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Marguerite Yourcenar Le Teraps, ce grand sculpteur Cevolume d'essis, of souvent] 'intensité de faéflexion apporte 4 la phrase une force poétique, aborde les sujts les pls vaigs. Sur quelgues lignes de Bie le Venéable montve dune fagon sii sante le moment oi le christianisme arrive dans le nord tle VAngletere. Sixineest une méditation suc lave, labeauté,a tra- vers MichelAnge et ses élves. Suit une étude su Tome ange dans le roman historique, avec, en appendice, les extraondinaijes minutes de séances de torture subies par Campanella en 1600 Le Tops rend soup pare ds changement, del'usure que les icles apportent méme aux statues. Lauteur médite Surin sue deDiirrapporte des prolongements l'étude d'Ivan Moctis sur La nobles de cher, adie un cas de craauté feminine, celui 4 Blisabeth Bathory, et prend énergiquement a défense desani- Une séquence sur les Fates dean qui tourne, unc réflexion surdes jeunes qui se sont immolés par le feu, Vévocation d'un viewx trate eynégéxique, une approche du Tantrisme, Vérotisme du Moyen Age hindou: tels sont quelquessuns des sujet traits : a Marguerite Yourcenar Le'Temps, ‘ce = ‘and sculpteur 88 La nobles de Véchec _ iaponais,et que notre Ovcident n’en offre pas dexemple, let seuls vaineus que nous honorions étant, selon ti, ceux dont Ia cause au moins e finalementtriompheé. L'smour des cau- ses perdues et le respect de ceux qui meurent pour elles me parait au contraire de tous les pays t de tous les temps. Pew 4 équipéesfurent plus absurdes que celle de Gordon a Khar- toum, mais Gordon fait grande figure dans Uhistoire de Angleterre du 21% sécle. La Rochejaquelein et le -Gars > des Chowans de Balaac sont sizement des vainews, et, avec eux, leur cause, & moins qu’on ne considére comme un triomphe les quelques années de régne de Louis XVII et de ‘Charles X :ils nen parlent pas moins fortement & notre ima: ination, Tl en va de méme des Girondins et des guillotings du 9 Thermidor, dont on ne peut pas dite que les vues poli- tiques sient triomphé, mais qui comptent parmi les grands mythes humains de la Révolution. Et ces probablement bien plus Waterloo et Sainte-Hélene que Wagram qui ont fait de Napoléon un theme cher aux podtes du xix" sécle. Jai fait dire A un empereur romain dont évoquais "histoire ui arrive un moment oi «Ia vie pour chaque homme est tune défaite acceptée ». Nous le savons tous, et cet ce qui ous fit apprécier ceux qui Pont consciemment choisie et parfois assume de bonne heure. Il a un coin de «sympa thie pour le lieutenant» dans note coeut & tous, 1980 vil Bétes @ fourrure { ‘On me demande de collaborer & un recueil inttulé Les CCOLEREUSES. Je n'aime pas ce te : Fapprouve lindige tion, qui n'a de nos jours que trop doceasions de s'exercer, mais je ne puis pas dite que japprouve Ia colére, cete petite inruption individuelte qui disqualifi,essoufie et aveugle. Je ime pas non plus fe fait que ce recueil soit entérement éservé a des écrivains femmes. Ne réablissons pas les com- pertiments pour dames seules. Si féeris pourtant ces quelques lignes, c'est parce que Fimagine, & tort ou & raison, qu'un livre Grit par des fem- ret sera li par des femmes, et c'est & elles surtout que la protestaion qu'on va lie adresse. Quand id m’arrve, le plus souvent dans le safon dattente d'un dentste ou dun rmédecin, de feilleter un journal de modes féminines, sur- tout ceux dits de luxe et sur papier glacé, je paste rapide- ‘ment, tahant de ne pas voir, comme s'il 'agissait de photo- sraphies pornos, devant des annonces & page eniée, et pour lesquelles ont été prodiguées toutes les séductions da techni 92 Bates fourrure color. Ge sont celles oi se pavanent des individus féminins dans de somptueux manteaux de fourrure. Ces jeunes per~ fonnes, que tout eil doué de double vue voit dégouttantes de sang, portent les dépouilles de cxéatures qui ont respiré, mange, dormi, cherche des partenaires de jeux amoureux, simé leurs petits, parfoisjusgu’a se faire tuer pour les défen- Gre, et qui, comme leit dit Villon, sont» morte & douleur», Cestidire avec douleur, comme nous le ferons tous, mais imortes d'une mor sauvagementinfigée par nous. | Pis encore, nombre de ces peaux proviennent de bétes dont la race, qui depuis des millers d’années antdatat la ne, va véteindre et disparate, si nous ay mettons ordre, vant que les aimables personnes qui les portent aient ateint Page des rides. En moins d'une génération, la matiere pre- miére de ces «objets de standing», comme on dit, et comme il ne faudrait pas dite, sera non seulement « introuvable» ou ‘ inabordable », elle ne sera plus. A nous tous, qui donnons not efforts et siotre argent (mais jamais assez des uns ni de autre) pour essayer de sauver Ia diversi et la beauté du monde, ces massacres épugnent. Mais je ignore pas que ces jeunes femmes sont des mannequins: elles se parent de ces sealps parce que c'est leur métier, comme ailleurs elles ‘Soment d'un soutien-gorge et d'un cache-sexe, prénommé, ce dernier, en Phonneur dune explosion atomique (autre plaisante astociation d'idées, un bikini. Ces innocentes en service commandé (mais qui tans doute voudraient bien que ces cofiteux manteaux leu appartennent)n’en représentent ‘pat moins tout un peuple de femmes, celles qui mangent des {yeux ces images en révant d'un luxe pour elles inaccessible, tet celles qui possédent ce genre de dépouilles, et les exh bent comme une preuve de fortune ou de rang social, de succés sexuel au de sucoés de carrive, ou encore comme un Bees @ fourrure 98 accestoire sur lequel elles comptent pour s‘embelliret pour charmer Entfin, enlevons a ces dams leur dernier chiffon excuse. De 10s jours, et méme si elles vivent, non a Pars, mais a Groenland, eles n'ont pas besoin de ces pesux pour se réchaulffer 1 peau. Assez de bonne Inne, de bonne fibre, de vétements conservant ou iradiant la chaleur existent pour qu’elles ne soient pas obligées de se transformer en bétes& ourrure, comme etait sans doute le cas pour les rombitres de la prdbistoire. Mais je m’en prends aux femmes les trappeuts sont des hommes ; les chasseurs sont des horames, les fourreurs aur, [Lthomme flat d'entrer dans un restaurant avec une femme hiérssée de pois de béte est éminemment un homme, bien que pas nécessirement un homo sapiens. Dans ce domaine comme dans tant dauttes, les sexes sont & égalité 1976 146. tes de Van qui tourne papier de riz de civilisations différentes. Ce qui était ferveur ext devenu dérision. Dans ce grand pays qui secroit matéria- liste, ces vampires, ces fantmes et ces squeletes du carnaval automne ne savent pas ce quils sont des espits des morts ‘déchainés qu’on consent & noursir pour les chasser ensuite ‘avec un mélange de rigolade et de erainte, Les rites et les ‘masques sont plus forts que nous, 1982 XI Qui sait si Vame des bétes va en bas ? (Quint Fe df Adon 09 ony eds es wen as? Bessie, 23, Un conte des Mille et Une Nuits rapporte que la Terre et les animaux teemblérent le jour oli Diew eéa lomme. Cet- te admirable vision de poéte prend toute sa valeur pour ‘ous, qui savons, bien mieux que leconteur arabe du Moyen Age, i quel point la Terre et les animaux avaient raison de ‘trembles. Quend je vois du bétail et des chevaux dans un ‘champ, beau spectace seni de tout temps par les peintres et les pottes comme «une idylle-, mais devenu rare, hélas, dans notre milieu occidental, quand il ‘arrive meme de voir quelques poules picorant encore lbrement dans une cour de ferme, je me dis, cers, que ces bétes sacrfiges & VPappétit de Phomme, ou usées 4 son service, mourront un jour «de male mort», saignées, assommées, Eranglées, ou, selon 'ancien usage, quand il agit de chevaux qu’on n'en~ voie pas aux + boucheries chevalines» tuées d'un coup de feu le plus souvent maladroit, qui n'est presque jamais un 150 Qui cait si Pame des bites va en bas ? véritble « coup de grice », abandonnées dans les solitudes dela sierra, comme le font encore les paysans de Madére, ou méme (en uel pays m'a-ton raconté le fat?) pousées & la pointe de Vaiguillon vers le précipice ol elles sabimeront fracassées, "Mais je me dis aussi qu'en ce moment, et peut-étre pen- dant des mois ou des années encore, ces bétes auront vécu ‘en plein air, en plein soleil ou en pleine nuit, maltrai ‘souvent, bien traitées parois, pacourant & peu prés nor Tement les cycles de leur existence animale, comme nous nous résignons & accomplir les cycles de notre propre vie. Mais cette relative « normalité» n'est plus de mise chez nous, of Teffroyable surproduction (qui finalement @ail- Teursavilit aussi et te "homme fait des animaux des pro- duitsfabriqués 4 lachaine, vivant leur bre et pauvre exis- tence (il faut bien que 'éleveur rentre dans ses frais le plus 16t possible) dans Vinsupportabe éclat de lalumigre électri- (que, bourrés hormones dont leur viande nous transmet les dangers pondant et «faisant sous eux », comme le distient autzefois ls infirmiéres et les noutrces, privés, dans le cas des volullesconfinées les unes contre les autres, du bec et des ongles que, durant leur horrible vie empaquetée, elles tournersient contre leurs compagnes de mise ; ou encore, ‘comme les beaux chevaux de la Garde Républicaine, veils cet cassés, envoyésagoniser, parfois deux ans, dans une salle de Pinstirut Pasteur, avec pour seule diversion d@tresaignés chaque jour, jusqu's ce qu'enfin, vides de sang, ils ffon- Arent, loques cheralines victimes de nos progres dans T'im- munologie, et les hommes de la Garde eux-mémes fécrient: « Nous aimerions beaucoup mieux qu'on les en- ie tout droit & la boucherie Et, certes, nous avons presque tous utlisé des sérums, tout Qui sait si ame des bites wa en bas? AS fen appelant de nos voeux lépoque oi ce progrés médical pastera de mode, comme tant d'autres ont pase; la plupart entre nous mangent de la viande, mais certains sy refu- sent, et songent, doucement ironiques,& tous les déchets de Pépouvante et de Pagonie, & toutes les celiules usées d'un cele mutt arrivé Asa fin aboutissant aux michoires de ces évorateurs de bitecks. Tei comme ailleurs, Péquilibre 2 &1¢ rompu; Phortible matiére premiére animale ext un fait nouveau, comme la forét anéantie pour fournir Ia pite nécessare i nos quoti- diens et & nos hebdomadsires gonfiés de réclames et de faus- tes nouvelles; comme not océans ol le poisson est sacriRé faux pétalies. Pendant des millenares, "homme a consid tla béte comme sa chese, mais un étoit contact subsist, Le cavalier aimait, tout en en abusant, sa monture; fe chas- eur dautrefois connaissait les modes de vie du gibir, et ‘aimait > isa maniére les bétes qu’l se fasat gloire d'abat- tre: une sorte de familiarté se mélait 3 Phorreur; la vache envoyée chez le boucher une fos définitivement vide de at, fe cochon saigné pour la fete de Noél (et la femme du manant du Moyen Age sassied traditionnellement sur ses pattes pour Vempécher de gigoter) ont été d'abord «les pau- res bétes » pour lesquelles on allait couper Pherbe ou dont fon préparait le repas de déchets. Pour plus d'une fermiére, la vache contce laquelle elle 'appuyait pour traire a &té une sorte de muette amie. Les lapins en cage n'@aient qu’ deux pas du garde-manger od ils finiraient, « hachés menu com- ‘me chair & paté , mais ils étaient entre temps ces bétes dont ‘on aimait & voir remuer les babines roses quand a travers leur grille on leur tendait des feuilles de laitue. ‘Nous avons changé tout cela les enfants des villes n'ont jamais vu une vache ou tn mouton ; of, on n’sime pas ce 152 Qui sits time des bites 0a bas ? dont on a jamais eu Voccasion de Sapprocher ou qu'on n'a jamais cates, Le cheval, pour un Parisien, est plus gure que cette béte mythologique, dopée ex poussée aula de ses forces, sur laguelle on gagne un peu d'argent quand on = ‘misé juste & occasion d'un grend prix. Débitée en tranches toigneusement enseloppées de papier cristal dans un super~ marché, ou conservée en boite, la chair de Vanimal cesse ‘ee sentie comme ayant &1é vivante, On en vient ise dire ‘que nos éals de boucherie, of pendent a des crocs des quar- tiers de bétes qui ont a peine fin de saigner, si aroces pour ‘qui n'en a pas Phabitude que certains de mes amis rangers ‘changent de trttoic, i Pats, en les apercevant de loin, sont peut-tre une bonne chose, en tant que témoignages visibles de Ia violence faite & animal per Thomme. ‘De méme, les manteaux de fourcure présentés avec des soins exquis dans les vitrines des grands fourreurs semblent 4 mille ieues du phoque assommé sur la banguise, & coups de matraque, ou du raton laveur pris dans une trappe et ongeant une patte pour estayer de recouvrer la liberté. La belle qui se maquille ne sait pas que ses cosmétiques ont &é cexsayés tue des lapins ou des cobayes mort sacrifiés ou aveu ales. L'inconscience, et conséquemment la bonne conscien- ce, de l'acheteur ou de Tacheteuse est tale, comme est totale, par ignorance de ce dont ils parlent et par manque imagination, innocence de ceux qui prennent I peine de iustfer les goulags de diversesexpéces, ou qui préconisent Femploi de larme atomique. Une civilisation de plus en plus loignée du réel fait de plus en plus de victimes, y eom- pris elle-meme. Et cependant, 'smour des snimaux est aussi vieux que la 1¢. Des milliers de témoignages écrits ou parlé$, ‘et de estes apergus en font foi Il aimait son Qui sait si ame des bétes va en bas? 183 fine ce paysan marocain qui venait de 'entendre condamner mort, parce qu'il avait, des semaines durant, verse sur ses Tongues oreilles couvertes de plaies de I"huile de carburant, jugée plus efficace, éant plus chére, que hulle @olive qui abonde dans sa petite ferme. L’horcble nécrose des oreilles avait pew & peu pourri Panimal tout entier, qui n’avait plas longtemps i vivre, mais continueraitjusqu’au bout sa téche, homme ant wop pauvre pour consent & le sacrfier. simait son cheval, ce riche avare, qui emenait la consulta- tion gratuite du ¥étérinaire européen la belle béte a robe rise, fierté des jours de fantasia, dont une nourriture mal Choisie semblait avoir &é le aul mal, Il aimait son chien, ce paysan portugais portant chaque matin dans ses bras son berger allemand i la hanche eassée, pout Pavoir pris de lu pendant s2 longue journée de jardinier et le nourtir des restes de la cuisine. Ils aiment les oiseaux, ce vieux mon fleur ou cette vieille dame des maigres pares parisiens, nourtissant des pigeons, et dont on se moque bien 3 tort, uiaquils rentrent grice a ces baitements dsiles autour eux en rapport avec univers. Il simait les animaux, VPhomme de Z Eeclésiaste, se demandant si Pime des betes ven bas Léonard libérant des oiseaux prisonniers sur un marché de Florence, ow encore cette Chinvise il y mille fans, wouvant dans un coin de la cour une énocme cage contenant une centsine de moineaux, parce que son méde- cin recommandait qu'elle mangedt chaque jour une cer- velle encore tide, Elle ouvrit toutes gtande: les portes de la cage. « Que suise pour me préférer i tant de ces bestio- les? Les options que nous avons sans cesse & prendre, \Pauttes les ont prises avant nous, 154 Qui sits Mame des bites ea en bas? I semble qu'une des formidables causes de la souffrance animale, en Occident du moins, at &€ Vinjonetion biblique de Jehovah & Adam avant Ia faute, lui montrant le peuple des animaury, les lui fisart nommer, et en déclarant maitre et seigneur. Cette scéne mythique a toujours &€ interprétée pet le cheétien et le jif orthodoxes comme une permission de mete en coupe réplée ces millers despéces qui expri- ‘ment, par leurs formes différentes des nétres Vininie varié te de la vie, et par leur organisation interne, leur pouvoir agit, de jour et de soufrie, Vevidente unié de cele-ci. Et cependant lett && bien facile @imerpréter le vieux mythe sutrement cet Adam, encore intouché par la chute, aurait aussi bien pu se sentir promu au rang de protecteu, arbi- tre, de modérateur de la création tout entire, utilisant les dons qui fu avaient été fats en surplus, ou differemment, de ceux octroyés aux animaux, pour parachever et maintent le bel équilibre du monde, dont Dieuw avait fait, non fe tyran, ‘mais Fintendant [Le christianisme aursitinssté sur les sublimes légendes qui mélent Panimal & Phomme ; le barf et ine échautfant enfant Jésus de leur souffle; le lion ensevelissant pieuse- ‘ment le corps des anachorétes, ou servant de béte de trait et de chien de garde & saint Jéréme ; les corbeaux nourrissant les Péres du désert, et le chien de saint Roch son maitre ‘malade ; le loup les oiseaux et les poissons de saint Frangois, Tes bétes des bois cherchant protection auprés de saint Blai- se, la prire pour les animaux de saint Basile de Césarée ou {e ceef porteur de croix qui convert saint Hubert (Pest une des plus cruelles ironies du folklore religieux que ce stint soit devenu enire-temps le patron des chasseurs).Ou encore les saints d'rlande et des Hebrides ramenant sur le rivage et soignant des hérons blesés,protégeant les cers aux abois, et Qui sits ame des bites wa en bas? 155 ‘mourant en fraternisant avec un cheval banc. Ty avait dans le christanieme tou les éléments dun folklore animal pres ‘que aussi riche que celui du bouddhisme, mais le sec dow rmatisme et la priorité donnée 4 l'égoisme humain ont emporté. Il semble que sur ce point un mouvement supposé tationaliste et laique, Mhumanisme, au sens récent et abusif dda mot, qui prétend a’accorder dintérée qu'aux réalisations hhumaines, hrite directement de ce christianizme eppauvri augue! la connsissance et amour du reste des éres ont &€ ‘D'aute par, une théorie dfféente allt se metre au serve ce de ceux pour gui animal ne mérite aucune aide ese rou ve démuni de le dignité qu’en principe, du moins, et sur papier, nous accordons @ chaque homme. En France, et dans ‘out pays inluencé par la culture frangaise, Panimal-machine de Descartes ex devenu un article de foi d'autant plus facile & accepter qu'il favors exploitation et Vindifféence. La aus- 5, on peut se demander si 'atertion de Descartes n'a pa été resue au niveau le plus bas. L’animal-machine, certs, mais ni pls ni moins que Pomme luieméme nvest qu'une machine, machine & produire et ordonnancer les action, ls pulsions et Jes factions qui consituent les sensations de chaud et de froid, e faim et de satisfaction digestive, les poussées sexuelle, et uss a douleur, a fatigue, le erreur, que les animaux éprou- ‘vent comme nous le fasons nour mémes. La bite est machi- ‘ne "homme aus, et est sans daute ia erainte de blasphémer ame immorelle qu a empéché Descartes dalle ouvertement plus loin dans cet hypothe, qui eit jettles bases d'une phy- siologie et d'une zoologie authentiques. Et Léonard, si Descar- tes avait &€ 8 méme de connate ses Cahir, lui eit soutlé ‘quale limite Dieu luisméme est «le premier moteur =. Yai évoqué un peu longuement le drame de animal et 156 Qui sat of Pame des bites 0a en bas? ses causes premizres, Dans tat présent de la question, & time époque oll is abus s'aggravent sur ce point comme sur tant d'autres, on peut se demander si une Délaration des Uroits de Panimal va ize wile. Je Vaccuelfe avec joie, mais ‘dei de bons exprits murmurent: « Voici prés de deux cents fans quia &é proclamée une Diclaration des droits de Vhom- sme, qu'en estil résuhé? Aucun temps n'a été plus concen: trationnaise, plus porté aux destructions mastives de vies hnumaines, plus pret dégrader, jusque chez ses victimes cllesmémes, a notion ehumanité. Siedil de promulguer fen faveur de Fanimal un autre document de ce type, qui sera SP fant que Chomme lui-méme n’aura pas changé —, aussi vain que la Declaration des droits de Vhomme ?» Je crois que ui. Je erois qu'il convient toujours de promulguer ou de ‘altirmer les Lois véritables, qui n’en seront pas moins fenfeintes, mais en lassant ci et Ii aux transgresseurs le sen- timent avoir mal fat, « Tu ne tueras pas.» Toute Phistire, dlont nous sommes si fies, est une perpétuele infraction & cette Li "Ta ne feras pas sour les animaux, ou du moins tu ne les ferassouffir que le moins posible. fis ont leurs droits et teur dignité comme toieméme », est assurément une admo- nition bien modeste; dans l'état actuel des eoprits, elle est, hielas, quasi subversive. Soyons subversifs. Révoltons-nous contre Fignorance, Vindiférence, la cruauté, qui ailleurs tne Sexereent si souvent contre "homme que parce quelles Se sont fait fa main sur les betes. Rappelons-nous, puisqu'll faut tovjours tout tamener & nousmémes, qu'il y aurait rains d'enfants martyrs el avait moins é’animaue tort rés, moins de wagons plombés amenant & la mort les viti- mes de quelconques dictatures, si nous n’avions pas pris Thabitude de fourgons of des bétes agonisent sans nourritue Qui sat si me des bites vaen bas? 157 re et sans cau en route vers Pabatoir, moins de gibier hhumain descendu d'un coup de feu si le goat et Phabitude Ge tuer étaient l'apanage des chasseurs. Et dans humble mesure du possible, changeons (c'est dire améliorons sl se peu) la vie 1981 190 Oppien ow les Chases parchemia, enveloppe de soie rouge et roulé sur un ton Mvoire est devenu, par Ventremise des manuscrts médi foun le volume imprimé en grec aside des beaux caracté- Tes pravés par Claude Gatamont et qui reproduisaient Iécr Teer Chtois Vergéee, calligraphe du roi. Deux versions Tatines parurent la méme année, puis celle, francaise, de Florent Chrestien en 1575, Mais feulletez ce texte, et Yous ous sentiret sort des dates et de Ihistore, transporte dans veeawers qui connait Palternance du jour t de [e nuit passage des saisons, mais ne sat rien de I'horloge des sites foie ce monde plus ancien et plus jeune que nous, neuf & ‘thaque aurore, que homme a décimé et persfeué depuis le fempe des chasseurs en chlamyde ou en justaucorps, qui 4 thoins avsient excuse de croire en 'abondance inépuissble Tela nature, cete excuse que nous a’avons plus, nous qui sSotinuons non seulement & détruire les bets, mais travai= fons i angen la nature elle-méme. Voiei ce monde ae hows retrouvons avec un bartement de coeur, chaque fois gue, sonis & Paube, nows apercevons un chevreil rodant Aorde des bois, ou des renardeausjouant dans Uerbe. Voie Tn ice du sabot et de la priffe sur le sable, V'eau lapée au ‘épuscule, les prunelles Tuisant sous Les feuilles, le eu serra dans a ford les amants sauvages et fauves. Voici It ace vaige des chiens voici le peuple des cheveuuy vassaur hrovenques et fidéles de homme. Voici le lion innocent qui ‘echiquette pasblement sa proie voici le cerf debout, le fou tendu protegeant #8 harde, tout soir sur la pilewr de Taube. 1955 xv Une civilisation a cloisons étanches T nous ex arrivé a tour de regarder avec horreur et <égoat les scdnes d’exécution sur la place publique des pein tures du Moyen Age ou des gravures du avuiesicle. Il est, arrive aussi & beaucoup d’entre nous de passer vite, eceurés, dans quelque petite ville d'Bspagne ou Orient, devant Ia boucherie locale, avec ses mouches, ses carcasies encore chaudes, ses bétes vivantes atachées et tremblantes en face des bétes mores, et le sang sécoulant dans le ruisseau de la rue, Notre civilisation & nous est a cloisons étanches: elle ‘nous protége de tls spectacles. ‘Aa Villete, aux chaines n° 2 des nouveaux abattoir, les veaux et les bovins, ces derniers aprés une chute brute, sont suspendus en toute conscience avant lexécution, ce qui permet (ime is money) aller plus vite. Ce systme ext bien fentendu interdit (par un décret du 16 avril 1964), ce qui rempéche pas qu'il reste profitablement en usage. Les murs de nos nouveaux abauoirs (elle rélistion technique, & Fen pas douter, pourvue comme on voit de tous les perfec- onnements) sont pais : nous ne voyons pus ces créatures se tordre de douleur ; nous n'entendons pes leurs cis, que ne supporterait pas le plus ardent amateur de bifteck. Les effets 194 Une ceiisation & clotions danches de la conscience publique sur fs digestion ne sont pas & craindre ‘Oscar Wilde a écrit quelque part que le pre crime était le manque dimagination : ue humain ne compatic pas aux taux dont il n'a pas expérience directe ou auxquels il n'a par luiméme astité, 'ai souvent pensé que les wagons plombés et les murs bien constuits des camps de concent tion ont assuré extension et la durée de crimes contre U'hu- mmanité qui auraient cescé plus vite sls avaient eu lieu en plein ait et sous les yeux de tous. L’habitude, sur tes places ubliques du Moyen Age et du Grand Siecle, mithridatisait fssurément certains spectateurs il s’en trowait toujours, pourtant, pour '€mouvor, sinon protester tout haut, et leur furmure a fini par re entendu. Les exécuteurs des hautes ‘euvres de nos jours prennent mieux leurs précautions vr Mais quoi» erie le lecteur, da itté ow amusé (cer- tains lecteurs Samusent de peu), «il gagit de veaux et de ‘aches dont le nom seul est ridicule, comme on sat, et vous fosez évoquer A leur propos les pires crimes contre Phumani- t+ Oui, sans doute: tout acte de cruauté subi par des mile Tiers de eréatures vivantes est un crime contre Phumanité au'll endurcit et brualse un peu plus. Je rains qui ne sit es, malheureusement, daas 0s possiblits de Francais Gincerrompre immédiatement la guerre du Vietnam, d'em- pécher la defoliation de la terre indochinoise, ou de panser {es plaes de inde et du Pakistan. Je eros au contraire que snows pouvons quelque chose pour fare cesser sous peu le ‘auchiemar de la chaine a? 2& Paide d'une autre chaine, cel Te de la telévsion, 'appelle de mes voeux un film plein de sang, de meuglements,et d'une épowvante trop authentique, (gi fera peut-étre plaisir & quelques sadiques, mais produira aussi quelques millers de protestations Une a isation & claitons éanches 198 ai écrit iy a quelques années la ve d'un certin Zénon, personnage imaginaire il est vrai, qui se refusait «4 digérer des agonies». Cest un peu en son nom que j'ai réigé ces lignes. 1972 206 Approches ds Tantrisme dal dont on n'a pa la preuve qu'il at jamais correspondu & lun age d'or du passé et dont nous n’avons vu de nos jours ‘gue des caricatures protesques et atroces. I s'y méle, dans les moins pondérés des ouvrages d'Evola, outre un concept de fa race clue, qui en pratique méne au racisme, une avidité quasi maladive & 'égard des pouvoirs supranormaux qui lui fait accepter sans contre les aspects les plus matériels de avencure spirituelle. ‘Ce passage regrettable de la notion de pouvoirs intellec~ tuels et mysiques 2 la notion de pouvoir tout court entache dquelque peu certaines pages, et surtout eertaines concli- sions, de son grand livre sur Le Yoga tantrigue. Ce biais fingulier d'un érudit de génie ne diminue nullement ses Gronnants pouvoir & lui, qui étaient de Fordre du transmet- teur et du commentateur. Mais i est évident que le baron Julius Evola, qui avignorait rien dela grande tradition tansi- ‘que, ravait jamais songé 4 se munir de I'arme secréte des Tamas uibétans, le poignard-i-tuer-Le-Moi, i972 1 Leste inl Le oy dl Psa ce etc ite 6 et um ps ps de vce XVII Ecrit dans un jardin La couleur est expression d'une vertu cachée, CCertains oiseaux sont des flammes, Un jardinier me fait remarquer que c'est en automne qu'on percoit Ia vie couleur des arbres. Au printemps, ebondance de ls chlorophylle eur donne i tous une livrée verte. Septembre venu, ils se révétent revétus de leurs cou leurs spécifiques, le bouleau blond et doré, Vérable jaune- orange-rouge, le chéne couleur de broaze et de fer. Rien ne m’a plus aidée & comprendre les phénoménes naturels que les deux signes hermétiques qui signifent air et eau, puis, modifiés par une barre qui en quelque sorte tit leur élan, symbolise le fea, moins libre, li & la 210 Berit dans un jardin smatiéte ligneuse ou & Mhuile fostil, et ta terce aux épeinses ‘et molles particules. L'arbre inclut dans son higroglyphe tous les quatre. Accroché au sol, abreuvé dais et de, il monte pourtant au ciel comme une flame jl ext lamime verte avant de fini un jour, flamme rouge, dans les chemi- res, les incendies de foréts, et les biichers. Il appartient par st paussée verticale au monde des formes qui sélévent, com sme Veau, qui le nourri, & celui des formes qui, lissées & ellessmémes,retombent vers le sl Signe hermétique de Tait, triangle vide, pointant vers le hhaut. Par les jours calmes, fa pyramide verce de Varbre se soutient dans air en parfait équlibre. Par Jes jours de vent, les branches agitées esquistent le commencement d'un vol. Signe hermétique de la tert, tciangle pointant vers le bas, mais qu'une barre arte dans sa chute. La motte de terre stable, quand ni la gravitation, ni fe vent, ni le coup de pied d'un passant a’ Lea, qui d'lle-méme céde et descend. Et c'est pourquoi {uj convient le qualfcaiffranciscain: wile Quoi de plus beau que cette statue de suppliant par Berit dans wn jardin an Rodin, oi homme qui pri tend les bras et sétire comme un arbre? A coup sir, Parbre prie ta lumiére divine. Les racines enfoncées dans le sol, les branches protectri- ‘es des jewx de Pécureuil, du nid et des ramages des oiseaux, ombre accordée aux bétes et aux hommes, le téte en plein ciel, Connais-tu une plus sage et plus bienfaisante méthode exiter? Er de li le sursaut de révolte en présence du bicheron et VPhorreur, mille fois plus grande, devant la scie mécanique. ‘Abate et ter ce qui ne peut pas fur. ‘Miracle des instantanés qui fxent image de eau jal. sante, fusant hors @elleméme, rebondissant vers le faut, comme la gerbe dlécume d'une vague fracasiée au bord d'un rocher. La vague morte engendre ce grand fantéme blanc qui dans un instant ne sera plus. L’espace d'un déclic, 'eau pesante monte comme une fumée, comme une vapeur, Pour une raison inverse, beauté exquise et artifcelle du jet d'eau. L'hydraulique oblige eau & se comporter comme tune flamme, & renouveler sans cesse & l'intérieur de sa ae eric dans un jardin colonne liquide son ascension verse cel. L'eau forege s6lé- ve jusqu’ la pointe de Pobéisque fuide, avant de retrouver sa liberé, qui est de descend, ‘Toute eas aspire & devenir vapeur, et toute vapeur a rede Glace, Exincelant areét, Condensation pure. Bau stable. Parmi les plus saisissams paysages, je mets ceux de cer- tains fords de Alaska et de la Norvege au printemps, ob eau apparait la fois sous ses wois formes et sous plusieurs aspects, Eau frissonnante, mais étle, du ford, eau russelan- terdes cascades sur la paroi verticale des roches, vapeur qui {°éléve de leur chute, eau qui sous forme de nuage fait route au ciel, gel et neige des sommets tout proches, mais od le printemps 'a pas encore mont Roches composites faites de laves volcaniques et de sédi- iments charriés pat l'eau, amalgame vieux de millers de sit- cles, Et leur forme extérieure perpétuellement retravailée, resculptée pat Iai et par Peau, Berit dans un jardin 23 ‘Ton corps sux trois quarts composé eau, plus un peu de minéraux terrestres, petite poignée. Et certe grande flamme fen toi dont tune connais pas la nature. Et dans tes poumons, pris et repris sans cease # Vintérieur de la cage thoracigue, Pair, ce bel étranger, sans qui tu ne peux pas vivre 1980

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