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L'ÉVIDENTE INTERPELLATION DE LA SOCIOLOGIE PAR LA RSE

Jacques Viers et Vincent Brulois

Presses de Sciences Po | « Sociologies pratiques »

2009/1 n° 18 | pages 1 à 6
ISSN 1295-9278
ISBN 2130573081
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Dossier : puf304349\MEP\ Fichier : Sociologies_18 Date : 9/3/2009 Heure : 14 : 22 Page : 1

Avant-propos

L’évidente interpellation de la sociologie par la RSE

Jacques VIERS 1 et Vincent BRULOIS 2

La définition la plus communément admise aujourd’hui de la responsabilité


sociale de l’entreprise (RSE) la présente comme la transposition des principes
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du développement durable – les « fameux » trois piliers du développement
économique, de l’équité sociale et de la préservation de l’environnement –
dans le management des entreprises. Dans ce sens, la RSE est donc la prise
en compte des effets des activités de l’entreprise sur l’environnement naturel
et social. Son origine est, elle aussi, communément admise, elle ne fait plus
débat. La « légende » la dit née aux États-Unis durant le New Deal (milieu
des années 1930) selon une acception éthique de l’entreprise morale, ce
type de responsabilité s’est développé ensuite (années 1950-1960) dans ce
même pays. Cette thématique de la responsabilité a touché plus tard (fin
des années 1990) l’Europe avec un autre contenu, la portant vers une visée
plutôt utilitariste et stratégique : l’intérêt bien compris de l’entreprise… La
définition qu’en a donnée la Commission européenne dans le Livre vert
qu’elle lui a consacré (Promouvoir un cadre européen pour la RSE, 2001) en
est un bon exemple.
À présent, mondialisation aidant, la RSE s’impose aux grandes entreprises
comme un mode de gestion. En effet, celles-ci doivent se faire accepter (et
faire accepter leurs fournisseurs, leurs filiales et leurs sous-traitants) par une
opinion publique de plus en plus méfiante, sur des territoires parfois très
éloignés de leur siège, quelquefois dans des pays politiquement incertains
ou en voie de développement économique, en l’absence de gouvernance
mondiale et de règles internationales d’application obligatoire. Dans de tels
contextes, afin d’obtenir ou de conserver leur licence to operate, elles doivent
ainsi prendre des engagements volontaires.

1. Anciennement chef de projet RSE à Gaz de France, docteur en Droit, chargé de


cours à l’Université Paris XIII.
2. Responsable du Master Communication et RH de l’Université Paris XIII.

1
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Regard dominant

Deux concepts semblent jouer, plus que tout autre, dans le développement
de cette idée. D’une part, la théorie des parties prenantes qui est devenue
le concept-phare de la RSE. Issue d’un jeu de mots d’étudiants américains,
entre shareholders (actionnaires) et stakeholders (parties prenantes), cette
théorie a été élaborée par les chercheurs américains en science de gestion
partisans d’une vision business ethics de l’entreprise, c’est-à-dire vue
comme une personne morale susceptible de prendre des engagements
moraux. Cette conception était donc en rupture avec celle de Milton Fried-
man selon laquelle le seul objectif de l’entreprise est le profit pour l’action-
naire. D’autre part, le concept de gouvernance responsable et de recherche
de la performance globale. Celui-ci avance que l’entreprise responsable doit
pouvoir prouver qu’elle est transparente en mettant en place des organes
de gouvernance adaptés, séparant bien conseil d’administration et mana-
gement, s’ouvrant aux administrateurs indépendants, protégeant notamment
les petits actionnaires et permettant à toute partie prenante interne ou
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externe de dénoncer confidentiellement toute atteinte à l’éthique des affaires.
Il s’agit alors de rechercher une performance globale qui intègre aussi les
résultats environnementaux et sociaux aux classiques résultats financiers.
Dans ce cadre d’analyse, la performance en question privilégie une appro-
che dite des « trois P » : Profit, Planet, People.
Nombre d’outils sont mis à la disposition des managers afin de rendre
opérationnels ces concepts. La plupart sont fondés sur le volontariat : code
de bonne conduite, démarche éthique (avec ou sans dispositif d’alerte),
classique démarche qualité, engagement dans le Global Compact de l’ONU
(2000), rapport de développement durable, certification sociale de sites ou
de fournisseurs, labellisation sociale des produits, etc. Cette liste d’outils ne
doit pourtant pas cacher qu’il n’existe pas aujourd’hui de norme obligatoire
RSE ! À ce titre, la France fait figure d’exception puisque l’article 116 de la
loi sur les Nouvelles Régulations économiques du 15 mai 2001 (décret du
20 février 2002) impose aux entreprises cotées en Bourse de publier, avec
leurs résultats annuels, des informations sur « la manière dont [elles] pren-
nent en compte les conséquences sociales et environnementales de leur
activité ». Assez récemment, les grandes entreprises, essentiellement euro-
péennes, se sont lancées dans la signature d’accords-cadres internationaux
RSE au périmètre Groupe avec les fédérations syndicales internationales de
leur secteur. Ces accords, portant sur tous les aspects de la RSE (y compris
les questions environnementales), sont une petite révolution dans le dialo-
gue social traditionnel.

Nécessité d’un autre regard

Si ce contexte théorique et pratique de la RSE interpelle les spécialistes


des sciences de gestion, il nous paraît encore plus questionner les sociolo-
gues, en particulier ceux qui travaillent sur l’entreprise. Ainsi, les premiers
ont beaucoup théorisé sur la RSE, toutefois sans toujours avoir à leur dispo-

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sition la bonne « boîte à outils théoriques ». Une tendance affirmée chez


eux considère en effet l’entreprise comme une « boîte noire » aux prises
avec l’extérieur ; peu importent les interactions stratégiques, les identités
des acteurs en son sein, les cultures collectives qui s’y cachent, le système
d’action concret qu’elle constitue ! À l’inverse, les sociologues ont les outils
adaptés pour analyser le phénomène, mais ils l’ont encore peu fait !
Pourtant, premier exemple, cette théorie des parties prenantes (pilier cen-
tral du concept de RSE qui fait débat du côté des sciences de gestion) doit
interpeller les sociologues. En effet, cette théorie décrit difficilement la réalité
qu’elle prétend éclairer : elle ne permet pas de qualifier réellement les parties
prenantes de l’entreprise, elle ne permet pas de préciser qui est légitime
pour représenter celles-ci, elle ne permet pas de dire au nom de quelle
légitimité certaines ONG s’expriment. Le simple fait que les salariés de l’entre-
prise soient considérés comme des parties prenantes (donc externes à
l’entreprise…) jette d’emblée une suspicion sur la conception de l’entreprise
sous-tendue par cette théorie…
En outre, deuxième exemple, le concept de performance globale pose
aussi question. Voilà, en effet, un beau paradoxe : une entreprise qui déve-
loppe une démarche RSE conséquente (c’est-à-dire qui internalise ses exter-
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nalités négatives en matière sociale et environnementale, jusqu’ici léguées
à la collectivité) deviendrait ainsi plus performante ! L’accroissement de la
valeur patrimoniale de l’entreprise à long terme, ainsi que la meilleure prise
en compte des risques de réputation (sur le long terme également) sont
sans doute les clés de ce concept. L’importance supposée de la prise en
compte de ces risques dans la décision de se lancer dans une démarche
RSE fait d’ailleurs planer, pour de nombreux observateurs, une grande sus-
picion sur les intentions réelles des entreprises. Certaines critiques 3 vont
jusqu’à considérer que la RSE c’est tout simplement de la communication
corporate destinée à une re-légitimation externe, mais aussi interne, de
l’entreprise.
Enfin, dernier exemple, l’indépendance des systèmes d’observation des
engagements sociaux et environnementaux des entreprises est une problé-
matique récurrente. Les audits des rapports développement durable néces-
sitent à la fois indépendance de l’auditeur (réalisée lorsqu’un commissaire
aux comptes certifie) et compétences dans les domaines observés (social,
environnement). De même, l’indépendance des audits de sous-traitants ou
fournisseurs installés dans des pays lointains ne va pas de soi.

Défricher le terrain

Tout un ensemble de questions apparaissent donc assez facilement. Ainsi,


dans quelle mesure la RSE ne tend-elle pas vers un processus de re-légitimation
des entreprises vis-à-vis de leurs salariés et de la société ? En quoi la RSE
transforme-t-elle les rapports sociaux dans l’entreprise ? Il y aurait de quoi,
après tout ! Nous assistons quand même (et de façon non exhaustive) :

3. Voir Gabriel Saint-Lambert (alias Jacques Viers), « Quand l’entreprise s’affiche


responsable », Éducation permanente, no 167, juin 2006, p. 99 à 110.

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– à l’entrée de nouveaux acteurs dans l’entreprise (les ONG),


– à la création de nouvelles scènes de délibération (les comités des parties
prenantes),
– à la mise en place de nouvelles formes de régulation dans le domaine
des ressources humaines (les accords cadres RSE internationaux portant sur
des domaines nouveaux tels que droits de l’homme, protection de l’environ-
nement),
– à de nouveaux apprentissages des acteurs (engagement solidaire des
salariés dans le cadre de l’entreprise),
– à de nouvelles formes de négociation dans le cadre du reporting RSE
(indicateurs RSE), aussi bien à l’échelle locale du site qu’à l’échelle interna-
tionale du groupe (accords-cadres internationaux).
La RSE crée-t-elle un nouvel espace sociopolitique ? Le « management
orienté parties prenantes » n’introduit-il pas de nouveaux acteurs dans le
dialogue traditionnel de l’entreprise avec son environnement sociétal (ONG,
associations de consommateurs) ? En l’absence d’une régulation interna-
tionale, l’entreprise, contrainte parfois (dans les pays en développement en
particulier) de se substituer à des pouvoirs publics défaillants, n’a-t-elle pas
tendance à devenir une institution empiétant sur le territoire de l’État ? La
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RSE ne répond-elle pas au besoin de légitimation externe de l’entreprise,
face à la défiance généralisée ? L’ambition de l’entreprise, dans le cadre
de la RSE, de « rendre des comptes à la société civile » n’est-elle pas un
leurre ?
Finalement, le paradigme de la RSE ne permet-il pas de réinterroger le
concept même d’entreprise et son fonctionnement ? Bref, la sociologie et
d’autres sciences humaines et sociales 4 se trouvent « naturellement » inter-
pellées par la RSE et la façon dont elle est pratiquée par les entreprises.
Dans ce sens, ce présent numéro de Sociologies Pratiques se propose
de défricher une réflexion sociologique sous la forme d’une mise en pers-
pective théorique de la RSE et d’un tour d’horizon de différents terrains. Un
éclairage par trois acteurs majeurs de la RSE – la militante d’une ONG (Lisa
Tassi, Amnesty International France), le chef d’entreprise (Bertrand Collomb,
Lafarge), le syndicaliste (Bernard Saincy, CGT) – introduira le propos (L’actua-
lité en miroir). Dans la foulée, cinq approches complémentaires permettront
de poser la réflexion (Recherches et débats) :
– un entretien croisé d’abord, entre une sociologue (Florence Osty) et un
gestionnaire (Yvon Pesqueux) afin de placer en regard l’une de l’autre les
deux postures respectives vis-à-vis de la RSE ;
– un regard sociohistorique, interrogeant la RSE d’un point de vue politique
par Anne Bory et Yves Lochard ;
– un questionnement sociologique sur les démarches éthiques des gran-
des entreprises, à partir des grilles de lecture wébérienne et durkheimienne
par Anne Salmon ;
– une critique théorique du concept de RSE, à partir de l’éthique de res-
ponsabilité de Max Weber et du « civilisme » de la philosophie des Lumières
par Matthieu de Nanteuil ;
– une analyse des gouvernances solidaires au Brésil, mettant à contribu-
tion la théorie du contrat de Max Weber par Wanda Capeller.

4. Les sciences de la communication par exemple.

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Enfin, l’étude de trois terrains très divers nous permettra d’entrer dans la
compréhension de la RSE en train de se faire (Réponses sociologiques). Il
s’agira d’abord de voir, à un premier niveau, que la mise en œuvre d’une
démarche RSE dans une entreprise ne va pas de soi, surtout lorsqu’il s’agit
de prôner un « jeu responsable » à la Française des jeux (Anne-Claire
Mangel et Marie Trespeuch). Il s’agira ensuite de comprendre, à un deuxième
niveau, que le problème ne fait que s’amplifier lorsqu’une entreprise cherche
à convaincre ses fournisseurs (Aurélie Lachèze). Enfin, lorsqu’il s’agit d’inté-
resser les consommateurs (troisième et dernier niveau), les difficultés ren-
contrées par une organisation de consommateurs anti-sweatshops sont
poussées au paroxysme (Pauline Barraud de Lagerie). En effet, comment
doit se placer cet « entrepreneur de morale » dans son rôle d’intermédiaire
entre consommateurs et entreprises de la grande distribution ?

Donner des pistes de réflexion

Notre souhait est d’initier une réflexion sociologique de plus grande


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ampleur sur la RSE. Ce numéro y participe modestement en donnant à voir
quelques réflexions et recherches en cours sur ce paradigme. Le terrain ne
demande qu’à être « labouré » ! Un travail de labours qu’ont déjà activement
entamé les sciences de gestion. Dans ce sens, elles ont bien vu le boule-
versement de perspective qu’apportait la RSE dans le management des
entreprises au tournant du siècle. Cependant, elles ne disposent pas, nous
semble-t-il, des clés de compréhension de l’objet sociologique qu’est l’entre-
prise, qu’elles voient comme une « boîte noire » avec des inputs et des
outputs. En particulier, la réification de l’entreprise ne permet pas de mesurer
que ses acteurs sont à la fois socialisés par la société dont ils font partie et
créateurs de changement institutionnel dans l’entreprise et dans cette même
société, grâce à l’expérience socialisatrice vécue dans l’entreprise. Implici-
tement, cela porte d’emblée un sérieux coup à la théorie des parties pre-
nantes…
Le questionnement sociologique sur l’entreprise, en tant qu’institution,
pourrait être réactivé par l’émergence de la RSE 5. « Terre de changement »
selon Renaud Sainsaulieu, l’entreprise était appelée dans les années 1990
à devenir une institution centrale de la société. Vision prophétique s’il en est,
puisqu’elle est aujourd’hui au centre de la vie sociale. Son modèle de gestion
est même imité par l’État et les collectivités territoriales alors qu’à la période
d’« enchantement » des années 1980 ont succédé la mise en place de
modèles gestionnaires en phase avec les réajustements structurels imposés
par la division internationale des activités productives et de services, d’une
part, et la mise en concurrence planétaire du travail, d’autre part. Parallèle-
ment, d’autres voix ont mis en évidence une « désinstitutionnalisation » de
l’État. De l’un (institutionnalisation de l’entreprise) à l’autre (désinstitution-
nalisation de l’État), les théories échafaudées autour de la RSE 6 prennent

5. À l’inverse de ce qu’annonce un des contributeurs, nous ne pensons pas que la RSE


soit « morte ».
6. En particulier, la théorie des parties prenantes.

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alors sens. L’absence de régulation mondiale pouvant encadrer l’activité des


multinationales dont le budget et la puissance d’action dépassent ceux de
beaucoup d’États en développement, tend à ériger l’entreprise (pour de
bonnes ou mauvaises raisons) en institution-phare de la société.
Toutefois, est-ce vraiment le modèle dont Renaud Sainsaulieu avait rêvé ?
Nous en doutons. Tout se passe en effet comme si, grâce à la RSE, l’entre-
prise devenait non seulement une institution centrale de la société, mais
s’érigeait aussi comme un véritable « soleil social » autour duquel tournerait
toute la société :
– elle crée son propre espace public (au sens d’Habermas) en décidant,
seule, quelles sont « ses » parties prenantes, et donc celles qu’elle entend
ignorer. Les institutions démocratiques de l’État deviennent ainsi une partie
prenante parmi d’autres ;
– elle rend des comptes à la société qu’elle s’est ainsi forgée, quasiment
à son rythme et un peu comme elle l’entend, en l’absence d’un système
solide de contrôle indépendant de la reddition sociale et environnementale
(les rapports développement durable), de représentants incontestables des
parties prenantes et de structures d’intermédiation adaptées ;
– elle crée ses propres règles en négociant avec des États faibles ou
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corrompus afin que s’applique à certains investissements le droit du contrat
(la soft law anglo-saxonne) au détriment du droit local (la dura lex romaine) ;
– elle choisit, enfin, d’adhérer de manière volontaire à des chartes ou
d’adopter des référentiels, mais a tendance à refuser toute règle internatio-
nale contraignante. La tentative récente d’imposer une norme RSE interna-
tionale dans le domaine de la protection des droits humains à l’ONU a été
rejetée suite au lobbying des entreprises.
N’est-ce pas une bonne opportunité à saisir par la sociologie économi-
que pour réinterroger l’essence même de la coopération productive insti-
tuée au sein de l’entreprise ? Le travail théorique entrepris par Renaud
Sainsaulieu et les découvreurs de la sociologie de l’entreprise à la recher-
che de l’objet sociologique « entreprise » n’est pas terminé. La nouvelle
donne que représente la RSE éclaire cette quête d’un jour nouveau. Les
praticiens et tous les acteurs de l’entreprise attendent des chercheurs qu’ils
éclairent la route.
brulois@noos.fr
jacques.viers@gmail.com

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