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Le Dirigisme de Louis Blanc

La Monarchie de Juillet fut établie à la suite des journées insurrectionnelles des 27, 28, et 29 juillet
1830, mettant à la fois sur le trône Louis-Philippe, le roi des français, et un régime plus libéral que celui qui
l’a précédé. Ce régime qui dura de 1830 jusqu’à sa chute en février 1848, connut un fort essor industriel et
fut considéré comme le déclencheur des prémisses de la Révolution Industrielle. Pour la classe ouvrière,
élargie, le règne de Louis-Philippe se plaça sous le joug d’une paupérisation, d’un niveau et d’une espérance
de vie faibles, accompagnés de salaires bas et d’un taux de chômage élevé pour l’époque. C’est dans ce
contexte que Louis blanc se révéla et fut rapidement considéré comme un des grands théoriciens socialistes
de l’époque. Louis Blanc naquît à Madrid en 1811, d’un père travaillant pour l’administration du Roi Joseph
Bonaparte : la chute de l’Empire ruina sa famille. Il arriva à Paris en 1830 et après la mort de sa mère, il
devint chef de famille et accepta une place de précepteur dans la famille d’un industriel d’Arras. Il y
découvrit la condition ouvrière et abandonna immédiatement ses positions légitimistes. Par la suite, il
collabora dans plusieurs journaux comme le « Bon sens » ou « le National » avant de fonder en janvier 1839
« La revue du progrès politique, social et littéraire », qui sera une caisse de résonance pour le
développement de ses idées. Louis Blanc s’intéressa aussi à l’histoire en écrivant son « Histoire des Dix ans
–de 1830 à 1840 », en 5 tomes, réquisitoire contre la Monarchie de Juillet une « Histoire de la Révolution
française » dont le premier tome parut en 1862, où il reprend certains idéaux révolutionnaires pour le
compte du socialisme et son dernier ouvrage « Napoléon, une page d’Histoire ». Par ailleurs, il participa au
Gouvernement Provisoire établi à la suite de l’insurrection et du renversement de la Monarchie de Juillet en
février 1848, en tant que membre et fut placé à la tête de la Commission du Luxembourg pour les
travailleurs, faute d’avoir eu un Ministère du Travail. Porté aux nues par le peuple parisien, il entra
toutefois en conflit avec la chambre après la journée du 15 mai 1848, puis il fut inculpé et condamné à l’exil
après la fermeture des Ateliers Nationaux et les journées de Juin. Il rentra en France après la défaite de
Sedan, s’engagea dans la Garde Républicaine et fut élu député, jusqu’à sa mort en 1882. Notre document est
un extrait de « l’Organisation du travail », recueil de textes de Louis Blanc paru sous forme de brochure en
1839 et vendu avec le journal La Revue du Progrès. Cette brochure range Louis Blanc parmi les théoriciens
du socialisme et obtient un grand succès, elle fut rééditée plusieurs fois sous forme de petit livre. L’auteur
y préconise un système d’association où le travail serait souverain, -comme réponse à la question sociale-,
une réforme sociale par l’action de l’Etat, et pour résumer, il revendique une société plus juste, annihilant à
terme le « capitalisme outrancier » et la « concurrence anarchiste ». Par ailleurs, il est important de noter
que le lecteur est double : l’ouvrage s’adresse à la fois aux hommes du peuple et aux bourgeois qui sont
réputés ignorants des conditions ouvrières, par là même, « l’Organisation du Travail » acquiert aussi une
fonction pédagogique. Ainsi, nous pouvons nous interroger sur la structure et le fonctionnement des
Ateliers sociaux défendus par Blanc, ses finalités, et les inspirations et expériences qui permirent à l’auteur
d’élaborer sa théorie socialiste. Dans un premier temps nous nous attacherons au rôle et au type d’Etat
préconisé par Blanc, pour rebondir sur le principe même de l’association et de son fonctionnement interne
dans le cadre des Ateliers sociaux, enfin nous finirons par l’analyse de l’émancipation du peuple et de la
classe ouvrière espérée par Blanc.

I. La mise en place d’un Etat fort

La première revendication de Louis Blanc est l’établissement d’une République démocratique puissante,
de laquelle dépend toute la théorie du socialiste décrite dans « l’Organisation du Travail ».

a) Pourquoi faire appel à ce type d’Etat ?

Louis Blanc est un des premiers à développer une théorie socialiste faisant intervenir un Etat
démocratique fort et puissant : il fut sans doute un des précurseurs de l’idée socialiste réformiste appelé
aussi socialisme d’Etat, où ce dernier joue un rôle de garde-fou contre les malversations et le caractère
néfaste et outrancier de l’économie de marché envers une catégorie de la population centrale pour Blanc :
les travailleurs. En effet, Blanc parle de la « réhabilitation du principe d’autorité » (ll.9-10) grâce à un
« gouvernement fort et actif » (l.16). L’écrivain socialiste est fidèle à la tradition montagnarde d’un
gouvernement centralisé de régulation qu’est l’Etat, et en ce sens, il tente à la fois de synthétiser la
République jacobine –défendant l’indivisibilité d’une République centralisée- et le socialisme, tout en
participant au courant réhabilitant cet idéal jacobin, souvent critiqué a posteriori pour son omnipotence et
sa violence, à travers le souvenir de « la Terreur ». La centralisation politique de la République, née avec la
Révolution et férocement défendue par Robespierre, semble nécessaire à Blanc, ce qui n’est pas étonnant
puisqu’il revendique explicitement l’héritage des idées Montagnardes sur l’Etat, qu’il considère comme la
matrice du socialisme. Cependant, le socialiste ne défend par pour autant la conception d’un Etat maître de
tout et de tous, risquant par là même de développer un caractère tyrannique, mais plutôt un « Etat
serviteur », une « autorité tutélaire indispensable » (l.18), qui, « par son intervention […] donnera à
chacun de ses membres l’instruction convenable et les instruments de travail nécessaires » (ll.6 et7). Un
socialiste contemporain de Blanc, Michel Chevalier, adepte du saint simonisme, soutiendra peu ou prou la
même idée de l’Etat actif et acteur du changement social en réclamant que le gouvernement prenne la
direction de la société par la création d’un vaste ensemble de communications (chemins de fer, canaux,
routes); et par l’établissement d’institutions de crédit couvrant la France comme un réseau, ceci dans le but
de « l’amélioration du sort moral, physique et intellectuel de la classe la plus nombreuse et la plus pauvre »
(citation tirée de la devise en sous-titre du journal qu’il dirige : le Globe). Le gouvernement de Blanc est,
remis dans son contexte, un plaidoyer contre le paysage politique de l’époque : contre la Monarchie de
Juillet et son gouvernement certes fort, mais défendant des finalités à l’opposé de celles de Blanc, et se
basant sur une organisation politique antithétique, par rapport à la réhabilitation du suffrage universel qui
serait le premier pilier de la mise en place de l’Etat décrit dans « l’Organisation du travail ». Pour faire
simple, l’Etat socialiste de Blanc ne fera à terme qu’un avec la société en lui donnant à la base l’impulsion
pour l’établissement d’une société juste pour chacun de ses membres.

b) Le rôle de l’Etat dans la formation des Ateliers et de la société

Comme nous l’avons dit précédemment ; l’Etat que propose Blanc doit être le moteur du changement
politique, social, sociétal et économique qu’il prône : il doit fonctionner en symbiose avec la Société au sens
large, et ce au profit du monde du Travail : l’Etat est l’expression structurelle, l’organe de la société. Sa
« grande force » (l.22) servirait à ce qu’il puisse être le « régulateur suprême de la production » (l.21). En
effet, une des finalités de l’Etat est aussi de faire disparaître peu à peu la concurrence car « l’Etat se
rendrait maitre de l’industrie peu à peu, et, au lieu du monopole, nous aurions pour résultat du
succès, obtenu la défaite de la concurrence » (dernières lignes). L’avènement d’une société pacifiée et
l’annihilement de la concurrence sont des phénomènes et des objectifs ayant une corrélation effective pour
notre auteur : c’est la concurrence sauvage et inhumaine que se livrent les grandes industries –et derrière
elles, ceux qui ont les monopoles, c'est-à-dire les capitalistes- qui est la cause directe de la paupérisation et
de la misère des travailleurs. Ainsi, l’équation préconisée par Blanc est simple : un Etat régulateur jouant un
rôle de pacificateur social mais autolimité, plus de concurrence, plus de monopole, équivalent à une société
plus juste. Nous reviendrons par la suite sur les principes de concurrence et de monopole, termes clés de la
doctrine de Louis Blanc. Dans un premier temps, l’Etat servirait donc de banquier, en assurant une mise de
fonds initiale : ‘le gouvernement lèverait un emprunt, dont le produit serait affecté à la création
d’ateliers sociaux » (ll.25-26). Blanc n’est pas un révolutionnaire, il n’attend pas que le changement vienne
de la révolte des masses, des ouvriers, ou des mécontents, mais bien de l’Etat qu’il ne considère pas à
travers des Hommes au pouvoir, mais comme une institution, un organe démocratique entièrement dévoué
aux idéaux de fraternité, et de Bien commun, par le biais de la création par l’Etat des Ateliers sociaux que
nous analyserons par la suite. De même, « Pour la première année devant suivre l’établissement des
Atelier sociaux, le gouvernement réglerait la hiérarchie des fonctions » (l.l 32-33) : donc, le
gouvernement interviendrait à la base dans l’organisation du travail au sein de ce système d’association,
assurant la mise en place d’un ordre hiérarchisé entre les travailleurs, car Louis Blanc garde l’idée que les
travailleurs ne sont pas immédiatement aptes à gérer eux-mêmes le bon fonctionnement de l’Atelier social :
il leur faut pour la première année un cadre préinstallé pour que leur propre épanouissement s’opère.
Cependant, il y a une deuxième phase, et « après la première année, il n’en serait plus de même […] la
hiérarchie sortirait du principe électif »(ll36-37). Par conséquent, peu à peu, le créateur se retirerait de
son œuvre, ce qui apparaît ici comme une autolimitation de son pouvoir par l’Etat, voulue par Blanc pour
éviter l’écueil de l’abus ou du dépassement du but assigné. L’initiative gouvernementale ne doit pas devenir le
maitre et le tyran du marché, elle doit laisser toute possibilité aux associations, qui sont en cela un contre-
pouvoir, de se gérer elles-mêmes par le biais de tous les travailleurs qui y participent.
I. L’organisation des Ateliers Sociaux

Le principe d’association que propose Louis Blanc n’est pas à confondre avec un idéal communautaire
prôné par plusieurs de ses contemporains socialistes, et qui mettrait en avant le principe d’Egalité en
plaçant en seconde position la Liberté, car au contraire, le principal but de Louis Blanc est la liberté que les
travailleurs trouveront à travers les ateliers sociaux.

c) Le principe d’association et l’échec de la concurrence

Nous l’avons compris, la concurrence, engendrée par le monopole des outils de travail, des
principales industries et des capitaux –et ce au profit d’un petit groupe dont l’objectif principal est de
réaliser les meilleurs profits dans le but de s’enrichir- est la bête noire de Louis Blanc. La concurrence est
selon l’auteur une des principales causes de cette société injuste et créatrice d’un clivage considérable
entre les simples travailleurs et les détenteurs de capitaux : le patronat et les investisseurs. La réponse de
Blanc à cet état de fait est l’association, comme il le dit aux dernières lignes du texte : « nous aurions,
pour résultat du succès, obtenu la défaire de la concurrence : l’association ». Ainsi, l’échec de
l’économie de contrainte ou de concurrence, que Blanc considère comme un mécanisme destructeur qui ne
fait que provoquer une dyssimétrie fondamentale au sein de la société, serait provoqué par la réussite de
ses Ateliers sociaux. Il est important de noter que Blanc s’est librement inspiré du fouriérisme, des
ouvrages de Charles Fourier –autre précurseur du socialisme français- comme des articles de son élève
Victor Considérant, qui eux-mêmes fustigent la féodalité du négoce et dénoncent le monopole d’une certaine
aristocratie financière et lui opposent le système associatif, une organisation du travail dans le cadre de
phalanstères et de série, système bien plus utopiste et communautaire par ailleurs que les Ateliers sociaux
de Blanc. L’auteur veut « se servir de l’âme même de la concurrence pour faire disparaître la
concurrence » (ll 23-24), car Blanc reprend le fonctionnement de l’entreprise libérale à son compte, par une
organisation traditionnelle de la grande industrie en instituant tout d’abord un grand atelier social, la maison
mère, qui grandira en parallèle de la réussite du système associatif et se multipliera en donnant naissance à
d’autres atelier sociaux, des succursales, qui couvriront à terme l’ensemble des secteurs industriels et du
travail, mais qui ne seront pas en concurrence les uns par rapport aux autres, puisqu’ils seront régis par le
principe fondamental de fraternité. Le succès associatif résidera dans le fait que « les travailleurs
[seront] tous également intéressés » (l.35) : ce qui est pour Blanc la principale garantie de l’échec de la
concurrence : en face du procédé monopolistique industriel libéral qui induit une extermination ouvrière,
l’auteur propose l’association du travail qui aurait l’avantage de proposer un mode d’organisation où tous les
travailleurs produisent vite et bien, dans un cadre d’émulation fraternelle agréable, et ce uniquement pour
leur propre intérêt, et non pour enrichir un tiers. Ainsi, rapidement, les ateliers sociaux auraient une marge
de bénéfice plus grande que les industries ancrées dans l’économie concurrentielle, et ceci provoquerait leur
naufrage. Toutefois, « les capitalistes seraient appelés dans l’association et toucheraient l’intérêt du
capital par eux versés […] mais ils ne participeraient aux bénéfices qu’en qualité de travailleurs » (ll.55
à 56). Louis Blanc propose ici un système d’économie mixte, une économie dans laquelle coexistent des
investisseurs privés et un secteur public puissant, l’Etat banquier qui pour soulager les frais de la mise de
fonds initiale pour créer les Ateliers sociaux, peut être aidé par ces « capitalistes ». Mais Blanc prend bien
garde de préciser que ces investisseurs ne sont qu’un type d’actionnaires qui ont pour seul droit le droit aux
dividendes, à une part des bénéfices proportionnelle à la somme qu’ils ont versé, et sont donc interdits
d’endosser les rôles de supérieur hiérarchique ou de patronat, ceci étant assuré par le fonctionnement
interne des ateliers qui ne laisse pas de place prépondérante aux investisseurs.

B- Fonctionnement interne des Ateliers sociaux

Louis Blanc a foi dans l’industrie contrairement à Fourier. Son ouvrage est d’ailleurs divisé en deux livres,
le premier consacré à l’industrie et le second à l’agriculture. Le travail serait organisé dans des ateliers sociaux
agricoles et industriels mais le pôle industriel est central. Dans l’idéal, une répartition du bénéfice de l’association
en trois parts serait effectuée. Les bénéfices seraient affectés à l’investissement et non à l’enrichissement. Mais
se pose alors la question de la rémunération. Cette question n’a, dans la pensée libérale, jamais posée de problème
car elle correspond à la rencontre entre l’offre et la demande. C’est un point fondamental sur lequel la pensée
socialiste a du mal, en général, à se structurer et qui la renvoie, bien souvent, au rang d’utopie. Il propose (l38-40):
« On ferait tous les ans le compte du bénéfice net, dont il serait fait trois parts : l’une serait répartie par
portions égales entre les membres de l’association » Pour chercher à résoudre ce problème, Louis Blanc
développe l’idée de « proportionnalité » comme moyen transitoire. Il rejoint ainsi Saint-Simon, c’est-à-dire que la
rémunération s’établit selon ses œuvres. Cependant, cette méthode n’étant que transitoire, il estime qu’à long
terme, la rémunération devra se faire en fonction des besoins. Mais l’on comprend bien les limites d’un tel
raisonnement. La seconde partie des bénéfices « serait destinée : 1° à l’entretien des vieillards, des malades,
des infirmes » (l40-41). En effet, les anciennes solidarités de congrégations caractéristiques de l'Ancien Régime
ont disparues et ceux qui ne peuvent pas travailler n’ont aucun moyen de subvenir à leur besoins (nous verrons cela
plus en détail dans la prochaine sous-partie). Il propose également qu’une part soit consacrée « 2° à l’allégement
des crises qui pèseraient sur d’autres industries, toutes les industries se devant aide et secours » (l41-43).
Cette idée de solidarité montre la volonté de Louis Blanc de changer les mentalités, de rééduquer. Alors, une
extension économique du principe de fraternité se met en place à l’ensemble du monde associatif car ces fonds de
réserve permettraient de venir en aide aux associations en difficultés. La dernière partie permettrait quand à elle
la formation de nouveaux membres et donc l’accroissement des Ateliers sociaux « la troisième enfin serait
consacrée à fournir des instruments de travail à ceux qui voudraient faire partie de l’association, de telle
sorte qu’elle pût s’étendre indéfiniment. » (l43-45). Comme dit précédemment, ces associations regroupent
diverses professions qui se soutiennent mutuellement : « Dans chacune de ses associations, formées pour les
industries qui peuvent s’exercer en grand, pourraient être admis ceux qui appartiennent à des professions
que leur nature même force à s’éparpiller et à se localiser. Si bien que chaque atelier social pourrait se
composer de professions diverses, groupées autour d’une grande industrie, parties différentes d’un même
tout, obéissant aux mêmes lois, et participant aux mêmes avantages… » (l46-52) Globalement, pour Louis
Blanc, le principe associatif serait plus compétitif parce que les associés seraient plus productifs. En effet,
directement et proportionnellement intéressés aux résultats économiques de l’association les associés
chercheraient à travailler vite et bien. Par ailleurs, en raison de la mise en commun des outils de production et par
la suppression des échelons hiérarchiques de surveillance - que le manque de confiance rend nécessaire dans un
système concurrentiel - les coûts de production seraient plus bas.

III - Emancipation des ouvriers

A- Constat actuel : misère ouvrière

Louis Blanc constate l’état déplorable dans lequel se trouve le monde ouvrier (l11-14) : « Qu’on ne s’y
trompe pas, du reste ; cette nécessité de l’intervention des gouvernements est relative ; elle dérive
uniquement de l’état de faiblesse, de misère, d’ignorance, où les précédentes tyrannies ont plongé le
peuple. » L'époque est en effet caractérisée par le développement du paupérisme, lié à l'industrialisation.
Journée de 14 heures, salaires à 0,20 Fr. On dénombre plus de 250 000 mendiants et les 3 millions de Français
inscrits aux bureaux de bienfaisance sont face à une assistance publique inexistante. En 1847, 60% des ouvriers
de Roubaix sont au chômage. Les chrétiens imaginent une « économie charitable » et les socialismes utopiques se
multiplient. Blanc se rapproche et s’inspire de l’analyse de Robert Owen, (1771-1858) qui , en 1815, avait publié
« Observations sur les effets du système manufacturier » où il s’adressait aux gouvernants, en leur demandant de
réduire la durée de travail pour les jeunes ouvriers, d’interdire le travail pour les enfants de moins de 10 ans et de
créer des inspecteurs du Travail. Owen avait travaillait dès l'âge de 10 ans comme commis chez un marchand.
Devenu le patron d'une filature de coton qui devint rapidement, l'un des plus grands établissements de Grande-
Bretagne, il fut frappé par les conditions de vie des ouvriers. C'était une population misérable, qui ne pouvait se
permettre de refuser les longues heures de travail et les corvées démoralisantes ; vol et alcoolisme étaient
courants, l'éducation et l'hygiène négligés, nombre de familles vivant dans une seule pièce. Owen entreprit alors
prudemment d'élever le niveau de vie de ses ouvriers. Il améliora les habitations, et s'appliqua à inculquer des
notions d'ordre, de propreté et de prévoyance. Il ouvrit un magasin où l'on pouvait acheter des produits de bonne
qualité à des prix à peine supérieurs aux prix coûtants. La vente d'alcool y était strictement réglementée.
Cependant, il connut sa plus grande réussite dans l'éducation de la jeunesse, chose à laquelle il tenait
particulièrement. Blanc dévalorise ce qu’il nomme « les tyrannies » et essentiellement la monarchie. Il se fait
d’ailleurs une réputation d'historien pamphlétaire en publiant en 1841 « L'histoire de dix ans (1830 à 1840) », très
critique à l'égard des premières années de règne de Louis-Philippe et encensant au contraire les Républicains. Il
poursuit (l14-17) : « Un jour, si la plus chère espérance de notre cœur n’est pas trompée, un jour viendra où
il ne sera plus besoin d’un gouvernement fort et actif, parce qu’il n’y aura plus dans la société de classe
inférieure et mineure. » C’est en ce sens que le projet social et démocratique doit être envisagé. Ils font partie
d’un tout. La liberté est perçue, à présent, comme une fin officialisée par des moyens que seule l’association,
l’atelier social, peut consacrer.
B - Propositions de Blanc pour l’amélioration de leur sort

Une fois les ateliers sociaux mis en place, l’amélioration morale et matérielle de tous se ferait par
l’association fraternelle de chacun (l32-37) : « Pour la première année devant suivre l’établissement des
ateliers sociaux, le gouvernement règlerait la hiérarchie des fonctions. Après la première année, il n’en
serait plus de même. Les travailleurs ayant eu le temps de s’apprécier l’un l’autre, et tous étant également
intéressés, ainsi qu’on va le voir, au succès de l’association, la hiérarchie sortirait du principe électif. ».
Blanc ne souhaite pas mettre tous les travailleurs à égalité car, pour lui, « la hiérarchie par capacités est
nécessaire et féconde ». L’intérêt de l’élection est à chercher, au-delà de l’autonomie de gestion, dans
l’amélioration des relations de travail. L’obéissance serait ainsi consentie et non subie et la responsabilité du chef
d’entreprise, mandaté et révocable, serait prise en compte. Une unité serait ainsi créée dans l’association,
provoquée par la prise de conscience de l’interdépendance des associées. C’est là une caractéristique du socialisme
de Louis Blanc toujours préférable pour les relations commerciales, selon lui, qu’une lutte de classe interne. Pour
Louis Blanc organiser ce n’est pas organiser l’économie par une sorte de planification, c’est organiser les
travailleurs, les inviter à s’associer et à gérer les échanges sur cette base autogestionnaire. L’Etat est le gardien
externe de la propriété collective comme il est le gardien de la propriété privée. C’est le concept d’Etat serviteur
qui domine sa démonstration et non la vision d’un Etat maître comme chez Pierre Leroux ou de l’Etat anarchique de
Proudhon. Blanc a la même conception que Montesquieu : le peuple est bon pour choisir les Hommes comme ses
représentants, pas pour décider des choses, donc l’autogestion est limitée. Ces ateliers sociaux industriels
s’organisent sur la base de « statuts » ayant forme et puissance de loi car ils sont délibérés et votés par la
représentation nationale, démocratiquement constituée (système de Hare). Blanc veut une conversion morale de
l’individualisme à la communauté, par l’éclairage scientifique et la connaissance car la solidarité et l’association
sont l’identité profonde de l’Homme : le changement est affaire de pédagogie ; pas d’insurrection. « …Dès qu’on
admet qu’il faut à l’homme, pour être vraiment libre, la pouvoir d’exercer et de développer ses facultés, il
en résulte que la société doit à chacun de ses membres, et l’instruction, sans laquelle l’esprit humain ne
peut se déployer, et les instruments de travail, sans lesquels l’activité humaine ne peut se donner
carrière. » (l1 à 5). L’association est donc aussi un foyer d’instruction. Il est ici influencé par Albert Laponneraye
qui, dans les années 1830, donnait des cours publics gratuits pour les ouvriers et pour lesquels il fut condamné.
Pour les républicains, l’instruction permet à l’individu de s’élever et de raisonner. Plus l’instruction est forte, plus il
est difficile d’influencer un individu qui est capable de raisonner et de prendre du recul. Louis Blanc exprime
cependant un point particulier qui représente une limite dans l’accès au plus grand nombre des ateliers sociaux (l
28-31) : « Seraient appelés à travailler dans les ateliers sociaux, jusqu’à concurrence du capital
primitivement rassemblé pour l’achat des instruments de travail, tous les ouvriers qui offriraient des
garanties de moralité… » C’est uniquement dans ce cadre de moralité que les associés peuvent bénéficier de
l’aide financière de l’État. Il s’agit là d’une contrepartie venant équilibrer le projet car, pour Louis Blanc, les droits
financiers s’accompagnent de devoirs moraux. Or, cette garantie de moralité, si elle joue un rôle dans la sélection
des travailleurs, rend la liberté initiale caduque.

Pour conclure Louis Blanc établie ici un socialisme singulier pour l’époque. Ces Ateliers Sociaux verront le
jour à la suite de la Révolution de 1848 sous le nom d’Ateliers Nationaux mais cette expérience ne dura qu’à peine
trois mois (de mars à juin). Par ailleurs, à la tête de la Commission du Luxembourg, Blanc devra remettre en
question certains pans de son projet initial notamment sur la question de la rémunération. Débordées par l'afflux
des chômeurs, l'incapacité des Ateliers Nationaux à leur fournir un emploi laissant de nombreux ouvriers
désœuvrés et disponibles, sensibles aux propagandes politiques, dénoncés par les conservateurs qui ironisent en
les surnommant « râteliers nationaux », ils sont fermés dès le mois de Juin. Après la chute du Second Empire et
son retour d’exil, ses idées d'association sous l'égide de l'État paraissent dépassées en raison de l'influence de
Marx, qui voient dans l'État une superstructure bourgeoise hostile au peuple. L'idée de l'Union des classes en
raison de leur interdépendance est concurrencée par l'idée de lutte des classes. Il faut cependant apporter un
bémol à cet échec de Louis Blanc. En effet, il ne rejette pas le capitalisme, il souhaite simplement un état fort
pour le réguler et en contenir les abus qui amènent à une paupérisation toujours plus forte. Si son modèle ne dure
pas stricto sensu, certaines notions qu’il introduit en seront retenues comme la protection sociale. L’Etat ne laisse
pas l’économie dans une liberté totale. Il prend en charge les citoyens victimes des aléas de la vie (comme le
chômage, la maladie, les accidents, la vieillesse, le décès d'un parent pour un mineur, etc.). Il s'agit d'assurer un
minimum de ressources ainsi que l'accès aux besoins essentiels. De plus les nationalisations de grandes entreprises
en France après la seconde guerre mondiale peuvent être vues comme un héritage de cette pensée puisque c’est
l’Etat qui investit et dirige ces secteurs de l’économie (même s’il ne se retire pas au bout d’un an). Louis Blanc a en
quelques sortes mit en avant un principe qui se rependra durant la fin du XIXe et tout le XXe siècle à savoir, l’Etat
Providence, l’interventionnisme.
Bibliographie
Ouvrages généraux :

 BERSTEIN Serge et MILZA Pierre, « Histoire du XIXe siècle », Hatier, Paris, 1996, 538p.

 BEZBAKH Pierre, « Histoire du socialisme français », Larousse, Paris, 2005.

 CHEVALLIER Jean-Jacques, « Histoire de la pensée politique », Payot, Paris, 2006.

 PISIER Evelyne avec CHÂTELET François, DUHAMEL Olivier et BOURETZ Pierre, COLAS
Dominique, GUILLARME Bertrand, « Histoire des idées politiques », PUF, Paris, 1982.

Ouvrage spécialisé :

 DEMIER Francis, « Louis Blanc, un socialiste en République », Creaphis, 2006.

Plan
Quelle est la structure et le fonctionnement des Ateliers sociaux défendus par Louis
Blanc, ses finalités, et les inspirations et expériences qui permirent à l’auteur d’élaborer sa
théorie socialiste ?

I- La mise en place d’un Etat fort


a) Pourquoi faire appel à ce type d’Etat ?
b) Le rôle de l’Etat dans la formation des Ateliers et de la société

II- L’organisation des Ateliers Sociaux


a) Le principe de l’association et l’échec de la concurrence
b) Le fonctionnement interne des Ateliers sociaux

III- Emancipation des ouvriers


a) Constat actuel : misère ouvrière
b) Propositions de Blanc pour l’amélioration de leur sort

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