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Revue des sociétés

Revue des sociétés 2018 p.658

Action sociale en responsabilité et lien de causalité


Cour de cassation (3e civ.), 5 juillet 2018, n° 17-19.811 (F-D)

Pascal Pisoni

L'essentiel
Un associé peut exercer l'action sociale en responsabilité contre le gérant au titre d'un préjudice causé à la société par une faute dans sa gestion. Mais en
l'absence de lien de causalité entre la faute de gestion alléguée et la condamnation prononcée à l'encontre de la société, la demande de l'associé doit être
rejetée.

Une société (dénommée SAPF) en avait assigné une autre (constituée sous la forme d'une SCI), représentée par son liquidateur, en
paiement du solde de son compte courant d'associé. Un associé de la SCI était intervenu volontairement à l'instance et avait assigné la
gérante de cette société, qui était également présidente de la SAPF, afin d'obtenir sa condamnation à garantir la SCI des condamnations
prononcées à son encontre au titre du remboursement du compte courant d'associé. La cour d'appel de Caen, estimant que la preuve d'une
faute de gestion commise par la gérante n'était pas rapportée, avait rejeté cette demande. C'est cette décision que l'associé de la SCI
entendait remettre en cause devant la Cour de cassation.

Comme le rappelle la Troisième Chambre civile dans l'arrêt sous commentaire, un associé peut intenter l'action sociale en responsabilité
contre le gérant au titre d'un préjudice causé à la société par une faute dans sa gestion. Cette action sociale ut singuli peut notamment être
mise en oeuvre dans les sociétés civiles sur le fondement de l'article 1843-5 du code civil. Le fait que la SCI ait été dissoute par décision
judiciaire ne constituait nullement un obstacle à l'exercice de l'action, dès lors que la dissolution n'entraîne pas la disparition du
groupement (v. not. Paris, 17 janv. 2005, Rev. sociétés 2005. 695, obs. I. Urbain-Parleani ).

Reprenant ensuite les constatations des juges du fond, les hauts magistrats relèvent que l'associé de la SCI, qui recherche la responsabilité
de la gérante au titre du préjudice qu'elle aurait causé à la société pour avoir consenti un bail à des conditions désavantageuses pour celle-
ci, demande que la dirigeante soit condamnée à garantir la SCI des condamnations prononcées à son encontre au titre du remboursement
du solde du compte courant de son associée, la SAPF. Ils en concluent qu'il n'existe pas de lien de causalité entre la faute de gestion
alléguée et la condamnation prononcée à l'encontre de la SCI et que la demande de l'associé doit, en conséquence, être rejetée. Par ce motif
de pur droit, substitué à ceux critiqués, la décision se trouve donc légalement justifiée.

La responsabilité du dirigeant suppose en effet que soit établi, par le demandeur à l'action, un lien de causalité entre la faute reprochée au
mandataire social et le préjudice subi par la société. Il n'est pas dérogé à ce principe dans le cadre de l'action sociale en responsabilité. Les
juges du fond saisis doivent constater l'existence de ce lien causal. La Cour de cassation veille, comme le démontre le présent arrêt du 5
juillet 2018, au respect de cette exigence.

En l'espèce, il ne faisait aucun doute que l'obligation de remboursement du compte courant ne pouvait trouver sa cause dans la faute de
gestion alléguée. On rappellera par ailleurs que les comptes courants d'associés sont, sauf convention contraire, remboursables à tout
moment (Com., 8 déc. 2009, n° 08-16.418, Rev. sociétés 2010. 37, obs. A. Lienhard ; RTD com. 2010. 359, obs. C. Champaud et D. Danet
; sous réserve de l'abus de droit : v. X. Delpech, Rép. sociétés, v° Compte courant d'associé, spéc. nos 62 et 63), la société fût-elle en
liquidation (Com. 5 mars 1991, n° 89-21.381, Bull. Joly 1991. 499).

Mots clés :
SOCIETE EN GENERAL * Dirigeant social * Responsabilité civile * Action sociale * Faute de gestion * Préjudice
Revue des sociétés 2018 p.665

La casuistique de la responsabilité des dirigeants sociaux


Note sous Cour de cassation (com.), 5 avril 2018, n° 16-23.365 (F-D) et Cour de cassation (com.), 13 juin 2018, n° 16-26.323 (F-D)

Laurent Godon, Professeur à l'université de Rennes 1 ; Centre de droit des affaires

L'essentiel
Constituent des fautes de gestion le fait pour un dirigeant de confier à un prestataire la réalisation d'un logiciel dépassant ses compétences et ayant
précédemment fourni des prestations d'une qualité douteuse, et ce malgré la réticence du conseil de surveillance, tout en s'abstenant d'élaborer un projet
prenant réellement en compte les besoins de l'entreprise.

Le dirigeant social qui emploie fictivement une salariée, qui travaillait en réalité aux domiciles du dirigeant et d'un autre associé, commet des fautes de
gestion en manquant à son devoir de loyauté envers la société et en agissant à l'encontre de l'intérêt social (1re esp.).

La dissimulation de faits préjudiciables à la société susceptible de reporter le point de départ du délai de prescription de l'action en responsabilité contre
le dirigeant suppose de la part de ce dernier une « volonté de dissimuler » (2e esp.).

1re espèce

La Cour,

Statuant tant sur le pourvoi principal formé par M. D. que sur le pourvoi incident relevé par M. L. ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué et les productions, que M. D. a été recruté le 3 juin 2002 par la société RM System GmbH, dont la SARL RM
System France devenue la SAS RM System France (la société RM) et la SARL RM System Nord étaient les filiales ; qu'il est devenu, en
2007, gérant de cette dernière, puis, le 3 novembre 2008, président de la société RM ; qu'en 2010, la société RM System Nord a été absorbée
par la société RM ; que, reprochant diverses fautes à M. D., celle-ci l'a révoqué puis assigné en paiement de dommages-intérêts ; que M. D.
a appelé en garantie les deux actionnaires de cette société, MM. L. et J. ;

Sur le premier moyen du pourvoi principal :

Attendu que M. D. fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à la société RM la somme de 242 423,66 € alors, selon le [troisième] moyen [du
pourvoi principal] :

1°/ que dans ses conclusions, la société RM précisait que la faute de gestion reprochée à M. D., consistant à avoir accepté un voyage
privé en contrepartie d'avantages commerciaux, avait causé à la société RM un préjudice tenant à une augmentation des coefficients
tarifaires appliqués ; qu'elle ajoutait que : « la concession de la société Reflex de financer le voyage est la contrepartie d'une augmentation
indue des prix supportés par la société RM System » ; qu'elle n'incluait pas, dans son préjudice, l'abandon d'un avoir de 23 777 € ; qu'en
retenant l'abandon de cet avoir au titre du préjudice, la cour d'appel a statué ultra petita et a violé l'article 4 du code de procédure civile ;

2°/ que pour fixer le préjudice subi par la société RM à la somme de 56 759,20 €, la cour d'appel s'est livrée à des calculs qui n'étaient pas
ceux des parties ; qu'elle a retenu que le trop versé par société RM correspondait à la différence entre le coefficient qu'il aurait été « normal
» d'appliquer et celui qui avait été effectivement appliqué ; qu'en calculant, sans s'en expliquer, ce différentiel au regard du chiffre d'affaires
réalisé en 2009 et en 2010 par la société RM, la cour d'appel a privé sa décision de motif et n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du
code de procédure civile ;

Mais attendu, d'une part, que la société RM ayant réclamé dans ses écritures la somme de 87 126,02 € au titre du préjudice résultant du
financement d'un voyage par la société Reflex au bénéfice de M. D., la cour d'appel, qui a évalué à 56 759,20 € ce préjudice, n'a pas statué
au-delà de ce qui lui était demandé ;

Et attendu, d'autre part, que sous le couvert d'un grief non fondé de violation de l'article 455 du code de procédure civile, le moyen, en sa
seconde branche, ne tend qu'à remettre en cause l'appréciation souveraine, par les juges du fond, de l'étendue du préjudice réparable ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le troisième moyen du pourvoi principal :

Attendu que M. D. fait le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen :

1°/ qu'en reprochant à M. D. d'avoir choisi la société Ideal Concept comme prestataire informatique et de n'avoir pas mis fin au contrat en
dépit du retard de livraison, sans préciser en quoi ce faisant, M. D., qui n'était pas un professionnel de l'informatique, avait commis une
faute de gestion, la cour d'appel a violé les articles L. 227-8 et L. 225-251 du code de commerce ;
2°/ qu'en retenant, pour considérer que M. D. avait commis une faute de gestion en choisissant la société Ideal Concept, que les
précédentes prestations de celle-ci n'avaient déjà pas donné satisfaction, quand aucune des parties ne soutenait un tel moyen, la cour
d'appel qui a méconnu l'objet du litige, a violé l'article 4 du code de procédure civile ;

3°/ qu'il résultait des pièces produites par M. D. que MM. J. et L. étaient parfaitement informés des difficultés rencontrées par le projet et
de l'augmentation des coûts ; qu'en reprochant à M. D. d'avoir cherché à échapper au contrôle du comité de surveillance en versant des
acomptes inférieurs au seuil au-delà duquel il aurait dû l'informer, la cour d'appel, qui ne s'est pas expliquée sur les documents dont il
ressortait que le comité était tenu informé, la cour d'appel a privé sa décision de motifs et n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du
code de procédure civile ;

4°/ qu'en condamnant M. D. au paiement du dépassement du coût du marché, sans s'expliquer sur ses conclusions qui faisaient valoir que
la société RM avait bénéficié d'un crédit d'impôt qui avait réduit d'autant son préjudice, la cour d'appel a privé sa décision de motif et n'a
pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt relève que le comité de surveillance était réticent quant à la décision de M. D. de confier à M. R.,
sous l'enseigne Ideal Concept, la réalisation d'un logiciel, M. R. ayant réalisé précédemment un logiciel pour la société Reflexe services «
pas convivial et compliqué à utiliser » selon les témoignages de MM. L. et J. ; qu'il en déduit que M. D. a commis une erreur en confiant un
projet à un informaticien dont les prestations passées étaient d'une qualité douteuse ; qu'en retenant un élément de fait contenu dans deux
pièces régulièrement produites aux débats, peu important qu'il n'ait pas été spécialement invoqué par la société RM, la cour d'appel n'a pas
modifié l'objet du litige ;

Et attendu, en second lieu, que l'arrêt retient que M. D. a commis une erreur initiale en n'élaborant pas un projet prenant réellement en
compte les besoins de l'entreprise, puis en confiant à M. R. un projet dépassant les compétences d'un informaticien travaillant
individuellement et ayant précédemment fourni des prestations d'une qualité douteuse et ce, malgré la réticence du conseil de surveillance ;
qu'ayant relevé que le coût initialement prévu avait été multiplié par sept, que le logiciel commandé n'avait jamais été livré, et que tous les
acomptes versés étaient inférieurs à 10 000 €, seuil en dessous duquel la validation du conseil de surveillance n'était pas requise, il retient
que M. D. a commis une erreur en maintenant le contrat cependant que le cocontractant ne respectait pas ses obligations ; qu'il retient
enfin une erreur de M. D. qui, jusqu'à la décision du conseil de surveillance de bloquer le paiement des factures, a laissé faussement croire
aux cadres de la société RM qui se plaignaient de l'inefficacité de la société Ideal concept, que le contrat avec cette société allait être rompu
; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de s'expliquer sur les pièces qu'elle décidait
d'écarter, ni de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a pu décider que M. D. avait commis une faute de gestion ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Et sur le quatrième moyen du pourvoi principal :

Attendu que M. D. fait encore le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen, que la cour d'appel a retenu qu'entre octobre 2003 et décembre
2005, Mme G. avait été employée fictivement par la société RM System Nord ; qu'en imputant à M. D. cet emploi, tout en constatant qu'il
n'était devenu gérant de la société RM System Nord que le 6 juillet 2007, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses
propres décisions et a violé les articles L. 227-8 et L. 225-251 du code de commerce ;

Mais attendu qu'ayant constaté que Mme G. avait été employée fictivement par la société RM System Nord à compter du 20 octobre 2003 et
travaillait en réalité aux domiciles de MM. D. et L., l'arrêt relève qu'à cette date, cette société n'avait pas encore de personnalité juridique
cependant que M. D. avait la qualité de directeur général de la société RM, avait déjà été nommé fondé de pouvoirs et, à ce titre, avait reçu
mandat de négocier et de conclure des opérations pour le compte de la société, sa signature engageant l'entreprise, notamment en matière
de recrutement ; qu'il retient que si M. D. n'est devenu gérant de la société RM System Nord que le 6 juillet 2007, il a cependant rédigé dès
le 2 janvier 2006 un faux certificat de travail relatif à Mme G., et qu'il est établi par les pièces du dossier qu'il l'a embauchée directement ; que
de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a pu déduire que M. D. avait commis des fautes de gestion en manquant au devoir de
loyauté envers la société RM et en agissant à l'encontre de son intérêt social ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le moyen unique du pourvoi incident :

Attendu que M. L. fait grief à l'arrêt de dire qu'il garantira M. D. de sa condamnation au paiement de dommages-intérêts pour l'emploi fictif
de Mme G. mais de dire que cette garantie se limitera à la moitié de la somme arrêtée alors, selon le moyen, que si la cassation devait être
prononcée du chef du quatrième moyen du pourvoi principal, la censure, remettant en cause le principe de la condamnation de M. D. au
paiement de dommages-intérêts pour l'emploi fictif de Mme G., devra être étendue au chef de dispositif par lequel la cour d'appel a
condamné M. L. à le garantir pour moitié de cette condamnation, conformément aux dispositions de l'article 625 du code de procédure civile
;

Mais attendu que le rejet du quatrième moyen du pourvoi principal rend sans objet le moyen du pourvoi incident ; que le moyen ne peut
être accueilli ;

Mais sur le deuxième moyen, pris en sa seconde branche, du pourvoi principal, qui est recevable :

Vu les articles 4 et 5 du code de procédure civile ;

Attendu que l'arrêt condamne M. D. à payer à la société RM la somme de 242 423,66 € dont 62 756,14 € au titre du préjudice financier
résultant de la création d'une fausse facture au nom de la société Alstom, acquittée indûment par la société RM par des fonds dont elle a
été privée durant six mois ;
Qu'en statuant ainsi, alors que dans ses écritures, la société RM ne demandait que de constater la faute commise sans réclamer de
dommages-intérêts à ce titre, la cour d'appel a méconnu l'objet du litige et violé les textes susvisés ;

Vu l'article 624 du code de procédure civile ;

Attendu que la cassation prononcée sur le deuxième moyen du pourvoi principal entraîne, par voie de conséquence, la cassation du chef
du dispositif qui constate que le montant des préjudices subis par la société RM du fait des agissements de M. D. se chiffre à 263 823,02 €
mais que la société RM entend limiter le montant des dommages-intérêts qu'elle sollicite à la somme de 242 423,66 € ;

Et vu l'article 627 du code de procédure civile, après avertissement délivré aux parties ;

Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief :

Rejette le pourvoi incident ;

Et sur le pourvoi principal :

Casse et annule, mais seulement en ce qu'il dit que la création d'une fausse facture au nom de la société Alstom, acquittée indûment par la
société RM System France par des fonds dont elle a été privée durant six mois a généré un préjudice financier de 62 756,14 €, constate que
le montant des préjudices subis par la société RM du fait des agissements de M. D. se chiffre à 263 823,02 € mais que la société RM entend
limiter le montant des dommages-intérêts qu'elle sollicite à la somme de 242 423,66 €, et condamne M. D., en conséquence, à payer à la
société RM System France la somme de 242 423,66 €, augmentée des intérêts, l'arrêt rendu le 7 juin 2016, entre les parties, par la cour d'appel
de Metz ;

Mme Riffault Silk, cons. doyen ff de prés. ; Mme de Cabarrus, cons. référendaire rapp. ; Mme Orsini, cons. ; SCP Piwnica et Molinié, SCP
Didier et Pinet, SCP Gaschignard, SCP Lesourd, av. ; M. Debacq, av. gén.

2e espèce

La Cour,

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 3 nov. 2016), que la société par actions simplifiée Koch media, présidée par M. B. jusqu'au 26 mai 2010,
a découvert en septembre 2011 que Mme B., comptable de la société, recrutée par ce dernier en 2003, avait procédé à des détournements de
fonds de 2006 à 2011 ; que, reprochant à M. B. d'avoir embauché et maintenu Mme B. à son poste de comptable et d'avoir manqué à son
obligation de surveillance, alors qu'il savait dès l'origine qu'elle avait déjà été condamnée pour abus de confiance commis au détriment de
son précédent employeur, la société Koch media l'a assigné le 13 février 2013, en réparation du préjudice résultant de ses fautes de gestion
;

Attendu que la société Koch media fait grief à l'arrêt de dire prescrite l'action en responsabilité à l'encontre de M. B. alors, selon le moyen :

1°/ que l'action en responsabilité contre le dirigeant d'une société par actions simplifiée se prescrit par trois ans à compter du fait
dommageable ou, s'il a été dissimulé, de sa révélation ; que la volonté d'un dirigeant de dissimuler un fait dommageable peut résulter de
l'absence de communication d'une information qui aurait dû être divulguée spontanément ; qu'en l'espèce, pour écarter toute dissimulation
de la part de M. B., la cour d'appel a retenu que la société Koch media pouvait connaître l'absence de compétence et les antécédents
judiciaires de Mme B. ; qu'en ne recherchant pas, comme elle y était pourtant invitée, si, compte tenu de la nature des faits en question, leur
absence de divulgation spontanée par M. B. n'était pas constitutive d'une dissimulation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale
au regard des articles L. 225-254 et L. 227-8 du code de commerce ;

2°/ que la faute de gestion qui était imputée à M. B. consiste à avoir embauché, puis maintenu sans la surveiller, M me B., qu'il connaissait
de longue date, au poste de « responsable administratif et administration des ventes », tout en ayant conscience que, compte tenu des
antécédents judiciaires de cette personne et de son absence de compétence, il faisait délibérément courir un risque à la société Koch media
en la recrutant à un tel poste ; que pour écarter toute dissimulation, la cour d'appel a retenu la société Koch media pouvait découvrir par
elle-même les compétences professionnelles de Mme B. et la condamnation pénale dont elle avait fait l'objet ; qu'en statuant ainsi par des
motifs impropres à écarter une dissimulation, non pas du défaut de compétence et des antécédents judiciaires de Mme B., mais de la
connaissance qu'avait M. B. de ces faits et des risques qu'il faisait courir à la société Koch media en recrutant Mme B. dans ces
circonstances, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 225-254 et L. 227-8 du code de commerce ;

3°/ que la prescription de l'action en responsabilité contre le dirigeant d'une société par actions simplifiée ne peut commencer à courir avant
que la société ait été en mesure d'agir ; qu'il en résulte que lorsque le dirigeant fautif est le seul organe pouvant agir au nom de la société, le
point de départ de la prescription ne peut être antérieur au remplacement de ce dirigeant ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que M.
B. avait été président de la société Koch media jusqu'au 26 mai 2010 ; qu'en retenant cependant, pour déclarer prescrite l'action introduite
par son successeur le 13 février 2013, que les faits sur lesquels elle portait étaient antérieurs au 13 février 2010 et n'avaient pas été
dissimulés, la cour d'appel a violé les articles L. 225-254 et L. 227-8 du code de commerce ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'après avoir rappelé que l'action en responsabilité fondée sur l'article L. 225-251 du code de commerce se
prescrit par trois ans à compter du fait dommageable ou, s'il a été dissimulé, de sa révélation, l'arrêt retient que les faits reprochés à M. B.
sont antérieurs au 13 février 2010 et dès lors prescrits, sauf à établir qu'ils ont été volontairement dissimulés ; qu'ayant relevé que la société
Koch media soutenait que le caractère fautif des agissements de M. B. ne lui était apparu que lorsqu'elle avait appris que ce dernier
connaissait les antécédents judiciaires et l'absence de compétence de Mme B. lorsqu'il l'avait recrutée, l'arrêt retient que ni l'absence de
compétence de Mme B. ni son passé n'ont été volontairement dissimulés à la société Koch media ; qu'en l'état de ces constatations et
appréciations souveraines, dont il résulte que M. B. n'avait pas intentionnellement dissimulé la connaissance qu'il avait de ces faits, la cour
d'appel, qui n'avait pas à effectuer la recherche rendue inopérante invoquée à la première branche, a légalement justifié sa décision ;

Et attendu, en second lieu, qu'il ne résulte ni de l'arrêt ni de ses conclusions d'appel que la société Koch media ait soutenu que M. B. étant
le seul organe pouvant agir au nom de la société, le point de départ de la prescription ne pouvait être antérieur à son remplacement ; que le
moyen est nouveau et mélangé de fait et de droit ;

D'où il suit que le moyen, irrecevable en sa troisième branche, n'est pas fondé pour le surplus ;

Par ces motifs :

Rejette le pourvoi ;

Mme Riffault Silk, cons. doyen ff de prés. ; Mme de Cabarrus, cons. référendaire rapp. ; Mme Orsini, cons. ; SCP Alain Bénabent, SCP
Garreau, Bauer Violas et Feschotte Desbois, av.

Note

1. Les deux arrêts ci-dessus rapportés émanant de la Chambre commerciale de la Cour de cassation traitent de la question sensible de la
responsabilité civile des dirigeants de société par actions simplifiée (SAS). À l'évidence, il s'agit là d'un thème comportant des aspects
personnels, humains et économiques, pour le dirigeant mis en cause, et qui renseigne a priori également sur la conception du rôle des
dirigeants au sein d'une structure d'inspiration fortement libérale comme la SAS. À cet égard, plutôt que d'élaborer un régime de
responsabilité civile des dirigeants spécifique à cette forme de société, le législateur a posé un principe de renvoi général au droit commun
des sociétés anonymes. L'article L. 227-8 du code de commerce dispose ainsi que « les règles fixant la responsabilité des membres du
conseil d'administration et du directoire des sociétés anonymes, sont applicables au président et aux dirigeants de la société par actions
simplifiée ». Si la technique législative du renvoi présente l'avantage apparent de la simplicité, il n'en demeure pas moins que l'application à
la SAS d'un régime conçu pour les sociétés anonymes peut soulever quelques difficultés du fait de l'organisation libérale de la direction de
cette société, essentiellement issue de stipulations statutaires comme l'indique expressément l'article L. 227-5 (« les statuts fixent les
conditions dans lesquelles la société est dirigée »). Dès lors, toute décision de justice relative à la responsabilité des dirigeants de SAS
doit être analysée avec intérêt car elle est susceptible d'apporter d'utiles précisions sur la nature du lien subtil qui unit ces derniers à la
société et aux associés, voire aux tiers.

2. Dans une telle perspective, force est de constater que ces deux décisions, non publiées au Bulletin, appartiennent à la catégorie des
arrêts d'espèce car la Cour n'a pas eu à trancher des questions de principe. Ces arrêts ne permettent donc pas de faire ressortir l'originalité
du système de direction au sein de cette forme sociale, lequel doit évidemment s'analyser au cas par cas à partir des règles statutaires
relatives à l'organisation des pouvoirs au sein de chaque SAS. Un tel constat s'explique par la nature du contentieux examiné, relatif à
l'appréciation d'éléments éminemment factuels se rapportant à la qualification de fautes de gestion ainsi qu'à la question de la dissimulation
de certaines d'entre elles, sans que ne soit ici en cause la spécificité indéniable de la structure juridique de la SAS par rapport aux autres
forme de sociétés.

Pour autant, l'apport de ces deux décisions à la jurisprudence ne saurait être négligé en ce qu'elles contribuent à préciser la notion de faute
de gestion. En effet, le premier arrêt en date du 8 avril 2018 s'illustre en sanctionnant pour manquement au devoir de loyauté envers la
société un président de SAS à l'origine de plusieurs fautes de gestion, cependant que le second arrêt du 13 juin 2018 adopte une solution
qui mérite de retenir l'attention en ce qu'elle concerne la notion de dissimulation de faits dommageables dont on sait qu'elle permet d'obtenir
le report du point de départ du délai de prescription de l'action en responsabilité d'un dirigeant.

I. La faute de gestion par manquement au devoir de loyauté envers la société


3. De l'arrêt rendu le 8 avril 2018 par la Cour de cassation, il faut observer tout particulièrement que le président (ou tout autre dirigeant
éventuellement prévu par les statuts) ayant commis des fautes de gestion peut voir sa responsabilité engagée pour manquement à son
devoir de loyauté envers la société. L'espèce donne ainsi une nouvelle illustration du devoir de loyauté en extension constante en droit
des sociétés (1).

En l'occurrence, une SAS dénommée RM avait révoqué puis assigné son ancien président en responsabilité en invoquant diverses fautes
de gestion dont certaines ont été commises lorsque ce dirigeant était également gérant d'une SARL du même groupe avant son absorption
par la SAS. L'intéressé s'était vu reprocher d'avoir, malgré la réticence du « comité de surveillance » de la SAS, confié à un prestataire la
réalisation d'un logiciel dépassant les compétences de cet informaticien travaillant seul et dont les prestations passées n'avaient pas donné
satisfaction. Au surplus, le projet ne prenait pas réellement en compte les besoins de l'entreprise et le coût initialement prévu avait été au
bout du compte multiplié par sept cependant que le dirigeant avait faussement fait croire que le contrat allait être rompu. Et comme si cela
ne suffisait pas, ce dirigeant avait aussi fictivement employé au nom de la société une salariée qui travaillait en réalité à son domicile et à
celui d'un autre associé. La cour d'appel de Metz, voyant dans l'accumulation de ces faits la caractérisation de fautes de gestion, avait en
conséquence condamné le dirigeant à indemniser la société victime, approuvée en cela par la Cour de cassation au terme d'un contrôle de la
qualification des fautes retenues par les juges du fond.

4. S'agissant plus spécialement de l'emploi fictif de la salariée travaillant au domicile du dirigeant alors qu'elle avait été recrutée au nom de la
société, on remarquera avec intérêt que les hauts magistrats ont donc retenu comme fondement juridique la violation du devoir de loyauté
du dirigeant envers la société. La haute juridiction relève en effet comme un élément déterminant le fait que la « cour d'appel a pu déduire
que M. X. avait commis des fautes de gestion en manquant au devoir de loyauté envers la société RM et en agissant à l'encontre de son
intérêt social ». L'arrêt met par conséquent au jour une nouvelle application du devoir de loyauté du dirigeant à l'égard de la société. La
déloyauté du dirigeant ayant établi un faux certificat de travail est ici qualifiée de faute de gestion engageant la responsabilité de son
auteur.

D'origine purement prétorienne, ce devoir « fonctionnel » inhérent aux fonctions de direction elles-mêmes (2) s'est pour l'heure concrétisé
surtout dans le cadre des cessions de droits sociaux en soumettant les dirigeants à une obligation précontractuelle d'information envers les
associés (3), ainsi que par l'existence d'une obligation de non-concurrence de plein droit envers la société (4). Plus récemment, le devoir
de loyauté des dirigeants a fait l'objet d'une consécration au sein même de la SAS, en prenant l'aspect d'une obligation de transparence à
l'égard des associés dans un cas d'espèce où un dirigeant avait été condamné pour avoir profité d'une opportunité d'affaires et s'être
abstenu de révéler aux associés l'acquisition qu'il avait faite pour son compte personnel d'un immeuble convoité par les associés en vue de
l'exercice de leur activité professionnelle au sein de la société (5).

5. Avec la présente affaire relative à l'établissement au nom de la société d'un faux certificat de travail d'une salariée travaillant au domicile
personnel du dirigeant, une nouvelle illustration du manquement au devoir de loyauté apparaît donc, démontrant par là le potentiel
d'extension de ce fondement juridique. Encore faut-il remarquer que la Chambre commerciale retient la responsabilité du dirigeant à l'origine
d'un emploi fictif au double motif d'un manquement à son devoir de loyauté envers la société et de l'atteinte à l'intérêt social. Cette
référence à l'intérêt social introduit une ambiguïté car elle laisse à penser que la déloyauté du dirigeant ne suffirait pas en elle-même à
engager sa responsabilité et qu'il faudrait de surcroît constater une violation de l'intérêt social pour que la preuve des fautes de gestion
soit rapportée. On pourrait bien sûr chercher à distinguer les deux notions en considérant que l'une (la déloyauté) revêt une dimension
probablement plus morale que l'autre (l'atteinte à l'intérêt social). Mais il est vrai que l'atteinte à l'intérêt social était en l'espèce aisée à
rapporter car, ainsi qu'il a été relevé, l'acte du dirigeant se rapprochait manifestement de comportements tombant sous la qualification
d'abus de biens sociaux et, par conséquent, portant atteinte à l'intérêt de la société (6). Pour autant, la jurisprudence a révélé à travers les
décisions précédemment citées que le devoir de loyauté constitue un fondement autonome de condamnation (7). La plupart des auteurs
estiment d'ailleurs que le devoir de loyauté auquel est assujetti tout dirigeant est la contrepartie du pouvoir qui lui est conféré dans un
intérêt distinct du sien (8). Celui qui exerce un pouvoir ne peut jamais chercher à le détourner de sa finalité en en faisant usage dans son
intérêt strictement personnel. C'est aussi indirectement ce que confirmait la Cour de cassation dans son rapport pour 1996 consécutif au
célèbre arrêt Vilgrain (9) où, justifiant l'exigence d'une loyauté particulière des dirigeants, elle mentionnait que « bien que non inscrit
dans les textes, ce principe découle de ce que les mandataires sociaux sont tenus d'agir conformément à l'intérêt social et dans le respect de
l'égalité de traitement entre associés » (10). C'est dire si la déloyauté d'un dirigeant de société traduit la poursuite d'un intérêt personnel
au détriment de l'intérêt social (11).

6. Soulignons enfin pour ceux qui en douteraient que cette exigence de loyauté ne connaît à l'évidence aucune sorte d'assouplissement
dans la SAS malgré la grande flexibilité de cette structure juridique. La liberté d'organisation et de fonctionnement mise en oeuvre par les
statuts ne saurait en effet constituer une raison d'alléger l'impératif de loyauté qui est consubstantiel à l'exercice des fonctions de direction
(12). Ainsi, quel que soit le contenu des statuts, l'action des dirigeants (qu'ils soient d'origine légale ou statutaire) doit être conduite
avec une loyauté élémentaire dans le sens de l'intérêt social et non au profit de leurs intérêts personnels, sans qu'il soit possible d'offrir à
cet égard des possibilités d'exonération de responsabilité (13). Sur ce point, le régime de la SAS ne présente donc aucune spécificité.

II. L'appréciation de la dissimulation de faits dommageables


7. Nul n'ignore les règles de prescription relatives à la responsabilité des dirigeants de sociétés par actions et, ici encore, d'une SAS. Aux
termes de l'article L. 225-254 (applicable à la SAS sur renvoi de l'article L. 227-8), « l'action en responsabilité contre les administrateurs ou le
directeur général, tant sociale qu'individuelle, se prescrit par trois ans, à compter du fait dommageable ou s'il a été dissimulé, de sa
révélation ». Au principe de la prescription triennale courant à compter de la date du fait dommageable, le texte introduit donc une
exception en cas de dissimulation puisque le point de départ du délai peut être reporté au jour de la révélation du fait dommageable. Tel
était bien l'enjeu dans l'affaire portée devant la Cour de cassation le 13 juin 2018.

8. En l'espèce, une SAS Koch Media avait engagé à l'encontre de son ancien président une action en responsabilité pour des faits
dommageables commis plus de trois ans auparavant et normalement prescrits. Dès lors, afin d'échapper à la prescription triennale et de voir
son action prospérer, la société invoquait la dissimulation des faits litigieux. En l'occurrence, il était reproché à cet ex-dirigeant d'avoir
recruté en connaissance de cause une salariée (sur un poste de comptable) qui avait commis à plusieurs reprises des détournements de
fonds alors qu'elle avait antérieurement été condamnée pour abus de confiance au détriment de son précédent employeur. La société Koch
Media soutenait que ces éléments lui avaient été volontairement dissimulés par son ancien dirigeant qui s'était abstenu de les divulguer
spontanément de sorte qu'elle n'était pas en mesure de réagir et que le point de départ du délai de prescription devait être en conséquence
reporté jusqu'à ce qu'elle finit par apprendre la situation.

La cour d'appel de Paris réfuta l'argument de la dissimulation, considérant que la société pouvait découvrir elle-même les compétences
professionnelles de la salariée et la condamnation dont elle avait fait l'objet, d'autant qu'existait un dispositif d'audit légal réalisé par un
cabinet indépendant et que des contrôles étaient effectués régulièrement sur la comptabilité de la société Koch Media par la société mère
de cette dernière. Pour les juges du second degré, d'une part, le recrutement d'une personne ayant un casier judiciaire ne peut constituer
une faute de gestion et, d'autre part, la société disposait des moyens de connaître chacun de ses quelques employés. Il n'est donc pas
démontré qu'il y eut dissimulation volontaire du passé et des antécédents judiciaires de la salariée. Face à ce qui constitue assurément une
question de fait, la Chambre commerciale de la Cour de cassation considère que « en l'état de ces constatations et appréciations
souveraines, dont il résulte que M. X. n'avait pas intentionnellement dissimulé la connaissance qu'il avait de ces faits, la cour d'appel a
légalement justifié sa décision ».

9. En prenant le soin de souligner que le dirigeant n'avait pas « intentionnellement dissimulé » la connaissance des faits litigieux, on peut
être d'avis que la haute juridiction fait application d'une approche résolument intentionnelle de la notion de dissimulation, laquelle se
différencie d'une approche objective en ce qu'elle requiert une véritable volonté de dissimulation et ne peut reposer sur le simple constat
que les faits litigieux n'avaient pas été portés à la connaissance des organes sociaux. L'arrêt s'inscrit donc dans une perspective qui
complique singulièrement la tâche de celui qui agit en responsabilité et qui doit démontrer à partir d'éléments factuels appréciables in
concreto qu'il y a eu véritablement volonté de dissimulation de la part du dirigeant poursuivi. Pour n'être pas parvenue à une telle
démonstration, la société Koch Media devait par conséquent se résigner à voir son action déclarée irrecevable car prescrite par
l'écoulement du délai de trois ans, sans que le point de départ de la prescription put être reporté.

L'approche intentionnelle, ou subjective, ainsi retenue est loin d'être inédite puisqu'elle avait déjà été retenue par le célèbre arrêt rendu par
la Cour de cassation dans l'affaire du Crédit martiniquais concernant la responsabilité individuelle des membres d'un organe collégial
(14), comme à propos du point de départ de l'action en nullité d'une convention réglementée ayant donné lieu à un arrêt de principe non
moins célèbre et abondamment commenté (15). Il faut dire que cette orientation a pour elle une certaine cohérence tant la notion même de
dissimulation suppose une action volontaire de son auteur (16), ce que certains désignent par l'action de cacher (17). Pour cette raison,
la simple absence de déclaration ne peut être assimilée à une dissimulation. Le présent arrêt illustre parfaitement cette nécessaire
distinction puisque la Cour écarte l'argument développé dans le pourvoi selon lequel « la volonté d'un dirigeant de dissimuler un fait
dommageable peut résulter de l'absence de communication d'une information qui aurait dû être divulguée spontanément ». Bien au
contraire, l'absence de communication est en soi insuffisante pour caractériser la dissimulation. Citons encore pour se convaincre de la
stabilité de cette jurisprudence une décision par laquelle la Chambre commerciale a repoussé une action en responsabilité contre un
dirigeant à l'origine d'un préjudice résultant d'un mandat de gestion immobilière et d'un gain manqué lors de la cession d'un immeuble social
en estimant que « en fixant le point de départ de la prescription triennale au jour auquel les mandats en cause avaient été portés à la
connaissance des associés [...], sans constater que l'existence de ces mandats avait été dissimulée, la cour d'appel a privé sa décision de
base légale » (18). On ne saurait mieux affirmer l'exigence d'une intention particulière destinée à cacher la réalité.

Une telle conception rigoureuse de la dissimulation du fait dommageable restreint évidemment les hypothèses dans lesquelles le point de
départ du délai de prescription de l'action en responsabilité peut être reporté. C'est ainsi que l'on pourrait craindre que cette approche
restrictive puisse profiter à des dirigeants indélicats s'abstenant délibérément de révéler certains faits dans l'espoir qu'ils ne soient jamais
découverts, du moins au cours du délai de prescription triennal. Mais il n'en demeure pas moins que la ratio légis du régime de
responsabilité du dirigeant de société implique qu'il faille se placer du côté de ce dernier et non des associés (19). Car ce qui est en cause
en ce domaine n'est autre que le comportement même du dirigeant qui accomplit des actes positifs destinés à occulter des faits
dommageables. C'est ainsi cette « volonté dissimulatoire » (20) qui justifie le report de la prescription et la menace persistante de
poursuites judiciaires, non le simple fait que le dirigeant se soit dispensé de déclarer ces faits (21). Parce qu'il est conforme à ce
raisonnement, l'arrêt mérite donc entière approbation.

10. Enfin, la société Koch Media soutenait par ailleurs dans un moyen nouveau du pourvoi, rejeté par la Cour de cassation, que le dirigeant
fautif, en sa qualité de représentant social, était le seul organe social pouvant agir au nom de la société de sorte que le point de départ de la
prescription ne pouvait être antérieur à son remplacement. L'argument peine de toute façon à convaincre car chacun sait que notre droit
des sociétés ouvre justement aux associés la possibilité de vaincre l'inertie du représentant social et de se substituer à lui en exerçant
l'action sociale dite ut singuli (art. L. 225-252).

Mots clés :
SOCIETE PAR ACTIONS SIMPLIFIEE * Dirigeant social * Responsabilité civile * Faute de gestion * Devoir de loyauté * Manquement
* Prescription * Point de départ * Dissimulation

(1) H. Le Nabasque, Le développement du devoir de loyauté en droit des sociétés, RTD com. 1999. 273 ; J.-J. Daigre, Le petit air anglais
du devoir de loyauté des dirigeants, Mélanges Bézard, LPA/Montchrestien, 2002, p. 79 ; J.-J. Caussain, À propos du devoir de loyauté des
dirigeants de sociétés, Études offertes à B. Mercadal, éd. F. Lefebvre, 2002, p. 303, n° 7.

(2) L. Godon, L'obligation de non-concurrence des dirigeants sociaux, Bull. Joly 1999. 5, spéc. n° 9.

(3) Com., 27 févr. 1996, n° 94-11.241, Bull. civ. IV, n° 65 ; D. 1996. 518 , note P. Malaurie ; ibid. 342, obs. J.-C. Hallouin ; ibid. 591, note
J. Ghestin ; RTD civ. 1997. 114, obs. J. Mestre ; RTD com. 1999. 273, étude H. Le Nabasque ; JCP 1996. II. 22665, note J. Ghestin ;
JCP E 1996. II. 838, note D. Schmidt et N. Dion ; Bull. Joly 1996. 485, note A. Couret ; Com. 28 nov. 2006, n° 04-19.802, Rev. sociétés 2007.
519, note L. Godon ; RTD com. 2007. 147, obs. C. Champaud et D. Danet ; Bull. Joly 2007. 397, note P. Sholer ; Com., 12 mai 2004, n° 00-
15.618, Rev. sociétés 2005. 140, note L. Godon ; D. 2004. 1599 , obs. A. Lienhard ; ibid. 2923, obs. E. Lamazerolles ; RTD civ. 2004.
500, obs. J. Mestre et B. Fages ; JCP E 2004. 1393, note F.-G. Trébulle ; JCP 2004. I. 10513, note A. Constantin ; RDC 2004. 923, obs. D.
Mazeaud ; Bull. Joly 2004. 1114, note D. Schmidt.

(4) Com., 15 nov. 2011, n° 10-15.049, Rev. sociétés 2012. 292, note L. Godon ; D. 2012. 134, obs. A. Lienhard , note T. Favario ; ibid.
2760, obs. Centre de droit de la concurrence Yves Serra ; RTD com. 2012. 134, obs. A. Constantin ; ibid. 137, obs. A. Constantin ;
Dr. sociétés 2012, n° 24, note M. Roussille ; JCP E 2011. 1893, note A. Couret et B. Dondero ; Gaz. Pal. 11 févr. 2012, p. 19, note B.
Saintourens. Adde Com., 12 févr. 2002, n° 00-11.602, Rev. sociétés 2002. 702, note L. Godon ; D. 2003. 1032 , obs. Y. Picod ; Bull. Joly
2002. 617, note B. Saintourens ; Dr. sociétés 2002, n° 146, note T. Bonneau ; JCP E 2002. 1603, note J. Monnet ; Com., 24 févr. 1998, n° 96-
12.638, Rev. sociétés 1998. 546, note M.-L. Coquelet ; D. 1999. 100 , obs. Y. Picod ; RTD com. 1998. 612, obs. C. Champaud et D.
Danet ; ibid. 1999. 273, étude H. Le Nabasque ; JCP E 1998. 637 ; JCP 1999. II. 1003, note M. Keita ; Bull. Joly 1998. 813, note B. Petit.

(5) Com., 18 déc. 2012, n° 11-24.305, Rev. sociétés 2013. 362, note T. Massart ; D. 2013. 288 , note T. Favario ; ibid. 2812, obs. Centre
de droit de la concurrence Yves Serra ; RTD com. 2013. 90, obs. B. Dondero et P. Le Cannu ; Bull. Joly 2013. 200, note B. Dondero ; Dr.
sociétés 2013, n° 48, note M. Roussille ; BRDA 1/13, n° 2 ; Banque et droit 2013, p. 43, note I. Riassetto, Q. Urban et M. Storck. Dans cette
affaire le dirigeant a donc été condamné pour avoir maintenu les associés « dans l'ignorance de l'opération d'acquisition pour son compte
personnel d'un immeuble que les associés entendaient acheter ensemble pour y exercer leur activité, ce dont il résultait que ce dirigeant
avait manqué à son devoir de loyauté envers eux ».

(6) S. Messaï-Bahri, note sous le présent arrêt, Bull. Joly 2018. 402.

(7) V. not. s'agissant du devoir de loyauté envers la société : Com. 15 nov. 2011, préc. ; Com. 12 févr. 2002, préc. ; Com. 24 févr. 1998, préc.

(8) H. Le Nabasque, art. préc. ; J.-J. Daigre, art. préc. ; E. Gaillard, Le pouvoir en droit privé, Economica, n° 214 s.

(9) Com. 27 févr. 1996, préc.

(10) Rapport de la Cour de cassation pour 1996, Doc. fr., p. 312.

(11) V. égal. en ce sens, S. Messaï-Bahri, note préc.

(12) L. Godon, La société par actions simplifiée, LGDJ, coll. Droit des affaires, n° 554.

(13) D. Poracchia, Le rôle de l'intérêt social dans la société par actions simplifiée, Rev. sociétés 2000. 223 .

(14) Com., 30 mars 2010, n° 08-17.841, Rev. sociétés 2010. 304, note P. Le Cannu ; D. 2010. 960, obs. A. Lienhard ; ibid. 1678, note B.
Dondero ; ibid. 1110, chron. M.-L. Bélaval, I. Orsini et R. Salomon ; ibid. 2671, obs. P. Delebecque, J.-D. Bretzner et I. Gelbard-Le
Dauphin ; ibid. 2797, obs. J.-C. Hallouin, E. Lamazerolles et A. Rabreau ; ibid. 2011. 1643, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; RTD com.
2010. 377, obs. P. Le Cannu et B. Dondero ; Bull. Joly 2010. 533, note R. Raffray ; JCP E 2010. 377, note A. Couret ; RJCom. 2010. 263, note
M.-H. Monsèrié-Bon ; Dr. sociétés 2010, comm. n° 117, note M. Roussille.

(15) Com., 8 févr. 2011, n° 10-11.896, Rev. sociétés 2011. 288, note P. Le Cannu ; D. 2011. 1314, obs. A. Lienhard , note N. Molfessis et J.
Klein ; ibid. 1321, note F. Marmoz ; ibid. 2758, obs. J.-C. Hallouin, E. Lamazerolles et A. Rabreau ; RTD civ. 2011. 493, obs. P.
Deumier ; Bull. Joly 2011. 297, note C.-N. Ohl et D. Schmidt ; JCP E 2011. 1151, note B. Dondero ; Dr. sociétés 2011, comm. n° 70, note M.
Roussille ; RLDA avr. 2011, p. 10, note D. Gibirila ; Gaz. Pal. 9 juin 2011, p. 14, obs. B. Dondero et A.-F. Zattara-Gros.

(16) V. en ce sens Com., 24 sept. 2013, n° 12-24.917, Rev. sociétés 2014. 33, note E. Schlumberger ; Bull. Joly 2013. 798, note S. Messaï-
Bahri ; Dr. sociétés 2013, comm. n° 202, note M. Roussille ; la Cour rappelant qu'« il ne peut y avoir de dissimulation sans volonté de
dissimuler ».

(17) C.-N. Ohl et D. Schmidt, note préc. ; N. Molfessis et J. Klein, note préc. ; F. Marmoz, note préc.

(18) Com., 26 avr. 2017, n° 15-14.627, Rev. sociétés 2017. 569, note P.-L. Périn ; Dr. sociétés 2017, comm. n° 142, note J. Heinich.

(19) J. Heinich, note sous Com. 26 avr. 2017, préc.

(20) Expression empruntée à P. Le Cannu, note sous Com. 8 févr. 2011, préc.

(21) V. égal. en ce sens, J. Heinich, préc. « Ce qui permet le report de la prescription n'est pas l'ignorance, même réelle et légitime, de
l'associé, mais bien l'action de dissimulation exercée par le dirigeant qui implique "une volonté de fraude ou, au moins, la volonté d'occulter
le fait dommageable" ».
Revue des sociétés 2018 p.674

Abus de biens sociaux : motivation des peines


Note sous Cour de cassation (crim.), 27 juin 2018, n° 16-87.009 (FP-P+B)

Bernard Bouloc, Professeur émérite à l'École de droit de la Sorbonne

L'essentiel
Ne justifie pas sa décision la cour d'appel qui ne s'explique pas sur la personnalité du prévenu et sur sa situation personnelle pour prononcer les peines
d'amende et d'interdiction de gérer, et sans faire état des ressources du prévenu pour le condamner à une amende.

N'a pas motivé sa décision la cour d'appel qui ne précise pas à quel titre elle ordonne la confiscation des sommes saisies sur un compte bancaire.

La Cour,

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que M. P. a été convoqué par le procureur de la République de Reims
devant le tribunal correctionnel du chef d'abus de biens sociaux, pour avoir établi, en qualité de dirigeant de la société Lavalin, des fausses
factures pour un montant de 775 556 € au nom de la société Arges, dont il était également le dirigeant, afin d'obtenir le paiement de
prestations fictives de tenue de séminaires dans un château, du chef d'exécution d'un travail dissimulé, pour n'avoir pas déclaré des
suppléments de rémunération, d'un montant de 373 300 €, perçus de la société Lavalin grâce au recours à de fausses factures, ni réglé les
cotisations patronales et salariales y afférentes, et du chef de blanchiment de fraude fiscale et de travail dissimulé commis de façon
habituelle, pour avoir encaissé les sommes provenant desdites fausses factures ;

Que le tribunal correctionnel a déclaré le prévenu coupable des faits reprochés et l'a condamné à 300 000 € d'amende, dix ans d'interdiction
de gérer et a prononcé la confiscation de fonds saisis sur un compte bancaire, par un jugement dont le prévenu et le ministère public ont
interjeté appel ;

Que, devant la cour d'appel, le conseil du prévenu a déposé des conclusions écrites aux seules fins de relaxe ;

En cet état :

Sur le premier moyen de cassation ;

Vu l'article 567-1 du code de procédure pénale ;

Attendu que le moyen n'est pas de nature à être admis ;

Mais sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 132-20, alinéa 2 et 132-1 du code pénal, 485, 512, 591 et 593
du code de procédure pénale ;

« en ce que la cour d'appel a condamné M. Jean Claude P. à une amende délictuelle de 300 000 €, l'interdiction d'exercer une profession
commerciale ou industrielle, de diriger, administrer, gérer ou contrôler une entreprise ou une société pendant une durée de dix ans et la
confiscation des fonds saisis sur le compte courant détenu à la Banque Populaire Lorraine Champagne n° 14707-01809-01819036862-18 ;

« aux motifs qu'en raison de l'exceptionnelle gravité des faits, des circonstances de la cause et de la personnalité du prévenu, sans
antécédent judiciaire, sont justifiées et doivent être confirmées l'amende délictuelle de 300 000 €, l'interdiction d'exercer une profession
commerciale ou industrielle, de diriger, administrer, gérer ou contrôler une entreprise ou une société pour une durée de dix ans ainsi que la
confiscation des fonds saisis sur le compte courant détenu à la Banque Populaire Lorraine-Champagne n° 14707-01809-01819036862-18 ;

« 1) alors qu'en matière correctionnelle, le juge qui prononce une amende doit motiver sa décision au regard des circonstances de
l'infraction, de la personnalité et de la situation personnelle de son auteur, en tenant compte de ses ressources et de ses charges ; qu'en se
bornant à retenir que la peine d'amende est justifiée en raison de l'exceptionnelle gravité des faits, des circonstances de la cause et de la
personnalité du prévenu, sans s'expliquer sur ses ressources et ses charges qu'elle devait prendre en considération la cour d'appel n'a pas
justifié sa décision ;

« 2) alors qu'en matière correctionnelle, toute peine doit être motivée en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité de leur
auteur et de sa situation personnelle ; qu'en prononçant une peine d'interdiction d'exercer une profession commerciale ou industrielle, de
diriger, administrer, gérer ou contrôler une entreprise ou une société pour une durée de dix ans, sans s'expliquer sur la gravité des faits, la
personnalité de son auteur et sa situation personnelle qu'elle devait prendre en considération, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;

« 3) alors que, si la confiscation rejoint l'intérêt général prévu à l'article 1 du Protocole n° 1 permettant de porter atteinte au droit de
propriété, c'est à la condition que la sanction imposée ne soit pas disproportionnée au regard du manquement commis, les juges du fond
devant évaluer et justifier, au regard de la gravité concrète des faits et de la situation personnelle du condamné, les nécessité et
proportionnalité de l'atteinte portée par la peine ; qu'en prononçant la confiscation des fonds saisis sur le compte courant détenu à la
Banque Populaire Lorraine Champagne n° 14707-01809-01819036862-18, sans évaluer et justifier, au regard de la gravité concrète des faits et
de la situation personnelle du condamné, les nécessité et proportionnalité de l'atteinte portée par la peine, ni établir que les fonds saisis
seraient, dans leur totalité, le produit ou l'objet des infractions, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision » ;

Sur le moyen, pris en ses deux premières branches ;

Vu les articles 130-1, 132-1 et 132-20, alinéa 2, du code pénal, ensemble les articles 485, 512 et 593 du code de procédure pénale ;

Attendu qu'en matière correctionnelle, le juge qui prononce une peine doit motiver sa décision au regard des circonstances de l'infraction,
de la personnalité et de la situation personnelle de son auteur ; que le juge qui prononce une amende doit, en outre, motiver sa décision en
tenant compte des ressources et des charges du prévenu ; que lorsque plusieurs peines sont prononcées, les motifs peuvent être
communs à celles-ci ;

Qu'il appartient au juge de motiver la peine qu'il prononce en se référant, dans sa décision, aux éléments qui résultent du dossier et à ceux
qu'il a sollicités et recueillis lors des débats ; qu'il revient au prévenu, à la demande du juge ou d'initiative, d'exposer sa situation et de
produire, éventuellement, des justificatifs de celle-ci ; que lorsque le prévenu n'a pas comparu et n'a pas fourni ni fait fournir d'éléments sur
sa situation, il n'incombe pas au juge d'en rechercher d'autres que ceux dont il dispose ;

Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des
motifs équivaut à leur absence ;

Attendu que, pour confirmer l'amende de 300 000 € et l'interdiction de gérer d'une durée de dix ans, l'arrêt énonce, par des motifs communs
aux peines prononcées, qu'elles sont justifiées en raison de l'exceptionnelle gravité des faits, des circonstances de la cause et de la
personnalité du prévenu, sans antécédent judiciaire ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, d'une part, sans s'expliquer sur la personnalité du prévenu et sa situation personnelle qu'elle devait
prendre en considération pour prononcer les peines d'amende et d'interdiction de gérer, d'autre part sans mieux s'expliquer sur les
ressources et charges du prévenu, pour le condamner à une amende, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

Et sur le moyen, pris en sa troisième branche :

Vu les articles 1 du Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, 131-21 et 132-1 du code pénal, ensemble les
articles 485, 512 et 593 du code de procédure pénale ;

Attendu qu'en matière correctionnelle, le juge qui prononce une peine doit motiver sa décision au regard des circonstances de l'infraction,
de la personnalité et de la situation personnelle de son auteur ;

Attendu que, hormis le cas où la confiscation, qu'elle soit en nature ou en valeur, porte sur un bien qui, dans sa totalité, constitue le
produit de l'infraction, le juge, en ordonnant une telle mesure, doit apprécier le caractère proportionné de l'atteinte portée au droit de
propriété de l'intéressé lorsqu'une telle garantie est invoquée ou procéder à cet examen d'office lorsqu'il s'agit d'une confiscation de tout ou
partie du patrimoine ;

Qu'il incombe en conséquence au juge qui décide de confisquer un bien, après s'être assuré de son caractère confiscable en application
des conditions légales, de préciser la nature et l'origine de ce bien ainsi que le fondement de la mesure et, le cas échéant, de s'expliquer sur
la nécessité et la proportionnalité de l'atteinte portée au droit de propriété du prévenu ;

Attendu que, pour confirmer la confiscation de fonds saisis sur un compte bancaire, l'arrêt énonce qu'elle est justifiée en raison de
l'exceptionnelle gravité des faits, des circonstances de la cause et de la personnalité du prévenu, sans antécédent judiciaire ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, par des motifs qui ne précisent pas à quel titre le bien a été confisqué, la cour d'appel, qui ne met pas
la Cour de cassation en mesure de s'assurer que les exigences de motivation rappelées ci-dessus ont été respectées, n'a pas justifié sa
décision ;

D'où il suit que la cassation est à nouveau encourue de ce chef ;

Par ces motifs :

Casse et annule, en ses seules dispositions relatives aux peines, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Reims, en date du 20 septembre 2016,
toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée ;

Renvoie la cause et les parties devant la cour d'appel de Nancy, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

M. Soulard, prés. ; M. Germain, cons. rapp. ; MM. P., S., C., M. de la Lance, M me D., MM. Moreau, Steinmann, Mmes Drai, Durin
Karsenty, M. Cathala, cons. de la ch. ; M. Laurent, M. C., M. Barbier, M me Guého, cons. référendaires ; M. Wallon, av. gén. ; SCP
Spinosi et Sureau, av.

Note
1. Le dirigeant d'une société a été convoqué par le procureur de la République devant le tribunal correctionnel du chef d'abus de biens
sociaux pour avoir, en tant que dirigeant d'une société, établi des fausses factures pour le montant de 775 000 €, afin d'obtenir le paiement
de prestations fictives de tenue d'un séminaire dans un château. Il était aussi convoqué au titre d'un délit de travail dissimulé pour ne pas
avoir déclaré des suppléments de rémunérations pour 373 000 € ni réglé les cotisations patronales et salariales y afférents, et pour avoir
encaissé les sommes provenant des fausses factures.

2. Le tribunal correctionnel a déclaré le prévenu coupable des faits reprochés et l'a condamné à 300 000 € d'amende, à dix ans d'interdiction
de gérer et à la confiscation des fonds saisis sur un compte bancaire.

Sur appel du prévenu et du ministère public, la cour d'appel avait confirmé la décision des premiers juges. Le prévenu a formé un pourvoi
en cassation, en contestant essentiellement les peines prononcées.

3. Dans une première branche du moyen, il faisait valoir que le juge qui prononce une amende doit motiver sa décision au regard des
circonstances de l'infraction, de la personnalité et de la situation personnelle de son auteur, en tenant compte de ses ressources et de ses
charges. Or, les juges ne s'étaient pas expliqués sur les ressources et charges du prévenu.

Par ailleurs, en ce qui concerne l'interdiction de gérer, les juges ne s'étaient pas expliqué sur la gravité des faits, la personnalité de son
auteur et sa situation personnelle.

Enfin, il estimait que les juges avaient prononcé la confiscation des sommes figurant au compte saisi d'une banque, sans tenir compte de la
proportionnalité au regard du manquement commis, sans établir si les fonds saisis seraient dans leur totalité le produit ou l'objet des
infractions, et sans justifier de la gravité des faits et de la situation personnelle du condamné.

4. La Cour de cassation a fait droit à ces critiques, en se fondant sur les dispositions des articles 132-1 et 132-20 du code pénal, tels qu'ils
avaient été modifiés pas la loi du 15 août 2014.

En matière correctionnelle, le juge qui prononce une peine doit motiver sa décision d'après les circonstances de l'infraction, la personnalité
et la situation personnelle de son auteur, et s'il s'agit d'une amende, il doit tenir compte des ressources et des charges du prévenu.

Or, en l'espèce, les juges avaient retenu des motifs communs aux peines prononcées (à savoir la gravité des faits, les circonstances de la
cause et la personnalité du prévenu sans antécédent judiciaire) mais ils ne s'étaient pas expliqués pour le prononcé de l'interdiction de
gérer et sur les ressources du prévenu pour le prononcé de l'amende.

La cassation est donc retenue.

5. Quant à la peine de confiscation des sommes saisies inscrites aux comptes bancaires, elle a également donné lieu à cassation.

C'est qu'en effet, la Chambre criminelle a rappelé que, hors les cas où la confiscation porte sur un bien constituant le produit de l'infraction,
le juge doit apprécier le caractère proportionné de l'atteinte portée au droit de la propriété de l'intéressé.

Par ailleurs, le juge doit s'assurer du caractère confiscable du bien et préciser la nature et l'origine de ce bien ainsi que le fondement de la
mesure. Or, en l'espèce, les juges avaient justifié la confiscation en raison de l'exceptionnelle gravité des faits, des circonstances de la
cause et de la personnalité du prévenu, sans antécédent judiciaire. Mais ils n'avaient pas précisé à quel titre le bien était confisqué.

6. Les solutions adoptées par cet arrêt sont pleinement fondées.

En effet, depuis la loi du 15 août 2014, la Cour de cassation contrôle de manière plus importante le choix de la peine, au regard des articles
132-1 et 130-1 du code pénal (1). S'agissant de la peine d'amende, les juges doivent s'expliquer sur les ressources et les charges du
prévenu.

Quant à la peine de confiscation, l'article 131-21 du code pénal indique qu'elle porte sur les biens qui sont l'objet ou le produit direct ou
indirect de l'infraction, à moins que la loi en dispose autrement (2).

Il était utile que la Cour de cassation rappelle, par un arrêt à paraître au Bulletin (3), les principes qui doivent présider au prononcé d'une
peine de nature patrimoniale.

Mots clés :
DROIT PENAL DES SOCIETES * Abus de biens sociaux * Peine * Motivation * Personnalité et situation personnelle du prévenu *
Confiscation * Fondement de la mesure

(1) Crim 1er févr. 2017, n° 15-85.199 et n° 15-83.984, D. 2017. 961 , note C. Saas ; ibid. 2501, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C.
Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire ; JCP 2017. 277, note J. Leblois-Happe.

(2) V. Crim., 22 mars 2017, n° 16-82.051, AJ pénal 2017. 299 .

(3) Arrêt également publié : D. 2018. 1494 .


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