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L’Information psychiatrique 2013 ; 89 : 587–98

HISTOIRE DE LA PSYCHIATRIE

Rubrique dirigée par E. Mahieu, J. Postel

Sigmund Freud, Julius Wagner von Jauregg,


Arnold Durig, Julius Tandler
Gilles Tréhel

RÉSUMÉ
Le premier conflit fit entrer les pays européens dans une guerre mondiale où les hommes durent payer un lourd tribut. À
Vienne, la paix revenue, pour enquêter sur les forfaitures, une Commission dirigée par Julius Tandler est mise en place,
dans laquelle Julius Wagner von Jauregg doit siéger. Or, à cette époque, sont décriées par un ancien patient Water Kauders
les pratiques médicales dans des lieux dirigés par Wagner von Jauregg et Arnold Durig. Si bien que Wagner von Jauregg
ne peut exercer ses fonctions au sien de la Commission et doit s’expliquer devant celle-ci sur l’utilisation du courant
électrique. Sigmund Freud est mandaté en qualité d’expert sur les soins pouvant être prodigués aux névrosés de guerre. En
février 1920, il formule un avis et, en octobre 1920, il présente ses conclusions. Une autre affaire va marquer la capitale
autrichienne. En novembre 1924, Durig demande à Freud de rédiger une expertise au sujet de l’analyse pratiquée par les
« profanes » c’est-à-dire les non-médecins. En décembre 1924, lors d’une session du Conseil d’État à la santé de Vienne,
Wagner von Jauregg demande que soient signalées les institutions se servant de la psychanalyse. En février 1925, le
psychanalyste Theodor Reik est par décret interdit de pratique. Freud en réaction écrit à Tandler. Les choses s’enchaînent.
En 1926, Newton Murphy, un ancien patient de Reik se retourne contre son psychanalyste et lui intente un procès pour
traitement nocif. Freud prend publiquement la défense de Reik. Les deux affaires sont à rapprocher. Elles se déroulent à
la même période et la même ville : Vienne. Elles mettent en scène les mêmes personnes faisant autorité. Elles concernent
toutes deux les pratiques de soins.
Mots clés : histoire de la psychanalyse, analyse profane, psychanalyse, guerre, traumatisme psychique, Freud Sigmund,
Wagner von Jauregg Julius, Durig Arnold, Tandler Julius, Reik Theodor, Vienne, névrose de guerre

ABSTRACT
Sigmund Freud, Julius Wagner von Jauregg, Arnold Durig, and Julius Tandler. The 1914-1918 war was the First
World War, which involved all European countries where men had to pay a heavy tribute. In Vienna, as soon as peace was
restored, a Committee directed by Julius Tandler was organized in order to investigate committed felonies and where Julius
Wagner von Jauregg was to participate as a member. At that time, the practice of medicine in places directed by Wagner von
Jauregg and Arnold Durig had been discredited by a former patient, Walter Kauders. Therefore, Wagner von Jauregg could
not exercise his functions on the investigation committee and had to give explanations as to the use of electrical current
before this committee. Sigmund Freud was appointed as an expert on the medical care to be provided to war neurotics.
In February 1920, he gave its opinion and, in October 1920, he presented its conclusions. Another matter shook up the
Austrian capital. In November 1924, Durig asked Freud to write an expert evaluation about the question of lay analysis,
it is to say, analysis practiced by individuals who were not doctors. In December 1924, during a session of the Vienna
Health State Board, Wagner von Jauregg asked for a list of the institutions using psychoanalysis. In February 1925, the
psychoanalyst Theodor Reik was, by official decree, forbidden to continue practising medicine. Freud reacted by writing
to Tandler. Both affairs were linked. In 1926, Newton Murphy, Reik’s former patient, turned against his psychoanalyst
and sued him for harmful treatment. Freud publicly takes Reik’s defence. Both cases present similarities. They take place
during same period and in the same city, Vienna. They implicated the same individuals who were in authority and both
concerned the practice of caregivers.
Key words: history of psychoanalysis, lay analysis, psychoanalysis, war, psychological trauma, Sigmund Freud, Julius
doi:10.1684/ipe.2013.1099

Wagner von Jauregg, Durig Arnold, Julius Tandler, Theodor Reik, Vienna, war neurosis

Université de Paris VII-Jussieu, Centre d’études en psychopathologie et psychanalyse (CEPP), EA 2374, 11 bis, rue Eugène-Jumin, 75019 Paris, France
<gillestrehel@hotmail.com>

Tirés à part : G. Tréhel

L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 89, N◦ 7 - SEPTEMBRE 2013 587

Pour citer cet article : Tréhel G. Sigmund Freud, Julius Wagner von Jauregg, Arnold Durig, Julius Tandler. L’Information psychiatrique 2013 ; 89 : 587-98
doi:10.1684/ipe.2013.1099
G. Tréhel

RESUMEN
Sigmund Freud, Julius Wagner von Jauregg, Arnold Durig, Julius Tandler. El primer conflicto hizo entrar a los países
europeos en una guerra mundial por la que los hombres tuvieron que pagar une fuerte precio. En Viena, con la paz, se
pone en marcha con el fin de investigar sobre prevaricaciones, una Comisión dirigida por Julius Tandler, en la que debe
participar Julius Wagner von Jauregg. Ahora bien, en esta misma época un ex paciente Walter Kauders desprestigia las
prácticas médicas en los lugares donde dirigen Wagner von Jauregg y Arnold Durig. Tanto es así que Wagner von Jauregg
no puede cumplir con su cometido dentro de la Comisión y debe explicarse ante ella sobre utilización del fluido eléctrico.
A Sigmund Freud, como experto, se le adjudica un mandato sobre como atender a los afectados de neurosis de guerra. En
febrero de 1920 forma su parecer y en octubre de 1920 presenta sus conclusiones. Otro caso marcará la capital austriaca.
En noviembre de 1924, Durig le pide a Freud que redacte un peritaje sobre el análisis practicado por los “ profanos” es decir
por los no-médicos. En diciembre de 1924, en una sesión del Consejo de Estado de Sanidad en Viena, Wagner von Jauregg
pide que sean dadas a conocer las instituciones que usan el psicoanálisis. En febrero de 1925, al psicoanalista Theodor
Reik se le prohibe practicar por decreto. Como reacción Freud escribe a Tandler. Los acontecimientos se precipitan. En
1926, Newton Murphy, un antiguo paciente de Reik se vuelve contra su psicoanalista y le abre una causa por tratamiento
nocivo. Freud defiende públicamente a Reik. Los dos casos deben ser acercados. Se desarrollan en el mismo periodo y la
misma ciudad : Viena. Ponen a escena las mismas personas que son autoridades. Conciernen los dos las prácticas de los
cuidados.
Palabras claves : historia del psicoanálisis, análisis profano, psicoanálisis, guerra, traumatismo psíquico, Freud Sigmund,
Wagner von Jauregg Julius, Durig Arnold, Tandler Julius, Reik Theodor, Viena, neurosis de guerra

Avec la guerre, les pertes humaines se comptent par 1918). Il en étend la promotion en le conseillant à ses dis-
millions sur les différents fronts. À ces pertes humaines ciples médecins militaires comme Abraham ([32], lettre
s’ajoutent les « pertes psychiques » c’est-à-dire l’incapacité [no 334F] de Freud à Abraham, du 17 février 1918) qui
pour des individus de prendre part aux combats suite à un se trouvait à l’hôpital d’Allenstein [34] et Sandor Ferenczi
choc traumatique. Aucune comptabilité exhaustive ou par- (lettre [no 729] de Freud à Ferenczi, du 17 février 1918) à
tielle de ces manifestations cliniques n’est alors réalisée par l’hôpital Maria-Valeria à Budapest [5]. Freud le préconise
les armées européennes [7]. Dans le quotidien, il faut alors aussi à Lou Andréas-Salomé ([2], lettre de Freud à Lou
distinguer ces « blessés psychiques » des simulateurs, puis Andréas-Salomé, du 17 février 1918) dont on sait qu’elle
les évacuer des terrains d’opération vers l’arrière dans des était fille de général ([51], Peters H.F., 1966), ses neveux
hôpitaux spécialisés. Le traitement des soldats devient une étaient tous officiers ([2], lettre de Lou Andréas-Salomé à
préoccupation militaire. Freud, du 4 octobre 1918) et l’un d’eux sera blessé lors du
Les médecins de métier ou les appelés doivent faire face premier conflit mondial ([2], lettre de Lou Andréas-Salomé
à l’afflux de ces malades auxquels ils doivent apporter une à Freud, du 3 mai 1934).
aide. Il est nécessaire qu’ils partagent leurs connaissan- Le traitement des névrosés de guerre est l’occasion de
ces. Ainsi, l’assemblée annuelle de la Société allemande modifier le paysage en matière de santé. Pour la première
des neurologues se réunit, les 22 et 23 septembre 1916, à fois, la psychanalyse se présente en position de force face
Munich, sur le thème des névroses de guerre. Karl Abraham à la psychiatrie universitaire [39]. La prise en considéra-
y retrouve Karl Weiss. Les deux disciples de Sigmund Freud tion des traumatismes de guerre est un moment charnière
sont frappés par le fait que la neurologie emprunte à la psy- dans l’histoire de la psychanalyse [55]. Les 28 et 29 sep-
chanalyse des concepts ([32], lettre [no 303A] d’Abraham tembre 1918 se tient à Budapest dans la grande salle de
à Freud, du 12 novembre 1916). À partir de cette assem- l’Académie hongroise des sciences le Ve Congrès interna-
blée, pour l’étiologie des névroses de guerre prédomine une tional de psychanalyse. Ce Congrès fut considéré comme
conception psychologique [14]. international même si la guerre l’empêcha de l’être plei-
Ernst Simmel, médecin dans un hôpital militaire à Poz- nement [43]. Ce fut un symposium sur la psychanalyse
nan, réalise un ouvrage intitulé Névroses de guerre et des névrosés de guerre. Simmel, Abraham, Ferenczi, tous
trauma psychique, leurs rapports réciproques, exposés en trois médecins militaires, y présentent une communication.
se basant sur les études hypnotiques psychanalytiques [54]. Ferenczi y relève l’origine psychogène des symptômes, la
Il fait figure de pionnier et son livre eut un grand retentis- signification des motions pulsionnelles inconscientes, le
sement dans la diffusion des idées psychanalytiques [37]. rôle du bénéfice primaire de la maladie dans la résolution
Très rapidement après sa réception, Freud tint « à le faire du conflit psychique (« fuite dans la maladie ») [13]. En ce
connaître à tous à Vienne » et le prêta à ses disciples qui concerne Abraham, notons qu’il critique le traitement
viennois ([32], lettre de Freud à Abraham, du 17 février de Fritz Kaufmann par électricité et suggestion [1]. À la

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discussion, prirent part Victor Tausk [56] et Hans Lieber- pratique usuelle1 auprès de soldats souffrant de névrose de
mann qui travaille alors aux côtés d’Abraham [58]. Dans sa guerre. Elle n’en fut pas pour autant exempte de critiques.
communication, Freud exprime la volonté que les névroses Les années 1920 sont marquées par des procédures cen-
présentes dans les classes les plus pauvres deviennent un trées sur les pratiques de soins. La première, en 1920, vise
problème de santé publique et que la société apporte une Julius Wagner von Jauregg, directeur d’une clinique, accusé
aide circonstanciée. Face à ces conditions nouvelles, il faut de mauvais traitements pendant la guerre par un ancien
adapter la technique psychanalytique et « [. . .] allier abon- patient de son établissement. La seconde, en 1925-1926,
damment l’or pur de l’analyse au cuivre de la suggestion vise Reik, disciple de Freud, psychanalyste non méde-
directe [. . .] ». Il ajoute que « [. . .] même l’influencement cin, docteur en philosophie, accusé d’usage illégal de la
hypnotique pourrait retrouver là une place, aussi bien que médecine, donc de charlatanisme. Y a-t-il un lien entre
dans le traitement des névrosés de guerre » [19]. Grâce les deux affaires qui se déroulent à la même période et
à la publication de Simmel de 1918, le Congrès reçoit la même ville : Vienne ? En nous appuyant sur les docu-
la visite des délégués officiels de l’administration alle- ments d’historiens de la psychanalyse et les écrits de Freud,
mande, autrichienne, hongroise qui s’engagent à mettre nous allons nous intéresser aux interlocuteurs de ces deux
en place des services pour le traitement psychique [23]. À événements. Une lecture minutieuse nous donne à voir que
Lou Andréas-Salomé, Freud confie que ces officiels croient dans la prise de position face à la mise en accusation de
qu’ils pourraient avoir besoin des psychanalystes dans des Reik, Freud insère dans son texte le thème des traitements
buts pratiques, mais ils n’en ont pas la compréhension des névrosés de guerre.
scientifique ([2], lettre de Freud à Lou Andréas-Salomé,
du 4 octobre 1918). La fin de la guerre met un terme à ces
projets avant leur réalisation [20]. Le Congrès de Budapest Wagner von Jauregg, Durig, Freud,
avait donné l’illusion que la psychanalyse trouverait une Tandler
acceptation dans un large public et que des polycliniques
seraient fondées [11]. François-Ferdinand Joseph est assassiné à Sarajevo le
Le riche entrepreneur hongrois, Anton von Freund, 28 juin 1914, ce qui déclenche la Première Guerre mondiale.
s’était rapproché de la psychanalyse à la fin de sa vie, La guerre met à mal la monarchie dirigée par les Habs-
poussé par le désir philanthropique de projets humani- bourg. À la mort de François Joseph 1er le 21 novembre
taires. Il lègue par testament des fonds pour la création 1916 succède son petit-neveu lequel devient Charles 1er
d’un Institut psychanalytique et d’une maison d’édition d’Autriche. Le 11 novembre 1918, impuissant face à la dis-
[22]. L’Internationaler Psychoanalytischer Verlag est une location de l’empire austro-hongrois, Charles 1er abdique,
organisation matérielle qui, par la publication et la dif- ce qui met fin à la monarchie. Le 12 novembre la Répu-
fusion des travaux de Freud et ses élèves, contribue au blique est proclamée. Elle prend le nom d’« Autriche
rayonnement de la psychanalyse [47]. En avril 1919, dans allemande ». Un parlement provisoire est nommé. Enfin, le
les six ouvrages préparés figurent les actes des commu- 21 octobre 1919, la ratification du Traité de Saint-Germain
nications sur les « névrosés de guerre » et l’ouvrage de établit la première République d’Autriche [6]. Si les quatre
Reik Le Rituel-psychanalyse des rites religieux ([33], lettre années de guerre frappèrent le pays tant matériellement
[no 137F] de Freud à Eitingon, du 6 avril 1919). Freud qu’humainement, les conditions de vie de l’après-guerre
préface les deux ouvrages. Dans son « Introduction à Sur en Autriche n’allaient pas pour autant s’améliorer sollici-
la psychanalyse des névroses de guerre », il introduit et tant une importante entraide et la mise en place de nouvelles
synthétise les contributions du Ve Congrès. Aux soins des organisations2 .
névrosés de guerre, enjeu de taille en pleine guerre, la Face à ces pertes, ces souffrances et la colère de la
réponse apportée par la compréhension théorique et les population, l’exigence de punir les responsables fut très
résultats cliniques sont tels que « même les médecins qui forte. Appuyons-nous sur le travail de Kurt R. Eissler. Le
s’étaient tenus à distance des doctrines psychanalytiques
s’en rapprochèrent » [20]. Dans les premières lignes à 1 Ferenczi, pour faire la démonstration de la cause psychogène des
son Avant-propos à Theodor Reik, problèmes de psycho- névroses de guerre, évoque les effets de séances d’électrothérapie accom-
logie religieuse, Freud fait un retour sur les origines : pagnées de suggestion [13].
2 Pour les Viennois, les conditions de l’après-guerre étaient particulière-
« La psychanalyse est née du désarroi médical, elle sur-
ment dures. En 1919, par exemple, il y avait de graves pénuries en matière
git du besoin d’aider les malades nerveux auxquels le de logement, de vêtement, de chauffage et de nourriture. La plupart des
repos, les procédés hydrothérapiques et l’électricité ne pou- commerçants ne pouvaient pas stocker les marchandises, l’industrie avait
vaient apporter aucun soulagement » [21]. Il rappelle que presque arrêté de fonctionner et il y avait un chômage massif. L’inflation
c’est d’une distance prise avec l’utilisation de procédés galopante avait dévalué l’argent. En désespoir de cause, les Viennois se
tournèrent politiquement vers le marxisme qui offrait des programmes per-
comme l’électricité qu’émane la psychanalyse, le rappel mettant de faire face à l’urgence de la situation. La ville est restée « rouge »
est d’autant plus important que l’usage du courant fût une jusqu’à la disparition de la République en 1933 [36].

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G. Tréhel

parlement provisoire réagit et promulgua le 19 décembre Une semaine avant la promulgation de la loi concernant
1918 une loi sur la constatation et la poursuite de forfaitures l’enquête sur les forfaitures, sont dénoncées les pratiques
et pour ce faire instaura la création d’une Commission. La médicales. Le 11 décembre 1918, paraît par voie de presse
visée de celle-ci était de « rechercher jusqu’à quel point les dans l’hebdomadaire social-démocrate Der Freie Soldat un
commandements de troupes. . ., les chefs de même rang, les article intitulé « La torture par l’électricité ». La guérison
dirigeants d’administrations et établissements militaires, radicale des névrosés de guerre exige beaucoup de temps,
et de leurs organismes de secours, avaient commis une de fatigue et de soins particuliers, ce que les dirigeants
faute grave dans le commandement de leurs troupes ou de l’armée ne peuvent offrir aux soldats. Des médecins
d’autres manquements à leurs obligations » ([9], p. 14). complaisants trouvent une méthode plus rapide qu’ils uti-
Cette Commission devait se composer de cinq membres. lisèrent dans les services. Elle consiste à faire passer un
Parmi les personnalités éminentes qui acceptèrent cette fort courant électrique dans le corps des patients. Certains
nomination le président fut Alexander Löffer, Professeur en supportèrent ces douleurs. D’autres se soustrayaient à cette
droit. Deux membres vont plus particulièrement nous inté- torture en s’enfuyant de l’hôpital, non guéris, voire se sui-
resser. Le premier est Julius Tandler, Professeur d’anatomie, cidant. Des « médecins neurologues de tout premier ordre
responsable politique, médecin de l’hygiène publique en l’ont répété et expliqué publiquement la torture par fort
1910 [9]. En 1916, l’Empereur Charles 1er missionne Tand- courant n’apportait aucune guérison » ([9], p. 16). Pierre
ler pour réaliser une étude sur les conditions sanitaires Juillet et Pierre Moutin rappellent que « sur le plan théra-
en temps de guerre. Tandler parcourt alors l’empire pour peutique, les moyens agressifs ne furent jamais totalement
rendre compte de l’état de la santé mentale dans l’armée et abandonnés dans quelques armées » ([45], p. 5)5 . Ces pra-
dans la population [38]. tiques pouvaient même entraîner la mort, un cas fut ainsi
Il est élu au conseil municipal de Vienne et sous- relevé à Vienne [9]. L’article mentionné ci-dessus dénonçait
secrétaire d’État à la santé publique en 1919-1920 [9]. ces « atroces » pratiques dans la clinique de Wagner von
C’est dans un autre mandat, celui de sénateur chargé des Jauregg et à l’hôpital militaire de Grinzing, placé sous la
Affaires sociales de la ville de Vienne que Tandler accomplit direction du Dr Arnold Durig. Le 28 février 1919, dans
une réforme sociale à partir de 1920 [52]. Le parti social- le même hebdomadaire, paraît un second article « Méde-
démocrate administrait alors la capitale de l’Autriche. Par cins ou tortionnaires ». Le militarisme des médecins est
sa politique communale impulsée dans une visée de trans- décrié : ceux-ci n’avaient pas pour but « de diagnostiquer
formation de l’infrastructure métropolitaine, cette ville prit et de guérir leur souffrance » mais usaient de l’électricité
le nom de « Vienne la Rouge » [49]. Ayant revêtu la cou- pour « démasquer » les hommes suspectés de simulation en
leur sociale-démocrate, Tandler va avoir un rôle clé dans essayant d’arracher ainsi leur aveu. Le témoin interviewé
ces changements. Habilité à prendre d’importantes déci- est un officier ayant souffert de commotion cérébrale due
sions, il met en place une politique de prévoyance qui à l’explosion d’une grenade sur le champ de bataille. Il fut
englobe de nombreux secteurs d’intervention : la protection hospitalisé à la clinique de Wagner von Jauregg. Le 21 mars
maternelle et infantile, la jeunesse, les hôpitaux3 , la lutte 1919, paraît une suite à cet article. Sont cités des extraits
contre la tuberculose, les centres d’orientation profession- d’un journal tenu par un patient. Une copie sera remise par
nelle, l’administration des cimetières et du crématorium, son auteur, Walter Kauders, à l’Office national de l’armée
les œuvres sociales, l’assistance sociale [50]. qui transmit l’affaire à la Commission.
Le second est le Professeur Julius Wagner von Jauregg. On voit l’importance des accusations portées aux pra-
Il fut directeur de la clinique de neurologie-psychiatrie de tiques de soins à la clinique Wagner von Jauregg. La
l’établissement régional d’aliénés de Basse-Autriche avant Commission devait se prononcer sur ces méthodes consi-
de reprendre le même poste en 1893 à la clinique de l’hôpital dérées comme ayant nui à la santé physique et psychique
général de Vienne jusqu’en 1928. Cette même année 1893, des patients. Ainsi lorsque l’enquête6 s’ouvrit sur Wagner
il occupe la fonction de Professeur titulaire de psychiatrie von Jauregg, il ne put exercer ses fonctions au sein de la
et de neurologie à l’université de Vienne [9]4 .
découverte pour laquelle il sera récompensé d’un prix Nobel de médecine
en 1927. Consulter l’article sur « Wagner von Jauregg », rédigé par Lesky
3 Concernant plus spécifiquement les hôpitaux, la ville de Vienne gère E., in Gillspie CC, editor in chief (1976). Dictionary of scientific biogra-
huit établissements hospitaliers avec un total de 6 054 lits, le Bund (l’État phy, volume XIV. New York : Addison Emery Verrill-Johann Zwelfer ;
fédéral) en administre 12 regroupant 8 987 lits, les cliniques et les éta- Charles Scribner’s sons, p. 114-5.
blissements privés au nombre de 38 offrent seulement 3 321 lits. Lors 5 En France, Clovis Vincent use du procédé électrique dans le soin aux
de la politique de réforme hospitalière de Tandler, à partir du début des névrosés de guerre. Lors d’une séance d’électrothérapie en 1916, le zouave
années 1920, la municipalité rachète les cliniques privées dès qu’elles se Baptiste Deschamps se rebella. Ce refus d’obtempérer lui valut un procès.
trouvent en difficulté financière [8]. L’engagement du député républicain-socialiste Paul Meunier évitera à
4 C’est durant ces années que les lois modernes permettant une protec- Deschamps l’exécution. Sur cette histoire, consulter : Le Naour JY. Les
tion exemplaire des difficultés mentales furent formulées. Notons ici que soldats de la honte. Paris : Perrin, 2011.
Wagner von Jauregg est l’inventeur du traitement de la paralysie générale 6 Comme le rappela le président, les débats de la Commission concernaient
syphilitique par inoculation du paludisme (impaludation thérapeutique), non pas une plainte mais une enquête [9].

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Sigmund Freud, Julius Wagner von Jauregg, Arnold Durig, Julius Tandler

Commission. Löffer rassembla une abondante documenta- autre aujourd’hui, c’est-à-dire que j’en ai payé la moitié. Je
tion, rencontra des professionnels de la santé. Mais n’étant pense que nous pourrons commencer lundi » [29] (lettre
pas médecin, il lui fallut se référer à un spécialiste. Le choix [no 42] de Freud à Martha Bernays du 19 avril 1884).
de Freud n’est pas consigné. Or, Wagner von Jauregg était Le fait que Bettelheim ait été un médecin militaire et que
l’un des principaux représentants de l’École de Vienne7 si les deux hommes aient réalisé ensemble des expériences
bien que la plupart des neurologues de renom étaient soit de traitement électrique ne permet pas d’affirmer que ces
des disciples, soit des élèves ou des amis de l’accusé. La expériences aient concerné des soldats. Dans les Études
décision de prendre l’un d’entre eux aurait constitué un sur l’hystérie, Freud utilise encore ce procédé. Il en fait
manque d’objectivité [9]. L’obstacle s’en trouvait écarté en état avec une patiente qu’il nomme Elisabeth [16]. Dans
optant pour Freud, choisi pour différentes raisons : par son le maniement de l’électrothérapie, Freud s’en remettait au
indépendance de pensée [9], par ce qu’il était estimé par manuel de Wilhelm Erb, personnalité de la neuropathologie
Löffer [44], par son charisme [9], peut-être aussi par son allemande. Il mit de côté l’appareil électrique avant que le
engagement dans les affaires de la ville8 . neurologue Paul Julius Möbius, grande sommité, déclara
Löffer et Freud s’étaient déjà rencontrés. En 1906, Löf- qu’avec les malades des nerfs les succès de ce type de
fer l’avait invité à présenter une conférence à l’université traitement sont un effet de suggestion mentale [24].
de Vienne. Freud y déclarait : « Chez le criminel, il s’agit Victor Tausk avait fréquenté la clinique de Wagner von
d’un secret qu’il sait et qu’il vous cache, chez l’hystérique Jauregg [56] et Helene Deutsch avait travaillé pendant la
d’un secret que même lui ne sait pas, qu’il se cache à lui- guerre sous sa direction [57]. Ainsi, Freud par ses dis-
même. » Les personnes hystériques « [. . .] sont parvenues à ciples savait quel type de soins y était donné. C’est dans
refouler certaines représentations et certains souvenirs for- cette même clinique que Freud prononce « Les leçons
tement investis d’affect, tout comme les souhaits construits d’introduction à la psychanalyse ». Il déclare dans une
sur eux, de sorte qu’ils n’apparaissent pas dans leur cons- conférence que lorsque l’accès est hystériforme dans les
cience et restent donc secrets pour elles-mêmes » ([17], névroses traumatiques, la psychanalyse permet de remon-
p. 19-20). En 1920, « le cas de “Kauders” permet de resensi- ter au fondement. Les rêves des malades les ramènent à
biliser à l’énigme de la névrose traumatique. En établissant l’événement qui fait fixation [18]. Dans ces mêmes leçons,
la problématique hystérique de Kauders, Freud cherche Freud rapporte qu’un de ses disciples, médecin sur le front
surtout à faire reconnaître l’hystérie masculine qui, d’être allemand, quelque part en Pologne, soignant par la psycha-
déniée, tombe sous le coup de l’inculpation. Un hystérique nalyse, avait réussi à exercer de l’influence sur ses malades.
méconnu est fatalement confondu avec un délinquant » ([4], Le traitement utilisé trouve alors une attention chez ses col-
p. 30). lègues et supérieurs médecins. Des rencontres scientifiques
Freud avait une connaissance de l’utilisation du procédé se mettent en place dans lesquelles il expose ainsi ce qu’est
électrique. En explorant les premières années profession- la psychanalyse. Présentant le complexe d’Œdipe, il fait
nelles de Freud, nous découvrons qu’il avait comme face à leur désapprobation sur l’ensemble de la théorie. Il
camarade d’études Karl Bettelheim, médecin militaire, est alors interdit de poursuivre. Il est même déplacé sur une
et entretiendra une correspondance avec lui [42]. Freud autre partie du front [18]. Freud avait pris connaissance
d’ailleurs avait effectué une recherche sur l’utilité des trai- des articles du journal Der Freie Soldat. Sur l’invitation de
tements électriques, en vue d’une publication, Jones écrit : Löffer, le 18 février 1920, Freud se rendit à la Commis-
« Pendant plus d’un an, de mars 1884 à juillet 1885, Freud sion pour une discussion détaillée des questions soumises
se fera aider par différents collègues, Heitler, Plowitz, et à examen et des faits communiqués [9]. Le mémorandum
Bettelheim, il tenta diverses recherches dans l’espoir de fut terminé le 23 février 1920 [23] et fut reçu le 25 [9]. Ce
faire quelque découverte importante » [42]. Freud évoque document, redécouvert dans les archives du ministère de la
une des expériences dans sa correspondance : « Bettelheim Guerre autrichien par Josef Gicklhorn, a été publié depuis.
a apporté les instruments et j’en ai acheté moi-même un Dans le « Rapport d’expertise sur le traitement électrique
des névrosés de guerre », Freud rappelle que la guerre a
7 L’influence de Wagner von Jauregg est assez importante pour qu’il pro-
provoqué des traumatismes à un nombre important de per-
pose d’attribuer à Freud le titre de professeur ordinaire à l’université ce sonnes. Sur l’étiologie des troubles, la majorité dominante
qu’il fait dans un rapport en date du 23 juillet 1919. Le document est des médecins a tranché sur la nature des névroses de guerre
reproduit dans [15]. Le titre ne lui donne pas droit d’occuper un siège au comme n’étant pas due à des lésions organiques du sys-
Conseil de la faculté. La proposition est rendue publique en octobre [44]. tème nerveux mais étant de nature « fonctionnelle » certains
Freud regrettait que la position de la psychanalyse à l’université n’en fût
pas améliorée ([33], lettre [no 148F] de Freud à Eitingon, du 28 octobre même la qualifièrent d’« animique ». Les névroses de guerre
1919). La nomination est faite en date du 31 décembre 1919 ([32], lettre apparurent sur le front, les mêmes manifestations symp-
[no 368F] de Freud à Abraham, du 6 janvier 1920). tomatologiques se manifestèrent à l’arrière du front ainsi
8 Freud fut ainsi prié, ainsi que Wagner von Jauregg, d’entreprendre la
qu’en retour de permission. Les médecins rapprochèrent les
répartition d’un grand don de produits alimentaires envoyés aux malades
mentaux par le Comité d’aide zurichois ([30], lettre [no 49] de Freud au troubles des névrosés de guerre à ceux de l’état de paix, ils se
pasteur Pfister, du 27 décembre 1919). rangèrent à l’opinion soutenue par « l’école de psychiatrie

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appelée psychanalytique ». Les « névrosés de guerre cité des langues fait obstacle. À quoi Freud répondit que
n’étaient que pour une infime minorité des simulateurs ». cette méthode est utilisable en temps de guerre. Seulement
L’angoisse pour leurs propres vies, la rébellion contre la pour des cas isolés, lui répliqua Wagner von Jauregg. Freud
mission de tuer d’autres hommes, la répression sans égard déclara que des traitements de masse étaient possibles en les
à leur personnalité constituaient les tendances inconscientes raccourcissant par l’hypnose. Les débats avaient commencé
à se soustraire aux exigences du service de guerre. Ces en tant que commission d’enquête. Ils se poursuivirent le
tendances restaient inconscientes face à d’autres motiva- second jour en joute verbale entre partisans et adversaires
tions qui elles étaient conscientes. L’ambition, le respect de la psychanalyse [10]. Freud est alors absent, l’orientation
de soi, l’amour de la patrie, l’accoutumance à l’obéissance, des échanges se transforme en un procès de la psychana-
l’exemple des autres étaient plus forts jusqu’à être écrasés lyse comme il s’en plaint à un disciple ([32], lettre [no 383F]
par les tendances inconsciemment à l’œuvre [23]. de Freud à Abraham, du 31 octobre 1920). Quant à Wag-
L’enquête donna lieu à des débats à Vienne les 14 et ner von Jauregg, les débats aboutiront à sa réhabilitation. Il
16 octobre 1920. Le premier jour, Wagner von Jauregg est gardera de l’amertume face à la prise de position de Freud.
auditionné par la commission. Durig est lui aussi entendu Ne souhaitant pas reprendre place dans la commission, il
le premier jour sans que son activité soit mise sur le même démissionnera de celle-ci [60].
plan que celle de Wagner von Jauregg [9]. Freud, nommé
en qualité d’expert extérieur à cette commission dirigée par
Tandler9 , y présente ses arguments dans un face-à-face avec Freud, Wagner von Jauregg, Durig,
Wagner von Jauregg. Pour Freud, Wagner von Jauregg éten- Tandler
dait la simulation aux névroses. Or les névroses sont une
« fuite dans la maladie » selon la formulation dont il était Un autre événement va retenir notre attention quelques
l’auteur qui, rappelait-il, avait été reprise dans la science années plus tard, car il met les mêmes interlocuteurs aux
médicale. Il réaffirmait oralement que le nombre de faux prises. Il concerne l’exercice illégal de la médecine par
malades devait être faible. Wagner von Jauregg lui répondait Reik, élève de Freud. Ce dernier, comme le rappelle son
que les aveux contredisaient ce point de vue. Or pour Freud, biographe par Jones, encourageait les candidats venus lui
la majorité des états s’expliquait par des motivations incons- demander son avis de ne pas entamer des études médicales,
cientes. Il incombait au médecin de défendre des malades, mais de se lancer directement dans le travail analytique.
non pas « de jouer en quelque sorte le rôle de mitraillettes à Rappelons que dans certains pays comme l’Autriche, la
l’arrière du front » en cherchant les embusqués. L’histoire France et quelques États des États-Unis, la loi interdisait
de la maladie de Kauders trouve une explication, pour toute activité thérapeutique aux non-médecins. À Vienne,
Freud, dans le fait que le soldat a été blessé. Le considérer plusieurs psychanalystes non médecins travaillèrent au
comme un simulateur a été source d’injustice, d’irritation début de la guerre comme le baron Alfred Winrstein, ou
puis d’hostilité contre son médecin. Pour cette névrose, après celle-ci comme Rank, Siegfried Bernfeld et Reik,
Wagner von Jauregg aurait dû se servir de la psychanalyse mais aussi Anna Freud, August Aichorn, Ernst Kris, Robert
plutôt que du procédé électrique. Deux docteurs en Alle- Wälder et d’autres encore [44].
magne, Arnold Schnee et Simmel utilisent la psychanalyse. À cette époque, en 1924, Freud écrit l’Autoprésentation.
Le résultat thérapeutique a été excellent. Concernant les Nous connaissons même la date de la correction sur
simulateurs, Wagner von Jauregg se trouvait le plus compé- épreuves par une de ses correspondances, elle est réalisée
tent, il s’était occupé de certains en temps de paix puis de en octobre ([32], lettre de Freud à Abraham [no 459F], du
guerre alors qu’aucun d’entre eux n’étaient venu consulter 17 octobre 1924). Freud écrivait dans son autoportrait que
Freud. Il déclara que la psychanalyse ne peut être utilisée contrairement à ceux qui l’avaient délaissé, plusieurs per-
en temps de guerre, elle nécessite du temps et la multipli- sonnes l’avaient suivi et il citait Reik avec lequel il travaillait
« dans une fidèle collaboration » ([24], p. 101).
C’est à partir de 1920 que Tandler devint conseiller
9 Le milieu viennois est petit et les destins de Freud et Tandler se croisent
municipal chargé de la Bienfaisance et de la Santé à la ville
par deux fois lorsqu’il est question d’œuvres sociales. Ainsi, suite à la de Vienne10 . Le physiologiste Durig était alors conseiller
donation par des médecins américains pour financer la création d’une
maison de convalescence pour enfants, le Conseil d’administration qui
doit la diriger est mis en place. Il se compose de cinq membres : le maire
(Jakob Reumann), le doyen des médecins, le sous-secrétaire d’État du 10 Le Professeur Tandler, au nom du maire, accompagné du Docteur Karl
service de santé (Tandler), Freud et un Professeur de pédiatrie (Clemens Friedjung – aussi social-démocrate –, pédiatre et conseiller municipal pour
Pirquet) ([33], lettre [no 170] de Freud à Eitingon, du 1er avril 1920). Ainsi, les affaires sociales, rend une visite solennelle à Freud pour lui annoncer
Tandler et Freud siégeaient côte à côte à la Commission de contrôle de que lui est octroyé le titre de « Citoyen d’honneur de la ville de Vienne ». La
la fondation ([35], lettre [no 840] de Freud à Ferenczi, du 22 avril 1920). décision de cette attribution émane du parti social-démocrate majoritaire
Rapidement, Freud se désengagea de ce projet. Une dizaine d’années plus à l’Hôtel de Ville. Du fait de ses ennuis de santé, elle a été avancée au
tard, Freud sollicite Tandler. Soucieux de l’aide aux victimes de la crise 68e anniversaire de Freud, alors que généralement elle est remise à 70 ans
économique, il fit une proposition sur l’organisation du « Secours d’hiver » ([32], lettre [no 444F] de Freud à Abraham, du 4 mai 1924). Sa raison en
que présidait Tandler [28]. était le grand service rendu à la science (lettre de Freud à Olivier et Henny

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Sigmund Freud, Julius Wagner von Jauregg, Arnold Durig, Julius Tandler

d’État à la santé. Il en devient président. En 1924, Freud vois dans l’arrêté de la municipalité un empiétement injus-
fait part à Abraham, que Durig l’a invité à établir11 une tifié en faveur des intérêts du corps médical et au détriment
expertise en matière d’analyse profane, dénomination qui des malades comme de la recherche scientifique. » À la fin
désignait l’analyse pratiquée par un non-médecin (comme de son courrier, Freud demande à Tandler d’accueillir le
c’était le cas pour Reik). Nous savons par un courrier à un « Docteur » Reik qui sera porteur d’une « Ergographie »
de ses élèves, daté de fin novembre, que Freud l’a four- qu’il vient de publier ([29], lettre [no 214] de Freud à Tand-
nie à Durig et s’est entretenu avec lui de vive voix ([32], ler, du 8 mars 1925). Qu’est-ce un ergographe ? C’est un
lettre [no 464F] de Freud à Abraham, du 28 novembre appareil de mesure des résistances. Via ce trait d’esprit,
1924). La rédaction de l’Autoprésentation valorisant Reik Freud désigne alors Les Résistances à la psychanalyse,
est bien antérieure à la remise de l’expertise, ce n’est pas en texte dont la parution venait à point. Freud dans celui-ci
réponse à cette expertise que Freud exprime la fidélité de son décrivait l’attitude de médecins se contentant de classer
disciple. des manifestations morbides sans chercher de corrélations
Durig réunit le Conseil d’État de la santé de Vienne [25].
le 4 décembre 1924. Wagner von Jauregg, en tant que Dans la procédure où Reik est jugé pour exercice illé-
membre extraordinaire, demanda que les autorités sani- gal de la médecine, Wagner von Jauregg prit position.
taires signalent au Conseil de l’Ordre des médecins les Appuyons-nous sur le travail d’Harald Leupold-Löwenthal.
institutions qui pratiquaient la psychanalyse et qu’elles Wagner von Jauregg avait écrit un court texte sous le titre
exigent la mise en conformité de celles où se pratiquerait Le Cas du Dr Reik et le sabotage de traitement, un para-
l’« analyse profane » [53]. graphe le composant est intitulé « Un rapport du conseiller
Sans doute que Reik par précaution suspend-il la publi- aulique Wagner von Jauregg ». Il est exposé que seuls les
cation d’Effroi, rédigé en 1924, sur le thème sensible des médecins sont autorisés à traiter des maladies nerveuses et
névroses traumatiques [59]. Convoqué à une audience, Reik psychiques, quel que soit le mode de traitement psychana-
explique sa thérapeutique [37]. Il s’ensuivit des débats lytique ou autre, étant donné qu’ils sont seuls en mesure
animés, des batailles d’experts et de querelles légales. de diagnostiquer ce type de maladies [48]. Il est impor-
Elles aboutirent le 24 février 1925, au décret interdisant tant de préciser en toile de fond de ce débat, qu’est créée,
à Reik d’exercer la psychanalyse. Reik consulte un avo- en 1925, la polyclinique psychanalytique de Vienne. Cette
cat et informe Freud pour s’assurer de son appui [37]. fondation avait suscité des réactions de la part du Conseil
Il semble qu’il ait poursuivi son activité pendant quelque sanitaire régional de Vienne, et après le rapport de Wagner
temps (lettre de Reik à Abraham, du 11 avril 1925, cité par von Jauregg, seuls les analystes, qui avaient un diplôme de
Gay P. [37]). la faculté de médecine, pouvaient y travailler sous peine
Le 8 mars 1925, Freud prend position pour Reik, « un de voir fermer la polyclinique13 . Cette mesure compli-
de mes meilleurs élèves », dans une lettre à Tandler12 et lui qua alors l’organisation naissante [47]. Plus d’une fois
rappelle l’accord auquel ils étaient arrivés : en psychana- Wagner von Jauregg proposera la fermeture de la polycli-
lyse, sont à considérer comme profanes ceux qui ne peuvent nique [40].
justifier d’une connaissance satisfaisante théorique et pra- L’affaire de Reik connut une nouvelle actualité. New-
tique de cette science, qu’ils soient ou non diplômés de ton Murphy, médecin de formation, était venu à Vienne
médecine. Ainsi, Reik ne pouvait être regardé comme pro- pour y faire une analyse avec Freud. Ce dernier n’ayant
fane. Face à l’arrêté, Freud formule deux objections : la plus d’heures disponibles l’adresse à Reik. Commence alors
psychanalyse n’est pas une affaire purement médicale ni en une analyse pendant quelques semaines. Le résultat semble
tant que science ni en tant que technique ; elle n’est pas avoir été désastreux [37]. Au printemps 1926, Murphy
enseignée aux étudiants en médecine à l’université. L’acte invoqua la loi autrichienne sur l’« exercice illégal de la
politique édicté privilégie une corporation, Freud écrit : « Je médecine » ou charlatanisme [44]. Il demande des dom-
mages et intérêts [37]. Il s’enclencha, comme le précise
Leupold-Löwenthal, non pas une procédure juridique mais
Freud, du 7 mai 1924, cité par Jones E., [44]). Il était purement honorifique une procédure administrative pénale [48]14 .
comme il l’explique à son disciple hongrois ([35], lettre [no 961F] de Freud Faisant suite, Freud adresse à la Neue Freie Presse une
à Ferenczi, du 28 mai 1924). Freud devra néanmoins attendre ses 70 ans lettre intitulée « Le Dr Reik et la question du charlatanisme
en 1926 pour que lui soit remis le diplôme. dans la cure », qui paraît dans le numéro du 18 juillet 1926.
11 Ce document justifiant la demande de Durig n’a pas été retrouvé d’après
les recherches de Karl Sablik [31].
12 Des feuillets dactylographiques écrits par Freud à un correspondant ano-
13 Sur la polyclinique psychanalytique de Vienne appelée Ambulatorium
nyme et sans date ont été retrouvés dans ses archives. Il n’est pas possible
de savoir si la lettre a été envoyée. Elle traite de l’exercice de la psycha- se reporter à [41] et [3].
nalyse par un non-médecin [53]. Le nom de Reik n’est pas mentionné ce 14 Les actes de cette procédure concernant le Dr Reik n’ont pas été retrou-
qui amène à penser que ces feuillets ont été rédigés avant l’affaire dans vés. Il est probable qu’ils aient été détruits au bout d’un certain temps
laquelle il se trouva impliqué. [48].

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G. Tréhel

Freud nous renseigne sur la qualité du travail de Reik, il où contrastaient des points de vue différents : Eduard
spécifie qu’il a eu « recours à ses compétences pour des Hitschmann, par exemple, qui dirigeait la clinique psycha-
cas particulièrement difficiles ». Il ajoute que les cas en nalytique de Vienne s’était rangé à l’avis des autorités de
question étaient « loin du domaine corporel ». Notons que la santé15 considérant que la psychanalyse est l’affaire des
dans ce même document, Freud prend position en faveur médecins. Au contraire de Freud qui, à cette époque, écrit
de sa fille Anna qui s’est tournée vers l’analyse pédago- à Paul Federn, que tant qu’il vivra, il refusera que la méde-
gique des enfants et adolescents ([27], p. 95). Psychanalyste cine absorbe la psychanalyse (lettre de Freud à Federn, du
non médecin, Freud rappelle que Reik n’est pas, dans cette 27 mars 1926, cité par Gay P. [37]). Freud maintint sa posi-
configuration, seul. tion concernant l’analyse profane jusqu’à la fin de sa vie
Dans une lettre circulaire écrite le 19 juillet, Freud met (lettre de Freud à Jacques Schnier, en date du 5 juillet 1938,
en lien l’impact de cette mise en accusation de l’un de ses cité par Jones E. [44]).
disciples avec l’aura qui vient alors de marquer la psycha- L’intervention de Freud et peut-être celle d’autres
nalyse. Le maire de Vienne, Karl Seitz, et Tandler remirent comme celle du social-démocrate Friedjung et de Paul
à Freud, le jour de ses 70 ans, le diplôme de Citoyen Federn, proche de sympathisants de ce parti, qui se « parta-
d’honneur de la ville de Vienne conféré deux ans aupa- geaient la tâche de défendre les intérêts de la psychanalyse
ravant. Freud obtenait la reconnaissance annoncée. Mais auprès de Tandler » furent suivies d’effets [12]. Après
en acceptant ainsi cette considération, il prit le risque de les enquêtes préliminaires et différentes attestations, il fut
mettre la psychanalyse au centre des critiques. C’est ce qui prouvé que Murphy était quelqu’un de déséquilibré et son
arriva. Reik fut l’élément déclencheur. Jones faisant la lec- témoignage ne pouvait pas être pris en compte. Le dos-
ture de la lettre circulaire écrit : « Après les réjouissances sier manquait de preuves. La procédure judiciaire intentée
de l’anniversaire vint une vague de réaction et c’est à elle contre Reik s’arrêta, elle fut suspendue par le procureur
que Freud attribua le procès que l’on faisait à Theodor Reik général [53]. La publicité négative et le malaise dans
pour “charlatanisme” [. . .] » (lettre circulaire de Vienne, lequel elle mit Reik le poussèrent à quitter Vienne pour
du 19 juillet 1926, cité par Jones E. [44], p. 143). Comme Berlin.
l’écrit Peter Gay : « Freud se bat pour Reik comme s’il se
battait pour lui-même » [37]. Face à l’attaque, Freud riposta
par la rédaction de La Question de l’analyse profane, qu’il Points de jonction
rédigea en un mois [37]. Un extrait parut le 22 septembre des deux procédures
1926 dans la revue Neue Freie Presse sous le titre « Dans
l’atelier du psychanalyste ». Y a-t-il des points communs entre ces deux affaires ?
Pour la rédaction de ce sujet sensible, Freud utilisa la Assurément, nous avons vu que les mêmes interlocuteurs
forme d’un dialogue, d’Entretiens avec un homme impar- prennent part à ces procédures. Dans la première, Wagner
tial, nom du sous-titre [26]. L’échange avec cet « homme von Jauregg est mis en accusation et doit justifier sa pra-
impartial » dont l’identité n’est pas révélée permet à Freud tique tout comme Durig. Freud, appelé en tant qu’expert
d’ouvrir la discussion. Qui se cache derrière cette déno- par la Commission présidée par Tandler, prend position.
mination énigmatique ? Deux noms sont avancés : Durig Dans la seconde, c’est un disciple de Freud dont la pratique
et Tandler. Nous avons vu que Freud avait été en contact est pointée, probablement pour atteindre le maître. Wagner
avec les deux. Il avait adressé une expertise à Durig en von Jauregg s’oppose à la réalisation de traitements psy-
1924, il avait écrit une lettre à Tandler en 1925. Freud, par chanalytiques par des profanes en médecine. Freud défend
ailleurs, dans un post-scriptum à ce texte – qui restera à son élève. L’arbitrage est alors réalisé par Durig et Tand-
l’état de projet –, écrit en 1935 que l’« homme impartial » ler. Mais si les interlocuteurs des deux procédures sont
est alors toujours vivant [26]. Là encore, cette information les mêmes, ils ne sont pas à la même place. À en regar-
ne permet de trancher entre les deux personnalités. Tandler der le contenu, elles concernent toutes deux les usages
et Durig décéderont respectivement en 1936 et 1961. Le médicaux.
manque d’autres sources ne nous permet pas d’identifier Nous nous sommes intéressés plus haut au débat autour
avec certitude celui qui donne, dans ce texte, la réponse à des pratiques médicales dans la clinique de Wagner von
Freud. Jauregg. Considérons donc le « Rapport d’expertise sur
L’ouvrage est considéré par Freud comme un « pam- le traitement électrique des névrosés de guerre » pour en
phlet » ajoute-t-il « de controverse et de circonstance » lire quelques phrases. Freud y écrit en s’appuyant sur le
([30], lettre [no 76] de Freud à Pfister, du 14 septembre
1926). Le sujet de l’analyse pratiquée par les non-médecins 15 Les échanges qui marquèrent la psychanalyse en 1926-1927 furent
dans le mouvement psychanalytique est un des thèmes qui
publiés dans l’International Journal de 1927. L’ensemble des débats
a le plus retenu l’intérêt de Freud [44]. Au sein même – composé de 25 interventions dont celle de Reik – a été traduit et parut
de la psychanalyse, une discussion conséquente s’engagea en français dans la revue du Coq-Héron [46].

594 L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 89, N◦ 7 - SEPTEMBRE 2013


Sigmund Freud, Julius Wagner von Jauregg, Arnold Durig, Julius Tandler

traitement militaire : « [. . .] le névrosé de guerre devait modifié et renforcé au point qu’il est permis d’envisager le
être dégoûté de l’état de maladie, de manière à ce que les comportement futur de l’individu après la cure. Freud pour-
motifs basculent nécessairement en faveur de la guérison » suit : « Sur un parcours qu’en temps de paix on accomplit
([23], p. 229). Et un peu plus loin : « L’enseignement psy- à toute allure en quelques heures de chemin de fer, une
chologique donné aux médecins est très généralement fort armée peut être arrêtée des semaines si elle doit surmonter
insuffisant, et plus d’un peut bien avoir oublié que le malade la résistance de l’ennemi. Dans la vie animique aussi de tels
qu’il veut traiter comme un simulateur n’en est malgré tout combats prennent du temps » ([26], p. 49]. Plus loin encore,
pas un » ([23], p. 229). il relève que les phénomènes psychiques sont difficilement
Ouvrons maintenant le second texte mentionné plus saisissables : « Le névrosé, lui, est une complication non
haut La Question de l’analyse profane. Entretiens avec un souhaitée, un embarras pour l’art de guérir, non moins que
homme impartial pour en relever quelques passages. Une pour l’exercice de la justice et le service de l’armée » ([26],
question de l’homme impartial lui est posée sur la différence p. 57).
entre les instances psychiques du « moi » et du « ça ». Freud Il est étonnant de trouver dans un texte sur La Ques-
utilise une double analogie entre le « moi » et le front, le tion de l’analyse profane, des références, qui si elles ne
« ça » et l’arrière. La partie de la psyché qui est dans la sont pas centrales sont bien présentes, à la guerre, à la
plus grande proximité avec le monde extérieur, donc avec simulation, aux névrosés de guerre ou encore à l’armée.
la réalité, est le « moi ». Cette réalité a une influence sur La juxtaposition des passages met en pointe l’indication
le moi. De la même manière, il y a au front une grande d’une continuité des deux textes sur le thème des pra-
proximité avec l’ennemi. Cette proximité fait que beau- tiques médicales de guerre. L’expertise était destinée à un
coup de choses sont interdites. Le « ça » correspond à ce tribunal. Elle n’a été retrouvée que par des investigations
qui est inconscient. Dans cette partie de la psyché, il n’y a poussées ce qui permit sa publication. Le second document
pas de conflit. Par analogie, à l’arrière, les choses étaient était adressé à l’opinion publique. Ce qui avait été formulé
permises [26]. Sur un autre point sans rapport avec le pre- dans un débat public trouvait une certaine prolongation sur
mier, Freud insiste sur le fait que lorsqu’il devrait y avoir une scène plus large. En réfléchissant à cette configura-
un échange raisonné entre hommes, ce sont des sentiments tion, qu’y a-t-il de plus naturel que de reprendre l’échange
plus que des arguments qui sont exprimés. Par exemple, précédent ?
dans le corps politique, la dénonciation par l’opposition
d’une mauvaise gestion dans l’armée donne comme riposte
que de telles constatations offensent l’honneur militaire ou Conclusion
national. Les sentiments dominent la raison [26]. Un peu
plus loin, l’homme impartial se questionne sur la volonté Avec la guerre, se pose face aux nombres de soldats
du malade. Souhaite-t-il ou non retrouver la santé ? Il est souffrant de blessures psychiques la question du type de
ainsi difficile d’avoir un avis tranché sur la responsabilité soin à apporter. La psychanalyse est utilisée moyennant des
des névrosés. Freud s’appuie sur l’expérience de la Grande aménagements par des médecins militaires. Dans le corps
Guerre dans laquelle on a observé la difficulté à adapter médical, l’origine psychogène trouve une acceptation, la
les exigences sociales à leur état psychologique. Il écrit : conceptualisation psychanalytique est reprise. Le type de
« Les névrosés qui se soustrayaient au service étaient-ils des traitement est pensé comme une alternative à d’autres pro-
simulateurs ou non ? Ils étaient l’un et l’autre. Quand on cédés comme le courant faradique utilisé par exemple dans
les traitait en simulateurs et quand on leur rendait l’état de la clinique de Wagner von Jauregg.
maladie vraiment inconfortable, ils recouvraient la santé ; L’après-guerre est marqué par la désolation et le besoin
quand on envoyait au service ceux qui étaient prétendu- de trouver des responsables à ce que le peuple a vécu.
ment rétablis, ils fuyaient de nouveau promptement dans la Est mise en place une enquête sur les pratiques médi-
maladie » ([26], p. 46). L’homme impartial revient ce point cales à laquelle prend part Tandler. Le service de Durig
qui lui paraît énigmatique : « On n’arrive absolument pas à et la clinique Wagner von Jauregg sont critiqués pour
voir à quelles fins un être humain voudrait être malade, ce avoir usé des méthodes violentes dans le traitement des
qu’il en retire. » Aussi, Freud reprend alors l’exemple des névrosés de guerre. Freud est entendu en tant qu’expert,
blessés psychiques du premier conflit mondial : « Pensez représentant d’une école indépendante, lors des débats.
aux névrosés de guerre, qui justement n’ont pas à accom- Le procès se tourne contre la psychanalyse. Wagner von
plir de service parce qu’ils sont malades. » Les forces qui Jauregg est réhabilité. L’expertise, partie intégrante du dos-
s’opposent au travail de guérison sont des « résistances » sier, ne sera redécouverte que bien plus tard et publiée
du malade. Le « bénéfice de la maladie » est la source de depuis.
cette résistance ([26], p. 47-48). Le combat contre ces résis- Délivrée de ses obligations militaires, Reik s’installe
tances est la tâche principale du travail analytique. Par ce comme psychanalyste à Vienne. Il exerce comme d’autres
combat et le dépassement des résistances, le moi s’en trouve personnes non diplômées de médecine. Durig demande

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G. Tréhel

une expertise en matière d’analyse profane à Freud et 3. Ann Danto E. The Ambulatorium: Freud’s free clinic
s’entretient avec lui de vive voix. Cette même année 1924, in Vienna. The International Journal of Psycho-Analysis
Reik rédige Effroi qu’il conserve alors et ne le fera publier 1998 ; 79 : 287-300.
que bien plus tard. Fin 1924, Wagner von Jauregg s’attaque 4. Assoun PL. L’inconscient du crime. La « criminolo-
à l’usage de la psychanalyse dans les institutions. Début gie freudienne ». Recherches en psychanalyse 2004 ; 2 :
1925, un arrêté de la municipalité interdit à Reik l’usage 23-39.
de la psychanalyse. Et rapidement, Freud prend position 5. Barrois C. S. Ferenczi et les névroses traumatiques. Psychia-
dans une lettre à Tandler. Dans le cadre d’une procédure trie française 1986 ; 17 : 29-38.
engagée par un ancien patient de Reik pour exercice illé- 6. Bogdan H. Histoire des Habsbourg (2002). Paris : Perrin,
gal de la médecine, Freud défend son disciple sur la scène 2005.
publique. Il le fait notamment au travers de La Question de 7. Crocq L. Panorama général des séquelles psychiques de
l’analyse profane, texte écrit sous la forme d’un dialogue guerre chez l’adulte et chez l’enfant. Annales de psychologie
avec un homme impartial – sans doute est-ce Durig ou Tand- et des sciences de l’éducation 1998 ; 14 : 1-40.
ler. Freud, tout en argumentant la pertinence de l’utilisation 8. Danneberg R. La municipalité sociale-démocrate de Vienne.
de la psychanalyse par des non-médecins, reprend le thème Bruxelles : L’Eglantine, 1928.
des névroses de guerre. La procédure est arrêtée et Reik est 9. Eissler KR. Freud sur le front des névroses de guerre (1979).
innocenté. Paris : PUF, 1992 (traduction française par Drouin M. en col-
Ainsi dans ces affaires, qui se déroulent à la même laboration avec Porge A., Porge E., Vindras A.-V.).
période et dans la même ville, se retrouvent les mêmes pro- 10. Ellenberger HF. À la découverte de l’inconscient – Histoire de
tagonistes : Durig, Tandler, Wagner von Jauregg, Freud. la psychiatrie dynamique (1970). Villeurbanne : Simep, 1974
Appelé devant le politique, les pratiques de soin sont aux (traduction Feisthauer J.).
centres des réflexions. S’opposent, d’un côté, la méde- 11. Falzeder E. Profession : psychanalyste. Une perspective his-
cine et, de l’autre, la psychanalyse. Durant la guerre, la torique. Psychothérapies 2003 ; 23 : 195-208.
psychanalyse avait démontré sa valeur théorique ainsi que 12. Federn E. Une lettre d’Ernst Federn, « la relation n’est pas
sa pertinence thérapeutique moyennant quelques aménage- aussi mystérieuse qu’il n’y paraît » 1985. Revue internatio-
ments. Elle avait convaincu les autorités militaires de créer nale d’histoire de la psychanalyse 1990 ; 3 : 99-103.
des centres usant de la psychanalyse. La fin de la guerre 13. Ferenczi S. Psychanalyse des névroses de guerre (1919
n’avait pas permis la réalisation de ces centres. Il n’en res- [218]). In : Œuvres complètes, psychanalyse III : 1919-
tait pas moins que la doctrine psychanalytique avait franchi 1926. Paris : Payot, 1993 (p. 27-43 ; traduction française de
un pas dans sa réception. Dupont J., Viliker M.).
À mettre côte à côte les prises de position de Freud lors 14. Fischer-Homberger E. Die traumatische neurose. Vom soma-
de ces deux procédures, il apparaît une continuité. Dans tischen sozialen Leiden. Berne, Stuttgart et Vienne : Hubert,
le « Rapport d’expertise sur le traitement électrique des 1975.
névrosés de guerre », il aborde le thème de la détection des 15. Freud E, Freud L, Grubrisch-Simitis I. Sigmund Freud.
simulateurs face aux névrosés ainsi que les pratiques de Lieux, visages, objets (1974). Bruxelles : Éditions Complexe,
1976.
soins prodigués aux névrosés de guerre. Dans La Question
de l’analyse profane, alors que le titre ne le laisse pas présa- 16. Freud S, Breuer J. Du mécanisme psychique de phéno-
ger, Freud revient par petites touches sur les mêmes thèmes mènes hystériques. Communication préliminaire (1895d).
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