"Le Nègre ignore que ses ancêtres, qui se sont adaptés aux conditions matérielles de
la vallée du Nil, sont les plus anciens guides de l'humanité dans la voie de la
civilisation" Cheikh Anta Diop
Du 15e au 19e siècle, dans ce qui est le plus grand crime de l’histoire, la mise en
esclavage des Africains par les Européens et les Arabes a été responsable de 400 à
600 millions de pertes humaines pour le continent noir. La traite européenne a
eu l’impact le plus grave car non seulement elle a anéanti au canon des Empires et
royaumes africains d’alors mais elle a déporté un plus grand nombre de personnes,
soit 12 à 30 millions d’enfants, de femmes et d’hommes.
Nous allons vous parler des conditions de déportation innommables qu’ont vécu nos
ancêtres, au cours de leurs voyages vers la destruction de leur humanité.
Adolescent africain en voie d’embarquement sur un
bateau esclavagiste
Peinture hyperréaliste d’Olumide Oresegun
C’est à partir de cette époque, suite aux actes térroristes et victorieux des
esclavagistes, que l’Europe sera libre d’étendre à souhait son activité de mise en
esclavage des Africains.
La tête de Nvita a Nkanga Antonio, dernier empereur du
Kongo, décapité par les Portugais
Après l’effondrement de l’Afrique richissime et ses Etats légitimes sous les coups
des esclavagistes, presque partout à l’époque gouvernent des roitelets noirs armés
et souvent installés par l’Europe, et dont les revenus ne reposent que sur la
collaboration avec l’Occident.
On trouve aussi comme intermédiaires sur le sol africain des Arabes, mais surtout
les fameux Lançados, ces puissants métis fils de délinquants portugais et
d’Africaines mises en esclavage, élevés dans le mépris des Noirs et qui s’étaient
établis le long des côtes africaines.
A part les razzias directes de la part des esclavagistes, une bonne partie des
déportés étaient des prisonniers de guerre. La stratégie des Européens fut de
détecter la présence de royaumes rivaux, armer un en échange de captifs du camp
adverse ; puis aller vers ce camp adverse en danger lui proposer des armes, en
échange de captifs de l’autre camp aussi ; exactement comme les Français par
exemple auraient vendu des Allemands aux Chinois, si ces derniers leur avaient
proposé des armes décisives à la veille de l’invasion de la France en 1940. Les
prisonniers de guerre étaient aussi bien des soldats que des civils.
Les futurs forçats sont pris le plus souvent de nuit par l’attaque au fusil et au feu de
leur localité, passant directement du sommeil à l’esclavage. Nombreux de leurs
proches meurent directement pendant le raid. Les vieux jugés invendables, sont
abandonnés à leurs fins. Les autres sont liés par des carcans en bois et des cordes,
et marchent jusqu’à la côte pendant des jours où beaucoup mourront encore.
Battus, tenus par des fusils, suicidaires et en larmes, les tentatives d’évasion des
kidnappés sont souvent vaines. Ils arrivent aux ports d’achats où on les attache par
de lourdes chaines. C’est là que commence véritablement leur préparation à
l’esclavage.
On commence par déshabiller les Africains et défaire leurs coiffures totémiques voir
couper leurs cheveux. Tout doit être fait pour les arracher de leurs racines et détruire
leur identité. Il faut les tuer de l’intérieur et les transformer en machines uniquement.
Les missionnaires blancs sont là – la croix et la Bible à la main – pour enfoncer dans
les esprits des Africains l’image d’un Dieu blanc à travers Marie et Jésus, et installer
ainsi leur soumission psychologique aux Blancs qui sont par conséquents divins.
Les Africains ne sont plus Mbundu, Ganda, Fang, Tikar, Igbo, Mende, ni même
princes, forgerons, soldats, agriculteurs, médecins etc… Ils ne sont plus qu’une
chose : Nègre.
C’est dans les hangars et les forts sur la cote, au milieu des bruits de chaines, de
fouets, des cris et des pleurs incessants qu’ils vont attendre pendant des jours que
les transactions se terminent. Les mauvaises conditions de vie dans ces « entrepôts
» font aussi des morts. Si certains ont entendu dire qu’ils s’en vont travailler de force,
beaucoup se demandent si les Blancs sont des cannibales et vont les manger.
Les bateaux
L’historien africain-guadeloupéen Levy Lémane Coco dit « Au moment de
l’embarquement, des tentatives de suicide sont fréquentes malgré le rituel imposé
pour combattre le désespoir. Les futurs esclaves doivent faire le tour un certain
nombre de fois de « l’arbre de l’oubli » pour oublier leur identité. Il convient
également de faire trois fois le tour de « l’arbre de retour » pour qu’à la mort du
captif, son âme revienne au pays des ancêtres. Ces préparations psychologiques ne
se sont pas avérées suffisantes, car certains préfèrent se donner la mort » [1].
Les Européens se sont posés une question très pratique à cette époque : comment
transporter un maximum de « marchandises » dans un minimum d’espace. Ils y ont
répondu de la manière la plus effroyable qui soit.
Les ponts à esclaves sur les bateaux étaient compartimentés pour y mettre le plus
grand nombre d’Africains. Ils étaient couchés sur le dos sous une hauteur
équivalente à celle d’un cercueil. Pendant 16 heures de temps par jour et souvent
même des jours durant sans interruption, ils restaient ainsi, nus et immobiles dans
le noir, ne pouvant même pas se tourner sur le côté.
Les fonds de bateaux étant des espaces sans ouvertures permanentes, l’humidité
devient vite infernale. Les Africains font leurs besoins sur eux-mêmes. De nombreux
atteints de dysenterie se vident dans des coliques douloureuses. Les maladies et le
mal de mer font vomir beaucoup. Les femmes accouchent sur place. L’odeur finit par
vite devenir irrespirable, pestilentielle et est ressentie jusqu’au pont où se trouve
l’équipage.
Les hurlements, les pleurs, les suffocations, les coups contre les parois, les délires
de personnes agonisantes et d’autres devenues folles se croisent pendant des
heures, voir des jours. Le fait de rester immobile favorise les infections de la peau,
les pneumonies, et certainement les embolies pulmonaires. A cela vient s’ajouter la
rougeole, la variole, la dénutrition. Le désespoir, la dépression amènent beaucoup à
se laisser mourir.
Après 8 jours en mer, le trafiquant Richard Drake dit « Je suis de plus en plus
déprimé d’acheter et de vendre des Êtres humains pour en faire des bêtes de
somme. Le huitième jour, j’ai fait ma ronde sur le demi-tillac, un sac de camphre
entre les dents ; car la puanteur était horrible. Malades et mourants étaient
enchaînés ensemble. J’ai vu des femmes enceintes donner le jour à leur enfant alors
qu’elles étaient enchaînées à un cadavre que le surveillant, pris de boisson, n’avait
pas fait disparaître » [2].
Au lever du jour l’équipage vient faire l’inspection. Les morts sont retirés et jetés à la
mer. A peine leurs corps ont-ils frôlé l’eau qu’ils sont déchiquetés par des requins
dans des éclats de sang. Les bateaux esclavagistes ont ainsi voyagé avec des bans
de requins autour d’eux.
On dit souvent que 2 millions d’Africains gisent au fond de l’Océan atlantique parce
que jetés par-dessus bord. Cette image de Noirs au fond de l’eau est poétisée par
les Africains depuis des décennies. La vérité est qu’il ne reste rien de la quasi-
totalité. Ils ont été mangés aussitôt. Nos ancêtres ont servi de nourriture aux requins
de l’Atlantique pendant 400 ans.
Ceux qui ont survécu la nuit sont montés sur le pont quand le temps le permet,
toujours enchainés. On leur donne à manger. On utilise des outils métalliques pour
forcer les bouches de ceux qui font la grève de la faim à s’alimenter. Les hommes
sont d’un coté du pont, les femmes de l’autre. Un nombre incalculable d’Africaines
sera violé par les Européens. Certaines arriveront en Amérique enceintes. Malgré
leurs misères, elles lavent et confortent les enfants à bord comme elles peuvent.
L’équipage asperge les Africains d’eau à l’aide de seaux. Afin de chasser la tristesse
ou animer les négriers, on les force à chanter et danser, à coup de fouets s’ils sont
lents à s’exécuter. Les blessures que font le fouet sont si terribles que les entailles
ensanglantées s’infectent souvent et peuvent tuer. La violence règne en maitre sur le
bateau, les Européens sont armés de fusils et de cannons pointés sur les Africains.
Pour décourager les révoltes, on menace de les jeter à l’eau. Un marin mettra ainsi
le bas du corps d’une femme à la mer, avant de le remonter à moitié dévoré par les
requins. Un embarquement sur 10 se révoltait. Les meneurs pris étaient pendus ou
décapités. Mais beaucoup essayeront encore de se suicider en se jetant. Les
bateaux seront par conséquent équipés de filets sur le pont empêchant les Africains
de plonger.
A propos d’un bateau américain ayant transporté 840 Africains dont 400 enfants,
McClement dit « Il serait absolument impossible de décrire ce qui se présentait à
nous quand nous sommes allés à bord la première fois ; et il serait également
difficile pour quiconque qui ne l’a pas vu, de comprendre l’ampleur de la misère, de
la souffrance et des horreurs que contenaient les murs en bois de ce vaisseau. (…)
Hommes, femmes et enfants entassés les uns contre les autres, certains amaigris
comme des squelettes, certains couchés malades et inconscients, certains sur le
point de passer vers l’autre monde (…) Tous sont nus et ont la peau recouverte de la
saleté dans laquelle ils sont couchés » [3].
Robert Wauchope dit « (les Africains) sont couchés sur le dos sur le pont à esclaves.
La tête de l’un entre les jambes de l’autre, tous enchaînés ensemble. Ainsi vous
pouvez concevoir l’horreur, la saleté et l’abomination de ces ponts à esclaves après
un long passage (…) quand nos hommes sont descendus pour faire monter
quelques unes de ces pauvres créatures sur le pont, la puanteur et le besoin d’air
pur étaient tels qu’ils devaient absolument remonter après quelques minutes » [4].
Thomas Nelson dit « aucune plûme ne peut décrire (la réalité de la situation) … la
plupart d’entre eux ressemble à des squelettes vivants » [6].
Robert Walsh dit encore « La chaleur de ces places horribles était si forte et l’odeur
si offensive qu’il était pratiquement impossible d’y pénétrer (…) 517 créatures de
tous âges et sexes (…) dans un état de nudité totale » [7].
Il était courant pour les négriers de surcharger leurs bateaux, vu qu’ils savaient
qu’une bonne partie de leur « marchandise » allait périr avec le voyage. On parlait
alors de marchandise avariée. C’est ce que les Français appelaient dans leur
comptabilité financière « des morts à déduire ».
Le Massacre du Zong
En 1781, le bateau négrier britannique Zong part d’Accra au Ghana actuel avec 442
Africains, alors qu’il est conçu pour en transporter seulement 200. 62 Africains
meurent en route. Le Zong traverse par erreur sa destination qu’est la Jamaïque. Il
faut faire marche arrière mais l’eau n’est pas suffisante pour les 10 jours de voyage
qui restent. L’équipage britannique décide donc de jeter à l’eau des Africains pour
tenir le reste du voyage et toucher l’assurance pour noyade volontaire des esclaves
en cas de danger.
Malgré la pluie qui remplit les réserves d’eau, le plan sadique est mis à exécution. 54
femmes et enfants sont jetés le premier jour, 42 hommes le deuxième puis 36 le
troisième. Le Zong arrive à la Jamaïque avec 208 Africains, ce qui signifie que près
de 50 avaient encore disparu entre temps.
L’arrivée d’un bateau esclavagiste aux Amériques est annoncée par l’odeur,
perceptible à des centaines de mètres. Richard Drakes dit encore « Les Noirs étaient
littéralement comprimés entre les ponts comme dans un cercueil, et c’est un cercueil
qu’est devenue cette cale atroce : avant d’atteindre Bahia (Brésil), nous avions perdu
presque la moitié de notre chargement » [2].
Les Africains survivants de l’éffondrement des Etats, des guerres, des razzias, de la
marche, des hangars d’achat et des monstruosités de la traversée arrivent dans un
état épouvantable. Certains auront passé 9 mois en route depuis leur kidnapping. Ils
sont nourris, recoiffés et oints d’huile pour leur donner une apparence présentable.
Ensuite ils sont exposés sur les marchés à esclaves et achetés.
Les Africains se rendent donc compte qu’ils ne vont pas être mangés mais une
nouvelle vie commence, celle des camps de concentration dans les plantations, où
ils mourront horriblement maltraités, désorientés, humiliés, épuisés.
Les bateaux négriers retournent en Europe avec l’odeur de leur activité sordide.
C’est là l’origine du mythe de l’odeur des Noirs dans tout l’Occident jusqu’à nos
jours.
Hotep !
Par : Lisapo ya Kama © (Tous droits réservés. Toute reproduction de cet article est
interdite sans l’autorisation de Lisapo ya Kama)
Notes :
[1] Regards sur l’esclavage dans les colonies françaises, Levy Lemane Coco, page
35.
[2] Idem, page 39
[3] Envoys of Abolition, Mary Wills, page 101
[4] Idem, page 97, 98
[5] Idem, page 99
[6] Idem, page 102
[7] « Aboard a Slave Ship, 1829, » EyeWitness to History,
www.eyewitnesstohistory.com (2000).
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