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Mylène Gaulard, « La lutte contre les inégalités au Brésil : une analyse critique de
l'action du gouvernement de Lula », Mondes en développement 2011/4 (n°156),
p. 111-128.
DOI 10.3917/med.156.0111
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mesuré par l’indice de Gini, n’a quasiment pas cessé d’augmenter des années
1970 jusqu’à la décennie 1990. Cependant, la particularité de ce pays est que les
inégalités de revenus semblent diminuer depuis la fin des années 1990. D’après
l’IPEA (Instituto de Pesquisa Economica Aplicada, Institut brésilien de
recherche économique appliquée), le coefficient de Gini est ainsi passé de 0,593
en 2001, à 0,535 en 2009. Une baisse des inégalités aussi importante ne s’est
observée dans aucun autre pays au monde, et ce point est d’une importance
cruciale depuis les dernières élections présidentielles. Luiz Inácio « Lula » Da
Silva, Président de la République du Brésil de 2003 à 2010, et le Parti des
Travailleurs (PT), dont les politiques sociales sont aujourd’hui considérées
comme à l’origine de cette avancée du pays vers une société plus juste, sont-ils
réellement responsables de cette baisse des inégalités ? Dilma Rousseff,
Présidente élue en octobre 2010, peut-elle légitimement se réclamer, en tant que
membre du PT, de ce bilan plutôt positif ? Il s’agira ici de questionner la validité
des données sur la baisse des inégalités, puis d’étudier les raisons de cette
évolution.
1
Enseignant-chercheur en économie internationale, Institut supérieur des techniques d’outre-
mer, Cergy-Pontoise. Chercheur associé au Centre d’économie de l’Université Paris Nord.
mylene.gaulard@gmail.com
2
Après la Bolivie, le Botswana, la République centrafricaine, le Guatemala, Haïti, le Lesotho,
la Namibie, l’Afrique du Sud et le Zimbabwe (Bureau des statistiques des Nations unies,
World Income Inequality Database).
3
Coefficient de Gini : indice du degré de concentration des richesses compris entre 0 et 1 ;
plus il se rapproche de 1, plus les inégalités sont importantes.
Cependant, le cas brésilien présente une évolution intéressante car les inégalités
régionales tendent à diminuer depuis la fin des années 1990. En effet, le vif
essor du secteur des matières premières sur la scène internationale depuis le
début de la décennie 2000 est à l’origine d’un développement important de
l’activité agricole brésilienne, et les zones auparavant délaissées retrouvent un
poids important dans l’économie. Alors que les exportations agricoles ne
constituaient que 20% des exportations brésiliennes au début des années 1990,
elles en représentent aujourd’hui plus de 30%. Le secteur agricole tend à
accroître la richesse de ces régions, et y stimule également l’essor du secteur
agro-alimentaire. Une région comme le Nordeste voit ainsi ses exportations
fortement augmenter (par exemple, de 38,5% entre 2009 et 2010, contre une
hausse de 16% pour les régions du Sud).
Dès le début de la décennie 2000, une étude de Saboia (2000, 89-108) observe
que les disparités régionales brésiliennes tendent à s’amenuiser : selon l’auteur,
non seulement par le poids croissant des exportations agricoles, mais aussi par
le fait que les régions les plus pauvres ont multiplié les incitations fiscales pour
attirer les entreprises.
Les activités de production (notamment les activités liées aux industries de
main-d’œuvre traditionnelles du secteur des biens de consommation, telles que
le textile, les denrées alimentaires, les boissons, l’hygiène et les produits de
nettoyage) quittent le Sud du pays pour s’implanter dans le Nord, le Nord-Est,
et le Centre-Ouest (Oman, 2000, 34). Les administrations infranationales
proposent des incitations aussi bien fiscales que financières afin d’encourager
les firmes à s’implanter dans leurs régions. Cette guerre fiscale n’explique
pourtant pas la diminution des inégalités régionales aussi bien que le processus
de désindustrialisation, car à ce jeu là, les régions les plus riches restent
privilégiées (Oman, 2000, 35).
Observons surtout que la baisse des inégalités régionales s’accompagne depuis
la seconde moitié des années 1990 d’une diminution des inégalités de revenus.
Après avoir connu une augmentation de ses inégalités le plaçant parmi les pays
les plus inégalitaires du monde, le Brésil connaît depuis peu une légère
décroissance de celles-ci : l’indice de Gini relatif à la répartition des revenus est
passé de 0,493 en 1979 à 0,60 en 1995, puis il s’est réduit pour atteindre 0,53
aujourd’hui.
Cependant, si des travaux comme ceux de Paes de Barros et al. (2007a) insistent
sur le fait que les disparités de revenus diminuent au Brésil, ils n’en restent pas
moins vivement contestés, notamment par des auteurs comme Pochmann et al.
(2006) : pour ces derniers, les études de Paes de Barros et al. et de l’IPEA ne
prennent en compte que les inégalités salariales. Or, une part de plus en plus
importante des revenus obtenus par les classes privilégiées proviendrait de la
sphère financière et serait difficilement comptabilisée. Ainsi, les revenus du
compte toutes ces données du SCN, Paes de Barros observe une baisse de
l’indice de Gini supérieure à celle obtenue grâce aux données de la PNAD
(l’indice passe de 0,612 à 0,593 entre 2001 et 2003).
Source : Ipeadata.
Il existe plusieurs liens entre inégalités et inflation : notamment, les catégories
les plus aisées de la population ont les moyens de se préserver et d’indexer une
part importante de leurs revenus à cette hausse des prix (par exemple, grâce à
l’indexation du prix des actifs sur l’inflation), alors que les plus pauvres voient
leur salaire réel chuter car leur rémunération ne s’élève pas aussi rapidement que
4
Plan de lutte contre l’inflation, mis en place en 1994 par le ministre des Finances, Fernando
Henrique Cardoso. Il consiste, en particulier, à désindexer les prix et les salaires, et à créer
une nouvelle monnaie, le real.
5
Nous prenons ici l’indice IPCA, indice reflétant l’évolution du coût de la vie, d’un panier de
biens de consommation pour une famille ayant un revenu compris entre 1 et 40 salaires
minimums, dans les neuf plus grandes régions métropolitaines du pays (São Paulo, Rio de
Janeiro, Belo Horizonte, Salvador, Porto Alegre, Recife, Brasilia, Fortaleza, Belém).
les prix (et ce d’autant plus qu’en raison de l’effet Oliveira-Tanzi6, le déficit
public se creuse en période d’inflation, ce qui limite considérablement les
possibilités d’action de l’État pour lutter contre la pauvreté). Ainsi, depuis 1964
les rentiers sont moins touchés par l’inflation que les salariés, car à l’arrivée des
militaires au pouvoir, le Programme d’action économique du gouvernement
(PAEG) a établi un dispositif de correction monétaire qui indexe la valeur des
actifs financiers sur l’inflation. Ce dispositif permet de réduire les risques de
pertes financières et de promouvoir ainsi le crédit pour accroître la
consommation et l’investissement durant le « miracle économique », période
s’étalant de 1967 à 1973 durant laquelle le Brésil a connu une croissance
économique annuelle moyenne de 11%. Cependant, le PAEG sera à l’origine
d’une forte hausse des inégalités durant la décennie 1980, lorsque l’inflation
commencera à peser sur le pouvoir d’achat des salariés. Au contraire, la chute
de cette inflation à partir de 1994 leur sera plutôt favorable. Néanmoins, alors
1999, puis entre 2000 et 2002, mais l’indice de Gini continuait malgré tout à
diminuer). Il est donc nécessaire d’expliquer autrement que par la seule
évolution des prix la baisse des inégalités brésiliennes.
Figure 4 : Taux d’inflation au Brésil, en pourcentage (1996-2009)
Source : Ipeadata.
D’après les études de Paes de Barros et al. (2007c), la diminution de la
segmentation géographique expliquerait un quart de la baisse des inégalités de
revenus, et la pauvreté baisserait en raison de ces moindres inégalités régionales.
Selon la Banque mondiale, 29% de la population brésilienne se situe sous le
seuil de pauvreté de deux dollars par jour en 2006, et en raison du niveau élevé
6
Dans un contexte de forte inflation, les recettes publiques, et notamment les impôts sur le
revenu déterminés selon les revenus de l’année précédente, connaissent une baisse
considérable relativement aux dépenses publiques.
70
60
50
40
30
20
10
1951
1955
1959
1963
1967
1971
1975
1979
1983
1987
1991
1995
1999
2003
2007
Agriculture Services Industrie
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Source : Ipeadata.
(Agriculture : agriculture et pêche. Industrie : extraction minière, industrie de transformation,
production et distribution d’électricité, d’eau et de gaz. Services : commerce, services de l’information,
construction, transport, intermédiation financière, activités immobilières, autres services).
La particularité de la croissance brésilienne, reposant sur l’utilisation d’une forte
intensité capitalistique et sur une productivité du travail élevée, fut donc à
l’origine d’une augmentation des inégalités jusqu’à la fin des années 1990
(Gaulard, 2011). Cependant, le Brésil est entré depuis peu dans un processus de
désindustrialisation, et les biens produits utilisent de plus en plus de travail aux
dépens du capital. L’industrie est passée de 48% du PIB brésilien en 1984 à
24% en 2009 (Figure 5), et le taux de formation brute de capital fixe est de plus
en plus bas, passant de 27% du PIB en 1991 à 17% en 2009 (un niveau très
faible si on compare ce chiffre aux 47% observés en Chine). En conséquence,
alors qu’en Chine, la production industrielle augmentait en moyenne de 11,7%
par an entre 1990 et 2003, cette croissance n’était que de 1,6% dans le cas du
Brésil. La part de ce pays dans la formation de valeur ajoutée des biens
manufacturés produits dans le monde a ainsi chuté, de 2,9% en 1980 à 1,2% en
2009. Néanmoins, depuis 15 ans, la part de l’industrie dans le PIB reste stable,
et l’emploi industriel représente toujours 25% de la population active.
En fait, le Brésil se spécialise dans des secteurs intensifs en ressources naturelles
et abandonne progressivement les secteurs traditionnels (textile,
électronique…), ce qui explique que la part de l’emploi dans l’industrie soit
équivalente à celle d’il y a quinze ans. Alors que d’après l’IEDI (Instituto de
Estudos para o Desenvolvimento Industrial, Institut d’études pour le
développement industriel) les premiers constituaient 35,9% de la production
industrielle en 1991, cette part s’élève à 45,7% en 2009 ; au contraire, la part des
secteurs traditionnels a fortement chuté durant la même période. Cela signifie
technologie
20000 Moyenne-basse
Basse
technologie
technologie
0 Basse technologie
-20000
Moyenne-
haute
-40000 technologie
-60000 Haute
technologie
-80000
2002
2003
2004
2005
2006
2007
2008
2009
2010
Source : IEDI.
En raison de cette évolution particulière de l’appareil productif, et de l’accent
mis sur des secteurs utilisant essentiellement de la main-d’œuvre non qualifiée,
on observe actuellement une diminution du taux de chômage (12,5% en 2003,
contre 7% en 2010), alors que celui-ci n’avait cessé d’augmenter depuis vingt
ans (données de l’IPEA) ; l’emploi informel est en régression (passant de
7
Haute intensité technologique : biens d’équipement, matériel électronique, radiotéléphonie,
pharmaceutique. Moyenne-haute intensité technologique : cellulose et fabrication de papier,
produits chimiques, équipement automobile. Moyenne-basse intensité technologique : cuir,
plastique, métallurgie basique. Basse intensité technologique : industries extractives,
produits alimentaires et boissons, textile, bois et meubles.
530
520
510
500
490
480
470
460
450
440
1980
1982
1984
1986
1988
1990
1992
1994
1996
1998
2000
2002
2004
2006
2008
Source : Ipeadata.
Ainsi, entre 2001 et 2009, les revenus du travail des cinq déciles les plus pauvres
se sont élevés deux fois plus rapidement que ceux des quatre déciles suivants, et
ils ont augmenté trois fois plus vite que ceux du décile le plus riche qui voit sa
part dans le revenu moyen national diminuer (données de l’IPEA, figure 7).
Toujours en faveur de ces travailleurs non qualifiés, notons qu’en 2004 le salaire
minimum fut aussi considérablement revalorisé : il augmente de 240 réaux (84
US$), en 2003, à 510 réaux (306 US$), en 2010. Ce salaire fut indexé sur
8
IEDI, O mercado de trabalho dos Bric, Carta IEDI, n° 274, 24 août, www.iedi.org.br, 2007.
exportations agricoles.
9
OCDE, Employment Outlook, 2007, 31.
60 54,4
48,8
50
40
28,8 2008
30
2016
20 10,5
10 4
0
0
Taux de Taux d'extrême Inégalités
pauvreté pauvreté (indice de Gini)
Source : Ipeadata.
Taux de pauvreté : part dans la population brésilienne des personnes ayant un revenu
prélevé sur le travail salarié et la consommation. Une famille avec des revenus
inférieurs à deux salaires minimums dépensait 26,5% de son revenu en impôt
indirect en 1994, alors que cette part s’élève à 48,8% en 2009. En moyenne, la
charge tributaire nationale s’est élevée de 20,6% depuis 10 ans, alors que pour
les 10% les plus riches, cette hausse ne fut que de 8,4% (les 10% les plus
pauvres dépensent ainsi 33% de leurs revenus en impôts, contre 23% pour les
10% les plus riches).
Si les catégories les plus riches de la population brésilienne ne sont pas
davantage imposées que les plus pauvres, elles bénéficient aussi beaucoup du
budget de l’État. Les dépenses publiques accroissent ainsi majoritairement les
revenus des plus riches, comme le révèlent les travaux de Neri (2007) : les
transferts liés à la previdência (vieillesse, maladie, chômage) représentent 16,2%
du revenu moyen des 50% les plus pauvres, contre 19,6% pour l’ensemble de la
population, et 18,9% pour les 10% les plus riches. Cela s’explique
10
En 2009, l’excédent primaire est descendu à 3,98% du PIB, puis à 2,78% en 2010, mais
cela s’explique par la légère contraction de l’activité économique.
Quant à la politique monétaire, c’est sans doute la politique économique qui est
aujourd’hui la plus critiquée. En effet, elle consiste à maintenir des taux
d’intérêt extrêmement élevés afin de continuer à financer la dette publique. La
volonté du gouvernement est surtout d’éviter un retour de l’inflation,
phénomène qui a longtemps freiné la croissance brésilienne. Face à une hausse
des prix atteignant 5,9% en 2010, la banque centrale s’est pour cette raison
inquiétée, augmentant son taux directeur (Selic) jusqu’en septembre 2011.
Malgré plusieurs baisses depuis cette date, ce dernier taux atteint toujours
11,50% en novembre 2011, se situant parmi les taux directeurs les plus élevés
au monde : cela a une incidence sur les taux longs, le spread bancaire dépassant
souvent 30%. Or, ces taux d’intérêt, s’ils pénalisent l’investissement, et par
conséquent la croissance économique, favorisent surtout l’enrichissement des
plus riches. L’achat de titres financiers, et notamment de bons du Trésor,
accroît le patrimoine de ces ménages. Aujourd’hui, les Brésiliens les plus aisés
deux salaires minimums) (Rolli et Fernandes, 2004). Les cinq plus grandes
banques brésiliennes concentreraient 69% des profits du système bancaire, et
50% de leurs profits proviendraient des titres de la dette publique. En 2006,
seulement 15 000 familles possédaient 80% des titres publics fédéraux (Boito
Junior, 2006)
La baisse des inégalités brésiliennes n’est donc pas tant causée par les politiques
économiques de Lula que par la diminution des écarts salariaux présentée
précédemment. Si une baisse des inégalités est actuellement observée au Brésil,
elle ne date pas de l’arrivée de Lula au pouvoir, on peut la faire remonter à la
deuxième moitié de la décennie 1990. Les politiques sociales, dont le poids dans
le PIB reste assez faible, ne peuvent être considérées comme à l’origine de cette
évolution. Et cette affirmation est appuyée par le constat qu’un programme
aussi important que la Bolsa Familia ne concerne que la catégorie des 20% les
plus pauvres, alors que ce ne sont pas ces derniers qui profitent majoritairement
de la hausse des revenus pour les Brésiliens les moins aisés. Le tableau 2 ci-
dessous nous révèle en effet que parmi les 50% les plus pauvres, c’est
essentiellement la couche des 30% bénéficiant des revenus les moins faibles qui
profite le plus de la baisse des inégalités. Entre 2000 et 2009, alors que les 20%
les plus pauvres voient leur part dans le revenu national passer de 3,5 à
seulement 3 8%, les 50% les plus pauvres ont un revenu qui augmente de
13,3% du revenu national à 15,6%. Ce ne sont pas les Brésiliens les plus
touchés par la pauvreté qui profitent réellement de cette structure moins
inégalitaire, et les politiques sociales de Lula, censées cibler les 20% les plus
pauvres, ne sont pas responsables de la situation actuelle. L’analyse de
l’évolution de l’appareil productif est plus à même de nous faire comprendre la
chute de l’indice de Gini depuis 1995. Ce dernier est susceptible de diminuer
tant que le Brésil continuera de se désindustrialiser et que les matières premières
salaire minimum (comme institution universelle) font partie d’une politique qui
interfère dans la formation d’un prix fondamental, le prix du travail, et qui, pour
cette raison, peut et doit être ignorée d’après ce courant de pensée. »11 Pour
mieux comprendre l’évolution des inégalités brésiliennes, il est essentiel
d’insister dorénavant davantage sur l’orientation du processus d’accumulation,
sur la formation d’un appareil productif beaucoup moins capitalistique que celui
d’il y a vingt ans.
11
Traduction de l’auteur.
Or, dans les années 1960-1970, ce n’étaient pas seulement les 0,1% les plus
riches qui s’enrichissaient, la classe moyenne évoquée précédemment bénéficiait
également de la hausse des inégalités l’opposant aux 80% les plus pauvres de la
population. Le développement de l’appareil productif était alors responsable de
cette évolution, car dans le Brésil des années soixante, la production de biens de
consommation durables destinés aux couches les plus aisées de la population
engendrait une faible absorption de la main-d’œuvre non qualifiée et une
augmentation des capacités de production oisives au sein des entreprises.
Malgré cette surcapacité productive, la stagnation économique fut évitée dès la
fin des années 1960 grâce à la baisse des salaires ouvriers et à l’apparition d’une
« troisième demande » liée à la multiplication des emplois qualifiés. Celle-ci
représentait la demande d’une vaste classe moyenne parmi les 20% les plus
riches de la population, se juxtaposant à la consommation des 5% les plus
riches. De la fin des années 1960 jusqu’aux années 1970, le Brésil connut pour
décile le moins favorisé se placent dans les deux déciles les plus riches…)12. La
perception des inégalités est donc particulièrement faussée au Brésil, et ce
phénomène permet de mieux comprendre pourquoi des analyses sur la
disparition des classes moyennes cohabitent aujourd’hui avec la plus forte
baisse des inégalités dans l’histoire de ce pays.
CONCLUSION
La structure de l’appareil productif contribue à expliquer le caractère plus, puis
moins inégalitaire de la société brésilienne. Si l’accent mis sur le travail qualifié
ainsi que la présence de taux d’intérêt élevés profitant à une minorité de la
population engendrent l’augmentation des inégalités jusqu’à la fin des années
1990, ces dernières ne cessent de diminuer depuis en raison de l’évolution de
l’appareil productif brésilien. L’essor de secteurs peu productifs utilisant de la
BIBLIOGRAPHIE
BOITO JUNIOR A. (2006) A burguesia no goberno Lula, in M. Basualdo, E. Arceo,
Neoliberalismo y sectores dominantes, Tendancias globales y experiencias nacionales, CLACSO,
Buenos Aires, 364 p.
BRESSER PEREIRA L. (2007) Macroeconomia da estagnação : crítica da ortodoxia convencional
no Brasil pós-1994, Editora 34, São Paulo.
GAULARD M. (2011) L’économie du Brésil, Paris, Bréal, 128 p.
IBGE (2009), Pesquisa Nacional por Amostra de Domicilios, São Paulo.
KLIASS P., SALAMA P. (2007) La globalisation au Brésil, responsable ou bouc
émissaire ?, Lusotopie, vol. 14, n° 2, 109-132.
12
Une étude réalisée sur 120 étudiants de l’Université Fédérale de Rio de Janeiro (parmi les
10% les plus riches de la population brésilienne) révèle que la majorité d’entre eux
considère que les revenus de la classe moyenne sont compris entre 1 388 et 5002 réaux
(alors que de tels revenus ne concernent que les 5,1% les plus riches du pays (0,4% pour
les salaires au-dessus de 5 002 réaux)).
***