Vous êtes sur la page 1sur 29

Politiques et management public

Que peut-on attendre d'une comptabilité de gestion dans le secteur


public ?
René Demeestère

Résumé
La comptabilité de gestion est une modélisation économique ; comme pour tout modèle, son usage implique un certain nombre
de précautions ; de plus sa mise en œuvre efficace repose sur une analyse précise des besoins d'information à remplir, sur une
bonne adaptation aux choix d'organisation du pilotage, sur une cohérence également avec la démarche budgétaire.

Citer ce document / Cite this document :

Demeestère René. Que peut-on attendre d'une comptabilité de gestion dans le secteur public ?. In: Politiques et management
public, vol. 18, n° 4, 2000. Numéro spécial - "Le management public et la mesure : des lettres aux chiffres" pp. 19-46;

doi : https://doi.org/10.3406/pomap.2000.2644

https://www.persee.fr/doc/pomap_0758-1726_2000_num_18_4_2644

Fichier pdf généré le 22/04/2018


QUE PEUT-ON ATTENDRE D'UNE COMPTABILITÉ DE GESTION
DANS LE SECTEUR PUBLIC ?

René DEMEESTÈRE'

Résumé La comptabilité de gestion est une modélisation économique ; comme pour tout
modèle, son usage implique un certain nombre de précautions ; de plus sa mise en
œuvre efficace repose sur une analyse précise des besoins d'information à remplir,
sur une bonne adaptation aux choix d'organisation du pilotage, sur une cohérence
également avec la démarche budgétaire.

* ESSEC.

Revue POLITIQUES ET MANAGEMENT PUBLIC, Volume 18, n° 4, décembre 2000.


© Institut de Management Public - 2000.
20 RenéDEMEESTERE

De nombreux pays conduisent des réformes de leurs systèmes budgétaires et


comptables publics ; c'est le cas de la Nouvelle-Zélande avec le "Public Finance Act',
des Etats-Unis avec les "Chief Financial Officers" et "Government Performance and
Results Acts', du Royaume-Uni, de la Suède, des Pays-Bas...

Ces réformes comportent des volets multiples mais accordent généralement une
place importante à la comptabilité de gestion (Geiger et Ittner, 1996 ; Budget et
Comptabilité Publique, 1998).

En France, le sujet de la comptabilité de gestion dans le secteur public reste peu


débattu. Cela ne veut pas dire que rien ne se fait dans ce domaine, on peut au
contraire citer de nombreux exemples de réalisations de nouveaux systèmes de
gestion dans les entreprises publiques, les hôpitaux, les universités, les arsenaux, les
collectivités locales, certaines administrations... en notant toutefois que ces entités
sont plus souvent situées à la périphérie qu'au cœur du secteur public.

Mais le sujet demeure une affaire de spécialistes, comme si les instruments de la


gestion économique des administrations n'étaient qu'une affaire d'experts censés
fournir "la solution' à des "utilisateurs" n'ayant pas besoin d'être au fait de questions
un peu ésotériques. Nous pensons, au contraire, qu'il y a dans ce domaine de
véritables responsabilités de maîtrise d'ouvrage à exercer par les dirigeants du
secteur public, en s'appuyant sur les indispensables expertises spécialisées. Le retour
d'expérience sur ce qui se fait, la réflexion et l'échange sur ce qui pourrait se faire sont
nécessaires et devraient être développés.

Cet article va, dans une première partie, faire le point sur la définition de la
comptabilité de gestion, revenir sur le fait qu'elle est une modélisation économique et
en tirer différentes conséquences en matière de précautions à prendre dans son
utilisation.

Dans une deuxième partie, il abordera les choix de conception d'une comptabilité de
gestion, en examinant successivement les finalités poursuivies (une comptabilité de
gestion pour quoi faire ?), les démarches de management dans lesquelles elle vient
s'insérer (quelle cohérence entre organisation du pilotage et comptabilité de
gestion ?), et les modèles économiques sur lesquels elle s'appuie (quels flux mesurés,
quel modèle de coût ?...).

Notre propos s'appuiera constamment sur différents exemples provenant de


recherches ou de missions d'expertise menées auprès d'entreprises publiques,
d'établissements publics, d'administrations centrales et de collectivités locales.
Que peut-on attendre d'une comptabilité de gestion dans le secteur public ? 21

La comptabilité de Une définition


gestion comme
modélisation
économique d'une Le Conseil national de la Comptabilité (CNC) définit la comptabilité de gestion comme
organisation étant : "un outil permanent d'information permettant la mesure des performances et
l'aide à la prise de décision... (elle) fournit une modélisation économique afin de
satisfaire des objectifs de mesure des performances et d'aide à la prise de décision"
(CNC, 1996).

La comptabilité de gestion est une partie du système d'information de gestion de


l'organisation ; elle se distingue de ses autres composantes par son caractère
comptable : existence de pièces justificatives, pratique d'enregistrements réguliers et
exhaustifs dans des journaux, grand livre, balance... selon un ensemble de normes
d'évaluation et d'imputation à des comptes (référentiel), existence d'une piste d'audit,
organisation des contrôles selon un dispositif bouclé, restitutions périodiques d'états
de synthèse... ; elle se distingue des autres composantes du système comptable par
son caractère interne : là où la comptabilité "externe" (la comptabilité générale dans
une entreprise) est construite pour rendre des comptes selon des formats préétablis,
informer des partenaires selon des règles qui s'imposent à elle, la comptabilité de
gestion est un outil interne organisé selon les besoins de pilotage des gestionnaires ;
c'est une comptabilité qui sert à la gestion ; elle doit donc en priorité être pertinente
sur le plan économique et adaptée à la façon dont l'organisation est pilotée.

Appliquée aux organisations publiques, elle amène à bien distinguer (au moins au
niveau des restitutions) ce qui est compte rendu à des associés, des assemblées
délibérantes, des tiers, des organismes de tutelle selon des normes légales,
réglementaires ou fixées par ces interlocuteurs (et qui peuvent dans certains cas
inclure des calculs de coûts) et les informations de gestion à usage interne établies
selon des formats définis librement par les responsables pour leurs propres besoins
de management. Bien entendu, cette différence dans les restitutions n'exclut pas, bien
au contraire, qu'au niveau de l'élaboration de ces informations on s'appuie le plus
possible sur des données communes saisies une seule fois et donnant lieu à des
traitements différenciés selon les restitutions souhaitées.

Cette définition de la comptabilité de gestion conduit à distinguer plusieurs types de


calculs de coûts :

- les calculs à caractère extra-comptable (exemple : l'étude des coûts de


fonctionnement prévisionnel d'un équipement),
- les calculs effectués en comptabilité de gestion (exemples : le coût de revient d'une
prestation, le compte de résultat d'un domaine d'activité...),
- les calculs effectués pour un compte rendu externe selon un format normalisé
(exemple : contrats prévoyant une justification des coûts, par exemple pour une
prestation ayant bénéficié de financements publics).

Si les premiers peuvent avoir le mérite d'une certaine souplesse et adaptabilité à des
circonstances changeantes, les seconds ont le mérite majeur de fournir une
22 RenéDEMEESTERE

information établie selon des règles connues, uniformes et rigoureusement appliquées


et donc de fournir un langage commun fiable aux différents interlocuteurs concernés
par le pilotage de l'organisation.

Le but visé est qu'avec eux on discute de la gestion en s'appuyant sur les chiffres,
plutôt que de se contenter de discuter des chiffres (chaque interlocuteur ayant les
siens).

Il n'en reste pas moins que la comptabilité de gestion est une modélisation. Cela va
nous amener à préciser ce que l'on entend d'une façon générale par modèle, à
considérer ies différents rôles possibles d'un modèle et à rappeler quelques
précautions à prendre dans les démarches de modélisation.

La notion de modèle

Une organisation entretient avec son environnement de multiples relations ; nous


dirons qu'une organisation et son environnement forment un système.

Définition : un modèle est une représentation d'un système qui en met en évidence
certaines caractéristiques (Walliser, 1977).

Un modèle peut s'exprimer sous forme verbale, graphique ou mathématique ; il n'est


par définition ni parfait (en ce sens que certaines caractéristiques du modèle ne se
retrouvent pas dans le système) ni complet (certaines caractéristiques du système ne
sont pas mises en évidence par le modèle).

Exemple : dans une carte du monde selon la projection de Mercator, la représentation


n'est pas parfaite : la distance entre deux points proches du pôle Nord est déformée
de façon considérable sur la carte ; la représentation n'est pas complète : par
exemple, la notion d'altitude d'un point n'est pas représentée ; la carte n'en reste pas
moins un instrument pouvant être utilisé à différentes fins.

Il existe généralement de multiples modèles d'un même système et la construction


d'un modèle repose sur des choix faits par le modélisateur, établis en tenant compte
des usages attendus du modèle en question.

Exemple : pour représenter sur un plan le globe terrestre, différentes méthodes


peuvent être utilisées ; celles-ci ont des propriétés différentes en termes de
conservation des distances, des angles, des surfaces et représentent d'une façon plus
ou moins fidèle telle ou telle partie du globe ; on peut par exemple préférer utiliser une
projection stéréographique (qui donne une image en forme de cercle) plutôt qu'une
projection de Mercator (qui donne une image en forme de rectangle), surtout si l'on
souhaite se déplacer au pôle Nord.
Que peut-on attendre d'une comptabilité de gestion dans le secteur public ? 23

Ces choix sont cependant limités par de multiples facteurs : les traditions
professionnelles, l'inscription des modèles dans les rapports sociaux et les enjeux liés
à ces choix.

Les relations entre modèle et action sont complexes : d'une part l'action permet de
découvrir des faits qui peuvent contribuer à élaborer le modèle ou à le remettre en
cause, d'autre part le modèle structure les perceptions, oriente les analyses vers tel
ou tel type de question et donc contribue à guider l'action ; selon les choix effectués,
telle ou telle caractéristique du système représenté est rendue perceptible ou, au
contraire, n'est pas mise en évidence et peut alors plus facilement être négligée. En
ce sens, il apparaît clairement que le choix de la modélisation retenue dépend des
questions que l'on se pose et contribue également à orienter la recherche de solutions
dans certaines directions dépendant des caractéristiques du modèle retenu : il y a
imbrication de la modélisation et de l'action.

Le rôle des modèles

Pourquoi a-t-on recours à des modèles ? A priori, les raisons de le faire sont multiples.
Walliser (1977) distingue quatre fonctions principales possibles d'un modèle : une
fonction cognitive (il aide à comprendre le fonctionnement du système représenté),
une fonction prévisionnelle (il aide à prévoir l'évolution de certaines variables en
fonction de l'évolution probable d'autres variables), une fonction décisionnelle (il
permet de savoir comment fixer certaines variables pour atteindre des objectifs,
compte tenu d'évolutions probables d'autres variables), une fonction normative (il
représente des relations souhaitables entre variables) ; à ces fonctions principales
peuvent également être associées d'autres fonctions : une fonction pédagogique (il
aide à présenter de façon simple des phénomènes complexes), une fonction de
recherche (il aide à explorer un domaine), une fonction de concertation (il aide à
structurer des échanges ou une confrontation entre des propositions d'actions), une
fonction idéologique (il sert de référence à un discours de propagande).

Exemples :

- le compte de résultat d'une entreprise publique est un modèle cognitif; il est établi
à partir d'un recensement des événements comptables, d'une interprétation de
ceux-ci et d'un classement en termes de charges et de produits pour calculer un
résultat ; il permet donc d'appréhender ce résultat et de mieux comprendre sa
formation, les éléments qui en sont à l'origine,

• le même compte de résultat établi de façon prévisionnelle est un modèle


prévisionnel ; il peut devenir normatif s'il comporte des objectifs à atteindre et des
engagements vis à vis de ces objectifs (budget) ; dans les deux cas, il comporte
des hypothèses d'évolution et de non évolution de certains éléments de la période
passée dans le futur,
24 RenéDEMEESTERE

■ une étude d'impact d'un projet d'équipement fait partie des modèles décisionnels :
elle avance la possibilité d'obtenir certains résultats sous différentes hypothèses
(prévisions de certaines variables, conservation de certaines relations), si le
responsable prend la décision proposée,

■ un calcul de coût de revient est un modèle cognitif: il représente des relations


existant entre des ressources consommées et des réalisations effectuées (des
produits) ; il permet non seulement de connaître ce coût mais aussi sa composition
en différents éléments ; il peut donc aussi servir de support à un processus
d'amélioration, de recherche de solutions permettant une meilleure maîtrise des
coûts.

Cette fonction de recherche, d'apprentissage organisationnel est essentielle et de


nombreux travaux de recherche (Argyris, Senge...) lui accordent une importance
croissante : Moisdon (1997) distingue dans les rôles joués par les outils de gestion,
les rôles de conformation d'une part et les rôles de connaissance d'autre part ; dans
ce dernier rôle, les outils sont un vecteur d'apprentissage, facilitant l'investigation des
fonctionnements organisationnels, accompagnant les mutations ou aidant à explorer
de nouveaux domaines ; Lorino (1995) distingue les fonctions de coordination
remplies par des représentations partagées, des fonctions de diagnostic (identification
et résolution de problèmes) et des fonctions de conservation/transmission de
l'expérience et de support du changement (équilibration) ; les modèles ont aussi une
fonction de mémorisation et une fonction de communication, mais leur fonction
majeure est une fonction de recherche : faciliter les diagnostics, aider à connaître les
marges de manœuvre (Tanguy, 1991).

De fait, les modèles remplissent des fonctions multiples. Celles-ci sont largement
dépendantes du contexte organisationnel concret dans lequel ils fonctionnent et de la
façon dont les différents acteurs se sont plus ou moins emparés de ces outils pour les
utiliser selon leur point de vue propre. Ainsi, par exemple, une simulation budgétaire
peut être outil de recherche des marges de manœuvre et de coordination entre les
différentes fonctions parties prenantes à l'élaboration de ce budget, pour devenir
ensuite outil de conformation lorsqu'il s'agit de conclure la négociation avec les
dirigeants sous forme d'un contrat d'objectifs à respecter.

L'existence de rôles multiples joués par un même outil est évidemment générateur
d'interactions entre ces différents rôles : cela devra être pris en compte dans l'analyse
du fonctionnement organisationnel de ces modèles.

Les précautions à prendre dans l'usage des modèles

Le bon usage des démarches de modélisation nécessite que soient prises un certain
nombre de précautions que nous allons maintenant examiner.
Que peut-on attendre d'une comptabilité de gestion dans le secteur public ? 25

— Eviter d'isoler les modèles de leur contexte d'utilisation

Dans le domaine de l'analyse des coûts et des résultats (et plus généralement en
gestion), les modèles sont fortement ancrés dans le fonctionnement organisationnel :
nourris d'informations fournies par certains acteurs, ils sont porteurs d'enjeux pour de
multiples acteurs (en particulier celui d'apprécier l'excellence des résultats de leur
gestion, ou encore celui de servir de base à la future allocation des ressources... ), ce
qui a nécessairement une influence sur le rôle qu'ils jouent. De plus, les modèles sont
souvent indissociables d'un certain nombre d'hypothèses plus ou moins implicites sur
le fonctionnement organisationnel (Moisdon, 1997) ; leur mise en œuvre effective
dans un contexte précis dépend de l'adéquation entre les hypothèses du modèle et
les caractéristiques particulières du milieu organisationnel en question.

Exemples :

■ la DPO et le modèle anglo-saxon du contrat

Dans une comparaison entre trois établissements de production d'un même groupe
industriel situés dans des pays différents (France, Hollande, USA), Ph. d'Iribame
montre l'influence des cultures locales sur les modes de fonctionnement
organisationnels : le modèle de la DPO, avec sa logique de contrat, est bien ancré
dans la culture marchande anglo-saxonne alors qu'il fait l'objet de beaucoup de
réticences dans le contexte français, plus sensible aux traditions de métiers et habitué
aux arrangements informels.

- la gestion par centres de responsabilité

Lorsqu'une organisation traditionnellement centralisée envisage de mettre en place


une gestion budgétaire par centres de responsabilité, une des questions qui se pose
est celle de la façon selon laquelle on enregistrera dans les comptes du centre de
responsabilité les frais de personnel du service correspondant : frais réels ou frais
standards, frais standards personnalisés ou calculés selon des taux moyens par
catégorie de personnel... ? Chaque possibilité renvoie à un rôle différent joué par le
responsable du centre dans la gestion de son personnel. Derrière la question
technique apparaît la question organisationnelle des rôles respectifs joués par les
services opérationnels et le service du personnel (ou la direction) dans les différentes
décisions de gestion des personnes.

— Eviter de confondre le modèle et la "réalité".

Il peut parfois y avoir confusion dans certains esprits entre le modèle et la "réalité" ;
ainsi, par exemple, on entend dire que la comptabilité générale donne des
informations objectives, qu'elle reflète la réalité économique, que l'analyse par nature
est naturelle, que l'image qu'elle donne est fidèle ; de tels propos, non dénués
d'ambiguïté, peuvent être mal interprétés : un esprit peu averti peut en déduire que la
comptabilité générale est la réalité économique, qu'il n'y a pas de modèle
26 RenéDEMEESTERE

intermédiaire entre les événements économiques et l'image qui en est donnée, que
celle-ci est un pur reflet exact et objectif de ceux-là ; ce serait oublier la part de
conventions et d'hypothèses inhérente à tout modèle et qu'il est utile de connaître
pour en interpréter correctement les résultats.

Exemples :

- les conventions de séparation des flux entre exploitation/investissement, de


rattachement des produits à la période, ou encore d'évaluation au coût historique
qui sont des fondements du modèle de la comptabilité générale,

- le fait que l'application aux mêmes données élémentaires des normes comptables
de deux pays différents conduit à des comptes qui peuvent être sensiblement
différents,

- le fait qu'un événement ne peut être identifié que par référence à un modèle ; ainsi
la définition de la Commission Informatique et Comptabilité du C.N.C. : 'un
événement comptable correspond à un fait ayant une influence sur le patrimoine, la
situation financière ou le résultat de l'entreprise'.

Une telle confusion peut aller de pair avec des positions dogmatiques : le modèle est
infaillible car il est la réalité ; à cet égard, il nous semble d'ailleurs que la notion
d'image fidèle ne doit pas être interprétée comme un appel à une identification
impossible entre représentation comptable et "réalité" ; il s'agit plutôt d'un emprunt à la
tradition anglo-saxonne qui fait appel au jugement professionnel du comptable ; celui-
ci, face à des situations exceptionnelles, sait interpréter les règles en s'appuyant sur
des principes (ou sait choisir parmi plusieurs règles possibles celle qui convient le
mieux à la situation) lorsque celles-ci conduisent, dans des cas particuliers, à une
représentation manifestement inacceptable de la réalité ; ce qui est à l'évidence très
différent (pour une discussion à ce sujet voir Pasqualini, 1992 ; Colasse, 1997).

Rappelons, s'il était besoin de justifier un tel point de vue, que tout système de règles,
aussi perfectionné soit-il, est toujours incomplet et ne suffit pas à spécifier les détails
de l'action qui s'appuie toujours, dans une certaine mesure, sur une appréciation de
leur pertinence cas par cas (voir les travaux des ethnométhodologues Garfinkel, 1967
et ceux de l'économie des conventions Eymard-Duvernay et Marchai, 1994).

En somme, il y a à la fois interprétation de la réalité par le modèle et interprétation du


modèle lors de sa mise en œuvre.

De la même façon l'appel à la vérité des coûts n'est pas dénué d'ambiguïtés ; nous en
prendrons pour exemple l'argumentation utilisée par C. Riveline dans son cours
d'analyse des coûts intitulé "le coût d'un bien n'existe pas" : conçu comme une critique
des coûts de revient, le texte montre fort justement les différentes conventions
qu'implique un tel calcul, pour ensuite préconiser un autre type de modélisation
orienté sur la prise de décision et l'évaluation des "dépenses effectives" ; en fait, il est
aisé de montrer (Le Lous, 1980) que cette autre modélisation repose également sur
Que peut-on attendre d'une comptabilité de gestion dans le secteur public ? 27

des conventions, ce qui n'en réduit d'ailleurs nullement l'intérêt ; simplement, il est
illusoire de prétendre se passer de conventions dans une modélisation ou d'énoncer
que certaines sont 'vraies* et d'autres pas ; la question importante nous semble plutôt
être celle de la pertinence d'une modélisation pour un usage bien précis, dans un
contexte donné ; à cet égard, la croyance en la "vérité des coûts" peut d'ailleurs avoir
un effet pervers, qui est de conduire à une complexification croissante des
comptabilités analytiques, censée conduire vers une connaissance objective des
coûts "exacts* ; il faut à un moment donné arbitrer entre perte de simplicité et
accroissement de pertinence : le modèle est une représentation de la réalité qui,
comme toute représentation, interprète celle-ci.

Si l'on reprend l'analogie entre modèle et carte : une carte routière (Michelin) n'est pas
plus "vraie" ou "fausse" qu'une carte d'Etat-major ou qu'une carte marine ; simplement
chacune convient à certains types d'usages et plus mal à d'autres ; certains usages
requièrent une plus grande précision, ou la représentation d'aspects (la profondeur
dans une carte marine) qui sont négligés pour d'autres usages, d'autres types
d'actions.

— Eviter la confusion entre modèle et gestion 'mécanique'

Une gestion qui se voulait scientifique a beaucoup mis l'accent sur les modèles de
décision ; cela a pu conduire à développer des raisonnements mécaniques, une
approche "balistique" de la gestion (pour une discussion de cela voir Mintzberg, 1979 ;
Stout, 1980 ; Padioleau, 1981 ; Lorino, 1989 ; Moisdon, 1997) ; la notion de modèle,
fort utilisée dans cette approche, ne doit pas pour autant y être associée ; en effet, le
recours à la modélisation n'implique absolument pas que l'on adopte les postulats de
la 'gestion mécanique" ; Lorino le montre clairement en opposant le paradigme du
contrôle à celui du pilotage.

Dans l'optique du contrôle, le concepteur de modèle cherche à la fois à décrire le


fonctionnement organisationnel, à prévoir, à identifier les décisions optimales, à
prescrire les règles de comportement à exécuter... et tout cela à l'aide d'un même
modèle. Point n'est besoin de souligner les multiples hypothèses sur lesquelles
reposent une telle démarche : simplicité, stabilité, prévisibilité ou maîtrise des facteurs
pesant sur le résultat, unicité des points de vue en présence :

1/ simplicité de la situation pour qu'elle puisse être mode Usée, en représentant en


particulier l'ensemble des facteurs pouvant peser sur le résultat attendu,
2/ stabilité de la situation pour que les relations dégagées puisse être utilisées à titre
prédictif,
3/ prévisibilité des variables d'environnement et maîtrise des variables de commande
de façon à ce que l'on puisse, avec une certaine vraisemblance, s'attendre à obtenir le
résultat visé,
4/ unicité des points de vue : un décideur unique décide et les autres suivent ; le
contrôle consiste à mesurer les résultats et à s'assurer qu'ils sont conformes aux
objectifs initiaux.
28 RenéDEMEESTERE

A l'opposé, le paradigme du pilotage prend actes de plusieurs phénomènes :

1/ la complexité de multiples situations qui fait que les gestionnaires ont rarement à
résoudre des problèmes bien structurés, en disposant de l'information voulue ; ils ont
plus souvent un travail de reformulation, d'établissement d'une problématique
pertinente pour aborder une situation spécifique, en situation d'information imparfaite,

2/ l'instabilité croissante des situations qui rend les prévisions plus aléatoires,

3/ la multiplicité des acteurs en présence, ayant chacun leur point de vue et détenant
une partie de l'information (autonomie cognitive et politique),

4/ l'ambiguïté de la mesure : un résultat peut être le produit de multiples facteurs ; il ne


suffit pas de le constater, il faut encore l'interpréter, c'est à dire en comprendre les
causes pour avancer dans l'intelligence de la situation ; plusieurs modèles
d'interprétation sont généralement disponibles.

Dans un telle perspective le rôle des modèles se déplace : plutôt que d'être des outils
de contrôle externe fournissant des normes censées être issues d'une optimisation
décisionnelle, ils deviennent des outils de conduite interne, d'aide à la formulation de
diagnostics (identifier la nature et l'origine de certains problèmes rencontrés),
d'organisation des interactions entre responsables ayant entre eux des liens de
dépendance (parce que tous, par exemple, contribuent à la réalisation d'une même
production).

Exemple : on peut utiliser les coûts de revient dans une logique de contrôle ; c'est ce
qui se passe dans de nombreux systèmes ayant recours aux coûts standards, le
contrôle des écarts servant essentiellement à s'assurer de ce que les normes sont
respectées. On peut également les utiliser dans une logique de pilotage, il s'agit alors
de bien expliciter les composantes de coût, les facteurs qui en sont à l'origine et de
mener un diagnostic collectif sur les actions possibles pour mieux maîtriser ces coûts.
Dans cette démarche, le calcul de coût de revient est un élément précieux qui vient
renforcer les différents savoir et savoir-faire des responsables concernés, attirer leur
attention sur certains points plus que leur dicter des solutions.

De la même façon, les neuf études de cas effectuées par le Centre de Gestion
Scientifique de l'école des Mines de Paris (Moisdon, 1997) étayent solidement la
thèse selon laquelle, au delà de leur rôle de conformation, les instruments de gestion
jouent un rôle d'apprentissage organisationnel.

C'est ce que montre également Tanguy (1992) en s'appuyant sur différents exemples
de modèles de planification utilisés dans des entreprises comme supports logiques et
quantifiés à des argumentations : l'établissement de diverses simulations fournit une
base de discussion et aboutit à un réaménagement coordonné des prévisions initiales,
facilité par la prise de conscience des interdépendances entre variables d'action des
uns et des autres ; les travaux de Simons mettent également l'accent sur l'utilisation
Que peut-on attendre d'une comptabilité de gestion dans le secteur public ? 29

interactive des systèmes de suivi de gestion et sur leur rôle en matière


d'apprentissage organisationnel (pour une revue de littérature Van der Stede, 1994).

On pourrait évidemment soutenir l'argument selon lequel le passage du contrôle au


pilotage, de la conformation à l'apprentissage est non seulement observé mais aussi
appelé de leurs vœux par ceux qui le pressentent. Il n'en reste pas moins que de
nombreux cas montrent que les modèles ne sont pas utilisés uniquement à des fins de
contrôle.

— Ni vrais coûts, ni faux coûts : la question de l'influence sur les comportements

Si les modèles ne sont pas la réalité, faut-il, en sens inverse, accepter qu'ils en
fournissent une représentation biaisée et en conclure qu'ils ne sont que des
instruments destinés à influencer les comportements ?

La question se pose dans le domaine de l'analyse des coûts et des résultats ; en effet,
chez un bon nombre de classiques américains du contrôle de gestion, les références
behavioristes sont présentes : Homgren insiste sur la prise en compte de l'influence
de l'information sur les comportements des acteurs, Anthony évoque le fait que "ce
sont des êtres humains (sic) qui utilisent des chiffres* (Bouquin, 1997). Décrit comme
processus d'influence, d'action sur les comportements, voire même de recherche de
convergence des buts (ce qui, on l'avouera, peut dans certains cas être un assez
vaste
"behavioriste"
programme),
de ses origines
le contrôle
(celle-ci,
de gestion
personnifiée
gardepardes
un auteur
traces comme
de la psychologie
Skinner, est
fondamentalement une psychologie de type stimulus-réponse, traitant ses
interlocuteurs comme des objets ou des animaux domestiques : carotte si le résultat
est jugé bon, bâton s'il est considéré comme mauvais).

Les appels à "orienter les comportements' sont donc en fait très ambigus ; d'un côté,
ils peuvent sembler aller de soi : assez naturellement, tout responsable dans une
organisation a un rôle de direction de ses collaborateurs et, d'autre part, toute collecte
d'information vise à avoir un impact (sinon on pourrait s'interroger sur sa raison
d'être) ; enfin, chacun sait que la diffusion d'informations n'est pas neutre, surtout s'il
s'agit d'informations portant sur des points sensibles du fonctionnement
organisationnel ; d'un autre côté, certaines formulations font du calcul de coût un
simple stimulus destiné à déclencher une réponse en termes de comportement.

Exemple : 'une unité ... utilise, pour imputer ses coûts de structure, le nombre de
composants des modèles ainsi que la proportion de composants non standards... ce
système d'allocation de coûts fournit une réponse satisfaisante à la réduction du
nombre de composants et au recours aux composants standards... logique de
primauté de la volonté sur la vérité' (Bourguignon, 1993).

En exagérant un peu le propos, on en viendrait à dire : puisque la "vérité des coûts'


n'existe pas et que les calculs comportent une part de conventions, tout est permis si
cela permet d'obtenir le résultat visé, donc vive les imputations 'politiques' et l'on en
30 RenéDEMEESTERE

vient à prôner de fait l'usage idéologique des modèles ; une telle attitude, discutable
au niveau des principes, présente plusieurs inconvénients quant à ses conséquences
possibles à terme : "l'objet" de la modélisation qui est en fait un sujet risque de se
sentir manipulé, donc de considérer qu'il aurait tort de ne pas utiliser les mêmes
procédés, ce qui peut conduire à une perte de confiance respective.

En fait, une telle attitude n'est qu'une variante du paradigme du contrôle dont le
manque de pragmatisme et les inconvénients pratiques ont été évoqués
précédemment : l'objet est toujours le même (contrôler plus que manager), les
méthodes sont un peu différentes (plus d'idéologie et de manipulation, moins de
technique), les postulats restent les mêmes (un sujet central sachant précisément
quelles directions impulser entouré d'exécutants qu'il doit soigneusement contrôler, et
sachant pour cela maîtriser sciemment les informations).

En ce sens, la distinction que fait Bouquin (1997) entre les deux buts de la
comptabilité de gestion, connaissance objective des coûts d'une part et orientation
des comportements d'autre part, nous pose problème ; pour nous, elle désignerait
plutôt deux écueils possibles des démarches de modélisation : recueil de l'impossible
recherche de la "vérité des coûts" et l'écueil opposé de la manipulation de
l'information. La question n'est pas de savoir si les coûts fournis par un modèle sont
vrais ou faux, ils ne sont ni l'un ni l'autre. La question est plutôt de savoir si les
caractéristiques du modèle sont bien adaptées à l'usage que l'on entend faire de ses
résultats.

Exemple : pour avancer dans la recherche de maîtrise des coûts d'une prestation, une
modélisation assez fine, retraçant les coûts des différentes activités du processus de
réalisation de cette prestation, est généralement nécessaire, de. façon à pouvoir
remonter dans la démarche de diagnostic aux sources opérationnelles des différents
coûts encourus pour réaliser la prestation en question.

Par contre, pour valoriser un stock de travaux en cours dans un centre de recherches
et d'études où le niveau des stocks est faible et peu fluctuant, une évaluation
grossière du coût de production est suffisante, compte tenu du fait que l'enjeu
correspondant ne justifie pas de consacrer à cela des moyens importants.

En un sens, au lieu de rechercher un modèle "vérité" qui précède l'action et prétend la


conduire, ou de rechercher un modèle "influence" qui suive l'action et prétend la faire
exécuter (ce qui dans les deux cas revient à se mettre en position extérieure à
l'action), il s'agit d'utiliser les modèles en tant que supports d'action collective,
étroitement imbriqués dans celle-ci.

Les modèles présentent l'intérêt majeur de donner des représentations simples et de


préférence partagées de réalités complexes. Cela permet de les utiliser en tant que
support à des ajustements entre acteurs interdépendants et concernés par la gestion
d'un même problème. Mais ils ne jouent bien ce rôle que s'il sont appropriés par les
acteurs, que si le modèle est perçu comme légitime pour l'usage que l'on entend en
faire. Ceci implique qu'il y ait accord des parties intéressées sur le fait que la
Que peut-on attendre d'une comptabilité de gestion dans le secteur public ? 31

représentation ainsi fournie de la réalité est acceptable. En même temps, pour le bon
usage de ces modèles, il convient que les acteurs sachent garder un œil critique sur
les chiffres avancés, de façon à en connaître les limites d'interprétation et à savoir si
nécessaire améliorer le modèle.

Cela nous renvoie donc à la question centrale de la conception d'une comptabilité de


gestion.

La construction La conception d'une comptabilité de gestion a de multiples volets. Elle comporte à la


d'une comptabilité fois des aspects manageriaux (organisation du pilotage, règles de gestion, acteurs
de gestion concernés...), comptables (méthodes et procédures...), informatiques (outils...).

Pour analyser les pratiques dans ce domaine, nous centrerons la réflexion sur trois
points principaux, que nous examinerons successivement :

- les finalités poursuivies : pourquoi mettre en place une comptabilité de gestion ?


Quelles sont les attentes des différentes parties concernées ?

- l'organisation de la comptabilité de gestion : quels axes d'analyse retenir ? Quelle


cohérence assurer entre découpages de la comptabilité de gestion et modes
d'organisation du pilotage ?

- le modèle économique retenu : quelles grandeurs mesurer (coûts, flux,


patrimoine...) ? Quelle cohérence assurer avec les enjeux de gestion et de
financement de l'organisation ?

Les finalités poursuivies : pourquoi mettre en place


une comptabilité de gestion ?

Au delà d'une première évidence trop simple, consistant à dire que la comptabilité de
gestion a pour but de connaître les coûts, la véritable question qui se pose souvent est
de savoir précisément pourquoi on veut calculer des coûts, quel usage on veut faire
de ces analyses ?

En effet, les utilisations de la comptabilité de gestion ne se limitent pas au seul calcul


des coûts de revient des produits (domaine traditionnel de la comptabilité analytique),
elles incluent également de multiples autres analyses établies selon les besoins des
responsables de l'organisation : analyse des charges par unités ou par activités,
analyses des produits réalisés par type de prestation rendue, analyse d'ensemble de
l'équilibre économique de l'organisation...

Chacun de ses usages peut nécessiter une méthodologie qui lui soit propre.
32 RenéDEMEESTERE

- Les finalités générales

Dans la littérature sur la comptabilité de gestion, on rencontre différentes


classifications des usages possibles de ces informations.

Simon distingue trois types d'utilisations de l'information de gestion, selon qu'il s'agit
de répondre à des "score-card questions' (besoin de constat des résultats obtenus), à
des "attention-directing questions" (besoin de diagnostic, de repérage des points à
examiner de façon plus approfondie) ou à des "problem-solving questions" (besoin de
recherche de solutions, d'aide à la décision).

Plus spécifiquement, Clark (1923) retient dix fonctions possibles pour la comptabilité
de gestion :

1/ Aider à déterminer un prix normal ou satisfaisant pour les biens vendus ;


2/ Aider à fixer la limite de toute baisse de prix ;
3/ Déterminer quels sont les produits les plus profitables et quels sont ceux qui créent
un déficit ;
4/ Contrôler les stocks ;
5/ Définir la valeur des stocks ;
6/ Tester l'efficience des différents processus ;
7/ Tester l'efficience des différents départements ;
8/ Détecter les pertes, les gaspillages et les chapardages ;
9/ Séparer le coût de la sous activité du coût productif ;
10/ Assurer la cohérence avec les comptes financiers.

Pour le Plan Comptable Général 1982, la comptabilité analytique d'exploitation a pour


objectifs de :

'- connaître les coûts des différentes fonctions assumées par l'entreprise,
• déterminer les bases d'évaluation de certains éléments du bilan de l'entreprise,
- expliquer les résultats en calculant les coûts des produits (biens et services) pour
les comparer aux prix de vente correspondants,
- établir des prévisions de charges et de produits d'exploitation (coûts préétablis et
budgets d'exploitation, par exemple),
- en constater la réalisation et expliquer les écarts qui en résultent (contrôle des
coûts et des budgets, par exemple) ;

D'une manière générale, elle doit fournir tous les éléments de nature à éclairer les
prises de décision."

— Les finalités dans les organisations publiques

Au delà de ces considérations générales, quelles sont les raisons spécifiques qui ont
pu amener des organisations publiques à mettre en œuvre une comptabilité de
gestion?
Que peut-on attendre d'une comptabilité de gestion dans le secteur public ? 33

Différentes recherches se sont interrogées sur les déterminants des pratiques dans ce
domaine ; certaines montrent que des systèmes mis en place pour satisfaire des
obligations légales ou réglementaires sont peu utilisés à des fins de prise de décisions
internes et de contrôle de gestion ; une hypothèse est également avancée selon
laquelle la plupart des comptabilités de gestion dans le secteur public sont établies
pour satisfaire à des obligations et pour légitimer vis à vis de partenaires externes les
activités de l'organisation et le sérieux de sa gestion (Berry et al., 1985 ; Covaleski et
ai., 1985 ; Ansari et Euske, 1987 ; Covalevski et Dirsmith, 1991 ; Lapsley, 1994).

D'autres auteurs considèrent que le facteur déterminant est l'origine des fonds :
lorsque une organisation publique doit rechercher elle-même son financement, elle est
incitée à mettre en œuvre une analyse des coûts pour fixer ses prix, contrôler ses
coûts et assurer un pilotage économique (Geiger, 1993, 1995 ; Geiger et Ittner, 1996).

Là dessus, que conclure ?

Si l'on regarde, de façon pragmatique, un certain nombre de cas concrets


d'organisations publiques, en France, il apparaît que les usages possibles de l'analyse
des coûts sont a priori très nombreux.

On calcule des coûts pour :

- valoriser des stocks de travaux en-cours et calculer le résultat de l'organisation,

Exemples : les projets en cours et le résultat des activités industrielles de l'Etat


(arsenaux...), les conventions d'études en cours de réalisation dans un établissement
public de recherche,

- piloter les projets d'investissement et valoriser les immobilisations produites

Exemple : un ouvrage spécialisé réalisé par une entreprise publique pour elle-même,

■ apprécier l'équilibre économique d'un segment d'activité et plus généralement gérer


le portefeuille de "produits" ou de politiques de l'organisation publique (où va
l'argent ? Est-ce conforme aux priorités poursuivies... ?),

Exemples : les coûts et contributions des différents segments d'activités d'une


municipalités (projets, équipements, services), les coûts et contributions des
différentes politiques, secteurs, programmes et opérations d'un Conseil Général, les
marges sur projets et catégories de projets (produits, marchés...) des activités
industrielles de l'Etat,

• responsabiliser les acteurs sur les coûts et les performances de l'organisation et de


ses différentes composantes, en organisant une décentralisation des pouvoirs de
décision et un système de suivi des résultats obtenus par centres de responsabilité,
34 RenéDEMEESTERE

Exemples : les budgets par service dans un établissement hospitalier, les


programmes finalisés et les projets dans un centre de recherche, s'organisant par
programmes finalisés et projets au sein de ces programmes.

Cette clarification des rôles peut s'accompagner de "contrats" de type


objectifs/moyens et d'une réorganisation des relations entre services fonctionnels et
services opérationnels avec des "contrats" clients/fournisseurs, des prix de cession
pour les prestations rendues... ; des calculs de coût sont fréquemment utilisés pour
établir ces prix de cession,

Exemple : la gestion des bâtiments pluri-utilisateurs, en distinguant un propriétaire et


des locataires qui payent un loyer et des charges, en identifiant une maîtrise
d'ouvrage et une maîtrise d'oeuvre pour les gros travaux :

- prévoir et suivre les réalisations budgétaires avec un système comptable établi


selon les règles de ce cadre budgétaire,

- allouer des ressources à différentes entités réalisant des prestations, en se fondant


sur des calculs de coûts moyens de ces prestations,

Exemple : une allocation budgétaire dans les hôpitaux ou les universités construites à
partir de prévisions de volume d'activité pour différents groupes homogènes
d'utilisateurs et de coût de revient unitaire par participant à un groupe,

■ mesurer les coûts des différentes activités de l'organisation, de façon à apprécier le


rapport coût/prestation des activités élémentaires, ce qui peut conduire à identifier
des besoins d'améliorations (en particulier si l'on dispose d'éléments de
comparaison), à guider des choix de faire ou faire faire.

Exemples : le coût de maintenance informatique par poste, le coût de l'heure


productive des ateliers d'entretien des bâtiments.

L'identification des coûts par activité permet de bien différencier au sein des services
les coûts des différentes activités réalisées ; elle peut, à ce titre, faciliter la
détermination des objectifs (ou des enveloppes) budgétaires,

Exemple : bien distinguer dans les activités informatiques d'un centre de recherche, le
coût des développements de logiciels commercialisés et le coût des développements
d'applications internes,

- connaître les coûts d'entretien d'un certain type de matériel de façon à les prendre
en compte dans les choix ultérieurs,

Exemple : le coût d'entretien du parc de véhicules,

- gérer les interdépendances entre activités contribuant à un même objet et


appartenant à des services différents,
Que peut-aï attendre d'une comptabilité de gestion dans le secteur public ? 35

Exemples : un processus logistique de gestion du matériel mis à disposition des


clients dans une entreprise publique dont il s'agit de gérer les performances et le coût,
comprenant entre autres coût de stockage, de transport, de rupture, d'obsolescence et
de rebuts... ; un processus d'achat comprenant des activités de réalisation d'appels
d'offres, consultation, négociation, gestion du marché...

On constate donc qu'il existe en pratique de multiples calculs de coûts pouvant jouer
des rôles assez divers, y compris, dans certains cas, aucun rôle opérationnel...

Pour construire un système adapté à un contexte organisationnel précis, il est donc


fondamental que la maîtrise d'ouvrage joue effectivement son rôle, définisse
clairement ses attentes, apprécie les besoins des responsables aux différents niveaux
et s'appuie en particulier pour cela sur la façon dont l'organisation a décidé de
structurer son système de pilotage.

L'organisation de la comptabilité de gestion : quels axes d'analyse retenir ?


Quelle cohérence assurer entre les découpages de la comptabilité de gestion
et l'organisation du pilotage ?

La comptabilité de gestion et les tableaux de bord sont les outils de base du pilotage
économique des organisations (et de leurs segments d'activité, produits, projets,
centres de responsabilité...). Leur conception renvoie donc aux choix d'organisation
du pilotage.

Mais encore faut-il que l'organisation du pilotage ait été définie et qu'il y ait un
minimum de consensus à ce sujet.

Les dirigeants d'une organisation peuvent avoir organisé leur système de pilotage
dans le cadre d'un "schéma de gestion" (Demeestère, Lorino, Mottis, 1997)

Un schéma de gestion vise à répondre aux questions suivantes :

- qui pilote quoi (définition de la structure et des objets du pilotage, des axes
d'analyse de la démarche de pilotage) ?

- avec quels moyens et dans le cadre de quelles règles (définitions des délégations
de moyens, des règles de gestion et des pouvoirs de décision) ?

- avec quel horizon de prévision, quelle fixation d'objectifs, quel mode de suivi et
d'animation (définition des horizons, des rites et des rythmes de gestion) ?

- en s'appuyant sur qui (définition des rôles respectifs des responsables


opérationnels et fonctionnels, des comités de pilotage, des contrôleurs de gestion,
experts en pilotage) ?
36 RenéDEMEESTERE

II explicite le modèle de gestion de l'organisation concernée, et donc la façon dont elle


structure son pilotage.

Exemple : le schéma de gestion d'un centre de recherche prévoit une organisation en


départements correspondant à des domaines de recherche différents. Chaque
département affecte des ressources à des programmes et à des projets ; certains
projets sont transverses à plusieurs départements. Différents dispositifs de pilotage
organisent la concertation sur les orientations d'ensemble, la fixation des objectifs,
l'allocation des moyens et le suivi aux différents niveaux: projet, programme,
département, direction générale.

Mais bien souvent les schémas de gestion ne sont pas explicites et les responsables
de l'organisation n'ont pas défini clairement la façon dont ils entendent organiser le
pilotage ; dans ce contexte, l'élaboration d'une comptabilité de gestion devient
beaucoup plus délicate ; de nombreux points doivent être examinés :

- quel est le périmètre considéré pour ce système ? Comment sont organisées les
responsabilités au sein de ce périmètre et comment veut-on éventuellement les
faire évoluer ?

- quels sont les segments d'activité, les produits, prestations dont l'organisation veut
calculer le coût et l'équilibre économique afin d'en piloter les évolutions ?

- quelles sont les activités, projets et processus transverses à piloter en priorité ?

• y a-t-il d'autres dimensions d'analyse qui puisse intéresser tel ou tel responsable ?

— Le périmètre

La question de la définition du champ auquel s'intéresse la comptabilité de gestion (le


périmètre de gestion de l'organisation) est une question à la fois centrale et délicate.

Exemple : dans une Université, ne figurent pas dans le budget :

■ le patrimoine immobilier, propriété de l'Etat et quelquefois des collectivités locales,

• les charges de personnel (sauf les vacations, heures complémentaires et primes)


payées sur le budget de lEtat,

- une partie du patrimoine mobilier, comme les appareils financés par des
organismes de recherche,

• les flux liés aux associations loi de 1901.

Une analyse des coûts qui se limiterait aux seuls éléments figurant dans le budget
aurait forcément une portée extrêmement limitée.
Que peut-on attendre d'une comptabilité de gestion dans le secteur public ? 37

Le périmètre de gestion ne correspond pas nécessairement au découpage en entités


juridiques, mais doit correspondre à une responsabilité et à une maîtrise effective, par
les dirigeants 'clients" du système de pilotage, des éléments qui le composent..

Exemple : une municipalité peut décider d'inscrire certains "satellites" dans le


périmètre de sa comptabilité de gestion.

De la même façon, si ces dirigeants souhaitent développer une gestion par centres de
responsabilité, la logique de ce type de démarche conduit à ne rattacher à chaque
centre que des éléments sur lesquels le responsable de ce centre a une marge de
manœuvre effective : on ne peut être responsable que si on a des moyens d'agir.

— Les centres de responsabilité

Une comptabilité de gestion peut avoir pour objectif de promouvoir une


responsabilisation accrue des directeurs d'unités en termes de maîtrise des coûts de
leurs unités ; établir ce type de démarche, souvent qualifiée de gestion par centre de
responsabilité, implique, en particulier dans les organisations publiques, des
changements assez profonds dans leurs modes d'organisation.

Exemple : si l'on recherche dans le budget d'une ville l'ensemble des recettes et des
coûts afférents au fonctionnement d'un service (par exemple un service culturel), on
peut être amené à trouver que les recettes sont suivies au niveau de la direction
financière, que les frais de personnel du service (sauf les vacations) sont à rechercher
dans la masse des frais de personnel gérés par le service du personnel, que les frais
d'entretiens des équipements sont difficiles à isoler (les matériaux et frais externes
sont dans les frais des services techniques, les frais de personnel d'entretien étant
dans la masse des frais du service du personnel), que les dotations aux
amortissements n'existent pas... bref tout un travail de reclassement, d'évaluation, de
valorisation des prestations fournies s'impose pour passer d'une logique d'analyse par
émetteur des mouvements comptables à une logique d'analyse par affectataire des
coûts correspondants.

Etablir des centres de coûts n'est pas seulement un changement comptable c'est
aussi et surtout un changement managerial ayant de multiples implications en termes
d'organisation (et en particulier de liens entre les services opérationnels et les
services fonctionnels).

Exemple : rendre responsable un chef de service de ses frais de personnel pose la


question des pouvoirs de décision qu'il a en ce domaine, lui imputer des frais de gros
entretien pose la question des relations qu'il entretient avec les services techniques
(et peut conduire, par exemple, à l'instauration de rôles de maître d'ouvrage et de
maître d'oeuvre), de la même façon facturer des prestations ne prend un sens qu'avec
l'instauration de relations de type client/fournisseur...
38 RenéDEMEESTERE

D'une façon plus générale, la question du choix de l'organisation de la comptabilité de


gestion renvoie donc bien à la question du choix du schéma de pilotage : soit le choix
est fait d'un pilotage par centres de responsabilités et l'organisation de la comptabilité
découle (pour cet aspect) des choix d'organisation effectués en amont (en amenant
toutefois à en préciser certains points), soit il n'y a pas de choix de pilotage
décentralisé par centres de responsabilités et la prise en compte de cette dimension
dans la comptabilité de gestion n'a plus vraiment de raison d'être.

Ajoutons toutefois qu'indépendamment de toute organisation en centres de


responsabilités, un système comptable joue un rôle structurant dans l'organisation des
responsabilités, en particulier par ses dispositifs d'habilitation, de contrôle et d'accès à
l'information.

Exemple : en matière de gestion des achats de matériel informatique, on peut décider


d'identifier dans des sous-comptes différents les achats d'informatique effectués en
central et ceux effectués en local ; en prévoyant que le service central d'achat a accès
à ces informations, on construit un dispositif structurant sur le plan organisationnel.

Notons également que dans certains cas, dans un souci de prudence et de


pragmatisme, la comptabilité de gestion est parfois construite à côté du système
budgétaire et indépendamment de toute considération organisationnelle.

Exemple : la comptabilité de gestion d'une grande ville analyse les coûts par
équipement, service, projet ; sa mise en place n'a pas été accompagnée d'une mise
en place de centres de responsabilité ni d'actions tendant à repréciser les missions et
fonctions des différents responsables ; le compte de résultat d'un équipement peut
retracer des coûts liés à l'intervention de différents services; il est établi chaque
année ; il aide à formuler des diagnostic et à susciter des actions d'amélioration pour
lesquelles des moyens budgétaires peuvent être dégagés prioritairement ; le système
budgétaire demeure par ailleurs inchangé.

— La segmentation d'activités de l'organisation

Un autre choix extrêmement structurant pour une comptabilité de gestion est celui de
la façon dont l'organisation segmente son activité en différents secteurs d'activité,
produits et prestations, segments de "clientèle", zones géographiques...

Une organisation publique fournit en effet différents types de prestations à différents


publics, conduit des politiques dans différents domaines.

Exemples
'stratégiques'
: un(exemple
Département
: la solidarité)
peut analyser
eux-mêmes
sessegmentés
activités en
en politiques
grands segments
publiques
(exemple : la prévention médico-sociale) ; cette analyse peut être complétée d'une
dimension géographique.
Que peut-on attendre d'une comptabilité de gestion dans le secteur public ? 39

Une Université a des activités de recherche, de formation première et de formation


permanente ; en formation première, elle délivre différents types de diplômes
(doctorat, maîtrise...).

Une entreprise publique de chemins de fer transporte du fret selon différents modes
(train entier, wagon isolé, transport combiné...) ; ses prestations dans ce domaine
s'adressent à différents marchés (agro-alimentaire, sidérurgie...) ; elle assure
également du transport de voyageurs sur longues distances et des transports de
proximité.

Le principe de toute segmentation est de séparer en catégories différentes les objets


hétérogènes au regard de certains critères et de regrouper en une même catégorie les
objets homogènes au regard de ces mêmes critères. De ce choix dépendent les
résultats du calcul.

Exemple : le coût d'un étudiant d'une catégorie (par exemple la médecine) est une
moyenne résultant de la division du coût total de la catégorie par le nombre
d'éléments y appartenant ; on voit bien que généralement ce coût moyen change si on
augmente ou si on réduit le nombre de catégories considérées.

De plus, le calcul devient de plus en plus conventionnel lorsque l'on affine la maille
d'analyse.

Exemple : établir le compte de résultat d'une piscine municipale ne pose pas trop de
problèmes, puisqu'une grande part des coûts y figurant sont des coûts directs ; par
contre, vouloir calculer le coût du baigneur scolaire est un exercice beaucoup plus
conventionnel dont le résultat dépend essentiellement des clés de répartition
retenues, l'essentiel des coûts étant alors indirects vis à vis de cet objet de calcul.

Cette segmentation n'est pas uniquement une segmentation des différents produits et
prestations de l'organisation, elle peut aussi considérer ses différents publics, zones
d'intervention géographique... Son choix dépend de l'appréciation que l'on a des
différences d'attentes ou d'enjeux qui caractérisent différentes catégories de "clients"
(ou d'usagers, de bénéficiaires, d'ayant droit, de pétitionnaires etc.). Il dépend
également des différences existant entre processus de production et de distribution de
différents types de prestations. Il aboutit à la décision d'un pilotage différent pour
chaque segment (sans bien sur qu'il y ait nécessairement une structure d'organisation
différente) et à un suivi des coûts encourus et des "performances* réalisées par
l'organisation pour chacun d'eux.

Associer conception de l'outil et de sa démarche d'utilisation amène donc à des choix


manageriaux : comment organiser le pilotage ? Quels sont les axes de pilotage
retenus et les modalités de ce pilotage dans le temps ? Qui y est associé ? En leur
absence, les analyses de gestion correspondantes, quand elles sont effectuées,
perdent beaucoup de leur impact.
40 RenéDEMEESTERE

— Gestions transverses et autres axes d'analyse

Le pilotage peut aussi avoir une dimension transverse : pilotage des projets, des
processus et activités... Là aussi, construire une comptabilité de gestion par projets,
ou par processus et activités prend son sens dans le cadre d'une réelle volonté de
développer le pilotage correspondant, ce qui a des conséquences en termes
d'organisation (exemples : rôle des chefs de projet, articulation avec les responsables
des différents métiers techniques et les spécialistes gestion, lien entre les découpages
techniques et l'organisation des responsabilités de gestion, modalités de déclaration
des temps passés par tache ou par activité...).

Des remarques analogues peuvent être faites sur l'ensemble des axes possibles de
collecte des informations (exemple : va-t-on retenir un axe "géographique" dans la
comptabilité d'un commune ?) et la conclusion que nous en tirons est qu'une
comptabilité de gestion prend tout son sens lorsque les informations réunies
contribuent effectivement au pilotage de l'organisation et que des choix de pilotage
clairs ont été effectués, des modalités d'animation de gestion et de sanction des
résultats définies ; cela est loin d'être toujours le cas en pratique.

Le modèle économique retenu : Quelles grandeurs mesurer ?


Quelle cohérence assurer avec les enjeux de gestion
et de financement de l'organisation ?

Les organisations publiques disposent d'un système budgétaire : celui-ci est à la fois
porteur de forts enjeux et constitue une représentation économique plus pauvre que
celle de la comptabilité patrimoniale.

Comment alors sortir de ce dilemme ? Comment disposer à la fois d'une


représentation économique de qualité et adaptée aux enjeux de l'organisation ?

Nous allons examiner ces questions en considérant successivement :

• le modèle comptable patrimonial et le modèle recettes/dépenses,


• l'utilité d'avoir un modèle bouclé comptabilité générale/comptabilité de gestion,
- les modalités d'articulation budget/comptabilité générale.

— Le modèle comptable patrimonial et le modèle recettes/dépenses

Dans de nombreux pays des réformes comptables sont en cours dans le secteur
public : la tendance générale qui s'en dégage est plutôt celle d'une évolution tendant à
passer d'une comptabilité de suivi d'enveloppes budgétaires (recettes et dépenses,
investissement et fonctionnement...) à une comptabilité plus économique saisissant à
la fois des flux de trésorerie (tableau de flux) et des flux de charges et de produits
(compte de résultat), donnant également une vue de la situation patrimoniale (bilan).
Que peut-on attendre d'une comptabilité de gestion dans le secteur public ? 41

Un tel système crée des incitations assez différentes : il met l'accent sur les aspects
patrimoniaux et sur le coût d'utilisation des équipements par le biais des calculs de
dotations aux amortissements (dont la non prise en compte, ajoutée à celle des coûts
de financement, incite à l'évidence au surinvestissement) ; il met l'accent sur le poids
des engagements futurs par le biais du rattachement des charges et des produits à la
période.

Exemple : intérêts courus non échus, provisions pour risques (contrats militaires,
contrats à l'exportation, engagements de retraite, entreprises publiques...).

Il met l'accent sur une véritable appréciation de l'équilibre économique (quelle


consommation de facteurs de productions et quelles ressources obtenues sur une
même période) par un compte de résultat établi très régulièrement (tous les trimestres
ou tous les mois) ; il souligne également l'importance de la gestion du besoin en fond
de roulement (stocks, comptes de tiers) pour assurer le nécessaire équilibre de
trésorerie.

En ce sens, et quelles que soient les limites (du point de vue du raisonnement
économique) de certaines conventions retenues par le modèle comptable (exemples :
évaluation au coût historique, non prise en compte de l'ensemble des coûts de
financement des investissements...), il est clair que l'existence d'une comptabilité
générale de ce type fournit un cadre de raisonnement économique plus riche qu'une
simple comptabilité de recettes et de dépenses.

— Le bouclage comptable

De plus, une comptabilité générale patrimoniale permet une cohérence de


raisonnement et un bouclage entre comptabilité générale et comptabilité de gestion,
puisqu'elle adopte une optique de coût, de rattachement des charges et des produits à
la période à un niveau global. Ce bouclage est un point essentiel car il permet de
donner à la comptabilité de gestion les qualités d'un véritable système comptable
(fiabilité, traçabilité, contrôlabilité...) et d'en faire donc une source d'informations
fiables pour assurer un reporting de gestion et pour tout un ensemble d'autres usages.

A contrario, l'articulation entre une comptabilité générale de type recettes/dépenses et


une comptabilité de gestion mesurant des coûts est forcément plus problématique
(absence de bouclage), ce qui rend la fiabilité des chiffres plus aléatoire.

L'intérêt d'un système comptable unique pour assurer les suivis de gestion apparaît
également lorsque l'on considère les différents errements auxquels peuvent donner
lieu les multiples systèmes de suivi des engagements budgétaires propres à chaque
service d'une même organisation.
42 RenéDEMEESTERE

— L'articulation budget/comptabilité

Dans toute organisation publique les enjeux budgétaires sont majeurs : cette
préoccupation apparaît au niveau de chaque responsable (comment faire accepter
mon projet ? Obtenir une enveloppe maintenue ?), comme elle apparaît au niveau
global avec la question sempiternelle de l'équilibre budgétaire, dont chacun sait qu'elle
intervient dans de très nombreux débats.

Mais il est clair également que les budgets sont le plus souvent établis en termes de
recettes/dépenses, fonctionnement/investissement (ce qui est bien différent d'un
raisonnement en termes de coûts) ; un système comptable établi en conséquence a
alors comme rôle majeur d'assurer le suivi d'exécution du budget (une comptabilité
d'engagement vient souvent compléter ce dispositif, afin de s'assurer que les
dépenses ne dépassent pas le montant de l'enveloppe... et que celle-ci est dépensée
en totalité...).

Par contre, dans les entreprises le budget joue un tout autre rôle : c'est un plan de
résultats prévisionnels dont on suit régulièrement les réalisations ; l'accent est mis sur
l'atteinte d'objectifs explicités, l'amélioration des performances et pas seulement sur la
consommation d'enveloppes de moyens ; les questions de financements sont traitées
séparément.

Comment alors traiter cette question dans les organisations publiques, si l'on doit à la
fois tenir compte des enjeux budgétaires et essayer de promouvoir une logique de
maîtrise des coûts et des équilibres économiques, de gestion du patrimoine ?

Plusieurs solutions sont possibles :

1/ Soit l'organisation a un budget de recettes/dépenses,


fonctionnement/investissement et le cadre comptable est essentiellement un cadre de suivi du
budget.

Dans ce cas, typique de la gestion publique traditionnelle, la comptabilité de gestion a


du mal à s'insérer : elle fournit des chiffres en termes de coûts qui ne sont pas en
cohérence avec la logique des enjeux budgétaires et qui ne bouclent pas avec la
comptabilité.

La logique d'enveloppes, avec tout ce qu'elle comporte (biais et retards dans les
imputations, suivi des engagements de dépenses et non des coûts...) a toutes les
chances de rester dominante, avec ce que cela implique.

Exemples : investir parce qu'on a la subvention, acheter et stocker des pièces dont on
n'a pas besoin parce qu'on a les crédits et qu'il faut les consommer, arrêter de
travailler parce que l'on n'a pas de crédits...

2/ Le cadre comptable est un cadre de comptabilité générale et le budget est établi


dans ce même cadre.
Que peut-on attendre d'une comptabilité de gestion dans le secteur public ? 43

C'est une situation qui est rare dans le secteur public ; on la rencontre dans quelques
cas exceptionnels (exemple : la Nouvelle-Zélande) et surtout dans les entreprises
publiques qui abandonnent leur particularisme comptable et sortent d'une logique
budgétaire pour passer à une logique de gestion industrielle.

C'est évidemment la situation qui permet le mieux d'articuler le cadre de prévision et


de suivi des résultats d'ensemble avec des analyses de coûts.
Cette optique poussée à son terme vise à abandonner les notions d'enveloppes et
d'équilibre budgétaire pour passer à une logique de gestion prévisionnelle et de
fixation d'objectifs de coût et d'équilibre économique, dont le suivi est effectué de
façon régulière en s'appuyant sur le système comptable (arrêtés comptables
mensuels).

D'autre part, les comptes prévisionnels font apparaître un besoin de financement dont
la couverture fait partie des discussions avec la tutelle.

3/ Le cadre budgétaire est maintenu, mais le système comptable passe à une optique
de charges/produits.

C'est une situation de compromis qui vise à améliorer la qualité du modèle comptable,
tout en continuant à inscrire son action dans le cadre du système budgétaire public.
Un même système d'information peut en effet fournir un suivi budgétaire établi selon
les règles budgétaires et un suivi comptable conforme aux principes comptables
généralement acceptés.

Cette solution présente l'avantage de pouvoir construire une comptabilité de gestion


pleinement cohérente avec le cadre comptable. Sa limite apparaît dans le fait que les
enjeux de l'organisation continuent à être beaucoup plus centrés sur les
recettes/dépenses du budget que sur les coûts figurant dans la comptabilité de
gestion.

Dans cette perspective, on peut également en venir à instaurer un double système


budgétaire :

- un système "externe" établi en termes de recettes/dépenses (et en tous cas selon


les normes budgétaires),

- un système "interne" établi en s'appuyant en particulier sur le cadre comptable et


une analyse en termes de coûts et d'équilibre économique, et traduisant le budget
"externe" en un budget de gestion.

Ce type de solution permet d'instaurer en interne un contrôle de gestion s'appuyant


sur une information solide ; elle peut cependant être parfois mal interprétée
(accusation de double langage); de toutes façons il reste nécessaire d'éviter une
situation où le budget serait établi dans un cadre budgétaire, les comptes dans un
cadre comptable sans qu'un rapprochement intervienne entre les deux...
44 RenéDEMEESTERE

Conclusion Construire une comptabilité de gestion n'est pas un but en soi ; il ne s'agit pas non
plus de réaliser un simple outil dont on confierait la réalisation à des spécialistes et qui
serait censé conduire par sa seule présence à une 'modernisation' de la gestion ; une
comptabilité de gestion est un moyen au service d'une démarche de management qui
se déroule dans un certain contexte. Il est donc fondamental de ne pas dissocier
conception de l'outil et conception de la démarche d'utilisation de cet outil.

Cela conduit, en particulier, à se poser un certain nombre de questions :

- une comptabilité de gestion, pour quoi faire, quelles sont les finalités précises, les
attentes des différentes parties concernées par cet outil ?

• dans quel schéma de gestion, dans quelle organisation de la démarche de pilotage


vient s'inscrire la comptabilité de gestion ?

- sur quel modèle économique va-t-on s'appuyer ? Quels liens va-t-on établir entre la
comptabilité de gestion et la démarche budgétaire ?

En résumé, il s'agit de mener un projet de changement avec une maîtrise d'ouvrage


qui joue effectivement son rôle.
Que peut-on attendre d'une comptabilité de gestion dans le secteur public ? 45

BIBLIOGRAPHIE

ANSARI S., EUSKE K., "Rational, Rationalizing, and Reifying Uses of Accounting
Data in Organizations1, Accounting, Organizations and Society, 1987, pp. 549-570.
BERRY A., CAPPS T., COOPER D., FERGUSON P., HOPPER T., LOWE E.,
"Management Control in an area of the NCB: Rationales of Accounting Practices in a
Public Enterprise', Accounting, Organizations and Society, 1985, pp. 3-28.
BOUQUIN H., Comptabilité de gestion, Paris, Sirey, 2éme édition, 1997.
BOUQUIN H., La comptabilité de gestion, Paris, PUF collection "Que sais-je", 1997.
BOURGUIGNON A., Le modèle japonais de gestion, Paris, La Découverte, 1993.
BOUSSARD D., La modélisation comptable en questions), Paris, Economica,
1997.
BESCOS PI., MENDOZA C, Le management de la performance, Paris, Editions
Comptables Malesherbes, 1994.
CLARK J.M., Studios in the économies of overhead costs, Chicago, University of
Chicago Press, 1923.
COLASSE B., Comptabilité générale, Paris, Economica, 3éme édition, 1991.
COLASSE B., "The French notion of the image fidèle : the power of words", European
Accounting Roview, Volume 6, Number 4, 1997, pp. 681-691 .
BUDGET ET COMPTABILITE PUBLIQUE, Rapports de la Mission Comptabilité
Patrimoniale, 1998.
CONSEIL NATIONAL DE LA COMPTABILITE, Un nouveau cadre conceptuel pour
la comptabilité de gestion, Paris, 1996.
COVALEVSKY M., DIRSMITH M., "The Management of Legitimacy and Politics in
Public Sector Administration", Journal of Accounting and Public Policy, 1991 , pp.
135-156.
COVALEVSKY M., DIRSMITH M., JABLONSKY S., "Traditional and Emergent
Théories of Budgeting: an Empirical Analysis", Journal of Accounting and Public
Policy, 1985, pp. 277-300
DEMEESTERE R., 'Une analyse comparative des systèmes comptables, budgétaires
et de contrôle financier des villes dans différents pays", Politiques et Management
PuW/c,Vol.14,n°3,1996.
DEMEESTERE R., LORINO Ph., MOTTIS N., Contrôle de gestion et pilotage,
Nathan, Paris, 1997.
EYMARD-DUVERNAY F., MARCHAL E.f "Les règles en action : entre une
organisation et ses usagers", Revue Française de Sociologie^ XXXV, 1994, pp. 5-
36.
GARFINKEL H., Studies in Ethnomethodology, Prentice-Hall, 1967.
GEIGER D., Fédéral Management Accounting: Déterminants, Motivating
Contingencies and Décision Making Relevance, Thèse de Doctorat, Harvard
University, 1993.
GEIGER D., 'Motivating Contingencies at early Adopters of Fédéral Cost
Management Accounting Systems", Government Accountants Journal, Spring
1995, pp. 17-30.
46 RenéDEMEESTERE

GEIGER D., ITTNER C, "The Influence of Funding Source and Législative


Requirements on Government Cost Accounting Practices", Accounting,
Organizations and Society, 1996, pp. 549-567.
GIBERT P., de LAVERGNE Ph., L'analyse des coûts pour le management,
Economica, Paris, 1978.
GUENGANT A. (Ed), Analyse financière des collectivités locales, P.U.F., Paris,
1995.
HERGERT M., MORRIS D., "Accounting data for value chain analysis", Stratégie
Management Journal, Vol. 11, 1990, pp. 43-57.
D'IRIBARNE P., La logique de l'honneur, Paris, Le Seuil, 1989.
DE JAEGERE A., PONSSARD J.P., "La comptabilité : genèse de la modélisation en
économie d'entreprise", Annales des Mines, mars 1990, pp. 90-98.
KIPFER J., "Quelle comptabilité de gestion ? Pour quoi faire ? ", Revue Française de
Comptabilité, N° 226, sept. 1991, pp. 29-40.
LAPSLEY I., "Responsibility Accounting Revived ? Market Reforms and Budgetary
Reforms in Health Care", Management Accounting Research, 1994, pp. 337-352.
LEBAS M., "Essai de définition du domaine de la comptabilité de gestion", Revue
française de Comptabilité, n° 238, oct. 1992, pp. 56-60.
LE LOUS H., "Une théorie pour justifier les normes comptables, à quoi bon ?",
CERESSEC, D.T. 80026, déc. 1980.
LE LOUS H., "A chacun sa comptabilité, même pas", CERESSEC, D.T. 82002, fév.
1982.
LORINO P., L'économiste et le manager, Paris, La Découverte, 1989.
LORINO P., Comptes et récits de la performance, Paris, Editions d'organisation,
1995.
MINTZBERG H., Grandeur et décadence de la planification stratégique, Paris,
Dunod, 1994.
MOISDON J.C. (Ed), Du mode d'existence des outils de gestion, Paris, Seli Arslan,
1997.
PADIOLEAU J.G., Quand la France s'enferre, Paris, PUF, 1981 .
PASQUALINI F., Le principe de l'image fidèle en droit comptable, Paris, LITEC,
1992.
PONSSARD J.P., TANGUY H., "Planning in firms as an interactive process", Theory
and Décision, Vol. 34, 1993, pp. 139-159
STEWART G.B., The quest for value, the EVA management guide, New- York,
Harper business, 1991.
STOUT R., Management or control, Bloomington, Indiana University Press, 1980.
TANGUY H., "Modéliser la production : un point de départ pour rénover la planification
et le contrôle d'une activité", Economie Rurale, n° 206, nov.-déc. 1991 .
TANGUY H., "Planification stratégique : pour un usage rético-réthorique des
modèles", Annales des Mines, n° 28, septembre 1992, pp. 19-29.
VAN DER STEDE W., BRUGGEMAN W., "The rôle of the interactive use of
management control Systems in strategy formation : literature review, issues and
perspectives", FMA congress, Rotterdam, June 2, 1994.
WALLISER B., Systèmes et modèles, Paris, Le Seuil, 1977.

Vous aimerez peut-être aussi