de la Méditerranée
Chaker Salem. Domaine berbère 1984-1987 : ouvrages et revues. In: Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée,
n°44, 1987. Berbères, une identité en construction. pp. 116-124;
https://www.persee.fr/doc/remmm_0035-1474_1987_num_44_1_2160
Les ouvrages
1 . Abouda (Mohand), Axxam. Maisons kabyles : espaces et fresques murales, Goussainville, Mohand
Abouda, 1985, 108 p., illustrations et photos couleurs.
Algérie - Kabylie - Maison - Culture populaire - Décors - Architecture
Magnifique album de photos couleurs sur les décors muraux et l'agencement intérieur des
maisons kabyles traditionnelles. Les intérieurs présentés sont de véritables pièces de musée car
cet art — qui a toujours été assez localisé en Kabylie — est gravement menacé par la disparition
rapide de l'habitat traditionnel. Bien que la grande zone de ces décors soit la région des Maatkas-
Ouadhias, on apprend à travers ce livre que cette pratique existe en bien d'autres points de la
Kabylie.
Il convient de rappeler — quelles que soient les réserves sur les interprétations avancées par
certains ethnographes français (Devulder, Servier...) — que ces décors n'avaient pas qu'une
fonction esthétique : ils s'intégraient dans tout un système de croyances — une cosmogonie —, et
de pratiques magiques. Peut-être est-ce là la faiblesse de ce bel ouvrage : par sa forme même
(album de photos pratiquement sans commentaires) il ne peut échapper à une certaine
réduction «esthétisante», donc à une lecture «moderne» (= occidentale), anachronique.
2. AliChe (Rachid), Faffa (Ungal), igguyen irgazen ur ttrun!, Mussidan, Fédérop, 1986, 144
p. [= France (Roman) : Que doivent endurer les hommes sans murmure!].
Algérie - Kabylie - Émigration - Néo-littérature - Roman
Après Asfel (1980), Rachid Aliche livre là son second roman écrit en kabyle (notation latine).
L'ouvrage a pour thème les contradictions et conflits intérieurs d'un émigré entre deux
mondes : la Kabylie dont il ne peut se détacher mais où il ne peut plus vivre, la France, où il reste
en marge malgré ses efforts et l'attirance qu'elle exerce sur lui. Roman de l'échec et de l'incon-
fort de l'entre-deux.
Ce livre confirme donc la tendance au «passage à l'écrit» dans le domaine kabyle et il faut
saluer des auteurs comme R. A. pour leur travail de pionnier (sans filet !).
Ce roman est d'un accès beaucoup plus aisé que la première œuvre de R.A. {Asfel) : le travail
stylistique y est moins important et la langue reste proche de l'usage oral courant. Il sera de
ce fait plus facile à lire par le plus grand nombre (ce qui n'a pas été le cas & Asfel qui a rebuté
beaucoup de candidats-lecteurs).
Pourtant la notation latine pourrait être améliorée. Elle me paraît même inférieure à celle du
premier roman. Les coupes de mots en fin de ligne sont totalement anarchiques et souvent non
signalées. La notation des consonnes tendues, de la labio-vélarisation et des emphatiques ([r])
est discutable, en particulier dans la perspective sous-jacente de standardisation. Sur ce plan,
comme beaucoup d'autres producteurs culturels kabyles, R.A. n'a sans doute pas tous les moyens
scientifiques minimum de ses ambitions. La distinction phonétique/phonologie, notamment, n'est
pas vraiment intégrée; or elle est essentielle dans la perspective d'une représentation stabilisée
et standardisée de la langue.
Dans le même ordre d'idées, le décodage syntaxique est souvent laborieux en raison de la non
utilisation des tirets entres noms/verbes et leurs satellites. Les assimilations à la jonction de
certains morphèmes très fréquents ne sont pas traitées de manière satisfaisante (n t..>tt-...). On
regrettera aussi l'absence de notes infra-paginales pour expliquer les néologismes : tous les
lecteurs potentiels ne peuvent avoir en main le glossaire néologique AmawalX Je trouve aussi qu'il
y a, pour ce genre d'ouvrage, un usage excessif d'idiotismes et de formes micro-locales, dont
l'auteur ne semble pas se rendre compte qu'elles ne dépassent pas les frontières du parler de
son village... Mais nous retrouvons encore la question de la formation berbérisante préalable
que la plupart des créateurs n'ont pas. Dans le contexte politique algérien, on ne peut, bien
sûr, le leur reprocher avec trop de sévérité. Et il faut surtout retenir que des berbérophones
s'efforcent, avec les moyens qui sont les leurs et sans aucun support institutionnel, d'ancrer
une production littéraire écrite berbère. Mais il est peut-être temps, sur le plan linguistique,
d'arrêter de confondre berbère et kabyle, kabyle et forme locale du kabyle...
3. Chaker (Salem), Textes en linguistique berbère (introduction au domaine berbère), Paris, C.N.R.S.,
1984, 291 p. (4 cartes + 1 photo). Préf. de G. Mounin.
Domaine berbère - Linguistique - Phonétique - Syntaxe - Sociolinguistique - Diachronie.
Manuel de linguistique berbère constitué par le regroupement d'une série d'études menées
et publiées au cours de la période 1974-1984. Le livre est composé de 15 chapitres, distribués
en 5 grandes parties : I. Sociolinguistique. — II. Les études berbères. — III. Phonétique et
phonologie. — IV. Syntaxe et lexique. — V. Diachronie.
Le lecteur y trouvera une information approfondie et une orientation bibliographique
systématique sur toutes les grandes questions liées à la langue berbère.
Dans les aspects de linguistique descriptive, la plupart des études portent sur le kabyle, mais
la profonde unité structurale du berbère, la nature des problèmes abordés, les approches et
formulations retenues en font malgré tout un outil — et c'est le seul existant à date récente —
d'introduction générale à l'ensemble du domaine berbère.
Un second tirage de l'ouvrage (épuisé) est programmé pour juin 1987.
118/5. Choker
5. Delheure (Jean), Faits et dires du Mzab (Timgga dytwalen n at-Mzab), Paris, SELAF, 1986,
332 p. (carte, notes, bibl.), préf. de M. Gast (collection «Ethnolinguistique Maghreb-Sahara»).
Algérie - Mzab - Ethnologie - Textes - Littérature - Conte
Recueil de 150 cartes bilingues mozabites (notation latine)/français. L'ensemble est constitué
de deux grandes parties : 1. Textes ethnographiques : le quotidien, la vie dans la société moza-
bite traditionnelle (124 textes). II. Récits et légendes (26 textes).
La collecte, effectuée entre 1947 et 1976, couvre les principaux aspects de la société
traditionnelle mozabite. Les textes sont accompagnés d'abondantes notes et commentaires
(essentiel ement linguistiques).
Avec le Dictionnaire mozabite, ces textes constituent un excellent instrument d'accès à la
langue et à la société mozabites. Il manque cependant un index thématique qui aurait été bien utile.
On déplorera également le prix prohibitif de l'ouvrage : 290 F.
6. Devinettes berbères, 1, 2, 3, Paris, CILF («Fleuve et Flamme»), 1986, 595 p. (index mots-
clefs, illustrations). Sous la direction de Fêrnand Bentolila.
Domaine berbère - Littérature - Devinettes.
Recueil pan-berbère de devinettes, avec transcription phonologique du texte original berbère,
traduction juxtalinéaire, traduction et commentaire explicatif. Les matériaux sont regroupés par
dialecte et par thèmes. Une introduction générale socio-culturelle et linguistique de F. Bentolila
précède l'ensemble. Chaque partie dialectale commence par une présentation du parler et des
conditions de collecte.
Le travail a été réalisé par un groupe de dix chercheurs et étudiants de doctorat, pour la
plupart eux-mêmes berbérophones :
A. Bouyilmani : Rif. — A. Ardouz : Ait Seghrouchen. — F. Amrani : Aït Seghrouchen. —
Y. Oumerien : Aït Bouzid. — D. Azdoud : Ait Haddidou. — Y. Ibouzidène : Kabylie. — C.
Derkaoui : Souss. — M. Aghali-Zakara : touareg (Niger). — J. Drouin : touareg (Niger). — H.
B. Bouhounali : Mzab.
On saura gré à cette équipe de fournir ainsi un corpus vaste, accompagné de commentaires
consistants, généralement solides et bien informés, sur un genre qui est loin d'être négligeable
dans la culture berbère.
On notera qu'il s'agit de la première publication littéraire «pan-berbère».
7 . Idbelkacem (Hassan), Taslit unzar [ = La fiancée de la pluie = L'arc en Ciel], Rabat, 1 986, 7 1 p.
Maroc - Chleuh - Néo-littérature - Poésie.
Recueil d'une centaine de poèmes de l'auteur. La langue est de la tachelhit transcrite en carc-
tères arabes. L'inspiration, diverse, est nettement «moderniste», voire engagée («Palestine»...)
Au-delà de tout jugement sur les qualités littéraires, ce petit opuscule confirme que la volonté
d'ancrer le berbère dans l'écrit n'est pas un phénomène uniquement kabyle. Il est même clair
que cette aspiration trouve un environnement plus favorable au Maroc, notamment en raison
de l'existence d'une tradition littéraire chleuh ancienne (en caractères arabes).
Domaine berbère 1984-1987 : ouvrages et revues / 119
8. Morizot (Jean), Les Kabyles : propos d'un témoin, Paris, CHEAM, 1985, 281 p. (notes, cartes).
Algérie - Kabylie - Histoire - Géographie - Sociologie - Politique.
La Kabylie et les Kabyles vus par un témoin qui a longtemps exercé comme administrateur
en Algérie. J. M. est d'ailleures l'auteur d'un premier ouvrage, remarqué à l'époque : L'Algérie
kabylisée (1962). Le livre est une présentation générale, géographique, écologique, historique
et ethno-sociologique de la Kabylie. Après une mise en place très honorable des fondements
de la société kabyle, J. M. en suit l'évolution durant la colonisation jusqu'à l'indépendance. Il
accorde une grande attention au rôle des Kabyles dans les mutations récentes (émigration,
nationalisme et histoire politique).
C'est l'ouvrage d'un amateur (au bon sens du mot), bien informé, et plein de sympathie pour
la population étudiée. On appréciera notamment la place réservée à l'éveil identitaire berbère
en Kabylie, la critique précise du «mythe de la politique berbère de la France» (que je partage
entièrement). C'est un livre original et très personnel — voire passionnel — qui dérangera plus
d'un chercheur «institutionnel». Les tabous sont encore puissants en matière berbère...
Beaucoup d'approximations et de formulations excessives auraient pu être évitées : elles ne feront
que permettre une critique facile de l'ouvrage. Et c'est dommage car J. M. connaît bien son
sujet et quelques précautions de méthode et de style auraient permis de faire un livre plus
convaincant et plus efficace dans le champ scientifique. Certes, il ne s'agit que de : «propos d'un
témoin»...
10. Mouliéras (Auguste), Les fourberies de Si Djeha. Contes kabyles, Paris, La Boîte à
Documents, 1987, 206 p. Avant-propos de J. Déjeux, Annexe de René Basset.
Algérie - Kabylie - Littérature - Conte •
Réédition de l'ouvrage de 1891/1892 (Oran : Perrier/Paris : Leroux). 60 textes bilingues
(berbère/français). La version berbère a été translittérée, conformément aux usages berbérisants actuels;
elle est accompagnée de nombreuses notes linguistiques (de O. Ould-Braham) qui ne sont pas
superflues car le texte berbère original de Mouliéras est souvent obscur (et certainement fautif).
L'ouvrage reprend également l'annexe « Recherches sur Si Djeha et les anecdotes qui lui sont
attribuées» de René Basset (pp .139-201) qui constitue une mise au point inégalée sur le
personnage de Djeha à travers les différentes traditions musulmanes.
Dans l'avant-propos, Jean Déjeux (pp. 7-25) livre une présentation littéraire et ethno-sociologique
de Djeha dans la société kabyle et algérienne (fonctions, actualité et réappropriations du
personnage).
Les textes du cycle de Djeha sont succulents et susceptibles d'intéresser un large public.
L'initiative de la « Boîte à Documents » est particulièrement heureuse et on lui souhaite le plein
succès qu'elle mérite.
1 1 . N'Ait Attik (Mririda), Les chants de la Tassaout, Casablanca, éditions Belvisi, 1986, 187 p.
(notes, photos), préf. de L. S. Senghor.
Maroc - Chleuh - Haut-Atlas - Poésie - Femme.
Réédition des «Chants de la Tassaout», recueillis dans les années 1930 par René Euloge, qui
y a rajouté une trentaine de poèmes et chants inédits berbères de la poétesse Mririda N'Ait Attik,
en traduction française. Superbe ouvrage où la poésie ardente et rude, remarquablement bien
120 / S. Chaker
traduite, est ponctuée de notes linguistiques et culturelles et accompagnée de très belles photos
couleur de la Tassaout, au cœur du Grand Atlas. La notation des termes berbères est
évidemment celle d'un amateur : i.e. plutôt approximative. Mais cela n'est pas là l'objet principal de
cet album.
1 2. Tizi-Wwucen. Méthode audio-visuelle de langue berbère (kabyle -1er niveau) — Aselmed amez-
zoaru n tmaziyt (taqbaylit), Aix-en-Provence, Édisud, 1987, 173 p. + matériel audio-visuel (dia-
pos, enregistrements), Université de Provence. Avant-propos de S. Chaker.
Algérie - Kabylie - Pédagogie - Linguistique appliquée.
Cette méthode, fondée sur les acquis de la pédagogie moderne des langues, vise à enseigner
à de vrais débutants les structures et le vocabulaire élémentaires du kabyle. Une des principales
originalités est la langue enseignée qui est un «kabyle moyen», sélectionnant parmi les diverses
formes possibles, celles qui sont les plus répandues en Kabylie et celles qui sont les plus « pan-
berbères». Le manuel (maître et élève) comporte :
— Le texte de 20 leçons : dialogues simples de 10 à 15 répliques, accompagnés d'illustrations
(dessins) en vis-à-vis.
— Une présentation de la méthode et un ensemble de consignes pédagogiques précises pour
son utilisation.
— Une batterie très riche d'exercices structuraux correspondant à chacune des leçons.
— Un mémento grammatical présentant de manière simplifiée les matériaux et structures
grammaticales introduits dans la méthode.
— Un lexique, par ordre alphabétique pur, récapitulant l'ensemble du vocabulaire utilisé (600
unités env.)
Parallèlement, le Service des publications de l'Université de Provence (13621 Aix-en-Provence,
Cedex) édite pour accompagner cet ouvrage :
— Une série de diapositives (274) correspondant aux leçons et destinées à servir de support
pédagogique au travail de groupe.
— Un enregistrement complet sur cassettes (11) des leçons et des exercices.
La méthode a une histoire complexe : expérimentée pendant de longues années en Algérie,
elle a été mise en forme définitive à partir de 1984 par Madeleine Allain et moi-même. J'en
ai assuré la totalité du processus de publication.
Prix public : manuel : 85 F (Édisud); enregistrements : 450 F; diapositives : 900 F
(Université de Provence).
Les périodiques
C'est sans aucun doute dans le domaine des publications périodiques que les évolutions sont
les plus importantes et les plus significatives. Indépendamment des nombreuses revues
associatives (souvent éphémères) qui ont vu le jour depuis cinq ou six ans : Tiddukla (Paris), Ildi
(Montréal), Azar (Paris)..., trois publications de haut niveau ont été initiées par des intellectuels
berbères (tous algériens). Chacune a une histoire, un lieu, et, peut-être, un objet spécifique. Nous
essayerons de les mettre en évidence dans la présentation ci-dessous (par ordre chronologique).
La question se pose évidemment de savoir si l'on n'atteint pas désormais une situation de
saturation en matière de périodiques berbérisants. D'autant que ces trois revues s'ajoutent aux
titres spécialisés préexistants en France (GLECS, LOAB)...
Sur un terrain strictement académique, Y Encyclopédie berbère, impulsée en 1971 sous une forme
provisoire par G. Camps, vient de passer à sa forme définitive : trois fascicules ont déjà paru.
autour de la culture berbère au plan maghrébin, son objectif central est de contribuer à la
cristallisation d'un courant d'opinion berbère. Il s'agit d'une publication totalement indépendante,
sans aucun support institutionnel, portée par un groupe d'intellectuels berbères.
Les questions de politique linguistique et culturelle, l'analyse critique des idéologies en matière
de culture, les rapports entre culture et développement, culture et politique, berbérité et
nationalisme, oralité et écriture ont constitué l'essentiel des thèmes abordés jusqu'à présent.
La tonalité générale en est celle d'une revue intellectuelle berbère, engagée dans la défense
de la berbérité. De fait, la revue n'accepte que les contributions de Maghrébins. Tafsut fait l'objet
d'un tirage simultané en France et à Tizi-Ouzou. En 1984 (après le n° 1), une association des
«Amis des Tafsut* a été créée à Aix-en-Provence pour faciliter la diffusion internationale et
lui donner une assise légale en France.
sur les Berbères, leur société, leur culture, leur langue... Celles qui peuvent exister sont
largement dépassées et ne sont plus guère utilisables, tant pour des raisons proprement scientifiques
(les évolutions de disciplines comme la préhistoire, l'ethnologie, la linguistique... ont été
profondes depuis le début du XXe siècle), que pour des considérations idéologiques : elles datent
d'époques où les déterminations colonialistes étaient hégémoniques, notamment dans
l'approche des réalités berbères.
U Encyclopédie berbère a d'abord connu une formule provisoire, multigraphiée, à diffusion
restreinte. 40 fascicules ont paru sous cette forme qui se poursuit parallèlement à l'édition
définitive. Dès l'origine, le projet a rencontré un écho très largement favorable auprès des spécialistes
du domaine. Près de 150 personnes ont répondu positivement à la circulaire d'appel à la
collaboration et, à l'heure actuelle, environ la moitié a apporté une contribution effective en
fournissant au moins une notice (à la version définitive ou aux cahiers provisoires). L'UNESCO (CISPP)
accordait dès le lancement son patronage (et une aide financière modeste).
En 1984, un accord avec l'éditeur aixois Édisud permettait le passage à la forme définitive
dont la publication est prévue à un rythme de 3 à 4 fascicules tous les deux ans. L'encyclopédie
complète, programmée sur une dizaine d'années devrait comporter une trentaine de fascicules.
C'est donc une œuvre de longue haleine et un jugement scientifique définitif sur l'ensemble
ne pourra être porté avant de nombreuses années. Mais les trois premiers volumes parus, qui
regroupent déjà 162 notices, permettent de formuler une première appréciation, de mettre en
évidence certaines tendances, de nombreux points forts, mais aussi quelques faiblesses.
L'Encyclopédie berbère est effectivement parvenue à regrouper, de manière déjà stabilisée, des
spécialités diverses : principalement les sciences historiques, l'ethnologie et la linguistique. Mais
d'autres disciplines — la géographie, la sociologie culturelle, la littérature et même la politologie
— ne sont pas absentes. La masse de connaissances ainsi rassemblées est déjà considérable et
il ne fait pas de doute que YEB s'impose et s'imposera comme une somme incontournable dans
notre domaine.
Comme toute entreprise de ce type, YEB présente des insuffisances et des lacunes. La plupart
sont réellement inévitables et peuvent être observées dans toutes les encyclopédies scientifiques
similaires (notamment YEncyclopédie de l'Islam). UEB ne pouvait être que le reflet des savoirs
à un moment donné, avec les points forts et les limites d'un champ de connaissance, d'une
tradition et d'une communauté scientifique déterminées. L' Encyclopédie berbère n'est pas,
fondamentalement, un lieu de production de connaissances, mais un lieu de rassemblement, de synthèse
d'un savoir historiquement constitué, à une date donnée. Il est donc normal que la couverture
scientifique proposée par YEB soit inégale. Inégale quant au «maillage du terrain» et inégale
quant à la finesse et à la qualité des contributions.
Les collaborateurs (50 dans les trois volumes parus) appartiennent à des horizons très divers :
universitaires de renom, amateurs éclairés et praticiens du terrain, chercheurs indépendants...
Le niveau et l'ampleur de la maîtrise des objets décrits sont évidemment assez variables. Mises
au point fondamentales, synthétisant une production scientifique vigoureuse côtoyent des
notules de quelques lignes, même sur des questions que l'on peut considérer comme importantes.
On note d'ailleurs une certaine tendance à la multiplication de notices (brèves heureusement !)
pointillistes, sur des sujets vraiment secondaires et d'un intérêt douteux par rapport à l'objet
de la publication.
Plus gravement, on relève un déséquilibre sensible dans les disciplines représentées : les sciences
historiques sont nettement prédominantes, avec une forte présence de la préhistoire et de
l'Antiquité. Situation qui résulte d'une double détermination qu'il est aisé de cerner : ce sont là des
points forts traditionnels de la production scientifique sur le Maghreb. Le projet d'Encyclopédie
berbère a été initié par un proto-historien, dans le cadre d'une formation scientifique (le LAPMO)
dont l'axe d'activité principal a longtemps été la préhistoire du Maghreb-Sahara. Il n'est pas
douteux que le même projet, impulsé par des ethnologues ou des linguistes, n'aurait pas
présenté la même configuration, ni les mêmes équilibres.
Les déséquilibres géographiques ne sont pas moins perceptibles. Là encore se combinent des
déterminations générales liées à l'histoire de la production scientifique sur l'aire berbère (la Kabylie
est mieux connue que les Aurès...) et les conditionnements locaux et individuels. L'équipe
centrale de YEB est plus «algérienne» que «marocaine», plus «touarègue» et «kabyle» que
«berbère marocaine»... Tout ceci a bien sûr des répercussions dans la couverture géographique de
l'aire étudiée. Certaines régions peuvent apparaître comme indûment sous-représentées : le Maroc
berbère, les Aurès...
Domaine berbère 1984-1987 : ouvrages et revues / 123
Je crois donc que l'équipe rédactionnelle devra essayer de corriger à l'avenir, autant que faire
se peut, ces déséquilibres dont il convient cependant de rappeler qu'ils sont aussi, dans une
certaine mesure, le reflet des aléas de l'ordre alphabétique!
A travers les points que je viens de soulever, il est difficile de ne pas évoquer un problème
théorique sous-jacent : celui de la définition du champ «berbère» et des paramètres retenus dans
cette définition. Il est clair que c'est la difficulté essentielle de l'entreprise. Comment
circonscrire le «berbère» par rapport au concept le plus immédiatement voisin : le Maghreb? Mais
aussi par rapport à l'Islam (et concrètement par rapport à Y Encyclopédie de l'Islam !)?...
Il est sûr que de ce point de vue, le linguiste, mais aussi l'ethnologue ou le spécialiste d'un
aspect quelconque de la culture maghrébine, est dans une position relativement confortable.
Le critère linguistique (berbérophonie) est un paramètre discriminant objectif qui balise de manière
généralement claire le champ d'investigation : est berbère tout ce qui parle ou est lié à la langue
berbère. Certes, les situations limites, les zones d'indécision sont déjà nombreuses en
ethnologie mais elles restent justiciables, même si cela n'est pas sans un certain arbitraire isolationniste
du critère linguistique : on pourra décider que la Rahmaniya est «berbère», contrairement à
la Tijaniya. Mais en histoire, les choses deviennent assez inextricables. Qu'est-ce qui appartient
spécifiquement aux Berbères dans l'histoire moderne, médiévale et antique du Maghreb? La
réponse simple est de répondre : tout ! Mais YEB devient alors de fait l'addition d'une
encyclopédie du Maghreb musulman, du Maghreb romain, du Maghreb punique... dont il est évident
que des pans entiers n'ont rien de spécifiquement «berbère» et font légitimement partie de
l'Histoire du monde musulman, du monde romain, du monde punique. La définition purement
géographique (qui implique en fait : « berbère »= Maghreb) n'est donc pas opératoire.
Reste alors une approche plus pragmatique, toute en nuances, exigeant le scalpel du
chirurgien et une attention extrême pour essayer d'isoler dans l'Histoire maghrébine ce qui paraît
appartenir spécifiquement à une tradition culturelle, à un socle anthropologique local,
proprement berbère. L'opération est délicate : une encyclopédie de la berbérophonie est certes plus
aisée à constituer qu'une encyclopédie berbère ! .
C'est sur cette voie étroite que se développe le projet, avec les risques d'inclusion ou
d'exclusion excessives qu'elle comporte. Et il sera toujours possible de contester telle ou telle sélection.
Mais la résultante globale n'est pourtant pas si fragile ou discutable que pourraient le laisser
penser les réflexions précédentes : en fait, la force de YEB réside dans son équipe rédactionnelle
fortement pluri-disciplinaire (historiens, ethnologues, linguistes), constituée de chercheurs ayant
tous une connaissance profonde des réalités maghrébines (et pour la plupart un ancrage
personnel direct). Cette conjonction permet une confrontation permanente des points de vue, une
pondération des différentes approches et sensibilités.
Sur le plan matériel, la présentation des trois premiers fascicules est tout à fait agréable, avec
une riche iconographie (photos et cartes) et un format facile à manipuler. Une table des matières
par fascicule aurait été souhaitable. Certaines notices des volumes 2 et 3 ont été
malheureusement défigurées par des erreurs de montage qui ont entraîné des inversions de pages et de
paragraphes. Des dispositions ont été prises à partir du fascicule 4 pour éviter à l'avenir de tels
désagréments.
Illustration non autorisée à la diffusion
L/ne éco/e (Tamaziyt) des années 1930 en Kabylie. Photo L