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linguistique
et ' , c
colonialisme
petit traité de glottophagie
DU M ÊM E A U TEU R , A LA M Ê M E L IB R A I R I E l
linguistique
et
colonialisme
petit traité de glottophagie
352
RÉFÉRENCES
L.-J. C.
Janvier 1974.
PREM IÈ R E P A R T IE
PROBLEMES GENERAUX
C H A P IT R E PR E M IE R
LA. TH ÉO R IE DE LA LANGUE
ET LE COLONIALISME
L E X V Ie SIÈ C L E : LA PY R A M ID E
LA N G U E, JA R G O N E T IN É G A L IT É AU X V IIIe SIÈ C L E
ío Id., p. 508.
(■) A dam S m i t h , « Considérations sur l’origine e t la form ation de«
lingues i, in Varía Lingüistica, c it., p. 310.
(■) Varia Lingüistica, p. 307.
(•) F. T h u r o t , Tableau des progris de la science grammaticale,
1796, réédition aux éd. D ucrot, 1070, p. 97 e t 103-104.
30 LA THÉORIE DE LA LANGUE
n’a pas le pouvoir, mais encore un parler qui, par ses caracté
ristiques provinciales ou rurales (puisque la langue au pouvoir
est d’abord parlée dans la capitale puis dans les métropoles de
province. Voir chapitre 3), est péjorée par essence : elle est de
nature inférieure. Certes, certains linguistes ont tenté une
approche plus historique, comme E. Bourciez qui écrivait :
« J’ai pris mes héros au dernier degré de l’échelle sociale, parce que
notre patois ne pouvait être placé convenablement que dans leur
bouche, parce qu’il exclut toute idée de grâce et ne peut bien rendre
que de la force ; parce que ce dialecte est brutal et impétueux comme
le vent du nord-ouest qui lui a donné naissance et lui a imprimé ion
cachet d’ouragan, parce que nos femmes elles-mêmes, qui sont
pourtant si jolies, deviennent laides quand elles articulent ce langnui-
Uiabolique. »
50 LES DIALECTES ET LA LANGUE
(*) Sur Victor Gelu, voir V. Gelu, Cançons causidas per G. Basalgas,
C. E. O. de Montpellier.
(’) E. M asson, Les temps nouveaux, 6 ju in 1912, repris dans Les
Bretons et le socialisme, Paris, 1972, p. 186.
LES DIALECTES ET LA LANGUE SI
la langue impériale qu’ils défendent le breton ou l’occitan,
plus contre le jacobinisme triomphant, mais contre les bretons
e t les occitans eux-mêmes. La tradition péjorative attachée
au faux couple théorique langue-dialecte, venue du fond des
âges mais reprise et rénovée d’un vernis « scientifique » par
les linguistes, a fait son chemin jusqu’au plus profond de la
tête des gens.
LA D E SC R IPTIO N COLONIALE
Civilisé — sauvage
Langue — dialecte (ou jargon)
Peuple (ou nation) — tribu
LE PROCESSUS COLONIAL
AU NIVEAU LINGUISTIQUE
LE D R O IT D E NOMMER
« Nous avons entrepris de tracer des lignes sur les cartes de régions
où l’homme blanc n’avait jamais mis les pieds. Nous nous sommes
distribué des montagnes, des rivières et des lacs, à peine gênés par
cette petite difficulté que nous ne savions jamais exactement où se
trouvaient ces montagnes, ces rivières et ces lacs (*). »
ou encore :
« B am -bouh-lah
C’est un fils de l’Afrique
Un sympathique sénégalais. »
(') R oland B a r t h b s , Éléments de sémiologie, Paris, 1971, p. 130.
(•) Yves P e b so n , « L ’Afrique noire e t ses frontières •, ta Revue
française d ’éludes politiques africaines, n° 80, a o û t 1972, p. 18.
AU NIVEAU LINGUISTIQUE 59
société jusqu’à nos jours n’a été que l’histoire des luttes de
classes », il est possible de considérer l’histoire de la super
structure linguistique (comme je viens de la définir : non pas
la langue, mais l’organisation linguistique sociale) comme une
histoire particulière de l’histoire de la lutte des classes. Car la
thèse de Staline qui veut que « la langue comme moyen de
communication entre les hommes dans la société sert également
toutes les classes » (*) est manifestement fausse : dans l’Angle
terre médiévale comme dans les colonies d’aujourd’hui, il en
va très différemment parce que la langue n’est plus seulement
un moyen de communication, elle devient un moyen d’oppres
sion. Cette idée de la langue comme instrum ent de communica
tion, qui a eu un large succès dans la linguistique structurale
contemporaine, est déjà en elle-même suspecte (2) lorsqu’on
l’applique aux sociétés unilingues. Appliquée à la situation
coloniale, elle devient ridicule : en effet, si 2 ou 3 % de la
population d’un pays colonisé parlent la langue dominante,
la langue officielle, tandis que l’immense majorité du peuple
parle sa langue dominée, il est difficile d’adm ettre que cela
soit indifférent à la lutte des classes dans ce pays. D’autant
que la seule façon d’accéder à l’ensemble des postes de respon
sabilité, au sta tu t de fonctionnaire par exemple, est justement
de parler la langue dominante. Il devient alors clair que cette
langue sert les intérêts d’une classe, intérêts que partagent
les bourgeoisies compradores, en même temps qu’elle sert le
néo-colonialisme. De cela, Staline est totalem ent inconscient,
à moins qu’il préfère passer rapidement sur ce problème pour
éviter d’avoir à traiter des nationalités en U. R. S. S.
Roland Barthes nous fournit également, pour analyser ce
problème, un concept réutilisable. Dans son texte consacré à
Ignace de Loyola et publié, avant d’être repris en volume, sous
le titre de Comment parler à Dieu, il présente les prescriptions
des Exercices spirituels comme branchées sur l’élaboration de
ce qu’il appelle « un champ d’exclusion ». Il faut, pour parler
à Dieu, faire abstraction de tous les langages antérieurs, en
particulier des « paroles oiseuses », selon le mot de Loyola, et
les recettes de Exercices s’y prêtent : « Tous ces protocoles ont
( ') Id ., p. 89 e t 175.
AU NIVEAU LINGUISTIQUE 67
les « travaux de philologie d’un indigène du nom de Guess ».
Il s’agit en fait de Sequoyah, auquel la Norih american Reoiew
consacre en 1842 un article d’un affligeant paternalisme :
Id., p. 40.
(‘) Id., p. 45.
(') T u rin , p. 49. C’est moi qui souligne.
70 LE PROCESSUS COLONIAL
nante, Mme Allix (l), qui a créé une école pour jeunes filles
musulmanes, écrit à ce sujet en 1845 : « Il faut connaître bien
peu les Arabes pour croire que le désir de s’instruire soit
seul pour quelque chose dans le succès que j’ai obtenu. La
misère et la faim, voilà mes auxiliaires réels. Alger regorge de
familles malheureuses, dévorées de besoins poignants et
décimées par d’affreuses privations. En offrant à ces familles
une prime de deux francs par mois pour les aider, j ’ai fait
taire tous leurs scrupules ; en donnant, en outre, un repas par
jour à mes élèves affamées, j ’ai acquis toutes les sympathies
de leurs mères (a). # Le passage se passe de commentaire. On
tente pourtant de généraliser le procédé en distribuant aux
enfants un carnet de présence, dûment tamponné chaque jour :
un carnet complet valait deux francs par mois. P ar cet ingé
nieux système de pointage avant l’heure, on obtient effecti
vement quelques « résultats » : 75 élèves musulmans à Alger
en 1850, 159 en 1851... Parallèlement, on crée à Paris une
école pour les fils de chefs, dans le but évident de se fabriquer
une courroie de transmission francisée et pour faire échec au
système inventé sur place (les chefs envoyaient à l’école les
fils de leurs serviteurs) : dotée d’énormes crédits, l’école de
Paris recevra entre 1839 et 1847 onze élèves...
En fait, vingt ans après le débarquement, on n’a toujours
pas réussi à imposer le modèle scolaire français. L ’adminis
tration n’a d’ailleurs pas de politique très nette, les deux seuls
points clairs et immuables restant la méconnaissance de la
culture arabe d’une p art et l’idée que le français restera la
langue d’autre part. Se greffe sur cette imprécision une que
relle entre le ministère de la guerre et celui de l’instruction
publique qui tous deux veulent obtenir la tutelle de l’ensei
gnement en Algérie. Cette petite guerre d’influence se
termine, en 1848, par un compromis : le décret du 22 juillet
précise que les écoles pour israélites et européens dépendront
de l’instruction publique et que celles pour musulmans dépen
dront de la guerre (lü ). C’est déjà reconnaître le caractère
directement politique et militaire du problème, nous allons
y revenir. Puis, en 1850, deux décrets viennent préciser les
(*) T u r i n , p . 2 0 7 .
72 LE PROCESSUS COLONIAL
D E U X IÈ M E STA DE :
LE COLONIALISM E TR IO M PH A N T
L E SY STÈM E D E S EM PRU N TS
les moyens. Cette hypothèse, qui s’appuie donc sur des faits
linguistiques (présence d’un superstrat nahuatl en maya au
plan lexical), trouve d’ailleurs une confirmation dans un
autre fait, non linguistique celui-là. Le temple bien connu
de Chichen Itza ne présente aucune des caractéristiques de
l’architecture sacrée maya : il est à ciel ouvert, avec de grandes
colonnades, alors que les Mayas préféraient pour invoquer
leurs dieux de petites pièces closes. Mais le mystère s’explique
lorsqu’on remarque que Chichen Itza est pratiquement
l’exacte réplique du temple de Tula, situé à 1 400 kilomètres
au nord, en plein territoire toltèque (voir flg. 1). Il semble donc
l’autre en ten tan t de créer par avance tous les termes néces
saires. Mais nous verrons dans le dernier chapitre de ce livre
que les choses ne sont pas si faciles.
breton gallois
20 ugent ugain
40 daou-ugent deugain
60 tri-ugent trigain
80 pevar-ugent pedwar ugain
10 dek
30 tregont
50 hanter-kant (moitié de 100)
70 dek ha trigent (10 et 60)
90 dek ha pevar-ugent (10 et 80)
100 kant
E T H N O N Y M IE , TO PO N Y M IE
Lé gende.
• Noms d e p a r o is s e s
e n P i o u .e h e n G u i-
. . . . f r o n h è r e linguistique
■i a u 9*^& iede (LoHO
i v e r s d6so
s e n 480M
......L im ite d e s d i o c e s e s
S i è ç j u é p iftc o p a l
Limite d e navigabilité
^_Limih» de Flottabilité
( l) F . F a l c ’h u n , op. cit., p . 5 8 .
(*) L. F l e u r i o t , Le vieux breton, éléments d’une grammnlrr, l ’urlu,
1 9 6 4 , p . 9.
(“) N ora C h a d w i c k , « The colonization of B rittnnv friini O U le
B ritain », in Proceedings o f the B ritish Academy, L I, 1961).
110 LES TRACES LINGUISTIQUES
saires mais rien de plus ; de son côté le noir répétera de son mieux ce 1
qu’il aura entendu ou cru entendre ('). »
(>) Elodie J o urdain , Z)'u français aux parlers créoles, Paris, 1956
page xxi.
(*) Cf. par exemple Albert Valdman , « Créole et français aux
Antilles », in Le français en France et hors de France, tome 1, Annales
de la Faculté des lettres et sciences humaines de Nice, n° 7, 1969.
(•) Amadou H ampaté B a , L'étrange destin de Wangrin, Paris, 10-18,
p. 32.
DE LA COLONISATION 115
par exemple, et mise à p art l’exception du gullah des îles
côtières de Géorgie (l’isolement insulaire expliquant ici le
maintien), les créoles ont lentement disparu avec l’abolition
de l’esclavage. Les communautés noires sortant (très relati
vement) de leur ghetto, sortant en tout cas du statu t que leur
conférait l’esclavage, en sont venues à adopter la langue do
minante, avec bien sûr des traits phonologiques, syntaxiques
et lexicaux spécifiques : mais le black english ainsi constitué
n’est plus à analyser en termes de glottophagie, mais en termes
de la présence des rapports de classes dans les rapports lin
guistiques. On rétorquera que l’esclavage est également aboli
aux Antilles, et que les créoles y perdurent. Peut-être faut-il
en conclure que l’esclavage n’y a été que théoriquement
aboli...
Arrêtons-nous un instant, à ce propos, sur le cas de la
Martinique qui nous servira à illustrer la situation de conflit
entre un créole et la langue dominante qui lui a donné nais
sance ('). Jusqu’au x v ie siècle, l’île est peuplée d’indiens
caraïbes qui en ont eux-mêmes chassé les Arawaks et qui vont
par la suite être expulsés au milieu du x v i i 6 siècle vers la
Dominique, lors de l’arrivée des Français. Le peuplement de
l'île va donc être assuré par les colons, d’une part, et par les
esclaves originaires du golfe de Guinée, d’autre part, le rap
port numérique entre Européens et esclaves noirs étant en
gros de 1 à 8, comme le montrent les chiffres suivants :
1715 6 400 ?
1738 ? 57 000
1826 11 000 81000
1848 10 000 75 000
« Les langues qui sont parlées encore aujourd’hui et qui ont été
parlées jadis chez les différents peuples de notre globe se divisent en
trois classes : les langues sans aucune structure grammaticale, les
langues qui emploient des affixes, et les langues à inflexions. »