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Journal de Chirurgie Viscérale (2011) 148, 71—77

STAFF PUBLIC

Une patiente, deux cancers colorectaux, un choix


A. Saget , J.H. Lefevre ∗, E. Tiret

Service de chirurgie générale et digestive, hôpital Saint-Antoine, université


Pierre-et-Marie-Curie, Paris VI, 184, rue du Faubourg-Saint-Antoine, 75012 Paris, France

Disponible sur Internet le 28 janvier 2011

Présentation du cas clinique


Cette observation a été présentée au 6e Congrès francophone de chirurgie digestive et
hépatobiliaire, à Marne la Vallée, le 2 décembre 2010 lors de la séance de dossiers cli-
niques. Le présentateur (Docteur Saget) fait des propositions, discutées par les animateurs
(Docteur Mariette et Sauvanet) qui encouragent la salle à prendre la parole.
Docteur Saget : « Voici le cas d’une femme de 33 ans adressée en consultation pour un
amaigrissement majeur associé à des diarrhées. Elle a perdu 18 kg en six mois, soit 27 %
de son poids de forme, elle avait un indice de masse corporelle à 17, elle n’avait aucun
antécédent ni personnel, ni familial et avait deux enfants. Le toucher rectal trouvait
une tumeur circonférentielle peu mobile à 2 cm du bord supérieur du sphincter. La paroi
postérieure vaginale semblait respectée. La coloscopie retrouvait un adénocarcinome du
bas rectum, tumeur circonférentielle de 4 cm de hauteur, et un adénocarcinome du côlon
gauche franchi uniquement par le gastroscope, cinq adénomes du côlon transverse et
quatre adénomes plan du colon droit dont deux de plus de 2 cm de diamètre. Le bilan
trouvait un antigène carcino-embryonnaire (ACE) dans les limites de la normale, une bio-
logie standard normale, une tomodensitométrie (TDM) thoraco-abdominopelvienne qui
ne trouvait pas de lésions secondaires, une écho-endoscopie qui classait la lésion usT3N0.
Voici sur la TDM la lésion colique gauche angulaire avec une infiltration de la graisse
péritumorale, une stase stercorale en amont de la tumeur angulaire gauche (Fig. 1).
L’imagerie par résonnance magnétique (IRM) pelvienne retrouvait une lésion rectale cir-
conférentielle, avec des adénopathies dans le méso rectum dont une venait au contact du
fascia recti (Fig. 2). On retrouve les lésions qui respectent la paroi vaginale postérieure
et qui semblaient assez volumineuses.

∗ Auteur correspondant.
Adresse e-mail : jeremie.lefevre@sat.aphp.fr (J.H. Lefevre).

1878-786X/$ — see front matter © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
doi:10.1016/j.jchirv.2010.12.008
72 A. Saget et al.

Figure 1. Tomodensitométrie abdominopelvienne : lésion colique angulaire gauche.

Première question : chez une femme jeune qui a un can- aura probablement le temps de se mettre en occlusion. Il
cer du colon gauche, un cancer du bas rectum T3N+ sans faut donc trouver le traitement le plus adapté pour traiter
métastase à distance, quelle est votre prise en charge ini- la sténose colique gauche qui est en amont de la sténose
tiale (la réponse peut être à choix multiples) ? rectale. C’est pour cela que l’endoprothèse peut être une
• radio-chimiothérapie néoadjuvante de 45 Gy ; solution ».
• radiothérapie néoadjuvante de 25 Gy ; Docteur Sauvanet : « Vous auriez donc répondu A + D ? »
• colostomie de décharge sous cœlioscopie ; Docteur Mariette : « L’amaigrissement a-t-il influencé
• pose d’une endoprothèse colique gauche ; vos réponses dans ce dossier ? Car c’est un amai-
• colectomie subtotale avec iléostomie, sigmoidostomie, grissement important pour un cancer colorectal, 30 %
tumeur rectale en place. d’amaigrissement ; ou sommes nous passé à côté d’une
métastase hépatique ? »
Docteur Mariette : « Pour résumer, on a deux lésions Docteur Sauvanet : « Elle n’a pas un peu de fièvre,
néoplasiques dont une à gauche. Est-ce que la patiente 37,6—37,7◦ le soir ? »
est en occlusion ou en subocclusion. Vous avez parlé de Docteur Saget : « Peut-être, je ne peux pas te répondre.
diarrhée ? » Le dilemme ici est que traiter la tumeur colique en pre-
Docteur Saget : « Elle n’est pas en sub-occlusion clinique, mier, aboutira à un retard de prise en charge de la tumeur
elle a un peu mal au ventre, elle est un peu distendue ». rectale, qui est à un stade avancé, et débuter par la radio-
Docteur Mariette : « Avec un coloscope, ça ne passe thérapie c’est s’exposer aux complications d’une tumeur
pas mais avec un gastroscope ça passe. Elle a 33 ans et colique sténosante. Chez cette patiente jeune, qui avait
quelques polypes à droite et sur le transverse, tous adé- deux cancers et un amaigrissement majeur, on a considéré
nomateux. Elle n’a pas d’antécédents familiaux ». qu’il fallait éliminer une carcinose péritonéale et donc réa-
Docteur Benoist : « Sur l’IRM on est passé un peu vite, on liser une cœlioscopie exploratrice. On a profité de ce temps
pourrait avoir la marge circonférentielle ? » pour faire une colostomie transverse droite à cause de la
Docteur Mariette : « Remontrez l’image SVP ». tumeur colique, qui ne laissait passer que le gastroscope
Docteur Saget : « La masse est circonférentielle. On voit (ce qui correspond à une lumière de moins de 1 cm) et
des adénopathies du mésentère et une au contact du fascia puis on a réalisé une radiochimiothérapie de 45 Gy avec du
recti. La lésion, elle, reste toujours à distance du fascia Xeloda® .
recti. L’échoendoscopie est T3N0 ». La question du stent, pouvait bien sûr se poser. Les
Docteur Mariette : « On attend les résultats. . . » résultats sont très contrastés. En 2006 le Lancet rappor-
Docteur Saget : « Pour notre part, nous avons réalisé une tait la fermeture d’une étude randomisée qui s’est arrêtée
radio chimiothérapie néoadjuvante de 45 Gy et une colosto- après avoir inclus 21 patients dont dix dans le bras stent ;
mie de décharge sous cœlioscopie ». parmi ces dix patients quatre ont présenté une perfora-
Docteur Mariette : « On peut discuter : qui a posé tion et parmi ces derniers, trois sont morts [1]. À l’inverse
une prothèse colique (à part le docteur Karoui. . .), en monsieur Karoui en 2007 rapportait un bénéfice au stent
l’occurrence colique ou rectale ? (j’espère que c’est dans les tumeurs coliques occlusives métastatiques pallia-
colique et pas rectal. . .). Y a-t-il des arguments pour la tives, avec une diminution de la durée d’hospitalisation,
prothèse ? Ceux qui ont choisi la prothèse, qui peut être moins de stomies et un délai d’administration de la chi-
une option, vous l’avez fait sur quels critères ? » miothérapie qui était diminué [2]. À noter que parmi les
Docteur Mauvais : « On va être obligé de faire une radio- 31 patients stentés dans son étude, aucun n’est décédé.
thérapie longue chez cette patiente. Donc a priori on en Donc des résultats contrastés, probablement bénéfiques
a pour six semaines, plus six semaines, avant de pouvoir dans les centres experts. Ici un des inconvénients, était
envisager un traitement chirurgical. Pendant ce temps elle de passer à travers la tumeur rectale et sans explora-
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Figure 2. Imagerie par résonnance magnétique : lésion rectale avec adénopathies.

tion de la cavité péritonéale. C’est un cancer du rectum


T3 N+; donc une indication de radiothérapie pour meilleur
contrôle local. On a décidé d’ajouter une chimiothé-
rapie dans un espoir de downstaging et de downsizing
comme l’a rapporté monsieur Bosset en 2005 dans le JCO
[3], avec une différence significative de stade T0, T1 et
une diminution significative de la taille de la tumeur;
donc un contrôle maximal avec la radiothérapie néoadju-
vante.
À trois semaines de la fin de la radiochimiothérapie la
malade est revenue nous voir en urgence parce qu’elle avait
de la fièvre à 38,9◦ , une défense du flanc gauche, au TR
la lésion était mobile à 2 cm du sphincter, et de volume
inchangé. La paroi vaginale postérieure était respectée.
La TDM en urgence trouvait un abcès péritumoral colique
gauche de 10 cm et une thrombose de la veine cave infé-
rieure s’étendant des veines iliaques jusqu’en dessous des
veines rénales (Fig. 3). Que préconisez-vous ? »
Docteur Mariette : Si on veut résumer, vous étiez partis
sur un schéma de 5 semaines de traitement. Vous devez
Figure 3. Tomodensitométrie abdominale: thrombose de la veine
interrompre le traitement pour des symptômes. » cave inférieure (flèche) et abcès péri tumoral (étoile).
74 A. Saget et al.

Docteur Saget : « Non, le traitement a été réalisé dans gulant, et si oui est ce que ça module votre geste de
son intégralité, mais à trois semaines de la fin du traitement drainage ? »
apparaissent ces complications ». Docteur Saget : « La priorité avait été donné au drainage
Docteur Mariette : « Le traitement a été réalisé dans étant donné le contexte clinique. Il fallait l’anticoaguler
son intégralité et à trois semaines, au lieu des quatre rapidement. On s’est posé la question de placer un
à six semaines habituelles, vous êtes obligés de revoir filtre cave en urgence. L’avis vasculaire a considéré que
la malade très précocement. On vous pose les questions l’anticoagulation serait suffisante ».
suivantes ». Docteur Kianmanesh : « Elle peut faire l’embolie
Docteur Saget : « La réponse peut être à choix multiples : pulmonaire avec ce thrombus, l’urgence absolue est
• coloproctectomie totale et iléostomie terminale ; l’antibiothérapie et l’anticoagulation. Si on revient à
• colectomie gauche sans rétablissement de continuité ; la TDM initiale, il y avait déjà un magma tout autour.
• drainage de l’abcès par voie percutanée ; C’est-à-dire que même avec une cœlioscopie, on ne pouvait
• coloproctectomie et anastomose iléo-anale protégée ; pas savoir s’il y avait une perforation. C’était plus qu’une
• antibiothérapie et anticoagulation efficace ». tumeur colique habituelle, il y avait des diverticules.
C’était peut être déjà perforé ? Je pense que le drainage
Docteur Mariette : « Pour orienter la discussion, est ce étant extrêmement facile, si on est dans les 24 heures, on
que vous avez une notion sur les biopsies préthérapeu- commence l’anticoagulation, quitte à faire une fenêtre
tiques du phénotype MSI de la patiente ? » pour drainer ».
Docteur Saget : « Non, on n’en a pas la notion ». Docteur Saint-Étienne : « Je pose la question sur l’origine
Docteur Mariette : « On est donc en situation aiguë de la thrombose de la veine cave inférieure. Je me demande
avec un sepsis, un abcès (vu sur l’imagerie). Choisissez- si elle n’est pas néoplasique. Mais j’ai vu rapidement la TDM
vous de traiter l’abcès avec deux modalités différentes et peut être il y a-t-il une masse rétropéritonéale ? »
(drainage ou antibiothérapie) ; sachant qu’il y a la throm- Docteur Mariette : « La question dans ce contexte est :
bose. Ou proposez-vous d’emblée de régler le problème la thrombose est-elle d’origine infectieuse ou plutôt
par une intervention chirurgicale avec différentes moda- d’origine néoplasique ; auquel cas la nature du thrombus
lités, prenant en compte la double localisation, et je serait différente ».
suppose le jeune âge de la patiente pour proposer un Docteur Saget : « On s’est posé la question et les radio-
geste d’exérèse très élargi ; dans cette situation septique logues ont considéré que c’était cruorique. Après une
avec thrombose». enquête bibliographique on ne peut pas dire que ce soit
Docteur Sauvanet : « Manifestement c’est plutôt le imputable au Xeloda® non plus puisqu’on s’était demandé
traitement du sepsis et du thrombus et de la maladie s’il pouvait favoriser les thromboses. Sur le plan séméiolo-
thrombotique qui a été privilégié. Était-ce votre choix ? » gique et radiologique cela avait l’aspect d’une thrombose
Docteur Saget : « Oui on a réalisé un drainage avec anti- cruorique et non pas tumorale. Finalement cela a répondu
coagulation et antibiothérapie ». à l’anticoagulation efficace ».
Docteur Mariette : « On peut poser une question, s’il Docteur Wind : « Je pense qu’on a compris pourquoi elle
y a abcès on pense à un cancer perforé : ça n’a posé de a perdu 30 kg. Non pas en raison d’une extension tumo-
problème à personne de drainer un abcès perforé par voie rale, métastatique, mais probablement parce qu’elle avait
percutanée ? » une tumeur infectée avec un syndrome catabolique impor-
Docteur Panis : « J’ai répondu antibiothérapie et anti- tant et c’est dans ce cadre là qu’elle a dû développer sa
coagulation efficace, et en cas d’échec j’aurai fait une thrombose ».
colectomie gauche sans rétablissement de continuité. Nous Docteur Crozat : « N’y avait-il pas une indication à propo-
savons que c’est une tumeur T4 : on ne l’aurait certainement ser un filtre cave chez cette patiente ? »
pas drainée en percutané. » Docteur Saget : « Si, on l’a proposé aux chirurgiens vas-
Docteur Mariette : « Est qu’il y a d’autres avis. Le culaires qui ont considéré que ce n’était pas à faire en
risque d’ensemencement est-il important ? » urgence, étant donné le contexte septique. Si, après rééva-
Docteur Sauvanet : « Mais elle est facile à drainer, le luation, l’anticoagulation était efficace, et s’il n’y avait pas
trajet de drainage est relativement facile à trouver, peut d’évolution de la thrombose, on pouvait alors se permettre
être même à traiter s’il faut opérer la malade plus tard ». de conserver ce traitement, en l’absence de chirurgie ».
Docteur Elias : « Le risque d’un éventuel ensemencement Docteur Allac : « N’y avait-il pas, dès le départ, une indi-
sur le trajet du drain est complètement secondaire dans cation de mettre des anticoagulants ? »
l’histoire de cette patiente. C’est un cas tout à fait atypique Docteur Mariette : « Très bonne question. Du fait de la
et un PET-scan aurait été souhaitable dans le bilan, avant maladie néoplasique et de traitements qui sont connus
de commencer le traitement et également de s’orienter comme influençant la thrombose n’aurait-il pas fallu
vers une forme familiale ; bien que ce ne soit pas cela qui l’anticoaguler d’emblée ? Est-ce que vous avez effecti-
prime ». vement reconsidéré la place des anticoagulants dès le
Docteur Sauvanet : « Vous auriez fait un PET-scan pour départ chez une patiente qui cumule les facteurs de
rechercher quoi ? » risque ».
Docteur Elias : « Étant donné cette forme inhabituelle Docteur Saget : « Non, nous n’avons pas considéré
— elle n’a que 35 ans, elle a un amaigrissement majeur — l’anticoagulation prophylactique en dehors de la chirur-
autant être sûr qu’il n’y en a pas partout ailleurs, dans les gie ».
poumons, les côtes ». Docteur Perniceni : « Qu’est qui s’opposerait à ce que l’on
Docteur Mariette : « Est-ce que ça pose un problème fasse une colectomie gauche (elle a déjà une colostomie
de drainer un malade chez qui vous allez introduire un transverse droite) ? On va tout mettre à plat, on va enlever
traitement anticoagulant pour sa thrombose veineuse. La une tumeur qui est perforée, ce colon qui est en train de
priorité absolue c’est de drainer l’abcès ou de traiter la fuir peut être en rétropéritonéal. Qu’est ce qui s’oppose à
thrombose ? Y a-t-il urgence à la mettre sous anticoa- ce qu’on choisisse cette option ? »
Une patiente, deux cancers colorectaux, un choix 75

Docteur Saget : « Rien ne s’oppose formellement à la chi-


rurgie d’urgence. Mais opérer dans un contexte d’abcès
de 10 cm, ce n’est pas très aisé. Le risque d’essaimage
est identique voire même supérieur au drainage radiolo-
gique. Enfin quand il faudra l’opérer sous anticoagulation,
ou au moins prévoir la pose d’un filtre cave dans un
contexte septique. Ce n’est pas forcément la solution la plus
facile ».
Docteur Mariette : « Par analogie avec la sigmoïdite
perforée, je crois que cela viendrait à l’idée de peu de
gens de faire la sigmoidectomie dans un contexte de
perforation avec abcès. On peut se rapprocher de cette
situation, même si elle est plus atypique. Est-ce qu’il y a
d’autres avis ? »
Docteur N’Guyen : « Juste une remarque : j’étais initiale-
ment partisan de mettre en place une endoprothèse. Je vois
que le gastroentérologue et moi-même aurions été accusés
Figure 4. Tomodensitométrie abdominale : drainage percutané.
de perforer la tumeur et de donner un abcès. . . » (rires dans
la salle).
Docteur Besançon : « Compte tenu de l’évolution, si on • coloproctectomie totale et iléostomie définitive ;
l’avait opérée d’emblée lors du diagnostic initial, aurait-on • colectomie gauche et anastomose colo-anale protégée,
eu la même évolution vers l’abcès ? » sur réservoir en J ;
Docteur Saget : « Opérer laquelle des tumeurs ? Les deux • prévoir une chimio-hyperthermie intra péritonéale
tumeurs ? C’était proposé, actuellement on préconise une (CHIP) ou une CIPPI ;
radiothérapie néoadjuvante pour les cancers du rectum. Ici • Autre.
c’est un stade avancé, donc en voulant mettre toutes les
chances pour le traitement du cancer du rectum, sous le Docteur Mariette : « CHIP adjuvante ? Car la cœlio-
contrôle local, on a préféré faire ça. C’était peut être une scopie exploratrice était négative. Donc plutôt CHIP à
mauvaise solution ». cause des facteurs de risque parce que la tumeur était
Docteur Mariette : « On va avancer ». perforée. . . C’est sûr que faire la colectomie étendue
Docteur Saget : « Ce que l’on n’a pas dit aussi, c’est associée à une CHIP chez une patiente qui a 39◦ , en état
qu’opérer le rectum, c’était ne pas se donner toutes les septique, cela aurait été difficile ».
chances d’avoir un effet optimal du traitement néoad- Docteur Sauvanet : « On aurait dit en plus qu’elle était
juvant. Comme l’ont montré Kalady et al. en 2009 [4], la cause de l’extension de la thrombose cave. . . »
l’efficacité du traitement néoadjuvant est temps dépen- Docteur Mariette : « On vous fait réfléchir sur l’étendue
dant. L’efficacité augmente en fonction du temps qu’on de la colectomie chez cette patiente jeune dont on n’a
laisse s’écouler, ainsi après huit semaines on a 30 % de pas le statut MSI. Il n’y a pas d’antécédents familiaux
réponse complète alors qu’à six semaines seulement on en a connus a priori avec une double localisation néoplasique »
10 %. À trois semaines on aurait donc eu très peu de chances (les résultats du vote apparaissent).
que la radio chimiothérapie ait un effet complet ». Docteur Mariette : « Une majorité de personnes,
Docteur Mariette : « Cet argument est intéressant, mais sachant que le choix était multiple, ont proposé un
assez théorique chez une patiente qui a une tumeur per- geste étendu de résection avec une anastomose proté-
forée quand même. . . » gée d’emblée, et un quart de la salle est en faveur d’une
Docteur Sauvanet : « Le côlon est perforé mais pour le CHIP dans le contexte de risque de récidive péritonéale à
rectum si on veut que le bénéfice de la radiothérapie soit cause de la tumeur perforée ».
complet il faut un délai de plus de huit semaines ». Docteur Perrin : « On a eu du temps pendant le traitement
Docteur Mariette : « Il est à contrebalancer avec par radiothérapie et les six semaines post radiothérapie. Et
l’urgence de la perforation. . . » pourtant on n’a pas pris le soin de faire une coloscopie par la
Docteur Sauvanet : « . . .mais Saint-Antoine on a le sang stomie pour évaluer le côlon droit. On n’a pas bien compris la
froid ! » localisation réelle des polypes dans le côlon droit. On aurait
Docteur Saget : « Donc on a fait un drainage percutané pu les évaluer, et éventuellement les réséquer et d’avoir
sous TDM (Fig. 4), une antibiothérapie, une anticoagulation ainsi un statut MSI qui aurait pu éviter de faire une iléo-
curative, et on a prévu une chirurgie à froid avec exérèse du anale ».
trajet de ponction et un filtre cave en préopératoire. À huit Docteur Saget : « Il y avait une coloscopie complète
semaines de la fin de la radio chimiothérapie, la patiente a même si elle avait été faite avec un gastroscope, il y avait
repris deux kilos, au toucher rectal elle avait une tumeur une dizaine de polypes étendus à droite et à gauche dont
mobile à 2 cm du sphincter de volume inchangé, la paroi deux de plus de 2 cm qui étaient plans. Le statut MSI, je
postérieure vaginale était respectée, l’ACE normal. Quel peux vous le donner, il est négatif. Je ne suis pas sûr que
traitement réaliseriez-vous ? » cela change tout ».
Docteur Mariette : « Cette fois on est à froid et Docteur Mariette : « La question est de savoir quelle
à distance de la radio chimiothérapie, les problèmes est la place de la chirurgie. Est que tout le monde est
infectieux sont passés et le traitement carcinologique d’accord pour enlever la partie gauche du colon et le rec-
préopératoire a été fait ». tum et y a-t-il une place pour la chirurgie prophylactique
Docteur Saget : « La réponse peut être à choix multiples : pour le reste du côlon, sachant que le pronostic est plu-
• coloproctectomie totale et anastomose iléo-anale proté- tôt au cancer perforé ? Est-il licite de faire une chirurgie
gée ; prophylactique sur le colon droit ? »
76 A. Saget et al.

Docteur Kianmanesh : « C’est surtout le choix de « autre » ce choix. Vous l’avez fait sur la présence de polypes, pour-
qui est important. Chez cette femme qui a déjà deux quoi pas. Si le statut MSI avait été positif j’aurais certes fait
enfants, avant de faire une CHIP il faut au moins enlever les alors une proctectomie totale ».
ovaires, donc j’aurai voté coloproctectomie totale et ana- Docteur Saget : « Et s’il avait été négatif ? »
stomose iléo-anale protégée et autre. Et autre pour moi, Docteur Wind : « J’aurai demandé aux endoscopistes de
c’est ovariectomie prophylactique ». nettoyer le colon et j’aurai décidé en fonction du nettoyage
Docteur Mariette : « Non seulement le côlon droit mais du colon. Cette femme de 33 ans peut très bien rentrer dans
en plus on lui enlève les ovaires. . . » un protocole de surveillance ensuite ».
Docteur Parc : « Nous ne sommes pas partis vers un diag- Docteur Sauvanet : « On va avancer ».
nostic de HNPCC. Nous nous sommes plutôt placés dans un Docteur Saget : « Devant le cancer du rectum à plus de
contexte de polypose. Et ayant déjà trouvé un cancer on 2 cm du sphincter, on pouvait faire une conservation sphinc-
n’était pas dans une situation de chirurgie prophylactique. térienne. Le contexte de polypose avec deux cancers nous
En cas de polypose dégénérée, on a près de 50 % de chances a poussé à faire une colectomie totale et, en l’absence de
d’avoir un deuxième cancer. Or elle avait déjà un deuxième carcinose, il n’y avait pas d’indication pour une CHIP pro-
cancer. Elle avait donc je ne sais combien de chances d’avoir phylactique. Dans ce contexte de polypose, comme on l’a
sur le côlon droit, même sur des petits polypes ou sur des dit, avec une dizaine de polypes coliques à moins de 40 cm,
polypes plus importants, un autre cancer. On n’était donc deux cancers colorectaux, laisser le côlon droit, c’était le
plus dans le contexte de se poser la question d’une chirurgie risque de laisser un cancer, c’était le risque d’une tumeur
prophylactique et on était plutôt dans l’attente de savoir si métachrone. Donc laisser le côlon droit, c’était le risque de
à l’anatomopathologie n’allait pas trouver encore un autre devoir transformer une anastomose colo-anale en une ana-
cancer ». stomose iléo-anale dans un pelvis qui a été radiothérapé ;
Docteur Mariette : « Vous étiez plus partis à ce moment ce qui est un geste assez compliqué.
là sur un diagnostic de polypose, du fait des nombreux L’anatomopathologie a trouvé un adénocarcinome
polypes au départ, mais dont le nombre est inférieur à colique peu différencié pT3N0, un adénocarcinome rec-
la définition habituellement reconnue de polypose. Est- tal bien différencié pT3N1a avec un ganglion envahi sur
ce qu’il y a des commentaires supplémentaires dans la 42. On a découvert un adénocarcinome sigmoïdien classé
salle ? » pT1 sm2. On avait un trajet de drainage qui n’était pas
Docteur X : « Je comprends le choix. Mais compte tenu envahi, l’absence d’embole et d’engainement périnerveux
des résultats fonctionnels de l’anastomose iléo-anale après et le statut MSI était négatif pour MLh1, MSh2, PMs2 et
radiothérapie, chez une femme jeune n’avez vous pas pesé MSh6. Les suites ont été simples, la patiente est sortie à
un autre choix ? » J9. On a proposé une chimiothérapie adjuvante par FOLFOX
Docteur Saget : « On ne s’est même pas posé la question et on a refermé sa stomie huit semaines après. Sur le plan
de conserver le colon droit, on a estimé qu’on était dans du résultat fonctionnel, à deux mois la patiente présen-
un contexte de polypose indéterminé et qu’il y avait très tait neuf selles par jour avec six comprimés de ralentisseur
probablement des lésions à droite, qu’il fallait les dépister. du transit, pas de selle nocturne, pas d’incontinence, pas
Actuellement, anastomose colo-anale ou anastomose iléo- de fragmentation, pas d’impériosité. Pour la surveillance,
anale après radiothérapie, il n’y a aucune étude randomisée on a fait une consultation d’oncogénétique, réalisée une
qui montre une différence significative en terme de résultat fibroscopie dans les trois mois qui a trouvé deux polypes
fonctionnel. Enfin elle est jeune et elle a un bon sphincter ». duodénaux de 5 mm. Une endoscopie basse à un an puis tous
Docteur Wind : « Je ne comprends pas pourquoi vous par- les deux ans a été proposée.
lez de polypose ? » En conclusion, nous avions ici à faire à une patiente qui
Docteur Saget : « On parle de polypose parce que c’est avait deux cancers dont chacun avait une prise en charge
une patiente qui a une dizaine de polypes et deux cancers consensuelle mais en même temps on s’est posé la question
à l’âge de 33 ans ». de savoir lequel était prioritaire, lequel pouvait attendre,
Docteur Wind : « Mais vous lui avez nettoyé les polypes lequel allait se compliquer. Nous avons choisi de ne pas
avant de l’opérer ? » retarder la prise en charge de la tumeur rectale qui était à
Docteur Saget : « Non ». stade avancé. On s’exposait à une complication de la tumeur
Docteur Wind : « Et vous auriez pu les nettoyer endosco- colique. La polypose expose aux lésions métachrones dont
piquement ? » il faut anticiper le traitement ».
Docteur Saget : « Certains, oui ». Docteur Goëre : « Le cancer du côlon gauche était per-
Docteur Sauvanet : « Pourquoi d’autres non ? » foré, donc il était licite de ne pas faire de CHIP dans le même
Docteur Saget : « D’autres c’était peut être plus diffi- temps et il n’y a aucune recommandation pour faire dans
cile, sachant qu’ils étaient plans et qu’ils faisaient plus de le même temps. Cependant dans la surveillance il faudra,
2 cm ». après la chimiothérapie adjuvante, programmer le second
Docteur Wind : « Comme disait Churchill, ‘‘on n’a le droit look chirurgical et la CHIP prophylactique à ce moment
qu’à deux mauvaises solutions’’. Donc de toutes façons, vous là ».
avez choisi la coloproctectomie totale, vous la mettez à Docteur Y : « Qu’est devenu le thrombus cave ? »
l’abri d’une récidive sur le côlon droit qui est estimée, si elle Docteur Saget : « Il a régressé sous anticoagulation effi-
est HNPCC, à 40 %. Mais il est vrai aussi que les résultats fonc- cace et les anticoagulants ont été prescrits pendant un an ».
tionnels ne sont pas les mêmes entre une iléo-anale après Docteur Sauvanet : « J’ai une question pour le docteur
radiothérapie et une colo-anale, même avec une colectomie Wind, que pense-t-il de l’argument sur la difficulté de
gauche étendue et en faisant un Deloyer. Vous avez fait un la transformation d’une anastomose colo-anale en iléo-
choix, je ne suis pas sûr que ce soit forcément le meilleur anale secondairement ? »
choix. Les deux n’étaient pas de toutes façons excellents Docteur Wind: « Je répète j’aurais pris la décision sur le
puisqu’on n’avait pas les éléments pour le déterminer. Ainsi nettoyage des polypes. Parce que finalement il y avait quoi
vous n’aviez pas de statut MSI au moment où vous avez fait sur le colon droit quand vous avez analysé la pièce ? »
Une patiente, deux cancers colorectaux, un choix 77

Docteur Saget : « Deux adénomes tubulo-villeux, tubu- Docteur Saget : « On n’a pas encore les résultats ».
leux, en dysplasie de bas grade et un en dysplasie de haut Docteur Mariette : « C’est un peu la clé du dos-
grade. Il y avait un peu moins de 20 polypes ». sier, pour être sûr qu’elle a une polypose. Même si
Docteur Dousset : « J’ai été confronté à deux reprises à l’anatomopathologie est très en faveur. C’était juste
des localisations de ce type là en dehors d’un contexte pour clore la discussion ».
de polypose. Notre choix n’était pas validé car ce sont des
situations rares a été dans des tumeurs T4 du côlon gauche
d’amont de faire trois à six cycles de chimiothérapie pre- Références
mière avant de faire la radiochimiothérapie du rectum en
essayant d’obtenir une réponse sur la tumeur sténosante et [1] Premature closure of the Dutch Stent-in 1 study. Lancet
son risque évolutif, tel qu’on l’a observé ici, avant de faire 2006.
le traitement idéal de radiochimiothérapie du rectum ». [2] Karoui et al. Arch Surg 2007.
[3] Bosset et al. J Clin Oncol 2005.
Docteur Mariette : « Dernière remarque sur la muta-
[4] Kalady et al. Ann Surg 2009.
tion, mutation/pas mutation ? »

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