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Sébastien Martin
2012/3 - n° 91
pages 13 à 44
ISSN 1151-2385
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L’identité de l’État dans l’Union européenne :
entre « identité nationale » et « identité constitutionnelle »
SÉBASTIEN MARTIN
Tous les États membres de l’Union puisent dans leur Histoire certaines
caractéristiques qu’ils jugent si essentielles qu’ils entendent les protéger envers
et contre tout. Dans ce cadre, la participation à l’Union européenne peut s’avé-
rer parfois problématique. On sait, en effet depuis longtemps, grâce à la juris-
prudence de la Cour de justice qui a très tôt posé le principe de primauté du
droit des Communautés européennes puis de l’Union européenne, qu’un tel
principe impose aux autorités juridictionnelles nationales de faire prévaloir les
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10. Cf. l’article 6 (ex-article F) du traité sur l’Union européenne (JO n° C 340 du
10 novembre 1997) : « 3. L’Union respecte l’identité nationale de ses États membres. »
11. Cf. l’article I-5 (Relations entre l’Union et les États membres) du traité établissant
une Constitution pour l’Europe (JO n° C 310 du 16 décembre 2004) : « 1. L’Union respecte
l’égalité des États membres devant la Constitution ainsi que leur identité nationale, inhé-
rente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles, y compris en ce qui
concerne l’autonomie locale et régionale. Elle respecte les fonctions essentielles de l’État,
notamment celles qui ont pour objet d’assurer son intégrité territoriale, de maintenir l’ordre
public et de sauvegarder la sécurité nationale. »
12. À noter qu’il est aussi inscrit dans le préambule de la Charte, laquelle a, avec le traité
de Lisbonne, obtenu une valeur juridique contraignante (cf. article 6 TUE : « 1. L’Union
reconnaît les droits, les libertés et les principes énoncés dans la Charte des droits fonda-
mentaux de l’Union européenne du 7 décembre 2000, telle qu’adoptée le 12 décembre 2007
à Strasbourg, laquelle a la même valeur juridique que les traités »).
13. Traité sur l’Union européenne tel que modifié par le traité de Lisbonne, JO, n° C 83
du 30 mars 2010.
14. Dans ce sens, concernant le seul traité établissant une constitution pour l’Europe, voir
M. Blanquet, « Article I-5 – Relations entre l’Union et les États membres », L. Burgorgue-
Larsen, A. Levade & F. Picod (dir.), Traité établissant une constitution pour l’Europe - Commen-
taire article par article, tome I, parties I et IV - « Architecture constitutionnelle », Bruxelles,
Bruylant, 2007, 1 106 p., p. 96 et s.
15. CJCE, 2 juillet 1996, Commission des Communautés européennes c. Grand-duché de Luxem-
bourg (aff. C-473/93), Rec., p. I-03207, pt 36.
e16 Sébastien Martin
vue juridique, une certaine reconnaissance. Or, ce concept n’est pas sans entrer
en résonance avec le recours croissant, dans les jurisprudences nationales,
notamment constitutionnelles, au concept d’identité constitutionnelle.
En France, le Conseil constitutionnel a ainsi clairement affirmé « que la
transposition d’une directive ne saurait aller à l’encontre d’une règle ou d’un
principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France30 », partant du pos-
tulat de principe selon lequel l’existence du principe de primauté « est sans
incidence sur l’existence de la Constitution française et sa place au sommet de
l’ordre juridique interne31 ». Dans les premiers commentaires de cette décision,
ce nouveau concept a été beaucoup discuté. Outre le fait que sa signification
puisse paraître obscure32, il semble certain que cette référence soit faite pour
« [permettre] de maintenir le principe du primat constitutionnel33 » dans un
contexte qui n’est pas sans faire référence aux évolutions du droit de l’Union,
comme s’il existait entre les dispositions du traité et la jurisprudence des juri-
dictions constitutionnelles, un « lien de parenté34 ».
Cette position n’est pas propre à la France. D’autres juridictions constitu-
tionnelles ont, elles aussi, eu recours au concept d’identité constitutionnelle.
Bien que les positions ne soient pas équivalentes sur tous les points, force est de
constater qu’il existe bien entre les différents juges des États membres une com-
munauté d’esprit. Par exemple, la jurisprudence allemande récente permet de
considérer que le juge de Karlsruhe se reconnaît compétent pour contrôler le
respect, par le droit de l’Union, de l’identité constitutionnelle allemande35.
Dans un certain sens, du point de vue constitutionnel, de telles jurisprudences
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30. CC, 2006-540 DC du 27 juillet 2006, « Loi relative au droit d’auteur et aux droits
voisins dans la société de l’information ». On soulignera que la formule employée par le
Conseil constitutionnel en 2006 vient en remplacer une autre développée en 2004 cf. CC,
2004-496 DC du 10 juin 2004, « Loi pour la confiance dans l’économie numérique » : « la
transposition en droit interne d’une directive communautaire résulte d’une exigence consti-
tutionnelle à laquelle il ne pourrait être fait obstacle qu’en raison d’une disposition expresse
contraire de la Constitution. »
31. CC, 2004-505 DC du 19 novembre 2004, « Traité établissant une Constitution pour
l’Europe ».
32. D. Simon, « L’Obscure Clarté de la jurisprudence du Conseil constitutionnel relative
à la transposition des directives communautaires », Europe, 2006, n° 10, p. 2 et s.
33. B. Mathieu, « Le Droit communautaire fait son entrée au Conseil constitutionnel »,
Les Petites Affiches, 22 août 2006, n° 167, p. 3 et s.
34. F. Chaltiel, « Turbulences au sommet de la hiérarchie des normes. À propos de la
décision du Conseil constitutionnel du 27 juillet 2006 sur la loi relative aux droits d’au-
teurs », Revue du marché commun et de l’Union européenne, 2007, p. 61 et s.
35. K. M. Bauer, « Conditions et contrôles constitutionnels de la validité interne du
droit de l’Union – Cour constitutionnelle fédérale allemande, arrêt du 30 juin 2009, Consti-
tutionnalité du traité de Lisbonne (2 BvE 2/08 e.a.) », Revue trimestrielle de droit européen,
2009, p. 799 et s.
36. Cour constitutionnelle fédérale allemande, 29 mai 1974, 2 BvL 52/71, E 37, 271 ;
note et traduction M. Fromont, Revue trimestrielle de droit européen, 1975, p. 317 et s.
L’identité de l’État dans l’Union européenne e19
communs entre les deux concepts, mais qu’ils contiennent également certaines
dère qu’il faut « sans doute […] reconnaître aux autorités nationales, et notam-
ment aux juridictions constitutionnelles, la responsabilité de définir la nature
des spécificités nationales pouvant justifier une […] différence de traitement.
Celles-ci sont, en effet, les mieux placées pour définir l’identité constitution-
nelle des États membres que l’Union européenne s’est donnée pour mission de
respecter42 ». Il ajoute tout de même « que la Cour a pour devoir de vérifier que
cette appréciation est conforme aux droits et aux objectifs fondamentaux dont
elle assure le respect dans le cadre communautaire43 ».
Ainsi, au-delà des seuls rapports pouvant se nouer entre le principe de pri-
mauté de l’ordre juridique de l’Union européenne et la protection des règles
juridiques nationales jugées essentielles, il est nécessaire de faire l’étude des rap-
ports entretenus par les concepts d’identité nationale et d’identité constitution-
nelle. En effet, il nous semble que les rapports qui naissent entre ces deux
concepts pourraient, au minimum, constituer une clé de compréhension des
jurisprudences de l’Union et de ses États membres, voire donner une explica-
tion aux rapports qu’entretiennent les États membres et l’Union, et, par consé-
quent, un élément d’analyse de l’intégration européenne.
Dès lors, pour étudier les rapports qu’entretiennent ces deux concepts, il
faut, dans un premier temps, déterminer quelles sont les réalités que chacun
d’eux recouvre, puis, dans un second temps, envisager les résultats de leur rap-
prochement. Constatant que les deux concepts ne recouvrent pas la même réa-
lité juridique, il devient primordial de poser une distinction claire des concepts
d’« identité nationale » et d’« identité constitutionnelle » (I), avant d’envisager
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l’intérêt que représente le recours à ces concepts pour les différents juges (II).
42. M. Poiares Maduro, conclusions présentées le 20 septembre 2005 dans les affaires
C-53/04 et C-180/04, Cristiano Marrosu, Gianluca Sardino et Andrea Vassallo c. Azienda
Ospedaliera Ospedale San Martino di Genova e Cliniche Universitarie Convenzionate, pt 40.
43. Ibid.
44. On peut penser que les tenants de la théorie réaliste de l’interprétation considére-
raient, sans difficulté, qu’il s’agit de deux normes distinctes, partant du postulat selon
lequel il existe un interprète authentique différent pour l’identité nationale et pour l’iden-
tité constitutionnelle. Sur la théorie réaliste de l’interprétation, voir notamment Michel
Troper, Pour une Théorie juridique de l’État, Paris, Puf, coll. Léviathan, 1994, 358 p. ; La théo-
rie du droit, le droit, l’État, Paris, Puf, coll. Léviathan, 2001, 334 p.
L’identité de l’État dans l’Union européenne e21
45. M. Poiares Maduro, Conclusions présentées le 8 octobre 2008 dans l’affaire C 213/07,
op. cit. pt 31.
46. J.-P. Derosier, « Le Noyau constitutionnel identitaire, frein à l’intégration euro-
péenne. Contribution à une étude normativiste et comparée des rapports entre le noyau
constitutionnel identitaire et le droit de l’Union européenne », VIIIe Congrès de l’AFDC,
Nancy, 16, 17 et 18 juin 2011.
e22 Sébastien Martin
référence à « l’idée qu’au sein même des normes de rang constitutionnel, cer-
taines seraient plus dignes d’intérêt et donc de protection que d’autres. Cette
distinction fait apparaître en droit positif français une certaine forme de hiérar-
chie entre ce qui est “inhérent à l’identité constitutionnelle” et ce qui ne l’est
pas : le premier ensemble apparaissant, non seulement symboliquement mais
aussi désormais juridiquement, plus important que le second47 ». Concrète-
ment, en admettant cette particularité de l’identité constitutionnelle, les
normes concernées se révéleraient être, en France, très peu nombreuses car la
Constitution n’établit qu’une seule limite à sa révision dans son article 8948. Par
ailleurs, cette idée selon laquelle l’identité constitutionnelle rassemblerait l’en-
semble des normes intangibles est aussi critiquable. En effet, dans le cas de la
France, le Conseil constitutionnel estime que les obligations que la France tient
du droit de l’Union européenne « ne saurait aller à l’encontre d’une règle ou
d’un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France, sauf à ce que
le constituant y ait consenti49 ».
En revanche, en Allemagne, la question se pose en des termes très différents.
En effet, la protection constitutionnelle est beaucoup plus large. En dehors de la
garantie accordée aux droits fondamentaux50, la Loi fondamentale interdit toute
révision « qui toucherait à l’organisation de la Fédération en Länder, au principe
du concours des Länder à la législation ou aux principes énoncés aux articles 1 à
2051 ». Cette clause d’éternité est donc très importante puisqu’elle assure une
réelle intangibilité à ces éléments de l’identité constitutionnelle allemande,
laquelle devra être sauvegardée par le Tribunal constitutionnel de Karlsruhe52.
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la religion, la culture, […] et, d’autre part, des éléments subjectifs et tout par-
ticulièrement le sentiment d’appartenance53 », il apparaît possible d’étudier la
jurisprudence afin de rechercher des références aux éléments juridiques qui peu-
vent entrer dans la catégorie des règles ou des principes inhérents à l’identité
d’un État. À cet égard, trois éléments relèvent assurément de l’identité consti-
tutionnelle. Il s’agit des droits fondamentaux54, de l’organisation institution-
nelle55 et des langues officielles56.
Ces éléments, inscrits dans la majorité des Constitutions des États d’Europe
et mis en exergue dans les jurisprudences nationales, se retrouvent au niveau
de l’Union européenne, à la fois dans les traités et dans la jurisprudence de la
Cour de justice, confirmant ainsi l’hypothèse suivant laquelle le concept euro-
péen d’identité nationale intègre le concept national d’identité constitution-
nelle. L’étude des traités laisse apparaître que plusieurs dispositions obligent
l’Union à tenir compte des règles nationales des États membres en ce qui
concerne les droits fondamentaux57, l’organisation institutionnelle58 ou la cul-
ture et les langues officielles59. Parallèlement, des arrêts de la Cour de justice
ont également pris en considération des règles nationales relatives aux lan-
gues officielles60, à l’organisation institutionnelle61 ou aux droits fondamen-
taux62. Ceci démontre qu’il s’agit de droits différents dans la mesure où ces der-
niers sont établis au niveau de l’Union européenne et n’apparaissent pas tels que
les cours constitutionnelles nationales les ont définis.
À l’heure actuelle, un autre élément pourrait appartenir au champ du
concept d’identité nationale sans pour autant appartenir à celui de l’identité
constitutionnelle. Il s’agit des fonctions essentielles de l’État. La seconde phrase
de l’article 4, § 2, du TUE affirme que l’Union « respecte les fonctions essen-
tielles de l’État, notamment celles qui ont pour objet d’assurer son intégrité
territoriale, de maintenir l’ordre public et de sauvegarder la sécurité nationale.
En particulier, la sécurité nationale reste de la seule responsabilité de chaque
État membre ». Pour A. Levade, « le respect [de ces fonctions] en tant qu’élé-
ment de leur identité nationale apparaît relativement classique63 ». La jurispru-
dence de la Cour de justice, sans se prononcer au regard de l’identité nationale,
a, en effet, déjà pu reconnaître que la protection de l’environnement64, la soli-
chacun des gouvernements des autres États signataires. 2. Le présent traité peut aussi être
traduit dans toute autre langue déterminée par les États membres parmi celles qui, en vertu
de l’ordre constitutionnel de ces États membres, jouissent du statut de langue officielle sur
tout ou partie de leur territoire. L’État membre concerné fournit une copie certifiée de ces
traductions, qui sera versée aux archives du Conseil. »
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60. Voir, par exemple, CJUE, 12 mai 2011, Malgožata Runevi-Vardyn et Łukasz Paweł
65. CJCE, 17 février 1993, Christian Poucet c. Assurances générales de France (AGF) et Caisse
mutuelle régionale du Languedoc-Roussillon (Camulrac), et Daniel Pistre c. Caisse autonome natio-
nale de compensation de l’assurance vieillesse des artisans (Cancava), (aff. C-159/91 et C-160/91),
Rec., p. I-637, pt 14 et s. : « la gestion des régimes visés dans les espèces au principal a été
conférée par la loi à des caisses de sécurité sociale dont l’activité est soumise au contrôle de
l’État, assuré notamment par le ministre chargé de la sécurité sociale, le ministre chargé du
budget et des organismes publics tels que l’Inspection générale des finances et l’Inspection
générale de la sécurité sociale. […] les caisses de maladie ou les organismes qui concourent
à la gestion du service public de la sécurité sociale remplissent une fonction de caractère
exclusivement social. Cette activité est, en effet, fondée sur le principe de la solidarité natio-
nale et dépourvue de tout but lucratif. Les prestations versées sont des prestations légales et
indépendantes du montant des cotisations. [D’où,] il s’ensuit que cette activité n’est pas une
activité économique. »
66. CJCE, 19 janvier 1994, SAT Fluggesellschaft mbH et Organisation européenne pour la sécu-
rité de la navigation aérienne (Eurocontrol) (C-364/92), Rec., p. I-43, pt 21 et s. : « D’après la
convention qui l’institue, Eurocontrol est une organisation internationale à vocation régio-
nale qui a pour objet de renforcer la coopération des États contractants dans le domaine de
la navigation aérienne et de développer les activités communes en ce domaine, en tenant
dûment compte des nécessités de la défense, tout en assurant à tous les usagers de l’espace
aérien le maximum de liberté avec le niveau de sécurité requis. […] l’activité opérationnelle
de contrôle de la navigation aérienne est […] limitée puisque ce n’est qu’à la demande des
États contractants qu’une telle activité peut être assurée par Eurocontrol [qui] assure ainsi,
pour le compte des États contractants, des missions d’intérêt général dont l’objet est de
contribuer au maintien et à l’amélioration de la sécurité de la navigation aérienne. »
e26 Sébastien Martin
67. J.-D. Mouton, « Vers la reconnaissance de droits fondamentaux aux États dans le sys-
tème communautaire ? », in Études en l’honneur de Jean-Claude Gautron – Les dynamiques du
droit européen en début de siècle, Paris, Pédone, 2004, p. 466 et s.
68. Cour constitutionnelle fédérale allemande, 22 octobre 1986, 2 BvR 197/83, E 73, 39,
op. cit.
69. E. Dubout, « “Les règles ou principes inhérents à l’identité constitutionnelle de la
France” : une supra-constitutionnalité ? », op. cit.
L’identité de l’État dans l’Union européenne e27
règles ou notions juridiques du droit national […] aurait pour effet de porter
76. La même question pourrait porter sur la question des langues minoritaires car, jus-
qu’à présent, la Cour de justice a estimé que « l’Union respecte également l’identité natio-
nale de ses États membres, dont fait aussi partie la protection de la langue officielle natio-
nale de l’État » (CJUE, 12 mai 2011, Runevi-Vardyn, op. cit., pt 86). Qu’en serait-il des
constitutions qui offrent des protections aux minorités ? Le juge de l’Union peut-il recon-
naître, au sein de l’identité nationale, un élément que certains juges estimeraient appartenir
à leur identité constitutionnelle, alors qu’il n’existe pas de pendant dans toutes les Consti-
tutions des États membres ? À cet égard, V. Bertile remarque que, partant de la même
diversité linguistique, l’Italie, l’Espagne et la France, qui consacrent toutes trois le principe
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relèvent de la nature de l’État, pouvant être intégrés dans une matrice com-
mune adaptable à l’ensemble des États membres, sans bénéficier nécessairement
d’une garantie constitutionnelle. Le concept interne d’identité constitution-
nelle, quant à lui, s’entend comme l’ensemble des caractéristiques idiosyncra-
siques permettant d’individualiser un État et auxquelles le pouvoir constituant
a offert une garantie constitutionnelle. À ces deux définitions distinctes, il est
possible d’associer deux régimes juridiques différents.
États membres constitue un but légitime respecté par l’ordre juridique com-
85. CJUE, 22 décembre 2010, Ilonka Sayn-Wittgenstein, op. cit., pts 83 et 84.
86. CJCE, 2 juillet 1996, Commission des Communautés européennes c. Grand-Duché de Luxem-
bourg, op. cit., pt 36.
87. Ibid., pt 35.
88. CJUE, 24 mai 2011, Commission européenne c. Grand-duché du Luxembourg (C-51/08),
pt 124 : « Si la sauvegarde de l’identité nationale des États membres constitue un but légi-
time respecté par l’ordre juridique de l’Union, ainsi que le reconnaît d’ailleurs l’article 4,
paragraphe 2, TUE, l’intérêt invoqué par le Grand-duché peut toutefois être utilement pré-
servé par d’autres moyens que l’exclusion, à titre général, des ressortissants des autres États
membres. »
89. S. Platon, « Respect de l’identité nationale des États membres : frein ou recomposi-
tion de la gouvernance ? », in F. Chaltiel & P.-Y. Monjal, L’Union européenne et ses États
membres après le traité de Lisbonne : quelle place et quel rôle dévolus aux États et pour quelle Union ?,
colloque au Sénat, 25 novembre 2011.
L’identité de l’État dans l’Union européenne e31
ces perspectives sont encore assez loin d’être réellement confirmées par la
jurisprudence.
surer, en tout temps, que les compétences qui sont déléguées à l’Union euro-
90. Cour constitutionnelle fédérale allemande, arrêt du 30 juin 2009, 2e chambre, Zwei-
ter Senat. Constitutionnalité du traité de Lisbonne (2 BvE 2/08 e.a.) ; note et traduction
K. M. Bauer, Revue trimestrielle de droit européen, 2009, p. 799 et s.
91. Ibid., § 239.
92. Ibid., § 240.
93. Ibid., § 241.
94. Cf. CC, 2004-496 DC du 10 juin 2004, op. cit. : « la transposition en droit interne
d’une directive communautaire résulte d’une exigence constitutionnelle. »
95. Cf. CC, 2006-540 DC du 27 juillet 2006, op. cit. : « la transposition d’une directive
ne saurait aller à l’encontre d’une règle ou d’un principe inhérent à l’identité constitution-
nelle de la France, sauf à ce que le constituant y ait consenti. »
e32 Sébastien Martin
qu’il ne lui revient pas de contrôler ces lois de transposition, sauf à ce que ces
dernières ne respectent pas l’identité constitutionnelle de la France95. Dans de
telles conditions, la reconnaissance par le juge, dans une disposition législative,
d’une mesure tendant à contrevenir à un élément appartenant à l’identité
constitutionnelle, lui permettrait de déclarer non conforme à la Constitution la
loi de transposition et partant remettrait en cause l’application du droit de
l’Union ainsi que le principe de primauté.
L’intérêt du concept d’identité constitutionnelle apparaît donc très impor-
tant dans le cadre du contrôle de constitutionnalité96, même si, pour l’heure, les
juridictions constitutionnelles n’ont pas constaté d’incompatibilité entre la
Constitution et le droit de l’Union et n’ont prononcé que des décisions de
conformité. La référence à l’identité constitutionnelle, dans le cadre de ces
contrôles de constitutionnalité, correspond à une réserve d’interprétation97. La
technique de la réserve en droit constitutionnel correspond à « la déclaration de
conformité sous réserve [qui] permet au Conseil constitutionnel de délivrer un
brevet de constitutionnalité à la loi contrôlée sans pour autant lui donner tota-
lement quitus, puisque sa conformité à la Constitution n’est admise que sous
réserve qu’elle revête, dans son application, l’interprétation qu’en a faite le juge
constitutionnel98 ». Cette pratique est aujourd’hui très courante, si bien que les
réserves d’interprétations des lois se retrouvent dans la plupart des jurispru-
dences des Cours constitutionnelles européennes99. Comme l’a démontré T. Di
Manno, grâce à la réserve, « le juge constitutionnel évite de prononcer une
annulation pure et simple de la loi en tant qu’acte. Mais si celle-ci reste for-
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sent dans un certain sens, non pas seulement aux autorités nationales, mais éga-
Dans la mesure où les concepts ici étudiés ont pour objectif d’assurer une
certaine protection des États, sans pour autant avoir le même périmètre ni les
mêmes finalités, différentes situations doivent être distinguées. Tout d’abord, il
y a la réception dans le champ du droit national du concept européen. Celle-ci
n’a posé aucune difficulté. Le concept est même repris par les juridictions
constitutionnelles nationales pour admettre la conformité aux constitutions
nationales des traités relatifs à l’Union européenne107 (1). Ensuite, on trouve
l’admission du concept national par les juridictions de l’Union européenne.
Cette situation s’avère plus problématique. Comme le souligne O. Dubos, « la
primauté du droit de l’Union européenne ne diffère pas du principe de la pri-
mauté du droit international, c’est une règle d’inopposabilité des normes natio-
nales contraires à une obligation découlant du droit de l’Union européenne108 ».
Partant, l’acceptation en droit de l’Union d’une notion d’identité constitution-
nelle pouvant empêcher l’application du droit de l’Union européenne crée de
sérieuses difficultés (2).
107. Cf., par exemple, CC, 2004-505 DC du 19 novembre 2004, op. cit., ou Cour consti-
tutionnelle fédérale allemande, arrêt du 30 juin 2009, op. cit.
108. O. Dubos, « Inconciliable Primauté – l’identité nationale : sonderweg et self-restraint
au service du pouvoir des juges ? », op. cit.
109. CC, 2004-505 DC du 19 novembre 2004, op. cit.
110. Ibid., cons. 12 & 13.
e36 Sébastien Martin
134. B. Genevois, Conclusions sous l’arrêt d’assemblée du 20 décembre 1978, op. cit.
135. Article 267 TFUE (ex-article 234 TCE) : « La Cour de justice de l’Union euro-
péenne est compétente pour statuer, à titre préjudiciel : a) sur l’interprétation des traités, b)
sur la validité et l’interprétation des actes pris par les institutions, organes ou organismes de
l’Union. Lorsqu’une telle question est soulevée devant une juridiction d’un des États
membres, cette juridiction peut, si elle estime qu’une décision sur ce point est nécessaire
pour rendre son jugement, demander à la Cour de statuer sur cette question. Lorsqu’une
telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dont
les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne, cette juri-
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des délais dans lesquels nous devons prendre nos décisions, ce serait extrême-
ment difficile140 ». Mais, pour ses membres, l’absence de dialogue n’est pas liée
au droit de l’Union, cet état se justifie davantage par le fait que « le Conseil
constitutionnel […] se trouve dans une situation qui fait que ces occasions de
dialogue sont assez rares puisque nous intervenons en amont, au moment où la
loi n’est pas encore tout à fait loi, elle n’a pas encore été appliquée par d’autres
juridictions et donc, s’il y a certes des principes que nous pouvons mettre en
avant nous ne revenons pas à la loi une fois qu’elle a été promulguée, sauf
des circonstances très particulières, c’est-à-dire que nous n’avons pas l’occasion
de tenir compte, éventuellement, de la manière dont les autres juridictions
l’appliquent141 ».
Cependant, par de l’absence de dialogue institutionnalisé fondée sur l’im-
possibilité, matérielle142 ou juridique143 d’avoir recours au mécanisme du renvoi
préjudiciel144, la jurisprudence montre des signes d’une certaine coopération
entre les juges constitutionnels et ceux de l’Union européenne.
Ainsi, « en l’absence de mise en cause d’une règle ou d’un principe inhérent
à l’identité constitutionnelle de la France, le Conseil constitutionnel n’est pas
compétent pour contrôler la conformité aux droits et libertés que la Constitu-
tion garantit de dispositions législatives qui se bornent à tirer les conséquences
nécessaires de dispositions inconditionnelles et précises d’une directive de
l’Union européenne ; qu’en ce cas, il n’appartient qu’au juge de l’Union euro-
péenne, saisi le cas échéant à titre préjudiciel, de contrôler le respect par cette
directive des droits fondamentaux garantis par l’article 6 du traité sur l’Union
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151. J.-P. Puissochet, Intervention au colloque des 12 et 13 mars 2004 pour le 50e anni-
versaire des Tribunaux administratifs, op. cit.
152. Cf. supra.
153. J.-P. Puissochet, Intervention au colloque des 12 et 13 mars 2004 pour le 50e anni-
versaire des Tribunaux administratifs, op. cit.
154. Cf. la thèse dite de l’« adéquation fonctionnelle » selon laquelle le juge de l’Union
européenne ne prend en compte les droits fondamentaux seulement dans la mesure où ils
sont compatibles avec la structure et les objectifs de l’Union.
155. CJUE, 24 mai 2011, Commission européenne c. Grand-duché du Luxembourg, op. cit.,
pt 124.
e44 Sébastien Martin