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PARTAGE ET GESTION DU BUTIN DANS LA ROME RÉPUBLICAINE :


PROCÉDURES ET ENJEUX

Article · December 2018

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Marianne Coudry
Université de Haute-Alsace
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PARTAGE ET GESTION DU BUTIN
DANS LA ROME RÉPUBLICAINE : PROCÉDURES ET ENJEUX

Marianne Coudry

Que la répartition des prises de guerre ait constitué un enjeu important dans la vie
politique de la République romaine est un fait bien connu, en particulier grâce aux
mentions de conflits survenus à cette occasion. De ceux-ci, on a surtout retenu les
accusations portées contre les généraux auxquels on reprochait d’accaparer une
partie excessive du butin, du fameux et exemplaire procès des Scipions en 187 à
ceux moins connus de la fin de la République. À ce sujet s’est développée une
importante bibliographie qui porte d’une part sur les aspects sémantiques et
juridiques de cette appropriation 1 , d’autre part sur l’utilisation par les généraux du
butin qu’ils ont mis de côté pour réaliser des dédicaces et des constructions 2 . D’un
autre côté, on s’est intéressé aux profits que les soldats tirent de la guerre, no-
tamment, car c’est la seule circonstance pour laquelle les sources sont précises, au
montant des sommes distribuées à l’issue des triomphes 3 , mais aussi aux exi-
gences qu’ils formulent et aux pressions qu’ils exercent pour obtenir davantage 4 .
Dans tous ces cas, l’attention s’est focalisée sur l’attitude du général et ses rela-
tions avec les troupes. Mais ces recherches, comme les précédentes, ont négligé le
troisième bénéficiaire du butin, la collectivité civique, et donc la part qui revient
au trésor public, l’aerarium. Cet aspect n’a été étudié que sur le plan général des
quantités de richesses que la conquête amenait dans les caisses du peuple romain :
Tenney FRANK a ainsi rassemblé pour la première fois les données chiffrées rela-
tives aux profits de guerre pris au sens large, butin proprement dit, indemnités de
guerre, tributs 5 .
Ce n’est pas cette approche économique qui va nous intéresser, mais une per-
spective politique et idéologique : comment s’effectue le partage du butin, quels
usages se sont établis, quels enjeux les sous-tendent, quelles représentations s’y
rattachent, et plus particulièrement quelle place occupe la collectivité dans le
cadre général des modes de répartition des profits matériels de la guerre. L’étude

1 Cf. l’article devenu classique de SHATZMAN 1972, et celui plus récent de CHURCHILL 1999,
consacrés à l’usage que font les généraux des manubiae. Sur la définition des manubiae, cf.
la contribution de Michel TARPIN dans ce volume.
2 Par exemple PAPE 1975 et ABERSON 1994.
3 Cf. le tableau récapitulatif dressé par BRUNT 1987 [1971], p. 394, et souvent repris.
4 Cf. l’ouvrage classique de HARMAND 1967, en particulier p. 272–299 et 441–482, et la thèse
récente de MUNDUBELTZ 2000.
5 FRANK 1959 [1933], p. 61–68 ; 75–83 ; 126–141 ; 228–231 ; 322–326 ; 337–341 pour ce qui
concerne le butin proprement dit. Un relevé, classé commodément, des rentrées d’argent
dues au butin figure dans l’ouvrage récent de SZAIVERT & WOLTERS 2005, p. 271–275.
22 Marianne Coudry

va donc se dérouler sur deux plans, celui des pratiques et celui des discours, et
analyser successivement deux séries d’informations, les unes relatives au trai-
tement du butin sur le champ de bataille, puis au retour à Rome, les autres aux
débats et conflits dont ces opérations sont parfois l’occasion. Nous envisagerons
pour terminer un aspect de la question qui paraît purement technique, mais qui se
révèle central pour comprendre les deux précédents : la comptabilité du butin.
La documentation, presque exclusivement littéraire, est abondante, mais sa
qualité est tributaire des centres d’intérêts des auteurs, et donc très inégale : autant
Tite-Live apporte des informations nombreuses et précises, qui permettent une
connaissance relativement bonne de la période que couvre la partie conservée de
son œuvre, autant les indications fournies par Appien et Plutarque sont in-
complètes, et celles de Denys d’Halicarnasse entachées d’anachronismes. Nous
l’avons synthétisée dans deux tableaux, l’un qui concerne la gestion du butin sur
le champ de bataille (tableau I), l’autre sa gestion à Rome (tableau II). Seuls les
textes qui comportent des informations sur la répartition et le traitement du butin,
c’est-à-dire le partage, la vente, le versement au trésor public, la consécration, ont
été retenus, même si les indications sont partielles, ce qui est presque toujours le
cas à propos des opérations effectuées sur le champ de bataille. Pour ce qui con-
cerne le traitement du butin à Rome, sachant que le butin exhibé dans la proces-
sion triomphale est ensuite versé au trésor public, même si les textes ne l’in-
diquent pas systématiquement, toutes les mentions de procession triomphale ont
été retenues. Ces mentions comportent presque toujours des indications chiffrées ;
comme notre propos n’est pas d’évaluer quel a pu être l’enrichissement occa-
sionné par les victoires, mais que l’existence même de ces indications a une signi-
fication, la présence de ces chiffres est mentionnée dans les tableaux, mais non
leur détail.

1. LES PRATIQUES DE RÉPARTITION DU BUTIN

Dans sa comédie Les Bacchides, Plaute fait dire par dérision à l’un des person-
nages, l’esclave Chrysale :
« Je reviens triomphant et chargé de butin. Sain et sauf, la ville prise par ruse, je ramène l’ar-
mée intacte dans ses foyers. Quant à vous, spectateurs, ne vous étonnez pas de ce que je ne
célèbre pas un triomphe : c’est chose vulgaire, et je n’y tiens pas. Mais les soldats recevront
tout de même une ration de vin doux, et, sur ce, je vais apporter tout ce butin au questeur » 6 .

Cet énoncé parodique du retour triomphal du général victorieux contient tous


les éléments emblématiques que nous allons être amenés à analyser : prendre une

6 Plaut., Bacch., 1070–1075 : Mi euenit ut ouans praeda onustus cederem / Salute nostra atque
urbe capta per dolum / Domum reduco integrum omnem exercitum, / Sed, spectatores, uos
nunc ne miremini / Quod non triumpho : peruulgatum est, nil moror ; / Uerum tamen accipi-
entur mulso milites / Nunc hanc praedam omnem ad quaestorem deferam (traduction P. GRI-
MAL, Gallimard, Folio, 1971). Sur l’écho dans les comédies de Plaute des débats publics sur
les profits de la guerre, cf. GRUEN 1990, avec malheureusement un contresens sur la fin de ce
texte.
Partage et gestion du butin 23

ville, faire du butin, ramener l’armée, célébrer la victoire, récompenser les soldats,
verser le butin au trésor public. Il montre qu’au début du IIe siècle ces pratiques
sont suffisamment bien établies et leur vocabulaire bien fixé pour qu’un public
romain puisse apprécier l’effet comique de leur subversion. Il va donc nous servir
de guide pour l’étude des usages relatifs au butin, et justifier un traitement théma-
tique par séquences. La perspective chronologique trouvera sa place dans la se-
conde partie, qui s’attachera aux enjeux sous-jacents.

1.1. Sur le théâtre d’opérations

La première phase dans le traitement du butin se déroule sur le théâtre


d’opérations, après une victoire en rase campagne et la prise du camp ennemi, ou
après la prise de villes comportant parfois, outre les biens des habitants, des ri-
chesses accumulées. Il peut s’agir soit du produit d’un pillage, comme c’est sou-
vent le cas pendant les guerres samnites, par exemple en 2967 , soit des réserves de
toutes sortes entreposées dans un lieu stratégique, comme Carthagène, prise en
209, ou dans une capitale, comme Syracuse abritant les trésors de ses tyrans,
Pella, ceux des rois de Macédoine, ou les gazophylakies de Mithridate.
Lorsque les prises ont été rapportées, sur l’ordre du général, c’est lui qui ef-
fectue un tri, constitue des catégories et décide leur affectation. Le traitement des
armes, qui constituent les spolia, et des enseignes, bien étudié par M. TARPIN, ne
nous retiendra pas : elles sont mises à part, et envoyées à Rome (par exemple
après la victoire de Télamon 8 ), une partie étant parfois détruite sur place (Paul-
Émile, après la victoire de Pydna, envoie à Rome les boucliers d’or, et brûle le
reste comme sacrifice ; Scipion Émilien fait de même après la prise de Carthage9 ).
D’une manière générale, les auteurs, en particulier latins, ne s’intéressent guère au
traitement des dépouilles sur le champ de bataille, ce qui signifie sans doute qu’il
suit un usage ancien qui ne subit pas de mutation notable.
Les captifs sont toujours distingués du butin matériel, et traités séparément.
Ils sont soit rançonnés (les Perusini vaincus par Fabius Maximus en 295), soit, le
plus souvent, vendus sur place pour le compte du trésor public. Cette pratique est
attestée par de nombreux exemples, l’un des plus précis étant celui du camp
d’Hasdrubal à Baecula, en Espagne, pris par Scipion (le futur Africain) : « S’étant
emparé du camp ennemi, il laissa aux soldats la totalité du butin, hormis les
hommes libres, puis il recensa les prisonniers et trouva dix mille fantassins et
deux mille cavaliers. Parmi ceux-ci, il renvoya dans leurs foyers sans rançon les
Espagnols, et fit vendre les Africains par le questeur » 10 . Cette dernière indication

7 Les références aux sources figurent dans le tableau I.


8 Polyb., II, 31, 3.
9 Pydna : Liv., XLV, 33, 1–2 ; Carthage : App., Pun., 133.
10 Liv., XXVII, 19, 2 : Scipio castris hostium potitus, cum praeter libera capita omnem prae-
dam militibus concessisset, in recensendis captiuis decem milia peditum duo milia equitum
inuenit. Ex his Hispanos sine pretio domum dimisit, Afros uendere quaestorem iussit.
L’anecdote de la femme du chef galate violée par le centurion qui avait la garde des captifs
24 Marianne Coudry

signifie que le produit de la vente est destiné à l’aerarium. Parfois le montant de


ce produit est précisé : Polybe mentionne que la vente des prisonniers faits dans le
camp d’Hasdrubal après la victoire du Métaure rapporta plus de trois cents talents
au trésor 11 . Certains textes indiquent que cette vente s’effectue selon la procédure
dite sub corona. C’est ainsi par exemple que Tite-Live décrit les opérations
effectuées par Camille après la prise de Véies : « Le dictateur vendit les hommes
libres sous la couronne ; l’argent revint à l’État ». Le sens originel de cette expres-
sion s’était perdu au début de l’Empire, quoiqu’elle fût encore employée, ce qui
atteste de l’ancienneté de la pratique 12 . Les textes relatifs aux captifs indiquent
toujours clairement qu’ils sont distingués du butin matériel : à propos de la prise
du camp d’Hannon près de Bénévent en 214, Tite-Live écrit : « Tout le butin, sauf
les hommes faits prisonniers, fut laissé aux soldats » ; à propos de la prise de
Murgantia en 296 : « Deux mille cent combattants samnites furent encerclés et
capturés, et en outre un immense butin fut pris ». Souvent, l’indication de la
capture est énoncée à part, avec le nombre des tués : après la victoire de Fabius
Rullianus sur les Étrusques et les Ombriens près du mont Ciminius, « l’ordre fut
donné de rapporter l’or et l’argent au consul, le reste du butin fut donné aux
soldats ; ce jour-là soixante mille ennemis furent tués ou capturés » 13 .
Une autre catégorie de prises est régulièrement mise à part, comme on vient
de le voir avec l’exemple ci-dessus : les métaux précieux, or et argent, qui sont
destinés au trésor public. Aurelius Cotta, quand il enlève Héraclée du Pont, com-
mence par ôter statues et tableaux (ce sont des spolia), puis fait l’inventaire de l’or
et de l’argent, et enfin s’occupe des autres prises 14 . Les précautions prises par
Marcellus au moment de l’assaut de Syracuse sont éclairantes à cet égard : « Le
questeur fut envoyé à Nasos avec une escorte pour recueillir et garder le trésor
royal ; la ville fut livrée au pillage des soldats ». Plutarque précise : « Les soldats
se déchaînèrent pour la piller, à l’exception du trésor royal, qui revint à l’État
romain ». De la même façon Scipion Émilien, après la prise de Carthage, « laissa
aux soldats un certain nombre de jours pour piller ce qui n’était ni or, ni argent, ni

pris après la victoire de Manlius Vulso près de l’Olympos illustre indirectement ce traitement
séparé des prisonniers (Liv., XXXVIII, 24, 2–10 donne le récit le plus détaillé).
11 Polyb., XI, 3, 2 : ἀφ᾿ ἧς εἰς τὸ δημόσιον ἀνήχθη πλείω τῶν τριακοσίων ταλάντων.
12 Liv., V, 22, 1 : Libera corpora sub corona uendidit. Ea… pecunia in publicum redigitur. Sur
cette procédure, qui entre dans la catégorie des ventes aux enchères, voir la mise au point de
WELWEI 2000, p. 12–13 ; l’étude de référence reste celle de TALAMANCA 1954, p. 153–158.
La vente peut aussi avoir lieu à Rome après le triomphe, comme c’est le cas pour les captifs
de Satricum en 346 (Liv., VII, 27, 8). Plusieurs passages de Plaute font allusion à la vente
des captifs, soit à Rome auprès des questeurs (Capt., 110 ; 453), soit au camp (Epid., 64 ;
107 ; 608 ; 621).
13 Bénévent : Liv., XXIV, 16, 5 : Praeda omnis praeterquam hominum captorum militi conces-
sa est. Cicéron s’exprime exactement de la même façon à propos du butin fait en Cilicie :
Militibus… quibus, captiuis exceptis, reliquam praedam concessimus (Att., V, 20, 5). Mur-
gantia : Liv., X, 17, 6 : Ibi duo milia Samnitium et centum pugnantes circumuenti captique,
et alia praeda ingens capta est. Ciminius : IX, 37, 10 : Aurum argentumque iussum referri
ad consulem, cetera praeda militis fuit ; caesa aut capta eo die hostium milia ad sexaginta.
14 Memnon, FGrHist, 434 F 35, 7–8 ; 434 F 39, 2.
Partage et gestion du butin 25

offrandes » 15 . Les nombreux récits de mainmise sur des trésors royaux confirment
que ces prises sont traitées séparément : Lucullus lorsqu’il s’empare de Tigrano-
certe procède exactement comme Marcellus, il ne livre la ville au pillage qu’après
s’être emparé du trésor de Tigrane 16 . Il est difficile de savoir si l’or et l’argent ré-
servés pour le trésor public sont soumis sur place à des opérations physiques qui
en facilitent le transport : les textes ne le précisent pas, et, hormis ceux qui dé-
crivent les inventaires, ils sont tout aussi imprécis sur la forme sous laquelle se
présentaient ces richesses lorsqu’elles tombent aux mains des Romains.
Une fois mis de côté les dépouilles, les captifs, les métaux précieux, est traité
le reste des prises, désigné simplement par le mot praeda, que le grec rend par dif
férents termes, χρήματα, λεία ou ὠφελεία, λάφυρα, ou par le participe passif τὰ
διηπρασμένα 17 . Les textes sont rarement explicites sur sa consistance et sur sa
quantité : révélatrice à cet égard est l’évocation par Tite-Live du butin fait à Car-
thagène : « Les vainqueurs se mirent à faire du butin, qui fut immense et de toute
sorte » 18 . De telles formules sont courantes, et, sauf chez Denys d’Halicarnasse
dont le récit est sujet à caution, les informations sont presque toujours indirectes :
il est parfois question de bétail (pecus) à propos des guerres samnites, ou d’es-
claves, comme à Syracuse 19 . En revanche les auteurs sont plus précis sur l’organi-
sation du pillage : pas seulement Polybe, qui fait à ce sujet, à l’occasion de la prise
de Carthagène par Scipion, tout un développement visant à montrer comment la
discipline rigoureuse imposée par les Romains à leurs soldats permet d’éviter les
dangers du pillage anarchique, mais aussi Tite-Live et Plutarque, à propos du
pillage programmé de l’Épire par Paul-Émile, et Appien à propos du pillage d’un
village dans les environs de Numance sous les ordres de Scipion Émilien 20 . Les
textes sont précis également au sujet de la distribution du butin aux soldats, qui
s’effectue sous la direction des officiers une fois que les prises ont été ras-
semblées. Les soldats peuvent recevoir leur part en nature, ce qu’évoque l’ex-
pression milites praeda onusti 21 , et que permettent de présumer les mentions assez

15 Syracuse : Liv., XXV, 31, 8 : Quaestor cum praesidio ad Nasum ad accipiendam pecuniam
regiam custodiendamque missus. L’indication sur l’emplacement où se trouvait le trésor
royal est douteuse : dans un passage précédent, Tite-Live avait mentionné son transfert de
l’île (Nasos) à Achradina (XXIV, 23, 4). Plut., Marc., 19, 7 : ἐβιάσαντο διαπράσαι πλὴν τῶν
βασιλικῶν χρημάτων · ταῦτα δ᾿ εἰς τὸ δημόσιον ἐξῃρέθη. Carthage : App., Pun., 133 : ἐπὶ
μέν τινα ἡμερῶν ἀριθμὸν ἐπέτρεψε τῇ στρατιᾷ διαπράζειν ὅσα μὴ χρύσος ἢ ἄργυρος ἦν.
16 Plut., Luc., 29, 3 : τοὺς μὲν ἐν τῇ πόλει θησαυροὺς παρελάμβανε, τὴν δὲ πόλιν διαπράσαι
παρέδωκε τοῖς στρατιώταις.
17 Polybe emploie le terme ὠφελεία, notamment à propos du sac de Carthagène (X, 16–17) ;
Denys utilise le plus souvent λάφυρα. Le vocabulaire grec du butin est analysé par PRIT-
CHETT 1991, p. 68–152.
18 Liv., XXVI, 46, 10 : Ad praedam uictores uersi quae ingens omnis generis fuit. Polybe, qui
rapporte les mêmes faits, est un peu plus précis : il évoque le bagage des troupes carthagi-
noises, et les biens des citoyens et des ouvriers de la ville (X, 16, 1).
19 Bétail : les Romains n’en trouvèrent pas à Bovianum, parce que les Samnites l’avaient re-
groupé ailleurs (Liv., IX, 31, 5). Esclaves : Plut., Marc., 19, 4.
20 Carthagène : Polyb., X, 15–17. Épire : Liv., XLV, 34, 2–6 ; Plut., Aem., 29. Espagne : App.,
Hisp., 89. De même Tite-Live, plus brièvement, à propos de Véies : Liv., V, 21, 14.
21 Par exemple après la prise du camp d’Hannon près de Bénévent en 214 : Liv., XXIV, 16, 5.
26 Marianne Coudry

nombreuses de marchands accompagnant les armées 22 . Plus souvent, semble-t-il,


le butin est vendu globalement, et c’est le produit de la vente qui est distribué,
donc une somme d’argent. C’est la pratique décrite par Polybe, et désignée dans
les textes latins par des formules concises mais claires 23 . Elle est mentionnée pour
la première fois à propos de la prise de Tarquinia en 397, mais sans doute s’agit-il
d’un anachronisme, car elle suppose un usage courant de la monnaie difficilement
imaginable au début du IVe siècle 24 . En revanche, il n’y a guère de raison de
mettre en doute les indications relatives aux campagnes de 296 contre les Sam-
nites : la quantité de butin fait à Murgantia, à Romulea et dans le camp où les
Samnites en avaient accumulé, sur le Volturne, étant considérée comme une gêne
pour les déplacements de l’armée, leurs chefs contraignent les soldats à le vendre
eux-mêmes 25 . Il arrive que le butin fait par les soldats soit restitué à ses anciens
propriétaires spoliés par l’ennemi, selon une procédure précise qui prévoit un
délai au-delà duquel ce qui n’a pas été réclamé revient aux soldats 26 .
Mais il arrive aussi qu’une partie du butin aille aux soldats et que l’autre re-
vienne au trésor public. Hormis deux exemples pendant les campagnes de Ca-
mille, cette pratique n’est explicitement attestée que pour quelques cas, tous rela-
tifs aux campagnes grecques et orientales du début du IIe siècle : après la victoire
de Cynoscéphales, après la prise d’Héracleia puis celle de Lamia, après la victoire
sur les Galates près de l’Olympos. Dans ce dernier cas, il est clairement indiqué
que Manlius Vulso fait deux parts dans le butin, et vend « ce qu’il fallait verser à
l’État » 27 . Ces mentions de partage entre les soldats et le trésor public amènent
une question : quel est l’usage courant ? Les textes qui évoquent l’affectation du
butin aux soldats précisent rarement que la totalité du butin leur revient : doit-on
supposer que lorsque cette précision ne figure pas, il en va autrement ? La formule

22 En 203, pendant sa campagne d’Afrique, Scipion fait chasser les marchands auxquels les sol-
dats cèdent leur part de butin « pour rien » (Polyb., XIV, 7, 2–3). En 134, Scipion Émilien,
pour rétablir la discipline et le moral des troupes d’Espagne, chasse les marchands, filles à
soldats, devins et sorciers (App., Hisp., 85). En 109, Metellus fait de même en Afrique (Sall.,
Iug., XLIV, 5). Les indications données par Plutarque sur le bas prix des bœufs et des
esclaves dans le camp romain au moment des campagnes de Lucullus en Bithynie et en
Galatie, et sur l’impossibilité de vendre le reste faute d’acheteurs, font supposer aussi la
présence de marchands (Luc., 14, 1).
23 En 212 les consuls qui viennent de s’emparer du camp carthaginois praedam uendiderunt
diuiseruntque (Liv., XXV, 14, 12). Après la dévastation de l’Épire sous la direction de Paul-
Émile, uendita praeda omnis, inde ea summa (Tite-Live vient d’en indiquer le montant)
militi numerata est (XLV, 34, 6). Même chose après la prise de Tigranocerte par les troupes
de Lucullus (Plut., Luc., 29, 3–4).
24 Liv., V, 16, 7 : Res… sub hasta ueniere, quodque inde redactum militibus est diuisum.
25 Liv., X, 17, 6 et 9 ; 20, 16. De même Scipion Émilien, quand il reprend en mains l’armée
d’Espagne, oblige les soldats à vendre les objets dont ils sont encombrés (App., Hisp., 85).
26 En 296 pour du butin samnite (Liv., X, 20, 15) ; en 214 pour du butin carthaginois (XXIV,
16, 5) ; en 193 pour du butin lusitanien (XXXV, 1, 11–12).
27 Cynoscéphales : Captiuis praedaque partim uenumdatis partim militibus concessis (Liv.,
XXXIII, 11, 2). Hérakléia : uendita aut concessa militi circa Heracleam praeda (XXXVI,
30, 1). Lamia : partim diuendita partim diuisa praeda (XXXVII, 5, 3). Olympos : aut uendi-
dit quod eius in publicum redigendum erat, aut cum cura ut quam aequissima esset per mili-
tes diuisit (XXXVIII, 23, 10).
Partage et gestion du butin 27

souvent employée : praeda militibus concessa signifie-t-elle que laisser le butin


aux soldats est l’expression d’une générosité exceptionnelle ? Doit-on supposer
une évolution des pratiques liée à celle des guerres elles-mêmes, qui ont confronté
les Romains à des ennemis dont la richesse permettait à la fois de satisfaire la
troupe et de remplir le trésor ? Quand ce changement, si changement il y a, serait-
il intervenu ? Nous verrons dans la seconde partie combien il est difficile
d’apporter une réponse claire à ces questions.
L’examen des pratiques de répartition du butin sur le champ de bataille
appelle deux observations complémentaires. L’une porte sur les opérations elles-
mêmes : à toutes les étapes apparaît clairement la décision propre du général,
comme cela a souvent été remarqué : le traitement du butin relève de son impe-
rium 28 . C’est lui qui autorise ou non le pillage : l’épisode de la reddition de
Phocée en 190, où le préteur, après avoir rappelé aux soldats qui se ruent d’eux-
mêmes au pillage la règle selon laquelle on ne pille que les villes prises d’assaut et
non celles qui se sont rendues, affirme nettement l’autorité du général : « En la
matière, la décision appartient au général, non aux soldats » 29 . C’est lui qui en
donne le signal : « Au signal donné, il est mis fin au massacre ; les vainqueurs
passent au pillage » 30 , et éventuellement l’organise, comme on le voit avec Paul-
Émile en Épire. C’est lui qui répartit les prises et détermine leur affectation,
comme on le voit de façon très précise à propos de Carthagène grâce aux récits
complémentaires de Polybe et de Tite-Live 31 ; qui détermine la forme sous
laquelle la part de butin destinée aux soldats leur sera distribuée, en nature ou en
argent, qui les contraint éventuellement à vendre le butin reçu en nature.
La seconde observation concerne la manière dont ces opérations de traitement
du butin sont rapportées dans les textes. Elle est très variable selon les affecta-
tions. La part mise de côté par le général pour lui-même ou en prévision de dé-
penses de manubiis n’est jamais mentionnée dans ce contexte, sauf pour souligner
un comportement exceptionnel : par exemple l’intégrité de Paul-Émile, qui, dé-
couvrant à Pella le trésor royal macédonien après la défaite de Persée, « non seu-
lement ne fut pas tenté d’y prélever quoi que ce fût pour lui-même, mais refusa de
les voir », écrit Polybe, ce que Plutarque reprend en ajoutant qu’« il ne fit d’ex-
ception que pour les livres du roi » destinés à ses fils, et pour « une coupe d’argent
d’un poids de cinq livres » destinée à récompenser la bravoure de son gendre 32 .
Les informations sur ces prélèvements du général apparaissent toujours dans un

28 Cicéron (2 Verr., I, 57) peut ainsi évoquer à propos de la mainmise du général sur le butin
d’une ville ennemie prise par la force « le droit de la guerre et le droit de commandement du
général » (belli lege atque imperatorio iure).
29 Liv., XXXVII, 32, 12 : In iis imperatoris, non militum arbitrium esse.
30 À propos de Carthagène : Tum signo dato caedibus finis factus, ad praedam uictores uersi
(Liv., XXVI, 46, 10) ; cf. Polyb., X, 15, 8. Les mentions de ce passage du carnage au pillage
sont assez nombreuses.
31 Tite-Live précise que Scipion prend les décisions relatives aux captifs, aux otages et au butin
après avoir consulté Laelius, ce qui confirme indirectement l’initiative du général (XXVI, 51,
1).
32 Polyb., XVIII, 35, 5 ; Plut., Aem., 28, 10–11. Dans le même passage, Polybe évoque le com-
portement identique de Scipion Émilien après la prise de Carthage.
28 Marianne Coudry

autre contexte, soit à propos des jeux ou des constructions offerts après leur retour
à Rome, soit à propos des accusations d’appropriation de butin. Sur la part laissée
aux soldats, les textes sont imprécis : non seulement comme on l’a vu plus haut ils
ne détaillent pas la composition de ce butin, ce qui pourrait s’expliquer par sa
nature nécessairement hétérogène, mais ils sont tout aussi vagues sur sa quantité ;
magna praeda, tanta praeda, et surtout praeda ingens sont les expressions cou-
ramment employées, cette dernière revenant avec une régularité frappante (plus de
la moitié des occurrences). Même usage récurrent d’une formule pour exprimer
l’octroi aux soldats de leur part de butin : si praeda militi data, ou militis fuit se
rencontrent, c’est bien plus souvent praeda militibus concessa qui est employé
(les trois-quarts des occurrences). Pour les catégories de butin qui font l’objet
d’un traitement distinct, armes et enseignes, captifs, masses de métaux précieux,
on remarque que les textes sont plus précis. Les armes, les enseignes, le matériel
de guerre sont souvent détaillés ; le nombre des prisonniers est régulièrement
indiqué, et leur vente mentionnée par une formule qui revient couramment là aussi
(captiuis uenumdatis). Les textes relatifs aux métaux précieux sont de deux types :
soit vagues sur la forme revêtue par ces richesses, mais avec la mention du rôle du
questeur et du versement à l’aerarium, soit riches en détails sur la composition
matérielle et le soin mis par le questeur à en faire l’inventaire détaillé, par ex-
emple à propos de la prise de Carthagène et de celle de Talaura, l’une des gazo-
phylakies de Mithridate 33 .
Il apparaît donc que la précision de la documentation est très inégale : mé-
diocre et stéréotypée pour ce qui concerne la part des soldats et celle du général,
bien meilleure quand il s’agit de celle de l’État. Les textes conservent donc ma-
nifestement la trace de documents officiels exprimant le contrôle exercé par Rome
sur les généraux. Comme nous le verrons plus en détail dans la troisième partie
consacrée à la comptabilité du butin, ces documents sont d’abord les comptes
établis par le questeur qui accompagne le général dans sa campagne, et qui con-
servent la trace de toutes les opérations financières qu’il effectue. Ils concernent
les captifs, qu’il est chargé de vendre pour le compte du trésor, et le butin matériel
destiné au trésor, dont il effectue une comptage et une pesée ; s’y ajoutent des
biens qui ne sont pas du butin à proprement parler, mais font partie des prises de
guerre au sens large, indemnités, biens confisqués aux vaincus, présents. À ces
documents, attestés depuis la fin du IIIe siècle, s’ajoutent les comptes propres du
général, qui figurent dans ses propres registres. Ces deux séries de comptes
doivent être, au moins au Ier siècle, déposés à l’aerarium au retour du général, et
transcrits dans les registres des questeurs urbains.

1.2. À Rome

La seconde étape dans la gestion du butin de guerre se déroule à Rome. Les


indications concernant le traitement du butin qui y est rapporté sont abondantes

33 Carthagène : Liv., XXVI, 47, 7. Talaura : App., Mith., 115.


Partage et gestion du butin 29

elles aussi (une cinquantaine de références, rassemblées dans le tableau II). On


songe d’abord à des textes bien connus, les descriptions détaillées de triomphes,
qui apparaissent au début du IIIe siècle et deviennent nombreuses pour les années
211-167, grâce à Tite-Live, puis, après une relatif appauvrissement, à nouveau
pour le milieu du Ier siècle avec les grands triomphes de Lucullus, Pompée et
César, grâce surtout à Plutarque et Appien. Pourtant ces descriptions ne repré-
sentent qu’un tiers des occurrences relatives au traitement du butin rapporté à
Rome. Les deux autres tiers sont constitués soit de notices très synthétiques sur
des processions triomphales, soit de simples mentions de triomphes ou
d’ouationes comportant seulement l’indication de la destination du butin, soit de
mentions de retours de généraux sans célébration de victoire, qui indiquent aussi
le versement du butin à l’aerarium. Cet aperçu général permet donc déjà de con-
stater qu’exhibition du butin et destination du butin sont des informations parfois
réunies, mais le plus souvent dissociées, et que les auteurs – surtout Tite-Live –
font une plus grande place à l’affectation du butin qu’à son exhibition.
Cet ensemble de textes fait apparaître pour le butin rapporté à Rome deux
destinations : le versement au trésor public et les distributions d’argent monnayé
aux soldats qui participent à la procession triomphale. Commençons par la pre-
mière, en regardant de près comment les informations sont présentées, et ce qu’on
peut en conclure quant aux usages. Lorsqu’il n’y a pas de cérémonie de victoire,
le versement du butin au trésor public est toujours explicitement indiqué par
l’expression in aerarium tulit. En revanche lorsque la cérémonie a lieu, qu’elle
soit simplement mentionnée, sommairement décrite, ou détaillée, cette formule est
presque toujours abrégée, sous la forme tulit ou transtulit ; l’indication explicite
du versement apparaît rarement, et parfois dans des commentaires séparés 34 . Il
apparaît donc que le versement au trésor du butin exhibé dans la procession est la
règle. Mieux : plusieurs textes insérés dans d’autres contextes permettent d’établir
que, exception faite des spolia dont nous traiterons plus loin, c’est la totalité du
butin exhibé qui est versé. Lors du procès comitial de Glabrio en 189, l’accusation
est présentée dans les termes suivants : « pour n’avoir ni porté dans son triomphe
ni versé au trésor l’argent du roi et une grande partie du butin pris dans le camp
d’Antiochos » 35 . Lors de celui de L. Scipion en 187, Nasica oppose, à l’accusation
d’avoir accaparé une grande quantité d’or et d’argent au lieu de la verser au trésor,
l’exhibition de ces richesses lors du triomphe : l’argument n’a de sens que si cette
exhibition a pour issue le versement au trésor 36 . Au cours du débat sur le triomphe
de Paul-Émile en 167, Servilius, pour faire honte à ceux qui s’y opposent, évoque
l’idée qu’en l’absence de triomphe le butin serait versé de nuit au trésor, ce qui

34 Exemple pour la formule in aerarium tulit : le retour d’Espagne en 199 de L. Manlius Aci-
dinus, à qui l’ouatio est refusée (Liv., XXXII, 7, 4). Pour la formule abrégée tulit, le
triomphe de Q. Minucius Thermus sur l’Espagne ultérieure en 195 (Liv., XXXIV, 10, 7).
Pour l’apport de précisions dans un commentaire : le triomphe de L. Anicius sur les Illyriens
en 167 : transtulit in triumpho… et plus loin : praeter aurum et argentum quod in aerarium
sit latum (Liv., XLV, 43, 4 et 8).
35 Quod pecuniae regiae praedaeque aliquantum captae in Antiochi castris neque in triumpho
tulisset neque in aerarium rettulisset (Liv., XXXVII, 57, 12).
36 Liv., XXXVIII, 59, 2–3.
30 Marianne Coudry

indique la même chose 37 . En 187, quand il est question de mettre à profit les
rentrées qu’a permises le butin galate de Manlius Vulso pour rembourser aux
citoyens le tributum, ces sommes sont décrites comme « l’argent porté dans le
triomphe », et un sénatus-consulte est nécessaire, ce qui signifie qu’elles sont
considérées comme ayant été intégrées au trésor 38 . De même, lorsque Fulvius No-
bilior, après avoir obtenu du Sénat le droit de triompher, demande à utiliser pour
la célébration des jeux dont il avait fait vœu en campagne cent livres d’or levées
sur les cités à cet effet, il s’exprime d’une manière qui ne laisse aucun doute sur le
fait que la totalité du butin présenté dans le triomphe est destinée au trésor : « que,
de l’argent porté au triomphe et qu’il allait déposer au trésor, il puisse séparer cet
or » ; là aussi un sénatus-consulte est nécessaire 39 .
Par ailleurs tous les textes mentionnant le versement du butin au trésor, avec
ou sans exhibition préalable, comportent des indications chiffrées, depuis le début
du IIIe siècle, et avec un extraordinaire luxe de détails dans les descriptions des
grands triomphes orientaux qui se multiplient au siècle suivant 40 . Remarquable en
particulier est le classement par catégories de métaux, avec la distinction entre
métal brut, métal travaillé et métal monnayé, qui fait penser que les documents
dont dérivent les textes littéraires anticipent sur l’organisation du stockage du
butin dans le trésor, et sont donc conçus en fonction de ce versement. Dans le
même ordre d’idées, on remarque que les triomphes du milieu du Ier siècle voient
apparaître une nouvelle pratique : l’apport financier des victoires n’est plus seule-
ment mis sous les yeux du public par le défilé des objets ; il est explicité par des
documents qui sont eux aussi placés sous les yeux de tous, par une sorte de re-
dondance qui superpose deux modes de communication du même message. Lu-
cullus, le premier, fait figurer sur des tableaux ses comptes de campagne, préci-
sant quelles sommes il avait données à Pompée pour la guerre des pirates, quelles
sommes aux questeurs du trésor, et combien il avait distribué aux soldats 41 . Le
désir de répondre aux attaques dont il avait été l’objet pour sa conduite de la
guerre de Mithridate, avant et après son retour, peut expliquer cette innovation ; il
demeure que le choix de la procession triomphale comme tribune politique est une
nouveauté. Pompée reprend cet usage des pancartes lors de son grand triomphe de
61, et en fait aussi un commentaire des objets présentés, puisqu’il y récapitule
d’une part ses succès militaires, d’autre part, comme Lucullus, les sommes ver-
sées au trésor et données aux soldats. Mais il y ajoute l’évocation des bénéfices fi-
nanciers à venir, en indiquant l’accroissement des revenus publics que sa conquête

37 Liv., XLV, 39, 4–6, avec le détail : statues d’or, de marbre et d’ivoire, tableaux, étoffes, ar-
gent ciselé, or, monnaie du roi.
38 Liv., XXXIX, 7, 5 : Pecunia quae in triumpho translata esset.
39 Liv., XXXIX, 5, 7–8 : Petere ut ex ea pecunia quam in triumpho latam in aerario positurus
esset id aurum secerni iuberent. Sénatus-consulte : 10.
40 Une seule exception, difficilement explicable, le triomphe de Marcellus sur Syracuse.
41 Plut., Luc., 37, 6. CALLATAY 2006, p. 71, interprète la référence de Plutarque Flam., 14, 2 à
Tuditanus, dans la description du triomphe de Flamininus (ὡς ἀναγράφουσιν οἱ περί τὸν
Τουδιτανόν) comme une évocation d’écriteaux indiquant les quantités de richesses présen-
tées, ce qui ferait remonter l’origine de cette pratique au début du IIe siècle. Mais cette tra-
duction ne paraît guère recevable.
Partage et gestion du butin 31

permettait 42 . Ces nouvelles pratiques, plus spectaculaires que les précédentes, ont
la même signification : la place faite, dans le triomphe, à l’information sur les
bénéfices publics de la victoire.
Tous ces éléments, mention du versement à l’aerarium des richesses montrées
dans la procession triomphale, indications chiffrées très précises sur les diffé-
rentes catégories de biens, classement anticipant sur leur stockage dans le trésor,
indication dans les triomphes les plus récents des revenus attendus de l’extension
de l’empire, convergent pour montrer que le triomphe met en scène l’enrichis-
sement collectif, et pas seulement la gloire du général. C’est du moins ce que
reflète l’historiographie antique : elle s’attache systématiquement à cet aspect-là
de la célébration de la victoire, et le privilégie. On a vu aussi qu’elle s’intéressait
même aux versements effectués sans qu’il y ait eu de célébration publique de la
victoire 43 . Ce sont manifestement les bénéfices matériels de la victoire pour la
collectivité et leur précision comptable qui focalisent l’intérêt des auteurs. Une
observation complémentaire le confirme : à plusieurs reprises sont évoquées, à
propos de triomphes et de versements d’importantes quantités de richesses au
trésor, des décisions ou des débats sur l’utilisation possible de ces apports : nous y
reviendrons plus loin.
Il est une sorte d’objets, cependant, qui figure au triomphe mais fait rarement
l’objet de précisions chiffrées : ce sont les spolia. À l’exception du triomphe de
Paul-Émile, pour lequel Diodore donne le nombre des chariots sur lesquels sont
disposées les armes réparties par catégories 44 , les indications données par les au-
teurs sont vagues : les expressions qu’on rencontre sont tout aussi imprécises que
celles qui sont employées à propos de la part de butin laissée aux soldats : spolia
omnis generis ; multa spolia, multa militaria signa ; multa militaria signa spolia-
que alia ; arma tela cetera spolia hostium magnus numerus, … 45 . La raison en est
simple : les dépouilles des vaincus ne sont pas destinées à l’aerarium, comme
l’indique clairement le discours de Servilius en faveur du triomphe de Paul-Émile
cité plus haut : si le triomphe ne peut avoir lieu, « où seront cachées ces milliers
d’armes arrachées aux corps des ennemis ? seront-elles renvoyées en Macé-
doine ? » tandis que le butin, lui, sera déposé nuitamment au trésor 46 . Les dé-
pouilles peuvent avoir en effet plusieurs destinations différentes à l’issue du

42 Plut., Pomp., 45, 4. César, à l’occasion de son triomphe de 46, donne des indications compa-
rables, sous la forme des quantités de blé et d’huile que pourront fournir les pays qu’il vient
de soumettre, mais dans un discours au peuple qui précède le triomphe (Plut., Caes. 55, 1).
43 On remarque que le versement au trésor des biens de Ptolémée que Caton a été chargé de re-
cueillir en 58 fait l’objet de la même valorisation : Plutarque décrit par le menu l’inventaire
et les opérations de vente effectués à Chypre, les précautions prises pour assurer l’achemine-
ment à Rome des richesses recueillies, l’admiration du peuple assistant à leur débarquement
et à leur arrivée, le passage au Forum – l’aerarium, bien qu’il ne soit pas mentionné, étant
manifestement leur destination finale (Plut., Cat. min., 36, 1–4 ; 39, 1 et 3).
44 Diod. Sic., XXXI, 8, 10. Plutarque ne s’intéresse qu’à l’aspect esthétique de la présentation
de ces armes (Aem., 32, 5–7).
45 Respectivement Liv., XL, 59, 2 (Glabrio en 189) ; XXXIII, 37, 11 (Marcellus en 196) et 23,
4 (Cornelius Cethegus en 197) ; XLV, 43, 4–5 (Anicius en 167) ; XXXIX, 5, 15 (Fulvius
Nobilior en 187).
46 Liv., XLV, 39, 4.
32 Marianne Coudry

triomphe : être fixées sur la demeure du triomphateur, comme les fameux rostres
des navires des pirates sur la maison de Pompée 47 , ou être vouées à l’ornement
des sanctuaires où elles sont consacrées, ou à celui des lieux publics de la ville,
comme les boucliers samnites placés sur les tabernae du forum. Dans ces derniers
cas, elles constituent donc un type d’objets qui revient à la collectivité, mais sans
que celle-ci en tire un bénéfice matériel ; leur présence dans le triomphe n’a
qu’une valeur symbolique, ce qui rend superflu d’en préciser la quantité. Il est
d’ailleurs révélateur que les informations dont nous disposons quant à leur consé-
cration et leur exposition se rencontrent toujours dans d’autres contextes que les
descriptions de triomphes 48 .
Rappelons enfin que ne figurent pas dans la procession triomphale les objets
que le général a mis à part pour son usage : l’intitulé de l’accusation de détourne-
ment de butin visant Glabrio que nous avons évoquée plus haut l’atteste claire-
ment. Tout au plus, mais c’est très rare, indique-t-on après avoir évoqué son
triomphe l’utilisation qu’il fait des manubiae 49 .
Dernier aspect du traitement du butin à Rome : les distributions d’argent aux
soldats. Elles constituent, après le trésor public, la seconde destination du butin
rapporté par les généraux, et sont toujours liées au triomphe, dont elles marquent
la conclusion. Les textes les évoquent après la mention ou la description de la
procession, sous une forme aussi stéréotypée que les versements au trésor :
l’indication des sommes suivie de l’expression militibus diuisit, ou simplement
militibus, ou militibus dati, avec parfois une formule plus développée : militibus
ex praeda ou de praeda, ou praedae nomine 50 . Le montant est toujours précisé,
mais pour chaque catégorie de bénéficiaires, fantassins, cavaliers, centurions, par-
fois alliés, et non globalement : la raison en est que les sommes ainsi dépensées
n’entrent pas dans le trésor, le général les ayant réservées à l’avance et retranchées
de son versement au trésor. Ceci est confirmé par les précisions que donne Tite-
Live à propos de la distribution effectuée par Paul-Émile à l’issue de son triomphe
sur les Ligures en 181 : « il porta dans son triomphe vingt-cinq couronnes d’or,
mais à part cela ni or ni argent ». Il faut donc supposer que la somme consacrée à

47 Cic., Phil., II, 68. C’est ce qu’évoque avec précision Tite-Live (XXXVIII, 43, 10) à propos
de Fulvius Nobilior : au cours du débat sénatorial consacré à sa demande de triomphe, l’un
des orateurs annonce qu’il « fera porter devant son char et fixer sur sa demeure » (ante cur-
rum laturus et fixurus in postis suis) l’Ambracie prise – sans doute une statue qu’il a fait fa-
çonner –, les statues qu’on lui reproche d’avoir ôtées, et les autres dépouilles de la ville (ce-
tera spolia).
48 Par exemple Sil., I, 617–629 ; Liv., XL, 51, 3. Sur l’exposition des spolia, RAWSON 1990 et
la thèse d’habilitation de M. TARPIN (inédite). Sur leur mise en scène dans l’espace urbain,
cf. les contributions de Michel HUMM et Susann HOLZ dans ce volume.
49 Liv., XXXIII, 27, 3–4, à propos de Stertinius qui fait édifier trois fornices – les premiers édi-
fices de ce genre – pour y installer des statues, très certainement fabriquées avec l’or qu’il
avait mis de côté en Espagne, puisqu’ à son triomphe ne figure que de l’argent.
50 Ex praeda : Carvilius en 293 (Liv., X, 46, 15) ; Scipion en 201 (XXX, 45, 3) ; Cornelius
Lentulus en 200 (XXXI, 20, 7) ; Caton en 194 (XXXIV, 46, 2) ; Fulvius Nobilior en 187
(XXXIX, 5, 17). De praeda : Fulvius Flaccus en 180 (XL, 43, 6) ; Anicius en 167 (XLV, 43,
7). Praedae nomine : César en 46 (Suet., Div. Iul., 38, 1).
Partage et gestion du butin 33

la distribution avait été mise de côté 51 . La même situation se reproduit en 179 lors
du triomphe de Q. Fulvius Flaccus : le défilé comporte une grande quantité
d’armes, mais « quasiment pas d’argent », ce qui n’empêche pas le triomphateur
de faire une distribution : diuisit tamen écrit Tite-Live 52 . La mention dans les
textes de la somme allouée à chaque combattant, et non du coût global de la distri-
bution, paraît revêtir un signification claire : montrer ce que chacun soldat retire
du butin, de même que l’indication des masses entrées au trésor exprime ce que la
collectivité civique en retire.

2. LES ENJEUX DE LA RÉPARTITION DU BUTIN

Le tableau des pratiques de répartition du butin que nous venons de dresser à par-
tir de textes concernant les trois derniers siècles de la République donne une im-
pression de permanence des usages et de consensus à leur propos. Cette impres-
sion est pourtant trompeuse : leur élaboration ne s’est pas faite sans tensions, con-
testations et conflits, qu’il est intéressant d’étudier parce qu’ils révèlent les diver-
gences entre des représentations opposées de l’usage du butin de guerre pour la
collectivité. C’est donc une approche dynamique que nous allons tenter mainte-
nant, afin de parvenir à une compréhension des fondements idéologiques des pra-
tiques que nous venons de décrire. Une telle démarche se heurte à une difficulté
qui tient à la documentation : les affrontements au sujet du butin sont souvent pla-
cés par l’historiographie à une période très ancienne, et liés à des épisodes fonda-
teurs de l’histoire de Rome, comme la prise de Véies, et à des personnages,
comme Camille et Coriolan, dont l’historicité est plus que douteuse 53 . Dans beau-
coup de cas, les invraisemblances et les contradictions des récits font supposer des
anachronismes et la projection rétrospective de conflits plus récents : il sera sou-
vent difficile de déterminer la part de fiction qu’ils contiennent. D’un autre côté, il
est évident que ces anachronismes ont un sens : ils sont d’une certaine manière ré-
vélateurs de l’importance que revêtaient les enjeux sous-jacents à l’époque où les
conflits ont réellement eu lieu, et semblent même servir parfois à exprimer et à
justifier des choix qui n’ont pu passer dans les faits. Cincinnatus refusant, au mo-
ment où il abdique, la part de butin que le sénat lui offre est l’exemple idéal du
désintéressement du général, en même temps que d’une emprise du Sénat sur l’at-
tribution du butin qui ne correspond à rien de réel 54 .

51 Et, comme le fait remarquer M. TARPIN, il est probable, pour des raisons de logistique, que la
distribution elle-même soit effectuée au Champ de Mars juste avant le départ du cortège
triomphal. Les documents sur lesquels s’appuient les récits de triomphes étaient très certaine-
ment pour partie des bilans comptables dont l’organisation ne respectait pas nécessairement
l’ordre des opérations matérielles.
52 Liv., XL, 34, 8 et 59, 2. C’est à tort à notre avis que E. T. SAGE (édition Loeb, 1938) sug-
gérait que la somme ait pu être prise au trésor public.
53 Il existait même une tradition qui liait le meurtre de Romulus à la haine qu’il avait suscitée
chez les sénateurs en partageant entre ses soldats terres et butin (Ioannes Antiochenus, fr. 32
M., résumant Dion Cassius).
54 Dion. Hal., ant., X, 25, 3.
34 Marianne Coudry

2.1. La part des soldats

Ces conflits ont porté sur trois points : la part des soldats ; la relation entre butin,
solde et tribut ; la part du général. Nous commencerons par la question de la part
des soldats, parce qu’elle est évoquée dès les tout premiers temps de la Répu-
blique. Les textes relatifs à la répartition du butin aux Ve et IVe siècles mettent en
scène deux types de comportement du général totalement opposés. Soit il accorde
aux soldats la totalité du butin, et dans ce cas les auteurs soulignent sa générosité,
à l’aide de termes qui suggèrent que celle-ci contraste avec la norme. Il est ques-
tion de benignitas, de lenitas, de munificentia ; on le qualifie de largitor 55 . Soit il
le leur refuse pour le verser au trésor, ce qui est présenté comme un comportement
malveillant (malignitas) ou d’une rigueur excessive (seueritas) 56 . La plupart des
épisodes qui donnent lieu à ces appréciations se placent dans un contexte politique
de violente opposition entre patriciens et plébéiens, suscitée par des problèmes de
dettes ou des conflits à propos de distributions de terres : laisser le butin aux sol-
dats est présenté comme un moyen de soulager la pauvreté de la plèbe 57 , les en
priver comme une spoliation 58 . La répartition du butin entre les soldats et le trésor
public apparaît dans tous ces épisodes comme un élément important du conflit
patricio-plébéien, avec une constante : l’aspiration des soldats à la jouissance im-
médiate et exclusive du butin d’un côté, la détermination des patriciens à le verser
au trésor public de l’autre.
Que le butin ait été un enjeu de ces conflits est parfaitement vraisemblable, et
ces récits expriment sans doute également les difficultés d’une transition entre
guerre de razzias menées par des clans et guerres de conquête conduites par un
État qui se construit et s’efforce de contrôler les bénéfices de la guerre 59 . Du mo-
ment où la guerre devient une entreprise collective menée par des magistrats con-
duisant des armées de citoyens, le butin fait par ces armées est nécessairement la

55 Benignitas : Fabius Ambustus qui laisse aux soldats le butin d’Anxur en 406 (Liv., IV, 59,
10), Iunius Bubulcus le butin de Bovianum en 311 (IX, 31, 5), Volumnius le butin fait sur les
Sallentins en 307 (IX, 42, 5). Lenitas : Quinctius le butin fait sur les Èques en 471 (II, 60, 2).
Munificentia : Marcius après la prise de Privernum en 357 (VII, 16, 3). Largitor : Camille le
butin fait sur les Volsques en 389 (VI, 1, 12), Volumnius en 307.
56 Malignitas : Fabius en 485 (II, 42, 1), Camille, s’il envisage de verser au trésor le butin de
Véies (V, 20, 2), l’attitude inverse étant présentée comme une largitio. Seueritas : Camille
pour le butin de Falerii en 394 (V, 26, 8).
57 En 495 : Liv., II, 25, 5.
58 En 485, l’attente d’une loi agraire est accrue par la malignitas patrum, qui… militem praeda
fraudauere (Liv., II, 42, 1). Dans la mesure où les conflits à propos des terres portent sur le
contrôle de l’ager publicus, c’est-à-dire des terres prises aux vaincus, il est compréhensible
qu’ils soient fréquemment liés à ceux qui ont trait au butin matériel. Sur ces questions, cf.
CORNELL 1989, p. 323–329.
59 Sur les formes particulières des guerres menées par Rome au Ve siècle, sans claire distinction
entre les initiatives de bandes agissant pour leur propre compte et celles de la cité elle-même,
cf. CORNELL 1989, p. 291–292. On songe particulièrement à la fameuse expédition des Fabii
contre Véies : sur les difficultés d’interprétation de cet épisode, cf. RICHARD 1990. À noter
l’hypothèse intéressante de HARRIS 1990, selon laquelle la piraterie romaine du IVe siècle
serait une persistance de cette guerre de razzia dans la sphère navale, sur laquelle le sénat et
les magistrats auraient renoncé à exercer un contrôle, contrairement à la sphère terrestre.
Partage et gestion du butin 35

propriété de la cité tout entière. La question de son affectation fait entrer en jeu
des principes opposés, accumulation collective ou redistribution individuelle : elle
devient alors propice à des affrontements politiques. Les conflits rapportés par la
tradition traduisent certainement cette mutation60 . Mais ils contiennent aussi des
éléments qui évoquent des conflits plus récents : largitio, benignitas, munificentia
appartiennent au vocabulaire politique de la fin de la République et renvoient aux
lois agraires, à l’attitude des généraux soucieux de s’attacher leurs soldats, à la re-
cherche de popularité en général, seueritas désignant le comportement opposé 61 .
On y relève aussi des faits anachroniques manifestement transposés de situations
postérieures. Ainsi, lors d’un de ces conflits sur fond de problème agraire, en 455,
Tite-Live indique que les consuls, après une victoire sur les Èques qui avait laissé
aux Romains « un énorme butin » (praeda ingens), le vendirent intégralement « à
cause de la pauvreté du trésor » (propter inopiam aerarii). Les tribuns, continue
Tite-Live, les font alors condamner à une amende à l’issue d’un procès comitial.
Or Denys d’Halicarnasse, qui évoque aussi le procès et la condamnation des con-
suls, en donne une raison toute différente 62 : cette discordance jette déjà un doute
sur l’authenticité de l’épisode. Mais surtout, à une époque où il n’existe pas de
solde, on peut se demander ce qui a pu provoquer un tel appauvrissement du
trésor public. Il faut donc supposer une interférence avec des débats relatifs au
tribut et à la solde dont on va voir qu’ils ne se placent sans doute pas avant la fin
du IVe siècle, ou avec la détresse financière qui a caractérisé des époques plus ré-
centes, la guerre d’Hannibal, l’époque syllanienne et les guerres civiles. Ces récits
de conflits archaïques sur le butin portent donc des traces manifestes de réélabo-
ration par l’annalistique de la fin de le République, dans des contextes différents,
sans qu’on puisse mesurer cette part de reconstruction.
Les conflits portant sur le partage du butin entre les soldats et le trésor tra-
versent en effet toute l’histoire de la République. Ils se mêlent à ceux qui ont pour
objet la solde et le tribut à partir de la fin du IVe siècle, puis à ceux qui portent sur
la part du général à partir de la fin du IIIe, si bien que nous les évoquerons à cette
occasion. Mais il est remarquable que l’usage qui consiste à laisser aux soldats
l’intégralité du butin sur le champ de bataille soit attesté sans interruption jusqu’à

60 Que nous sommes dans l’incapacité de dater avec précision. BONA 1959, p. 354–368, qui ex-
pose de façon très claire ce principe de propriété publique de la praeda, montre que le prin-
cipe juridique opposé, selon lequel les biens de l’ennemi deviennent la propriété de celui qui
s’en est emparé, ne subsiste à l’époque impériale que sous la forme d’un souvenir ancien
(Gai., inst., IV, 16) ou de cas très particuliers et marginaux. Il se demande même si ce
principe n’a pas une valeur purement théorique, et s’il ne dérive pas, comme le passage de
Polybe évoquant la règle de l’appropriation individuelle du butin pour l’opposer au système
romain de partage organisé par le général (X, 17, 1), de la réflexion aristotélicienne sur les
modes d’acquisition, intégrée dans la pensée juridique romaine sous l’espèce du ius gentium
et de la naturalis ratio (p. 365–367 ; il est suivi sur ce point par GNOLI 1979, p. 75–77). En
tout cas, la tradition historiographique romaine ignore complètement ce passage d’une
appropriation privée à une appropriation publique du butin.
61 Cf. HELLLEGOUARC’H 1972, p. 218–221 ; 281–282.
62 Liv., III, 31, 4–6 ; Dion. Hal., ant., X, 48–49.
36 Marianne Coudry

la fin de la République 63 : le principe de la redistribution immédiate des biens pris


aux vaincus à ceux qui viennent de remporter la victoire ne perd rien de sa légi-
timité. En même temps, l’exigence de prélèvement immédiat de la part des soldats
conserve toute sa vigueur. En témoignent le siège de Syracuse, où Marcellus
renonce à tempérer l’ardeur prédatrice de ses troupes 64 , la campagne africaine de
Pompée en 81, marquée par la “chasse au trésor” qui occupe trois jours durant les
soldats débarqués sur le site de Carthage autrefois détruite, ces mêmes soldats ré-
clamant (en vain) au moment du triomphe que Pompée leur distribue l’argent du
butin au lieu de le verser au trésor 65 ; enfin les plaintes des soldats de Lucullus,
qui pendant la campagne de Bithynie et de Galatie en 73 reprochent à leur général
de ne pas prendre les villes d’assaut et de les priver ainsi de butin, et les pressions
qu’ils exercent au moment de la prise d’Amisos, puis de Cabeira 66 . Ces comporte-
ments ont nourri le topos de l’avidité des soldats, développé notamment par Sal-
luste à propos de l’armée de Sylla, et qui s’intègre dans une dénonciation plus glo-
bale de la décadence morale et politique de la République 67 . La critique moderne
a surtout insisté sur la médiocrité de la solde, qui expliquerait l’importance
cruciale de la rétribution par le butin, notamment au Ier siècle lorsque le
recrutement de la légion se “prolétarise” 68 . Sans doute faut-il aussi, pour expliquer
ce maintien de l’usage des distributions de butin aux soldats sur le champ de
bataille, invoquer ce que GABBA appelle le “professionalisme militaire”, cet état
d’esprit dont il distingue l’émergence dans les milieux populaires à la fin du IIIe
siècle, et qui se caractérise par une adhésion à la politique impérialiste reposant en
grande partie sur l’espérance du butin 69 . Mais, au-delà de ces explications, on peut
se demander s’il n’y a pas une raison plus profonde, d’ordre idéologique : la
coexistence, jusqu’à la fin de la République, de deux conceptions concurrentes de
la cité en guerre, l’une, peut-être plus ancienne, qui en fait une communauté de
citoyens-soldats au combat, bénéficiaires légitimes et directs du butin de guerre
fait sur place, l’autre qui en fait un État prenant en charge, par ses institutions, et
donc à Rome, la gestion et la redistribution des profits de guerre à l’ensemble des
citoyens.
Comment, dans ces conditions, interpréter l’usage de distribuer des sommes
d’argent aux soldats à l’issue des triomphes, qui devient régulier à la fin de la
deuxième guerre punique ? On peut imaginer que, à mesure que s’affirmait une
conception du butin qui en faisait un bénéfice revenant collectivement à la cité,
opposée à celle qui fondait les distributions immédiates sur le champ de bataille,
le besoin a pu se faire sentir d’apaiser les tensions nées de ces usages concurrents
du butin, et de concilier ces deux conceptions. La célébration du triomphe, qui

63 En Espagne, en 153 et 152 ; sans doute à Carthage en 146 ; à Aix après la victoire sur les
Ambrons en 102 ; à Héraclée du Pont en 71, très certainement ; à Tigranocerte en 71 ; en
Cilicie en 51.
64 Plut., Marc., 19, 3–7.
65 Plut., Pomp., 11, 4 ; Frontin., strateg., IV, 5, 1.
66 Plut., Luc., 14, 1–2 ; 19, 4.
67 Sall., Cat., 11, 4–7, repris par Plut., Sull., 12, 12–14.
68 Cf. notamment HARMAND 1967, p. 283–286 et 409–415, et GABBA 1978, p. 219–221.
69 GABBA 1984.
Partage et gestion du butin 37

commence à prendre des formes plus spectaculaires à cette époque, offrait


l’occasion d’y répondre : les distributions d’argent ex praeda y prenaient un ca-
ractère solennel qui permettait sans doute d’associer symboliquement les soldats
rentrant à Rome à la collectivité qui allait recueillir les richesses des vaincus, et
d’exprimer un consensus sur la répartition du butin 70 .

2.2. Butin, solde et tribut

On sait que la tradition place l’instauration de la solde, le stipendium, et du tribut,


le tributum, à la fin du Ve siècle, mais on a depuis longtemps mis en doute cette
date haute, pour différentes raisons d’ordre institutionnel et économique, et il pa-
raît maintenant établi qu’on ne peut l’envisager qu’un siècle plus tard, si l’on con-
sidère du moins qu’il s’agit de paiements sous forme monétaire 71 . Il vaut cepen-
dant la peine de regarder de plus près comment ces innovations sont présentées
dans la tradition, car la reconstruction du passé à laquelle se sont livrés les auteurs
dont Tite-Live a repris l’héritage révèle une conceptualisation intéressante des
relations entre la solde, le tribut et le butin. L’instauration de la solde est placée en
406 et associée à la prise d’Anxur, « ville opulente grâce à une longue prospéri-
té », donc à un butin important : le Sénat décide spontanément « que les soldats
recevraient une solde sur fonds publics, alors que jusqu’à ce moment chacun avait
servi à ses frais ». En même temps est indiqué, sous la forme d’une anticipation
des conflits à venir, le lien entre solde et tribut : les tribuns de la plèbe, présentant
comme inévitable le financement de la solde par l’impôt civique, annoncent qu’ils
apporteront leur auxilium à tout citoyen qui refusera de verser le tribut 72 . Ainsi, la
relation entre butin, solde et tribut est posée d’emblée, mais d’une manière bien
artificielle. La tradition place aussi dix ans plus tard, à la veille de la chute de
Véies, un improbable débat sénatorial suscité par Camille qui, « voyant qu’il y
aurait plus de butin que pour toutes les guerres précédentes réunies, voulait éviter
tant la colère des soldats en cas de partage malveillant, que le ressentiment des sé-
nateurs en cas de distribution généreuse » : c’est l’alternative qu’on rencontrait
dans les conflits antérieurs sur le partage du butin. Le débat, longuement dévelop-
pé par Tite-Live, voit s’affronter d’un côté la conception traditionnellement favo-

70 Ne dissimulons pas ce que cette interprétation a d’hypothétique, comme la plupart des spécu-
lations récentes sur la fonction symbolique du triomphe : cf. les divergences entre
T. ITGENSHORST et E. FLAIG (ITGENHORST 2005, p. 203–205).
71 Cf. HUMM 2005, p. 377–384. L’obstacle principal à cette chronologie haute est en effet l’ab-
sence de monnayage romain avant l’extrême fin du IVe siècle. Mais il n’est pas impossible
que la solde soit apparue plus tôt, si l’on envisage qu’elle ait pu consister en masses de métal
pesé et non en monnaies proprement dites. Deux arguments peuvent être invoqués en ce
sens : l’étymologie de stipendium, qui renvoie à un poids de métal selon Varron (ling., V,
182) et Pline (nat. hist., XXXIII, 43), et les mentions de versement de la solde imposé aux
ennemis vaincus dans la première décade de Tite-Live, pour le IVe siècle (voir plus loin).
72 Liv., IV, 59, 10–60, 7. NICOLET 1976, p. 65, voit à juste titre dans ces formulations l’écho
des plaintes suscitées par les exigences financières accrues qu’imposa la deuxième guerre
punique.
38 Marianne Coudry

rable à la plèbe, laisser l’intégralité du butin aux soldats, exprimée ici sous une
forme imagée qu’on rencontre rarement : « que chacun rapporte chez lui ce qu’il
aura pris de ses mains à l’ennemi » ; de l’autre une conception nouvelle qui pré-
serve les intérêts du trésor tout en intégrant la relation butin/solde/tribut : utiliser
le butin pour verser aux soldats la solde, afin d’alléger le tribut 73 . Que signifie
cette étrange proposition, d’ailleurs repoussée par le Sénat, et qui revient à faire
reposer le financement de la solde directement sur le butin ? Elle paraît traduire un
compromis entre deux représentations opposées concernant le financement de la
solde : l’une qui lie étroitement rentrée de butin et paiement de la solde, l’autre
qui ne fait dépendre le paiement de la solde que de la perception du tribut ; on
retrouve les deux conceptions qui s’affrontaient en 406. Dans ces deux épisodes
qu’elle associe à d’importantes rentrées de butin, la tradition semblent donc avoir
superposé et amalgamé deux conflits différents : d’un côté l’affrontement ancien
et récurrent entre plébéiens exigeant de bénéficier intégralement du butin et pa-
triciens cherchant à imposer son versement au trésor ; de l’autre des débats posté-
rieurs, suscités par l’instauration simultanée de la solde et du tribut.
En effet, que la prise d’Anxur et celle de Véies aient livré un butin considé-
rable et posé une nouvelle fois la question du partage entre les soldats et le trésor
est probable, mais que l’instauration de la solde et du tribut sous une forme moné-
taire leur soit liée est plus que douteux. M. HUMM a récemment démontré de fa-
çon très convaincante que celle-ci était indissociable d’un ensemble cohérent de
réformes qui concernent les structures civiques, l’organisation manipulaire de la
légion, le système censitaire et les tribus et se mettent en place simultanément à la
fin du IVe siècle, autour de 311 74 . Le butin de guerre paraît n’y avoir joué aucun
rôle, et d’ailleurs la tradition ne fait pas état de butins spectaculaires à cette
époque.
Mais les années qui suivent voient se manifester les résistances qu’a entraî-
nées cette innovation et la diversité des tentatives pour imaginer d’autres solu-
tions, notamment en liant tribut, solde et butin. Les victoires et les triomphes de
Papirius Cursor et de Sp. Carvilius sur les Samnites en 293 sont présentés en effet
dans la tradition comme ayant donné lieu à des décisions opposées au sujet du
butin. Papirius, qui pendant sa campagne avait laissé à ses troupes le butin
d’Aquilonia et de Saepinum comme le voulait l’usage, verse intégralement au tré-
sor, à l’issue de son triomphe – c’est d’ailleurs le premier pour lequel nous ayons
une description précise de la procession, avec des indications chiffrées –, tout ce
qu’il a exhibé, produit de la vente des captifs et argent pris à ces villes, sans rien
donner aux soldats. Cet acte suscite le ressentiment (inuidia) de la plèbe, encore
accru par la levée d’un tribut destiné à financer la solde : « Si le consul avait
dédaigné la gloire de verser au trésor l’argent pris aux vaincus, il aurait pu à la
fois faire un don aux soldats (donum dari ex praeda) et fournir la solde (stipen-
dium militare praestari) » 75 . On lui reproche donc de ne pas avoir utilisé le butin
pour effectuer une distribution aux soldats et pour financer la solde, ce qui aurait

73 Liv., V, 20.
74 HUMM 2005, p. 375–397.
75 Liv., X, 46, 2–6.
Partage et gestion du butin 39

évité de recourir au tribut. Carvilius au contraire, qui rapporte au trésor une


somme beaucoup moins importante, fait une distribution ex praeda, la première
que nous connaissions, « d’autant plus appréciée que son collègue avant fait
preuve de malveillance (malignitas) ». Cet épisode des deux triomphes de 293
illustre les options possibles pour l’utilisation du butin rapporté à Rome : le verser
intégralement à l’aerarium ou en prélever une partie pour la distribuer aux
soldats, ce qui correspond aux choix traditionnels avec le contraste entre bien-
veillance et sévérité à leur égard ; l’accumuler à l’aerarium ou l’utiliser pour
financer la solde, ce qui met en jeu la levée du tribut en opposant financement par
les vaincus et financement par les citoyens.
Une dizaine d’années plus tard (en 282) triomphe Fabricius : à l’occasion de
l’ambassade que peu après il effectue auprès de Pyrrhus, et du célèbre discours
qu’il tient au roi pour refuser ses offres au nom de l’intégrité, Denys lui fait tenir
ces propos : « Ayant pris et pillé de nombreuses cités, j’ai enrichi toute l’armée –
allusion sans doute au butin fait sur le champ de bataille, mais on ne peut exclure
une distribution à Rome après le triomphe –, j’ai remboursé les contributions des
particuliers (τὰς εἰσφορὰς τοῖς ἰδιώταις, ἃς εἰς τὸν πόλεμον προεισήνεγκαν,
ἀπέδωκα), et j’ai versé au trésor quatre cents talents après le triomphe »76 . Cet
usage du butin, présenté comme le meilleur possible, est intéressant notamment par
la mention du remboursement du tribut (défini en termes très précis et proches des
expressions latines correspondantes : tributum conferre in militare stipendium, par
exemple chez Tite-Live 77 ), qui est à rapprocher d’une décision identique que le
même Denys place en 503 : le butin fait sur les Sabins aurait été vendu aux
enchères pour le compte du peuple, et les citoyens auraient été remboursés « de
toutes les contributions qu’ils avaient fournies pour les soldats » (τὰς κατ᾿ ἄνδρα
γενομένας εἰσφορὰς ἅπαντες αἷς ἔστειλαν τοὺς στρατιώτας ἐκομίσαντο) 78 . Cet
épisode, le seul du genre à si haute époque, et totalement anachronique puisqu’il
fait remonter l’existence du tributum in stipendium au tout début de la Ré-
publique, reflète certainement des débats surgis au début du IIIe siècle lors de
l’instauration de la solde et du tribut.
Comment interpréter ces trois récits ? On pourrait les prendre au pied de la
lettre et considérer, compte-tenu de la date à laquelle ils sont placés, qu’ils té-
moignent des tensions politiques provoquées par l’instauration récente de la solde.
Mais ils sont aussi un procédé de présentation qui a une portée plus générale : ils
exposent, en les attribuant à trois “grands hommes” dont les figures exemplaires
sont très typées, trois modes d’utilisation du butin de guerre qui prennent en
compte, chacun de manière différente, l’existence de la solde et du tribut. Ils con-
stituent donc une sorte de mise en forme rhétorique a posteriori de débats qui ont
très certainement eu lieu, peut-être avec des protagonistes plus anonymes, au

76 Dion. Hal., ant., XIX, 16, 3–4 = 19.S PITTIA : Πολλὰς δὲ καὶ εὐδαίμονας πόλεις κατὰ κράτος
ἑλὼν ἐξεπόρθησα, ἐξ ὧν τὴν στρατιὰν ἅπασαν ἐπλούτισα, καὶ τὰς εἰσφορὰς τοῖς ἰδιώταις, ἃς
εἰς τὸν πόλεμον προεισήνεγκαν, ἀπέδωκα, καὶ τετρακόσια τάλαντα μετὰ τὸν θρίαμβον εἰς τὸ
ταμιεῖον εἰσήνεγκα.
77 Liv., IV, 60, 5 ; X, 46, 6.
78 Dion. Hal., ant., V, 46, 1.
40 Marianne Coudry

moment où s’introduisait l’usage de la solde, mais qui ont dû se reproduire en


d’autres occasions. En ce sens, on pourrait les qualifier de récits fondateurs,
comme il en existe pour d’autres institutions.
Un autre mode de financement de la solde est évoqué par la tradition, mais de
manière plus discrète : en reporter la charge sur les vaincus. Cette pratique est
mentionnée une dizaine de fois dans la première décade de Tite-Live, dans un
contexte toujours identique : les négociations entamées sur place entre le général
et les envoyés d’ennemis qui viennent d’essuyer une défaite. Les conditions im-
posées pour l’obtention d’une trêve (indutiae) sont la fourniture de ce dont l’ar-
mée romaine a immédiatement besoin : ravitaillement (frumentum), vêtements (tu-
nicae) et solde (stipendium). Selon les situations, sont exigées une seule ou plu-
sieurs de ces contributions, mais quand il s’agit de la solde il est toujours précisé
que c’est celle de l’année (stipendium eius anni, annuum stipendium, stipendium
in eum annum) 79 . Cet usage se rencontre également pendant la deuxième guerre
punique, en Espagne 80 , pendant la guerre d’Antiochos 81 , et plus tard de manière
sporadique 82 . Il répond à des situations particulières, où le théâtre d’opérations est
éloigné de Rome et où un succès militaire offre au général une opportunité de
régler la solde, mais ne correspond manifestement pas à la pratique courante. Est-
ce le cas pour la période qui nous occupe ? Ou peut-on au contraire envisager l’idée
qu’exiger le versement de la solde par les vaincus ait été considéré à un certain
moment comme un mode de financement régulier et légitime du stipendium ?
Les occurrences chez Tite-Live – je laisse de côté six cas identiques qui se
rencontrent chez Denys d’Halicarnasse, pour lequel solde et tribut existent dès le
début de la République – se concentrent particulièrement sur la fin du IVe siècle et
le début du IIIe, ce qui pourrait aller dans le sens de cette hypothèse 83 . L’une
d’elles présente une formulation intéressante : « Aux Falisques, est imposée une
somme d’argent destinée à la solde militaire de cette année-là, afin que le peuple
romain soit dispensé du tribut » 84 . L’épisode, censé se placer en 394, est celui de
la reddition de Faléries, occasion d’illustrer les vertus de Camille, qui avait refusé
que la ville lui fût livrée par la trahison de son maître d’école : son élaboration
littéraire en exemplum jette un doute sur son historicité, et on soupçonne un ana-
chronisme quand on sait qu’en 293 ces mêmes Falisques obtiennent de Carvilius,
le triomphateur évoqué plus haut, une trêve, moyennant le paiement de la solde de
son armée. C’est plus probablement à cette occasion que la possibilité pour le

79 Les références sont données par OAKLEY 2005, p. 538–541, qui discute la question de
l’historicité de ces notices, et des indutiae en général.
80 Liv., XXVIII, 25, 6 = Polyb., XI, 25, 9 ; XXVIII, 34, 11 ; XXIX, 3, 5.
81 Polyb., XXIII, 14, 7.
82 Par exemple pendant la campagne de Pompée en Syrie : Ios., ant. Iud., XIV, 39, et dans la
province de Macédoine sous le gouvernement de Pison : Cic., Pis., 88.
83 En voici la liste : II, 54, 1 (474, Véies) ; V, 27, 15 (394, Faléries) ; V, 32, 4 (391, Volsinii) ;
VIII, 2, 4 (341, Samnites) ; VIII, 36, 11 (325, Samnites) ; IX, 41, 7 (308, Étrusques) ; IX, 43,
6–7 (306, Herniques) ; IX, 43, 21 (306, Samnites) ; X, 5, 12 (302, Étrusques) ; X, 46, 12
(293, Falisques).
84 Liv., V, 27, 15 : Faliscis in stipendium militum eius anni, ut populus Romanus tributo uaca-
ret, pecunia imperata.
Partage et gestion du butin 41

peuple romain d’être déchargé du tribut a dû être évoquée. Par ailleurs une brève
notice de Pline, consacrée à la statue équestre de Q. Marcius Tremulus, donne de
curieuses indications, qui ne figurent pas chez les autres auteurs : « Il y eut devant
le temple des Castors une statue équestre de Tremulus en toge, lui qui avait vaincu
deux fois les Samnites et délivré le peuple du paiement de la solde grâce à la prise
d’Anagnia » 85 . Consul en 306, Tremulus, comme le raconte Tite-Live, avait vain-
cu les Anagnini et les Herniques, puis aidé son collègue à écraser les Samnites, ce
qui lui valut le triomphe et l’érection de cette statue. Or il avait aussi accordé à ces
différents peuples une trêve, selon l’usage évoqué plus haut, moyennant notam-
ment le paiement de six mois de solde par les uns, d’une année entière par les
autres 86 . Le rapprochement de ces deux textes fait donc penser que le report sur
ces peuples vaincus du paiement du stipendium a pu être valorisé publiquement.
Il n’est pas exclu, par conséquent, qu’au tournant du IVe et du IIIe siècle, au
moment où se mettait en place le tributum in stipendium, faire supporter la charge
de la solde non par les citoyens mais par les ennemis qui faisaient soumission ait
été l’une des alternatives envisagées. L’étude sémantique récemment menée par
J. FRANCE sur le vocabulaire de la fiscalité romaine fait d’ailleurs bien apparaître
que le terme stipendium s’est chargé progressivement d’une connotation péjora-
tive qui l’associait à la condition de vaincu 87 , évolution qui traduit celle des réali-
tés romaines elles-mêmes à partir du IIe siècle. Qu’une telle option ait été propo-
sée dès la fin du IVe siècle chaque fois que des victoires en donnaient l’opportuni-
té ne peut être établi avec certitude : la minceur des indices incite à la prudence, et
la même remarque vaut pour l’introduction des indemnités de guerre : c’est à Car-
vilius qu’elle revient également, si l’on suit Tite-Live, mais l’historiographie la-
tine ne s’y est guère intéressée 88 . Cette relative indifférence des auteurs tient pro-
bablement au fait que ces innovations ne pouvaient que rencontrer un consensus
parmi les Romains, puisqu’elles offraient l’avantage de soulager les citoyens du
tribut et de ne pas frustrer les soldats d’une partie du butin : il n’y avait pas
matière à débats, réels ou reconstruits, comme c’était le cas pour les initiatives de
Papirius Cursor, de Carvilius et de Fabricius 89 .

85 Nat. hist., XXXIV, 23 : Et ante aedem Castorum fuit Q. Marci Tremuli equestris togata, qui
Samnites bis deuicerat captaque Anagnia populum stipendio liberauerat.
86 Liv., IX, 43.
87 FRANCE 2007, p. 340–347.
88 Liv., X, 46, 12. Sur les indemnités de guerre, cf. la contribution de Jürgen VON UNGERN-
STERNBERG dans ce volume.
89 Deux exemples qui me semblent significatifs de la différence de traitement littéraire des faits
de ce type selon qu’ils impliquent ou non le peuple. On sait par Polybe (XXIII, 14, 7)
qu’après la victoire de Magnésie Scipion imposa à Antiochos le paiement de la solde de l’ar-
mée romaine : Tite-Live n’en dit rien, et n’évoque l’octroi d’une double solde après la vic-
toire de Magnésie qu’en passant, à propos du triomphe (XXXVII, 59, 6). En 215, le préteur
de Sardaigne exige des cités révoltées qui ont fait leur deditio un stipendium, qu’il verse aux
questeurs urbains à son retour : cette fois-ci la précision est donnée par Tite-Live (XXIII, 41,
7), parce que cet acte concernait directement les citoyens, surtout dans le contexte de
détresse du trésor qui avait obligé les sénateurs à faire lever dès le début de l’année le tribut
pour payer la solde, et à en décréter un double en sus (XXIII, 31, 1–2).
42 Marianne Coudry

Car ce qui s’exprimait dans ce que j’ai qualifié de “récits fondateurs”, consen-
sus sur le principe de la solde, mais divergences sur les moyens de la financer, et
difficulté à établir une relation simple entre butin, tribut et solde, se retrouve à
l’arrière-plan de deux épisodes bien documentés du siècle suivant : les campagnes
et les triomphes de Manlius Vulso et de Paul-Émile. Le premier, au cours de son
expédition contre les Galates en 189, avait remporté près de l’Olympos une
victoire décisive qui lui avait livré le camp ennemi. Il fait rassembler le butin, en
vend une partie au profit du trésor et distribue le reste entre ses soldats avec,
précise Tite-Live, un grand souci d’équité dans le partage, ce qui laisse penser que
ce versement au trésor était mal accepté 90 – un exemple de la persistance de leurs
exigences de partage immédiat du butin. Après son triomphe, il effectue une dis-
tribution – ce qui était devenu courant depuis le début du siècle – et ajoute deux
nouveautés, une double solde, qui lui attire la reconnaissance des soldats, puis, par
le biais d’un sénatus-consulte, le remboursement du tribut, qui satisfait les
citoyens. Là aussi, il est question du soin mis par les questeurs à s’acquitter de la
tâche, ce qui fait penser que Vulso cherchait à apaiser des citoyens anxieux de
bénéficier immédiatement des rentrées d’argent permises par le butin. On retrouve
donc chez lui une attitude conforme au “modèle” de Fabricius : faire bénéficier à
la fois les soldats, le trésor et les citoyens des bénéfices matériels de la victoire.
Remarquable est en particulier la décision d’utiliser le butin versé au trésor pour
restituer aux citoyens le tribut : c’est le seul cas du genre qui soit bien attesté 91 .
De même pour les soldats une innovation qui n’eut pas de suite, l’ajout à la
distribution d’argent d’une double solde 92 . S’agissait-il seulement de payer un
arriéré ? Ou bien d’affirmer, en proportionnant l’ampleur de la solde à celle du
butin, le lien entre l’une et l’autre, au détriment de la relation originelle entre
solde et tribut ? Certes les efforts déployés par Vulso pour parvenir à une redistri-
bution consensuelle du butin sont liés aux difficultés politiques provoquées par sa
campagne asiatique : sa demande de triomphe s’est heurtée à l’opposition suscitée
par deux de ses légats 93 . Cet épisode original illustre néanmoins les tensions que
suscite la question de la répartition et de l’usage du butin en ce début du IIe siècle.
Il faut attendre le triomphe de Paul-Émile pour qu’émerge à nouveau cette
question de la distribution du butin : aucun remboursement de tribut, en particu-

90 Liv., XXXVIII, 23, 10 : Ceteram praedam conferre omnes iussit, et aut uendidit quod eius in
publicum redigendum erat, aut cum cura quam aequissima esset per milites diuisit.
91 Liv., XXXIX, 7, 5 : Senatus consultum factum est ut ex ea pecunia quae in triumpho
translata esset stipendium collatum a populo in publicum quod eius solutum antea non esset
solueretur. La formulation du texte n’est pas absolument claire, mais le sens ne fait pas de
doute, il est bien question du tribut, comme le pense cf. NICOLET 1976, p. 23–26. En
revanche, le rapprochement qu’il effectue entre cet épisode et le remboursement en trois fois
de la contribution exceptionnelle de 210 ne me paraît pas fondé : aucune de ces opérations
n’est en relation avec le butin, et l’une d’elles a lieu précisément à un moment où le trésor
manque de liquidités, en 200. Cf. aussi p. 77.
92 Seuls L. Scipion en 189 et Fulvius Flaccus en 180 font la même chose.
93 Liv., XXXVIII, 45. Ils l’accusaient d’avoir entrepris la guerre de son propre chef, sans l’avis
du sénat, et d’avoir conduit un priuatum latrocinium ; il retarda en outre son triomphe pour
échapper à une accusation d’accaparement de butin, et il savait qu’on lui reprochait d’avoir
laissé son armée prendre goût au luxe (XXXIX, 6, 4–7).
Partage et gestion du butin 43

lier, n’est attesté dans l’intervalle, ce qui tient peut-être à l’absence de gros butins
après la guerre d’Antiochos, où n’est célébré aucun triomphe oriental. On sait que
lorsque Paul-Émile rentra à Rome après sa campagne de Macédoine, sa demande
de triomphe fut âprement contestée par les soldats qui s’estimaient lésés dans la
répartition du butin. Tant chez Tite-Live que chez Plutarque, pour lesquels ce con-
flit est l’occasion de présenter, dans de beaux morceaux d’éloquence, un certain
nombre de topoi sur l’avidité des soldats et l’intégrité de Paul-Émile, apparaissent
des éléments douteux, comme la revendication par les soldats d’une part du trésor
royal macédonien 94 , ou, dans une partie précédente du récit, l’indication que le
pillage de l’Épire aurait été motivé par le désir de les récompenser95 , et la diver-
gence entre Tite-Live et Plutarque sur les montants distribués après ce pillage 96 . Il
demeure que le conflit porte à nouveau sur la répartition du butin entre soldats et
trésor public. De même, la suspension du tribut que permit la rentrée d’argent
montre que la relation entre tribut et butin est conçue de la même façon qu’au
début du IIIe siècle. Les textes qui évoquent cette interruption de la levée du tribut
sont sans équivoque sur le lien entre ces deux ordres de faits : « Il versa une telle
somme d’argent au trésor que le butin d’un seul général amena la fin des tributs »,
écrit Cicéron ; et Pline : « Il versa au trésor trois cent millions de sesterces sur le
butin macédonien, et depuis lors le peuple romain cessa de payer le tribut » 97 . Le
retentissement de cette interruption 98 , qui dura jusqu’en 43, est révélateur de la
manière dont était pensée la relation entre solde, tribut et butin.
Depuis sa création, le tribut a été conçu comme une contribution ponctuelle
des citoyens 99 , que les rentrées de butin au trésor devaient permettre soit de leur
restituer, soit d’éviter. À partir de 167, stipendium et tributum cessent d’être asso-
ciés : désormais s’impose le principe selon lequel la guerre nourrit directement la
guerre. On le trouve nettement exprimé en plusieurs occasions au siècle suivant, et
dans des circonstances diverses. En pleine guerre sociale, en 89, les sénateurs
déplorent que Pompeius Strabo n’ait pas versé au trésor le butin d’Asculum : « il
aurait fourni une aide pour le paiement de la solde » 100 . Lucullus, pendant sa
campagne d’Arménie, utilise les trésors du roi de Gordyène Zarbiénos, assassiné
avant d’avoir pu se rallier à lui, pour entretenir son armée, contrairement à l’usage
qui destinait les trésors royaux à l’aerarium. Plutarque explique : « Les soldats en

94 Liv., XLV, 34, 7 ; 35, 6 ; 37, 10 ; Plut., Aem., 30, 4.


95 Plut., Aem., 29, 1.
96 Liv., XLV, 34, 5 : 400 deniers aux cavaliers, 200 aux fantassins, ce qui est considérable ;
Plut., Aem., 29, 5 : 11 drachmes.
97 Cic., off., II, 76 : Tantum in aerarium pecuniae inuexit, ut unius imperatoris praeda finem
attulerit tributorum ; Plin., nat. hist., XXXIII, 56 : Intulit et Aemilius Paulus Perseo rege
uicto e macedonica praeda MMM, a quo tempore populus Romanus tributum pendere desiit.
De même Plut., Aem., 38, 1 : τοσούτων εἰς τὸ δημόσιον τότε χρημάτων ὑπ’ αὐτοῦ τεθέντων,
ὥστε μηκέτι δεῆσαι τὸν δῆμον εἰσενεγκεῖν ἄχρι τῶν Ἱρτίου καὶ Πάνσα χρόνων.
98 Mentionnée aussi par Valère-Maxime (IV, 3, 7).
99 NICOLET 1976, p. 19–26 et 69–70, a très bien montré que le tribut n’est pas levé
régulièrement, mais en fonction des dépenses de guerre prévisibles, et que son taux n’est pas
fixe.
100 Cum de hac praeda opitulationem aliquam in usum stipendii publici senatus fore speraret
(Oros., V, 18, 26).
44 Marianne Coudry

profitèrent, et on admira Lucullus pour avoir, sans prendre une drachme au trésor
public, nourri la guerre par la guerre » 101 . En 56 en revanche, le sénat vote les
sommes nécessaires au paiement de la solde des quatre légions que César avait le-
vées de sa propre initiative pour sa campagne en Gaule. Cicéron, qui avait soutenu
la proposition, commente : « C’est à l’homme que j’ai fait une concession plus
qu’à je ne sais quelle nécessité », et il explique que le butin amassé par César lui
aurait permis d’entretenir son armée, mais que l’éclat de son futur triomphe en
aurait été amoindri 102 . En d’autres termes, il est naturel de financer directement la
solde par le butin, mais le financement par le trésor permet au triomphateur d’ex-
hiber de plus grandes quantités de butin et d’accroître sa gloire en conséquence.
En somme, par rapport aux guerres samnites, les grandes campagnes orien-
tales du premier tiers du IIe siècle n’ont apporté aucun changement dans les con-
ceptions relatives à l’usage du butin : le tribut est une sorte d’avance consentie par
les citoyens au trésor pour des campagnes qui doivent à la fois remplir le trésor
public, rémunérer les soldats et dédommager les contribuables.

2.3. La part du général

En revanche, elles voient émerger un autre type de tensions, à propos de la part


que prélève le général : dès la fin de la deuxième guerre punique surviennent des
procès intentés à des généraux pour appropriation de butin (cf. tableau III). Je
laisserai de côté les difficiles problèmes juridiques que posent ces procès, longue-
ment discutés sans aboutir à des conclusions nettes, faute de pouvoir établir de
façon indiscutable comment se définit en droit cette part du général 103 . C’est
l’aspect politique et idéologique de la question que je voudrais privilégier, en
cherchant à comprendre pourquoi ce type d’accusation apparaît et ce qu’elle ex-
prime sur le plan des représentations relatives au partage du butin. C’est pourquoi
je n’envisagerai pas seulement les procès, mais aussi les accusations qui n’ont pas
nécessairement abouti à un traitement judiciaire.

101 Plut., Luc., 29, 10. Il ne fait pas de doute que c’est au paiement de la solde que le trésor de
Zarbiénos servit : Plutarque mentionne l’or et l’argent qui s’y trouvaient, et Lucullus, comme
on l’a vu plus haut, avait la réputation de ne pas laisser les soldats se livrer au pillage.
102 Cic., prov., 28. On peut se demander si Cicéron a réellement le souci de la gloire de César,
ou s’il ne souhaite pas plutôt éviter que par le financement direct de la solde ce dernier se
substitue au trésor public et amoindrisse l’autorité du Sénat qui en a le contrôle.
103 C’est notamment tout le problème du statut juridique des manubiae, avec les points de vue
inconciliables de BONA 1960 et de SHATZMAN 1972. Tous deux définissent les manubiae
comme la part de butin que le général se réserve, mais le premier considère que cette part,
réservée à une utilisation d’utilité publique, ne devient pas sa propriété personnelle, et qu’il
s’expose à des accusations de péculat en ne l’utilisant pas à cette fin. Pour le second au
contraire, l’appropriation des manubiae n’est pas illicite, aucune législation ne l’ayant pro-
hibée, et aucun procès de péculat n’est attesté concernant les manubiae. Ce dernier point a
été combattu par GNOLI 1979 avec de solides arguments, mais ses analyses sont restées mal-
heureusement ignorées des savants de langue anglaise, chez lesquels le point de vue de
SHATZMAN continue de faire autorité.
Partage et gestion du butin 45

On pourrait penser que cette série de procès et la mise en place ultérieure


d’une législation réprimant l’appropriation de butin sont avant tout une réponse à
un changement de comportement des généraux. L’ampleur inédite des butins que
les guerres orientales faisaient tomber entre leurs mains aurait suscité des tenta-
tives d’enrichissement personnel qu’il convenait de condamner. Les figures de gé-
néraux intègres présentés par Polybe comme des exceptions en leur temps, Paul-
Émile qui non seulement ne convoite rien du trésor de Persée, mais refuse même
de le regarder, Scipion Émilien qui fait de même après la chute de Carthage 104 ;
plus tard les réflexions de Cicéron, qui cite les mêmes exemples et y ajoute ceux
de Marcellus, Flamininus et Mummius 105 , traduisent en effet le sentiment que
l’époque des conquêtes transmarines voit se produire une mutation des conduites
vis-à-vis de la richesse et un abandon des valeurs traditionnelles auquel peu savent
résister 106 . Un exemple de ces conduites demeurées vertueuses, qui passe géné-
ralement inaperçu car il figure chez un auteur tardif, est intéressant par la date à
laquelle il est placé : en 214, lorsque P. et Cn. Scipion reprennent Sagonte aux
Turdetani qui en avaient expulsé les habitants, « ils usèrent du butin avec tant de
parcimonie que rien ne fut envoyé chez eux ; en effet ils ordonnèrent à ceux qui
combattaient avec eux d’agir ainsi, et eux-mêmes envoyèrent à leurs enfants des
osselets » 107 . Les effets de ce changement des comportements sur le partage du
butin sont parfois clairement évoqués, soit de façon générale, comme chez
Salluste qui dénonce l’accaparement du butin par l’oligarchie au détriment des
soldats et de la plèbe 108 , soit à propos de tel ou tel personnage. Servius Sulpicius
Galba, après avoir traîtreusement massacré les Lusitaniens lors de sa campagne de
150, « distribua aux soldats une petite partie du butin, une petite partie à ses amis,
et s’appropria le reste, bien qu’il fût déjà l’un des plus riches parmi les Romains »,
indique Appien 109 . Quand en 86 Fimbria entreprend de s’attacher les troupes du
consul Flaccus à Byzance, « il feint l’incorruptibilité et le zèle vis-à-vis des
soldats », écrit Dion Cassius, en tirant parti de « l’insatiable cupidité » de ce der-
nier, qui « non seulement s’appropriait l’argent de reste, mais s’enrichissait même
sur la nourriture des soldats et sur le butin, qu’il considérait régulièrement comme
son bien propre » 110 . Le jeune Crassus, qui se couvrait de gloire au service de

104 Polyb., XVIII, 35.


105 Cic., 2 Verr., I, 55–57 ; off., II, 76.
106 Ce que Salluste vilipende aussi dans ses diatribes sur les ravages de la cupidité chez les
grands : Cat., 9, 1 ; 10, 4 ; 11, 3 ; 12, 1 ; Iug., IV, 7 ; hist. (fr.), IV, 69 MAURENBRECHER. La
fréquente dénonciation de l’invasion du luxe, dont les campagnes orientales sont présentées
comme responsables, s’inscrit dans le même courant de pensée.
107 Zon., IX, 3, 10 ; l’anecdote amène celle du sénat qui offre à Cnaeus sur fonds publics
l’argent dont il a besoin pour doter sa fille (cf. Val. Max., IV, 4, 10).
108 Praedas bellicas imperatores cum pauciis diripiebant (Iug., XLI, 7, dans un développement
qui dénonce l’accaparement du pouvoir par la noblesse après la destruction de Carthage).
109 App., Hisp., 60 : ὀλίγα μέν τινα τῆς λείας τῇ στρατιᾷ διεδίδου καὶ ὀλίγα τοῖς φίλοις, τὰ λοιπὰ
δ’ ἐσφετερίζετο.
110 Cass. Dio, fr. 104, 2 : οὐκ ἠγάπα τὰ περιγιγνόμενα σφετεριζόμενος, ἀλλὰ καὶ ἐξ αὐτῆς τῆς
τῶν στρατιωτῶν τροφῆς, ἔκ τε τῆς λείας, ἣν ἰδίαν ἑκάστοτε ἐνόμιζεν εἶναι, ἐχρηματίζετο.
L’«argent de reste » est sans doute le résidu des sommes allouées pas le Sénat pour la
campagne.
46 Marianne Coudry

Sylla, voyait néanmoins sa réputation ternie par sa cupidité et sa mesquinerie,


écrit Plutarque : « ayant pris la ville ombrienne de Tuder, il passa pour s’être ap-
proprié la plus grande partie du butin, et il en fut accusé auprès de Sylla » 111 .
Également révélatrice de ce sentiment d’un changement des attitudes à l’égard
de la richesse est la tentative de Caton pour formuler des normes de partage du
butin, précisément dans cette première moitié du IIe siècle qui voit les procès
retentissants de grands triomphateurs. Nous n’en saisissons malheureusement que
des bribes, sous la forme de titres et de fragments de discours, donc de textes qui
expriment des prises de position polémiques, et dont l’interprétation est parfois in-
certaine. L’un de ces discours, intitulé Uti praeda in publicum referatur, exprime
nettement l’impératif de versement du butin au trésor, et l’extrait conservé, qui
évoque les statues que certains installent dans leurs demeures comme du mobilier,
indique qu’il y était question de l’appropriation indue de butin par les généraux 112 .
Un autre, intitulé De praeda militibus diuidenda, semble par son titre viser non
pas le versement à l’aerarium, mais la part destinée aux soldats ; cependant
l’unique extrait conservé dénonce ceux qui « quoique volant l’État, passent leur
vie dans l’or et la pourpre », c’est-à-dire à nouveau les généraux 113 . Du dernier,
intitulé De sumptu suo, reste un long passage dans lequel Caton se défend no-
tamment d’avoir enrichi ses amis en frustrant de butin les soldats 114 . Ces prises de
position ont pour point commun de stigmatiser le comportement des généraux qui,
en s’octroyant indûment une partie du butin, amoindrissent celles du trésor et des
soldats 115 . Le témoignage de Caton lors du procès de Glabrio va dans le même
sens, d’une dénonciation de l’appropriation d’objets qui auraient dû être présentés
au triomphe et déposés au trésor 116 .
Mais cette explication n’est pas suffisante : ce n’est pas seulement l’accapare-
ment du butin en tant que conduite qui est en cause, mais bien plus que cela. Si
l’on regarde de plus près les textes qui mentionnent les procès pour appropriation
de butin 117 , on remarque en effet qu’ils présentent régulièrement celle-ci comme
effectuée au détriment non des soldats, mais du trésor public. C’est explicitement
indiqué à propos de Glabrio, accusé d’avoir distrait du butin présenté au triomphe

111 Plut., Crass., 6, 6 : ἔδοξε τὰ πλεῖστα τῶν χρημάτων σφετερίσασθαι.


112 Cat., fr. 98 MALCOVATI = 72 CUGUSI.
113 Cat., fr. 224 MALCOVATI = 172 CUGUSI : Fures publici in auro atque in purpura (aetatem agunt).
114 Cat., fr. 173 = 203 MALCOVATI = 168 CUGUSI : Numquam ego praedam neque quod de hostibus
captum esset neque manubias inter pauculos amicos diuisi, ut illis eriperem qui cepissent.
115 Faut-il y voir, comme le propose SHATZMAN 1972, p. 199, des tentatives pour introduire des
règles juridiques en la matière ? L’ignorance où nous sommes des contextes dans lesquels
ces discours ont été prononcés interdit toute réponse assurée. Cf. en sens inverse GRUEN
1995, p. 87–88, pour qui il n’y aurait pas eu en ce début du IIe siècle de véritable volonté
réformatrice dans ce domaine, l’aristocratie sénatoriale ne souhaitant pas entraver la libre
disposition du butin par les généraux mais seulement limiter leurs ambitions par des initia-
tives symboliques.
116 Liv., XXXVII, 57, 14.
117 Cf. tableau III. Sur l’ensemble des procès, cf. SHATZMAN 1972, p. 188–198 ; GRUEN 1974,
p. 71–87 ; CHURCHILL 1999, p. 101–108 ; sur le procès des Scipions, en dernier lieu GRUEN
1995 ; sur celui de Caepio, LABROUSSE 1968, p. 132–134 ; sur celui de Pompée, GNOLI 1979,
p. 84–92.
Partage et gestion du butin 47

et versé au trésor une partie du produit du pillage du camp d’Antiochos 118 , de


L. Scipio – quod praeda ex Antiocho capta aerarium fraudasset, dit l’abréviateur
de Tite-Live –, de Pompeius Strabo, qui vend tout le butin d’Asculum et ne verse
rien au trésor, pourtant appauvri, au grand dam des sénateurs 119 , et d’Aurelius
Cotta. Les précisions que donne Memnon d’Héraclée à son sujet sont tout à fait
révélatrices : lorsqu’après son retour à Rome la rumeur se répand qu’il aurait
détruit la ville pour son enrichissement personnel, il tente d’y mettre fin en versant
au trésor une grande part du butin, « détournant l’animosité causée par sa
richesse » ; en vain : on considérait que « sur cette masse, il avait peu partagé » 120 .
C’est aussi sur ce point, le fait que la cupidité du général incriminé s’exerce
au détriment du trésor, qu’insistent les récits relatifs aux premiers de ces procès,
ceux de Coriolan et de Camille, riches d’enseignements sur les représentations qui
s’expriment à propos de ces épisodes exemplaires. On sait que la figure de Ca-
mille s’est construite autour de deux actions d’éclat, la prise de Véies et l’expul-
sion des Gaulois 121 . Entre les deux s’intercalent le procès puis l’exil, présenté
comme l’injuste mise à l’écart du vainqueur, avant son retour comme sauveur de
Rome. Or le procès est unanimement présenté dans la tradition comme lié au trai-
tement du butin de Véies, la praeda Veientana, même si les auteurs divergent sur
l’incrimination : avoir frustré le trésor est le motif explicitement énoncé par Dion
Cassius, avoir effectué un partage injuste entre le trésor et les soldats est celui que
présente Florus, alors que l’auteur du De uiris illustribus et Eutrope évoquent de
façon plus vague un partage injuste ; en revanche Valère-Maxime et Plutarque in-
diquent clairement qu’il fut accusé d’avoir détourné à son profit le butin de
Véies 122 . Les écarts entre ces versions, leurs discordances internes – par exemple,
chez Tite-Live, entre le motif de l’accusation et les décisions effectivement prises
par Camille à propos de ce butin –, les anachronismes qu’elles comportent inter-
disent d’attacher foi à l’épisode. Mais la leçon est claire : la répartition du butin
est soumise à des règles, et le général ne peut impunément accaparer le butin des-
tiné au trésor.
La figure de Coriolan comporte deux caractéristiques qui expriment elles
aussi un modèle idéal de distribution du butin. Chez Denys d’Halicarnasse et Plu-

118 Liv., XXXVII, 57, 12 : Quod pecuniae regiae praedaeque aliquantum captae in Antiochi
castris neque in triumpho tulisset, neque in aerarium rettulisset.
119 Oros., V, 18, 26 : Cum de hac praeda opitulationem aliquam in usum stipendii publici sena-
tus fore speraret, nihil tamen Pompeius ex ea egenti aerario contulit.
120 Memnon, FGrHist, 434 F 39, 1 : ... πολλὰ τῶν λαφύρων εἰς τὸ τῶν Ῥωμαίων εἰσεκόμιζε τα-
μιεῖον, τὸν ἐπὶ τῷ πλούτῳ φθόνον ἐκκρούων, εἰ καὶ μηδὲν αὐτοὺς πραοτέρους ἀπειργάζετο,
ἀπὸ πολλῶν ὀλίγα νέμειν ὑπολαμβάνοντας.
121 Cf. COUDRY 2001.
122 Cass. Dio, VI, fr. 24, 4 : Ὡς μηδὲν ἐκ τῆς λείας τῆς τῶν Οὐηίων τὸ δημόσιον ὠφελήσας ;
Flor., I, 22 : Quod inique inter plebem et exercitum diuidisse praedam Veientanam uidere-
tur ; Vir. ill., 23, 4 : Quod praedam inique diuisisset ; Eutr., I, 19 : Quasi praedam male diui-
sisset ; Val. Max., V, 3, 2a : tanquam peculator Veientanae praedae reus factus ; Plut.,
Cam., 12, 1 : Ἔγκλημα δὲ κλοπῆς περὶ τὰ Τυρρηνικὰ χρήματα. Tite-Live est très imprécis :
propter praedam Veientanam (V, 32, 8) ; Pline en revanche parle comme Plutarque de l’ap-
propriation de portes de bronze d’un temple : Ostia quod aerata haberet in domo (nat. hist.,
XXXIV, 13).
48 Marianne Coudry

tarque, il apparaît, dans les campagnes qui précèdent sa trahison, comme refusant
régulièrement une part de butin 123 . Et à propos de son procès, Plutarque indique
que la troisième des accusations portées contre lui par les tribuns de la plèbe con-
cerne le butin d’Antium, qu’on lui reproche d’avoir distribué à ses compagnons
d’armes au lieu de le verser au trésor. Denys offre une version plus élaborée : l’un
des tribuns dénonce comme manifestation du comportement tyrannique de Corio-
lan – et c’est le chef d’accusation retenu – le fait qu’il a transgressé la « loi »
(νόμος) ordonnant que tout le butin appartient à l’État et qu’aucun particulier ne
peut en disposer, pas même le général : son questeur doit le vendre et verser le
produit au trésor 124 .
L’évocation d’une loi, ou tout au plus d’une règle, car chez Denys le terme
νόμος a souvent ce sens plus vague, est évidemment anachronique en 491. Mais
elle est probablement une anticipation d’initiatives plus récentes visant à définir
une norme d’utilisation du butin. Cette définition s’exprime par des énoncés géné-
raux, comme ceux dont portent la trace les discours de Caton évoqués plus haut,
mais aussi à travers des actions judiciaires qui prennent appui sur un principe qui
paraît d’emblée clairement défini : la praeda est propriété du peuple romain, et
toute soustraction de butin est un vol de biens publics, qui est désigné, au moins à
l’époque de Cicéron mais sans doute bien plus tôt, par le mot peculatus. Quand
cet ensemble de concepts prend-il la forme précise qui n’est directement attestée
que dans la lex Iulia peculatus de la fin de la République 125 ? S’il est avéré que
c’est déjà le cas à l’époque du procès de Verrès 126 , quelques indices laissent
penser qu’on peut faire remonter beaucoup plus haut la formulation du principe et
son application judiciaire, même si on ne dispose pas d’attestations de l’emploi du
terme peculatus. Déjà Caton, comme on l’a vu, parle à propos des triomphateurs
de fures publici, ce qui indique qu’en son temps l’appropriation de butin est con-
çue comme un vol de biens publics. Mais le premier procès attesté pour détourne-
ment de butin, celui de M. Livius Salinator, qui avait célébré un triomphe sur les
Illyriens après sa campagne de 219, a lieu au plus tard en 216. Or un fragment de
Fabius Pictor, transmis par la Souda et isolé de tout contexte, énonce nettement le

123 Lors de la prise de Corioli : Dion. Hal., ant., VI, 94, 1–2 ; Plut., Cor., 10, 4. D’Antium :
Dion. Hal., ant., VIII, 57, 1 ; Plut., Cor., 13, 6.
124 Plut., Cor., 20, 5 ; Dion. Hal., ant., VII, 63 : τὰ ἐκ τῶν πολέμων λάφυρα... δημόσια εἶναι κελεύει
ὁ νόμος, καὶ τούτων οὐχ ὅπως τις ἰδιώτης γίνεται κύριος, ἀλλ’ οὐδ’ αὐτὸς ὁ τῆς δυνάμεως
ἡγεμών· ὁ δὲ ταμίας αὐτὰ παραλαβὼν ἀπεμπολᾷ καὶ εἰς τὸ δημόσιον ἀναφέρει τὰ χρήματα.
125 Dont les prescriptions sont connues par des juristes d’époque sévérienne : Ulpien, pour
l’énoncé général (Dig., 48, 13, 1), et Modestin pour l’extension du champ de la loi au butin
(Dig., 48, 13, 15 : Is qui praedam ab hostibus captam subripuit lege peculatus tenetur).
L’étude fondamentale sur la loi et sur l’émergence à l’époque républicaine du concept de pé-
culat est celle de GNOLI 1979. Reprenant les analyses de BONA 1959, p. 354–357, qui a établi
très clairement comment est défini sous la République le principe de la propriété publique de
la praeda, il montre (p. 78–80) que la praeda est conçue comme un élément de la pecunia
publica, expression désignant le patrimoine du peuple romain, quelle que soit sa forme, pas
nécessairement monétaire, et comment l’appropriation de praeda entre très logiquement dans
le champ du peculatus, qui désigne tout vol commis au détriment des biens publics.
126 On a remarqué depuis longtemps que deux passages des Verrines (2 Verr., I, 11 et IV, 88)
énoncent la même conception du peculatus que celle de la lex Iulia : cf. GNOLI 1979, p. 80.
Partage et gestion du butin 49

principe sur lequel se fondent les accusations de péculat : « Il est interdit à tout
magistrat de s’approprier le moindre bien qui appartienne au peuple » 127 . Sachant
que les Annales s’interrompent en 216, on a là l’indication que cette norme est
clairement définie dès cette époque. On pourrait même envisager que Fabius l’ait
mentionnée précisément à propos de ce procès 128 : la chose n’aurait rien d’invrai-
semblable, car l’affaire a laissé de nombreuses traces dans la tradition, particu-
lièrement chez Tite-Live, et la condamnation de Livius Salinator dut frapper les
contemporains par sa nouveauté 129 . Il se pourrait donc que le concept de peculatus
et son extension à la praeda aient pris corps déjà à la fin du IIIe siècle.
C’est ce principe, en tout cas, qui a fondé les accusations d’appropriation de
butin ultérieures, et permis la répression de ces actes, d’abord par des iudicia
populi, puis par des quaestiones particulières, jusqu’à l’instauration d’un tribunal
permanent, une quaestio perpetua peculatus, avant l’époque de Sylla 130 . Ainsi, la
définition par la lex Iulia peculatus, dont on ne sait si elle est césarienne ou augus-
téenne, et que l’on s’accorde donc à placer entre 59 et 18, d’un crimen peculatus
qui englobait diverses formes d’appropriation de biens publics, dont fait partie le
butin destiné au trésor, constitue le terme d’une évolution dont les étapes anté-
rieures nous échappent. Mais la constance avec laquelle, à propos des accusations
de détournement de butin qui s’égrènent de 216 à 66, les textes latins emploient le
mot peculatus et les textes grecs le verbe σφετερίζειν paraît bien confirmer que la
nature du délit est clairement établie dès l’origine.
L’élaboration d’une législation protégeant le trésor public des abus des géné-
raux en matière de répartition du butin est donc révélatrice d’une volonté remar-
quablement constante de garantir la place de la collectivité dans la redistribution
de ces biens, et pas seulement de stigmatiser des comportements 131 .
La conquête du monde grec à partir du début du IIe siècle, qui a permis la
mainmise sur des quantités de richesses bien plus considérables que précédem-
ment, a donc suscité de nouveaux conflits sur leur partage, conflits qui perdurent
jusqu’au milieu du siècle suivant et se sont focalisés sur la part que s’arrogent les
généraux au détriment du trésor public, bien plus que sur celle qui revient aux

127 Fabius Pictor, fr. 28 PETER = 18 CHASSIGNET (ap. Sud., s.v. Φάβιος Πίκτωρ) : Φάβιος
Πίκτωρ, συγγραφεὺς Ῥωμαίων. οὗτος λέγει ἄρχοντι Ῥωμαίων μὴ ἐξεῖναι μηδενὶ
σφετερίσασθαι ἐκ τοῦ δημοσίου ὁτιοῦν.
128 Ce fragment, que PETER plaçait sagement parmi les incertae sedis, a été inséré par les édi-
teurs plus récents dans différentes parties de l’œuvre : parmi les épisodes du tout début de la
République (CHASSIGNET 1996, sans justification explicite), ou au moment du procès de Ca-
mille (FRIER 1970, p. 205–206), ce qui n’est pas impossible si l’on songe à la fonction fon-
datrice assignée à cet épisode par la tradition. Sur la composition des Annales et l’interrup-
tion en 216, CHASSIGNET 1996, p. LVIII.
129 Liv., XXII, 35, 3 ; XXVII, 34, 3 ; XXIX, 37, 13 ; Suet., Tib., 3, 4 ; Frontin., strateg., IV, 1 ,
45 ; Vir. ill., 50, 1.
130 C’est ce qu’atteste le procès intenté à Pompée en 86 : cf. l’étude rigoureuse qu’en a faite
GNOLI 1979, p. 84–91, malheureusement ignorée par HILLMAN 1998.
131 Quoique ces deux objectifs ne soient pas séparables : DAVID 2007 montre de manière très
éclairante le rôle fondamental des acteurs des procédures judiciaires, magistrats à l’époque
des iudicia populi, orateurs à l’époque des quaestiones, dans la définition des crimes et dans
l’établissement des principes sur lesquels s’appuyait la répression pénale républicaine.
50 Marianne Coudry

soldats. Cette particularité est peut-être à mettre en rapport avec l’émergence à


partir des Gracques d’un processus plus complexe de redistribution des bénéfices
de la conquête, l’installation de citoyens sur des terres publiques. Si les premières
lois agraires ont recouru à l’ager publicus déjà existant, celles de la période post-
syllanienne ont prévu des achats de terres par le trésor, en mobilisant notamment
les richesses issues du butin. La chose est bien attestée pour la rogatio Servilia de
63, dont César semble s’être inspiré pour sa loi agraire de 59 : nous connaissons
une clause qui prévoyait d’utiliser les sommes non encore versées au trésor, mais
qui lui étaient destinées, au titre de la praeda, de l’or coronaire et des manu-
biae 132 . Ce procédé impliquait donc à la fois une redistribution différée du butin et
un transit par l’aerarium. En même temps, en amalgamant le butin avec d’autres
sources de revenus publics, il distendait la relation entre prises de guerre et béné-
fices matériels de la conquête. Le rôle du trésor public se trouvait ainsi valorisé.
Les normes de partage énoncées par Caton et les condamnations de généraux pour
appropriation avaient ouvert la voie de cette évolution, qui plaçait le trésor public
au centre du processus de redistribution du butin de guerre.
Ces analyses conduisent à plusieurs observations générales. La première est
que tout au long de la République le partage du butin est demeuré un enjeu met-
tant aux prises trois destinataires concurrents, les soldats, le peuple romain, et le
général. Jamais ne s’est établi un consensus sur la quotité revenant à chacun. On
cherche en vain les indices d’une norme en la matière – tout comme on ne par-
vient pas à identifier avec certitude un “droit du triomphe”. Tout au plus existe-t-il
des normes partielles : les captifs sont vendus pour le compte du trésor, les mé-
taux précieux bruts ou monnayés lui reviennent aussi, de même que les trésors,
royaux ou apparentés ; encore rencontre-t-on des exemples de violation ou de con-
testation de ces règles 133 .
La seconde est que la part versée au trésor est quasiment toujours au centre de
ces tensions : c’est par rapport à elle que s’expriment les conflits, tant les revendi-
cations des soldats, qui occupent le devant de la scène jusqu’au IIIe siècle, que les
accusations d’appropriation adressées aux généraux qui leur succèdent alors. On a
le sentiment que le passage d’un système de répartition directe du butin entre ceux
qui l’ont fait, soldats et général, à un système de redistribution indirecte à l’en-
semble de la communauté civique par le biais du trésor public, n’a jamais pu s’ef-
fectuer complètement. Cette mutation, qui est un aspect du processus de construc-
tion de l’État dont les premières étapes nous échappent mais qui apparaît comme
bien avancé dès le IIIe siècle, reste inachevée, peut-être parce qu’à partir du Ier
siècle généraux et soldats sont assez puissants pour entraver son accomplissement.

132 Cic., leg. agr., I, 12 ; II, 59. Cette clause de la rogatio Seruilia a fait couler beaucoup
d’encre, en particulier parce que la manière dont Cicéron la présente ne permet pas de com-
prendre clairement où réside la nouveauté de cette disposition. Cf. BONA 1960, p. 167 et
GNOLI 1979, p. 102.
133 Captifs distribués aux cavaliers et aux centurions après la prise de Fidènes en 426, si cet épi-
sode est authentique (Liv., IV, 34, 4) ; récriminations des soldats de Paul-Émile auxquels est re-
fusée toute part du trésor royal macédonien. Notons que César semble s’affranchir allègrement
de ces règles, en distribuant aux soldats des captifs à deux reprises pendant la guerre des Gaules
(BG, VI, 3, 2 et VII, 89, 5), et en leur abandonnant le trésor de Pharnace (B. Alex., 77, 2).
Partage et gestion du butin 51

La troisième est que se manifeste un effort constant pour imposer un contrôle


public sur la répartition du butin. L’enregistrement précis des biens destinés au
trésor qu’effectue le questeur du général sur le champ de bataille, et la transmis-
sion de ces registres aux questeurs urbains dès le retour à Rome ; l’exhibition, au
moment du triomphe, des prises de guerre qui vont revenir à la collectivité, soit
par le versement à l’aerarium des richesses matérielles, soit par la dédicace et
l’exposition publique des spolia ; la précision des chiffres qui permettent de
comptabiliser ces acquisitions du trésor et de ceux qui font connaître les montants
distribués aux soldats : tout cela exprime un volonté de publicité qui fait des
citoyens les témoins de la redistribution des prises de guerre. Et la place que font
les textes anciens aux informations sur la part du butin qui revient à la collectivité
révèle l’importance de ce principe de publicité.
Y échappe la part que le général réserve soit à son propre usage, soit à ses dé-
penses de manubiis : ici se manifeste la limite de ce principe de contrôle public,
qui se heurte à la liberté d’action que confère au général son imperium. Le flou
juridique qui entoure cette part du général, la difficulté à établir la signification
précise des termes qui la désignent – c’est toute la question de la définition des
manubiae –, l’opacité des opérations effectuées par le général à son sujet, tout
concourt à montrer que jusqu’à la fin de la République sa sphère d’action en la
matière résiste à toute intrusion. L’exemple le plus éloquent de cet état de choses,
et il est d’autant plus intéressant qu’il est en partie exemplaire, c’est-à-dire con-
struit, est le comportement de Scipion l’Africain lors du fameux procès de 187, tel
que le décrit Tite-Live : « Il déchira de ses mains le livre de comptes que le Sénat
avait ordonné à son frère Lucius d’apporter, et qu’il inspectait, s’indignant qu’on
exigeât qu’il rende compte de quatre millions de sesterces quand il en avait
apporté deux cents au trésor » 134 . Pourtant il est remarquable que le général
participe à cette publicité faite au versement à l’aerarium des profits publics que
ses succès militaires ont permis. Les généraux en effet dressent pour leur triomphe
des listes commentées, connues sous le nom d’acta triumphorum, qui sont une
sorte de mise en forme littéraire des documents comptables qu’ils ont constitués
au cours de leur campagne : ce qui est mis sous les yeux du public, ce ne sont pas
les documents “officiels” remis aux questeurs de l’aerarium, mais leur
reformulation par le général. Cette pratique est explicitement attestée pour le
troisième triomphe de Pompée, en 61 : plusieurs passages de Pline permettent
d’en reconstituer la teneur. Après une praefatio qui résume les campagnes en
indiquant les régions concernées et les peuples vaincus, vient une énumération
détaillée des prises de guerre, qui se conclut par l’indication des sommes versées
au trésor et de celles distribuées à l’armée 135 . Il ne s’agit pas d’un document
unique, propre à Pompée, mais d’une série, car Pline indique dans un autre
passage qu’il y a puisé des informations 136 . Mais on ne sait à partir de quand elle a
été constituée 137 et donc à quelle époque remonte cette pratique. Il n’est pas

134 Liv., XXXVIII, 55, 11–12.


135 Plin., nat. hist., VII, 98 pour la praefatio, et XXXVII, 12–16 pour l’énumération.
136 Préface du livre V : cf. les remarques de DESANGES 1980, p. 298.
137 Il n’est pas douteux, en tout cas, que ces acta ne sont pas des documents publics, mais qu’ils
52 Marianne Coudry

impossible qu’elle ait pris naissance au début du IIIe siècle : on a remarqué plus
haut que c’est à partir du triomphe de Papirius Cursor en 293 que les indications
des auteurs sur les prises de guerre présentées lors du triomphe deviennent
brusquement plus précises, et il est remarquable que l’inscription de l’elogium de
Duilius, qui triomphe en 260, soit non seulement tout aussi précise, mais qu’elle
suive un ordre quasiment identique (et très voisin aussi de celui qu’on trouve dans
les acta du triomphe de Pompée) 138 : peut-être ces deux triomphateurs avaient-ils
constitué déjà des acta triumphorum. Cette innovation se comprendrait assez bien
dans le contexte de cette période qui voit se définir des modèles de conduite du
général en matière de butin.
Cette pratique atteste en tout cas que triomphe est bien le lieu où s’exprime
toute l’ambiguïté des rapports entre le général et la collectivité civique vis-à-vis
du butin de guerre : à la fois mise en scène de sa contribution à l’accroissement de
Rome et publicité faite aux bénéfices matériels de la victoire pour la cité. Si l’on
ajoute la publicité donnée aux distributions d’argent de praeda aux soldats, on
saisit la dimension complète que revêt la fonction symbolique de cette cérémonie
quant au partage des bénéfices matériels de la victoire. Le triomphe accomplit
ainsi ce que ne permettent pas les institutions : confronter les parties prenantes du
partage du butin en inhibant les conflits. Un rituel (au sens anthropologique du
mot) se substitue à des mécanismes institutionnels qui permettraient un contrôle
politique de ce partage. Car la publicité donnée par les triomphateurs à leurs choix
de répartition du butin n’est en rien une reddition de comptes au sens où l’entend
la philosophie politique antique depuis le fameux “débat perse” : c’est un acte vo-
lontaire de communication politique.

3. LA COMPTABILITÉ DU BUTIN

L’analyse ci-dessus a mis en évidence une caractéristique très particulière de la


documentation littéraire concernant le butin, le contraste entre d’un côté son
quasi-silence sur la part que se réserve le général, et de l’autre sa précision sur
celle qui revient au peuple, avec notamment l’abondance des indications chiffrées
concernant les captifs pris sur le champ de bataille, le butin matériel exhibé lors
du triomphe, les distributions aux soldats, les versements au trésor public. Cela
pose la question de l’origine de ces informations, c’est-à-dire des documents pri-
maires où elles ont été puisées, et de leur cheminement depuis ces documents
jusqu’aux textes littéraires qui les ont intégrées 139 . Approfondir le premier point,

sont composés par le triomphateur lui-même : c’est ce qu’a bien établi GIRARDET 1991, con-
firmant l’interprétation de KUBITSCHEK 1893.
138 La première édition est celle de MOMMSEN (CIL I, p. 39–40) ; l’édition classique est celle de
DEGRASSI (InscrIt, XIII, 3, n° 69), la plus récente celle du CIL VI, 1300.
139 Il est dommage que, dans son récent ouvrage sur le triomphe, M. BEARD, après avoir à juste
titre dénoncé l’idée selon laquelle les indications chiffrées données par les auteurs seraient
fidèles à celles contenues dans les archives, étende ce scepticisme aux archives elles-mêmes.
Les enjeux du partage des profits de guerre étaient si importants qu’il est tout à fait impro-
Partage et gestion du butin 53

la nature et le mode d’élaboration des documents primaires, ne vise pas seulement


à en dresser un inventaire, mais aussi, puisqu’ils émanent d’acteurs exerçant des
fonctions publiques, à connaître en quelque sorte de l’intérieur le fonctionnement
des structures politiques relativement à la gestion du butin, et à compléter par une
approche institutionnelle l’approche idéologique et politique privilégiée jusqu’ici.
S’interroger sur le second, le recours assidu des auteurs à ces documents qu’on
appelle communément “officiels”, permet de cerner de plus près la perception
qu’ils ont et l’image qu’ils veulent donner de la République conquérante.
Notre information sur ces documents primaires est disparate, mais relative-
ment riche. Elle consiste tantôt en mentions directes, qu’on trouve surtout dans les
plaidoyers, les discours et les lettres de Cicéron, secondairement dans les textes
relatifs au procès des Scipions ; tantôt en simples allusions, à propos des opéra-
tions effectuées sur le champ de bataille par les auxiliaires financiers des géné-
raux, questeurs et praefecti. Une précision de vocabulaire : dans le développement
qui suit, nous utiliserons indifféremment, pour désigner le magistrat ou le proma-
gistrat exerçant son imperium hors de Rome, les termes de “général” ou de “gou-
verneur”, et pour le questeur qui lui est attaché les expressions “questeur mili-
taire”, “questeur du général”, ou “questeur provincial”. Cette diversité d’expres-
sions se justifie par la diversité des époques et des habitudes des historiens mo-
dernes : on parlera de général et de questeur militaire pour l’époque de Scipion, de
gouverneur et de questeur provincial pour celle de Cicéron. Mais les réalités
juridiques demeurent les mêmes.

3.1. Les documents élaborés sur le théâtre d’opérations

Ce sont d’abord ceux du général : les comptes (rationes) des prises effectuées lors
des opérations militaires. Cicéron vante longuement le soin que mit à les confec-
tionner P. Servilius Vatia, envoyé comme consul en Cilicie en 79, pour l’opposer à
la négligence de Verrès, qui était alors son légat. À propos du butin fait à Olympos,
en Pamphylie, il fait donner lecture de ces comptes, et précise : « Ce n’est pas seule-
ment le nombre des statues, mais les dimensions, la conformation, l’attitude de cha-
cune d’elles que vous voyez notées avec précision dans ce document… Je le dé-
clare, pour le butin du peuple romain, Servilius a gardé note et tenu les écritures
(notata et perscripta) avec plus d’exactitude que tu ne l’as fait toi-même pour tout
ce que tu as volé » 140 . Il évoque aussi, sur le mode ironique, ceux que dressa Pison
lors de son proconsulat de Macédoine, en l’imaginant déclarer à César : « Si tu
prends connaissance de ces comptes (rationes), tu comprendras que personne n’a
retiré de ses études plus d’avantages que moi. Ils sont en effet rédigés de bout en
bout (perscriptae) avec tant de science et de culture… » 141 .

bable que ces documents primaires n’aient pas été « systematic, accurate and accessible »
(BEARD 2007, p. 170).
140 Texte 1, en fin de développement.
141 Texte 2.
54 Marianne Coudry

Les seules autres indications dont nous disposions à propos de ces comptes
apparaissent dans le contexte du procès des Scipions. Dans la version d’Aulu-
Gelle, Scipion, mis en cause devant le sénat, « se lève, et, tirant de sa toge un livre
(librum), dit qu’y étaient écrits les comptes de tout l’argent (s.e. d’Antiochos) et
de tout le butin (rationes in eo scriptas esse omnis pecuniae omnisque praedae) ».
Tite-Live mentionne aussi un librum rationis, et Polybe un βιβλίον et un λογισ-
μόν 142 . Malgré toutes les difficultés que comportent les textes relatifs à cette
affaire, il n’y a pas de raison de mettre en doute ces informations : elles montrent
que la tenue de comptes du butin, et sans doute des bénéfices de guerre au sens
large, puisque le versement de la fraction d’indemnité de guerre exigée d’Antio-
chos y figure aussi, était une pratique en vigueur déjà au début du IIe siècle. Ajou-
tons que, comme on l’a vu plus haut à propos de Verrès, les légats du général
tiennent également des comptes : l’un des légats de L. Scipion, A. Hostilius Cato,
est condamné en même temps que lui pour avoir reçu d’Antiochos (et conservé)
une somme dont le montant a sans doute été connu par l’examen de son livre de
comptes 143 .
Plus souvent évoqués sont les comptes du questeur militaire. Les indications
les plus précises sont dues à Plutarque : dans sa biographie de Tiberius Gracchus,
il le montre, questeur à Numance en 137, demandant aux Numantins qui avaient
pris et pillé le camp abandonné par Mancinus de lui restituer « les tablettes (πινα-
κίδες, nommées plus loin δέλτοι) qui contenaient les écritures et les comptes de sa
gestion de questeur (γράμματα καὶ λόγους ἔχουσαι τῆς ταμιευτικῆς ἀρχῆς) » 144 .
On peut rapprocher de ce texte celui qui mentionne les opérations effectuées par
Caton à Chypre, où il avait été envoyé en 58 pour recueillir les biens du roi Ptolé-
mée, bien qu’il ne s’agisse pas à proprement parler de butin ; mais le titre de ques-
teur propréteur qui lui fut conféré pour cette mission le justifie. Plutarque écrit, à
propos du naufrage subi au retour : « Les deux registres (βιβλίοι) où il avait con-
signé avec soin les comptes de sa gestion (λόγους πάντων ὧν διῴκησε γεγραμ-
μένους ἐπιμελῶς) ne purent être sauvés ni l’un ni l’autre » 145 .
D’autres textes, nombreux, mentionnent le rôle des questeurs militaires (que
les auteurs de langue grecque confondent parfois avec les questeurs urbains 146 )
dans le traitement du butin, et donnent à l’occasion certaines précisions. Je laisse-
rai de côté ceux qui concernent le Ve siècle, peu éclairants, et sur desquels pèsent
de forts soupçons d’anachronisme, à cause notamment de la question disputée de
la transformation de la questure en magistrature principalement financière 147 .
Pour la période qui commence à la fin du IIIe siècle, les indications des auteurs

142 Gell., IV, 18, 9 ; Liv., XXXVIII, 55, 11 ; Polyb., XXIII, 14, 7.
143 Liv., XXXVIII, 55, 7.
144 Plut., Ti. Gracch., 6, 1.
145 Plut., Cat. min., 38, 2. Un peu plus loin, ces comptes sont nommés λογισμοὶ τῶν πεπραγμέ-
νων. De même chez Dion Cassius (XXXIX, 23, 3).
146 Polybe, à propos du trésor carthaginois de Carthagène (X, 19, 1) ; Plutarque, à propos du tré-
sor du roi Persée (Aem., 28, 10).
147 Les questeurs sont cités à propos de la vente du butin et des prisonniers (en 485 : Dion. Hal.,
ant., VIII, 82, 4 ; en 459 : D.H., X, 21, 6 ; en 410 : Liv., IV, 53, 10), ou simplement comme
chargés de recueillir le butin au nom du peuple (en 396 : Liv., V, 19, 8).
Partage et gestion du butin 55

sont plus précises, et permettent de supposer la tenue de ces comptes sur lesquels
les textes de Plutarque nous renseignent pour une époque plus récente. En 211, les
sénateurs campaniens, que Fulvius a convoqués au camp romain après son entrée
dans Capoue, « sont sommés de livrer aux questeurs tout l’or et l’argent qu’ils
possèdent ; deux mille soixante dix livres d’or, trente et un mille deux cents d’ar-
gent » 148 . L’indication du poids des métaux précieux livrés fait supposer de la part
des questeurs une pesée et un enregistrement. Ces deux opérations sont expli-
citement mentionnées dans le récit détaillé que fait Tite-Live de la mainmise sur
les richesses carthaginoises accumulées à Carthagène et que la victoire de Scipion
a livrées aux Romains en 209 : « Or et d’argent : une grande quantité fut apportée
au général, deux cent soixante seize patères d’or pesant presque toutes une livre ;
en argent, brut et monnayé, dix huit mille trois cents livres ; vases d’argent, un
grand nombre ; tout cela, pesé et compté, fut confié au questeur C. Flaminius »149 .
La formulation fait apparaître les manipulations effectuées, manifestement par les
aides du questeur, et la rédaction des comptes, présentés par chapitres que le texte
littéraire a repris en les transformant à peine. L’annonce par Manlius Acidinus,
revenu à Rome en 185 pour célébrer un triomphe sur l’Espagne citérieure, que son
questeur va apporter et verser au trésor dix mille livres d’argent et quatre vingts
d’or, sous-entend aussi ces manipulations et la tenue de comptes, qui cette fois-ci
portent non sur une opération, mais sur la totalité de la campagne 150 . La docu-
mentation est plus clairsemée pour le Ier siècle : mention par Cicéron des comptes
de Verrès questeur de Carbo en 84 151 , description détaillée de l’inventaire des
trésors de Mithridate à Talaura, qui suppose l’intervention du questeur mais ne la
mentionne pas 152 . La nouveauté est peut-être la division des tâches entre le
questeur et des praefecti plus spécialement chargés de la gestion du butin, si l’on
en croit les précisions que donne Cicéron dans une des lettres qu’il adresse au pro-
questeur de Bibulus à la fin de son gouvernement de Cilicie153 . Ceci pourrait s’ex-
pliquer par l’ampleur des tâches qui incombent aux questeurs militaires, pour le
seul chapitre des profits de guerre : ils ne sont pas chargés seulement de tenir les
comptes du butin après l’avoir recueilli et vendu, mais font les mêmes opérations
pour les biens confisqués aux vaincus 154 , pour les indemnités de guerre 155 , pour

148 Liv., XXVI, 14, 8. La présence de deux questeurs tient au fait que Fulvius est accompagné
d’Appius Claudius.
149 Liv., XXVI, 47, 7–8 : Et auri argentique relata ad imperatorem magna uis : paterae aureae
fuerunt ducentae septuaginta sex, librales ferme omnes pondo, argenti infecti signatique de-
cem et octo milia et trecenta pondo, uasorum argenteorum magnus numerus ; haec omnia C.
Flaminio quaestori adpensa adnumerataque sunt.
150 Liv., XXXIX, 29, 6. Plus allusifs sont les exemples de traitement du butin par les questeurs
lors de la prise de Syracuse (Liv., XXV, 31, 8), de Baecula (Liv., XXVII, 19, 2 ; Val. Max.,
V, 1, 7), d’Ilipa (Liv., XXXV, 1, 12), du trésor de Persée (Plut., Aem., 28, 10).
151 Texte 3.
152 App., Mith., 115.
153 Cic., fam., II, 17, 4. Mais on ne sait si cette situation est la règle ou s’il s’agit d’un cas parti-
culier, et on discute sur la fonction de ces praefecti : préfets militaires, ou préfets des
ouvriers ?
154 Ceux de Diaïos et de ses partisans à la fin de la guerre d’Achaïe (Polyb., XXXIX, 4, 1–3).
56 Marianne Coudry

les présents envoyés au général par des souverains amis 156 , pour les biens légués à
Rome 157 .
Les exemples que nous connaissons de cette gestion sur place des profits de
guerre autres que le butin présentent un intérêt pour notre propos : les textes qui
les évoquent livrent parfois d’intéressantes expressions, en particulier celle de lit-
terae publicae ou tabulae publicae pour désigner les comptes des questeurs. On
pourrait penser que tout document produit par un magistrat dans l’exercice de ses
fonctions est nécessairement un document “public”. En réalité, il n’en va pas tou-
jours ainsi, et l’étude des sénatus-consultes, par exemple, montre que la frontière
entre document public et document privé n’est pas aussi nette qu’on l’imagine, et
que c’est le dépôt du document dans les archives de la cité, à l’aerarium, qui lui
confère sa nature de document public 158 . Or telle est bien la destinée de ces
comptes, comme on va le voir à l’instant. Mais le fait qu’ils soient qualifiés de
documents publics avant même ce dépôt me paraît avoir une autre signification : il
exprime le caractère public de tous les profits de guerre que le général confie à
son questeur – on retrouve la notion juridique mise en évidence plus haut à propos
des procès de péculat. Les comptes que tiennent les questeurs militaires sont con-
sidérés comme ceux du peuple, de la communauté civique. À ce titre, ils jouent le
rôle de relais entre le champ de bataille et Rome.

3.2. Les documents élaborés à Rome

De même que le traitement matériel du butin comporte deux étapes, l’une sur le
champ de bataille, l’autre à Rome, de même les opérations d’écriture se décom-
posent en deux phases successives : à la confection des comptes réalisée au mo-
ment de la mainmise sur le butin succède la transcription de ces comptes sur les
registres des questeurs urbains, à Rome. On a donc là l’élaboration d’un second
ensemble de documents, qui concernent les deux catégories de comptes dressés
sur place, ceux du général et ceux du questeur militaire.
C’est sur les premiers, ceux du général, que nous sommes le mieux ren-
seignés, contrairement à ce que nous avons constaté pour l’étape précédente, et
c’est essentiellement chez Cicéron que figurent ces précisions. D’abord dans le
passage des Verrines cité plus haut, où l’exemple de la rigueur de Servilius Vatia
dans la tenue des comptes sert à stigmatiser la désinvolture de Verrès : ce butin
pris en Cilicie et exhibé dans le triomphe, « il a pris soin d’en faire transcrire le
détail à l’aerarium dans les registres publics (in tabula publica ad aerarium per-
scribenda curauit) » ; et Cicéron demande qu’il soit donné lecture de ces comptes

155 Celles que Sylla avait imposées aux cités d’Asie (Plut., Luc., 4, 1), celle que Pompée exige
de Tigrane (Vell., II, 37, 5).
156 Ceux que Scipion Émilien, qui assiégeait Numance, reçoit d’Antiochos VII (Liv., per., LVII,
8).
157 Outre le cas de Ptolémée de Chypre évoqué plus haut, celui de Ptolémée Apion en 75 ou 74
(Sall., hist. (fr.), II, 43 MAURENBRECHER).
158 Cf. COUDRY 1994.
Partage et gestion du butin 57

transcrits (rationes relatae) : « Constatez par les documents publics (ex litteris
publicis) quelle attention y a portée ce grand personnage » 159 . Le passage du dis-
cours contre Pison également cité plus haut apporte quelques précisions complé-
mentaires : pour faire rire de la qualité formelle des comptes de son adversaire,
Cicéron ajoute : « Ils sont rédigés avec tant de science et de culture que le scribe
de l’aerarium qui les a recopiés, quand il a eu fini la transcription, a murmuré
pour lui-même en se grattant la tête de la main gauche : “Le compte, par Hercule,
est bien clair, mais l’argent, lui, il a filé” » 160 . Ce n’est pas tant parce qu’il nous
fait voir concrètement l’opération de transcription des comptes dans les registres
questoriens – sans nous permettre d’établir formellement qu’il s’agissait de
registres spécifiques, bien que ce soit vraisemblable 161 – que ce texte est intéres-
sant, mais aussi parce qu’il permet de saisir le lien entre l’enregistrement des
comptes du butin et le dépôt de celui-ci au trésor. La formule plaisante prêtée au
scribe, « l’argent, lui, il a filé », qui est une citation empruntée à Plaute 162 , fait
écho aux propos que Pison, qui ne demandait pas le triomphe, est censé avoir
tenus à César : « Je ne me soucie pas des brancards du triomphe, l’argent reste
chez moi et y restera » 163 . Ce texte semble signifier que dépôt du butin et enregis-
trement des comptes ne sont pas nécessairement simultanés, ce qui ressort aussi
de la disposition de la rogatio Servilia que Cicéron évoque à deux reprises et qui
concerne la déclaration et la remise aux membres de la commission agraire des
sommes tirées du butin, des manubiae et de l’or coronaire « qui n’auraient pas été
déposées au trésor » 164 . Les généraux semblent donc avoir disposé d’une certaine
latitude dans le dépôt au trésor du produit du butin – ou se l’être accordée – sans
que des pressions soient exercées sur eux. En revanche, il en va autrement pour
les comptes : à propos de ceux de Verrès, Cicéron indique « les comptes de sa
préture, qu’il devait, en vertu d’un sénatus-consulte (ex senatus consulto),
remettre immédiatement, il ne les a pas encore remis aujourd’hui » 165 . L’expres-
sion ex senatus consulto ne permet malheureusement pas de savoir s’il s’agit
d’une disposition générale, applicable à tous les magistrats et promagistrats
revenant à Rome à l’expiration de leur commandement provincial, ou d’une
mesure s’appliquant au seul Verrès. L’occurrence de cette même formule dans un
autre passage des Verrines relatif à la transcription des comptes des questeurs
provinciaux, et citant les registres des questeurs de l’aerarium, fait pencher plutôt

159 Texte 1.
160 Texte 2.
161 Les questeurs conservaient à l’aerarium des archives diverses, pour lesquelles on n’est pas
toujours certain qu’ils aient constitué des registres séparés : c’est assuré pour les sénatus-
consultes, mais pas pour les ambassadeurs étrangers auxquels ils versaient un défraiement,
par exemple.
162 Plaut., Trin., 416.
163 Nummus interea, mi Caesar, neglectis ferculis triumphalibus, domi manet et manebit (texte 2).
164 Cic., leg. agr., I, 12 et II, 59.
165 Texte 3.
58 Marianne Coudry

pour la première interprétation 166 . Et ce serait conforme à ce que l’on sait des
règles concernant cet enregistrement des comptes du général.
En effet, dans la lettre qu’il adresse à son questeur L. Mescinius Rufus à la fin
de son proconsulat, Cicéron évoque « l’ancien droit et la coutume ancestrale »
concernant le dépôt des comptes (rationum referendae ius vetus et mos antiquus),
et la « vieille pratique (consuetudo pristina) » consistant à les mettre au point « en
arrivant à Rome (ad urbem) », pour les opposer aux dispositions de la loi de Cé-
sar 167 . Aucun exemple de cette ancienne pratique n’est connu, en sorte que nous
ne pouvons savoir à quand elle remonte. Le seul indice de son ancienneté se ren-
contre encore une fois à propos du procès des Scipions, dans le texte d’Aulu-Gelle
qui montre l’Africain apportant au sénat le livre qui contenait les comptes « de
tout l’argent et de tout le butin » et disant « qu’il avait eu l’intention d’en donner
publiquement lecture et de le déposer à l’aerarium », avant de le déchirer théâtra-
lement devant les sénateurs 168 . Mais il est difficile de savoir si c’était pour respec-
ter l’usage que Scipion envisageait le dépôt de ses comptes, ou pour répondre aux
accusations dont il faisait l’objet. Quant au terme de ius employé par Cicéron, il
laisse penser qu’à un certain moment l’usage a été codifié. Sous quelle forme ?
Comme la loi de César qu’il cite est la lex Iulia repetundarum, on a pensé à celles
qui l’ont précédée, notamment la lex repetundarum épigraphique, probablement
gracchienne, parce qu’il y est question de documents pouvant servir de pièces à
conviction et nommés tabulae, libri, et litterae publicae 169 . Mais ces termes re-
couvrent des documents si divers qu’il est hasardeux d’y inclure les comptes des
généraux.
En revanche la loi que César fit voter en 59, et dont on connaît relativement
bien les dispositions 170 , comporte des prescriptions très précises en matière d’en-
registrement des comptes dressés par les généraux. Cicéron les indique dans la
lettre mentionnée ci-dessus : « Ce que j’aurais fait en arrivant à Rome, si l’usage
ancien était demeuré, je l’ai fait dans ma province, puisque la loi Iulia imposait de
laisser les comptes dans la province et d’en déposer à l’aerarium une copie mot
pour mot conforme ». Et, plus loin : « J’ai fait du moins ce que la loi exigeait, dé-
poser dans deux cités, Laodicée et Apamée, qui me paraissaient les plus indi-
quées, puisque c’était une nécessité, les comptes arrêtés et rassemblés (rationes
confectas conlatas) » 171 . Dans une autre lettre, antérieure de quelques mois et

166 Cic., 2 Verr., I, 37. C’est un extrait des comptes de la questure de Verrès dont Cicéron fait
donner lecture : Recita denuo. P. Lentulo L. Triario quaestoribus urbanis res rationum rela-
tarum. Recita. Ex senatus consulto.
167 Cic., fam., V, 20, 1–2.
168 Gell., IV, 18, 9–10 : Prolato e sinu togae libro, rationes in eo scriptas esse dixit omnis pecu-
niae omnisque praedae illatum ut palam recitaretur et ad aerarium deferretur.
169 Roman Statutes, 1, l. 34. Cf. FALLU 1973, p. 211.
170 Cf. VENTURINI 1979, p. 471–477.
171 Quod igitur fecissem ad urbem, si consuetudo pristina maneret, id, quoniam lege Iulia relin-
quere rationes in prouincia necesse erat easdemque totidem uerbis referre ad aerarium, feci
in prouincia… Illud quidem certe factum est quod lex iubebat, ut apud duas ciuitates, Lao-
dicensem et Apamensem, quae nobis maxime uidebantur, quoniam ita necesse erat, rationes
confectas conlatas deponeremus (fam., V, 20, 2). Un passage du Contre Pison permet de
Partage et gestion du butin 59

adressée au proquesteur de Bibulus, il le dissuade de se dispenser des obligations


de la loi Iulia concernant le dépôt des comptes, et lui indique : « Les comptes de
mon questeur… ne sont pas encore arrêtés, et nous songeons à les déposer à
Apamée » 172 . La loi de César imposait donc les mêmes obligations au général et à
son questeur, et liait les comptes de l’un et de l’autre : Mescinius Rufus
s’inquiétait justement des différences qui subsistaient entre ses comptes et ceux de
Cicéron. Cette exigence d’adéquation entre comptes du questeur et comptes du
général existait-elle déjà avant la loi ? C’est probable, car dans un passage du
discours qui visait à dissuader les juges de confier l’accusation de Verrès à son
questeur Q. Caecilius, Cicéron dit : « Comme sa préture et ta questure sont con-
signées dans les mêmes documents, ils (les Siciliens) te soupçonnent de vouloir
les emporter de Sicile » 173 . Ce qui signifie certainement que Verrès et son ques-
teur avaient déposé leurs comptes dans la province, et que ceux-ci étaient iden-
tiques : cette règle existait donc avant la loi de 59. Elle pourrait aussi avoir fourni
à Verrès un bon prétexte pour retarder le dépôt de ses comptes : le texte cité plus
haut, dans lequel Cicéron lui reproche de ne pas avoir encore déposé les comptes
de sa préture, se poursuit ainsi : « Il a déclaré attendre que son questeur fût présent
au sénat, comme si, de même que le questeur peut remettre ses comptes sans le
préteur, (…) le préteur ne pouvait pas de même les remettre sans le questeur ; il a
déclaré que Dolabella avait obtenu la même faveur » 174 . C’est sans doute pour
permettre la confrontation entre comptes du général et comptes de son questeur
que le dépôt de leurs comptes respectifs devait avoir lieu au même moment.
Ce texte permet aussi de comprendre que la comptabilité tenue par le questeur
militaire joue un rôle de premier plan dans le contrôle des comptes du butin. L’un
des objectifs de ces règles relatives à l’enregistrement des comptes est en effet
manifestement de permettre un contrôle public sur la gestion des bénéfices maté-
riels de la guerre. On peut d’ailleurs se demander si cette obligation de faire trans-
crire dans les registres des questeurs urbains des comptes dressés sur le théâtre
d’opérations par le questeur du général n’a pas été imposée d’abord au questeur
militaire, et plus tardivement au général lui-même : la fréquence des mentions lit-
téraires d’opérations financières des questeurs depuis la fin du IIIe siècle, opposée
à l’absence d’évocation de la comptabilité des généraux avant l’époque de Cicé-
ron pourrait s’expliquer ainsi. Quoi qu’il en soit, demeure la question du contrôle
politique des comptes du butin, car déposer ses comptes à l’aerarium est de toute
évidence une opération technique, qui n’est pas assimilable à une reddition de
comptes 175 . Quelle forme prenait ce contrôle et qui l’exerçait ? Quoi que suggère
le passage des Verrines ci-dessus évoquant la présence simultanée du général et

connaître certaines des rubriques selon lesquelles ces comptes étaient organisés : or coro-
naire, navires (sous-entendu réquisitionnés), butin, blé réquisitionné et imposé (Pis., 90).
172 Cic., fam., II, 17, 2 et 4 : Rationes mei quaestoris… nec tum erant confectae ; eas nos
Apameae deponere cogitabamus.
173 Cic., Caecil. divin., 28 : Quod iisdem litteris illius praetura et tua quaestura consignata sit,
reportare te velle ex Sicilia litteras suspicantur.
174 Texte 3.
175 Confusion opérée par FALLU 1973, p. 209. WILLEMS 1878–1885, 2, p. 457–463, en revanche,
distingue nettement les deux choses.
60 Marianne Coudry

de son questeur devant les sénateurs, on ne connaît aucun cas de reddition de


comptes de campagne au sénat. C’est par le biais des procès criminels que s’effec-
tue en réalité ce contrôle politique : Festus, pour expliquer ce que signifie le sigle
RR, explique qu’on le rencontre souvent dans les discours, et qu’il s’agit des
comptes transcrits (rationes relatae) qui permettent aux juges de connaître les
sommes versées et encaissées par le trésor public 176 . Et l’inquiétude de Tiberius
Gracchus à propos de la perte de ses registres à Numance semble relative à un
éventuel procès plus qu’à un contrôle par le sénat : il demande aux Numantins
leur restitution « pour éviter de prêter le flanc aux calomnies de ses adversaires
s’il ne pouvait se justifier au sujet de sa gestion » 177 . Le procès de Verrès, bien
qu’il ne concerne pas du butin, sauf dans un sens figuré que Cicéron exploite avec
insistance, est un exemple de l’utilisation judiciaire des comptes transcrits à
l’aerarium, et cette utilisation a dû être courante dans les procès de péculat 178 .

3.3. Documents publics et textes historiographiques

Reste la question de la relation entre ces documents officiels, ces tabulae publicae
ou litterae publicae, et les indications relatives à la gestion et au partage du butin
qui figurent dans les textes historiographiques. Plusieurs éléments indiquent que
cette relation existe. D’abord le caractère répétitif des formules employées par les
auteurs à propos du traitement du butin sur le champ de bataille – praeda ingens,
praeda militi ou militibus concessa, ou data, captiuis uenumdatis –, à propos du
butin rapporté à Rome – tulit ou intulit in aerarium –, de son exhibition dans la
procession triomphale – tulit prae se ou transtulit –, des distributions aux soldats
– militibus diuisit. Ensuite le classement des prises par catégories, avec l’indica-
tion des quantités, que ce soit sur le champ de bataille – par exemple à propos de
la prise de Carthagène par Scipion – ou au moment du triomphe, avec ces notices
qui suivent un ordre d’exposition quasiment inchangé de l’une à l’autre. Enfin
l’abondance et la précision des indications chiffrées.
Pourtant, il est évident que les auteurs ne tirent pas leurs informations directe-
ment des documents publics : en témoignent les divergences qui apparaissent par-
fois entre eux sur les montants qu’ils indiquent179 . Deux exemples en témoignent :
les prises effectuées à Carthagène, pour lesquelles Tite-Live fait état des indica-
tions discordantes qu’il a trouvées dans deux voire trois de ses sources 180 , et le
montant du butin rapporté par Paul-Émile, pour lequel trois auteurs citent trois

176 Fest., p. 340 L. : R duobus in compluribus orationibus, cum de actis disserti cuius etiam,
perscribi solet, id est rationum relatarum, quod his tabulis docentur iudices quae publica
data acceptaque sint.
177 Plut., Ti. Gracch., 6, 2 : ὡς μὴ παράσχοι τοῖς ἐχθροῖς διαβολήν, οὐκ ἔχων ἀπολογίσασθαι
περὶ τῶν ᾠκονομημένων.
178 FALLU 1973, p. 215 montre très bien comment le plan général des Verrines suit l’ordo des
comptes déposés à l’aerarium, et fait la même remarque à propos du discours contre Pison.
179 Ces divergences ont été remarquées depuis longtemps : cf. en dernier lieu BEARD 2007,
p. 39–40 et 171–173.
180 Liv., XXVI, 49, 1–6.
Partage et gestion du butin 61

chiffres différents 181 . L’une des raisons de ces divergences est que ces chiffres ont
été “travaillés”, afin manifestement de les rendre intelligibles pour le lecteur.
Plusieurs indices l’attestent : à propos du triomphe de Flamininus en 194, Tite-
Live donne une équivalence en deniers pour les tétradrachmes attiques 182 ; à pro-
pos de celui de Paul-Émile, il remarque une discordance entre le montant total
donné par Valerius Antias et le résultat auquel il parvient lui-même par addition
des valeurs des différentes catégories d’objets 183 ; à propos de celui d’Anicius
Gallus il indique ne pas comprendre comment Antias a procédé pour parvenir au
total 184 . Ces exemples montrent que ces manipulations sur les chiffres ne sont pas
dues à Tite-Live, mais sont le fait d’annalistes chez lesquels il a puisé son infor-
mation. Principalement Valerius Antias, qui semble convertir systématiquement
en sesterces les valeurs qu’il trouve 185 , sans doute aussi Sempronius Tuditanus,
que Tite-Live ne cite pas quand il convertit les tétradrachmes en deniers, mais
chez qui il a sans doute trouvé les chiffres 186 . Le “naufrage” de l’annalistique pré-
livienne interdit d’aller plus loin : s’il est clair qu’entre les documents de départ –
les comptes publics – et le texte livien une filiation existe, il est impossible de re-
construire les maillons de la chaîne. Il se pourrait bien d’ailleurs que l’origine de
ces formules et de ces chiffres, si nombreux dans les textes historiographiques
quand il s’agit de butin, ne soit pas à chercher dans les comptes publics, mais dans
ceux que constituaient les généraux pendant leurs campagnes, et auxquels ils don-
naient eux-mêmes une publicité. On a évoqué plus haut les acta triumphorum ,
ces bilans chiffrés de leurs victoires que les triomphateurs rédigeaient et présen-
taient dans la pompa 187 . Sans doute faut-il supposer, pour ceux qui n’obtenaient
pas le droit de triompher, d’autres moyens d’informer, comme les contiones.
Reste la question de l’importance que l’annalistique accorde à ces données : si
les annalistes les ont citées, s’ils les ont transformées pour rendre leurs lecteurs
plus sensibles à leur portée, que signifie ce souci de précision ? Sans aucun doute
une adhésion au système politique républicain et à ses modes d’expression de
l’idéologie de la victoire, où la mainmise sur les biens des vaincus est conçue
comme le résultat naturel et digne de célébration du succès à la guerre, et où le

181 Liv., XLV, 40, 1 ; Vell., I, 9, 6 ; Plin., nat. hist., XXXIII, 56.
182 Liv., XXXIV, 52, 6.
183 Liv., XLV, 40, 1. On explique certains écarts entre les chiffres donnés par des auteurs dif-
férents par des erreurs de conversion, notamment des talents en unités de compte romaines :
c’est le cas en particulier pour le butin de Paul-Émile et pour l’indemnité de guerre exigée de
Philippe V.
184 Liv., XLV, 43, 8.
185 ZEHNACKER 2005 a montré ainsi que, dans le texte de Tite-Live (XLV, 4, 1), le butin rap-
porté d’Espagne par Claudius Marcellus en 168 était évalué en sesterces pour l’argent, mais
en poids pour l’or, et que cette bizarrerie s’expliquait certainement par l’habitude d’Antias
(que Tite-Live ne cite pas, mais qu’il a dû utiliser comme il le fait souvent) d’opérer la con-
version des poids en valeurs monétaires – ce qu’il a fait pour l’argent –, mais que, du fait que
l’or n’était pas frappé à Rome à cette époque, il ne pouvait donner un équivalent monétaire
du poids d’or.
186 C’est Plutarque (Flam., 14, 2) qui le cite comme sa source pour les chiffres du butin de
Flamininus, et ceux-ci sont les mêmes chez Tite-Live.
187 Cf. notes 41–42 et 137.
62 Marianne Coudry

général, les soldats et le peuple sont considérés comme ses bénéficiaires légitimes.
On lit souvent que cette valorisation par les Romains de leur capacité à s’appro-
prier les possessions des vaincus est un révélateur du caractère éminemment pré-
dateur de Rome. Mais ce type d’analyse néglige l’importance que les prises de
guerre revêtent dans l’univers politique intérieur de la République : la compétition
aristocratique qui l’anime repose sur la publicité qui leur est donnée, parce que
c’est le peuple qui arbitre cette compétition. Les monarchies hellénistiques, l’Em-
pire romain n’ont pas été moins prédateurs que la République romaine – l’ampleur
des transferts de richesses entre le royaume perse et le monde grec qu’a provoqués
la conquête d’Alexandre est un fait de mieux en mieux connu. Simplement les
structures politiques de ces états sont radicalement différentes, et la glorification
de la conquête et de ses bénéfices matériels passe par d’autres canaux de commu-
nication politique.

TEXTES COMPLEMENTAIRES

Texte 1 : Cicéron, 2 Verr., I, 57

P. Seruilius quae signa atque ornamenta ex urbe hostium ui et uirtute capta belli lege atque
imperatorio iure sustulit, ea populo Romano apportauit, per triumphum uexit, in tabula publica ad
aerarium perscribenda curauit. Cognoscite ex litteris publicis hominis amplissimi diligentiam.
Recita. RATIONES RELATAE P. SERVILI. Non solum numerum signorum, sed etiam unius-
cuiusque magnitudinem, figuram, statum litteris definiri uides… Multo diligentius habere dico
Seruilium praedam populi Romani quam te tua furta notata atque perscripta.

Texte 2 : Cicéron, Pis., 61

Nummus interea, mi Caesar, neglectis ferculis triumphalibus, domi manet et manebit. Rationes ad
aerarium rettuli continuo, sicut tua lex iubebat, neque alia ulla in re legi tuae parui. Quas rationes
si cognoris, intelleges nemini plus quam mihi litteras profuisse. Ita enim sunt perscriptae scite et
litterate ut scriba ad aerarium qui eas rettulit, perscriptis rationibus, secum ipse caput sinistra
manu perfricans commurmuratus sit : “Ratio quidem Hercle apparet, argentum οἴχεται”.

Texte 3 : Cicéron, 2 Verr., I, 98-99

Solus est hic qui numquam rationes ad aerarium referat. Audistis quaestoriam rationem, tribus
uersiculis relatam ; legationis, non sine condemnato et eiecto eo qui posset reprehendere ; nunc
denique praeturae, quam ex senatus consulto statim referre debuit, usque ad hoc tempus non
rettulit. Quaestorem se in senatu exspectare dixit, proinde quasi non, ut quaestor sine praetore
possit rationem referre, – ut tu, Hortensi, ut omnes – eodem modo sine quaestore praetor. Dixit
idem Dolabellam impetrasse.
Partage et gestion du butin 63

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Partage et gestion du butin 65

TABLEAUX RECAPITULATIFS

Tableau I – Gestion du butin sur le champ de bataille

date vaincus vainqueur traitement référence


505 Sabins, camp consuls entièrement aux soldats Dion. Hal.,
ant., 5, 39, 3
504 Sabins, camp consuls ressources du peuple accrues Plut., Popl.
par le butin et les prisonniers 23, 2
503 Sabins consuls vente au profit du peuple et Dion. Hal.,
remboursement du tribut ant., 5, 47, 1
495 Volsques, camp et cos. P. Servilius entièrement distribué aux Dion. Hal.,
Suessa Pometia soldats, rien pour le trésor ant., 6, 29, 4-
5 ; Liv., 2, 25,
5
493 Volsques, Longula consuls aux soldats Dion. Hal.,
ant., 6, 91, 3
493 Volsques, Corioli consuls pillage Dion. Hal.,
don à Coriolan ant., 6, 92, 6 ;
6, 94, 1-2
488 Volsques Coriolan entièrement donné aux Dion. Hal.,
soldats ant., 8, 57, 1
485 Volsques, Èques cos. Q. Fabius vente du butin, des dépouilles Dion. Hal.,
et des prisonniers par le ques- ant., 8, 82, 4 ;
teur, argent rapporté à Rome Liv., 2, 42, 2
481 Èques cos. Sp. Furius butin entièrement donné aux Dion. Hal.,
soldats ; enrichit la patrie ant., 9, 2, 4-5
478 Véies, camp cos. L. Aemilius animaux, esclaves et objets Dion. Hal.,
aux soldats ant., 9, 16, 8
475 Sabins et Véiens, cos. P. Valerius dépouilles distribuées aux Dion. Hal.,
camp soldats ant., 9, 35, 3
471 Èques cos. T. Quinctius entièrement aux soldats Liv., 2, 60, 2
469 Volsques, Antium cos. T. Numicius pillage autorisé, prisonniers Dion. Hal.,
vendus aux enchères ant., 9, 56, 5
462 Volsques, Èques cos. L. Lucretius restitution aux propriétaires, Liv., 3, 10, 1
vente du reste
459 Èques et Volsques, cos. Q. Fabius butin et prisonniers, sauf Dion. Hal.,
camp Tusculans, aux soldats ant., 10, 21, 3
66 Marianne Coudry

date vaincus vainqueur traitement référence


459 Antium cos. L. Cornelius or, argent et cuivre pour le Dion. Hal.,
trésor ; esclaves et dépouilles ant., 10, 21, 6
vendus par les questeurs ;
vêtements, provisions, objets
aux soldats
458 Èques, Corbio dict. Cincinnatus dépouilles les plus Dion. Hal.,
remarquables envoyées à ant., 10, 25, 1
Rome ; tout le reste distribué
aux soldats
455 Èques, Algide consuls vente au profit du trésor Liv., 3, 31, 4
449 Sabins, camp cos. M. Horatius consécration d’une part des Dion. Hal.,
dépouilles ; le reste aux ant., 11, 48, 3
soldats ; butin rendu à ses
propriétaires
431 Volsques, camp dict. A. Postumius prisonniers vendus, sauf Liv., 4, 29, 4
cos. T. Quinctius sénateurs ; butin en partie
rendu aux Latins et aux
Herniques, en partie vendu
aux enchères par le dict.
426 Fidènes, ville et dict. Mam. une partie des prisonniers Liv., 4, 34, 4
camp Aemilius distribués aux cavaliers et aux
centurions, le reste vendu aux
enchères
418 Èques, camp dict. Q. Servilius butin aux soldats Liv., 4, 47, 4
414 Èques, Bolae tr. mil. Q. Servilius butin promis aux soldats, puis Liv., 4, 49, 9
refusé
410 Èques et Volsques, cos. C. Valerius butin intégralement vendu au Liv., 4, 53, 10
Carventum profit du trésor
406 Anxur tr. mil. Num. pillage autorisé Liv., 4, 59, 8-
Fabius 10
397 Tarquiniens tr. mil. butin restitué à ses Liv., 5, 16, 7
chargés de butin A. Postumius propriétaires ; le reste est
et L. Iulus vendu aux enchères et le
produit distribué aux soldats
396 Falisques et dict. Camille butin livré aux questeurs, Liv., 5, 19, 8
Capénates, camp faible part donnée aux soldats
396 Véies dict. Camille pillage autorisé, prisonniers Liv., 5, 21,
vendus au profit du trésor, 14 ; 22, 1 ;
butin aux soldats Plut., Cam. 7,
7
394 Falisques, camp tr. mil. Camille livré aux questeurs Liv., 5, 26, 8
389 Volsques, camp tr. mil. Camille laissé aux soldats Liv., 6, 2, 12
Partage et gestion du butin 67

date vaincus vainqueur traitement référence


388 Étrusques, tr. mil. butin pris par les soldats ; les Liv., 6, 4, 11
Contenebra tr. mil. n’osent pas le leur
reprendre
385 Volsques, camp dict. Camille butin laissé aux soldats, Liv., 6, 13, 6
prisonniers non
357 Privernum cos. C. Marcius entièrement aux soldats Liv., 7, 16, 3-
4
350 armée gauloise cos. M. Popilius entièrement aux soldats Liv., 7, 24, 9
346 Volsques, cos. M. Valerius butin aux soldats, prisonniers Liv., 7, 27, 8
Satricum pour triomphe
343 Suessula, camp cos. M. Valerius entièrement aux soldats Liv., 7, 37, 17
samnite
325 Vestini, Cutilia et cos. D. Iunius aux soldats Liv., 8, 29, 14
Cingilia Brutus
311 Pentri, Bovianum cos. C. Iunius entièrement aux soldats Liv., 9, 31, 5
310 Étrusques et cos. Q. Fabius or et argent rapportés au Liv., 9, 37, 10
Ombriens (Mt consul, le reste du butin aux
Ciminius), camp soldats
307 Sallentins, villes cos. L. Volumnius aux soldats Liv., 9, 42, 5
296 Murgantia procos. P. Decius butin aux soldats, contraints Liv., 10, 17,
de le vendre 6-7
296 Romulea idem idem ibid., 8-9
296 Ferentinum idem aux soldats ibid., 10
296 Étrusques et cos. Ap. Claudius aux soldats Liv., 10, 19,
Samnites, camp 22
296 Samnites chargés cos. L. Volumnius butin restitué à ses proprié- Liv., 10, 20,
de butin taires, le reste va aux soldats, 15-16
contraints de le vendre
295 Étrusques, Perusia cos. Q. Fabius prisonniers rançonnés, reste Liv., 10, 31,
du butin aux soldats 3-4
293 Samnites, cos. L. Papirius aux soldats Liv., 10, 45,
Saepinum 14
258 Mytistratos (Sicile) cos. A. Atinius vente des prisonniers, butin Zon., 8, 11
aux soldats
254 Panormos (Sicile) consuls une partie des habitants Diod. Sic.,
rançonnés, une partie vendue, 23, 18, 5
ainsi que les objets
68 Marianne Coudry

date vaincus vainqueur traitement référence


225 Gaulois (Télamon) cos. L. Aemilius dépouilles envoyées à Rome, Polyb., 2, 31,
torques et étendards placés au 3-5
Capitole, butin fait par les
Gaulois restitué à leurs pro-
priétaires, butin fait sur les
Boïens aux soldats, le reste
réservé pour le triomphe ;
218 Kissa (Hispanie) légat Cn. Scipio butin partagé entre les soldats Polyb., 3, 76,
13
215 Hirpins, 3 oppida pr. M. Valerius vente des prisonniers, reste Liv., 23, 37,
du butin aux soldats 13
214 Turdétans P. et Cn. Scipion pas de butin pour eux-mêmes Zon., 9, 3, 10
214 Hannon procos. Ti. butin aux soldats, sauf prison- Liv., 24, 16, 5
(Bénévent) Sempronius niers et bétail restitué à ses
propriétaires
214-3 Enna (Sicile) cos. Marcellus aux soldats Liv., 24, 39, 7
212 camp d’Hannon consuls butin (en partie) vendu et (en Liv., 25, 14,
près de Bénévent partie) distribué aux soldats 12
212 Syracuse (Sicile) procos. Marcellus trésor royal confié au ques- Liv., 25, 31,
teur et versé au trésor, ville 8 ; Plut.,
livrée au pillage Marc. 19, 7
211 Capoue procos. Q. Fulvius or et argent des sénateurs Liv., 26, 14, 8
livrés au questeur
210 Agrigente (Sicile) cos. M. Valerius vente des prisonniers et du Liv., 26, 40,
butin ; produit envoyé à 13
Rome
210 Marmorea et cos. Marcellus aux soldats Liv., 27, 1, 2
Meles
209 Carthagène procos. Scipion butin partagé entre les sol- Polyb., 10,
(Hispanie) dats ; tri des captifs, une 15-19 ; Liv.,
partie envoyée à Rome ; 26, 49, 9-10 ;
trésor remis aux questeurs App., Hisp.
23
209 Baecula procos. Scipion butin aux soldats ; tri des Polyb., 10,
(Hispanie), camp captifs, Espagnols renvoyés, 39, 9 ; 40, 1 ;
d’Hasdrubal Africains vendus Liv., 27, 19, 2
209 Tarente cos. Q. Fabius statue d’Hercule envoyée à Plut., Fab.
Rome et placée au Capitole ; 22, 6
pillage, prisonniers, verse-
ment au trésor (part non
précisée)
Partage et gestion du butin 69

date vaincus vainqueur traitement référence


207 camp d’Hasdrubal consuls vente des prisonniers ; traite- Polyb., 11, 3,
(Métaure) ment du reste du butin 2 ; Liv., 27,
inconnu 49, 6
203 2 cités d’Afrique ; procos. Scipion butin aux soldats ; ils le Liv., 30, 7, 2 ;
camps d’Hasdrubal vendent eux-mêmes Polyb., 14, 7,
et de Syphax 2
200 Antipatrea légat L. Apustius butin entièrement aux soldats Liv., 31, 27, 4
(Macédoine)
197 Macédoniens procos. Flamininus vente d’une partie des captifs Liv., 33, 11, 2
(Cynoscéphales) et du butin, le reste aux
soldats
195 Emporiae cos. Caton vente App., Hisp.
(Hispanie), camp 40
193 Lusitaniens (près cos. P. Scipio une partie restituée aux pro- Liv., 35, 1,
d’Ilipa) Nasica priétaires ; le reste vendu par 11-12
le questeur ; produit de la
vente distribué aux soldats
191 Étoliens, Hérakléia cos. Glabrio vente sur place d’une partie ; Liv., 36, 30, 1
le reste distribué aux soldats
190 Étoliens, Lamia procos. Glabrio idem Liv., 37, 5, 3
189 Étoliens, Ambracie cos. Fulvius statues et tableaux emportés Liv., 38, 9, 13
Nobilior
189 Galates cos. Manlius Vulso pillage spontané contre la vo- Liv., 38, 23,
(Olympos), camp lonté du consul ; vente d’une 10
partie du butin au profit du
trésor, le reste distribué aux
soldats
182 Urbicna pr. Q. Fulvius aux soldats Liv., 40, 16, 9
(Celtibères) Flaccus
177 Nesattium, Mutila, cos. C. Claudius entièrement aux soldats Liv., 41, 11, 8
Faveria (Istrie) Pulcher
168 Macédoniens cos. Paul-Émile dépouilles aux fantassins ; Liv., 44, 45, 3
(Pydna) cavaliers autorisés à faire du
butin alentour pendant 2 jours
168 Macédoniens cos. Paul-Émile or et argent des trésors Polyb., 18,
(Pella) royaux remis aux questeurs 35, 4-5 ; Liv.,
pour le trésor ; bibliothèque 44, 46, 6 ;
de Persée donnée par Paul-É- Plut., Aem.
mile à ses fils, coupe d’argent 28, 10-11
à son gendre Aelius Tubero
70 Marianne Coudry

date vaincus vainqueur traitement référence


167 Épirotes procos. Paul-Émile dans chaque cité or et argent Liv., 45, 34, 2
rassemblés, puis pillage auto- Plut., Aem.
risé ; vente de tout le butin ; 29, 2-5
distribution du produit
(deniers) aux soldats
153 Lusitaniens pr. L. Mummius distribution aux soldats de App., Hisp.
chargés de butin tout le butin transportable ; le 57
romain reste est brûlé comme
offrande
152 Nergobriges cos. M. Claudius vente des chevaux ; butin App., Ib. 48
(Hispanie) Marcellus distribué aux soldats
146 Carthage procos. Scipion or, argent et offrandes exclus Polyb., 18,
Émilien du pillage ; Scipion ne pré- 35, 9-10 ;
lève rien ; statues restituées App., Pun.
aux cités de Sicile ; vente du 133
reste du butin
142 Lusitaniens, cos. Q. Fabius une partie des prisonniers App., Hisp.
plusieurs villes Maximus exécutés, les autres vendus 68
garnisons de
Viriathe
133 Numance procos. Scipion une partie des prisonniers App., Hisp.
Émilien réservés pour le triomphe, les 98
autres vendus
107 Numides (Capsa) cos. Marius vente des prisonniers ; butin Sall., Iug. 91,
aux soldats 7
106 Tectosages, Tolosa cos. Caepio vente des lacs sacrés au profit Strab., 4, 1,
du trésor 13
102 Ambrons (Aix) cos. Marius pillage ; Marius réserve une Plut., Mar.
partie des armes et des dé- 21, 4 ; 22, 1
pouilles pour son triomphe,
brûle le reste
89 Asculum cos. Pompeius vente des prisonniers et du Oros., 5, 18,
Strabo butin ; ne verse rien au trésor 26
86 Athènes procos. Sylla pillage autorisé ; vente des Plut., Sull. 14,
captifs 4 ; App.,
Mith. 38
85 Athènes procos. Sylla Sylla s’approprie la Plut., Sull.,
bibliothèque d’Apellicon 26, 1
82 Tuder Crassus légat de Crassus s’approprie la plus Plut., Crass.,
Sylla grande partie du butin 6, 5
73 Bithynie et Galatie procos. Lucullus vente dans le camp (bétail, Plut., Luc. 14,
prisonniers) par les soldats 1
Partage et gestion du butin 71

date vaincus vainqueur traitement référence


72 Amisos (Pont) procos. Lucullus pillage spontané malgré Plut., Luc. 19,
Lucullus 4
71 Cabeira (Pont) procos. Lucullus pillage spontané (or emporté Plut., Luc. 17,
par Mithridate) 7
71 Héraclée du Pont procos. Aurelius tri : statues, or et argent ; Memnon,
Cotta vente du butin (FGrHist,
434 F 59)
69 Tigranocerte procos. Lucullus Lucullus s’empare du trésor Plut., Luc. 29,
(Arménie) royal, autorise le pillage ; dis- 3-4
tribution d’argent aux soldats
69 Zarbiénos procos. Lucullus Lucullus fait construire son Plut., Luc. 29,
tombeau avec l’or et l’argent 10
trouvés dans son trésor
66 Talaura (Arménie procos. Pompée inventaire du trésor de Mi- App., Mith.
Mineure) thridate ; pierres précieuses 115 ; Plin.,
consacrées au Capitole nat. hist. 37,
11
53 Zénodotia procos. Crassus pillage (imprécis) ; vente de Plut., Crass.
(Mésopotamie) la population 17, 5
53 Nerviens procos. César butin (bétail et hommes) aux Caes., Gall.
soldats 6, 3, 2
52 Alésia procos. César captifs distribués aux soldats Caes., Gall.
7, 89, 5
51 Amanus procos. Cicéron butin aux soldats ; captifs Cic., Att. 5,
vendus 20, 5
47 Pharnace (Zéla) dict. César trésor royal donné aux soldats Bell. Alex.77,
2
46 Juba cos. César vente du trésor royal Bell. Alex. 97,
1
43-42 Judée procos. C. Cassius vente des prisonniers Ios., ant. Iud.
14, 313
43-42 Tyr procos. C. Cassius vente des prisonniers et du Ios., ant. Iud.
butin 14, 321
37 Jérusalem procos. C. Sosius pillage autorisé ; Hérode, Ios., ant. Iud.
pour le limiter, récompense 14, 484-6 ;
les soldats à ses frais bell. Iud. 1,
355-6
72 Marianne Coudry

Tableau II – Gestion du butin à Rome

Pour éviter de surcharger le tableau, on n’y a pas reporté le détail des chiffres indiqués dans les
sources ; on a seulement précisé, quand c’est le cas, qu’il y figurait.

date contexte traitement référence


509 triomphe de Valerius dépouilles consacrées Dion. Hal.,
Publicola (Véies, ant., 5, 17, 2
Tarquinia)
499 triomphe – défilé : armes, prisonniers Dion. Hal.,
d’A. Postumius – mise à part de la dîme du butin ant., 6, 17, 2
(Latins) – dépense 40 talents pour jeux et sacrifices
– contrat pour construction temple
495 triomphe de dépouilles consacrées au Capitole Dion. Hal.,
P. Servilius Priscus ant., 6, 30, 3
(Volsques)
487 triomphe de défilé : dépouilles et prisonniers Dion. Hal.,
T. Sicinius ant., 8, 67, 9
(Volsques)
458 triomphe de – défilé : chefs ennemis, enseignes, armée Liv., 3, 29, 4 ;
Cincinnatus (Èques) chargée de butin Dion. Hal.,
– refuse terres, esclaves et part des dépouilles ant., 10, 25, 3
offertes par le sénat
396 triomphe de Camille pontifes ordonnent que chacun verse 1/10 du Liv., 5, 23, 8-
(Véiens) butin reçu pour une offrande à Apollon 11 ; Plut., Cam.
8
389 triomphe de Camille – défilé : prisonniers Liv., 6, 4, 2-3
(Volsques, Èques et – vente des prisonniers ; produit utilisé pour
Étrusques) rembourser les matronae, et pour une offrande
à Junon (au Capitole)
346 triomphe de – défilé : prisonniers Liv., 7, 27, 8
M. Valerius Corvus – vente des prisonniers au profit du trésor
(Antium, Volsques,
Satricum)
309 triomphe de Papirius – défilé : armes Liv., 9, 40, 15-
Cursor (Samnites) – boucliers dorés distribués aux argentarii pour 16
orner le forum
295 triomphe de Fabius distribution aux soldats ex praeda (somme Liv., 10, 30, 10
Maximus (Samnites, indiquée) + manteau et tuniques
Étrusques, Gaulois)
Partage et gestion du butin 73

date contexte traitement référence


293 triomphe de Papirius – défilé : dépouilles, nobles captifs, bronze Liv., 10, 46, 5-
Cursor (Samnites) (= produit de la vente des prisonniers ; poids 7
indiqué), argent pris aux villes (poids indiqué)
– versement de la totalité au trésor
293 triomphe de – versement au trésor : bronze (poids indiqué) Liv., 10, 46,
Sp. Carvilius – contrat pour construction temple de manubiis 14-15
(Samnites) avec le reste
– distribution aux soldats, centurions, cavaliers
ex praeda (somme indiquée)
264 triomphe de dédicace de 2 objets sans doute pris sur le butin CIL VI, 8, 3,
M. Fulvius Flaccus n°40895
(Volsinies)
260 triomphe naval de – défilé : prisonniers Inscr.It. XIII,
Duilius (Siciliens et – versement ( ?) de monnaies d’or, d’argent et 3, 69
flotte punique) de bronze (sommes indiquées)
225 triomphe de – défilé : dépouilles Polyb., 2, 31,
L. Aemilius – torques et étendards placés au Capitole 3-5
(Gaulois)
211 ouatio de Marcellus exhibition du butin : matériel de guerre, objets Liv., 26, 21, 6-
(Syracuse) d’argent et de bronze, mobilier et vêtements 9
(venant du trésor royal), statues ayant orné
Syracuse
207 - triomphe de – versement (commun ?) au trésor (somme Liv., 28, 9, 16-
M. Livius Salinator indiquée, en sesterces et as) 17
(Carthaginois et – distribution aux soldats de Livius (somme
Hasdrubal) indiquée, en as), promesse de la même somme
- ouatio de par Claudius
C. Claudius Nero
206 retour de Scipion versement au trésor : argent (poids indiqué) et Liv. 28, 38, 5
(Espagne) monnaies d’argent (grand nombre)
201 triomphe de Scipion – versement au trésor : argent (poids indiqué) Liv. 30, 45, 3
(Hannibal, – distribution aux soldats (somme indiquée, en
Carthaginois et as) ex praeda
Syphax)
200 ouatio de – versement au trésor : argent et or (poids Liv., 31, 20, 7
L. Cornelius indiqué)
Lentulus (Espagne) – distribution aux soldats (somme indiquée, en
as) ex praeda
200 triomphe de L. versement au trésor : bronze monnayé (somme Liv., 31, 49, 2
Furius Purpureo indiquée, en as) et argent monnayé (somme
(Gaulois) indiquée, unité non précisée)
199 retour de L. Manlius versement au trésor : argent et or (poids indiqué) Liv., 32, 7, 4
Acidinus (Espagne)
74 Marianne Coudry

date contexte traitement référence


197 triomphe de C. – défilé : dépouilles et nobles captifs ; bronze Liv., 33, 23, 7
Cornelius Cethegus monnayé (montant indiqué, en as), argent
(Insubres et monnayé (montant indiqué, en bigati)
Cénomans) – distribution aux soldats, centurions, cavaliers
(sommes indiquées, en as)
197 triomphe in monte – défilé : dépouilles et enseignes, bronze Liv., 33, 23, 8-
Albano de monnayé (montant indiqué, en as), argent 9
Q. Minucius Rufus monnayé (montant indiqué, en bigati)
(Gaulois et Ligures) – même distribution
196 ouatio de C. défilé : or et argent (poids indiqué) Liv., 33, 27, 2
Cornelius Blasio
(Espagne citérieure)
196 retour de L. – versement au trésor : argent (poids indiqué) Liv., 33, 27, 3-
Stertinius (Espagne – construction de deux arcs décorés de statues 4
ultérieure) dorées de manubiis
196 triomphe de – défilé : dépouilles, enseignes, bronze monnayé Liv., 33, 37, 11
M. Claudius (montant indiqué, en as), argent monnayé
Marcellus (Insubres) (montant indiqué, en bigati)
– distribution aux soldats, cavaliers, centurions
(montant indiqué, en as)
195 ouatio de M. Helvius versement au trésor : argent (poids indiqué) et Liv., 34, 10, 4
(Espagne ultérieure) argent monnayé (montant indiqué, en bigati et
oscenses)
195 triomphe de défilé : argent (poids indiqué), argent monnayé Liv., 34, 10, 7
Q. Minucius (montant indiqué, en bigati et oscenses)
Thermus (Espagne
ultérieure)
194 triomphe de Caton – défilé : argent (poids indiqué), argent Liv., 34, 46, 2
(Espagne citérieure) monnayé (montant indiqué, en bigati et
oscenses), or (poids indiqué)
– distribution aux soldats, cavaliers (montant
indiqué, en as)
194 triomphe de – défilé : 1er jour, armes, statues de bronze et de Liv., 34, 52, 4-
Flamininus marbre prises à Philippe et aux cités ; 2ème 8
(Macédoine et jour, or et argent travaillés, bruts, et monnayés
Philippe) (montants indiqués) ; 3ème jour, couronnes
(nombre indiqué) ; victimes, captifs, armée
– distribution aux soldats, centurions, cavaliers
(montant indiqué, en as)
191 ouatio de M. Fulvius défilé : argent (poids indiqué), argent monnayé Liv., 36, 21,
Nobilior (Espagne (montant indiqué, en bigati), or (poids indiqué) 11 ; 39, 2
ultérieure)
Partage et gestion du butin 75

date contexte traitement référence


191 triomphe de – défilé : armes, enseignes, dépouilles, vases Liv., 36, 40,
P. Cornelius Scipio gaulois en bronze, captifs, chevaux ; torques 11-12
Nasica (Boïens) en or (nombre indiqué), or (poids indiqué),
argent brut et travaillé (poids indiqué), argent
monnayé (montant indiqué, en bigati)
– distribution aux soldats, centurions, cavaliers
(montant indiqué, en as)
190 triomphe de défilé : enseignes, argent (poids indiqué), argent Liv., 37, 46, 3-
M’. Acilius Glabrio monnayé (montants indiqués, en tétradrachmes 4
(Étoliens et attiques et cistophores), vases d’argent, mobilier
Antiochos) d’argent et vêtements du roi, couronnes d’or des
cités (nombre indiqué), dépouilles, captifs nobles
(nombre indiqué)
189 triomphe naval de défilé : couronnes d’or (nombre indiqué), argent Liv., 37, 58, 4
L. Aemilius Regillus monnayé (montant indiqué, en tétradrachmes
(Antiochos) attiques et cistophores)
189 triomphe de – défilé (toutes les quantités sont indiquées) : Liv., 37, 59, 2-
L.Cornelius Scipio enseignes, représentations de villes, défenses 6
(Antiochos) d’éléphant, couronnes d’or, argent brut, Plin., nat. hist.
monnayé, et travaillé, or brut, captifs nobles 33, 148
– distribution aux soldats, centurions, cavaliers
(montant indiqué, en deniers) + doubles solde
et ration
187 triomphe de – défilé : couronnes d’or (nombre indiqué), or et Liv., 39, 5, 7-
M. Fulvius Nobilior argent (poids indiqué), argent monnayé 11 ; 14-17
(Étoliens et (montant indiqué, en tétradrachmes attiques et
Céphallénie) philippes), statues de bronze et de marbre
(nombres indiqués), armes et dépouilles,
captifs nobles (nombre indiqué)
– distribution aux soldats, centurions, cavaliers
(montant indiqué, en deniers) ex praeda
– somme réservée aux jeux et non versée au
trésor plafonnée par le sénat
187 triomphe de – défilé : couronnes d’or (nombre indiqué), or et Liv., 39, 7, 1-2
Cn. Manlius Vulso argent (poids indiqué), argent monnayé
(Galates) (montant indiqué, en tétradrachmes,
cistophores et philippes), armes et dépouilles,
chefs captifs (nombre indiqué)
– distribution aux soldats, centurions, cavaliers
(montant indiqué, en deniers) + double solde
185 ovatio de L. Manlius – défilé : couronnes d’or (nombre indiqué), or et Liv., 39, 29, 6
Acidinus (Espagne argent (poids indiqué)
citérieure) – annonce du versement par son questeur d’or et
d’argent (poids indiqué)
76 Marianne Coudry

date contexte traitement référence


184 triomphe de défilé : couronnes d’or (nombre indiqué), argent Liv., 39, 42, 3
C. Calpurnius Piso (poids indiqué)
(Lusitaniens et
Celtibères)
184 triomphe de défilé : mêmes choses en mêmes quantités Liv., 39, 42, 4
L. Quinctius
Crispinus (Espagne
citérieure)
182 ouatio défilé : argent et or (poids indiqué), couronnes Liv., 40, 16, 11
d’A. Terentius Varro d’or (nombre indiqué)
(Espagne citérieure)
181 triomphe de Paul- – défilé : couronnes d’or (nombre indiqué), Liv., 40, 34, 8
Émile (Ligures chefs captifs ; ni or ni argent
Ingauni) – distribution aux soldats (montant indiqué, en
as)
180 triomphe de Q. – défilé : couronnes d’or (nombre indiqué), or et Liv., 40, 43, 6
Fulvius Flaccus argent (poids indiqué), argent monnayé
(Celtibères) (montant indiqué, en oscenses)
– distribution de praeda aux soldats, centurions,
cavaliers (montant indiqué, en as) ; mêmes
sommes aux Latins + double solde à tous
179 triomphe de – défilé : armes en grandes quantités, presque Liv., 40, 59, 2
Q. Fulvius Flaccus pas d’argent
(Ligures) – distribution aux soldats, centurions, cavaliers
(montant indiqué, en as)
178 triomphe de – défilé : argent (poids indiqué) Liv., 41, 7, 2-3
Ti. Sempronius – distribution aux soldats, centurions, cavaliers
Gracchus (montant indiqué, en deniers) ; mêmes
(Celtibères) sommes aux Latins
178 triomphe de – défilé : argent (poids indiqué) Liv., 41, 7, 2-3
L. Postumius – même distribution
Albinus (Celtibères)
177 triomphe de – défilé : argent monnayé (montant indiqué, en
C. Claudius Pulcher deniers et victoriats)
(Istriens et Ligures) – distribution aux soldats, centurions, cavaliers
(montant indiqué, en deniers) ; moitié moins
aux Latins
174 ovatio – défilé : argent et or (poids indiqué) Liv., 41, 28, 6
d’Ap. Claudius – versement au trésor
Cento (Celtibères)
168 retour de versement au trésor : or (poids indiqué), argent Liv., 45, 4, 1
M. Claudius (valeur indiquée en sesterces)
Marcellus (Espagne)
Partage et gestion du butin 77

date contexte traitement référence


167 triomphe de Paul- – défilé (toutes les quantités sont indiquées chez Diod. Sic., 31,
Émile (Macédoine et Diodore et Plutarque ; ordre légèrement 8, 11-12 ; Plut.
Persée) différent) : 1er jour, armes ; 2ème jour, argent Aem. 32, 4-34,
brut, monnayé et travaillé, statues ; 3ème jour, 7 ; Liv., 45, 40,
animaux du sacrifice, or monnayé et travaillé, 5
objets royaux, captifs de marque, couronnes
d’or
– distribution aux soldats, centurions, cavaliers
(montant indiqué, en deniers)
167 triomphe naval de – défilé : ni captifs ni dépouilles Liv., 45, 42, 2-
C. Octavius – distribution aux marins, pilotes, capitaines 3
(Macédoine et (montant indiqué, en deniers)
Persée)
167 triomphe de – défilé : dépouilles, mobilier du roi, or et argent Liv., 45, 43, 4-
L. Anicius Gallus (poids indiqué), argent monnayé (montant 8
(Illyriens et indiqué, en deniers et monnaies illyriennes)
Genthius) – versement au trésor de l’or et de l’argent, et du
produit de la vente du butin (doutes de Tite-
Live sur cette indication de Valerius Antias)
– distribution de praeda aux soldats, centurions,
cavaliers, Latins, marins (montant indiqué en
deniers)
146 triomphe de Scipion défilé : argent (poids indiqué) Plin., nat. hist.
Émilien (Afrique) 33, 141
132 triomphe de Scipion distribution aux soldats (montant indiqué) Plin., nat. hist.
Émilien (Numantins) 33, 141
104 triomphe de Marius défilé : or et argent (poids indiqué), argent Plut., Mar. 12,
(Numides et monnayé (montant indiqué, en drachmes) 6
Jugurtha)
81 triomphe de Sylla défilé : or et argent (poids indiqué) Plin., nat. hist.
(Mithridate) 33, 16
63 triomphe de – défilé : armes, statue en or de Mithridate, Plut., Luc. 37,
Lucullus (Mithridate objets précieux (nombre indiqué), lits d’or, 4-6
et Tigrane) lingots d’argent, argent monnayé (valeur indi-
quée en drachmes), tableaux indiquant les
sommes versées à Pompée et au trésor, et la
somme donnée à chaque soldat (montant
indiqué en drachmes)
– banquet aux citoyens
78 Marianne Coudry

date contexte traitement référence


61 triomphe de Pompée – défilé selon Plutarque : pancartes avec liste Plut., Pomp.
(Asie, Pont, des pays vaincus, nombre des villes prises, des 45 ; App.,
Arménie, navires capturés, des cités fondées, Mith. 116-117 ;
Paphlagonie, accroissement des revenus publics (sommes Vell. 2, 40, 3
Cappadoce, Cilicie, indiquées en drachmes), montant versé au
Syrie, Scythes, Juifs, trésor (somme indiquée en talents) ;
Albanie, pirates) prisonniers de marque, trophées
– défilé selon Appien : objets précieux royaux,
statue en or de Mithridate, argent monnayé
(valeur indiquée), armes, captifs,
représentations de ceux qui ont fui ou sont
morts, tableau énumérant les navires capturés,
les villes fondées, les rois vaincus
– versement au trésor (Velleius)
46 triomphe de César – défilé : argent (poids indiqué), couronnes App., civ. 2,
(Gaule, Egypte, (nombre indiqué et poids total) 102 ; Plut.,
Pont, Afrique) – distribution aux soldats, centurions, cavaliers Caes. 55, 1 ;
(montant indiqué), et aux citoyens (montant Vell., 2, 56, 2
indiqué) ; banquet, spectacles
– versement au trésor (somme totale)

Tableau III – Gestion du butin : procès pour appropriation

date général / vaincus Type de procès / chef d’accusation référence


issue
491 Coriolan / Antium procès tribunicien / avoir distribué la tota- Dion. Hal., ant., 7,
condamnation lité du butin à ses amis 63, 2-64, 6
au lieu de le verser au
trésor
391 Camille / Véies procès tribunicien, ou appropriation du butin Val. Max., 5, 3,
questorien / (peculator) ; ne pas 2a ; Plut., Cam.,
condamnation l’avoir versé au trésor,12, 1 ; Plin., nat.
(amende) ou mauvais partage hist., 34, 13 ; Flor.,
1, 22 ; Cass. Dio,
6, fr. 24, 4
218- M. Livius procès tribunicien / appropriation au détri- Frontin., strateg.,
217 Salinator / Illyriens condamnation ment des soldats ; 4, 1, 45 ; Suet.,
(amende) peculatus Tib., 3, 4 ; Vir.ill.,
50, 1
189 M’. Acilius procès tribunicien / appropriation d’une Liv., 37, 57, 12-14
Glabrio / accusation partie de la pecunia
Antiochos abandonnée regia et du butin, non
versés au trésor
Partage et gestion du butin 79

date général / vaincus Type de procès / chef d’accusation référence


issue
187 P. Scipion / procès tribunicien n’avoir pas versé au Liv., 38, 50, 4-51,
Antiochos trésor une partie du 14 ; ; Gell., 4, 18,
butin 3 ; Liv. per. 38 ;
Zon., 9, 20
187 L. Scipion / quaestio ou procès appropriation de Liv., 38, 54, 3-55,
Antiochos tribunicien / pecunia regis Antiochi 8 ; ; Liv. per. 38 ; ;
condamnation (peculatus), et d’une Zon., 9, 20
partie du butin
187 Cn. Manlius Vulso quaestio / n’a pas lieu craint une accusation Liv., 39, 6, 4
/ Galates
104- Q. Servilius quaestio extra appropriation du trésor Cic., nat. deor., 3,
103 Caepio/ Tolosa ordinem / d’Apollon 74 ; Oros., 5, 15,
condamnation 25 ; ; Strab., 4, 1,
13 ; Cass. Dio 27,
fr.90
86 Pompée / Asculum quaestio / détention de butin Plut., Pomp., 4, 2-6
acquittement donné par son père
Pompeius Strabo
70- M. Aurelius Cotta / quaestio / appropriation du butin Memmnon, 59
62 Héraclée du Pont condamnation (FgrH, 3B, 434)
66 Lucullus / procès tribunicien / appropriation de butin Plut., Luc., 37, 2 ;
Mithridate accusation Cat. min., 29, 5-7
abandonnée
66 Faustus Sulla menace de procès part de butin héritée de Cic., leg.agr., 1,
son père 12 ; 2, 59 ; Cluent.,
94

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