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Aarron Walter
DESIGN
ÉMOTIONNEL
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ÉDITIONS EYROLLES
61, bld Saint-Germain
75240 Paris Cedex 05
www.editions-eyrolles.com
Traduction autorisée de l’ouvrage en langue anglaise intitulé DESIGNING FOR EMOTION d’Aarron
Walter (ISBN : 978-0-937557-3), publié par A Book Apart LLC
Autres ouvrages :
Principes universels du design, Lidwell, Holden, Butler, 2011, 272 pages
Géométrie du design, Elam, 2006, 108 pages
Design émotionnel – Pourquoi aimons-nous ou détestons-nous les objets qui nous entourent ?,
Donald Norman, 2011, 248 pages
© 2011 Aarron Walter pour l’édition en langue anglaise
© Groupe Eyrolles, 2012, pour la présente édition, ISBN : 978-2-212-13398-1
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TABLE DES MATIÈRES
CHAPITRE 1
Le design émotionnel
CHAPITRE 2
Concevoir pour les humains
CHAPITRE 3
La personnalité
CHAPITRE 4
L’engagement émotionnel
CHAPITRE 5
Surmonter les obstacles
CHAPITRE 6
L’indulgence
CHAPITRE 7
Risques et récompenses
Remerciements
Ressources
Références
Index
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Pour Jamie et Oliver, qui inspirent les expériences
les plus émotionnelles de ma vie.
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AVANT-PROPOS
Nous voulons que notre travail se démarque de celui des autres. Nous
voulons que les gens soient tellement bluffés qu’ils ressentent le besoin
d’en parler à tout le monde. Nous voulons que nos créations soient
remarquables.
Souvent, ceux qui cherchent à se faire remarquer y parviennent pendant
un court instant. Certains atteignent leur objectif en concoctant un spot de
trente secondes pour le Superbowl avec une poignée de fainéants qui
beuglent « WAZZAAAAA » au téléphone, d’autres créent le buzz avec une
vidéo de chien qui fait du skateboard. Mais ce ne sont que de brefs instants
de gloire.
Le véritable succès consiste à faire durer cet état de grâce. À faire en sorte
que les gens trouvent notre travail digne d’intérêt, et que pendant des
semaines, des mois, voire des années, ils continuent à chanter nos
louanges.
Une notoriété durable se traduit par le Saint-Graal de la communication :
le bouche à oreille. Quand nous atteignons ce summum du succès
populaire, nous voyons notre popularité et nos bénéfices grimper en
flèche.
Mais la notoriété n’arrive vraiment que lorsqu’on atteint un stade
supérieur : le plaisir. Les gens ne recommandent volontairement que ce
qui en procure. Si nous voulons être remarquables à long terme, nous
devons offrir du plaisir dans la durée.
Dans les pages qui suivent, Aarron nous apprend de façon remarquable (si
j’ose dire) à créer des designs qui ont un véritable impact émotionnel. Avec
son aide, nous pouvons obtenir les effets à long terme que nous
recherchons.
Prêtez attention aux paroles d’Aarron. Il a compilé beaucoup de
recherches et de théorie dans un livre facilement accessible. Un livre qui
vous aidera à susciter des réponses émotionnelles positives chez vos
utilisateurs. Préparez-vous à aller au-delà du remarquable.
Jared Spool
PDG et fondateur principal de User Interface Engineering
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RÉVOLUTION : UN GAGNÉ POUR UN PERDU
AMORCÉE PAR UNE RÉACTION en chaîne d’idées et d’innovations, une
révolution industrielle a balayé le monde occidental à la fin du dix-
huitième siècle et au début du dix-neuvième. En un temps relativement
court, on a découvert des procédés permettant de transformer des
minerais bruts en machines, en moyens de transport et en outils agricoles
qui ont nourri la créativité explosive du vingtième siècle. Des inventions
comme l’égreneuse, les machines-outils, la machine à vapeur, le télégraphe
et le téléphone promettaient un futur plein d’opportunités et de
prospérité.
La révolution industrielle est peut-être née d’une vision utopiste du
progrès humain, mais ce sont bien souvent les humains qui en ont pâti.
Les artisans qualifiés comme les forgerons, les cordonniers, les
ferblantiers, les tisserands et bien d’autres ont progressivement abandonné
leur métier au profit d’usines qui pouvaient produire des biens plus
rapidement et pour un moindre coût. Alors que la machine se faisait une
place dans notre monde, la présence de la main humaine dans les objets de
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tous les jours s’effaçait peu à peu.
Mais certaines personnes ont refusé cette marche aveugle vers le progrès.
Au milieu du dix-neuvième siècle, alors que la production de masse se
généralisait, le mouvement Arts and Crafts cherchait à préserver le rôle de
l’artisan dans la production des biens domestiques, et avec lui la touche
humaine. Les fondateurs du mouvement Arts and Crafts vénéraient les
choses qu’ils concevaient, construisaient et utilisaient chaque jour. Ils
avaient compris que chaque artisan laissait un peu de lui-même dans son
travail, un vrai cadeau dont on peut profiter pendant de nombreuses
années.
On peut établir quelques parallèles avec le monde moderne. Pour
améliorer les récoltes et réduire les coûts de production, les fermes sont
devenues des entreprises sans visage qui font passer le profit avant le bien-
être humain. Pourtant, les petits fermiers locaux trouvent de nouveaux
marchés, car de plus en plus de consommateurs recherchent de la
nourriture produite par des gens, pour des gens. Alors que les grandes
enseignes distribuent des biens de consommation de masse jetables, des
sites comme Etsy ou Kickstarter donnent le pouvoir aux artistes, aux
artisans et aux inventeurs indépendants qui vendent des biens qu’ils ont
conçus et créés. Et leurs clients adorent ça. Quand vous achetez chez un
artisan indépendant, vous apportez votre soutien à la création et à une
famille (pas à une grande entreprise), et vous gagnez la possibilité de vivre
avec un objet qui a une histoire. Ça, ça n’a pas de prix.
Nous autres designers Web, nous nous trouvons dans une situation
similaire. Nous ne manquons pas d’occasions de concevoir des sites
rapidement et à moindre coût, sans aucun respect pour notre métier ou la
relation que nous construisons avec notre public. Nous pourrions
développer tous nos nouveaux projets à l’aide de photos libres de droits et
de templates génériques, en leur donnant un ton impersonnel. Nous
pourrions réduire notre industrie à une course à la productivité, comme
ceux qui ont fait la révolution industrielle en leur temps. Il y a un marché
pour ça.
Ou bien nous pourrions suivre une autre voie, la voie tracée par les
artistes, les designers et les architectes du mouvement Arts and Crafts, qui
pensaient que préserver la touche humaine et montrer sa personnalité
dans son travail n’était pas accessoire. C’est essentiel.
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Je suis ravi de constater que de nombreuses personnes suivent déjà cette
voie sur le Web. Nous allons étudier en guise d’exemple les principes
utilisés par ces visionnaires du design émotionnel, qui leur permettent non
seulement d’établir un lien humain avec leur public, mais également de
nourrir leur succès. Il y a un trait commun à tous ces principes – le design
émotionnel – qui utilise la psychologie et l’artisanat pour donner
l’impression qu’il y a une personne, et non une machine, à l’autre bout de
la ligne.
Il aura fallu attendre que notre support mûrisse pour que nous puissions
commencer à explorer le design émotionnel et à parler à notre public sur
un nouveau ton. Il était une fois un Web, pas si différent de celui que nous
connaissons aujourd’hui, où nous parlions différemment, car nous
n’avions pas encore appris à être nous-mêmes. Nous essayions encore
d’être des machines.
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attachant qui vous met le sourire aux lèvres. Facebook et Twitter ont fait
leur apparition et ont eu un impact majeur sur la voix du Web. Ces
nouveaux outils sociaux permettent aux gens de partager les détails de leur
vie quotidienne. Cela ne semble peut-être pas très profond, mais c’est une
évolution considérable de notre façon de communiquer sur le Web. Avant
les réseaux sociaux, le professionnalisme nous poussait à être plus
réservés, mais aujourd’hui les conversations ressemblent plus à des
discussions entre amis. Bien sûr, une certaine modération est parfois de
mise (c’est à toi que je pense, Rainn Wilson, http://bkaprt.com/de/1; FIG 1.1).
Le rideau a été levé, dévoilant notre humour, notre sale caractère, nos
inquiétudes, notre stress, et toutes les émotions qui apportent un peu de
sel à nos journées. Comme nous le verrons au chapitre 3, cette franchise se
retrouve dans les personnalités que nous élaborons pour nos entreprises,
et nos utilisateurs veulent de plus en plus pouvoir s’identifier à la
personnalité des sites Web et des applications qu’ils utilisent.
Ce livre regorge d’exemples d’une sensibilité de design distinctement
humaine, individuelle, honnête, représentative d’une vraie personnalité,
mais qui n’en oublie pas pour autant les objets commerciaux. Vous vous
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demandez peut-être comment mettre en œuvre des techniques de design
émotionnel sans faire enrager votre supérieur. Nous allons voir des
exemples concrets qui vous inspireront et vous donneront des arguments
pour utiliser le design émotionnel dans votre prochain projet. Je vous
offrirai même une flopée de données pour vous aider à construire un
argumentaire empirique en faveur du design émotionnel.
Sachez que nous ne sommes pas condamnés à répéter les erreurs de nos
ancêtres. À travers nos designs, nous pouvons établir un véritable lien
avec d’autres êtres humains.
Alors, par où commencer ? Eh bien, comme tout bon designer
d’expérience utilisateur, nous allons commencer par essayer de
comprendre les besoins des personnes pour lesquelles nous concevons.
HELLO, MASLOW
Dans les années 1950 et 1960, le psychologue américain Abraham Maslow a
découvert quelque chose que nous savions tous, mais que nous n’avions
encore jamais réussi à formuler : quels que soient notre âge, notre sexe,
notre origine ou notre statut social, nous avons tous des besoins de base à
satisfaire. Maslow a illustré ses idées sous la forme d’une pyramide qu’il a
appelée hiérarchie des besoins (FIG 1.2).
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: Pyramide des besoins de Maslow.
FIG 1.2
[*accomplissement]
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: Nous pouvons réorganiser la pyramide des besoins de Maslow en
FIG 1.3
fonction des besoins de nos utilisateurs.
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vous avez traité votre ordinateur de tous les noms en attendant que
chaque page se charge. Vous n’êtes pas seul. Heureusement, Hipmunk
(http://hipmunk.com) rehausse le niveau.
Jusqu’à présent, l’utilisabilité était le summum du design d’interface. Vous
ne trouvez pas ça déprimant ? Si vous arrivez à faire une interface
utilisable, vous êtes un bon designer. Imaginez un peu si l’on utilisait les
mêmes standards dans l’industrie automobile... On se pâmerait encore
devant une R5.
Beaucoup de sites Web et d’applications offrent une expérience meilleure
encore. Ils redessinent le sommet de la pyramide des besoins pour y
ajouter le plaisir, l’amusement, la joie et l’enchantement. Et si une interface
pouvait vous aider à accomplir une tâche critique avec le sourire ? Ce
serait puissant. Ce serait une expérience que vous recommanderiez à un
ami ; ce serait une idée qui vaut le coup d’être partagée.
Il nous faut un nouvel étalon pour mesurer le succès de nos designs. Nous
pouvons transcender l’utilisabilité pour créer des expériences réellement
extraordinaires.
UTILISABLE = COMESTIBLE
Si vous travaillez sur le Web, vous avez peut-être déjà utilisé l’application
de gestion de projet Basecamp de 37Signals (http://basecamphq.com) (FIG
1.4).
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FIG 1.4 : Basecamp, une application Web de gestion de projet.
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fonctionnalités ou des changements de workflow, Basecamp est resté
fidèle à sa vision originelle. C’est à la fois une force et une faiblesse.
Comme l’interface n’a pratiquement pas changé en plusieurs années, elle
est prévisible, utilisable et ne demande presque aucun réapprentissage.
Mais une interface qui n’évolue pas risque de perdre de vue les besoins de
ses utilisateurs. On pourrait dire la même chose de la philosophie de
design de 37Signals. Elle nous a été d’une aide précieuse aux débuts de
notre discipline, mais le paysage du Web et notre relation avec celui-ci ont
changé. Simple et utilisable, c’est bien, mais nous pouvons faire mieux.
Nous devons ramener le design Web dans le royaume de l’enchantement.
Repensez au meilleur repas de toute votre vie. Pas juste un bon repas, je
vous parle d’un repas époustouflant, un repas qui a mis vos papilles à
l’épreuve et vous a donné l’impression de manger pour la première fois.
Qu’est-ce qui a rendu ce repas si mémorable ? Étaient-ce le goût et la
texture de la nourriture ? Des associations de saveurs inattendues ? Était-
ce la présentation artistique, le personnel prévenant, l’ambiance ? En fait,
il est probable que tous ces facteurs se soient conjugués pour provoquer
chez vous une réponse émotionnelle intense.
Posez-vous maintenant cette question : avez-vous pensé une seule fois à la
valeur nutritionnelle du repas ? J’en doute (si oui, il faut que vous sortiez
un peu plus). Ce repas a satisfait les besoins de votre corps, mais c’est
l’immense plaisir de l’expérience qui a formé un souvenir que vous
garderez toute votre vie dans un coin de votre cerveau.
Pourquoi ne cherchons-nous pas à avoir le même impact avec le design
Web ? Nous concevons des interfaces utilisables, comme un chef
cuisinerait de la nourriture comestible. Bien sûr, nous voulons tous
manger de la nourriture comestible ayant une valeur nutritionnelle, mais
nous voulons aussi qu’elle ait de la saveur. Pourquoi se contenter d’une
interface utilisable quand on peut faire une interface utilisable et agréable ?
Eh bien, Wufoo ne s’en contente pas. Son interface est utilisable et
amusante.
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exemple de design émotionnel (FIG 1.5). Comme Basecamp, Wufoo a une
fonction utilitaire. Ses utilisateurs veulent accomplir des tâches
rapidement. Créer des bases de données et concevoir des formulaires peut
être délicat et intimidant si vous n’êtes pas très porté sur la technique.
Mais Wufoo rend cette tâche simple et, contrairement à ses concurrents,
amusante.
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vous verrez de quoi je veux parler. Elle transparaît dans tout le contenu. Il
y a le message d’accueil « O, what men dare do! » en haut du tableau de
bord, un clin d’œil à William Shakespeare. Ou encore le texte par défaut
dans les champs de formulaire : « This is my form. Please fill it out. It’s
awesome! » (Voici mon formulaire. Merci de le remplir. C’est génial !). Notez
les couleurs primaires sur chaque page, les polices sans empattement et le
registre familier. Il n’y a pas beaucoup de coins saillants : ils sont
généreusement arrondis, ce qui donne un aspect cartoon. Même si vous
n’avez jamais rencontré les personnes qui ont créé cette application, vous
savez ce qui les anime quand vous vous connectez à votre compte. Leur
voix et leur perspective ressortent dans leur design. Wufoo est un bout de
code, mais il ressemble à un être bien vivant. Kevin Hale, qui a dirigé la
conception de l’expérience utilisateur et cofondé Wufoo, a pris l’état
émotionnel de ses utilisateurs en considération pour conceptualiser le
design.
L’inspiration de notre palette de couleurs nous est venue de nos concurrents.
Nous trouvions cela déprimant de voir tant de logiciels qui semblaient
conçus pour rappeler aux gens qu’ils créaient des bases de données dans un
bureau sans fenêtre, et nous avons immédiatement su que nous voulions
aller dans le sens opposé.
Dans son esprit, Kevin avait un portrait émotionnel des personnes pour
qui il concevait : ces « gens dans un bureau sans fenêtre », probablement
sous la coupe d’un patron tyrannique qui leur fait faire des inventaires
interminables. Ils sont pressés par le temps et leur travail quotidien ne leur
inspire rien de bon. En donnant une personnalité claire à l’application,
comme si elle disait « vous avez le droit de vous amuser un peu au
travail », Kevin apporte un peu de chaleur à des milliers de box ternes et
froids. C’est une chose que les gens n’oublieront jamais, et pour une
bonne raison.
Il y a de l’artisanat dans Wufoo, et je ne parle pas seulement de la
construction technique. Un artisan possède de grandes compétences
techniques et met un peu de sa personnalité dans toutes ses créations. Son
travail distille une qualité humaine que l’on peut voir et sentir. On pourrait
dresser la liste des éléments de design que Wufoo utilise pour composer
une personnalité à laquelle ses utilisateurs peuvent s’identifier, mais le tout
est plus que la somme de ses parties. Comme nous le verrons au chapitre
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4, Wufoo utilise l’engagement émotionnel pour laisser une impression
durable chez ses clients. En fait, il y a aussi quelque chose de scientifique
derrière tout ça. Il se trouve que les émotions et la mémoire sont
étroitement liées.
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pouvoir répéter sciemment les expériences positives. Imaginez-vous en
train de manger une bûche de bacon de deux kilos, et de ne pas avoir envie
d’en manger une autre le jour suivant. Ce n’est pas une vie, mon ami !
Les bébés établissent un lien émotionnel avec leurs parents quand ils
pleurent et obtiennent de la nourriture, une couche propre ou un câlin en
retour. La réponse des parents déclenche la libération de
neurotransmetteurs apaisants par le système limbique. Le cycle se répète,
le bébé commence à comprendre qu’il peut compter sur ses parents en cas
de besoin, et un lien émotionnel se forme.
Un même type de cercle vertueux existe dans le design d’interface. Un
stimulus émotionnel positif peut être désarmant. Il crée un engagement
avec vos utilisateurs, ce qui peut faire passer l’expérience pour une
discussion avec un ami ou un proche confident. Le design et le style fun de
l’interface de Wufoo s’apparentent peut-être à de l’habillage de fenêtre,
mais il s’agit en fait une habile manipulation. C’est une manière puissante
de construire un souvenir positif, ce qui augmente en retour les chances
que les utilisateurs de Wufoo continuent à utiliser l’application et à lui
faire confiance.
Comme nous allons bientôt le voir, de nombreux sites et applications Web
arrivent à la même conclusion. Ils ont compris qu’en transcendant
l’utilisable pour créer une expérience agréable, les gens sont plus
nombreux à s’abonner, consomment plus et restent plus longtemps.
Le design émotionnel, c’est bon pour les affaires. C’est ce que dit Chris
Lindland, P.-D.G de Betabrand (http://betabrand.com), une entreprise de
prêt-à-porter avec un savant emballage humoristique (FIG 1.6). Betabrand
propose environ trente minutes de lecture ainsi qu’une généreuse galerie
de héros ordinaires qui portent leurs fringues. Ça fait beaucoup de
contenu. En fait, Lindland décrit Betabrand comme un magazine en ligne
qui vend accessoirement des vêtements. En fin de compte, les vêtements
ne sont que les objets de l’expérience extraordinaire offerte aux clients sur
le site. Quand vous portez un pantalon Cordaround de Betabrand, vous
bénéficiez non seulement d’un « indice thermique inférieur de 22 % au
niveau de l’entrejambe » et d’une « réduction de 16,24 % du coefficient de
traînée », mais vous vous rappelez aussi que vous faites partie d’un groupe
sélect de personnes qui ont découvert cette merveille moderne de la
science et de la mode.
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: Betabrand se définit comme un magazine en ligne qui vend
FIG 1.6
accessoirement des vêtements. Oh, et ils peuvent diminuer le coefficient de
traînée de votre entrejambe de – tenez vous bien – 16,24 %.
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de « peut-être » à « tiens, et pourquoi pas ? » Les gens ressentent l’énergie
potentielle des produits sympas.
Nous explorerons la relation entre le design émotionnel et le retour sur
investissement (RSI) au chapitre 7, et nous verrons même quelques
chiffres bruts. Mais avant de nous intéresser aux données, étudions le
principe de design qui fait le succès de Betabrand.
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Notre différend suivait une voie prévisible, jusqu’à ce que je comprenne qu’il
ne nous achèterait plus jamais rien si je ne faisais pas quelque chose. Alors je
lui ai proposé un pari : si les Trailblazers de Portland arrivaient à battre les
modestes Clippers, il aurait non seulement une ristourne mais également un
pantalon rose. Si je gagnais, je lui offrais la ristourne mais il devait en retour
dire à deux personnes qu’il était devenu consultant pour Betabrand.
Il a suivi la victoire des Trailblazers à la radio avec sa femme et gagné son
pantalon Pink Panther.
À ce jour, il est resté l’un de nos clients les plus fidèles. Pourquoi ? Parce qu’il
a trouvé mieux qu’un service après-vente : un service après-vente marrant.
En plus de cela, notre meilleur client a également investi dans l’entreprise.
Le premier contact de Pink Panther avec Betabrand avait mal commencé,
et Lindland aurait pu faire ce que la majorité d’entre nous aurions fait : lui
dire d’aller voir ailleurs. Mais Lindland a changé de ton et parlé à la
panthère comme à un ami. Il y a gagné un client à vie et un investisseur
tout en restant fidèle à la personnalité de son entreprise. Le design
émotionnel, ce n’est pas simplement des slogans, des photos ou un style
particulier : c’est une façon différente de penser votre manière de
communiquer.
Bien sûr, le design émotionnel présente des risques. Si l’engagement
émotionnel compromet la fonctionnalité, la fiabilité ou l’utilisabilité d’une
interface, l’expérience positive que vous recherchez se transforme en un
désastre qui fera pester tous vos utilisateurs. Un pari amical avec un client
mécontent ne vous sortira pas toujours de la panade.
Nous aurons une discussion franche sur les écueils du design émotionnel
et les manières de les éviter. Mais avant cela, je vais vous aider à
comprendre le logiciel qui pilote la perspective humaine, puisqu’elle est le
cadre des stratégies que vous allez concevoir pour votre prochain projet.
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LES HUMAINS SONT DES ÊTRES COMPLEXES, pour qui il peut être difficile de
concevoir. Nous avons tous des personnalités et un bagage émotionnel
distincts, des dispositions uniques, alors comment peut-on concevoir
quelque chose qui satisfasse des perspectives si vastes ?
Sous les personnalités et les perspectives disparates, il y a des principes de
psychologie universels communs à tous les humains. Ces principes sont
des outils précieux dans notre quête de design émotionnel. Dans ce
chapitre, nous allons explorer le logiciel psychologique que nous
partageons tous et établir des bases sur lesquelles nous pourrons
construire des stratégies de design émotionnel.
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toutes les races de l’humanité.
Ce que Darwin suggère, c’est que nous avons tous un lexique émotionnel
commun qui nous guide dans la vie. Nous ne développons pas ces
émotions après la naissance, en observant les autres. Nous sommes nés
prêts à exprimer la douleur, la joie, la surprise, la colère et d’autres
émotions. Les émotions sont un outil de survie essentiel. C’est ainsi que
nous communiquons nos besoins à nos parents et que plus tard, nous
construisons des relations bénéfiques. Bien que nous développions un
langage parlé en grandissant, les émotions sont notre langue native dès
notre arrivée dans ce monde. Elles sont la lingua franca de l’humanité.
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que notre cerveau reconnaît comme étant très spécial. Les visages qui ont
de telles proportions sont perçus comme innocents, dignes de confiance,
mignons et adorables. Nous sommes programmés pour aimer les bébés.
Je sais que ça paraît dingue, mais certains scientifiques pensent que si nous
avons évolué de manière à aimer les visages de bébés, c’est à l’origine pour
éviter de les tuer. Être mignon, c’est la première ligne de défense d’un
bébé. Comme feu le biologiste évolutionniste Stephen Jay Gould l’explique
dans son essai intitulé A Biological Homage to Mickey Mouse, les dessinateurs
de cartoons exploitent ce principe depuis des décennies en créant des
personnages avec de grandes têtes, des petits corps et des yeux élargis qui
nous les rendent si sympathiques.
Les designers utilisent également ce principe, appelé pouvoir du visage de
bébé, à leur avantage. Connaissez-vous un site Web qui utilise une
mascotte mignonne pour établir un lien avec son public ? J’en connais des
tonnes. Twitter, StickyBits (http://stickybits.com/), Brizzly
(http://brizzly.com) et MailChimp (http://mailchimp.com) ne sont que
quelques exemples (FIG 2.1).
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: Brizzly utilise le pouvoir des visages de bébés pour attendrir son
FIG 2.1
image de marque.
Il ne s’agit pas juste de rendre votre site Web plus mignon. Avec un peu de
réflexion, vous découvrirez que derrière chaque principe de design, il y a
un lien avec la nature humaine et nos instincts émotionnels. En fait, la
nature humaine se reflète dans chaque aspect du design.
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morceau de bois noueux, notre esprit construit l’image d’un visage. Nous
sommes des narcisses accidentels qui recherchent ce qu’ils connaissent le
mieux : eux-mêmes.
Cet instinct est guidé par notre désir primordial de lien émotionnel avec
les autres. Nous sommes programmés pour détecter les émotions sur un
visage humain. Pour cette raison, comme nous le verrons au prochain
chapitre, les photos de visages humains dans un design peuvent
profondément influencer un public.
Nous n’avons pas besoin de voir deux yeux et une bouche pour ressentir
un lien émotionnel avec un design. Parfois, nous percevons la présence
humaine à travers des choses abstraites, comme la proportion. Pythagore
et les Grecs de l’Antiquité l’ont compris quand ils ont découvert le nombre
d’or, une division mathématique des proportions très répandue dans la
nature, y compris dans la forme humaine. Nous utilisons ce concept
depuis des milliers d’années pour créer des œuvres d’art, des bâtiments et
des designs qui sont universellement perçus comme étant beaux. Notre
esprit n’a peut-être pas conscience que le nombre d’or est présent dans un
monument comme le Parthénon ou un design comme celui de l’iPod, mais
notre subconscient voit immédiatement un modèle de beauté qui se
retrouve également dans nos propres corps. Si vous avez déjà lu The
Elements of Typographic Style, l’excellent livre de Robert Bringhurst, vous
savez que l’imprimerie utilise le nombre d’or depuis des siècles comme
base de la mise en page.
Les designers Web ont aussi récupéré ce concept. Quand Doug Bowman et
son équipe de designers ont conçu le nouveau design de Twitter, ils ont
utilisé le nombre d’or pour définir la structure de la mise en page (FIG 2.2).
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: Le nouveau design de l’interface de Twitter utilise le nombre d’or
FIG 2.2
pour structurer la mise en page, ce qui le rend beau à l’oeil humain.
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scrutent constamment l’environnement à la recherche de motifs pour en
tirer des informations et nous protéger du danger.
Vos sens vous alertent quand votre frigo contient de la nourriture qui n’est
plus dans sa prime jeunesse. Personne ne vous a appris à reconnaître
l’odeur du lait qui a tourné, vous remarquez simplement que quelque
chose ne va pas. Quelque chose est différent et votre cerveau le sait.
Nous appelons contraste cette rupture d’un motif. Notre perception aigüe
du contraste influence nos prises de décision. Elle nous aide à choisir une
place dans une salle de cours (un siège est-il plus avantageux qu’un
autre ?), un restaurant pour le dîner (un restaurant propose-t-il une
meilleure cuisine qu’un autre ?) et même un conjoint (une compagne est-
elle plus attirante qu’une autre ?). Nous utilisons le contraste pour
répondre à une question fondamentale : est-ce bon ou mauvais pour moi ?
Nous percevons deux types de contraste :
le contraste visuel : différences de forme, de couleur, de texture etc. ;
le contraste cognitif : différences d’expériences ou de souvenirs.
Le zèbre possède des rayures contrastées pour se mêler à un troupeau, afin
de ne pas être pris en chasse par une lionne. Quand tous les individus sont
fortement contrastés, aucun ne sort du lot.
Les humains utilisent le contraste visuel d’une manière similaire. Les
habitués des excès de vitesse (comme moi) restent à proximité d’autres
voitures pour éviter d’être remarqués par la police. Si vous roulez trop vite
et tout seul, vous êtes une proie facile pour un flic à l’affût. (Je ne peux pas
vraiment recommander cette approche étant donné qu’il y a deux
contraventions sur mon bureau à l’heure où j’écris ces lignes.)
La police distribue des contraventions pour créer un contraste cognitif
dans notre cerveau. Elle espère que les sanctions encourues nous
dissuaderont de refaire la même erreur. Je reconnais humblement que leur
technique fonctionne. Mon pied droit s’est allégé de quelques kilos.
Le contraste est également un puissant outil de design. Il influence
l’activité de nos utilisateurs de manière simple et profonde. Les sites Web
comme Tumblr (FIG 2.3) qui cherchent de nouvelles inscriptions améliorent
leur taux de conversion en éliminant tout le contenu superflu sur la page
d’accueil. Le site présente simplement le produit et incite l’utilisateur à
agir. Le fort contraste visuel entre l’arrière-plan vide et l’énorme
formulaire central permet de comprendre facilement l’objet du site et
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l’action que Tumblr attend.
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ont des limites.
UN PROCESSEUR LIMITÉ
Quand vous maniez le contraste avec brio comme Tumblr, vos interfaces
sont plus simples à utiliser. Si vous augmentez le nombre d’éléments
fortement contrastés sur une page, vous augmentez proportionnellement
le temps requis pour accomplir une tâche, apprendre à se servir d’un
système et mémoriser des raccourcis. Si vous en ajoutez trop, vous
poussez le cerveau humain dans ses retranchements. Vous avez déjà été à
une fête où tout le monde crie pour se parler ? Quand le volume
augmente, tout le monde doit parler encore plus fort pour se faire
entendre, ce qui rend toute conversation encore plus difficile. Le design
fonctionne de la même façon. Si tout le monde crie pour attirer l’attention
du lecteur, il n’entendra rien.
La loi de Hick est un principe de design qui exprime ce concept. Elle
stipule que le temps requis pour prendre une décision augmente
proportionnellement au nombre d’alternatives. Avec sa page d’accueil
ultrasimple, Tumblr tient quelque chose. Bien que le cerveau humain soit
incroyablement puissant, son aptitude à trier rapidement un grand
nombre d’informations est limitée. Il est beaucoup plus dur de pousser un
utilisateur à agir si son cerveau doit filtrer du bruit. À cet égard, nous
sommes tout comme les lionnes affamées qui ne parviennent pas à cibler
le bon zèbre.
Tumblr a compris que l’attention était une ressource limitée. À chaque fois
que nous ajoutons du contenu sur une interface, il devient plus dur
d’identifier des motifs et des éléments contrastés. Le résultat, c’est un
comportement plus imprévisible de l’utilisateur, et une moins bonne
rétention de l’information. (Rappelez ça à votre patron la prochaine fois
qu’il vous demande de caser encore plus de contenu inutile sur la page
d’accueil de votre entreprise.)
Mais le contraste ne se contente pas de modeler notre vision des choses : il
influence également notre capacité à reconnaître des concepts abstraits
comme les marques.
CONTRASTE DE MARQUE
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Tout comme Tumblr utilise le contraste visuel pour influencer le
comportement de ses utilisateurs, nous pouvons utiliser le contraste
cognitif pour modeler les perceptions de notre public. En fait, c’est
l’objectif principal d’une marque : créer une identité qui se distingue de la
concurrence. Si votre marque établit clairement le contraste avec ses
concurrents, votre public l’identifiera et s’en souviendra facilement.
Le designer Web Ricardo Mestre a compris le pouvoir du contraste. Son
site Web (http://duplos.org) défie toutes les conventions du design Web
(FIG 2.4).
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: Le design du portfolio en ligne de Ricardo Mestre défie toutes les
FIG 2.4
conventions.
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Le design de Mestre ne suit pas une grille fixe : il est organique. Ses
textures riches, ses arêtes brutes et ses couches de formes plates lui
donnent une allure de création sur papier plus que de site Web. Le
monstre violet qui surgit de derrière un arbre et le ton humoristique
laissent une empreinte émotionnelle sur son public et rendent son
portfolio inoubliable. Quand vos concurrents sont des designers Web, le
contraste cognitif est fondamental.
Un bon design qui utilise le contraste cognitif et visuel vous démarque des
autres, mais influence en plus la façon dont les gens utilisent votre
interface.
LE POUVOIR DE L’ESTHÉTIQUE
Même si leur style sont à des extrémités opposées du spectre, les sites de
Tumblr et de Mestre ont une chose en commun : ils sont agréables
esthétiquement. Tous deux utilisent habilement la couleur, la typographie,
les proportions, le vide et la composition. Les deux sont indubitablement
bien conçus.
Le design est trop souvent pris, à tort, pour une sorte de glaçage
complaisant qui ne sert qu’à recouvrir une interface fonctionnelle. Avez-
vous déjà entendu un collègue déclarer « ce serait sympa d’avoir une
interface sexy, mais les gens s’intéressent plus au fond qu’à la forme » ? Ce
collègue se présenterait-il à un entretien d’embauche en pyjama au
prétexte que les recruteurs s’intéressent à ses compétences et non à son
apparence ? S’il essayait, je pense qu’il comprendrait rapidement que son
raisonnement est à revoir.
Les perceptions sont décisives. Comme nous le verrons dans les prochains
chapitres, le design a une forte influence sur l’engagement émotionnel et
l’utilisabilité.
Comme Donald Norman, pionnier de l’utilisabilité et de l’interaction
homme-machine, le fait remarquer dans son livre Design émotionnel –
Pourquoi aimons-nous ou détestons-nous les objets qui nous entourent (paru en
franças aux éditions De Boeck), un beau design crée une réponse
émotionnelle positive dans le cerveau, ce qui améliore en plus nos
capacités cognitives.
Les choses attrayantes font du bien aux gens, et les font réfléchir de manière
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plus créative. En quoi cela peut-il faciliter l’utilisation d’un objet ? Tout
simplement en permettant gens de trouver plus aisément des solutions aux
problèmes qu’ils rencontrent.
Norman décrit là l’effet esthétique-utilisabilité. C’est un fait, les choses
attrayantes fonctionnent mieux.
De nombreuses marques utilisent ce principe, mais aucune ne le fait mieux
qu’Apple.
Le design des interfaces d’Apple est connu pour être raffiné, sobre,
esthétiquement plaisant et utilisable. C’est ce design clair et élégant qui
rend leurs produits et leurs logiciels si simples à utiliser. Apple utilise
l’effet esthétique-utilisabilité dans tous ses produits, et c’est ce qui
continue à faire son succès.
Mais le culte voué à Apple est directement lié à leur maîtrise du design
émotionnel. Quand Steve Jobs concluait une démonstration de produit en
disant « nous pensons que vous allez l’aimer », il le pensait vraiment. Il
n’utilisait pas le verbe aimer par hasard, car leur philosophie de design
démontre qu’Apple comprend parfaitement la psychologie et les émotions
humaines.
En 2002, Apple a déposé un brevet pour une diode qui « respire ».
Quiconque possède un Mac connaît le voyant d’activité situé à l’avant des
portables et des ordinateurs de bureau Apple, qui clignote lentement pour
indiquer un état de veille. Les designers d’Apple se sont demandé dans
quel contexte cette lumière serait le plus souvent vue – dans un bureau
sombre, une chambre ou un salon où elle est l’une des seules sources de
lumière.
La fréquence des pulsations est très précise. Elle imite la respiration
humaine au repos : entre douze et vingt respirations par minute. C’est un
peu comme tapoter le dos d’un bébé en rythme. Cela imprime une
certaine humeur. Comme pour les proportions du Parthénon, un humain
n’associera pas forcément la pulsation du voyant à sa respiration, mais il
sentira son effet apaisant. Apple aurait pu se contenter de concevoir un
indicateur qui reste allumé quand l’ordinateur est en veille, mais a préféré
concevoir une solution qui communique et apaise, encourageant ainsi les
gens à se projeter dans le produit qu’ils utilisent.
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LES BASES D’UN DESIGN ÉMOTIONNEL
Dans ce chapitre, nous avons découvert quelques principes de designs et
traits communs à toute l’espèce humaine, et ils reparaîtront dans les
prochains chapitres.
Un bref aperçu de la psychologie évolutionniste nous a montré que notre
vision du monde était prédéterminée à la naissance, et qu’elle était
fonction de millénaires de survie et d’adaptation à notre environnement.
Notre penchant pour les visages de bébés illustre cette notion. À l’origine,
notre faculté à détecter le contraste provient également de notre besoin de
survivre, mais aujourd’hui, nous pouvons en tirer profit pour influencer le
comportement de nos utilisateurs et faire en sorte que notre marque se
détache du lot.
Nous avons appris que l’esprit humain avait des limites. Quand le
contraste est utilisé de manière excessive, nous éprouvons des difficultés à
analyser nos options, comme le dicte la loi de Hick. Et nous avons
découvert que l’esthétique était plus qu’un simple habillage – elle influence
l’utilisabilité, comme l’illustre le principe d’esthétique-utilisabilité.
Voilà ce que nous sommes. Nous sommes nés avec un logiciel qui nous
pilote, et les émotions sont le cœur de ce code. Elles sont une part
essentielle de ce qui fait de nous des humains, et elles jouent un rôle
fondamental dans un design efficace.
Même si toute l’espèce humaine utilise les émotions pour communiquer et
réagit de manière similaire dans certaines situations, le design émotionnel
demande un sens de la nuance et un soin tout particulier. Les
personnalités qui s’inscrivent dans ce logiciel cognitif sont bien plus
imprévisibles. Comme nous allons le découvrir dans le prochain chapitre,
la personnalité est la plate-forme de nos réponses émotionnelles les plus
diverses, et la clé d’un design plus humain.
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NOS RELATIONS DURABLES se fondent sur les qualités et les perspectives
uniques que nous possédons tous. C’est ce que nous appelons la
personnalité. À travers nos personnalités, nous exprimons toute la palette
des émotions humaines. La personnalité, c’est cette force mystérieuse qui
nous attire vers certaines personnes et nous fait fuir les autres. Comme la
personnalité influence grandement nos prises de décision, elle peut être un
outil de design puissant.
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m’attache à donner l’impression qu’il y a un être humain derrière
l’interface, pas un ordinateur. Vous trouvez peut-être que je pinaille, mais
les mots ont un sens. Ils structurent notre perception et nous permettent
de formuler les bonnes idées.
Le principal objectif du design émotionnel est de faciliter la
communication entre humains. Si nous faisons bien notre travail,
l’ordinateur passe à l’arrière-plan et les personnalités font surface. Pour
atteindre cet objectif, nous devons examiner notre manière d’interagir
avec les autres dans la vraie vie.
J’aimerais maintenant que vous marquiez une pause, et que vous pensiez à
quelqu’un avec qui vous avez récemment établi un vrai lien. Vous l’avez
peut-être rencontré en vous baladant, lors d’un évènement, ou peut-être
qu’un ami vous l’a présenté et que la conversation qui s’en est suivie était
plaisante, intéressante, voire carrément drôle. Qu’est-ce qui, chez cette
personne, a rendu cette conversation si grisante ? Vous aviez
probablement des intérêts communs qui ont initié la discussion, mais ce
n’est pas cela qui a rendu la rencontre si mémorable, n’est-ce pas ? C’est sa
personnalité qui vous a attiré, qui a guidé la discussion et vous a laissé avec
un sentiment d’euphorie. Vos personnalités se sont entrecroisées avec les
blagues échangées, le ton et la cadence de la conversation. Vous avez
baissé votre garde et commencé à lui faire confiance. Les personnalités
font les amitiés et sont les plates-formes des liens émotionnels.
Accrochez-vous à ce souvenir, et gardez-le en vous en lisant ce livre.
Revisitez-le quand vous commencez un nouveau projet de design. Ce
sentiment, c’est celui qu’on essaie de faire passer avec le design
émotionnel. On cherche à recréer cette excitation et à établir un lien avec
notre public en concevant une personnalité qui sera incarnée par notre
interface.
Ne voyons pas nos designs comme une façade interactive, mais comme
une personne avec qui notre public peut avoir une conversation inspirée.
Les produits sont eux aussi des personnes.
Là encore, l’histoire peut apporter un éclairage sur notre travail actuel. Il
se trouve que les designers expérimentent depuis des siècles avec la
personnalité pour créer des expériences plus humaines.
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BREF HISTORIQUE DE LA PERSONNALITÉ DANS LE DESIGN
Nous avons depuis longtemps coutume d’injecter de la personnalité dans
tout ce que nous créons, pour tenter de donner un aspect plus humain à
des choses mécaniques. Quand Johannes Gutenberg, orfèvre et père de la
presse à imprimer, expérimentait avec les caractères mobiles vers le milieu
du quinzième siècle, la main humaine l’a inspiré. Avant l’imprimerie, des
copistes (généralement des moines) recopiaient laborieusement chaque
page des manuscrits religieux à la plume. Transcrire une Bible était un
devoir sacré, car le scribe transmettait le message divin. Pour cette raison,
la présence de la main dans ces manuscrits revêtait une grande importance
spirituelle.
Alors quand Gutenberg a conçu et fondu ses premiers caractères, qu’il a
utilisés pour imprimer des centaines de Bibles, la forme des lettres imitait
le style calligraphique des copistes. Il avait créé des machines pour
apporter la parole divine, mais il s’attachait à rendre la présentation
humaine (FIG 3.1).
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copistes afin de donner un aspect plus humain à ses Bibles produites
mécaniquement. (Source: http://bkaprt.com/de/3)
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FIG 3.2: La personnalité est au coeur du design de la Coccinelle, et c’est ce
qui fait son incroyable succès depuis plusieurs générations. (Source:
http://bkaprt.com/de/4)
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problèmes complexes en claquant des doigts pendant que son faire-valoir –
John Hodgman, un PC complètement has been – ne rate pas une occasion
de se planter. Ces publicités expriment une forte personnalité et aident les
consommateurs à comparer les relations qu’ils pourraient avoir avec leur
ordinateur. Elles ne parlent pas de spécifications ni de fonctionnalités,
elles vous montrent comment vous vous sentirez si vous achetez un Mac.
Maintenant que nous avons une idée des précédents historiques, revenons
au temps présent, où nous travaillons dur pour comprendre notre public
et faisons de notre mieux pour créer des expériences Web alléchantes.
LES PERSONAS
Dans le design Web moderne, on fait des recherches, on planifie et on crée
en pensant aux attitudes et aux motivations de son public. Les designers
d’expérience utilisateur interrogent leur public, puis créent des personas –
des archétypes d’utilisateurs qui représentent un groupe plus large. Voyez
les personas comme des outils pour étudier les utilisateurs. Elles aident
l’équipe de design à garder son public cible à l’esprit et à rester focalisée
sur ses besoins.
L’exemple de persona présenté FIG 3.3, créé par Todd Zaki Warfel, designer
principal de messagefirst (http://messagefirst.com), raconte l’histoire de
Julia, une certaine catégorie d’utilisateurs. Dans ce document, on apprend
sa démographie, ses intérêts, son expertise dans divers domaines, et ce qui
peut influencer ses décisions sur des sujets ayant trait au projet – on
commence à comprendre qui est Julia. On a un aperçu de sa personnalité,
ce qui nous aide à comprendre ses motivations et guide les décisions de
design qui suivent.
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FIG 3.3: Les personas guident le processus de design et permettent de rester
focalisé sur les besoins des utilisateurs.
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Même si Julia n’est pas une vraie personne, mais plutôt une représentante
archétypale d’un groupe d’utilisateurs, elle est pourtant étroitement
apparentée à une personne que les types de messagefirst connaissent
personnellement. Ils créent toutes leurs personas de cette façon, ce qui est
plutôt pratique. Quand ils rencontrent un point épineux dans leur
processus de design et qu’ils ne sont pas sûrs des perceptions, des valeurs
et des comportements à attendre de leur public dans une interface
spécifique, ils peuvent simplement les appeler et leur poser des questions.
Non seulement cela leur permet de créer des solutions de design encore
meilleures, mais cela les aide en plus à rester focalisés sur les vraies
personnes qui utiliseront leurs créations.
Comme nous l’avons vu au chapitre 1 avec la hiérarchie des besoins, nous
savons que tous les utilisateurs ont besoin d’un design fonctionnel, fiable
et utilisable. En comprenant notre public, nous pouvons mieux répondre à
ses besoins. Ces informations nous aident également à aborder la tranche
supérieure de cette hiérarchie – le plaisir – en nous donnant une idée de la
personnalité la plus à même d’établir un lien émotionnel.
Les personas sont un outil classique du processus de design, mais n’offrent
qu’une vision partielle de la relation que nous construisons avec notre
public. Nous savons qui ils sont, mais qui sommes-nous ? Précédemment
dans ce chapitre, j’ai évoqué le fait que les produits pouvaient eux aussi
être des personnes. En suivant ce raisonnement, ne faudrait-il pas aussi
donner une persona à notre design ? Eh bien si, il faudrait.
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personnalité aussi affirmée que celle de Justin Long et de John Hodgman
dans les publicités « Get a Mac ».
Avant de jeter un œil à la vraie persona de design que j’ai créée pour
MailChimp, examinons les composants du document. Voilà ce que vous
devez inclure dans votre persona de design :
Nom de la marque : Le nom de votre entreprise ou service.
Aperçu : Un bref résumé de la personnalité de votre marque. Qu’est-ce qui
la rend unique ?
Image de personnalité : Photo d’une vraie personne qui incarne les traits
que vous souhaitez inclure dans votre marque. Cela rend la personnalité
moins abstraite. Choisissez une personne connue, ou au moins une personne
que votre équipe connaît. Si votre marque a une mascotte ou un
représentant qui incarne déjà cette personnalité, utilisez-le. Décrivez quels
attributs de la mascotte expriment la personnalité de la marque.
Traits de la marque : Listez cinq à sept traits qui caractérisent le mieux votre
marque, ainsi qu’un trait que vous souhaitez éviter. Cela aidera les designers
et les rédacteurs qui travaillent sur la persona à créer une personnalité
cohérente tout en évitant les caractéristiques qui emmèneraient votre
marque sur la mauvaise pente.
Carte de la personnalité : Nous pouvons projeter la personnalité sur deux
axes. L’abscisse représente le degré de sympathie ou d’hostilité de la
personnalité, l’ordonnée le degré de soumission ou de domination.
Voix : Si votre marque pouvait parler, comment parlerait-elle ? Que dirait-
elle ? Parlerait-elle une langue fleurie et populaire ou une langue raffinée et
érudite ? Décrivez les aspects spécifiques de la voix de votre marque et
comment elle pourrait varier dans différentes situations de communication.
Les gens changent de registre et de ton selon la situation, et votre marque
doit faire de même.
Exemples de texte : Fournissez des exemples de texte susceptibles d’être
utilisés dans différentes situations sur votre interface. Cela aide les
rédacteurs à comprendre comment votre persona de design doit s’exprimer.
Lexique visuel : Si vous êtes un designer qui crée ce document pour lui-
même et/ou pour une équipe de design, vous pouvez ajouter un lexique
visuel qui inclut un aperçu des couleurs, de la typographie et du style visuel
que la personnalité de votre marque doit exprimer. Vous pouvez rester sur
des concepts généraux, ou inclure une planche de tendance
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(http://bkaprt.com/de/5).
Méthodes d’engagement : Décrivez les méthodes d’engagement émotionnel
que vous pouvez utiliser dans votre interface pour appuyer la persona de
design et créer une expérience mémorable. Nous y reviendrons dans le
prochain chapitre.
Nous allons maintenant nous pencher sur un exemple concret. En tant que
designer principal de l’expérience utilisateur chez MailChimp, j’ai créé une
persona de design pour guider notre travail. En suivant la structure que
nous venons de voir, voici une version légèrement abrégée du document
que nous utilisons :
Nom de la marque : MailChimp
Aperçu : Freddie Von Chimpenheimer IV est le visage de MailChimp et
l’incarnation de la personnalité de la marque (FIG 3.5). La carrure robuste de
Freddie traduit la puissance de l’application et il marche d’un pas décidé
pour faire comprendre aux gens que cette marque en a dans le ventre.
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amusante et décontractée. Freddie est peut-être un singe, mais il sait quand
même être cool. Il est toujours prêt à faire un bon mot, mais quand la
situation l’impose, il reprend tout son sérieux.
MailChimp surprend régulièrement les utilisateurs avec un « œuf de
Pâques » ou un lien vers une vidéo YouTube hilarante. On s’amuse à chaque
étage, mais cela ne gêne à aucun moment le workflow.
Image de la personnalité : FIG 3.4
Traits de la marque : Rigolo mais pas puéril. Déridé mais pas trop. Puissant
mais pas compliqué. Branché mais pas aliénant. Facile, mais pas simpliste.
Digne de confiance mais pas rasoir. Décontracté mais pas relâché.
Carte de la personnalité : FIG 3.5
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FIG 3.5 : Carte de la personnalité de MailChimp.
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comme « hmmmmm.... » pour exprimer un moment de réflexion, ou « berk,
c’est dégoutant » pour induire une connivence. Les formulaires et les
boutons en minuscules renforcent ce sentiment de décontraction.
Exemples de texte : Message de réussite : « Tope-la ! Ta liste a été
importée. » Message d’erreur : « Oups, on dirait que tu as oublié d’entrer une
adresse mail. » Erreur critique : « Un de nos serveurs est temporairement en
panne. Nos ingénieurs sont déjà sur le coup et le relanceront très
prochainement. Merci de votre patience. »
Lexique visuel : Couleur : la palette de couleurs vive mais légèrement
désaturée de MailChimp respire l’humour et la joie. Les couleurs sont
raffinées, pas criardes. MailChimp est sympathique mais également puissant.
Typographie : MailChimp est accessible, efficace et facile à utiliser, et sa
typographie reflète tout cela. Avec des polices simples et sans empattement
qui varient en taille, en graisse et en couleur pour établir une hiérarchie des
informations, MailChimp est un peu comme un gilet familier et confortable
qui est à la fois fonctionnel et cher à votre cœur. Notes de style générales : les
éléments de l’interface sont plats et simples, afin que tout soit facile à
comprendre et ne soit pas intimidant. Des textures douces et subtiles
peuvent apparaître à certains endroits pour réchauffer l’espace et lui donner
un aspect humain. Freddie doit être utilisé à bon escient, et n’intervenir
qu’avec quelques touches d’humour. Freddie ne donne jamais de feedback ni
de statistiques et n’apporte pas son aide.
Méthodes d’engagement : Surprise et enchantement : des écrans de
connexion à thème commémorent certains jours fériés, événements
culturels ou êtres chers. Des œufs de Pâques créent des moments d’humour
inattendus qui peuvent exprimer une certaine nostalgie ou une référence
kitsch à la culture pop. Anticipation : les messages de bienvenue aléatoires de
Freddie au sommet de chaque page principale créent une anticipation de la
prochaine page à charger. Ces messages ne donnent jamais d’informations ni
de feedback. C’est une couche d’humour qui n’interfère jamais avec la
fonctionnalité ou l’utilisabilité.
Téléchargez un modèle de persona de design ainsi que l’exemple de
MailChimp sur http://aarronwalter.com/design-personas. Essayez-les sur
votre prochain projet, ou même sur un projet de redesign.
De même que les designers d’expérience utilisateur affichent leurs
personas à un endroit où les équipes de design, de développement et de
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stratégie de contenu pourront les voir tout au long du projet, votre
persona de design doit être visible pour rappeler à l’équipe le type de
relation que vous souhaitez construire avec votre public. La persona de
design doit guider tous ceux qui créent le moindre pixel, paragraphe ou
processus de votre site Web.
De nombreux sites Web utilisent déjà la personnalité pour modeler
l’expérience utilisateur et nourrir leur succès commercial. Bien qu’étant
différents en termes de marque, d’objectifs commerciaux et de plate-
forme, Tapbots, Carbonmade et Housing Works ont bien compris que la
personnalité était l’ingrédient clé des liens émotionnels qu’ils entretenaient
avec leur public et de leur immense succès.
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: Les applications de Tapbots ressemblent à de gentils petits robots
FIG 3.6
prêts à faire le sale boulot.
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ressemblent à des petits robots humains. Un robot en particulier a inspiré
Mark Jardine, le designer des applications Tapbots, pour la personnalité de
son interface utilisateur :
Le concept de l’interface a en fait été inspiré par le film WALL-E. Notre idée
pour les deux premières applications était de les concevoir comme si elles
étaient de vrais robots.
Nous voulons que nos applications soient utilisées sérieusement, mais
également donner l’impression qu’elles sont plus qu’un morceau de code.
Nous voulons que nos utilisateurs aient un lien émotionnel avec nos
applications. La plupart des gens ne ressentent pas le bonheur que les geeks
éprouvent au contact des logiciels.
Les utilisateurs réagissent émotionnellement à ces interfaces aux airs de
cartoon et pourtant bien tangibles, agrémentées de bzz, de bips et de blips
robotiques. Vous voyez certainement le parallèle avec WALL-E, dans les
traits physiques et la personnalité. Les deux sont sympathiques, attachants
et fiables.
Le blog technologique de John Gruber résume le sentiment général au
sujet des applications Tapbots en une simple phrase
(http://bkaprt.com/de/6) :
J’adore le look et l’ambiance sonore de leurs applications.
L’ironie, c’est que Gruber ne mentionne même pas la fonctionnalité des
applications, même si son appréciation de celle-ci est implicite. Il utilise le
verbe « adorer ». Gruber n’aime pas ces applications, il les adore. Ces
interfaces anthropomorphiques donnent aux utilisateurs le sentiment
d’interagir avec un autre être humain doté d’une personnalité, ce qui
permet d’établir un lien émotionnel. Les interfaces qui parviennent à
toucher les émotions de manière efficace se créent non seulement un
énorme fan club, mais aussi une armée d’évangélistes.
Le prochain exemple est un autre modèle de personnalité. Carbonmade
parvient à construire une personnalité de marque efficace qui trouve un
écho auprès de son public, tout en baignant dans une mare de moustaches.
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un gimmick, elle peut avoir l’effet inverse. Comme nous l’avons vu au
chapitre 2, nos cerveaux sont programmés pour détecter les choses qui
sont bonnes ou mauvaises pour nous. Les gens remarqueront une
personnalité fausse et artificielle dans un design. Ils partiront
instantanément et ne feront jamais confiance à votre marque.
Carbonmade (http://carbonmade.com), une application Web ingénieuse
qui permet à ses utilisateurs de créer des portfolios élégants, exprime sa
personnalité dans tout le site, combinant la gravité d’un James Stewart
avec le charme explosif et délirant d’un Eddie Izzard. Des poulpes et des
licornes s’ébattent dans le paysage fantastique de leur page d’accueil (FIG 3.7)
– plutôt atypique pour un site qui a pour ambition d’attirer de nouveaux
inscrits.
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: Carbonmade utilise une personnalité exubérante pour appâter les
FIG 3.7
nouveaux utilisateurs.
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Cette excentricité et cet humour pince-sans-rire sont l’œuvre de leur
designer Dave Gorum, et il s’avère que c’est cette personnalité qui pousse
les designers et les artistes sceptiques à s’inscrire. Gorum explique :
Ma règle consiste et a toujours consisté à ajouter de l’humour jusqu’au stade
où cela détourne l’attention du message.
C’est le côté décontracté et un peu déjanté qui pousse les gens à cliquer sur
le bouton Inscription. Mais la rigolade n’a pas sa place partout. On en met
une bonne couche sur notre site de marketing, un peu moins dans nos outils
d’administration et pas du tout dans le produit. C’est un peu comme une
énorme confiserie de toutes les couleurs qui renfermerait un cœur de nougat
sophistiqué de fabrication suisse !
L’humour et la personnalité de Carbonmade sont comme une coupe mulet
à l’envers : décontracté devant et sérieux derrière. En plaçant cette
personnalité exubérante en retrait dans leur application, ils permettent aux
utilisateurs de se concentrer sur leur travail au lieu de se perdre dans une
mer de moustaches, un point dont nous discuterons aux chapitres 4 et 7.
En revanche, le ton familier du site du produit établit un rapport qui incite
les gens à s’abonner au service, tout en mettant les concurrents sur une
fausse piste en laissant penser que Carbonmade n’est que frivolité sans
substance :
Le style familier permet d’établir facilement un dialogue avec notre public.
Nous sommes comme leur ami rigolo à qui on peut tout confier et qui peut
leur faire un super portfolio.
En plus, le côté déjanté donne à nos concurrents une raison de ne pas nous
prendre au sérieux. Ce qui nous convient paaarfaitement.
La personnalité de Carbonmade crée un contraste clair pour quelqu’un qui
veut les comparer à la concurrence. Et comme nous l’avons vu au chapitre
2, le contraste est une part essentielle du processus de prise de décision.
Même si l’humour est la pierre angulaire de la personnalité de
Carbonmade, il n’est pas approprié en toutes circonstances. Notre désir de
partager un peu de nous-mêmes avec les autres influence la personnalité
de nos designs, et nous aide à créer un lien avec notre public. Nous
sommes tous des personnes complexes pouvant éprouver une vaste
palette d’émotions. En matière de design émotionnel, il faut savoir créer
une personnalité sur mesure en fonction du contenu et du public.
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Peu de sites le font aussi bien que Housing Works, qui met un visage
humain sur une cause importante.
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Dan Mall, le designer principal de Housing Works, explique :
Il était très clair que le cœur de Housing Works est constitué des membres de
l’organisation et de tous ceux à qui ils rendent service. Il s’agit d’abord et
avant tout de chaleur, de soin et d’attention. Avec une telle orientation, il a
été facile de concevoir le site que vous voyez aujourd’hui.
Sur la page d’accueil, des grandes photographies accompagnées de
citations racontent comment Housing Works a changé la vie de telle ou
telle personne, exprimant la personnalité de l’organisation tout en étant
une source d’inspiration pour le visiteur. Les sourires et les histoires
personnelles défilent lentement, ce qui aide à établir une véritable
communication avec ces personnes.
Le cadrage des photos influence la perspective émotionnelle du public.
D’après le principe de prééminence du visage, un gros plan sur le visage
d’un sujet déclenche une réponse émotionnelle tout en mettant l’accent
sur la personnalité du sujet. Un cadrage plus large met l’accent sur
l’apparence physique du sujet. Les photos de la page d’accueil de Housing
Works sont cadrées à la perfection pour nous mettre en contact avec les
magnifiques personnalités des personnes dépeintes, et nous inciter à
soutenir leur cause.
LE POUVOIR DE LA PERSONNALITÉ
De même que, dans la vie quotidienne, nos personnalités s’adaptent selon
le contexte de communication, elles doivent s’adapter dans les projets que
nous concevons. On ne peut pas toujours avoir la même approche. Si nous
arrêtons d’envisager les interfaces que nous concevons comme de bêtes
panneaux de commande pour les voir plutôt comme des personnes avec
qui notre public a envie d’interagir, nous pouvons créer des expériences
émotionnelles capables de laisser une empreinte durable.
Sachez tout de même que mettre l’accent sur la personnalité dans
l’expérience utilisateur ne plaît pas systématiquement à tout le monde.
Mais ce n’est pas grave. Les personnalités s’affrontent et, dans le cas d’une
entreprise, cela peut même être salutaire. Si quelqu’un ne comprend pas
votre personnalité, ce n’est sans doute pas le client qu’il vous faut et vous
vous épargnez de futurs problèmes relationnels. Comme nous le verrons
au chapitre 7, la personnalité est un risque, mais il existe de nombreux
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exemples concrets qui tendent à prouver que ce risque vaut la peine d’être
pris.
En employant la personnalité comme fondement de votre design, vous
pouvez ensuite ajouter une couche d’engagement émotionnel, comme
nous allons le découvrir au prochain chapitre.
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COMME NOUS L’AVONS VU AU CHAPITRE 3, la personnalité est une manière
puissante d’engager votre public. Elle aide les gens à comprendre qui vous
êtes et influence leur façon d’interagir avec vous, tout en donnant le ton de
la voix, de l’esthétique et du design de l’interaction de votre site.
La persona de design que nous avons créée au chapitre 3 était le plan de
notre stratégie de design émotionnel. Nous sommes maintenant prêts à
utiliser ces fondations et à commencer à construire des schémas
d’interaction qui exploiteront le pouvoir de la psychologie pour créer des
souvenirs positifs et durables de votre site dans l’esprit des gens.
La vie elle-même peut être riche d’enseignements si nous examinons nos
propres réponses émotionnelles. Comment réagissons-nous dans les
moments de surprise, d’anticipation , ou bien quand quelque chose nous
est refusé ? Comment vous sentez-vous quand vous bénéficiez d’un statut
supérieur ou quand quelqu’un vous ordonne de faire quelque chose ? Ces
situations laissent une impression durable, et un examen plus approfondi
peut nous apprendre à bien utiliser le design émotionnel.
SURPRISE ET ENCHANTEMENT
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Avez-vous déjà remarqué qu’il est toujours plus plaisant d’entendre sa
chanson préférée à la radio que de l’écouter soi-même ? La surprise
amplifie notre réponse émotionnelle. Quand nous anticipons un moment,
la réponse émotionnelle se dilue au fil du temps. Un moment de surprise
condense des émotions en une fraction de seconde, ce qui rend notre
réaction d’autant plus intense et laisse une empreinte profonde dans notre
mémoire.
Au chapitre 2, nous avons appris que nos cerveaux recherchaient les
ruptures de motifs pour identifier les éléments visuels et cognitifs
contrastants afin que nous puissions réagir de manière appropriée. Quand
nous sommes surpris, nous vivons une situation de fort contraste dans
laquelle quelque chose ne se passe pas comme prévu. Un moment de
surprise monopolise notre attention, ce qui rend les éléments
périphériques flous et met l’extraordinaire au premier plan.
C’est un outil pratique que les designers d’interface peuvent utiliser pour
attirer l’attention et influencer le comportement des utilisateurs. Nous
savons que les gens qui utilisent des sites et des applications Web
naviguent et traitent le contenu rapidement, et que leur attention est
limitée. Introduire des surprises dans une interface peut rompre un
schéma comportemental et forcer le cerveau à réévaluer la situation.
La surprise est toujours suivie d’une réponse émotionnelle
proportionnelle. Quand le cerveau détecte un contraste saisissant, il doit
trouver un moyen de réagir rapidement. Comme il n’a pas assez de temps
pour une profonde contemplation intellectuelle, il se fie aux émotions
pour provoquer une réaction « instinctive ». Les designers d’interfaces
adorent créer ce genre de réponse chez leurs utilisateurs ; en effet, si elle
est bien faite, une surprise qui déclenche la bonne réaction instinctive
contourne les jugements cérébraux qui pourraient dissuader un utilisateur
de cliquer, de s’abonner à un service ou d’acheter un produit. Mais
souvenez-vous que notre objectif n’est pas de tromper ni de manipuler. Si
vous êtes manipulateur, le public s’en apercevra et ne fera pas confiance à
votre marque. Nous voulons créer des perceptions positives de notre
marque pour constituer une clientèle fidèle.
Photojojo maîtrise le kung-fu de la surprise, ce qui enchante ses
utilisateurs et contribue largement à son succès commercial.
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Photojojo : l’attaque des muppets serviables
Sur Photojojo (http://photojojo.com), un site Web conçu pour rendre la
photo numérique plus sympa, il y a des surprises dans tous les recoins de
la boutique en ligne. Avec la maturation du Web, le design de l’interaction
des commerces en ligne est devenu très standardisé, de manière à ce que le
processus d’achat soit facile à apprendre et à réutiliser. Mais Photojojo a
revu le schéma d’interaction classique du panier en ajoutant une surprise
astucieuse qui donne envie à leurs clients de continuer à acheter.
En haut de chaque page du site se trouve un panier avec une vraie
personnalité. Il est gris et maussade sans que l’on comprenne pourquoi au
début (FIG 4.1). Le mystère est résolu quand le client clique sur le bouton
« Add to cart » (ajouter au panier) et envoie un article dans le panier.
Immédiatement, la triste figure devient verte et sourit de plaisir. En effet,
le panier n’est content que lorsque son ventre est plein de produits que
vous allez acheter.
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FIG 4.1: Le panier de Photojojo fait la tête jusqu’à ce que le client ajoute un
article, ce qui lui fait arborer un sourire ravi.
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toucher avec la légende « Do Not Pull » (ne pas tirer). Il est plutôt
inhabituel de trouver un élément qui demande à ne pas être actionné sur
une page Web. Seuls les acheteurs les plus disciplinés peuvent résister à la
tentation. Ceux qui tirent sur le levier sursautent en voyant un bras de
muppet orange remonter la page d’un coup sec pour révéler la description
du produit, qui se trouve dans la partie inférieure de la page (FIG 4.2).
FIG 4.2 : Un bras orange apparaît pour faire remonter la page quand
l’utilisateur clique sur le levier « do not pull ».
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inversée, amène plus de gens à lire la description. Et d’après le fondateur
de Photojojo, Amit Gupta, cela améliore même leur taux de conversion.
Génial !
Tout le site est parsemé de petits bijoux qui le rendent drôle et poussent la
clientèle à revenir. Gupta explique comment le design émotionnel a élargi
son public et contribué à son succès :
Le design émotionnel fait partie de notre stratégie de marketing. Les gens
parlent à leurs amis de la bulle qui sautille vers le haut de la page quand
vous ajoutez quelque chose au panier, ils parlent à leurs abonnés Twitter et
aux lecteurs de leur blog du levier « ne pas tirer » sur nos pages produits, ils
disent à quel point ils aiment le sandwich et le dinosaure de notre page de
contact quand ils nous écrivent, et ils publient des photos de leurs facture
sur leur compte Flickr. Tout cela fonctionne de concert (avec des produits et
un service client géniaux) pour faire parler de l’entreprise et attirer de
nouveaux fans, clients et amis.
Une surprise agréable attend l’utilisateur au détour de chaque page, et cela
pousse les clients à constamment chercher la prochaine. Plus Photojojo
encourage le mouvement, plus les produits sont vus et les ventes
nombreuses. La surprise et l’enchantement sont au cœur du succès de
Photojojo.
Vous vous souvenez de Wufoo , qui nous a aidés à définir la notion de
design émotionnel au premier chapitre ? Voyons un peu comment Wufoo
laisse des surprises à ses clients, non pas dans l’interface, mais dans leur
vraie boîte aux lettres physique.
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personnel d’un vrai employé d’une entreprise qui sert des milliers de
clients qu’une licorne miniature. Cela témoigne d’un soin et d’une
considération qui prennent le destinataire au dépourvu quand il ouvre sa
boîte aux lettres pour y découvrir un authentique communiqué manuscrit
du designer ou du développeur qui se cache derrière une application Web
(FIG 4.3).
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FIG 4.3: Les créateurs de Wufoo envoient des lettres manuscrites à leurs
clients. Avec l’aimable permission d’un utilisateur de Wufoo, Andrew Hyde
(andrewhy.de).
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Ces lettres mettent un visage humain sur la marque Wufoo. La surprise
déclenche une réponse chaleureuse chez le destinataire, qui se sent spécial
aux yeux de l’équipe de Wufoo. Ce sentiment déclenche
systématiquement le même comportement : une effusion d’éloges auprès
de qui voudra l’entendre. Même si elles n’étaient pas conçues à l’origine
comme un stratagème de marketing, ces lettres parcourent Twitter,
Facebook et Flickr, laissant une impression durable chez des gens qui ne
sont pas encore clients, mais qui ont envie de le devenir en voyant
l’attention que leurs amis reçoivent.
Surprendre les gens par sa gentillesse et une attention personnelle n’est
pas juste une bonne action, cela peut être la clé du succès. Wufoo a
découvert une chose : quand on crée une expérience émotionnellement
engageante, il n’y a plus besoin de budget marketing. (Oui, vous avez bien
lu : ils ont supprimé leur budget marketing). Leur public assure le
marketing à leur place.
L’anticipation, une proche parente de la surprise, est aussi dotée d’un
grand pouvoir. Un site Web en particulier s’est servi de l’anticipation pour
créer un engouement autour de son nouveau design et atténuer les
contrecoups potentiels. Mais de quel site s’agit-il ? Lisez la suite pour le
découvrir. (Vous voyez ce que je viens de faire ?)
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vidéo qui utilisent un système fermé, comme Super Mario Bros, dirigent
étroitement l’expérience de jeu, forçant l’utilisateur à se déplacer dans une
direction spécifique avec une mission particulière. C’est ce contraste entre
les systèmes ouverts et fermés qui nous pousse si souvent à trouver que le
livre est meilleur que le film. Les livres font appel à notre imagination,
alors que les films nous mâchent tout le boulot.
L’anticipation est aussi une sorte de système ouvert qui nous encourage à
utiliser notre imagination pour former une image d’un événement à venir.
On a beaucoup plus d’influence sur les gens en créant une anticipation
qu’en fournissant simplement des informations, car le doute qui plane
laisse l’esprit libre de jouer de manière propre à chaque individu. On sait
que quelque chose de spécial nous attend, ce qui suscite un puissant désir
de mettre fin au mystère pour voir si le résultat est conforme à nos
espoirs.
La célèbre plate-forme de réseau social Twitter a utilisé le pouvoir
émotionnel de l’anticipation pour préparer ses utilisateurs à la refonte du
design. En dévoilant petit à petit le design, ils ont créé un déluge de
conversations positives et d’engagement émotionnel qui en ont fait l’un
des redesigns les plus réussis du Web moderne.
Nouveau Twitter
Début 2010, l’équipe de Twitter préparait un remaniement majeur du
design sobrement intitulé « New Twitter ». Doug Bowman, directeur de la
création de Twitter, bûchait avec son équipe sur des concepts de design,
passant au crible chaque détail visuel et chaque schéma d’interaction. Le
spécialiste en design de Twitter, Mark Trammell, conduisait des tests
d’utilisabilité sur l’interface alors qu’elle était encore en cours de
développement, et la vidéo du test était diffusée en direct dans le studio de
design pour que Bowman et son équipe puisse affiner et améliorer le
design à la volée.
En raison des centaines de millions d’utilisateurs pour qui Twitter était un
élément essentiel de la vie quotidienne, les enjeux de la refonte étaient de
taille. Le nouveau Twitter risquait de connaître un lancement
particulièrement difficile, car l’utilisation fervente de leur service avait
enraciné chaque bouton, lien et titre dans l’esprit des utilisateurs. Tous les
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changements, même insignifiants, allaient être remarqués.
L’existence du projet a été révélée sur le Web quand Bowman a publié une
capture d’écran partielle (FIG 4.4) sur Dribbble (http://bkaprt.com/de/7), un
site qui permet aux designers de partager un aperçu de leur travail du
moment avec une image de 400 300 pixels. La rÈsolution limite imposÈe
par Dribbble a permis ‡ Bowman de partager un fragment du design sans
g‚cher toute la surprise. En laissant de la place ‡ l’imagination, elle a
engendrÈ beaucoup de spÈculations au sujet du reste de l’interface.
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En quelques minutes, la capture d’écran a fait le tour du Web. Des articles
sur GigaOm et Mashable ont attisé la curiosité de centaines de milliers de
personnes : qu’allait apporter le nouveau Twitter ? Après cinq mois
d’attente, le nouveau Twitter a lentement commencé à être proposé à
quelques heureux élus. Certains étaient des personnes influentes, d’autres
semblaient avoir été choisis au hasard. Enfin, l’attente était finie !
Les premiers utilisateurs du nouveau Twitter (FIG 4.5) se sont vantés auprès
de leurs abonnés d’avoir gagné à la loterie, ajoutant le tag #NewTwitter à
tous leurs tweets, ce qui permettait de suivre facilement la conversation.
Le déploiement progressif était plutôt motivé à l’origine par un désir de
limiter les conséquences imprévues sur l’infrastructure et l’expérience
utilisateur, mais cet accès limité a également créé un effet « cordon de
velours » qui a eu une puissante influence émotionnelle. Les utilisateurs
qui bénéficiaient d’un accès prioritaire avaient un sentiment d’exclusivité
et d’élévation de leur statut, renforcé par les réponses jalouses de leurs
abonnés.
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FIG 4.5 : TLe résultat de la refonte du design de Twitter de 2010.
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: Petit échantillon des réactions positives qui ont suivi la sortie du
FIG 4.6
nouveau Twitter.
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rapidement sur Facebook pour prendre des nouvelles d’un ami, les
changements de l’interface vous donnent l’impression que quelqu’un a
déplacé vos affaires. En fournissant à ses utilisateurs un lien pour rétablir
l’ancienne interface, Twitter leur a donné une sensation de contrôle. C’est
une approche de système ouvert appliquée à une situation délicate pour
préparer les gens au changement.
Comme nous allons le voir, on peut grandement améliorer l’expérience de
l’utilisateur en influençant son humeur avant qu’il ne s’attelle à une tâche
importante.
AMORÇAGE
Dans tous les exemples que nous avons vus, des expériences
émotionnelles positives poussent les utilisateurs à tomber amoureux d’un
produit ou d’un service. Si les méthodes varient, le résultat est le même :
leur public est profondément engagé. Un principe de psychologie
classique est à l’œuvre : c’est l’amorçage.
L’amorçage se produit lorsqu’une personne est exposée à un stimulus qui
influence sa réponse à un autre stimulus. Nous l’avons par exemple vu
avec les éléments d’humour du site Photojojo , qui améliore son taux de
conversion en ajoutant des interactions positives sur le chemin de l’achat.
Ces moments de surprise et d’enchantement amorcent les perceptions des
utilisateurs, qui arrivent plus facilement à s’identifier et à se fier au site.
En dévoilant une capture d’écran sur Dribbble, le nouveau Twitter a créé
une anticipation et un suspens, amorçant un lancement réussi. Les
premiers invités se sont sentis privilégiés, ce qui a préparé leur perception
de la nouvelle interface. Cela a ensuite encouragé une effusion de tweets,
qui ont ainsi amorcé les perceptions de tous ceux qui n’y avaient pas
encore accès. Voilà une chaîne d’amorces positives très efficace.
L’amorçage fonctionne en activant des parties de votre mémoire à l’aide
d’un stimulus initial afin que lorsqu’un second stimulus s’ensuit, votre
cerveau soit plus enclin à construire des associations. J’ai découvert les
bénéfices de l’amorçage des perceptions des utilisateurs par pur accident,
en menant des expériences qui ont eu des résultats intéressants et
totalement imprévus.
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MailChimp : amorçage accidentel
J’ai découvert le pouvoir de l’amorçage accidentellement en tant que
designer de l’expérience utilisateur de MailChimp. En 2008, nous avons
conduit une refonte importante du design et reconstruit l’essentiel de
l’application. Avec une marque marrante (on a un chimpanzé pour
mascotte, après tout) et une liberté de design absolue, nous avions pas mal
de marge pour tester des stratégies de design émotionnel.
Nous avons commencé à petite échelle, avec un élément visible mais
discret – un chimpanzé qui parle en haut de certaines pages de
l’application. Freddie Von Chimpenheimer IV, comme certains l’appellent,
sort la tête pour vous souhaiter la bienvenue et donne parfois des liens
vers des vidéos YouTube hilarantes (FIG 4.7). Comme nous savions que les
mascottes parlantes souffraient d’un lourd passé dans l’histoire des
logiciels, nous avons établi dès le départ des règles de base strictes pour
Freddie.
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: Freddie Von Chimpenheimer IV accueille les utilisateurs et lance
FIG 4.7
quelques vannes, ce qui peut égayer une tâche a priori banale comme
envoyer ses emails.
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: Les utilisateurs de MailChimp ne tardent pas à partager leur réaction
FIG 4.8
aux commentaires de Freddie sur Twitter.
[*tweet : J’adore @mailchimp. Ils vous donnent des liens vers des vidéos qui
peuvent égayer une journée de travail harassante, comme http://ow.ly/2PJqK]
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FIG 4.9: L’humour de Freddie a eu une incidence surprenante sur le taux de
complétion des tâches.
[tweet : Oh singe de MailChimp. Alors que je m’énerve sur des adresses mail, tu es
là avec tes bons mots pour me remonter le moral.]
Freddie est comme le lapin blanc d’Alice : il attire l’utilisateur vers la page
suivante avec ses blagues. Nous nous sommes aperçus que de même qu’un
bon design améliore la perception de l’ergonomie de l’interface (voir le
chapitre 2 pour la définition de l’effet esthétique-utilisabilité), une interface
émotionnellement engageante pouvait avoir le même effet. Les messages
aléatoires sur chaque page permettent de garder une dynamique enjouée
qui aide les gens à surmonter les obstacles et à accomplir leurs objectifs.
Quand des récompenses surviennent à intervalle régulier avec des degrés
de plaisir variés, comme ces petits messages, elles piquent la curiosité des
gens, qui veulent savoir quelle sera la prochaine. Elle sera peut-être
vraiment géniale ? Il faut que j’aille voir !
C’est un phénomène psychologique appelé récompenses variables, qui fait
tout l’attrait des machines à sous. Les gens adorent jouer au bandit
manchot parce que le gros lot se trouve peut-être derrière le prochain
coup de levier. Des sites de réductions populaires comme Groupon
(http://groupon.com) et Scoutmob (http://scoutmob.com/) utilisent eux
aussi les récompenses variables. Tous les matins, les abonnés ouvrent leur
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boîte mail en se demandant quelle offre incroyable les attend. Des fois
c’est génial, des fois pas du tout. Des récompenses régulières mais
incertaines attisent l’excitation des gens, car ils attendent toujours la
prochaine avec impatience.
Les innombrables blagues de Freddie produisent le même effet.
L’incertitude qui entoure la blague suivante utilise le pouvoir des
récompenses variables pour encourager les utilisateurs à passer à l’étape
suivante de leur workflow, un résultat exceptionnel que nous n’avions pas
escompté.
En expérimentant avec les messages de bienvenue, nous en avons
introduit quelques-uns qui faisaient référence à des caractéristiques
spécifiques des utilisaturs. Nous espérions, comme en jetant une bouteille
à la mer, que tôt ou tard un message ciblé tomberait exactement sur la
bonne personne, et que son influence en serait intensifiée. Un message
portait sur la coupe de cheveux, ce qui donné lieu à quelques tweets
mystifiés quand il s’est affiché au bon moment (FIG 4.10).
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Nous n’avions aucun moyen de savoir quand ce message serait le plus
approprié, mais ce n’est pas comme cela que Kate l’a perçu. Comme ce
message coïncidait parfaitement avec sa vraie vie, Kate a eu l’impression
que quelqu’un lui parlait directement derrière l’écran. Dans cette situation,
l’application, ce bloc de code inerte, s’est transformée en une personnalité
bien vivante, capable d’établir un lien humain. Pour Kate, c’était comme
une vraie communication avec une autre personne.
Le hasard n’a pas toujours joué en notre faveur. Parfois, les messages
avaient une résonnance inappropriée auprès de certaines personnes. Un
message plaisantait sur le fait que le petit chapeau de Freddie lui faisait des
grosses fesses. Certaines personnes l’ont pris pour un commentaire sur
leur apparence physique et ont envoyé des courriers outrés à l’équipe
d’assistance. Ces utilisateurs étaient dans un état d’esprit tel qu’ils
prenaient tous les commentaires sur la taille des fesses comme une
réflexion personnelle. Nous n’avions aucun moyen de le savoir, mais nous
réfléchissons maintenant plus sérieusement aux conséquences imprévues
que chaque message pourrait avoir.
Comme nous le découvrirons au chapitre 7, on prend un certain risque à
utiliser le design émotionnel quand on s’adresse à un public large.
Certaines personnes réagiront positivement à la personnalité, d’autres
non. Mais le risque de rencontrer quelques réactions négatives est
insignifiant par rapport aux bénéfices. Les émotions positives que nous
cultivons avec nos messages d’accueil l’emportent sur les quelques
réponses négatives. En fait, les messages de Freddie ont plutôt tendance à
préparer les utilisateurs à percevoir l’application comme drôle, utilisable et
fiable, ce qui était l’effet voulu.
Nous avons réalisé à quel point cet amorçage était efficace quand nous
avons constaté un changement dans le ton que nos clients employaient
pour s’adresser à notre équipe d’assistance. Les gens libèrent leur Freddie
intérieur, font des blagues et des jeux de mots avec des bananes. Grâce à
l’amorçage, les utilisateurs se disent « MailChimp est drôle, alors je dois
être drôle pour parler à MailChimp ». Bien sûr, notre service client préfère
travailler avec un client de bonne humeur qui a un sens de l’humour
qu’avec un type grincheux qui attend de passer ses frustrations sur un
technicien qui n’a rien demandé.
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L’effet d’amorçage des messages d’accueil ne profite pas qu’aux clients :
nous en tirons aussi profit. Nous pouvons plus facilement aider les gens à
résoudre des problèmes quand ils sont bien disposés, ce qui raccourcit la
durée moyenne du cycle de support. Les messages de Freddie égaient la
journée de nos clients, mais également la nôtre.
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LE DERNIER CHAPITRE vous a peut-être donné un avant-goût idyllique du
design émotionnel. C’est juste une histoire de blagues et de singes, pas
vrai ? La sombre réalité, c’est que toutes les marques ne peuvent pas se
permettre d’afficher une personnalité humoristique. Nous devons parfois
faire appel à des émotions différentes pour inspirer l’assurance et la
confiance chez notre public.
Comme nous l’avons découvert au chapitre 2, nos cerveaux décomposent
les situations complexes en concepts simples afin que nous puissions
évaluer les coûts et les bénéfices d’une décision. Pour nous protéger du
danger, nous sommes préprogrammés pour être sceptiques face à de
nouvelles marques, de nouveaux produits, de nouvelles situations et
même de nouvelles personnes.
Baladez-vous sur le parking d’un concessionnaire de voitures d’occasions
et votre sixième sens vous alertera quand vous verrez le vendeur arriver
avec son discours prémâché. Vous savez reconnaître une marque
malhonnête qui essaie de vous fourguer un produit trop beau pour être
vrai. Nous sommes tous capables de détecter le baratin à des kilomètres.
C’est à cela que vous vous confrontez quand vous essayez de convaincre
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votre public de cliquer, de s’abonner ou de faire confiance à votre marque.
C’est vous contre l’instinct de votre public. Pour courtiser un public
sceptique, paresseux ou indifférent, vous devrez être persuasif sans laisser
votre stratégie de marketing transparaître. Avant que nous puissions
apprendre à surmonter ces obstacles, nous devons disséquer et examiner
le processus de prise de décision.
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choisir une date de rendez-vous avec leur docteur déclenche un débat
interne sur les mérites des diverses options. De même, impossible de
choisir un restaurant pour le déjeuner, car ils n’ont jamais fini de peser le
pour et le contre. Quand il y a beaucoup d’options toutes aussi acceptables,
rien ne parvient à faire prendre une décision à ces personnes. Sans
l’arbitrage d’une réponse émotionnelle instinctive, elles ne peuvent pas
décider.
En tant que designers, nous sommes dans une position unique pour aider
les utilisateurs à suivre leur instinct. En utilisant des outils de design
courants comme la mise en page, la couleur, les lignes, la typographie et le
contraste, nous pouvons aider les gens à absorber plus facilement les
informations et à prendre des décisions guidées par leur instinct plutôt que
par leur raison. De même que vous avez choisi votre chemise parce que
vous en aviez envie, nous pouvons encourager notre public à s’abonner à
un service ou à compléter une tâche parce que leur instinct leur dit que
c’est la bonne chose à faire. Souvenez-vous que nous n’avons pas besoin
de donner des arguments exhaustifs, car la raison est rarement le principal
moteur des décisions prises par notre public. Nous devons juste faire appel
à leurs émotions pour les convaincre que les avantages l’emportent sur le
coût (FIG 5.1).
Page 85 de 128
: Pour convaincre les sceptiques d’agir, inutile d’avoir un argumentaire
FIG 5.1
béton : vous devez juste offrir des bénéfices supérieurs au coût afin que la
réaction instinctive des gens face à votre design penche en votre faveur.
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demande de partager l’accès à tous vos comptes bancaires attire forcément
l’attention des sceptiques. Pour que Mint réussisse, il fallait qu’il inspire
confiance.
Dans la théorie, les investisseurs adoraient le concept de Mint. Un service
gratuit qui aide les gens à comprendre comment ils dépensent leur argent
aurait un énorme attrait et pourrait rapporter beaucoup d’argent en
recommandant des produits financiers aux utilisateurs pour les aider à
faire des économies. Mais les investisseurs en capital risque avaient des
réserves au sujet de Mint, car on n’avait jamais confié des données aussi
personnelles à un service gratuit (le mot « gratuit » éveille le sceptique qui
est en nous).
Jason Putorti, le designer de Mint, savait que le design serait un élément
crucial pour leur succès :
Obtenir la confiance de nos utilisateurs potentiels était le principal obstacle
que nous devions surmonter. Nous avons dû nous battre pour trouver des
capitaux, car les investisseurs pensaient tout simplement que les gens ne
partageraient jamais leur identifiants bancaires. La confiance relève de
l’instinct plutôt que d’un processus rationnel, et le design visuel affecte les
émotions d’une manière très puissante, peut-être plus encore que n’importe
quel autre stimulus.
Putorti a conçu Mint avec l’intention de se démarquer de ses principaux
concurrents comme Quicken et TurboTax, mais également d’autres
applications sur le Web. Quand Mint a été fondé en 2006, le design
minimaliste et fonctionnel inspiré des applications de 37Signals était la
norme. Avec son expérience dans une agence de design, Putorti a apporté
une esthétique différente au projet. À l’époque, les concepteurs
d’applications Web prenaient garde à ne pas utiliser trop d’images pour
créer des effets de dégradé ou afficher une police de caractères spéciale. La
vitesse était la priorité et les textures, les illustrations et les
expérimentations typographiques se faisaient rares dans les applications
Web. Mais Putorti n’avait pas tous ces préjugés quand il a conçu Mint.
Dans Mint, vous remarquerez la luminosité de l’interface, créée par des
points lumineux, des dégradés et des ombres. Même s’il y a beaucoup de
données, ce n’est pas vraiment le tableur Excel de Papa. Des effets brillants
font ressortir les graphiques dans la page, sur laquelle on s’attarde pour le
plaisir des yeux. Souvenez-vous, quand Mint est sorti en 2006, Gmail et
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Basecamp étaient les parangons du design dans le domaine des
applications Web. Mint contrastait fortement avec les designs plats de
toutes les applications Web que nous avions l’habitude de voir (FIG 5.2).
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stimulants pour examiner ses habitudes de consommation et offrait des
moyens de faire des économies. Ce sont indubitablement des avantages
convaincants. Si ces données étaient prisonnières d’une interface mal
conçue, comme c’est le cas de la plupart des logiciels financiers,
l’historique de sa vie financière serait difficile à lire, ce qui diminuerait la
valeur de l’application. Sans véritable valeur ajoutée, les inquiétudes en
matière de sécurité auraient presque certainement raison des avantages, ce
qui diminuerait les chances de convertir les sceptiques. Le design était
déterminant pour la réussite de Mint.
Le design manifestement soigné laisse penser que la même attention est
portée en coulisses, là où Mint gère la sécurité et la vie privée de ses
utilisateurs. Mint est évidemment très attaché à la protection de vos
informations, mais plutôt que de le répéter à tout bout de champ, le design
le dit plus efficacement.
Vous feriez plus confiance à un garde du corps qui porte un costume
Armani noir sorti du pressing qu’à un type en jean déchiré avec un t-shirt
délavé des Grateful Deal, n’est-ce pas ? L’apparence peut avoir une grande
influence sur nos perceptions, et nous appliquons ce même modèle mental
quand nous évaluons un site. Le design soigné de Mint inspire juste assez
de confiance pour que ses avantages l’emportent sur la crainte de coûts
éventuels dans l’esprit des gens.
Putorti a beaucoup parié sur l’idée que le design pouvait être une raison
suffisamment convaincante de s’inscrire sur Mint. Même si la sécurité était
importante, elle était pour lui un défi secondaire :
L’esthétique visuelle était essentielle. Une application de gestion financière
est un défi différent ; les informations elles-mêmes doivent être présentées
d’une manière utile mais aussi plaisante et stimulante pour l’utilisateur.
Les gens ne s’abonnent pas à ce service pour une question de sécurité, mais
pour avoir des informations pratiques sur leur argent. Si vous offrez une
incroyable valeur ajoutée à vos utilisateurs en échange de quelques
informations, la plupart des gens s’inscriront.
Au final, les utilisateurs pensaient instinctivement que Mint semblait
suffisamment sécurisé et que les tableaux et les graphiques attrayants
apportaient assez de valeur ajoutée pour prendre le risque de s’inscrire.
Même si les réserves des investisseurs au sujet de Mint étaient fondées sur
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une logique imparable, Mint a défié la raison en faisant appel aux émotions
des utilisateurs. En novembre 2009, Mint a été acquis par Quicken – son
principal concurrent – prouvant à tout le monde que le design et les
émotions étaient tout aussi précieux que la raison et la logique, et parfois
même plus encore.
Si nous pouvons faire du gringue aux sceptiques avec un design réfléchi au
service d’une proposition à forte valeur ajoutée, il nous faut, pour les
utilisateurs paresseux, adopter une autre attitude.
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application Web, mais c’est également une application de bureau et
mobile. C’est un territoire encore inconnu pour beaucoup de personnes, et
il faut un certain apprentissage pour utiliser le service et comprendre en
quoi il vous facilitera la vie. Dropbox n’a aucun problème pour attirer le
chaland ; ce qui est difficile, c’est de le retenir et de l’inciter à s’investir.
Dropbox utilise une approche novatrice pour que leur public s’investisse
dès l’inscription. Ils ont créé un jeu avec une récompense sympa pour tous
ceux qui le finissent. Quand un nouveau client se connecte sur Dropbox,
on lui confie six tâches simples à accomplir (FIG 5.3).
Pour gagner plus d’espace de stockage, les utilisateurs doivent suivre une
visite guidée, installer Dropbox sur leur ordinateur, mettre des fichiers
dans leur dossier Dropbox, installer le logiciel sur d’autres machines,
partager des dossiers avec des amis et enfin leur recommander le service.
Une jauge de progression indique l’avancée vers la récompense de 250 Mo.
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Pour l’utilisateur, c’est comme un jeu, mais Dropbox réduit ainsi le
nombre d’abandons de compte en apprenant aux gens à se servir du
système et en leur faisant comprendre l’intérêt qu’il présente pour leur vie
numérique. Une fois que vos fichiers sont sur Dropbox et que vous les
avez partagés avec des amis, il vous en coûte plus d’abandonner votre
compte que de continuer à l’utiliser.
Appelez ça corruption ou théorie des jeux, le résultat est le même. Les
utilisateurs ressentent un sentiment d’accomplissement quand ils ont
réalisé les tâches requises (FIG 5.4), et avec plus d’espace, ils sont d’autant
plus excités de mettre leurs fichiers sur Dropbox. Le jeu continue si
l’utilisateur décide de faire la promotion du service sur Twitter et
Facebook pour inciter d’autres personnes à s’abonner. Comme nous le
verrons au dernier chapitre, la théorie des jeux, la corruption et
l’accomplissement marchent aussi sur les sites « brochure ».
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Il peut être difficile de composer avec les sceptiques, mais au moins, ils
font attention à ce que vous dites. Que faire si votre public n’en a tout
simplement pas grand chose à faire ?
L’APATHIE
Le scepticisme et la paresse sont des obstacles difficiles à affronter, mais il
y a est pire encore : l’apathie. Quoi de plus démoralisant que de lancer un
site Web ou une application sur laquelle vous avez passé des heures
innombrables, tout ça pour voir votre dur labeur dériver sur une mer
d’indifférence ?
Les utilisateurs sont indifférents aux sites Web dont le contenu est sans
rapport avec leurs intérêts ou mal présenté. La stratégie de contenu peut
vous aider à créer un contenu adapté à votre public. C’est au-delà du
propos de ce livre, mais lisez le livre Stratégie de contenu Web d’Erin
Kissane si la création de contenu vous pose des difficultés
(http://bkaprt.com/cs) ou (www.editions-
eyrolles.com/Livre/9782212132793/strategie-de-contenu-web) en français).
Au cœur des exemples que nous avons vus jusqu’à présent, il y avait
toujours un excellent contenu. Des méthodes de transmission intelligentes
mettent en valeur ce contenu, soit en offrant de nouvelles manières de
l’aborder, soit en retenant l’attention du public. Un excellent contenu
présenté de manière émotionnellement engageante, c’est de la kryptonite
pour apathiques.
Revenons aux exemples des chapitres précédents. Vous vous souvenez de
Betabrand, au chapitre 1 ? C’est un site e-commerce qui vend des
vêtements pour homme, un marché hautement compétitif. Betabrand
retient l’attention de son public avec un contenu bien ficelé. Il y a
pratiquement trente minutes de contenu hilarant pour chaque ligne de
produits. Leurs clients achètent parce que le contenu les fait marrer, et
reviennent parce que l’expérience du site est mémorable. Le public de
Betabrand est tout sauf indifférent.
Dans l’exemple de Housing Works au chapitre 3, le contenu est au cœur de
leur stratégie de design émotionnel. Les histoires à la première personne et
les portraits des clients permettent à l’organisation de créer un lien
émotionnel avec son public. Ce sont ces histoires humaines qui attirent le
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public sur leur site Web, et poussent les gens à s’impliquer dans leur cause.
Si votre public n’est pas follement emballé par votre site, ne désespérez
pas. Dans la prochaine section, je vais vous aider à repartir sur la bonne
voie.
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personnalité de ce site Web est agréable ? » fausse la réponse vers
l’affirmative, car la formulation de la question modèle les perceptions de
l’utilisateur. Vous vous souvenez des techniques d’amorçage détaillées au
chapitre précédent ? Il vaut mieux les éviter ici afin de recueillir des
informations honnêtes et des remarques précises sur votre site Web.
Effectuez des tests d’utilisabilité simples avec trois utilisateurs en suivant
les méthodes du best-seller Je ne veux pas chercher ! de Steve Krug (éditions
CampusPress). Les résultats vous aideront à mieux cerner si vos stratégies
de design émotionnel affectent ou non l’utilisabilité, la fiabilité ou la
fonctionnalité de votre site Web. Krug recommande de réunir quelques
utilisateurs du site, d’acheter quelques confiseries, d’inviter les gros
bonnets de votre organisation et de réaliser des tests d’utilisabilité très
simples qui guident les utilisateurs à travers les workflows que vous
souhaitez évaluer. Enregistrez les sessions avec un logiciel comme
Silverback (http://silverbackapp.com), et visionnez les vidéos pour évaluer
l’expression faciale des utilisateurs à des instants clés. Ont-ils souri à ce
moment de surprise et d’enchantement ou l’ont-ils simplement ignoré ?
Faites des tests simples et pratiques pour vous assurer d’aller jusqu’au bout
et d’obtenir les idées qui vous permettront d’améliorer votre site Web.
Autre méthode moins scientifique que de cibler des personnes de votre
public : aller tout simplement au café du coin et offrir un latté et des
muffins à quelques bons clients contre dix minutes de leur temps. Au bout
du compte, mieux vaut n’importe quel test que pas de test du tout.
L’indifférence à l’égard de votre site peut être vexante, mais la plupart du
temps, vous pouvez en comprendre la raison en interrogeant votre public.
Bien sûr, il peut être difficile de trouver le temps de parler à des vraies
personnes. Mais quand vous vous heurtez à un mur d’indifférence, c’est
peut être la meilleure manière de corriger le cap et d’aller de l’avant.
MEA CULPA
Le design émotionnel ne consiste pas seulement à créer des expériences
positives et à surmonter les obstacles. Il peut également nous aider à gérer
des situations difficiles comme les pannes de serveur, les pertes de
données ou les bugs qui affectent le travail d’un utilisateur. L’erreur est
humaine et rien n’est parfait. Mais une réponse appropriée et le capital de
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confiance que vous avez accumulé avec votre public grâce à un
engagement émotionnel prolongé peuvent vous sortir d’un mauvais pas,
comme nous allons le voir dans le prochain chapitre.
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TÔT OU TARD, votre site Web rencontrera un problème. Les serveurs
tombent en panne, les gens font des erreurs, et l’imprévisible se produit.
Dans une telle situation, mieux vaut avoir un public acquis à sa cause, car
il vous pardonnera une insuffisance temporaire et gardera confiance en
votre marque.
Comme nous l’avons vu précédemment, votre public effectue une analyse
coût/bénéfices interne chaque fois que vous lui demandez d’accomplir une
tâche. Le résultat de cette évaluation interne détermine si l’utilisateur agit
ou non. Quand un problème survient et que votre public est incommodé,
il y a un risque que les utilisateurs perçoivent soudainement que le coût de
l’utilisation de votre site en excède les bénéfices. Un engagement
émotionnel présent avant et pendant l’événement peut aider à limiter la
casse.
En fait, quand vous créez une expérience mémorable, votre public aura
souvent tendance à oublier les inconvénients et à ne se souvenir que des
bons côtés de votre marque. Tant qu’il y a plus de bon que de mauvais,
vous êtes gagnant. C’est pour cela que vous devez engranger de la bonne
volonté comme assurance contre les problèmes qui surviendront
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forcément.
Flickr est bien placé pour savoir qu’il est crucial d’offrir la bonne réponse à
une situation difficile. Comme nous allons le voir, ça ne fait pas de mal
d’avoir une armée de supporters fanatiques.
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FIG 6.1: Au cours d’une panne importante en juillet 2006, Flickr a organisé un
concours de coloriage qui a transformé les utilisateurs stressés en
participants enjoués.
[Arrggh ! Nos tuyaux sont bouchés !
Comme c’est assez nul*, nous avons pensé que vous aimeriez participer à un
concours de coloriage improvisé pour gagner un COMPTE PRO GRATUIT !
Imprimez simplement cette page et coloriez les ronds. Quand le site sera de
retour, prenez une photo de votre création et publiez-la sur Flickr avec le tag «
flickrcolourcontest ».
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L’équipe de Flickr sélectionnera un vainqueur dans les deux prochains jours, et cet
heureux élu recevra une année de compte Pro gratuite.
*Sérieusement, nous sommes désolés de cette panne inopinée. Nous travaillons
aussi vite que possible pour rétablir flickr.com. Plus de détails ici.]
LA MISE EN PRATIQUE
Vous êtes, je l’espère, emballés à l’idée de créer des choses qui auront une
influence durable sur votre public. Mais il peut être difficile d’exprimer
vos passions dans votre travail si votre patron ne comprend pas la valeur
du design émotionnel. Quand votre patron ou votre client vous dit « je ne
sais pas, ce truc émotionnel me paraît risqué », vous devez êtes prêt à
sortir des études de cas et un plan d’action qui convaincront même le plus
farouche des sceptiques. Avant de monter un plan, voyons trois exemples
concrets accompagnés de données brutes qui vous permettront d’étayer
vos arguments et de faire taire les critiques.
Chapter 1
1 http://twitter.com/rainnwilson/status/20347529530
2 http://gettingreal.37signals.com/
Chapter 3
3 http://www.flickr.com/photos/clagnut/4947389773
4 http://en.wikipedia.org/wiki/File:Bundesarchiv_Bild_146II-732,_Erholung_am_Flussufer.jpg
5 http://www.webdesignerdepot.com/2008/12/why-mood-boards-matter/
6 http://daringfireball.net/linked/2009/04/02/designing-convertbot
Chapter 4
7 http://dribbble.com/shots/14379-Profile
Chapter 6
8 http://blog.flickr.net/en/2006/07/19/temporary-storage-glitch/
9 http://www.flickr.com/photos/14922438@N00/194463892/
10 http://www.flickr.com/photos/41225983@N00/193706751/
11 http://interactions.acm.org/content/?p=1226
Chapter 7
12 http://www.coffeecup.com/forums/search/?
q=%22Guess+I+could+have+waited+for+today+if+all%22&in=81&type=contents&view=posts&search=true&bu
13 http://www.alistapart.com/articles/understandingprogressiveenhancement/
14 http://google.com/websiteoptimizer
Resources
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16 http://getmentalnotes.com/
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18 http://amzn.com/0393334775