Vous êtes sur la page 1sur 19

LA LUTTE CONTRE LES INÉGALITÉS AU BRÉSIL : UNE ANALYSE

CRITIQUE DE L'ACTION DU GOUVERNEMENT DE LULA


Mylène Gaulard

De Boeck Supérieur | « Mondes en développement »

2011/4 n°156 | pages 111 à 128


ISSN 0302-3052
ISBN 9782804165147
Article disponible en ligne à l'adresse :

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 197.1.150.190 - 07/05/2018 17h13. © De Boeck Supérieur


--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
https://www.cairn.info/revue-mondes-en-developpement-2011-4-page-111.htm
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Pour citer cet article :


Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 197.1.150.190 - 07/05/2018 17h13. © De Boeck Supérieur

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Mylène Gaulard, « La lutte contre les inégalités au Brésil : une analyse critique de
l'action du gouvernement de Lula », Mondes en développement 2011/4 (n°156),
p. 111-128.
DOI 10.3917/med.156.0111
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur.


© De Boeck Supérieur. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les
limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la
licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,
sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de
l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage
dans une base de données est également interdit.

Powered by TCPDF (www.tcpdf.org)


DOI : 10.3917/med.156.0111

La lutte contre les inégalités au Brésil :


une analyse critique de l’action du
gouvernement de Lula
Mylène GAULARD1

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 197.1.150.190 - 07/05/2018 17h13. © De Boeck Supérieur


e Brésil se situe aujourd’hui parmi les dix pays les plus inégalitaires2 au
monde, avec un indice de Gini relatif à la répartition des revenus3
supérieur à 0,50. Dans les années 1980, le pays arrivait même en deuxième
position, juste derrière la Sierra Leone. En réalité, le niveau des inégalités,
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 197.1.150.190 - 07/05/2018 17h13. © De Boeck Supérieur

mesuré par l’indice de Gini, n’a quasiment pas cessé d’augmenter des années
1970 jusqu’à la décennie 1990. Cependant, la particularité de ce pays est que les
inégalités de revenus semblent diminuer depuis la fin des années 1990. D’après
l’IPEA (Instituto de Pesquisa Economica Aplicada, Institut brésilien de
recherche économique appliquée), le coefficient de Gini est ainsi passé de 0,593
en 2001, à 0,535 en 2009. Une baisse des inégalités aussi importante ne s’est
observée dans aucun autre pays au monde, et ce point est d’une importance
cruciale depuis les dernières élections présidentielles. Luiz Inácio « Lula » Da
Silva, Président de la République du Brésil de 2003 à 2010, et le Parti des
Travailleurs (PT), dont les politiques sociales sont aujourd’hui considérées
comme à l’origine de cette avancée du pays vers une société plus juste, sont-ils
réellement responsables de cette baisse des inégalités ? Dilma Rousseff,
Présidente élue en octobre 2010, peut-elle légitimement se réclamer, en tant que
membre du PT, de ce bilan plutôt positif ? Il s’agira ici de questionner la validité
des données sur la baisse des inégalités, puis d’étudier les raisons de cette
évolution.

1
Enseignant-chercheur en économie internationale, Institut supérieur des techniques d’outre-
mer, Cergy-Pontoise. Chercheur associé au Centre d’économie de l’Université Paris Nord.
mylene.gaulard@gmail.com
2
Après la Bolivie, le Botswana, la République centrafricaine, le Guatemala, Haïti, le Lesotho,
la Namibie, l’Afrique du Sud et le Zimbabwe (Bureau des statistiques des Nations unies,
World Income Inequality Database).
3
Coefficient de Gini : indice du degré de concentration des richesses compris entre 0 et 1 ;
plus il se rapproche de 1, plus les inégalités sont importantes.

Mondes en Développement Vol.39-2011/4-n°156 111


112 Mylène GAULARD

1. L’ÉVOLUTION RÉCENTE DES INÉGALITÉS


BRÉSILIENNES
1.1 La baisse des inégalités régionales et sociales
Figure 1 : Le Brésil et ses régions

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 197.1.150.190 - 07/05/2018 17h13. © De Boeck Supérieur


Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 197.1.150.190 - 07/05/2018 17h13. © De Boeck Supérieur

Source : Encyclopaedia Britannica.


Durant tout le vingtième siècle, le Brésil a connu une accentuation de ses
inégalités régionales et sociales. Ainsi, au niveau régional, avec 43% de la
population nationale, le Sudeste réalise 59% du PIB, alors que le Nordeste
concentre 29% de la population pour seulement 13% du PIB. La dégradation
des conditions de vie dans les campagnes, liée au manque de rentabilité des
petites surfaces agricoles et à l’expulsion des petits propriétaires terriens, fut
longtemps à l’origine d’un exode rural massif. En réalité, cet exode n’est plus
vraiment une question d’actualité au Brésil, car la population est à plus de 80%
urbaine (70% dans le Nordeste). Pourtant, jusqu’aux années 1990, les
migrations s’effectuaient principalement des régions du Nord agricole vers le
Sudeste industriel. L’étude des inégalités interrégionales oppose toujours des
régions à dominante agricole et des régions à dominante industrielle.
Actuellement, le Nordeste réunit 46% des Brésiliens considérés comme pauvres
par la Banque mondiale (revenu inférieur à 1,25 dollar par jour), alors que 30%
de la population brésilienne réside dans cette région.

Mondes en Développement Vol.39-2011/4-n°156


La lutte contre les inégalités au Brésil et l’action du gouvernement de Lula 113

Cependant, le cas brésilien présente une évolution intéressante car les inégalités
régionales tendent à diminuer depuis la fin des années 1990. En effet, le vif
essor du secteur des matières premières sur la scène internationale depuis le
début de la décennie 2000 est à l’origine d’un développement important de
l’activité agricole brésilienne, et les zones auparavant délaissées retrouvent un
poids important dans l’économie. Alors que les exportations agricoles ne
constituaient que 20% des exportations brésiliennes au début des années 1990,
elles en représentent aujourd’hui plus de 30%. Le secteur agricole tend à
accroître la richesse de ces régions, et y stimule également l’essor du secteur
agro-alimentaire. Une région comme le Nordeste voit ainsi ses exportations
fortement augmenter (par exemple, de 38,5% entre 2009 et 2010, contre une
hausse de 16% pour les régions du Sud).
Dès le début de la décennie 2000, une étude de Saboia (2000, 89-108) observe
que les disparités régionales brésiliennes tendent à s’amenuiser : selon l’auteur,

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 197.1.150.190 - 07/05/2018 17h13. © De Boeck Supérieur


l’emploi industriel s’est accru de 46,7% dans le Centre-Ouest du pays entre
1989 et 1997, alors qu’il a baissé de 30,7% dans le Sud-Est, la région la plus
industrialisée du pays. De même, alors qu’en 1989 200 régions offraient 90% de
l’emploi industriel, elles étaient 230 à le faire en 1997. Cette évolution s’explique
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 197.1.150.190 - 07/05/2018 17h13. © De Boeck Supérieur

non seulement par le poids croissant des exportations agricoles, mais aussi par
le fait que les régions les plus pauvres ont multiplié les incitations fiscales pour
attirer les entreprises.
Les activités de production (notamment les activités liées aux industries de
main-d’œuvre traditionnelles du secteur des biens de consommation, telles que
le textile, les denrées alimentaires, les boissons, l’hygiène et les produits de
nettoyage) quittent le Sud du pays pour s’implanter dans le Nord, le Nord-Est,
et le Centre-Ouest (Oman, 2000, 34). Les administrations infranationales
proposent des incitations aussi bien fiscales que financières afin d’encourager
les firmes à s’implanter dans leurs régions. Cette guerre fiscale n’explique
pourtant pas la diminution des inégalités régionales aussi bien que le processus
de désindustrialisation, car à ce jeu là, les régions les plus riches restent
privilégiées (Oman, 2000, 35).
Observons surtout que la baisse des inégalités régionales s’accompagne depuis
la seconde moitié des années 1990 d’une diminution des inégalités de revenus.
Après avoir connu une augmentation de ses inégalités le plaçant parmi les pays
les plus inégalitaires du monde, le Brésil connaît depuis peu une légère
décroissance de celles-ci : l’indice de Gini relatif à la répartition des revenus est
passé de 0,493 en 1979 à 0,60 en 1995, puis il s’est réduit pour atteindre 0,53
aujourd’hui.
Cependant, si des travaux comme ceux de Paes de Barros et al. (2007a) insistent
sur le fait que les disparités de revenus diminuent au Brésil, ils n’en restent pas
moins vivement contestés, notamment par des auteurs comme Pochmann et al.
(2006) : pour ces derniers, les études de Paes de Barros et al. et de l’IPEA ne
prennent en compte que les inégalités salariales. Or, une part de plus en plus
importante des revenus obtenus par les classes privilégiées proviendrait de la
sphère financière et serait difficilement comptabilisée. Ainsi, les revenus du

Mondes en Développement Vol.39-2011/4-n°156


114 Mylène GAULARD

travail ne correspondent plus, en 2009, qu’à 35% de la somme des revenus du


travail, des taux d’intérêt et des profits, contre 52% en 1990. Il y aurait, pour
cette raison, une sous-estimation des revenus de ces classes, et par conséquent
une sous-estimation des inégalités. Cette critique de Pochmann et al. fut
récemment remise en question par une nouvelle étude de Paes de Barros et al.,
essayant de prendre cette fois en compte toutes les sources de revenus.
Figure 2 : Évolution de l’indice de Gini au Brésil (1978-2009)

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 197.1.150.190 - 07/05/2018 17h13. © De Boeck Supérieur


Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 197.1.150.190 - 07/05/2018 17h13. © De Boeck Supérieur

Source : IPEADATA, www.ipeadata.gov.br


Face aux critiques de Pochmann et al., Paes de Barros et al. utilisent de
nouvelles sources de données pour évaluer le niveau des inégalités au Brésil.
Jusqu’à présent, seules les données de la PNAD (Pesquisa Nacional por Amostra de
Domicílios, enquête nationale sur un échantillon de ménages) étaient employées,
et ces dernières, si elles prenaient en compte les revenus du travail, ignoraient la
majorité des revenus en provenance de la sphère financière. Dans un article
publié par l’IPEA, Paes de Barros et al. (2007b) calculent de nouveau
l’évolution des inégalités, en s’appuyant cette fois sur la POF (Pesquisa de
Orçamentos Familiares, enquête sur les budgets familiaux) et sur le SCN (Sistema de
Contas Nacionais, système de comptes nationaux). La première de ces deux
sources de données repose sur une étude spécifique de la consommation, des
dépenses et des rentes familiales ; la deuxième contient des informations sur la
composition du revenu au sein des entreprises.
Les résultats de Paes de Barros montrent que, d’après les données de la POF,
les revenus des actifs financiers sont sous-évalués par la PNAD, mais les
revenus de transfert (pensions, aides sociales…) dont bénéficient les plus
pauvres le sont également. En reprenant les données de la POF, on retrouve un
indice de Gini identique à celui calculé avec les données de la PNAD. Quant
aux résultats obtenus avec les données du SCN, on s’aperçoit que les revenus
du travail sont inférieurs à ceux présentés par la PNAD (car le SCN répertorie
moins de salariés que la PNAD), et que la rente des actifs est quatre fois
supérieure à celle calculée par la PNAD (et de 42% supérieure à celle de la
POF) ; de même, les revenus de transfert, dont bénéficient les plus pauvres,
sont de 57% supérieurs à ceux calculés par la PNAD, et expliquent 40% de la
différence entre les revenus calculés par les deux institutions. En prenant en

Mondes en Développement Vol.39-2011/4-n°156


La lutte contre les inégalités au Brésil et l’action du gouvernement de Lula 115

compte toutes ces données du SCN, Paes de Barros observe une baisse de
l’indice de Gini supérieure à celle obtenue grâce aux données de la PNAD
(l’indice passe de 0,612 à 0,593 entre 2001 et 2003).

1.2 Les raisons de la baisse des inégalités brésiliennes


Les écarts de revenus au Brésil diminuent régulièrement depuis la fin de la
décennie 1990. Comment expliquer un tel phénomène dans un pays qui n’avait
connu jusque-là qu’un accroissement de ses inégalités ? La première raison,
lorsqu’on observe les figures 2 et 3, semble être l’évolution de l’inflation. En
effet, le taux d’inflation chute brusquement en 1994 (grâce à la mise en place du
Plan réal4), et c’est justement à partir de cette période que le coefficient de Gini
commence à diminuer (avant même l’arrivée de Lula au pouvoir en 2003).
Ainsi, entre 1994 et 1996, le taux d’inflation IPCA (Indice de Preços ao Consumidor

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 197.1.150.190 - 07/05/2018 17h13. © De Boeck Supérieur


Amplo, indice des prix à la consommation)5 passe de 916,5% à 9,6%, alors que
l’indice de Gini diminue légèrement, de 0,604 à 0,602.
Figure 3 : Taux d’inflation au Brésil, en pourcentage (1980-2009)
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 197.1.150.190 - 07/05/2018 17h13. © De Boeck Supérieur

Source : Ipeadata.
Il existe plusieurs liens entre inégalités et inflation : notamment, les catégories
les plus aisées de la population ont les moyens de se préserver et d’indexer une
part importante de leurs revenus à cette hausse des prix (par exemple, grâce à
l’indexation du prix des actifs sur l’inflation), alors que les plus pauvres voient
leur salaire réel chuter car leur rémunération ne s’élève pas aussi rapidement que

4
Plan de lutte contre l’inflation, mis en place en 1994 par le ministre des Finances, Fernando
Henrique Cardoso. Il consiste, en particulier, à désindexer les prix et les salaires, et à créer
une nouvelle monnaie, le real.
5
Nous prenons ici l’indice IPCA, indice reflétant l’évolution du coût de la vie, d’un panier de
biens de consommation pour une famille ayant un revenu compris entre 1 et 40 salaires
minimums, dans les neuf plus grandes régions métropolitaines du pays (São Paulo, Rio de
Janeiro, Belo Horizonte, Salvador, Porto Alegre, Recife, Brasilia, Fortaleza, Belém).

Mondes en Développement Vol.39-2011/4-n°156


116 Mylène GAULARD

les prix (et ce d’autant plus qu’en raison de l’effet Oliveira-Tanzi6, le déficit
public se creuse en période d’inflation, ce qui limite considérablement les
possibilités d’action de l’État pour lutter contre la pauvreté). Ainsi, depuis 1964
les rentiers sont moins touchés par l’inflation que les salariés, car à l’arrivée des
militaires au pouvoir, le Programme d’action économique du gouvernement
(PAEG) a établi un dispositif de correction monétaire qui indexe la valeur des
actifs financiers sur l’inflation. Ce dispositif permet de réduire les risques de
pertes financières et de promouvoir ainsi le crédit pour accroître la
consommation et l’investissement durant le « miracle économique », période
s’étalant de 1967 à 1973 durant laquelle le Brésil a connu une croissance
économique annuelle moyenne de 11%. Cependant, le PAEG sera à l’origine
d’une forte hausse des inégalités durant la décennie 1980, lorsque l’inflation
commencera à peser sur le pouvoir d’achat des salariés. Au contraire, la chute
de cette inflation à partir de 1994 leur sera plutôt favorable. Néanmoins, alors

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 197.1.150.190 - 07/05/2018 17h13. © De Boeck Supérieur


que la baisse du taux d’inflation est extrêmement brusque entre 1994 et 1996, la
diminution de l’indice de Gini est très légère. Surtout, l’indice de Gini ne cesse
de diminuer depuis la fin de la décennie 1990, alors que l’inflation ree stable, et
se maintient entre 2 et 12% (il y eut même une hausse de ce taux entre 1998 et
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 197.1.150.190 - 07/05/2018 17h13. © De Boeck Supérieur

1999, puis entre 2000 et 2002, mais l’indice de Gini continuait malgré tout à
diminuer). Il est donc nécessaire d’expliquer autrement que par la seule
évolution des prix la baisse des inégalités brésiliennes.
Figure 4 : Taux d’inflation au Brésil, en pourcentage (1996-2009)

Source : Ipeadata.
D’après les études de Paes de Barros et al. (2007c), la diminution de la
segmentation géographique expliquerait un quart de la baisse des inégalités de
revenus, et la pauvreté baisserait en raison de ces moindres inégalités régionales.
Selon la Banque mondiale, 29% de la population brésilienne se situe sous le
seuil de pauvreté de deux dollars par jour en 2006, et en raison du niveau élevé

6
Dans un contexte de forte inflation, les recettes publiques, et notamment les impôts sur le
revenu déterminés selon les revenus de l’année précédente, connaissent une baisse
considérable relativement aux dépenses publiques.

Mondes en Développement Vol.39-2011/4-n°156


La lutte contre les inégalités au Brésil et l’action du gouvernement de Lula 117

d’inégalités caractérisant le Brésil, cette proportion est trois fois supérieure à


celle observée dans la moyenne des pays disposant d’un PIB équivalent.
Néanmoins, de 1999 à 2006, ce taux de pauvreté a fortement chuté, de 38 à
29%, et le nombre de pauvres est passé de 54,8 à 52,4 millions (Pochmann et
al., 2006). Selon Pochmann et al., cette baisse ne s’est pas effectuée
uniformément sur tout le territoire. Dans les neuf grandes métropoles,
réunissant le tiers des habitants du pays, le nombre de pauvres a augmenté de
1,8 million (de 9,9 à 11,7 millions) entre 1989 et 2004, alors que dans le Brésil
non métropolitain, il a diminué de 4,2 millions (de 44,8 à 40,6 millions). Par
exemple, à São Paulo, le taux de pauvreté est passé de 9,7% à 15,8% entre 1989
et 2004. La pauvreté concerne aujourd’hui de plus en plus d’actifs installés dans
les villes, et dans les régions métropolitaines, il y eut entre 1989 et 2004 une
hausse de 197 500 actifs en situation de pauvreté absolue (alors que dans les
régions non métropolitaines, la diminution du nombre d’actifs pauvres

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 197.1.150.190 - 07/05/2018 17h13. © De Boeck Supérieur


atteignait le record de 853 200 personnes). L’étude de Pochmann et al. montre
bien que les régions les plus pauvres, celles comprenant le moins de
métropoles, sont bien celles qui ont profité de la plus forte baisse du taux de
pauvreté. Cela se comprend essentiellement à l’aune de la baisse récente des
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 197.1.150.190 - 07/05/2018 17h13. © De Boeck Supérieur

inégalités régionales étudiée précédemment, mais l’augmentation des dépenses


publiques en faveur de ces régions est aussi en partie responsable de cette
évolution, nous le reverrons.
Enfin, selon Paes de Barros et al., la baisse de la segmentation entre activités et
la diminution des inégalités de revenus entre les différents niveaux de
qualification expliqueraient 50% de l’évolution du Gini (Paes de Barros et al.,
2007c). Jusqu’à la décennie 1990, la forte intensité capitalistique présentée par
l’économie brésilienne depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale fut à
l’origine d’une augmentation des écarts de revenus : une productivité du travail
élevée engendra une augmentation du chômage et un essor sans précédent du
secteur informel, et ce notamment durant le ralentissement économique de la
décennie 1980, « décennie perdue ». Le taux de chômage brésilien passa d’une
moyenne de 5,7% entre 1980 et 1990, à 7,3% entre 1990 et 2000 (Ipeadata).
Surtout, dans les grandes villes, les emplois informels correspondaient à 87%
des emplois créés entre 1990 à 1995. Cette pression exercée sur le marché du
travail fut responsable d’une forte chute des salaires dans le partage de la valeur
ajoutée. Le salaire réel moyen annuel est passé, entre 1990 et 1996, de 9 203 à 4
789 dollars (alors qu’en Chine, durant la même période, il y eut une
augmentation, bien que très légère, de 923 à 1 282 dollars) (Mesquita Moreira,
2006). Cette évolution du marché du travail brésilien s’est accompagnée de
fortes inégalités opposant les travailleurs qualifiés, recrutés par les secteurs les
plus modernes, aux moins qualifiés : en 1997, un Brésilien ayant suivi dix-huit
années d’études, bénéficiait d’un salaire seize fois plus élevé que l’un de ses
compatriotes n’ayant qu’une année d’études, et trois fois plus élevé qu’un
travailleur avec douze années d’études (Menezes-Filho, 2001).

Mondes en Développement Vol.39-2011/4-n°156


118 Mylène GAULARD

Figure 5 : Part des différents secteurs dans l’économie brésilienne,


en % du PIB (1947-2009)
Titre du graphique

70

60

50

40

30

20

10

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 197.1.150.190 - 07/05/2018 17h13. © De Boeck Supérieur


0
1947

1951

1955

1959

1963

1967

1971

1975

1979

1983

1987

1991

1995

1999

2003

2007
Agriculture Services Industrie
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 197.1.150.190 - 07/05/2018 17h13. © De Boeck Supérieur

Source : Ipeadata.
(Agriculture : agriculture et pêche. Industrie : extraction minière, industrie de transformation,
production et distribution d’électricité, d’eau et de gaz. Services : commerce, services de l’information,
construction, transport, intermédiation financière, activités immobilières, autres services).
La particularité de la croissance brésilienne, reposant sur l’utilisation d’une forte
intensité capitalistique et sur une productivité du travail élevée, fut donc à
l’origine d’une augmentation des inégalités jusqu’à la fin des années 1990
(Gaulard, 2011). Cependant, le Brésil est entré depuis peu dans un processus de
désindustrialisation, et les biens produits utilisent de plus en plus de travail aux
dépens du capital. L’industrie est passée de 48% du PIB brésilien en 1984 à
24% en 2009 (Figure 5), et le taux de formation brute de capital fixe est de plus
en plus bas, passant de 27% du PIB en 1991 à 17% en 2009 (un niveau très
faible si on compare ce chiffre aux 47% observés en Chine). En conséquence,
alors qu’en Chine, la production industrielle augmentait en moyenne de 11,7%
par an entre 1990 et 2003, cette croissance n’était que de 1,6% dans le cas du
Brésil. La part de ce pays dans la formation de valeur ajoutée des biens
manufacturés produits dans le monde a ainsi chuté, de 2,9% en 1980 à 1,2% en
2009. Néanmoins, depuis 15 ans, la part de l’industrie dans le PIB reste stable,
et l’emploi industriel représente toujours 25% de la population active.
En fait, le Brésil se spécialise dans des secteurs intensifs en ressources naturelles
et abandonne progressivement les secteurs traditionnels (textile,
électronique…), ce qui explique que la part de l’emploi dans l’industrie soit
équivalente à celle d’il y a quinze ans. Alors que d’après l’IEDI (Instituto de
Estudos para o Desenvolvimento Industrial, Institut d’études pour le
développement industriel) les premiers constituaient 35,9% de la production
industrielle en 1991, cette part s’élève à 45,7% en 2009 ; au contraire, la part des
secteurs traditionnels a fortement chuté durant la même période. Cela signifie

Mondes en Développement Vol.39-2011/4-n°156


La lutte contre les inégalités au Brésil et l’action du gouvernement de Lula 119

que la production industrielle brésilienne se concentre de plus en plus sur des


secteurs à faible contenu technologique (industries extractives, agro-
alimentaires, bois et dérivés…). Comme le révèle le graphique ci-dessous, cela
n’est pas sans conséquence sur la structure du solde commercial brésilien qui
est fortement déficitaire pour les produits manufacturés de haute technologie,
et excédentaire pour les produits de basse technologie utilisant davantage de
main-d’œuvre. De même, alors que les produits manufacturés représentaient
74% des exportations du pays en 2000, ils n’en constituent plus que 55%
aujourd’hui : cette évolution révèle le processus de « reprimarisation » de
l’économie brésilienne, et explique le fait que la balance commerciale
brésilienne soit déficitaire dans le secteur des produits manufacturés (déficit de
35 milliards de dollars en 2010).
Figure 6 : Balance commerciale du Brésil par intensité technologique des biens

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 197.1.150.190 - 07/05/2018 17h13. © De Boeck Supérieur


manufacturés échangés7, en millions de dollars (2002-2010)
60000
Haute technologie
Moyenne-
basse
40000 Moyenne-haute
technologie
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 197.1.150.190 - 07/05/2018 17h13. © De Boeck Supérieur

technologie
20000 Moyenne-basse
Basse
technologie
technologie
0 Basse technologie

-20000
Moyenne-
haute
-40000 technologie

-60000 Haute
technologie
-80000
2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

Source : IEDI.
En raison de cette évolution particulière de l’appareil productif, et de l’accent
mis sur des secteurs utilisant essentiellement de la main-d’œuvre non qualifiée,
on observe actuellement une diminution du taux de chômage (12,5% en 2003,
contre 7% en 2010), alors que celui-ci n’avait cessé d’augmenter depuis vingt
ans (données de l’IPEA) ; l’emploi informel est en régression (passant de

7
Haute intensité technologique : biens d’équipement, matériel électronique, radiotéléphonie,
pharmaceutique. Moyenne-haute intensité technologique : cellulose et fabrication de papier,
produits chimiques, équipement automobile. Moyenne-basse intensité technologique : cuir,
plastique, métallurgie basique. Basse intensité technologique : industries extractives,
produits alimentaires et boissons, textile, bois et meubles.

Mondes en Développement Vol.39-2011/4-n°156


120 Mylène GAULARD

45,95% de la population active en 2001 à 43,78% en 2009), et les inégalités


entre travailleurs qualifiés et non qualifiés diminuent. Les inégalités de revenus
du travail ne cessent de baisser depuis le début de la décennie, et l’indice de
Gini pour les revenus du travail passe de 0,552 en 2003 à 0,515 en 2007 (Paes
de Barros et al., 2007c). Entre 1980 et 2005, la productivité du travail connaît
une moindre progression que dans les autres pays du monde (elle diminue
même de 0,1%, alors qu’en Chine, elle augmente de 5,7%)8 : cela permet, étant
donné que la production continue à progresser, d’employer davantage de
travailleurs (essentiellement non qualifiés) que ne l’aurait permis le schéma
antérieur d’élévation constante de l’intensité capitalistique. Kliass et Salama
(2007, 121) reprennent cette analyse selon laquelle le processus de
désindustrialisation serait à l’origine d’une baisse des inégalités. Pour ces deux
auteurs, les inégalités salariales ne se creusent plus depuis la fin des années 1990
en raison de la faiblesse de l’investissement, et la demande de travail qualifié ne

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 197.1.150.190 - 07/05/2018 17h13. © De Boeck Supérieur


cesse de diminuer relativement à celle de travail non qualifié. Par ailleurs,
« comme dans le même temps, l’offre de travail qualifié augmente plus
rapidement que celle de travail non qualifié, les travailleurs occuperont des
postes de travail ne correspondant pas à leurs qualifications spécifiques, et
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 197.1.150.190 - 07/05/2018 17h13. © De Boeck Supérieur

auront des emplois déclassés ».


Figure 7 : Revenu moyen du décile le plus riche au Brésil, en pourcentage du
revenu mensuel moyen national (1980-2009)

530
520
510
500
490
480
470
460
450
440
1980
1982
1984
1986
1988
1990
1992
1994
1996
1998
2000
2002
2004
2006
2008

Source : Ipeadata.
Ainsi, entre 2001 et 2009, les revenus du travail des cinq déciles les plus pauvres
se sont élevés deux fois plus rapidement que ceux des quatre déciles suivants, et
ils ont augmenté trois fois plus vite que ceux du décile le plus riche qui voit sa
part dans le revenu moyen national diminuer (données de l’IPEA, figure 7).
Toujours en faveur de ces travailleurs non qualifiés, notons qu’en 2004 le salaire
minimum fut aussi considérablement revalorisé : il augmente de 240 réaux (84
US$), en 2003, à 510 réaux (306 US$), en 2010. Ce salaire fut indexé sur

8
IEDI, O mercado de trabalho dos Bric, Carta IEDI, n° 274, 24 août, www.iedi.org.br, 2007.

Mondes en Développement Vol.39-2011/4-n°156


La lutte contre les inégalités au Brésil et l’action du gouvernement de Lula 121

l’inflation, et l’indexation permit non seulement d’augmenter le revenu des 25%


de la population active gagnant le salaire minimum (et celui des autres
travailleurs dont le revenu est lié à l’évolution de ce dernier), mais elle engendra
une hausse des dépenses sociales de l’État (65% des dépenses de sécurité
sociale sont indexées sur le salaire minimum).
C’est surtout le processus de désindustrialisation du Brésil qui permet
d’engendrer une baisse des inégalités au niveau national, et ce en raison d’une
plus grande absorption de la force de travail. Selon l’OCDE9, sur la période
2000-2007, l’élasticité de l’emploi au PIB est beaucoup plus faible en Chine
(0,1) qu’au Brésil (1,2). Cette différence importante montre parfaitement le
positionnement distinct de ces deux pays dans le processus d’accumulation. La
Chine se situe dans une phase de forte accumulation et de vif essor industriel,
alors que le Brésil entre plutôt dans une période de désindustrialisation
caractérisée par une baisse des inégalités de revenus opposant les travailleurs

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 197.1.150.190 - 07/05/2018 17h13. © De Boeck Supérieur


qualifiés et non qualifiés. Cette évolution n’est aujourd’hui possible que parce
que la demande mondiale de matières premières s’accroît fortement depuis le
début du nouveau millénaire, et qu’une grande partie de la croissance
économique du pays, atteignant 7,5% en 2010, repose sur de vigoureuses
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 197.1.150.190 - 07/05/2018 17h13. © De Boeck Supérieur

exportations agricoles.

2. L’AVENIR DE LA SOCIÉTÉ BRÉSILIENNE


2.1 Des politiques publiques en faveur des plus pauvres ?
Il convient de s’interroger sur le rôle de l’État, notamment depuis la présidence
de Lula (2003-2010), pour comprendre l’évolution à la baisse de ces inégalités
de revenus ainsi que leur évolution à venir. La diminution récente des inégalités
pousse de nombreux auteurs à interpréter un tel phénomène comme la
conséquence des politiques sociales mises en œuvre en faveur des plus pauvres
par le gouvernement du Président Lula depuis 2003, et tant que ces politiques
seraient maintenues, l’indice de Gini pourrait atteindre 0,49 et l’extrême
pauvreté être totalement éradiquée d’ici 2016 (Ipea, figure 8) : selon Paes de
Barros et al. (2007c), 25% de la baisse des inégalités s’expliquerait par les
transferts sociaux, ces derniers ne représentant pourtant que 20% des revenus ;
en revanche, l’évolution des revenus du travail (constituant 80% des revenus)
n’expliquerait « que » 50% de la baisse des inégalités.

9
OCDE, Employment Outlook, 2007, 31.

Mondes en Développement Vol.39-2011/4-n°156


122 Mylène GAULARD

Figure 8 : Pronostic sur l’évolution des inégalités et de la pauvreté au Brésil

60 54,4
48,8
50
40
28,8 2008
30
2016
20 10,5
10 4
0
0
Taux de Taux d'extrême Inégalités
pauvreté pauvreté (indice de Gini)

Source : Ipeadata.

Taux de pauvreté : part dans la population brésilienne des personnes ayant un revenu

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 197.1.150.190 - 07/05/2018 17h13. © De Boeck Supérieur


inférieur à la moitié du salaire minimum, en %. Taux d’extrême pauvreté : part dans la
population brésilienne des personnes ayant un revenu inférieur au quart du salaire
minimum, en %.
Ainsi, le revenu moyen des travailleurs situés parmi les 10% les plus pauvres de
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 197.1.150.190 - 07/05/2018 17h13. © De Boeck Supérieur

la population est passé de 96 à 58 réaux entre 1995 et 2004 : cependant, alors


qu’en 1995, 89% des revenus de cette population provenaient de la
rémunération du travail, cette part n’est plus que de 48% en 2004 (Marques et
Nakatani, 2007). Cette évolution s’explique par la place accrue des politiques
sociales et des aides en direction des plus pauvres sous la présidence de Lula.
Par exemple, selon le gouvernement, la mesure de politique sociale la plus
importante serait la Bourse Famille (lancée en 2003), programme de transfert de
revenus vers les familles situées sous le seuil de pauvreté. En 2009, ce
programme concerne 11 millions de familles, 47 millions de Brésiliens, et il
consiste à leur fournir des « cartes de citoyen » (Cartões do Cidadão), cartes de
crédit dont l’objectif est de répondre aux besoins de base (alimentation,
logement etc.) des ménages les plus pauvres. En 2009, ces derniers ont reçu 8,2
milliards de réaux, c’est-à-dire 0,4% du PIB.
Cependant, en dehors de ces aides extrêmement ciblées, il ne semble pas que le
gouvernement Lula ait mis en œuvre une réelle politique sociale en mesure
d’expliquer la baisse des inégalités. Effectivement, la majeure partie des
politiques économiques gouvernementales tendrait plutôt à les accentuer. Par
exemple, en matière de politique fiscale il est indéniable que les plus pauvres se
retrouvent lésés par une politique d’impôts dégressifs. Les plus riches sont,
proportionnellement à leurs revenus, moins taxés que ces derniers. Cela
s’explique essentiellement par la place importante des impôts indirects. La
charge fiscale correspondait en 1980 à 22% du PIB, contre 35% en 2009,
évolution qui s’explique par la volonté de réduire le service de la dette qui
représente aujourd’hui 37% des dépenses de l’État. Cependant, l’impôt brésilien
se compose essentiellement de taxes indirectes, concernant aussi bien les plus
pauvres que les plus riches, quel que soit leur niveau de revenu, d’où le
caractère régressif et « injuste » de cet impôt. Ainsi, 65% de l’impôt brésilien est

Mondes en Développement Vol.39-2011/4-n°156


La lutte contre les inégalités au Brésil et l’action du gouvernement de Lula 123

prélevé sur le travail salarié et la consommation. Une famille avec des revenus
inférieurs à deux salaires minimums dépensait 26,5% de son revenu en impôt
indirect en 1994, alors que cette part s’élève à 48,8% en 2009. En moyenne, la
charge tributaire nationale s’est élevée de 20,6% depuis 10 ans, alors que pour
les 10% les plus riches, cette hausse ne fut que de 8,4% (les 10% les plus
pauvres dépensent ainsi 33% de leurs revenus en impôts, contre 23% pour les
10% les plus riches).
Si les catégories les plus riches de la population brésilienne ne sont pas
davantage imposées que les plus pauvres, elles bénéficient aussi beaucoup du
budget de l’État. Les dépenses publiques accroissent ainsi majoritairement les
revenus des plus riches, comme le révèlent les travaux de Neri (2007) : les
transferts liés à la previdência (vieillesse, maladie, chômage) représentent 16,2%
du revenu moyen des 50% les plus pauvres, contre 19,6% pour l’ensemble de la
population, et 18,9% pour les 10% les plus riches. Cela s’explique

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 197.1.150.190 - 07/05/2018 17h13. © De Boeck Supérieur


essentiellement par une meilleure couverture sociale des plus riches. Ce n’est
que grâce à des programmes sociaux extrêmement ciblés que les transferts
publics privilégient désormais un peu plus les 50% les plus pauvres.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 197.1.150.190 - 07/05/2018 17h13. © De Boeck Supérieur

Tableau 1 : Composition du revenu moyen en 2006


des 50% les plus pauvres et des 10% les plus riches, en %
Moyenne 50- 40 10+
nationale
Toutes les sources (en réaux) 490,82 142,13 496,02 2 080,76
Travail 75,7 75,5 75,3 76,5
« Previdência » (vieillesse, maladie, chômage) 19,6 16,2 21,4 18,9
Programmes sociaux 2,2 6,7 1,4 1,3
Transferts privés 2,5 1,6 1,9 3,3
Transferts publics (Previd. + Prog. Soc.) 21,8 22,9 22,8 20,2
Source : Neri (2007).
Par ailleurs, la politique budgétaire de Lula vise surtout actuellement à dégager
un excédent primaire pour répondre aux critères de responsabilité des grands
organismes économiques internationaux. Pour cette raison, la dette nette du
secteur public est passée de 57,2% du PIB en 2003 à 51,6% en 2005 (43% en
2009). Cette amélioration des comptes de l’État s’est effectuée par le biais d’une
augmentation de l’excédent primaire (différence entre les recettes et les
dépenses de l'année hors paiement des intérêts de la dette), ce dernier étant de
4,25% en 2003 contre 4,84% en 200510. Cet excédent primaire s’obtient
principalement en diminuant la majeure partie des dépenses sociales. Alors
qu’en 2009, la charge de la dette représentait 37% des dépenses de l’État, la
protection sociale des travailleurs brésiliens n’absorbait que 26% de celles-ci
(selon les données de l’IPEA, la part de la previdência dans les dépenses
publiques était de 34% en 2000).

10
En 2009, l’excédent primaire est descendu à 3,98% du PIB, puis à 2,78% en 2010, mais
cela s’explique par la légère contraction de l’activité économique.

Mondes en Développement Vol.39-2011/4-n°156


124 Mylène GAULARD

Quant à la politique monétaire, c’est sans doute la politique économique qui est
aujourd’hui la plus critiquée. En effet, elle consiste à maintenir des taux
d’intérêt extrêmement élevés afin de continuer à financer la dette publique. La
volonté du gouvernement est surtout d’éviter un retour de l’inflation,
phénomène qui a longtemps freiné la croissance brésilienne. Face à une hausse
des prix atteignant 5,9% en 2010, la banque centrale s’est pour cette raison
inquiétée, augmentant son taux directeur (Selic) jusqu’en septembre 2011.
Malgré plusieurs baisses depuis cette date, ce dernier taux atteint toujours
11,50% en novembre 2011, se situant parmi les taux directeurs les plus élevés
au monde : cela a une incidence sur les taux longs, le spread bancaire dépassant
souvent 30%. Or, ces taux d’intérêt, s’ils pénalisent l’investissement, et par
conséquent la croissance économique, favorisent surtout l’enrichissement des
plus riches. L’achat de titres financiers, et notamment de bons du Trésor,
accroît le patrimoine de ces ménages. Aujourd’hui, les Brésiliens les plus aisés

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 197.1.150.190 - 07/05/2018 17h13. © De Boeck Supérieur


placent une part importante de leurs revenus dans la sphère financière : les 5%
les plus riches (revenus supérieurs à 30 fois le salaire minimum) dépensent un
quart de leurs revenus pour l’achat de biens élevant la valeur de leur patrimoine,
contre seulement une part de 4,5% pour les plus pauvres (revenus inférieurs à
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 197.1.150.190 - 07/05/2018 17h13. © De Boeck Supérieur

deux salaires minimums) (Rolli et Fernandes, 2004). Les cinq plus grandes
banques brésiliennes concentreraient 69% des profits du système bancaire, et
50% de leurs profits proviendraient des titres de la dette publique. En 2006,
seulement 15 000 familles possédaient 80% des titres publics fédéraux (Boito
Junior, 2006)
La baisse des inégalités brésiliennes n’est donc pas tant causée par les politiques
économiques de Lula que par la diminution des écarts salariaux présentée
précédemment. Si une baisse des inégalités est actuellement observée au Brésil,
elle ne date pas de l’arrivée de Lula au pouvoir, on peut la faire remonter à la
deuxième moitié de la décennie 1990. Les politiques sociales, dont le poids dans
le PIB reste assez faible, ne peuvent être considérées comme à l’origine de cette
évolution. Et cette affirmation est appuyée par le constat qu’un programme
aussi important que la Bolsa Familia ne concerne que la catégorie des 20% les
plus pauvres, alors que ce ne sont pas ces derniers qui profitent majoritairement
de la hausse des revenus pour les Brésiliens les moins aisés. Le tableau 2 ci-
dessous nous révèle en effet que parmi les 50% les plus pauvres, c’est
essentiellement la couche des 30% bénéficiant des revenus les moins faibles qui
profite le plus de la baisse des inégalités. Entre 2000 et 2009, alors que les 20%
les plus pauvres voient leur part dans le revenu national passer de 3,5 à
seulement 3 8%, les 50% les plus pauvres ont un revenu qui augmente de
13,3% du revenu national à 15,6%. Ce ne sont pas les Brésiliens les plus
touchés par la pauvreté qui profitent réellement de cette structure moins
inégalitaire, et les politiques sociales de Lula, censées cibler les 20% les plus
pauvres, ne sont pas responsables de la situation actuelle. L’analyse de
l’évolution de l’appareil productif est plus à même de nous faire comprendre la
chute de l’indice de Gini depuis 1995. Ce dernier est susceptible de diminuer
tant que le Brésil continuera de se désindustrialiser et que les matières premières

Mondes en Développement Vol.39-2011/4-n°156


La lutte contre les inégalités au Brésil et l’action du gouvernement de Lula 125

verront leurs cours augmenter sur la scène internationale, ce dernier point


constituant une hypothèse très forte et peu probable.
Tableau 2 : Part dans le revenu national brésilien des différentes tranches de
revenus, en pourcentage (1960-2009)
1960 1970 1980 1985 1990 1995 2000 2009
20% les plus pauvres 3,9 3,4 2,8 2,3 2,7 2,6 3,5 3,8
50% les plus pauvres 17,4 14,9 12,6 13,5 14,1 12 13,3 15,6
20% les plus riches 55,7 63,8 64,6 63,9 63,5 63,2 62,6 62,1
10% les plus riches 39,6 46,7 50,9 47,3 48,1 47,1 45,9 44,4
5% les plus riches 28,3 34,1 37,9 35,8 36,2 35,3 33,2 31,7
1% les plus riches 11,9 14,7 16,9 14 13,9 13,4 13,1 12,3
Source : IBGE, Pnad (2009) ; Serra J. (1982, 64).
Insister sur les transferts sociaux, et non sur les changements structurels de
l’économie brésilienne (diminution du travail informel, hausse du salaire
minimum, essor du travail non qualifié…), implique certains présupposés

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 197.1.150.190 - 07/05/2018 17h13. © De Boeck Supérieur


idéologiques risquant d’engendrer des interprétations erronées de la situation.
Comme l’affirme Salm (2007, 3), « la Bourse Famille est un exemple de
politique qui n’interfère pas directement avec le marché, et qui, pour cela, doit
être mise en avant par la pensée orthodoxe, alors que les augmentations du
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 197.1.150.190 - 07/05/2018 17h13. © De Boeck Supérieur

salaire minimum (comme institution universelle) font partie d’une politique qui
interfère dans la formation d’un prix fondamental, le prix du travail, et qui, pour
cette raison, peut et doit être ignorée d’après ce courant de pensée. »11 Pour
mieux comprendre l’évolution des inégalités brésiliennes, il est essentiel
d’insister dorénavant davantage sur l’orientation du processus d’accumulation,
sur la formation d’un appareil productif beaucoup moins capitalistique que celui
d’il y a vingt ans.

2.2 La disparition des « classes moyennes » ?


Malgré cette baisse des inégalités, certains auteurs comme Bresser Pereira
(2007) insistent sur le fait que nous observerions actuellement une polarisation
de la société brésilienne. La classe moyenne, constituant la troisième demande
(située entre les 5% les plus riches et les 80% les plus pauvres), évoquée par
Salama (1972) pour expliquer la formation d’un marché intérieur national parmi
les 20% les plus aisés durant le « Miracle économique » (1967-1973), serait dans
un processus de paupérisation. De l’autre côté, les 0,1% les plus riches
connaîtraient un accroissement considérable de leur fortune. Selon la Folha de
São Paulo du 13 janvier 2008, la fortune des Brésiliens possédant plus d’un
million de dollars s’est ainsi accrue de 22,4% en 2007, la croissance la plus forte
du monde juste après la Chine (23,4%). Les millionnaires (en dollars) sont
passés de 130 000 personnes en 2006 à 190 000 (0,1% de la population
brésilienne) en 2007.

11
Traduction de l’auteur.

Mondes en Développement Vol.39-2011/4-n°156


126 Mylène GAULARD

Or, dans les années 1960-1970, ce n’étaient pas seulement les 0,1% les plus
riches qui s’enrichissaient, la classe moyenne évoquée précédemment bénéficiait
également de la hausse des inégalités l’opposant aux 80% les plus pauvres de la
population. Le développement de l’appareil productif était alors responsable de
cette évolution, car dans le Brésil des années soixante, la production de biens de
consommation durables destinés aux couches les plus aisées de la population
engendrait une faible absorption de la main-d’œuvre non qualifiée et une
augmentation des capacités de production oisives au sein des entreprises.
Malgré cette surcapacité productive, la stagnation économique fut évitée dès la
fin des années 1960 grâce à la baisse des salaires ouvriers et à l’apparition d’une
« troisième demande » liée à la multiplication des emplois qualifiés. Celle-ci
représentait la demande d’une vaste classe moyenne parmi les 20% les plus
riches de la population, se juxtaposant à la consommation des 5% les plus
riches. De la fin des années 1960 jusqu’aux années 1970, le Brésil connut pour

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 197.1.150.190 - 07/05/2018 17h13. © De Boeck Supérieur


cette raison une période de Miracle économique reposant en partie sur la
consommation de cette « troisième demande ».
Au contraire, depuis la fin des années 1990, l’indice de Gini diminue alors que
les revenus de la « troisième demande » prennent une part de moins en moins
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 197.1.150.190 - 07/05/2018 17h13. © De Boeck Supérieur

importante. Une classe moyenne apparaît actuellement, mais contrairement aux


présupposés du concept précédent, celle-ci se rapproche davantage des
catégories les plus pauvres que des plus riches. Les quatre déciles les plus riches
voient leur revenu stagner (relativement au revenu national), et même diminuer
pour le décile supérieur, alors que ce sont les 50% les plus pauvres qui profitent
d’une hausse de leurs revenus. Cette classe moyenne est « distincte » du concept
de troisième demande, et il n’est pas sûr qu’elle soit en mesure de consommer
des biens de consommation durables dits de luxe (allant de l’automobile au
matériel micro-informatique), car ces derniers concernent essentiellement les
40% de la population bénéficiant d’un revenu au moins égal au revenu mensuel
moyen national (400 réaux, soit 200 euros en 2009).
On assiste bien à une polarisation de la population brésilienne, mais cette
dernière ne se réalise pas entre les 1% les plus riches et le reste de la population,
elle s’effectue plutôt entre les 0,1% les plus riches et les autres (notamment les
anciennes classes moyennes qui voient leur revenu diminuer relativement à la
richesse nationale). Peut-on, toutefois, encore parler d’un mouvement de
polarisation, les 20% les plus riches voyant décroître leurs revenus alors même
que ceux des 50% les plus pauvres augmentent ?
Il est significatif que de nombreux Brésiliens considèrent la baisse du revenu
des 20% les plus riches comme une disparition des classes moyennes, une
polarisation de la population brésilienne. En effet, l’étude de Rocha et Urani
(2007) montre parfaitement que les catégories les plus riches du Brésil ont
tendance à se situer, lors des enquêtes, parmi les plus pauvres, ou du moins
parmi les classes possédant un revenu moyen. Dans l’étude de ces deux auteurs,
50% des personnes enquêtées parmi les 10% les plus riches pensent se situer
parmi les quatre déciles les plus pauvres (alors que la majorité des 10% les plus
pauvres se situe parmi la classe moyenne, et que 5,7% des enquêtés parmi ce

Mondes en Développement Vol.39-2011/4-n°156


La lutte contre les inégalités au Brésil et l’action du gouvernement de Lula 127

décile le moins favorisé se placent dans les deux déciles les plus riches…)12. La
perception des inégalités est donc particulièrement faussée au Brésil, et ce
phénomène permet de mieux comprendre pourquoi des analyses sur la
disparition des classes moyennes cohabitent aujourd’hui avec la plus forte
baisse des inégalités dans l’histoire de ce pays.

CONCLUSION
La structure de l’appareil productif contribue à expliquer le caractère plus, puis
moins inégalitaire de la société brésilienne. Si l’accent mis sur le travail qualifié
ainsi que la présence de taux d’intérêt élevés profitant à une minorité de la
population engendrent l’augmentation des inégalités jusqu’à la fin des années
1990, ces dernières ne cessent de diminuer depuis en raison de l’évolution de
l’appareil productif brésilien. L’essor de secteurs peu productifs utilisant de la

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 197.1.150.190 - 07/05/2018 17h13. © De Boeck Supérieur


main-d’œuvre non qualifiée, et le développement de régions qui étaient jusque-
là mises à l’écart du processus de croissance, sont à l’origine de l’évolution de la
structure sociale du pays. Le rôle des politiques du gouvernement Lula ne doit
donc pas être surestimé dans l’analyse du processus de réduction des inégalités
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 197.1.150.190 - 07/05/2018 17h13. © De Boeck Supérieur

initié durant la décennie 1990, et le PT a peu de légitimité pour se réclamer de


cette évolution. Néanmoins, cette situation n’est peut-être pas durable, car
l’essor de secteurs liés essentiellement à l’agriculture dépend de l’évolution du
cours des matières premières et de la situation économique internationale. S’il
est vrai que le Brésil détient un avantage comparatif considérable aujourd’hui
dans le commerce international du fait de sa spécialisation agricole et d’une
demande croissante de matières premières en provenance de grandes
puissances émergentes comme la Chine, il s’agit maintenant de se demander si
un tel modèle de développement peut réellement se maintenir sur le long terme.

BIBLIOGRAPHIE
BOITO JUNIOR A. (2006) A burguesia no goberno Lula, in M. Basualdo, E. Arceo,
Neoliberalismo y sectores dominantes, Tendancias globales y experiencias nacionales, CLACSO,
Buenos Aires, 364 p.
BRESSER PEREIRA L. (2007) Macroeconomia da estagnação : crítica da ortodoxia convencional
no Brasil pós-1994, Editora 34, São Paulo.
GAULARD M. (2011) L’économie du Brésil, Paris, Bréal, 128 p.
IBGE (2009), Pesquisa Nacional por Amostra de Domicilios, São Paulo.
KLIASS P., SALAMA P. (2007) La globalisation au Brésil, responsable ou bouc
émissaire ?, Lusotopie, vol. 14, n° 2, 109-132.

12
Une étude réalisée sur 120 étudiants de l’Université Fédérale de Rio de Janeiro (parmi les
10% les plus riches de la population brésilienne) révèle que la majorité d’entre eux
considère que les revenus de la classe moyenne sont compris entre 1 388 et 5002 réaux
(alors que de tels revenus ne concernent que les 5,1% les plus riches du pays (0,4% pour
les salaires au-dessus de 5 002 réaux)).

Mondes en Développement Vol.39-2011/4-n°156


128 Mylène GAULARD

MARQUES R. M., NAKATANI P. (2007) La politique du gouvernement Lula :


changement ou continuité ?, Revue Tiers Monde, n° 189, janvier-mars, 51-64.
MENEZES-FILHO N. A. (2001) A evolução da educação no Brasil e seu impacto no
mercado de trabalho, Instituto Futuro Brasil, mars, São Paulo.
MESQUITA MOREIRA M. (2006) Fear of China: is there a future for manufacturing
in Latin America, World Development, vol. 35, n° 3, mars, 355-376.
NERI M. (2007) Miseria, desigualdade e politicas de rendas, Fundação Getulio Vargas,
Rio de Janeiro, 10 septembre, 29 p.
OMAN C. (2000) Quelles politiques pour attirer les investissements directs étrangers ?,
Études du Centre de Développement, OCDE, 34 p.
PAES DE BARROS R., CARVALHO M. DE, FRANCO S., MENDONÇA R.
(2007a) A queda recente da desigualdade de renda no Brasil, IPEA, Texto Para
Discussão n° 1258, janvier, Rio de Janeiro.
PAES DE BARROS R., CURY S., ULYSSEA G. (2007b) A desigualdade de renda no

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 197.1.150.190 - 07/05/2018 17h13. © De Boeck Supérieur


Brasil encontra-se subestimada? Uma análise comparativa com base na PNAD, na
POF e nas contas nacionais, IPEA, Texto Para Discussão n° 1263, mars, Rio de
Janeiro.
PAES DE BARROS, FRANCO S., MENDONÇA R. (2007c) Discriminação e
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 197.1.150.190 - 07/05/2018 17h13. © De Boeck Supérieur

segmentação no mercado de trabalho e desigualdade de renda no Brasil, IPEA,


Texto Para Discussão n° 1288, juillet, Rio de Janeiro.
POCHMANN M., PRESSER M., RIBEIRO T. (2006) Abertura econômica, comércio
internacional e pobreza no Brasil : notas de pesquisas, 8ª Reunião Anual da Rede
Latino-Americana de Política Comercial/Latin American Trade Network (LATN),
São Paulo.
ROCHA R., URANI A. (2007) Posicionamento social e a hipótese da distribuição de
renda desconhecida, Revista de Economia Política, Vol. 27, n° 4, octobre-décembre,
595-615.
ROLLI C., FERNANDES F. (2004) Ricos priorizam investimento am bens para
aumentar o patrimônio, Folha de São Paulo, 4 avril.
SABOIA J. (2000) Brésil, Déconcentration industrielle dans les années 1990 : une
approche régionale, Problèmes d’Amérique latine n° 39, 10 décembre, 89-108.
SALAMA P. (1972) Le procès de "sous-développement" : essai sur les limites de l'accumulation
nationale du capital dans les économies semi-industrialisées, Paris, Maspero, 181 p.
SALM C. (2007) Sobre a recente queda da desigualdade de renda no Brasil: uma leitura
crítica, Centro Celso Furtado, 14 p.
SERRA J. (1982) Desenvolvimento capitalista no Brasil, Editora Brasiliense, São Paulo,
228 p.

***

Mondes en Développement Vol.39-2011/4-n°156

Vous aimerez peut-être aussi