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BURKINA : voici le MESSAGE que voulait DÉLIVRER SANKARA à ses CAMARADES

le 15/10/1987

C’est un document historique et inédit. Le message que devait lire Thomas SANKARA le 15
octobre 1987 n’a jamais été lu et n’a jamais été rendu public. Cette lettre manuscrite de 10
pages que nous avons retrouvée ; plus de 28 ans après l’assassinat de son auteur, offre un
saisissant éclairage sur l’état de délitement de la RÉVOLUTION.

L’authentification du document ne présente aucun doute, son écriture, sa signature non plus.
Preuve supplémentaire, l’un de ses plus proches amis ; Valère SOME ; qui était présent dans
son bureau quelques heures avant sa mort, s’en est fait lire un extrait par l’ex- Président du
Faso. Il restitue de mémoire cet extrait dans son ouvrage, Thomas Sankara, l’espoir assassiné
en 1990. Ce passage se trouve dans cette lettre que j’ai l’honneur de publier ci-dessous en
intégralité.

♦ ♦ ♦

Le 15 octobre 1987

Chers camarades,

Le prestige de la révolution et la confiance que les masses lui vouent ont subi un grand choc.
Les conséquences en sont une remarquable perte d’enthousiasme révolutionnaire chez les
militants, une sérieuse diminution, de la détermination et de la mobilisation à la base, enfin, la
méfiance, la suspicion partout, le fractionnement au sommet.

Quelles en sont les causes ?

Il y a d’une part ce qui pourrait nous diviser et qui relèverait des questions profondes de
fonctionnement des structures, d’organisation de la vie interne du CNR, des positions
idéologiques et il y a d’autre part des questions de rapports humains entre les acteurs,
animateurs que nous sommes tous. Mais, pour importantes que soient les questions
organisationnelles et idéologiques, elles se révèlent dans notre cas avoir moins déterminé la
situation présente.

En effet, toute organisation connaît en son sein, un affrontement des contraires puis une unité
de ces mêmes contraires. « L’unité des contraires est en conséquence absolue, exactement
comme le développement et le mouvement sont absolus ».

C’est pourquoi l’équilibre est lui-même temporaire. Il peut être à tout moment remis en cause.
Il nous revient de travailler à l’assurer, à le préserver le plus longtemps possible, à le rétablir
chaque fois qu’il aurait été menacé, voire rompu.`

Dans le cas des questions fondamentales, organisationnelles et idéologiques, nous avons


bénéficié du fait que chaque fois que nous avons estimé devoir émettre un point de vue
différent du mien, défendre une position contraire à la mienne, vous l’avez fait en toute liberté
et en toute confiance. Je l’ai adopté et appliqué, de même que les conseils, suggestions et
recommandations. Du reste, et en règle générale, la résolution des questions entre les hommes
est toujours aisée dès lors que règne la confiance. C’est dire que tant que la révolution sera
régie par des principes, le débat franc, la critique et l’auto critique suffiront à dissiper tout
malentendu, tout désaccord pourvu que s’impose la confiance.

Travaillons donc à développer la confiance et préservons-la de toute critique, de toute


menace. A l’inverse des questions de principe, dont la résolution s’appuie aisément sur la
confiance, les problèmes de rapports humains, subjectifs ne connaissent rien d’autre comme
solution que la confiance totale. En cela, les intrigues de certains éléments de nos rangs ont
fait plus de torts, plus de ravages en quelques mois, que des années des plus farouches
affrontements politiques et idéologiques entre le CNR et des organisations adversaires de
gauche.

Prenant leur appartenance au CNR comme la garantie inattaquable de leur label de


révolutionnaires, ces éléments se sont crus la voie royale ouverte pour la réalisation de leur
vision de la société, de la place qu’ils entendent jouer, du rôle qu’ils s’y assignent. D’un côté,
la surenchère verbale de gauche, de l’autre une pratique de voyou. Tout cela dans la tranquille
assurance que le CNR les prémunit contre toute attaque et que le parlementarisme de ce même
CNR leur a ouvert des droits de minorité de blocages.

Ces droits, ils les utiliseront abusivement pour couvrir tous ces comportements licencieux
indignes de militants révolutionnaires, mais que personne ne leur opposera sous peine d’être
soupçonné de vouloir s’opposer au CNR. C’est de l’opportunisme ! A l’intérieur, le souci de
ne perdre aucun militant, surtout les nouveaux venus, a plutôt nui à la fermeté et annihilé
toute rigueur contre ce que chacun constatait comme étant de l’indiscipline et un discrédit
préjudiciable à terme à l’autorité du CNR.

Tout le monde est témoin du dilettantisme, de la légèreté qui ont caractérisé les
comportements d’éléments de cet acabit, et émaillé leur pratique sociale et militante. Le titre
de membre du CNR a été utilisé par eux pour influencer les masses à des fins personnelles
contraires aux intérêts de la révolution. Mais le plan criminel de leurs attitudes, c’est la
paralysie de la Direction qu’ils ont provoquée en travaillant sans relâche à créer l’impression
qu’ils se sont identifiés à certains dirigeants éminents incontestés parce que respectables et
respectés. Dès lors, et sous ce couvert, ils pouvaient imposer et leur caprices et leurs
indisciplines sans crainte d’aucune mesure. Ils se sont autorisés toutes sortes de pratiques
sociales, couverts qu’ils se sont estimés de l’immunité de « proches copains » de tels ou tels
dirigeants. Leur position élevée dans les structures du CNR aidant, positions tirées non d’un
mérite établi mais d’une répartition arithmétique entre groupes au CNR, ils ont de fait
maquillé de vraisemblance leurs intrigues.

La révolution a beaucoup souffert de ces éléments là. Incapables d’élever le niveau des
débats, ils l’ont tiré en arrière. Ils l’ont rabaissé.

Redoutant l’unité comme étant la fin de leurs « droits princiers de naissance », ils ont
démobilisé partout où il y avait ne serait-ce qu’une certaine adhésion, et ailleurs ils ont jeté de
l’huile sur le feu de la division.

Progressivement démasqués dans leurs pratiques et objectivement et inexorablement engagés


sur la pente qui les mène à leur perte, ils recourent de façon de plus en plus grossière, mais de
plus en plus assassine à la division de nos rangs, à l’opposition artificielle des dirigeants.
Ainsi, ils détournent l’attention vers d’hypothétiques dissensions au sommet, pendant qu’ils se
dérobent à leur devoir de ressaisissement et d’autocritique.
Ne cherchons pas loin. Le malaise actuel est la conséquence des comportements criminels non
dénoncés parfois, non promis ? toujours. S’il y a opposition, ce n’est nullement entre ceux là
que l’on indexe : « les dirigeants historiques ». S’il y a opposition, c’est bel et bien entre ces
éléments intolérables, incompatibles avec la rigueur révolutionnaire et la fermeté qui nous est
dictée par l’obligation de toujours approfondir le processus déclenché depuis le 4 août 1983.

Le résultat de ce travail égoïste (lutter rien que pour soi au point de compromettre l’intérêt
général) est que nous sommes affaiblis, en tout sérieusement ébranlés. Les rumeurs les plus
folles ont embrasé les masses. L’opinion s’en émeut et s’en inquiète. La panique généralisée
prédispose aux actions les plus insensées… que faire quand on est à ce point désespéré !
Gagnée par l’inquiétude généralisée, la direction politique se retrouve désemparée du fait que
l’origine du mal est diffuse, et que la thèse de l’opposition, quelques dirigeants de premier
rang ne convainc pas, quoique commode aux regards de la tradition de lutte aux sommets
chez les vieilles gardes politiques d’ici. D’ailleurs ceux là mêmes qui ont donné pour être des
responsables en querelle s’interrogent vainement sur ce qui pourrait être le motif de leur
opposition. Le danger, c’est que l’on est obligé de s’inventer une explication et une
justification plausible, tant il est répété partout qu’il n’y a « pas d’entente entre les dirigeants.
»

Jamais un point d’antagonisme ne nous a opposé. Qu’il y ait eu divergence sur des points
donnés, cela est courant.

Même la liberté, la confiance des débats entre nous qui exclue toute inutile retenue et faux
tabous n’ont pas relevé un quelconque antagonisme qui justifierait ou expliquerait une si
subite et hypothétique mais persistante rumeur d’opposition. Ces rumeurs aidées par le
désarroi généralisé ont réveillé les possibles de toute sorte d’opposition à la Révolution : les
accompagnateurs de la RDP ?

Aujourd’hui dégénérés, les tribalistes, les réactionnaires, les réactionnaires de la droite brute
qui reprennent espoir…

Même nos ennemis à l’extérieur retrouvent leur agressivité depuis longtemps émoussée par
nos victoires éclatantes, et poussent à l’audace des débris d’opposants réveillés pour la
circonstance.

Camarades, nous ne pouvons pas permettre à quelques individus de se jouer de tout le peuple,
faire condamner le CNR dans notre Patrie et auprès des peuples qui jusque là respectent notre
lutte. Nous ne pouvons pas et ne devons pas laisser quelques éléments irresponsables faire
planer sur notre Révolution, le spectre des déchirements tels ceux du Yémen. Nous ne
pouvons et ne devons les laisser pervertir cette révolution avec des conséquences, telle
l’impasse de Grenade. Nous ne pouvons pas fermer les yeux ou nous embarrasser devant les
manquements de quelques intrigants lorsque tout le pays est menacé par la guerre civile à la
manière du Liban et du Tchad.

Nous sommes responsables devant notre peuple. Nous sommes aussi responsable devant le
mouvement progressiste international du devenir de cet espoir qu’a suscité la Révolution du 4
août 1983…Cessons de nous lamenter à quatre ou devant une situation nationale si triste.
Notre sincérité n’excuse pas notre coupable sentiment d’impuissance qui traduit plus le
défaitisme. Je comprends que nous soyons choqués d’être qualifiés de ce que nous ne sommes
pas, d’être accusés de ce que nous n’avons pas fait.
Je propose :
/ que nous allions aux masses pour leur démontrer notre cohésion par des meetings de
dénonciation et de condamnation des courants divisionnistes, en ridiculisant comme ils le
méritent, ceux qui jusque là ont prêché avec plus ou moins de bonheur dans les eaux de la
Révolution troublées par eux.

Il y a urgence que nous sortions, que nous parlions, que nous rassurions notre peuple. Il y a
urgence.

/ Eliminons de nos rangs les fauteurs de troubles. Toutes les luttes sociales ont connu des
aventuriers frauduleusement introduits. L’histoire immédiate ou l’histoire lointaine se sont
chargées de les éliminer. Notre révolution avancera en se purifiant. Nous ne perdrons rien à
assumer le carnage révolutionnaire sentimentalement ressenti, dans le cas d’éventuelles
séparations ne sera jamais rien par rapport à ce que nous endurons en ces jours, ni ce que
notre peuple souffre en ces circonstances.

Je proposerai des sanctions.

/ dans les meilleurs délais, il nous faudra mettre en place :


Les statuts du CNR, corrigés au regard de ce que nous enseignent nos difficultés présentes et
prévisibles, l’acceptation et l’assimilation de la plateforme et des règlements du CNR seront
un critère éloquent à l’adhésion à sa ligne.

Le programme économique, politique, social et militaire du CNR autour duquel nous


rassemblerons les révolutionnaires sur la base de leurs mérites à contribuer au bonheur réel de
notre peuple.

Le code d’éthique révolutionnaire qui décrivait la conduite sociale la plus exemplaire vers
laquelle chacun de nous devra s’efforcer de tendre.

A l’aide de ces éléments et grâce à une vie organisationnelle qui devrait se départir de
l’amicalisme, par un fonctionnement plus efficace de la Commission de Vérification, par des
bilans périodiques sur ce que notre action a apporté ou non au peuple, nous parviendrons à
faire du CNR actuel et de toute autre forme que prendrait la Direction Politique Nationale, un
véritable Etat Major où n’entrent que les meilleurs des meilleurs, les révolutionnaires les plus
sûrs.

La Patrie ou la mort, nous vaincrons ! »

Thomas Sankara

Ce document est un extrait de l’ouvrage de Dénis Montgolfier édité à compte d’auteur

Journal burkinabè L’Evénement / evenement-bf.net

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