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Doit donc être envisagé un acte uniforme unique sur le droit des contrats et le droit
de la preuve.
Ensuite, sur le plan de fond, l’avant-projet fait œuvre originale sur bien de
points. Il s’agit en premier lieu de ce qu’on peut considérer comme des principes
directeurs modernes et largement partagés en droit comparé des contrats. Les
principes de bonne foi et de loyauté, la prise en compte des attentes légitimes du
cocontractant, le principe de non-discrimination, la possibilité de renégocier le
contrat en cas de bouleversement des circonstances, le principe de résolution
unilatérale pour inexécution essentielle, même si le débat rebondit sur la
procédure… Il s’agit aussi des domaines revisités ou nouveaux : la situation
précontractuelle, les contrats électroniques, la preuve des obligations contractuelles…
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En effet, en dépit des dispositions originales et modernes contenues dans
l’avant – projet, ce dernier laisse son lecteur perplexe. Ainsi les contours ne sont pas
nettement définis. L’avant-projet embrasse trop ou trop peu. Véritablement, prima
facie, apparaît une question de cohérence.
I. La cohérence
L’embarras sur la cohérence d’ensemble arrive très vite. L’hésitation est nette.
A-t-on affaire à un droit commun des contrats en général ou à un droit commun des
contrats commerciaux. Si, et c’est la préférence de l’auteur de l’avant-projet, le
nouvel acte doit s’appliquer à tous les contrats, civils et commerciaux, internes et
internationaux, alors il est incomplet car toutes les questions de la théorie générale
ne sont pas abordées. Par ailleurs, l’option étant faite pour une approche globale, on
peut se demander si l’on ne s’écarte pas trop du domaine d’harmonisation retenu
dans le traité créant l’OHADA.
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La première hésitation est relative au genre de contrat à harmoniser. Fallait-il
aborder tous les contrats, qu’ils soient civils ou commerciaux, internes ou
internationaux, ou s’en tenir aux seuls contrats commerciaux ?
Mais pouvait-on élaborer des règles générales pour les seuls contrats
commerciaux ? La réponse est absolument négative. Il n’est pas possible de
dégager des règles générales applicables les unes aux contrats civils, les autres aux
contrats commerciaux : par exemple, en matière de conditions de fond de formation
du contrat (capacité, consentement, objet, cause, sanction de la violation des
conditions de formation), la force obligatoire du contrat, l’interprétation du contrat.
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La seconde hésitation de l’auteur est relative précisément aux matières
couvertes. L’auteur indique clairement que son avant-projet ne concerne que les
obligations contractuelles et quelques matières de la théorie générale des
obligations.
Toute cette analyse invite à s’interroger sur l’opportunité même d’un acte
uniforme sur le droit des contrats. La question se ressent d’autant plus qu’un tel
acte est assez éloigné du domaine général d’uniformisation du traité de l’OHADA
Il faut toutefois avoir raison gardée, car alors toute matière pourrait faire
partie du droit des affaires ou du droit économique. L’OHADA n’a de sens que si l’on
a une conception stricte du droit des affaires. C’est l’esprit du législateur OHADA,
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sinon c’est tout le droit qui sera uniformisé. Et quand on sait la place du contrat
dans la vie juridique quotidienne, comment imaginer un seul instant que tout contrat
puisse entrer dans le schéma mis en place par l’OHADA. Sinon, il y aurait un
abandon général de souveraineté législative et judiciaire. Ce n’est assurément pas le
dessein des pères fondateurs de l’ OHADA. Dans le cadre de l’OHADA,
l’uniformisation recherchée et l’abandon de souveraineté législative et judiciaire
invitent à une compréhension prudente du domaine défini dans le traité fondateur.
Cette double contrainte commande d’exclure totalement la théorie générale du
contrat du domaine d’uniformisation. Autrement, on atteint un degré d’abandon de
souveraineté préjudiciable à la cohérence de l’OHADA et susceptible de
compromettre son avenir, l’espace OHADA n’étant ni une union politique ni une
communauté économique, mais simplement un espace juridique.
La logique de l’OHADA devrait par conséquent amener à s’en tenir aux seuls
contrats commerciaux. Comme une théorie générale des contrats commerciaux n’a
pas de sens, il s’agit de recenser des actes économiques spécifiques dont le régime
juridique sera uniformisé. C’est du reste la démarche qui a été menée par l’OHADA
jusque-là en s’intéressant au contrat de vente commerciale, au bail commercial, au
courtage, à la commission, au contrat de transport de marchandises par route. De
ce point de vue, certains autres contrats spécifiques de la vie des affaires,
singulièrement ceux qui sont le fait des commerçants pour les besoins de leur activité
pourraient retenir l’attention : le contrat de franchise, le contrat de commission
exclusive, tous les contrats relatifs à la production et à la distribution…
En somme, l’option pour un acte uniforme sur le droit des contrats est assez
périlleuse. L’avant-projet met en exergue cette difficulté en n’abordant que
partiellement les questions de théorie générale et n’entrant que très marginalement
dans le domaine d’uniformisation du traité de l’OHADA.
Comme si le trouble jeté ne suffisait pas, une autre option a été faite de se
référer presque exclusivement aux principes d’UNIDROIT pour dégager les règles
générales du droit des contrats. La voie ainsi tracée n’est-elle pas pavée d’embûches
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infranchissables. On ne sent pas l’âme de la réforme proposée. C’est bien là l’autre
objet de nos tribulations.
II. La référence
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peuvent que très imparfaitement servir de base pour une théorie générale du droit
des contrats à la fois civils et commerciaux, internes et internationaux.
Du coup, l’on perçoit les limites des principes d’UNIDROIT pour une réforme
globale. En voulant les transposer, on court le grave risque d’opérer une réforme qui
ne respecte pas la cohésion de son propre système. 0r, c’est bien la situation avec
l’avant-projet en question.
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Ensuite l’avant-projet, en dépit de ses originalités, apparaît plus comme un
texte international que national. La même remarque est faite pour l’acte uniforme
relatif au contrat de transport des marchandises par route. Et on se rend compte
déjà combien cet instrument est difficilement applicable au contrat interne de
transport des marchandises par route.
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préexistants et, au-delà, menace, jusque dans ses racines les plus profondes, le
système juridique de l’espace OHADA. Or l’enjeu est de moderniser ce système et
non de transposer à tout prix les principes d’UNIDROIT.
Une autre directive retenue était de tenir compte des réalités africaines. Une telle
directive n’invitait-elle pas, en réalité, à aller au-delà des circonstances de fait comme
l’analphabétisme et à « coller » au système juridique de l’espace OHADA.
L’espace OHADA est très largement de tradition civiliste. Mais comme elle est
susceptible de l’ouvrir au système anglo-saxon par l’admission dans l’OHADA des
pays anglophones, on a pensé que le recours aux principes d’UNIDROIT serait un
compromis. Nous avons vu combien les principes d’UNIDROIT ne forment pas un
droit complet. Surtout, un tel compromis relèverait de l’utopie. En revanche, ce qui
est possible – et l’on l’observe déjà – c’est l’enrichissement réciproque des divers
systèmes juridiques. On assiste à une sorte de métissage juridique, sans pour autant
que chaque système juridique perde son identité propre. L’expérience du
Cameroun, pays bi-juridique à la recherche de l’unification de son droit, est édifiante
à cet égard. La jurisprudence et les réformes récentes montrent une unification
puisant dans la tradition romano - germanique et la tradition anglo-saxonne mais à
dominante civiliste. La pratique notariale se généralise. Les régimes matrimoniaux,
ignorés en principe du système de common law, sont consacrés par la jurisprudence
dans la partie anglophone. L’ « évidence » du common law pénètre le droit de la
preuve dans la partie francophone. Le nouveau code de procédure pénale, sans
renier son passé hérité du code d’instruction criminelle, a renforcé ses sources de
common law.
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L’ouverture est ainsi possible et souhaitable, à condition qu’elle n’ignore pas le
fonds juridique et les pratiques judiciaires de l’espace OHADA. Quoi qu’on dise, une
famille juridique dominante existe dans l’espace OHADA et constitue la spécificité
africaine dont il fallait tenir compte. Elle s’est formée au fil du temps en trois
couches successives. La strate de fond est le système juridique romano-
germanique, ou plus précisément la tradition civiliste à travers le droit français hérité
de la colonisation tel que réinterprété au contact de la culture juridique personnaliste
de l’Afrique noire. La strate intermédiaire est l’ensemble des réformes intervenues
depuis les indépendances dont les innovations ont eu un impact considérable sur la
théorie générale des contrats : le code sénégalais des obligations civiles et
commerciales issu de la loi du 10 juillet 1963, le code civil de Guinée Conakry de
1983, la loi Malienne du 29 août 1987 fixant le régime général des obligations. La
strate supérieure est formée des actes uniformes OHADA en vigueur dont certaines
dispositions, nous l’avons vu, contiennent des éléments intéressants et innovants de
la théorie générale du contrat. Dans la grande famille civiliste, la famille juridique de
l’espace OHADA se déploie avec ses marques propres. Elle prend ses distances avec
le droit français, de telle sorte que tout raisonnement par analogie avec ce dernier
s’avère hasardeux. Dès lors, toute ouverture ne peut être que des greffes des
principes d’UNIDROIT ou des solutions issues des usages internationaux ou des
droits étrangers efficaces et compatibles. C’est du reste la démarche de l’OHADA
jusque-là. Ainsi, la vente commerciale entre professionnels réglementée par l’acte
uniforme relatif au droit commercial général garde son fonds latin, mais le régime est
enrichi par la pratique internationale et certaines solutions de la Convention de
Vienne sur la vente des marchandises.
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Les contours de la conclusion ressortent nettement.
L’avant-projet, même avec des solutions originales, modernes et attractives
sur certaines questions épineuses, reste globalement insaisissable. Insaisissable
parce qu’il ne précise pas clairement son champ, contrats en général ou contrats
commerciaux seulement, singulièrement internationaux ; insaisissables parce qu’il
embrasse, sans l’épuiser, la théorie générale des contrats. Insaisissable, parce qu’il
déborde largement le domaine strict du droit des affaires. Insaisissable, parce qu’il
est très éloigné de la tradition juridique et des pratiques judiciaires des pays de
l’espace OHADA, alors même que les principes d’UNIDROIT ne constituent pas une
famille juridique pouvant se substituer à tout un système juridique donné.
Il vaudrait mieux abandonner l’initiative même d’un acte uniforme sur le droit
des contrats en faveur d’une des deux démarches suivantes, afin de tirer le meilleur
parti du travail considérable du Professeur Marcel Fontaine.
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au vrai sens du mot, la théorie générale des contrats dans divers Etats. L’approche
est peu ambitieuse. Mais ce qui est perdu est gagné en réalisme et en efficacité.
Pour cela, il faut toujours avoir à l’esprit la conception originelle des pères
fondateurs. L’univers OHADA est un espace juridique spécifique, mais pas une
communauté économique encore moins une union politique. Dès lors l’OHADA n’est
pas une machine à uniformiser tout le droit, mais un outil technique de
modernisation intégrée d’un droit spécial.
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