Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
William Zartman est l’un des universitaires les plus réputés en théorie de la négociation.
Depuis un quart de siècle, ses travaux nourrissent les réflexions de tous ceux qui
étudient cet objet social, ou qui en pratiquent le métier. Il est professeur à la John
Hopkins University, à Washington, et directeur du Programme de management des
conflits et d’études africaines dans l’un des départements de cette université, SAIS,
School of Advanced International Studies1 .
1 www.sais-jhu.edu/
113
114 Entretien avec William Zartman
1 UN TÉMOIGNAGE ENGAGÉ
Le premier niveau de lecture, celui du témoignage, est tout sauf anodin. Car
c’est ainsi que les hommes vivent et que les choses se passent, pourrait-on
dire, en écoutant Zartman nous raconter comment, dans une chambre d’hôtel
de Bogota, sommé par les officiels colombiens de rédiger un rapport à l’issue
de sa visite au Président Barco, il ne sortit de cette difficulté qu’en s’appli-
quant à lui-même ce qu’il recommandait aux autres : rechercher la « formule »
susceptible d’offrir un cadre adéquat aux négociations devant s’ouvrir entre la
guérilla et le gouvernement. . . Le témoignage, ici, est celui d’un universitaire
engagé, parcourant les capitales africaines, quittant une réunion de travail à
Washington pour un séminaire à Abidjan. Témoignage d’un parcours biogra-
phique exemplaire et planétaire, de Yale à Washington, de Paris (il enseigna à
Sciences Po) au Caire (il fut Professeur associé à l’American University), ou de
Brazzaville à Abidjan. Écouter Zartman évoquer ses collègues Jeffrey Rubin,
Bert Brown, Bertram Spector, Dean Pruitt ou Daniel Druckman, c’est aussitôt
flâner entre les rayons d’une bibliothèque universitaire nord-américaine; l’en-
tendre citer Henry Kissinger ou Jimmy Carter, c’est ouvrir son journal quotidien
et suivre pas à pas, en Afrique ou au Moyen-Orient, les efforts de ces envoyés
spéciaux pour rétablir la paix et engager la réconciliation entre ennemis; et s’at-
tarder dans une réunion de travail convoquée à Washington un 11 septembre
2001, ou s’asseoir avec lui dans une salle où sont rassemblés les combattants
et les officiels de Côte d’Ivoire, c’est cheminer avec l’histoire telle qu’elle s’écrit,
avec douleur et courage.
Un second niveau de lecture de cet entretien est possible : l’illustration, par Wil-
liam Zartman, d’une époque, ou d’une manière de faire de la recherche. Ses
critiques à l’adresse de certains économistes ne s’intéressant aux processus
de négociation que dans la mesure où ils corroborent leurs préjugés analyti-
ques, ou envers certains spécialistes des relations internationales, prisonniers
de leurs lunettes idéologiques, ou encore à l’endroit d’un fonctionnement en
discontinu de la recherche académique – avec des chercheurs, toutes dis-
ciplines confondues, s’intéressant à un concept, puis le délaissant aussitôt,
s’interdisant ainsi toute possibilité d’accumulation –, ces critiques prennent un
certain relief si l’on rapporte ces propos à l’état du champ de connaissances de
la négociation en Europe. Pour le dire plus explicitement : nous ne sommes pas
très éloignés, de ce côté-ci de l’Atlantique (toutes choses étant égales par ail-
leurs) des travers décrits, ou regrettés, par Zartman : une relative indifférence
des économistes francophones à l’étude de la construction des règles (ne pou-
vant, par là, découvrir comment et combien ces règles sont négociées, ajustées
ou transgressées), ou une certaine propension des chercheurs francophones
Transférer le conflit d’un niveau militaire à un niveau politique 115
ii) En négociation, la nature des objets échangés importe autant, voire plus, que
le taux de concession; la valeur de ce qui se concède n’est pas anodine et
s’évalue (par les négociateurs, par l’analyste) à partir d’une pesée globale de
l’échange (la « formule ») et non au regard des seules valeurs intrinsèques
des composants de cet échange.
iii) L’approche « formule / détails » inclut l’offre de concessions, intègre les
dimensions psychologiques et les différentes tactiques des négociateurs,
mais ne réduit pas un processus de négociation à ces seules variables. En
effet, ces tactiques ne prennent sens que rapportées à une « gouvernance »
générale de ce processus (négocier la formule) ou à sa construction tech-
nique (négocier les détails).
4 Raymond Aron, Paix et guerre entre les nations, Calmann-Lévy, Paris, 1962.
118 Entretien avec William Zartman
***
5 Cf. l’ouvrage coordonné par Marie-Claude Smouts, Les Nouvelles relations internationales, Pres-
ses de Sciences-Po, Paris, 1998. Voir également Samy Cohen, Les Diplomates. Négocier dans
un monde chaotique, éd. Autrement, coll. Mutations, n° 213, 2002.
6 Richard Walton et Robert McKersie, A Behavioral Theory of Labor Negociations. An Analysis of a
Social Interaction System, Mc Graw-Hill, New York, 1965, chapitre VI.
Transférer le conflit d’un niveau militaire à un niveau politique 119
Revue Négociations : Quand vous avez forgé ces concepts, les autres
modèles d’analyse du déroulement d’une négociation vous semblaient
donc insuffisants. Quelles étaient ces insuffisances ? Lorsque vous avez
proposé ce découpage « Diagnostic, formule, détails », quelles ont été
les réactions intellectuelles, notamment du côté des économistes, plutôt
adeptes d’une lecture des négociations en termes de concessions réci-
proques ?
William Zartman : Les économistes, qui avaient des théories très perfec-
tionnées, partaient de l’idée qu’en négociation, les individus savaient ce qu’ils
voulaient atteindre. Et que la négociation débutait par un bout, puis qu’on ar-
rivait, par des concessions mutuelles, au point d’accord. Au niveau des pra-
tiques de négociation, cette conception est fausse : on ne sait pas vraiment
ce qu’on veut ! D’où ma proposition de dire qu’il existe d’abord une phase de
diagnostic. Deuxièmement, on n’arrive pas simplement au point d’accord par
concessions, ou conversion; on ne progresse pas toujours par petites étapes
vers un « milieu », comme un marchand de tapis. Je crois que c’est donner là
une fausse image de la négociation. Quelles ont été les réactions à l’époque ?
Je ne sais plus trop. Ce n’était pas une guerre, on échangeait plutôt des idées.
Mais très rapidement, les économistes ont arrêté de travailler sur le thème des
négociations, et sont partis ailleurs, comme d’ailleurs les chercheurs en psy-
chologie sociale. Je me rappelle le livre que Jeff Rubin et Bert Brown avaient
publié ces années-là, The Social Psychology of Bargaining and Negotiation :
120 Entretien avec William Zartman
il y avait près de mille références dans leur livre. J’avais sorti un ouvrage à
peu près en même temps, The 50% Solution, et où j’avais moi-même plus de
mille références bibliographiques. Mais aucune d’entre elles n’était identique !
Maintenant, je pense qu’un tel divorce disciplinaire ne serait plus possible. Au
fur et à mesure que l’on s’approche, que l’on soit politiste, économiste, psy-
chologue, etc., d’un même champ d’intérêt – la négociation, par exemple –,
chacun s’éloigne, par la même occasion, de ses confrères dans sa propre dis-
cipline. Un de mes grands regrets est que l’étude de la négociation n’ait pas
vraiment pris racine dans l’étude des relations internationales. Il y a bagarre en-
tre « Réalistes », « Libéraux », « Constructivistes », etc., et soit on ne fait pas
référence à la négociation ou aux règlements des conflits, soit on y fait réfé-
rence, et souvent on invente, avec beaucoup de fanfare, quelques concepts
qui nous semblent déjà acquis; on est très contents d’avoir construit cela, et
hop !, on s’en va ailleurs ! Mais c’est, je crois, un phénomène plus général de
recherche.
le compte des chefs d’états africains, à travers une ONG africaine établie
en Tanzanie. Il s’agissait d’un rapport à écrire, avec des recommandations
sur ce qu’il me semblait devoir être fait à ce moment-là. Ensuite, ce que j’ai
accompli de plus proche d’une négociation, c’est une activité de médiateur
pour le président Jimmy Carter, dans le Petit Congo, à Brazzaville, en 1999
également, pour faire la paix entre les parties. Certes, je n’aime pas dire que
cela a échoué, mais cela a échoué. Cela a quand même « réussi », au sens
où notre proposition de médiation, celle de la francophonie – Boutros-Ghali, à
l’époque secrétaire général de l’ONU, s’était désisté en faveur de notre initiative
– n’a finalement pas été retenue. Le Président Sassou Nguesso a fait appel à
son gendre, le président Omar Bongo, du Gabon, pour intervenir selon une
autre formule que celle que nous avions adoptée, c’est-à-dire négocier la
reddition des lieutenants rebelles plutôt qu’établir une entente entre les trois
chefs de guerre.
tenir, et tous avaient été contactés. Puis nous avons lu dans le journal qu’un
accord avait été signé, je ne sais plus trop où, à Pointe Noire je crois, avec les
lieutenants de la rébellion. J’ai à cette occasion découvert un point important,
c’est le fait de pouvoir contrôler les alternatives. C’est ce que le Secrétaire Chet
Crocker avait dit à l’égard de la Namibie : « We are the only game in town ».
Nous, médiateurs, avions suggérés qu’un représentant officiel des États-Unis
et de la France suggère à l’Angola de recommander aux Congolais de se
retirer s’il n’y avait pas d’accord. Mais nous n’avions pas, en tant qu’ONG,
la possibilité de faire dire à un État qu’il n’était plus dans le jeu. On a reçu
l’indication de Boutros-Ghali que la francophonie n’était plus médiatrice. Les
autres alternatives étaient cependant toujours présentes, et surtout l’alternative
de Bongo, se proposant comme médiateur, mais dans une autre « formule ».
J’ai donc appris sur le tas que ce concept « d’alternatives » était très important.
William Zartman : Oui, nous sommes dans la même situation qu’avant sauf
qu’évidemment, il n’y a plus de « parrains », comme aux temps de la guerre
froide. J’ai évidemment beaucoup appris des écrits de Henry Kissinger et de
l’expérience de Crocker en Namibie. Lui, c’est un ami. Il a indiqué qu’une des
clefs de résolution ou de gestion des conflits était de séparer les parrains
de l’extérieur des combattants de l’intérieur. Ce que nous avons essayé
d’appliquer au Congo en disant qu’il était inutile de chercher une entente entre
les parrains si les gens de l’intérieur parvenaient à résoudre eux-mêmes leurs
conflits. Il n’y aurait pas besoin de parrains dans ce cas là, donc pas d’intrus.
Revue Négociations : N’y a-t-il pas, en outre, des conflits plus nombreux
mais aussi d’une autre nature, plus violente - c’est le cas des conflits
visant la destruction d’une ethnie, visant la destruction de l’Autre, et
mettant aux prises des belligérants n’imposant plus de limites à leur
action violente, précisément parce qu’ils ne se pensent plus dans un
cadre planétaire ?
William Zartman : Oui, vous avez raison. Nous sommes alors dans une si-
tuation que nous appelons « le dilemme de sécurité » et qu’on peut présenter
ainsi : « Il me faut vous attaquer pour empêcher que vous, qui allez m’attaquer,
ne m’attaque ». Nous avions vu cela jadis dans le cadre des relations inter-
nationales; cela s’applique désormais aux relations inter-ethniques. S’il existe
une hégémonie américaine actuellement, nous ne sommes pas non plus dans
un système monopolaire et les limites du contrôle – quoiqu’on en pense peut-
être ici en France ! – sont très étroites. On ne peut contrôler que très peu. Plutôt
que de « système monopolaire », je parlerai plus volontiers de « polarités » en
formation : l’Europe est en formation, la Chine aussi est en formation, bien que
cela soit dans un autre sens. Nous sommes actuellement dans l’anarchie, dans
son sens strict, c’est-à-dire au sens qu’il n’y a pas, ou plus, « d’ordre ».
Revue Négociations : Cette nouvelle structuration favorise-t-elle la négo-
ciation ou, au contraire, limite-elle ses possibilités ?
William Zartman : Non, cela la rend beaucoup plus importante ! Mais aussi,
beaucoup plus difficile, avec de nombreux défis ! Les parties aux prises ne
sont pas toujours bien définies. Et, croyez-moi, dans les négociations, cela se
passe beaucoup mieux quand il y a des parties qui sont bien identifiées. . .
7 Harold Saunders fut également membre du Conseil national de sécurité à la Maison Blanche. Il
travailla avec le président Carter, le président égyptien Sadate et le premier ministre israélien
Menahem Begin dans le cadre de la négociation des accords de Camp David (1979). Il est
notamment l’auteur de l’ouvrage A Public Peace Process, New York, Palgrave, 1999. (NDLR)
126 Entretien avec William Zartman
gens non officiels, adeptes du track two, sont des intrus, et les gens de track two
ripostent en affirmant que les gens de track one sont des « cooky-pushers »
(mangeurs de petits fours), qui ne font rien et qui recherchent une solution qui
n’en est pas une. . . Maintenant, ces camps commencent à se respecter un peu,
chacun connaissant ses propres limites ! Les acteurs de type track two peuvent
réaliser des actions comme dans le processus d’Oslo, mais peuvent également
faire des choses comme le fait Saunders : ils peuvent continuer à élargir le
champ des discussions, comme nous l’avons fait nous-mêmes à Abidjan. Je
crois que l’expérience d’Abidjan montre que, si l’on était venu simplement avec
nos yeux bleus, et seulement nos yeux bleus, rien n’aurait été possible ! Les
gens se seraient demandé : « Mais pourquoi viennent-ils ? Pourquoi restent-
ils ? Quelle est leur autorité ou leur légitimité ? » Des personnes privées ont
ainsi travaillé sous l’égide, ou sur l’invitation du ministère de la Réconciliation et
de l’ambassade des États-Unis. L’ambassade n’aurait pas pu le faire seule, non
plus. S’il n’y avait eu que des officiels ivoiriens du ministère, cela n’aurait pas
non plus marché. C’est la coopération des deux institutions gouvernementales
et le brassage des deux initiatives, publique et privée, qui ont rendu possible
la médiation.
William Zartman : Il me semble que cela montre les limites de la seule track
two. Je suis un peu critique des efforts de Kelman, mais il faut reconnaître qu’il
a accompli un travail extraordinaire auprès des Palestiniens et des Israéliens. Il
fut très utile dans le groupe Rabin / Pérès. Si ce dernier ne fut pas assez élargi,
ce n’était pas sa faute. Mais il aurait fallu avoir des représentants de toutes
les couches des sociétés israéliennes et palestiniennes dans ces groupes de
discussion. Néanmoins, je ne vois pas comment on aurait pu faire beaucoup
plus qu’il n’a fait. . . Étrange coïncidence : le 11 septembre 2001, je présidais
une réunion que nous tenons tous les mois sur la résolution des conflits, à
Washington. Ce matin là, Dennis Ross était en train de faire une autocritique
du processus de paix sous Clinton. Il nous disait, en substance : « Ce que je
regrette le plus, c’est le fait que nous n’avons pas suivi ce qui était prévu dans
les accords d’Oslo, c’est-à-dire ce qui concernait la publicité, la ‘propagande’
si l’on veut, de ces accords et du processus de paix ». Il a ajouté que nous,
les Américains, n’avions pas assez poussé les Israéliens et les Palestiniens
à le faire. Nous pouvions en effet les y obliger, y compris contre leur volonté.
Puis est survenu le cataclysme de l’attaque contre le World Trade Center, ce
matin-là, et nous avons clos rapidement la réunion. Cela ne signifie pas que
Kelman et ses collègues n’ont pas fait tout ce qu’ils pouvaient faire, mais plutôt
Transférer le conflit d’un niveau militaire à un niveau politique 127
que d’autres personnes auraient dû les aider dans cet effort gigantesque !
Reagan et Gorbatchev peuvent se rencontrer, et au fil des rencontres, changer
d’opinion, de part et d’autre. Mais comment convaincre toute une population
d’aimer son voisin ?
d’en parler, mais plus tard. Les Israéliens, auparavant, avaient indiqué ne pas
vouloir en parler, au principe que la ville devait rester unifiée. Les accords
d’Oslo prévoyaient qu’on en parlerait, mais que les parties allaient s’abstenir
de faire quoi que ce soit à ce sujet. On allait donc geler la situation, en prévision
du moment où l’on serait à même de trancher. Je pense que l’erreur d’Oslo,
c’est surtout le fait que l’on n’a pas « vendu » ces accords, que l’on n’a pas
continué à les mettre en application. Quand Benjamin Netanyahou est arrivé
au pouvoir, il a aussitôt gelé le processus ! En résumé, la leçon à tirer est celle-
ci : il ne faut pas simplement se contenter de régler les problèmes d’un conflit,
il faut regarder en avant pour mettre en marche un processus qui va, à la fois,
s’occuper des nouveaux problèmes qui vont surgir, et engager un processus
de transformations, d’échanges, voire même de co-dépendances.
Revue Négociations : Donc : il faut obliger les parties à se projeter dans
un avenir qui leur est commun ?
William Zartman : Oui. Mais cela veut dire aussi que si nous avons envie et
l’intention de régler les problèmes de l’avenir, il nous faut préparer le terrain
pour ce règlement, et ne pas « s’asseoir » sur les réalisations. Les personnes
qui ont critiqué Oslo voulaient une solution immédiate de tous les problèmes,
puis « s’asseoir » dessus. Oslo, d’un certain côté, contenait ce marchandage
entre avenir et présent, en repoussant à l’avenir certains problèmes clefs, non
solubles dans le présent.
Revue Négociations : A ce problème d’anticipation s’associe celui du jeu
des acteurs. Certains acteurs, dans le futur, ne seront peut-être pas d’ac-
cord avec les efforts consentis par leurs prédécesseurs. En Afrique, ce
problème est très fréquent. Pensez-vous qu’on puisse imaginer qu’un
des rôles des puissances extérieures à un conflit africain consisterait
à garantir le fait, stipulé dans un accord, que, par exemple, le prochain
Président du pays concerné est tenu de respecter cet engagement con-
tractuel ?
William Zartman : Absolument ! Et dans tous les exemples cités, ce rôle des
grandes puissances est très important. C’est ce qu’a dit Dennis Ross à l’égard
du Moyen-Orient, c’est le rôle que jouent la France et les États-Unis en Côte
d’Ivoire, c’est ce que nous avons essayé de répéter tout au long de notre
propre séminaire à Abidjan. . . Nous ne sommes pas en train de chercher des
alternatives aux accords de Marcoussis. Il n’y a pas d’autres alternatives ! La
voie est tracée; il faut s’y tenir et savoir comment marcher sur ce chemin.
Revue Négociations : Finalement, peut-on dire qu’un médiateur, ou une
équipe de médiation extérieure, n’est ni confrontée, ni concernée par
le fameux « dilemme de négociateur » ? Elle peut en effet affirmer sa
position, la rendre « dure », et signifier aux parties que cela doit être
de toute façon respecté. Qu’en pensez-vous ?
William Zartman : Oui, en étant « dur », je laisse ainsi la chance aux négo-
ciateurs d’être « souples ».
Transférer le conflit d’un niveau militaire à un niveau politique 129
rendre compte qu’ils n’en étaient qu’au début ! Et que d’autres pouvoirs étaient
nécessaires pour gérer les conflits.
Revue Négociations : Vous avez été très souvent invité en divers endroits
du monde entier. Pensez-vous que l’on puisse enseigner la négociation
indifféremment à Bruxelles, aux États-Unis ou en Chine ?
William Zartman : Je méprise, avouons-le, l’aspect culturel dans la négocia-
tion, je suis un peu connu pour cela. Je dis souvent que la culture est impor-
tante, aussi importante pour la négociation que le petit déjeuner pour travailler
toute une journée. Ce que je recherche, c’est plutôt le fond commun d’un même
processus. Un exemple : aux États-Unis, j’utilise depuis des décennies un jeu,
Bertram Spector l’avait construit pour sa thèse, un jeu de négociation sur un
camp d’été. Je l’ai utilisé en Europe, sous la forme d’un camp d’été privé.
J’avais un fois un groupe d’Africains, et pour eux, visiblement, un camp d’été,
une propriété privée, cela n’avait pas de sens. Alors j’ai transféré cela sur un
marché, avec des propriétés et des actifs sur ce marché. Cela a fonctionné, à
merveille ! La leçon ? Il existe des sensibilités culturelles, certes, mais toutes
ont un « fond commun ». Guy-Olivier Faure, de la Sorbonne et membre de
notre groupe PIN, vient de publier, dans le cadre du PIN, un livre, How People
Negociate, composé d’histoires tirées d’un peu partout autour du monde et qui
montrent que la négociation est une habitude universelle9 . Ainsi, sous le vê-
tement culturel, nous sommes tous les mêmes. C’est ce qu’il faut reconnaître
pour pouvoir mieux se comprendre.
9 Guy-Olivier Faure, How People Negociate. Resolving Conflicts in Different Cultures, Kluwer, 2003.
Disponible à partir de http : //www.wkap.nl/books.