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Centre Audiovisuel d’Études Juridiques des Universités de Paris

Licence 3 en Droit (CAVEJ) - Session de juin 2020

Votre numéro étudiant : 10824176

Enseignement : Introduction au droit comparé

I. Question de méthodologie et d'épistémologie

La question de l’applicabilité en Europe du « backtraking » dans les conditions coréennes


suppose de rappeler brièvement ce qu’il en est dans ce pays.
Contrairement à l’Europe les précédentes épidémies à coronavirus comprenant le MERS et le
SRAS ont touché la Corée du sud. Si nous pouvons sans aucun doute souligner aujourd’hui sa
réactivité face à la crise sanitaire et sa gestion au moins en terme de mortalité, c’est aussi qu’elle
en avait l’expérience. Les deux virus précédents étaient également bien plus létaux que
l’actuelle COVID-19 ce qui a justifié la mise en place d’un cadre légal permettant de faire face
à ce type de risque avec l’adhésion de la population. C’est ce qui a permis entre autre, à la Corée
de développer, en outre les mesures de distanciations sociales, hygiènes et protections, une
application de géolocalisation permettant, dès l’instant qu’un cas est signalé, de remonter le fil
de toutes les personnes avec lesquelles il a été en contact (les cas contacts). Les cas contacts
reçoivent une notification leur demandant d’aller se faire dépister avec des indications précises
sur la source : le trajet, l’âge, le sexe. Ces informations sont donc publiques à tel point que cela
a un impact très net sur la vie privée. Le gouvernement coréen a ainsi dû prévoir la possibilité
d’anonymiser certains tests notamment face à la réticence de la communauté LBGT à se faire
dépister. Autre précision importante en cas de contact avec un cas déclaré le refus de se faire
dépister est sanctionné par une amende.
Rappelons que suite à la guerre des deux Corées, celle du sud a été jusque dans les années 80
une dictature. Si le pays s’est développé tant économiquement que juridiquement avec
notamment un travail important quant à la protection des droits fondamentaux par la Cour
Constitutionnelle de la République de Corée, la conception de l’équilibre entre sécurité
(sanitaire) et libertés n’est a priori pas similaire à celle des européens. Les coréens font
majoritairement confiance au gouvernement qui s’était même vu reprocher un manque de
précision sur les informations personnelles rendues publiques lors de l’épidémie de MERS.

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L’Europe de manière générale était beaucoup moins préparée. N’ayant pas connu sur sol la
précédente épidémie de « grippette », la question d’une application de traçage s’est posée après
la réussite de la Corée en ce domaine. Le système juridique n’y étant pas déjà préparé, l’union
européenne et ses membres se sont interrogés sur la possibilité matérielle et légale de
transposition de cet outil. Les normes européennes le permettent mais pas véritablement dans
des conditions similaires à celles employées en Corée du sud.
C’est le Comité Européen de la protection des données qui a pour rôle au sein de l’Union
européenne de garantir l’application du règlement général sur la protection des données de
2016 et la directive sur la protection des données de 2002. Le RGPD prévoit les causes
limitatives d’utilisation des données. En ce qui concerne précisément le droit de la santé le
principe est l’interdiction de l’usage des données mais il reçoit des exceptions. L’urgence
sanitaire semble rendre possible l’utilisation de ces technologies mais sous réserve de garanties
importantes pour rendre l’atteinte aux libertés strictement adaptée aux besoins. La
transparence, le caractère provisoire de la conservation des données, leur limitation aux fins de
santé publique liées à la crise, l’anonymisation permettent d’encadrer les atteintes à la vie
privée, au secret médical, à la collecte et conservation des données à caractère personnel, à la
liberté d’aller et venir…d’autant que l’utilisation européenne est prévue sur la base du
volontariat.
Ainsi la possibilité de mettre en place une telle application de traçage semble possible
néanmoins les exigences européennes sont supérieures en terme de protection des libertés
notamment au regard de l’anonymisation des données, de leur traitement, conservation,
installation sur la base du volontariat… L’application française lancée début juin 2020 a
d’ailleurs fait l’objet d’une large communication gouvernementale quant à son encadrement
après avis de la CNIL et du Conseil constitutionnel.
La balance bénéfice/risque, en terme de sécurité sanitaire et risque d’atteinte aux droits et
libertés fondamentales n’est donc pas la même par exemple en France qu’en Corée. Néanmoins
plusieurs voix se sont récemment élevées pour mettre en garde sur le risque d’un équilibre
précaire et des dérives que ce système peut impliquer, ainsi que l’impossibilité matérielle de
garantir la sécurité des données.
Enfin dans l’hypothèse d’une évolution défavorable de la pandémie et de la remontée
exponentielle des cas des contaminations, la préservation de l’économie et la peur ne
justifieraient-elles pas une tolérance accrue de la population à s’approcher d’un système plus
sécuritaire de type coréen avec une obligation de traçage et de dépistage ?

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II. Question d'approfondissement

Les systèmes auxquels les pays considérés appartiennent sont différents : l’Allemagne et la
France sont issus d’une tradition romano-germanique alors que les Etats-Unis sont un système
juridique de Common law.
La forme étatique diffère également puisque l’Allemagne et les Etats-Unis sont des états
fédérés quand la France est organisée comme un état unitaire.
Les trois institutions que sont le Conseil constitutionnel, la Bundesverfassungsgericht et la
Supreme Court of the United State ont été créés à des moments différents. Les deux premières
au XXe siècle et la dernière deux siècles plus tôt, ce qui implique que nous n’avons pas un recul
similaire sur le travail de ces institutions, ni sur leur évolution.
Les systèmes de nomination des juges sont dans chaque pays adaptés afin de déconcentrer
l’influence politique qui est répartie généralement entre différents organes et tous les juges sont
inamovibles. Ce qui témoigne d’une volonté commune des Etats de garantir l’indépendance des
juges.
En revanche une particularité aux Etats-Unis tient au fait que les juges de Cour Suprême sont
nommés à vie et ne meurent que rarement. Ce qui donne renforce plus particulièrement leur
position. De plus le choix des affaires desquelles elle souhaite se saisir est discrétionnaire ce qui
permet à la Cour de se concentrer sur les questions qu’elle estime essentielles. A l’inverse en
Allemagne la compétence de la Bundesverfassungsgericht est très développée et malgré les
conditions de fond, de forme et de l’épuisement des voies de recours elle examine elle-même la
recevabilité des recours ce qui aboutit en comptant 200000 affaires depuis sa création à un
risque d’engorgement. Engorgement qui limite nécessairement les délais de réponse. Des idées
pourraient peut-être venir de France cette fois avec son système de « filtre » employés par les
juridictions. En effet lorsque le juge du fond est saisi d’une question prioritaire de
constitutionnalité il va d’abord lui-même vérifier que les conditions de forme et de fond comme
en Allemagne sont remplies, puis s’il estime que c’est le cas il transmettra selon l’ordre
juridictionnel soit à la Cour de cassation, soit au Conseil d’Etat qui effectuera de nouveau un
contrôle avant de transmettre au Conseil constitutionnel si la question est jugée recevable.
Celle des Etats-Unis crée en 1789 possédait un rôle d’appel des juridictions inférieures quant au
contrôle du droit fédéral, en particulier constitutionnel et un rôle exceptionnel au premier degré.
Elle s’est elle-même attribuée par le biais d’un raisonnement in extenso la compétence de

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contrôle de la constitutionalité des lois fédérales dans le célèbre arrêt Marbury contre Madison
de 1803. Cela a fait débat contrairement aux autres pays étudiés où cette compétence était
expressément prévue et l’on a pu entendre parler d’une forme d’emprise indue des juges. Cette
contestation fragilise indéniablement son rôle et son exercice en la matière. Malgré tout c’est
cette capacité d’adaptation et ce rôle interprétatif qui permet largement d’expliquer le fait que la
constitution des Etats-Unis jouisse d’une longévité inédite dans un pays comme la France.
En Allemagne la Cour constitutionnelle fédérale dispose de nombreuses attributions prévues
par la loi fondamentale et contrairement aux Etats-Unis d’un rôle consultatif à l’instar de la
France. Elle n’a pas non plus de compétence de première instance en fait, en sus d’un rôle
relatif à la répartition des compétences elle assure essentiellement un contrôle de
constitutionalité et particulièrement de conformité essentiel aux droits fondamentaux. Le
contrôle s’effectue donc a priori et a posteriori comme en France par l’intermédiaire de la
saisine préalable du Conseil constitutionnel qui rend un avis avant promulgation de la loi
évitant ainsi de trop nombreux recours par la suite. Ce n’est d’ailleurs qu’en 2008 que la France
a instauré le mécanisme de la question prioritaire de constitutionnalité. Ceci étant la mise en
place tardive de ce mécanisme en France peut s’expliquer par son fonctionnement unitaire alors
que l’Allemagne et les Etats-Unis gardent en commun un rôle plus profond d’uniformisation de
l’application des principes constitutionnels au niveau des états fédérés et länders. Les
différences et rapprochements majeurs s’expliquent donc essentiellement par la forme étatique
adoptée, la légitimité et la nécessité du contrôle de constitutionnalité.

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