats-Unis d'Amérique
et les pays latino-américains, au cours du XIXe siècle. Ces règles
reflétaient par nécessité les rapports de force qui sous-tendaient ces
relations ; ce qui a amené le grand jurisite américain Philip Jessup à
les décrire comme règles issues de l'impérialisme économique360.
La construction technique du sujet s'est clarifiée et stabilisée dès
le début du siècle à travers l'œuvre du grand juriste italien D. Anzi-
lotti361, qui ramène la responsabilité à trois éléments:
1) une violation d'une obligation (et non une faute ou culpa);
2) son attribution à un Etat ;
3) un dommage subi en conséquence.
Cette responsabilité peut être directe, lorsque la violation est celle
d'une obligation due directement à l'Etat demandeur, ce qui était
rare en pratique et ne méritait d'habitude qu'une simple mention;
360. Philip Jessup, A Modem Law of Nations, New York, MacMillan, 1946,
p. 96:
«The history of the development of the international law on the respon-
sibility of States for injuries to aliens is thus an aspect of the history of
"imperialism" or "dollar diplomacy" ».
361. D. Anzilotti, Teoria generale della responsabilità dello Stato nel diritto
internazionale, 1902, et, en français, «La responsabilité internationale des Etats à
raison des dommages soufferts par des étrangers», RGDIP, 13 (1906), pp. 5-29.
432 Georges Abi-Saab
elle peut être indirecte, lorsque la violation porte sur un droit appar-
tenant à un ressortissant de l'Etat demandeur, Etat qui intervient en
exerçant la «protection diplomatique». C'est cette variété-là qui
constituait la quasi-totalité de la «pratique internationale» susmen-
tionnée, et qui a attiré toute l'attention de la doctrine, en examinant
les différents types d'actes attribuables à l'Etat exclusivement sous
cet angle, qu'ils soient législatifs (expropriation), judiciaires (déni de
justice), ou exécutifs (emprisonnement, abrogation de concessions).
La responsabilité d'Etat pour dommages subis par les étrangers
devait faire l'objet d'un des projets de codification de la Conférence
de La Haye de 1930; projet qui n'a pas abouti, mais qui a suscité un
grand œuvre de codification privée dans le cadre de la Harvard
Research, sous la direction du professeur M. O. Hudson, intitulé
Responsibility of States for Damage Done in Their Territory to the
Person or Property of Foreigners^2.
Dans le cadre des Nations Unies, la Commission du droit interna-
tional a chargé, dès le début de son fonctionnement, son membre
cubain, M. Garcia Amador, de préparer un projet d'articles sur la
responsabilité. Evoluant dans la même mouvance, tout en essayant
d'échapper à la protection diplomatique ou bilatérale, mais sachant
que le standard national de traitement des étrangers n'était pas géné-
ralement acceptable, il essaya de remplacer la protection diploma-
tique par un système généralisé de protection de droits de l'homme,
qui ferait partie de tout standard national et qui inclurait une protec-
tion particulière des droits de propriété.
Cette approche rencontra la résistance farouche des pays socia-
listes et du tiers monde pour avoir privilégié exclusivement la res-
ponsabilité internationale pour violation des droits économiques pri-
vés, l'un des sujets les plus controversés, tout en ignorant celle issue
de violations de principes autrement plus importants, tels le droit à
l'autodétermination et l'interdiction de la discrimination.
La relance du sujet s'est faite grâce au professeur Roberto Ago,
au cours des années soixante, en partant de la théorie d'Anzilotti,
tout en l'ajustant. Son point de départ est la séparation radicale entre
la responsabilité comme mécanisme juridique, c'est-à-dire en tant
que réaction du système à l'illicite, et les règles substantielles dont la
violation donne lieu à cette réaction. Il distingue ainsi entre les
363. Voir G. Abi-Saab, «The Concept of International Crimes and Its Place in
Contemporary International Law», dans J. Weiler, A. Cassese, M. Spinedi (dir.
pubi.), International Crimes of States, Berlin, Gruyter, 1989, pp. 141-150,
notamment pp. 147-148.
434 Georges Abi-Saab
c) Le processus d'interaction
V. Le jus in bello
367. Pour plus de détail, voir G. Abi-Saab, loc. cit. supra note 357.
438 Georges Abi-Saab
CHAPITRE XV
LE DROIT DE COOPÉRATION
I. Généralités
369. Nous envisageons ce terme ici dans le sens du droit (objectif) qui régit
l'utilisation des moyens matériels de communication, c'est-à-dire les moyens de
circulation des personnes, biens, services et messages d'un point à un autre.
Il ne s'agit pas du jus communicationis, le droit subjectif de communiquer ou
d'établir des relations avec l'autre, que nous avons mentionné au chapitre II, et
qui a été invoqué pour justifier la conquista.
442 Georges Abi-Saab
Cela ne veut pas dire que l'individu n'était pas pris en compte par
le droit international jusqu'alors. Et nous pouvons même dire, en
suivant Georges Scelle dans son monisme radical, que toute règle de
droit, quelle que soit sa classification, ne peut avoir en fin de compte
qu'un seul destinataire, l'individu.
Il ne s'agit pas là, cependant, de l'ultime destination des règles,
mais des méthodes de leur gestion juridique. Vu sous cet angle, le
droit international classique appréhendait l'individu de manière indi-
recte ou médiate en formulant toujours les rapports juridiques en
termes interétatiques; et cela soit en «étatisant» l'individu (le diplo-
mate en tant qu'organe de l'Etat; la subrogation personnelle de
l'Etat à l'individu dans la réclamation, par la protection diploma-
tique, etc.), soit par l'extension des limites de la compétence étatique
(la compétence pénale universelle en matière de piraterie, par
exemple).
L'innovation de la Charte des Nations Unies en la matière était de
mettre le «développement» et 1'«encouragement» du «respect des
droits de l'homme et des libertés fondamentales pour tous» au
centre des préoccupations de l'Organisation. En d'autres termes, elle
a soustrait cette matière du domaine réservé des Etats pour en faire
un des domaines privilégiés de la « coopération internationale » (art. 1,
par. 3), notamment par l'élaboration d'instruments normatifs et la
mise sur pied de mécanismes de contrôle.
Cependant, cette coopération reste essentiellement interétatique,
bien qu'à prédominance multilatérale. Ce qui explique le grand écart
entre les aspirations et les réalisations ; car le sujet touche au ressort
même du pouvoir de l'Etat sur ses citoyens et son territoire, c'est-
à-dire à ce qui était traditionnellement considéré comme l'essence de
la souveraineté interne. Et ce n'est pas l'accès marginal, et somme
toute exceptionnel, de l'individu à certains mécanismes de contrôle,
plus au niveau régional qu'universel, qui change fondamentalement
cette situation.
Ce serait, en effet, une victoire à la Pyrrhus pour la cause de
l'individu et des droits de l'homme et un exercice de pur nomina-
lisme futile que de considérer que l'individu, sur la base de cet accès
exceptionnel à certaines instances de contrôle, est devenu un « sujet
de droit international», marquant ainsi «la fin de l'histoire», ou plu-
tôt la fin de l'emprise juridique de l'Etat sur l'individu en droit inter-
national.
Etre «sujet» de droit relève d'une toute autre problématique. C'est
444 Georges Abi-Saab
une qualité juridique qui émerge d'un état de fait ou d'une activité
qui, vu son caractère récurent, appelle une réglementation juridique
et fait de son auteur un «acteur normal», mais pas nécessairement
principal, sur la scène internationale. C'est dans ce sens que, pour
employer les termes de la Cour, elle est fonction des «besoins de la
communauté» ou des «exigences de la vie internationale»370.
En d'autres termes, nous voyons ici un autre exemple de ce qu'on
peut appeler la loi épistémologique de «la règle et l'exception»,
selon laquelle les exceptions sont expliquées à travers le paradigme
ou en termes de la règle; et cela jusqu'à ce que, par la récurrence,
une nouvelle «normalité» de ce qui était exceptionnel jusqu'alors
s'impose (l'accumulation quantitative engendrant une transformation
ou un «saut qualitatif»), en la forme d'un nouveau paradigme expli-
catif.
C'est également la raison pour laquelle on ne saurait être un sujet
exclusivement d'une règle, bien qu'on puisse en être le bénéficiaire
ou l'ultime destinataire. On est le «sujet» du système ou on n'est
pas. Car il s'agit d'une capacité d'agir en général sur le plan interna-
tional, même si elle n'atteint pas la plénitude de la capacité éta-
tique371.
3. Le droit de l'environnement
1. Les origines
Les buts des Nations Unies sont si larges qu'ils balaient en fait
tout le champ des relations internationales. Mais les moyens que la
Charte met à la disposition de l'Organisation en tant qu'acteur pour
leur poursuite, en termes de pouvoirs et de ressources, sont beaucoup
plus modestes ; ses organes, sauf pour le Secrétariat, étant en prin-
cipe des organes de délibération.
Ce schéma est assujetti, cependant, à une exception fondamentale,
au cas où le Conseil de sécurité agit dans le cadre du chapitre VII, en
adoptant des «mesures collectives» pour faire face à une «menace
contre la paix, une rupture de la paix ou un acte d'agression», et où
le Conseil se transforme, par sa propre «constatation» en un «exé-
cutif international». Une éventualité rapidement étouffée par l'avè-
nement de la guerre froide.
Paradoxalement, la paralysie du système de sécurité collective du
Cours general de droit international public 451
2. Le droit au développement
POUR CONCLURE
376. Leur porte-parole le plus éloquent est le professeur Prosper Weil, parti-
culièrement dans un article qui a fait date, intitulé « Vers une normatività relative
en droit international?», RGDIP, 86 (1982), p. 5. Voir également la version
anglaise, plus peaufinée, dans AJIL, 11 (1983), p. 413.
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