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Gilles PACHÉ
Professeur des Universités en Sciences de Gestion à Aix-Marseille Université
Directeur adjoint du CRET-LOG - Aix-en-Provence Cedex (France)
Rédacteur en chef Logistique & Management
Gilles PACHÉ
Centre de Recherche sur le Transport
et la Logistique (CRET-LOG)
Université de la Méditerranée
Des institutions
adaptées aux objectifs
La logistique,
source d’avantage concurrentiel
duits aux clients (intermédiaires et/ou fi-
naux), autrement dit d’une bonne qualité
de réponse à la demande. Une enquête con-
La problématique du référencement se duite par Ouroumoff Consultants en 1994
fonde sur des institutions assumant le plus auprès de 43 firmes manufacturières fran-
efficacement possible la «gouvernance des çaises montre ainsi que leurs délais de li-
transactions», pour reprendre la célèbre vraison à réception de la commande ne dé-
analyse de O. Williamson [19]. Le fonc- passent jamais la semaine, le cas le plus
tionnement de ces institutions nécessite un courant étant de J+3, voire de J+1 lorsqu’il
ensemble de règles et procédures clairement s’agit de produits frais, le tout sur la base
définies. Parmi celles-ci, le repérage de cri- de rendez-vous planifiés!
tères rigoureux d’évaluation et de sélection
des fournisseurs, en fonction de leurs per- Les firmes de distribution n’échappent pas
à cette logique de réactivité car des linéai-
60 formances respectives, occupe une place
toute particulière. L’une des questions po- res trop souvent dégarnis risquent de géné-
sées tourne dès lors autour de l’intégration rer des transferts progressifs de consomma-
ou de la non-intégration du facteur logisti- teurs frustrés:
que dans le choix des sources d’approvi-
sionnement. - vers des enseignes du même type avec les-
quelles la compétition est frontale (concur-
rence intra-type),
Des exigences accrues en - vers de nouveaux formats de distribution
matière de disponibilité des particulièrement dynamiques, comme le
produits hard-discount (concurrence inter-type).
Un constat paradoxal
et des situations typées
A la différence des recherches nord-améri-
managers interrogés. Toutefois, si l’on se
caines consacrées au service de distribution
réfère au modèle compensatoire avec seuil
physique [11], l’enquête de terrain a révélé
précédemment évoqué, sa pondération ap-
un paradoxe apparent: l’importance relati-
paraît inférieure à d’autres critères, jugés
vement secondaire des performances logis-
essentiels (à tort ou à raison). La prise de
tiques du fournisseur comme préalable au
décision reste du ressort des acheteurs qui
référencement. Les enseignes semblent
ont leur propre rationalité et leurs propres
s’intéresser avant tout à un produit-service
grilles d’analyse, indépendantes de celles
constitué d’attributs indissociables les uns
des logisticiens.
des autres. Par contre, le suivi des perfor-
mances et la sanction d’éventuels «manque-
Reprenant les travaux du cabinet
ments» logistiques reprennent tout leur
Motivaction, C. Lhermie [15] a ainsi listé
droit dès que la relation commerciale est
les critères pris en compte par les entrepri-
engagée par le biais de commandes fermes.
ses gérant des hyper et des supermarchés
lors du référencement (voir tableau 2). Or,
à aucun moment la qualité des services lo-
Relativiser l’importance gistiques n’est invoquée par les responsa-
intrinsèque du facteur bles de points de vente, seules des dimen-
logistique sions mercatiques présentant un intérêt à
leurs yeux: campagne publicitaire de lan-
De façon incontestable, la qualité du ser- cement, qualité et degré de nouveauté du
vice logistique rendu constitue un élément produit, actions promotionnelles accompa-
de choix des fournisseurs pour tous les gnant le lancement...
des acheteurs. Elle prend par exemple la sanctions en cas de défaillance logistique
forme, lors de retards de livraison, soit est modéré. On peut penser que la puissance
d’une annulation de tout ou partie de l’or- d’achat cumulée permet d’exiger des «ga-
dre concerné, soit d’une indemnité estimée ranties» logistiques en début de négocia-
en pourcentage de la valeur de la marchan- tion commerciale. En outre, le détaillant
dise non réceptionnée à date (note de débit estime que la simple menace de
déduite de la facture suivante). déréférencement, même s’il n’y a jamais
passage à l’acte, suffit à stimuler ses four-
Le poids du facteur logistique dans l’éva- nisseurs.
luation puis la sélection des fournisseurs
doit être relativisé pour une autre raison.
Exemple : Docks de France.
Elle tient au fait que les détaillants mettent
Le groupe a établi un cahier des char-
sans doute moins en avant l’efficacité de la
ges complet en direction de ses fournis-
prestation globale de distribution physique
seurs. Il précise les conditions logisti-
que ses diverses composantes. Lors des
ques de référencement en termes de res-
entretiens, nos interlocuteurs ont ainsi si-
pect des délais. En cas de problème sé-
gnifié leurs exigences au travers des élé-
rieux, la centrale d’achat Paridoc inter-
ments du mix logistique pour lesquels existe
vient auprès de l’industriel. Si ce der-
parfois un tableau de bord: délais de livrai-
nier ne peut corriger les dysfonctionne-
son, fréquence des avaries,...
ments constatés, il risque de voir son
contrat non renouvelé. Le cas est raris-
Ceci rejoint les résultats d’une recherche
sime.
conduite en France sur le secteur de la trans-
formation des matières plastiques [17]. Pour
b) La centralisation et la complexité des
l’entreprise acheteuse de matières brutes,
procédures de référencement sont faibles,
la performance de la logistique d’approvi-
tandis que le degré de formalisation des
sionnement de tel ou tel fournisseur ne re-
sanctions en cas de défaillance logistique
vêt aucune importance particulière en soi
est élevé. Il s’agit ici de peser lourdement
dans la sélection finale. Toutefois, certai-
sur le fournisseur préalablement référencé
nes composantes seront systématiquement
en le soumettant à des conditions généra-
valorisées en fonction des caractéristiques
les d’achat qui le placent d’entrée en posi-
des marchés aval, c’est-à-dire du niveau de
tion d’infériorité. Les magasins, indépen-
service exigé par le client final.
damment les uns des autres, n’ont que peu
de pouvoir pour «remettre dans le droit
Une typologie des postures chemin» le fournisseur qui ne respecte pas
stratégiques les délais. Une autorité supérieure doit donc
s’en charger.
De notre enquête de terrain et de la problé-
matique du référencement présentée au
début de l’article, il est possible de tirer les
Exemple : Auchan
L’entreprise a introduit dès 1989 des
63
différentes postures stratégiques adoptées conditions générales d’achat draco-
par les firmes de distribution à dominante niennes. Elles précisent les pénalités
alimentaire. D’une part, la centralisation et applicables à tout fournisseur défaillant
la complexité des procédures de référence- au niveau des délais et des quantités
ment sont fortes ou faibles. D’autre part, le livrées, ainsi que les dommages et in-
degré de formalisation des sanctions en cas térêts qu’Auchan est en droit de lui ré-
de défaillance logistique est modéré ou clamer pour chiffre d’affaires et marge
élevé. On obtient alors quatre configura- non réalisés, d’un côté, préjudice com-
tions typées représentant des trajectoires re- mercial dû à une non-satisfaction des
latives, et non absolues: clients, de l’autre. Depuis 1993, l’en-
treprise exige de ses façonniers fabri-
a) La centralisation et la complexité des quant les produits à marque d’ensei-
procédures de référencement sont fortes, gne un taux de service mensuel supé-
tandis que le degré de formalisation des rieur à 98%.
concurrentes pour d’autres familles de pro- contrairement à ce que l’on pourrait pen-
duits. C’est sur elles que doit porter l’ef- ser, ces sanctions ne conduisent jamais les
fort principal ou, plus précisément, sur les centrales à des déréférencements sauvages
fournisseurs qui sont derrière. pour non-respect des procédures d’appro-
visionnement.
Moins qu’une politique indifférenciée de
sanctions, il semble ainsi plus judicieux L’absence de déréférencements sauvages
d’envisager une politique segmentée selon confirme un certain nombre de pratiques
les contraintes relatives à telle ou telle fa- observées sur les marchés industriels. Ainsi,
mille de produits. Cette idée reprend et élar- face à des fournisseurs de matières et com-
git la méthode de décomposition d’activi- posants peu performants au niveau du ser-
tés logistiquement distinctes, dite méthode vice logistique, les acheteurs ne profitent
LDB (Logistics Distinct Business), propo- que rarement de leur pouvoir «historique»
sée par trois consultants du cabinet améri- pour procéder à un arrêt brutal des relations
cain Monitor [10]. commerciales. Les mesures de rétorsion
prennent plutôt la forme d’une réduction
Partant du principe que toute entreprise a du volume d’affaires ou d’un refus d’ache-
vocation de satisfaire des clients aux atten- ter les nouvelles références proposées par
tes singulières, rien ne sert de proposer des les fournisseurs en question [13].
standards de service moyens qui risquent
de mécontenter les uns en laissant, dans le Malgré ce «bémol», certains seront peut-
même temps, les autres indifférents. Il être étonnés de constater que l’accent ait
s’agira, au contraire, de segmenter les été mis tout au long de l’article (ou pres-
clients en vue de leur appliquer des stan- que!) sur les relations adverses au sein des
dards de service rigoureusement conformes canaux. En effet, les discours sur la néces-
aux besoins. Cette logistique «sur mesure» saire collaboration producteurs-distribu-
est la parade ultime contre les compétiteurs teurs se multiplient depuis le début des an-
présents sur les mêmes activités nées 90, sans que l’on puisse d’ailleurs dis-
logistiquement distinctes. cerner la réalité des faits des simples péti-
tions de principe. Ceci est particulièrement
Bien évidemment, la méthode LDB exige vrai de l’Efficient Consumer Response
une mise à plat de l’organisation, tout à la (ECR) qui prône une planification coordon-
fois longue et coûteuse. Pour les détaillants, née des opérations logistiques et
la traduction pourrait en être une totale res- mercatiques entre les acteurs en vue de bé-
tructuration des réseaux d’approvisionne- néfices réciproques. Seraient ainsi concer-
ment du front de vente. Elle pourrait éga- nés la gestion de l’assortiment, le dévelop-
lement s’accompagner d’un ré-examen pement des nouveaux produits, le
drastique des conditions d’exercice et de réapprovisionnement automatique des ma-
suivi des sanctions et pénalités financières
appliquées par les centrales.
gasins ou encore le co-pilotage des flux
industriels [2].
65
Or, force est de reconnaître que la présence
Conclusion de multiples freins favorise pour l’instant
un relatif statu quo, à savoir le maintien de
Pour contenir dans des limites raisonnables l’affrontement transactionnel entre les dé-
les dysfonctionnements logistiques impu- taillants alimentaires et leurs fournisseurs.
tables à un ou des industriels défaillants, C’est la dimension logistique de cette réa-
les grands distributeurs alimentaires fran- lité que nous avons souhaité éclairer, non
çais ont mis en place des systèmes coerci- par goût immodéré pour les logiques con-
tifs sophistiqués. Ils reposent sur une large flictuelles, mais plutôt pour souligner le
palette de sanctions pouvant aller jusqu’au chemin restant à parcourir avant d’attein-
refus pur et simple de la marchandise. Mais dre une véritable coordination de chaîne.
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Commentaire
de Gilles PACHÉ
Revenir sur un article vieux de vingt ans conduit à explorer un moment privilégié où le jeune
chercheur découvre que le « terrain » n’accouche pas toujours des résultats implicitement
escomptés ! En 1995, il était ô combien courant d’affirmer que la logistique est un « élément
essentiel de la stratégie gagnante du distributeur ».
Quoi de plus naturel d’envisager alors le critère de performance logistique du fournisseur de
ce même distributeur comme point clé de la négociation aboutissant à son référencement. La
recherche conduite avec mes amis de l’Université de Rennes, de l’Université Paris Dauphine et de
l’Université Paris XII (aujourd’hui Université Paris Est), sur laquelle je m’appuyais pour alimenter
ma réflexion, indiquait que la logistique était finalement un critère secondaire de référencement.
Une belle surprise...
Depuis lors, avec les travaux conduits par Sylvie Llosa sur le modèle tétra-classe (1996), la surprise
est moins grande : la logistique ne serait-elle pas un service basique ayant un impact important
sur la satisfaction globale lorsqu’il est évalué négativement par le client (ici le distributeur), mais
qui contribue peu à la satisfaction lorsqu’il est évalué positivement ?
Quel plaisir pour un chercheur de s’apercevoir qu’une bien ancienne contribution renvoie
finalement à des débats très actuels.