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le colonialisme britannique
Le colonialisme britannique
Stephen Hemsley Longrigg et ses contemporains : le despotisme oriental
et les Britanniques en Irak (1914-1932)
Toby Dodge
Richard Burton, orientalisme et impérialisme
Dane Kennedy
« Annexes au foyer national juif en Palestine » : Churchill, Roosevelt et la question
des colonies de peuplement juives en Libye et en Érythrée (1943-1944)
Saul Kelly
L’orientalisme et l’échec de la politique britannique au Moyen-Orient : le cas d’Aden
Spencer Mawby
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La politique de protection.
Les dirigeants du Golfe et la Pax
Britannica au XIXe siècle
James Onley *
Introduction
L’hypothèse générale que les Trêves Maritimes (1835-1971) et la Pax
Britannica qui en a résulté ont été imposées par la Grande-Bretagne ont
détourné l’attention de l’histoire des relations anglo-arabes dans le Golfe.
Cette hypothèse a conduit à l’élaboration de deux interprétations opposées
de la Pax. Pour certains, les Trêves Maritimes ont été imposées comme des
manifestations nécessaires de la bienveillance britannique qui ont davantage
bénéficié aux Arabes qu’aux Britanniques. Pour d’autres, ces dernières ont
été perçues comme des actes de domination impérialiste profitant bien plus
aux Britanniques qu’aux Arabes.
Contexte historique
L’intérêt de l’Empire britannique des Indes pour l’Arabie orientale fut
motivé par le besoin de protéger sa flotte et ses sujets dans les eaux arabes.
1. Pour plus de détails sur cet épisode de l’histoire du Golfe, voir L. E. Sweet,
“Pirates or Polities? Arab Societies of the Persian or Arabian Gulf, 18th Century”,
Ethnohistory, vol. 11, n° 3, été 1964, pp. 262-280 ; C. Belgrave, The Pirate Coast,
Londres, G. Bell & Sons, 1966 ; H. Moyse-Bartlett, The Pirates of Trucial Oman,
Londres, Macdonald, 1966 ; P. Risso Dubuisson, “Qasimi Piracy and the General
Treaty of Peace (1820)”, Arabian Studies, vol. 4, 1978, pp. 47-57 ; S. M. al-Qasimi,
The Myth of Arab Piracy in the Gulf, Londres, Croom Helm, 1986 ; C. E. Davies,
The Blood-Red Arab Flag: An Investigation into Qasimi Piracy, 1797-1820, Exeter,
University of Exeter Press, 1997 ; P. Risso, “Cross-Cultural Perceptions of Piracy
Maritime Violence in the Western Indian Ocean and Persian Gulf Region during a
Long 18th Century”, Journal of World History, vol. 12, automne 2001, pp. 293-319.
Les dirigeants du Golfe et la Pax Britannica au XIXe siècle 11
Afin de gérer les relations des Indes britanniques avec ces dirigeants, de
surveiller l’application du Traité Général et de protéger les navires ainsi
que les sujets britanniques dans les eaux arabes, les Britanniques créèrent
le poste d’agent politique du Sud du Golfe (Political Agent for the Lower
Gulf), dont le quartier général était situé sur l’île de Qishm dans le détroit
d’Ormuz. Deux ans plus tard, en 1822, les Britanniques transférèrent ce
poste à Bushehr, sur la côte méridionale de la Perse et le fusionnèrent avec
celui bien plus ancien de Résident à Bushehr. Le nouveau poste de Résident
dans le golfe Persique (Resident in the Persian Gulf) – Résident politique
dans le golfe Persique (Political Resident in the Persian Gulf, PRPG) après
les années 1850 – était en charge des relations entre la Grande-Bretagne et
l’ensemble de la région du Golfe 2.
2. Pour une histoire de la Résidence dans le Golfe, voir D. Wright, The English
amongst the Persians during the Qajar Period, 1787-1921, Londres, Heinemann,
1977, pp. 62-93 ; P. Tuson, The Records of the British Residency and Agencies in the
Persian Gulf, IOR R/15, Londres, India Office Records, 1979, pp. 1-9 ; G. Balfour-
Paul, The End of Empire in the Middle East: Britain’s Relinquishment of Power in
her Last three Arab Dependencies, Cambridge, Cambridge University Press, 1991,
pp. 96-136.
3. Le titre d’officier supérieur naval dans le golfe Persique a été seulement utilisé
après 1869. Les variantes antérieures étaient « officier supérieur de la marine des
Indes dans le golfe Persique » (Senior Indian Marine Officer in the Persian Gulf)
entre 1822 et 1830, l’« officier naval indien supérieur dans le golfe Persique » (Senior
Indian Naval Officer in the Persian Gulf) entre 1830 et 1863, et le « commodore de
Bassadore » (1822-1863). Pour plus de commodités, « officier supérieur naval dans
le golfe Persique » est employé ici pour désigner indifféremment les quatre.
12 James Onley
4. Charjah et Ras al-Khaimah sont devenus des États de la Trêve distincts en
1869, bien que le gouvernement britannique n’ait pas reconnu cela avant 1921.
Fujaïrah en fit autant à partir de 1901 et 1952 seulement.
5. Pour l’analyse des traités, voir J. B. Kelly, “The Legal and Historical Basis of the
British Position in the Persian Gulf”, St Antony’s Papers, vol. 1, n° 4, Londres, Chatto &
Windus, 1958, pp. 119-140 ; D. Roberts, “The Consequences of the Exclusive Treaties: A
British View”, dans B. R. Pridham (dir.), The Arab Gulf and the West, Londres, Croom
Helm, 1985, pp. 1-14 ; H. M. al-Baharna, “The Consequences of Britain’s Exclusive
Treaties: A Gulf View”, dans B. R. Pridham (dir.), op. cit., 1985, pp. 15-37 ; al-Baharna,
The Legal Status of the Arabian Gulf States: A Study of their Treaty Relations and their
International Problems, Manchester, Manchester University Press, 1968.
6. Pour plus de détails, voir J. Onley, The Arabian Frontier of the British Raj:
Merchants, Rulers, and the British in the 19th Century Gulf, Oxford, Oxford University
Press, 2007.
Les dirigeants du Golfe et la Pax Britannica au XIXe siècle 13
pétrole. Une concurrence féroce faisait rage entre et au sein des familles
régnantes pour le contrôle des quelques ressources du Golfe. L’activité
économique lucrative ne se trouvait que dans les villes côtières, où elle
était limitée à l’exportation de perles et de dattes, à l’importation de
marchandises en provenance de l’étranger ou encore au transport maritime
et à la construction navale 7. Étant donné que ceux qui possédaient ces
rares ressources encouraient toujours le risque de les perdre, un climat
d’incertitude et d’insécurité régnait alors dans la région 8. Cet état de chose
avait de graves conséquences sur les relations régionales. Un Résident du
Golfe l’a décrit comme « une situation où chacun était prêt à lever la main
sur son voisin 9 ». Par conséquent, le besoin pressant de protection domina
et façonna la politique régionale plus que tout autre facteur.
La source de revenu la plus vulnérable pour un émirat était sa flotte
perlière. Avant le pétrole, l’industrie perlière était la principale source
de revenu et le plus gros employeur du Golfe 10. Ainsi la prospérité d’un
émirat du Golfe était liée à la capacité du dirigeant à sécuriser ses ports de
commerce et les eaux environnantes. La sécurité des navires et des caravanes
entre ce territoire et les marchés éloignés posait un autre problème. Les
dirigeants et tribus qui contrôlaient les routes commerciales maritimes
et terrestres reliant les villes de l’Arabie orientale aux marchés éloignés
faisaient souvent payer des redevances à ceux qui les utilisaient sous la forme
de khuwah (une « redevance fraternelle » pour la protection) ou juwaizah
(une taxe pour le libre passage). Un commerçant qui voyageait le long des
routes contrôlées devait faire appel aux contrôleurs des principales villes et
7. Pour plus de détails, voir H. Fattah, The Politics of Regional Trade in
Iraq, Arabia, and the Gulf, 1745-1900, Albany, SUNY Press, 1997, pp. 63-90 ;
F. Heard-Bey, From Trucial States to United Arab Emirates, 2 e éd., Londres,
Longman, 1996, pp. 164-197 ; F. Heard-Bey, “The Tribal Society of the UAE and
its Traditional Economy”, dans E. Ghareeb, I. al-Abed (dir.), Perspectives on the
United Arab Emirates, Londres, Trident Press, 1997, pp. 254-272 ; P. Lienhardt,
The Shaikhdoms of Eastern Arabia, A. al-Shahi (éd.), Londres, Palgrave, 2001,
pp. 24-32, 114-164.
8. R. G. Landen, “The Arab Gulf in the Arab World 1800-1918”, Arab Affairs,
n° 1, été 1986, pp. 59 et 64.
9. Pelly (GPPI) pour Gonne (Sec., Bombay Foreign Department), 19 juin 1869,
L/P & S/9/15 (IOR). Voir aussi P. Lienhardt, op. cit., 2001, p. 97.
10. Voir par exemple D. Wilson, “Memorandum Respecting the Pearl Fisheries
in the Persian Gulf”, Journal of the Royal Geographical Society, n° 3, 1833, pp. 283-
286 ; E. L. Durand, “Notes on the Pearl Fisheries of the Persian Gulf”, Government
of India, Report on the Administration of the Persian Gulf Political Agency for the
Year 1877-78, Calcutta, Foreign Department. Press, 1878, annexe A, pp. 27-41 ; J. B.
Kelly, Britain and the Persian Gulf, 1795-1880, Oxford, Oxford University Press,
1968, pp. 29-30.
14 James Onley
payer une redevance pour garantir son passage en toute sécurité 11. S’il ne
s’exécutait pas et était par la suite intercepté par une patrouille de contrôle,
son bateau, ou sa caravane, était alors attaqué. De tels raids pouvaient être
fatals. Avant le Traité Général de 1820 interdisant la « piraterie », les bateaux
qui naviguaient dans le Golfe devaient payer le khuwah ou le juwaizah à
l’imam de Mascate 12 (qui contrôlait le golfe d’Oman et le détroit d’Ormuz), à
l’émir des Qawasim (qui contrôlait le Sud du Golfe entre Lingah et Charjah)
et au chef des Bani Ka’ab (qui contrôlait la route maritime entre Bushire
et Bassora).
Deux autres formes d’attaques menaçaient également les navires et les
caravanes. Avant la première Trêve Maritime de 1835, tous les dirigeants,
y compris ceux qui n’avaient pas le contrôle d’une route commerciale,
utilisaient des corsaires ainsi que leurs propres forces militaires pour
s’engager dans le pillage de leurs ennemis en temps de guerre (ghazu) 13. Les
flottes perlières étaient les plus vulnérables aux attaques (ghazu), puisque
les « pirates » savaient toujours où les trouver. Un raid réussi sur une flotte
perlière pouvait donc plonger un émirat dans une profonde récession.
L’autre forme de pillage était la piraterie, au sens habituel du terme. Pour les
Britanniques, les différents types de raids maritimes étaient tous considérés
comme de la piraterie. Et il apparaît comme évident qu’ils ont tous porté
atteinte au bien-être économique des émirats du Golfe dont les navires
étaient pillés et détruits.
Ce qui ressort clairement de ce tour d’horizon de l’économie des émirats du
Golfe, c’est la grande vulnérabilité des principales sources de revenu face aux
attaques et raids en tout genre, l’ampleur que ces derniers pouvaient prendre dans
la mesure où ils pouvaient saisir ou détruire des ressources limitées, et l’importance
de la protection qui en a résulté. Les parties suivantes examinent la façon dont
les dirigeants du Golfe ont cherché à assurer la protection nécessaire.
11. S. B. Miles, The Countries and Tribes of the Persian Gulf, Londres, Harrison
& Sons, 1919, p. 291 ; H. Fattah, op. cit., 1997, pp. 5-6, 31, 36-38, 47-49, 60, 126 ;
F. I. Khuri, Tribe and State in Bahrain: The Transformation of Social and Political
Authority in an Arab State, Chicago, University of Chicago Press, 1980, pp. 19-20 ;
M. al-Rasheed, Politics in an Arabian Oasis: The Rashidis of Saudi Arabia, Londres,
I. B. Tauris, 1990, pp. 111-117 ; K. H. al-Naqeeb, Society and State in the Gulf Arab
Peninsula: A Different Perspective, Londres, Routledge, 1990, pp. 11, 13-16 ; C. E.
Davies, op. cit.,1997, p. 263 ; A. M. Abu Hakima, History of Eastern Arabia, 1750-
1800: The Rise and Development of Bahrain and Kuwait, Beirut, Khayats, 1965,
p. 170 (n. 1).
12. Les Britanniques faisaient référence au souverain de Mascate sous le nom
d’« imam de Mascate » (souvent orthographié imaum) jusqu’au milieu du XIXe siècle,
puis « sultan de Mascate » par la suite. Le gouvernement britannique le nomma
d’abord « sultan de Mascate » dans le traité anglo-muscati de 1839. Le souverain
lui-même utilisa le titre d’imam jusqu’en 1786, date après laquelle il utilisa le titre
de sayyid. Pour plus de détails, voir J. B. Kelly, op. cit., 1958, pp. 11-12.
13. C. E. Davies, op. cit.,1997, pp. 263-264 ; F. Heard-Bey, op. cit., 1996, pp. 228-
229. Patricia Risso préfère rendre ghazu par le terme de « piraterie ». P. Risso
Dubuisson, op. cit., 1978, p. 47.
Les dirigeants du Golfe et la Pax Britannica au XIXe siècle 15
Source : J. G. Lorimer, Gazetteer of the Persian Gulf, ’Oman, and Central Arabia, chap. 2
(Geographical and Statistical), Calcutta, Superintendent of Government Printing, 1908,
pp. 252, 454, 1009, 1076, 1422–1423, 1761.
14. H. Rosenfeld, “The Social Composition of the Military in the Process of State
Formation in the Arabian Desert”, part. 1, The Journal of the Royal Anthropological
Institute of Great Britain and Ireland, n° 95, 1965, p. 79.
15. P. Lienhardt, op. cit., 2001, p. 15.
16. Pour une discussion sur les armées en Arabie au XIX e siècle, voir H.
Rosenfeld, part. 1 et 2, op. cit., 1965, pp. 75-86, 174-194 ; T. Asad, “The Beduin
as a Military Force: Notes on some Aspects of Power Relations between
Nomads and Sedentaries in Historical Perspective”, dans C. Nelson (dir.),
The Desert and the Sown: Nomads in the Wilder Society, Berkeley, Institute
of International Studies, University of California, 1973, pp. 61-73 ; M. al-
Rasheed, op. cit., 1990, pp. 133-158 ; J. Crystal, Oil and Politics in the Gulf:
Rulers and Merchants in Kuwait and Qatar, Cambridge, Cambridge University
Press, 1990, p. 60.
16 James Onley
Comme leurs forces militaires n’étaient pas très importantes, les dirigeants
s’alliaient régulièrement avec des tribus, soit pour rétablir l’équilibre face à
un ennemi plus fort, soit pour obtenir un avantage sur un ennemi de force
égale 24. Ces alliances ne fonctionnaient pas toujours, bien sûr, pas plus
qu’elles ne duraient. Dans l’environnement politique en constante évolution
du Golfe, les dirigeants ne tardèrent pas à en mesurer les avantages et
abandonnèrent leur servitude avec pour résultat que les alliances étaient
elles-mêmes en constante évolution 25. Les alliés des dirigeants étaient
souvent les compagnons des bons jours.
22. P. Lienhardt, “The Authority of Shaykhs in the Gulf: An Essay in 19th Century
History”, Arabian Studies, n° 2, 1975, p. 69 ; F. I. Khuri, op. cit., 1980, p. 435. Pour
comprendre comment les chefs de tribus bédouines sont devenus des dirigeants
de villes et d’émirats, voir J. E. Peterson, “Tribes and Politics in Eastern Arabia”,
Middle East Journal, n° 31, 1977, pp. 299-300.
23. P. Lienhardt, op. cit., 1975, p. 69.
24. Des travaux importants portent sur la recherche d’alliances en Arabie. Voir,
par exemple, M. al-Rasheed, op. cit., 1990 ; F. F. Anscombe, The Ottoman Gulf: The
Creation of Kuwait, Saudi Arabia, and Qatar, New York, Columbia University Press,
1997 ; S. Alghanim, The Reign of Mubarak Al-Sabah: Shaikh of Kuwait, 1896-1915,
Londres, I. B. Tauris, 1998 ; F. I. Khuri, Tents and Pyramids: Games and Ideology
in Arab Culture from Backgammon to Autocratic Rule, Londres, Saqi Books, 1990,
pp. 114-117.
25. R. G. Landen, op. cit., été 1986, p. 59 ; M. al-Rasheed, op. cit., 1994, p. 152 (n. 20).
26. H. Rosenfeld, op. cit., part. 1, 1965, pp. 78-79 ; R. G. Landen, op. cit., été
1986, p. 59.
18 James Onley
tactique était employée par ceux qui contrôlaient les routes commerciales
d’Arabie et qui imposaient des droits de péage (souvent khuwah) à qui les
empruntaient. Si le dirigeant d’un émirat, le capitaine d’un navire ou le
chef d’une caravane refusait de payer le tribut à un agresseur potentiel, il
s’exposait alors à une conquête militaire ou à une razzia. Dans ce contexte,
ledit paiement dépendait en grande partie de la croyance du payeur en la
probabilité d’une attaque. Il devait y avoir une vraie menace, ou la perception
d’une menace future ; dans le cas inverse, l’absence de menace signifiait
qu’il n’y avait pas de tribut à payer. Du point de vue des Occidentaux, cela
s’apparentait à de l’extorsion – une forme arabe de protection-racket. Il
y avait néanmoins une différence importante : l’« extorqueur » assumait
la responsabilité de prendre à sa charge la protection complète de sa
« victime ». En période de guerre, le tribut pouvait avoir un effet positif en
transformant une relation d’adversité en une relation de protection, et il
était le moyen habituel pour régler un conflit. Paul Harrison observait en
1924 que « le montant du tribut extorqué est tout simplement à la mesure
de l’équilibre atteint entre [les] deux forces en présence 33 ».
des relations statutaires que les dirigeants ont vis-à-vis de leur puissance
militaire. Les exigences financières de Saddam Hussein sur l’émir du Koweït
dans les mois précédant l’invasion d’août 1990, par exemple, ressemblent
à la forme familière de collecte de tribut telle qu’elle était pratiquée par les
dirigeants arabes du Golfe au XIXe siècle.
Jusqu’à présent, les historiens ont expliqué les relations entre les dirigeants
arabes du Golfe et les alliances en constante évolution des dirigeants
uniquement en termes d’intérêt personnel et d’habile pragmatisme. Aucune
explication historique n’a pris en compte les relations intra-régionales à
travers le prisme de la culture politique arabe. Pourtant, le système de tribut
sur lequel ces relations étaient basées était en fait régi par la coutume arabe
de la recherche de protection. Les normes et les obligations de la relation
« protecteur-protégé » fournissaient aux dirigeants une stratégie de survie
efficace dans cette dynamique de pouvoir en constante évolution en Arabie.
Les dirigeants ont utilisé ces normes et obligations de plusieurs façons
pour légitimer et réglementer leurs relations politiques avec les autres – y
compris leurs relations avec le gouvernement britannique.
38. P. Dresch, Tribes, Government, and History in Yemen, Oxford, Oxford University
Press, 1989, pp. 59-64, 93-95, 109, 121, 258 ; H. R. P. Dickson, op. cit., 1949, pp. 125,
133-139, 349-350, 440-441, 443-444, 610 ; P. Lienhardt, op. cit., 2001, pp. 105, 112-
113 ; S. N. Khalaf, “Settlement of Violence in Bedouin Society”, Ethnology, n° 29,
1990, pp. 225-242.
39. P. Dresch, op. cit., 1989, p. 258.
40. P. Lienhardt, op. cit., 2001, p. 112.
41. Un protégé est appelé al-jar dans le Sud de l’Arabie, al-dakhil dans le Nord
du Golfe et al-zabin dans le Sud du Golfe. Voir P. Dresch, op. cit., 1989, pp. 59-61 ;
H. R. P. Dickson, op. cit., 1949, pp. 133-139, 610 ; P. Lienhardt, op. cit., 2001, p. 105.
Les dirigeants du Golfe et la Pax Britannica au XIXe siècle 21
42. P. Dresch, op. cit., 1989, p. 59. Wajh signifie littéralement « visage »et fi
wajhhu « dans son visage ».
43. P. Lienhardt, op. cit., 2001, p. 112.
44. P. Dresch, op. cit., 1989, pp. 59-60.
45. Ibid., pp. 60-61.
46. H. R. P. Dickson, op. cit., 1949, pp. 133-134 ; H. Wehr, A Dictionary of
Modern Written Arabic, 3e éd, Ithaca, NY, Spoken Language Services, 1976, p. 273 ;
S. N. Khalaf, op. cit., 1990, p. 227.
47. H. R. P. Dickson, op. cit., 1949, pp. 133-134 ; H. Wehr, op. cit., 1976, p. 273 ;
S. N. Khalaf, op. cit., 1990, p. 227.
48. H. R. P. Dickson, op. cit., 1949, pp. 133-134.
49. P. Dresch, op. cit., 1989, pp. 59, 62, 64.
50. H. R. P. Dickson, op. cit., 1949, pp. 135, 139 ; S. N. Khalaf, op. cit., 1990,
p. 237.
22 James Onley
58. A. Vassiliev, The History of Saudi Arabia, Londres, Saqi Books, 1998, p. 188.
59. F. Heard-Bey, op. cit., 1996, p. 81.
60. Ibid., pp. 81-82.
24 James Onley
Alliés Dates
Dirigeant de Koweït (al-Sabah) 1770, 1782-3, 1811, 1843 *
Cheikh de Ruwais et de l’île de Qais (al-Jalahima) 1782-3, 1842 **
Cheikh de l’île de Qais et de Bida‘ (al-Bin-‘Ali) 1842, 1847
Cheikh du Qatar occidental (al-Na‘im) vers 1766-1937
Dirigeant de Charjah et de Ras al-Khaimah (al-Qasimi) 1816-9, 1843, 1867
Dirigeant de Doubaï (al-Maktoum) 1843
Bani Hajir de la tribu de Hasa 1843, 1869
Dirigeant d’Abou Dhabi (al-Nahyan) 1829, 1867
* Les al-Sabah étaient d’anciens alliés des al-Khalifa. Ces dates indiquent les moments où les al-Sabah sont
venus, ou ont été invités à venir, offrir leur aide militaire aux al-Khalifa.
** Les al-Jalahima étaient également d’anciens alliés, qui se séparèrent des al-Khalifa en 1783. Ces dates
indiquent les périodes où les al-Jalahima vinrent aider militairement les al-Khalifa.
Protecteurs Dates
Dirigeant de Hasa (Bani Khalid) 1716-95
Prince-gouverneur perse de Fars 1784-9, 1839, 1843, 1859-60
Gouverneur perse de Bushire 1799
1801-5, 1810-1, 1816-7, 1830-3, 1836, 1843,
Émir de Najd et de Hasa (al-Sa‘oud)
1847-50, 1851-5, 1856-9 1861-5, 1867-71
Imam de Mascate (al-Bu-Sa‘id) 1800, 1801, 1805-6, 1811-6, 1820-1, 1829
Commandant de l’armée égyptienne à Hasa 1839-40
Gouverneur ottoman d’Égypte 1853
Chérif ottoman de La Mecque 1853
Gouverneur ottoman de Bagdad 1859-60
1805, 1823, 1828, 1830, 1838, 1839, 1842,
1843, 1844, 1846, 1847, 1848, 1849, 1851,
Résident britannique dans le Golfe
1854, 1859, 1861, 1869, 1872, 1873,1874, 1875,
1878, 1879, 1880,1881, 1887, 1888, 1892, 1895
considèrent que la garantie britannique est une condition sine qua non de
tout arrangement ». « Des tentatives ont été faites pour inciter les divers
chefs à conclure un accord mutuel entre eux, sans garantie britannique […]
mais ces dernières ont été vidées de leur substance par la fierté et le sens de
l’honneur arabes 66 ». La plus grande frustration, bien sûr, venait du refus
systématique des premiers Résidents de placer la protection au premier
rang des priorités, comme le requéraient les dirigeants.
71. S. Hennell (Asst. PRPG) to Sec., Bombay Pol. Dept., 19 avril 1838, p. 70 (n*).
Ce rapport est daté par erreur du 9 avril 1830.
72. Ibid.
73. A. B. Kemball, “Observations on the Past Policy of the British Government
towards the Arab Tribes of the Persian Gulf” (1844), dans R. H. Thomas (dir.), op.
cit., 1985 [1856], pp. 69-70.
74. Ibid., p. 70.
75. Ibid., p. 74.
76. J. B. Kelly, op. cit., 1958, p. 369.
30 James Onley
77. Pour plus de détails sur cette politique et ses motivations, voir A. B. Kemball,
“Observations on the Past Policy of the British Government towards the Arab Tribes
of the Persian Gulf” (1844), dans R. H. Thomas (dir.), op. cit., 1985 [1856], p. 69
(n*).
78. Lt. A. B. Kemball, « Historical Sketch of the Uttoobbee Tribe of Arabs
(Bahrein), 1832-1844 » (1844), dans R. H. Thomas (dir.), Selections from the Records
of the Bombay Government, Bombay, New Series, n° 24, Oleander Press (éd.), 1985,
pp. 288-289 ; Lt. H. F. Disbrowe, “Historical Sketch of the Uttoobee Tribe of Arabs
(Bahrein), 1844-1853” (1853), dans R. H. Thomas (dir.), op. cit., 1985 [1856], pp. 417,
420.
79. J. A. Saldanha, Précis of Bahrein Affairs, 1854-1904, Calcutta, Superintendent
of Government Printing, 1904, pp. 10-11.
80. Ibid., pp. 67-68.
81. Pour paraphraser Saldanha à propos d’un rapport de Ross (PRPG), juillet
1874, dans J. A. Saldanha, op. cit., 1904, p. 41.
Les dirigeants du Golfe et la Pax Britannica au XIXe siècle 31
82. D. Hawley, Desert Wind and Tropic Storm: An Autobiography, Wilby, Michael
Russell, 2000, p. 44.
32 James Onley
par les dirigeants du Golfe que par les Britanniques, et que ce sont surtout
les premiers qui ont œuvré à la création de la Trêve Maritime perpétuelle. La
protection britannique n’a donc pas été imposée sur les émirats du Golfe, mais
recherchée et accueillie favorablement par les dirigeants du Golfe, malgré les
restrictions que cette protection imposait à leur souveraineté 83.
La vision d’une protection britannique non sollicitée et non désirée ne surgit
que lorsque les années de turbulence d’avant la Trêve Maritime s’estompèrent
dans les mémoires, lorsque les avantages de la protection britannique
parurent moins évidents, et lorsque les Britanniques s’immiscèrent de plus
en plus dans les affaires intérieures 84. Même ainsi, le besoin de la protection
britannique persista. En 1968, lorsque le gouvernement britannique déclara
qu’il ne pouvait plus assumer les 12 000 000 de lires par an pour maintenir
ses forces dans le Golfe et qu’il les retirerait en 1971, le souverain d’Abou
Dhabi, cheikh Zayed bin sultan Al Nahyan, proposa de financer lui-même
la présence militaire britannique. Le dirigeant de Doubaï fit alors une offre
semblable, ajoutant qu’il pensait que les quatre pays producteurs de pétrole
sous la protection britannique – Abou Dhabi, Bahreïn, Doubaï et Qatar –
seraient aussi prêts à couvrir les frais. Le gouvernement britannique refusa
néanmoins ces offres sans précédent et retira ses forces en décembre 1971 85.
Il suffit de comparer cela avec le retrait britannique d’Égypte, de Palestine
ou d’Aden pour apprécier la différence entre l’implication de la Grande-
Bretagne dans le Golfe et son engagement dans le reste du monde arabe.
Traduit de l’anglais par Alexandre Schoepfer
83. On peut trouver davantage d’illustrations de cela dans J. Onley, “The Politics of
Protection in the Gulf: The Arab Rulers and the British Resident in the 19th Century”,
New Arabian Studies, vol. 6, 2004, pp. 30-92.
84. Je remercie Frauke Heard-Bey pour ces éclairages.
85. The Times, 22 janvier 1968, p. 1 ; The Times, 26 janvier 1968, p. 5 ; L. Y. Saffoury,
“Britain’s Withdrawal from the Persian Gulf: Decision and Background”, MA Thesis,
American University of Beirut, 1970, pp. 104-105 ; J. B. Kelly, Arabia, the Gulf and
the West, Londres, George Weidenfeld & Nicolson, 1980, pp. 49-50.