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L’opéra de la Mort
Frankétienne
Mardi 12 janvier 2010. La journée va rés. Plus d’un million d’infortunés sous Mourir violemment de fausses lueurs. fois les entrailles déchalborées de ma
bientôt s’achever. des tentes fragiles et malsaines. Un cruel Mourir d’asphyxie et de cauchemars ville bougent à l’intérieur d’une faille
La baie de Port-au-Prince brille en- cinéma de culs-de-jatte, de manchots et lugubres. obscure plus gloutonne que la douleur
core sous les carats éclatants du soleil de cocobés traumatisés. Mourir beaucoup. nocturne sous une myriaderie de tenta-
caraïbe. Brutale initiation à l’art de mourir en Mourir toujours. cules et de ventouses.
Il est 5h moins 7 minutes au moment silence. Mourir à jamais. La mort nous mange et nous déman-
où quelques 35 battements de secondes Mourir encore dans la macornerie des Mourir de trop. ge impitoyablement.
suffiront à projeter ma ville dans une corps déchiquetés. Mourir de rien. Caricature d’un destin maquillé en
éternité d’horreurs sous les palavirés Mourir au ralenti des gestes poussié- Mourir de néant. madichonnerie à travers les cassures,
meurtriers d’un séisme sauvagement reux. Mourir absolument. les fissures et les brèches de nos cris dis-
aveugle en atrocités dévastatrices. Un Mourir terriblement sous des tessons Et parfaitement mourir. tordus de vents apocalyptiques.
dézafi de ravages insupportables. Une d’horloges déraillées. Mourir d’un voyage d’encombrement Interminablement l’opéra de la mort
orgie de cataclysmes inattendus. Mourir en solitaire sous les décombres au trépas du temps qui passe et qui sou- s’élargit, se prolonge et se dilate aux
Plus de 300 000 morts. Plus de 10 000 et les gravats. dain se fige en faux couloir d’impasse. contours des récifs ensanglantés.
maisons effondrées. Quartiers et villa- Mourir habillé d’ombres folles. Tracas, malheurs, désastres en strophes Comment survivre à la rage du nau-
ges affaissés. Bétonvilles déconstom- Mourir enfournoyé de ténèbres et de coffrées de catastrophes immondes. frage saturé de pourritures de débris,
brés. Palais et châteaux aplatis/défigu- fantômes. Trois fois, sept fois, cent fois, mille de déchets et d’artripailles ?
P h o t o : A F P / E i ta n A b r a m o v i c h
12 janvier 2010
Gary Victor
Parfois, je ferme les paupières avec force. Je les gar- route de Saint-Gérard, d’avoir une vue plus dégagée le monde connaissait Larco à Carrefour-Feuilles.
de closes quelques secondes, puis je les rouvre avec sur les alentours et sur la ville. Nous l’appelions Ti-Laco. C’était presque un person-
l’espoir incongru que je retrouverai mes repères, ces Ils sont morts par centaines, dans ce quartier qu’on nage emblématique du quartier. Toujours bien mis,
images qui m’ont accompagné depuis ma plus tendre a oublié parce que jamais chimérisé par le pouvoir en col au cou, il avait fait les quatre cents coups, comme
enfance. La Croix Deprez, l’hôtel Castel Haïti ! Mais place. À la rue Numa Rigaud, des deux côtés de la rue, on dit, et il avait été même candidat à la députation,
je chute toujours dans le même cauchemar que je il ne reste plus une maison debout. J’ai ramassé, dans si bien que certains lui donnaient encore du député.
vis maintenant depuis plusieurs mois. Ces quartiers les ruines d’une de ces demeures, une photographie Charmeur, arnaqueur, toujours prêt à venir en aide à
soufflés comme par l’explosion d’une bombe, ces col- que j’ai remise par la suite à un résident de la zone quelqu’un, amateur de belles femmes et de ces tranpe
lines parsemées de maisons maintenant soit détrui- échappé par miracle à la catastrophe. Un enfant, un si appréciés de l’inspecteur Dieuswalwe Azémar, il est
tes soit de guingois, comme si une main avait arrêté petit garçon d’environ sept ans, avec son sourire, tout mort parce qu’immédiatement après la première se-
leur écroulement, ces rues réduites à des sentiers à beau dans son uniforme d’école. Il n’a pas échappé, cousse il s’est levé d’une table de dominos et a pris un
cause de l’amoncellement des débris, ces nouvelles lui. Moi, j’ai pensé pendant au moins quatre heures mauvais chemin, contrairement aux autres joueurs. Il
constructions de fortune qu’élèvent des citoyens lais- que j’avais perdu mes deux enfants, Iahhel et Auré- est resté des heures sous les décombres avant de ren-
sés à eux-mêmes. Mon quartier, Carrefour-Feuilles, lie. Cette nuit de détresse ponctuée de répliques et de dre l’âme. Nous tous, nous pleurons encore sa mort.
pourtant, bien que blessé à mort, semble prendre de vociférations religieuses restera à tout jamais plantée À travers lui, ce sont toutes les victimes de Carrefour-
l’air avec les espaces vides qui permettent du haut de comme un fer dans ma mémoire. Feuilles et de la ville que nous honorons.
la rue Daut, par exemple, ou même au niveau de la Je pense souvent à mon ami d’enfance Larco. Tout La vie continue, même si nous ne sommes nulle part !
HOMMAGE AUX VICTIMES, AUX SURVIVANTS, AUX HÉROS, À NOUS TOUS… 12 JANVIER 2010 • 12 JANVIER 2011 5
Temps mort
Jean-Euphèle Milcé
P h o t o : A F P / R o b e r t o S CHMI D T
Ici, est tombé le sculpteur Serais-je honnête en refusant
P h o t o : A F P / R o b e r t o S CHMI D T
Le seul hommage Le Palais national
digne de ce nom : Syto Cavé
devenir citoyen C’était un vrai palais. Un
beau palais. On en était fier.
Fier de le montrer, de le revoir.
Centre-ville dans l’anarchie de
ses constructions, ramenait la
mémoire à ce que fut Port-au-
Champs », la cohorte des flat-
teurs et des politicailleurs.
Le regardant aujourd’hui
Lyonel Trouillot Debout, dans sa blancheur Prince ou ce qu’il pourrait en meurtri, agenouillé face à ses
“Le tout est de tout dire et mer la révolte contre le sort impeccable, avec ses dômes, être. Majestueux palais - en grilles de secours, ses fenêtres
je manque de mots”. Un an des morts et des vivants. Les ses multiples fenêtres d’où vérité !- qui abrita tant de pré- muettes, suspendues comme des
après, comment parler des mots, et la responsabilité qui l’on pouvait tout voir, sans sidents et les regarda un à un yeux vides, ses dômes engloutis,
morts sans les offenser sans incombe à ceux et celles qui rien prévoir ni rien savoir. Il tomber, haïs, maudits, exilés. sa salle aux bustes écrabouillés,
nommer ceux qui ont piétiné les portent, les écrivent, de était si beau qu’il pouvait tout Fascinant palais qui fit rêver il semble dire, dans le dernier
leurs cadavres : les maque- parler vrai, d’écrire vrai. Loin cacher, envelopper dans son tant d’autres comme lieu fort sursaut qui précède sa démoli-
reaux d’Haïti, les politiques de tout vedettariat. Nous qui ombre tout ce qui gravitait du pouvoir, avec son immense tion : Alléluia ! Abobo ! Mierda !
muets, les institutionnels cor- allons ici et là signer nos der- autour. Il éclipsait à lui seul le fauteuil, les parades, les « Aux Putain ! God damn it !
rompus… Il n’y a pas de mots niers titres, ne jamais oublier
Pour eux
pour dire la rage. que ce sont souvent les morts
Le tremblement de terre n’a qui nous payent nos voya-
tué que des individus, en grand ges.
nombre, beaucoup trop d’un Le seul hommage vrai et
et pour nous...
seul coup. L’après a tué une le risque à courir : savoir que
communauté, celle des morts si nos jeux de mots n’ont pas
et des disparus, dont l’Etat n’a conscience des enjeux, hu-
pas su honorer la mémoire. mains, sociaux, historiques, ils
Le tremblement de terre n’a ne valent pas la peine. Tant de
détruit que des immeubles. morts et la merde autour, tou-
C’est une société que les hom- tes ces vies qui attendent un
mes et les femmes qui y vivent mieux-vivre… Citoyen en mal Kettly Mars
doivent changer, bâtir autre- d’un pays à construire, j’ai un Sous peine de perdre notre à nous qui avons vu ensemble contre ceux qui nous veulent
ment, au propre comme au fi- peu plus peur des mots depuis restant d’âme, qu’un homma- les visages innombrables de la morts ou morts-vivants, à nous
guré. le tremblement de terre. Peut- ge tellurien soit rendu à nous mort, qui n’aurons jamais de qui laissons monter la sainte
Au nom des morts, la répu- être, mais c’est une idée ouver- tous qui ne sommes pas morts, réponse aux questions de notre colère en nous, qui appelons
blique des ONG. Au nom des te à la discussion, la seule fa- qui avons échappé à la mort impuissance, qui avons pleuré de tous nos vœux le feu sacré,
morts, « la communauté in- çon pour « l’écrivain haïtien » par volonté divine ou par ha- les larmes de nos ventres, qui nous qui croyons qu’un jour
ternationale » qui comman- de rendre hommage aux morts sard, héroïnes et héros sans len- avons pleuré les mêmes larmes nous aurons eu raison d’avoir
de, décide, menace. Au nom et d’aimer les vivants est celle demains qui avons arraché des amères, qui avons survécu et survécu, même un jour d’une
des morts, les cadres haïtiens de devenir un citoyen haïtien vies du chaos avec nos ongles et survivons à la peur, qui survi- autre vie, nous qui avons le
qui s’en vont, les « aideurs » qui écrit. nos dents, nous les miraculés, vons à l’angoisse, à nous tous courage de rire, de retrouver
qui s’installent. Au nom des C’est à ce devoir d’humilité, les estropiés, les déplacés, les qui avons encore une identité, dans nos rêves les jours heu-
morts, le laxisme des zombies à cette responsabilité à la fois orphelins, nous qui avons erré qui ne nous sommes pas suici- reux qui nous sont ravis, de
au pouvoir qui ont géré, aussi modeste et lourde que me rap- dans les rues poudreuses de la dés, ne sommes pas devenus nous créer dans le chaos des
mal d’ailleurs que le reste, leur pelle le souvenir des morts et ville les yeux remplis du même fous, qui continuons à scru- raisons de vivre, à nous qui
avenir personnel. des actes de courage et de so- effroi, le sang encore frais sur ter d’autres soleils, à lutter, à obéissons quand le souffle de
Restent les mots. Qui ne lidarité dont j’ai pu être le té- nos bras, nous qui n’avons pas nous indigner, à nous révolter la vie ordonne à nos mains et
peuvent rien. Insuffisants moin le soir même et les jours fini de compter nos morts, qui contre ceux qui veulent nous à nos yeux, à nous qui disons
au devoir de mémoire. Sauf qui suivirent le tremblement ne comprenons toujours pas voler ces jours que nous avons non au désespoir qui guette le
à servir d’indicateurs. Assu- de terre. cette houle qui a broyé la vie, arrachés au hasard de la mort, rire des enfants…
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Se dé-déboussoler
Thomas C. Spear
Guerres, génocides, cancer, ble. Cinq ans après, le déman- re. Onè, respè.
sida, tsunami, tremblements tèlement définitif s’arrête avec Annus horribilis 2010 terminé,
de terre... Morts individuels la découverte des ossements l’année 2011 offre la perspec-
ou collectifs, responsabilités humains. Sur le chantier repris tive d’honorer les victimes par
humaines ou divines. De quoi en 2007, deux pompiers meu- un nouveau gouvernement
perdre le nord, désespérer de rent : kay sa an devèn. d’un État qui fonctionne, le pa-
la vie qui pourtant se définit en Ainsi, longtemps, il faudra trimoine précieux sauvegardé
opposition à sa fin inévitable. faire face aux fantômes du et de nouvelles bases dévelop-
Jamais on ne pourra rempla- séisme du 12 janvier 2010. Et pées par un commerce ekitab,
cer le patrimoine perdu lors du faire le déblayage avec soin. un tourisme lakay... Moins
séisme du 12 janvier : surtout Les grosses blessures cicatri- d’ONG et plus de natifs-natals
humain. Mais architectural sent rarement sans de nouvel- qui décident et qui construi-
aussi, matériel et immatériel, les douleurs. La sensation du sent.
archives précieuses, objets vide peut resurgir, au souvenir De souche asiatique, le cho-
investis avec la mémoire des du panorama depuis les Tours léra symbolise l’équilibre de-
familles et d’un pays. Dès le jumelles ou depuis une terrasse dans-dehors empoisonné par-
lendemain, on cherchait l’im- donnant sur la baie de Port- fois, comme les compétences
meuble pas tombé, l’arbre fa- au-Prince. Le plancher sous et le capital de la diaspora. À
milier debout, la banque de les pieds n’existe plus, on s’en- l’horizon, voyons plutôt tout
borlette affichant toujours les gouffre dans le vide. moun ansanm, d’en-haut et
chiffres chanceux du « maria- Du fond de ce gouffre béant, d’en-bas, dedans-dehors, pour
ge » de la veille : des repères, je partage le devoir de co-mé- de nouvelles fondations en Ayi-
P h o t o : A F P / E RI K A S A NT E L IC E S
La reconstruction de soi
Michel Le Bris
Reconstruire Haïti. J’entends sensationnel ? Ils étaient alors — ces derniers n’étaient-ils lant, qui avaient des choses à doute faudra-t-il que la société
encore la voix tremblée de Haïti, imposant une autre vi- d’abord qu’une manière de se dire sur leur propre condition, civile, et d’abord tous ceux qui
Frankétienne au téléphone, un sion de l’île, de son histoire, de donner à soi-même le spectacle quelque chose à penser sur leur jusqu’ici, artistes, écrivains,
mois après le séisme. Lui qu’on sa culture. de sa générosité ? Où, dans les propre réalité ». Et c’est juste, ont été la voix d’Haïti dans les
aurait juré indestructible di- Se reconstruire. Nous y som- premiers jours, les reportages bien sûr. ruines, pèse de tout son poids
sait sa fatigue, son inquiétude mes, me semble-t-il, tandis sur le courage, la dignité des Encore faut-il, pour rendre pour contraindre ceux qui sor-
: la peur gagnait Port-au-Prin- que l’île s’agite, que monte gens, dégageant les leurs à des comptes, un interlocuteur. tiront vainqueurs des urnes à
ce, murmurait-il, comme si au la colère. Mails, téléphones : mains nues, s’organisant pour J’ai un immense respect pour cette « obligation d’Etat ». Car
tremblement de terre répon- tous me disent la ville en rui- survivre ? Il y a quinze jours, tous ces « humanitaires » qui se une deuxième catastrophe
dait un ébranlement de l’âme ne comme au premier jour, la le Guardian s’interrogeait sur dévouent sans calcul, font de menace, on le sent bien, et je
du pays, tandis que se répan- fatigue d’une vie, ou de ce qui l’apparente impuissance de leur mieux là où ils se trouvent, l’entends venir dans les mots
daient par les rues les « prédi- en tient lieu, au milieu des gra- l’aide internationale — pour- se sont pris de passion pour qui m’arrivent ici, en France,
cateurs des hordes militantes vats, l’aide qui n’arrive pas, ou quoi tant de peine à dépasser cette île, s’efforcent de bâtir à moi qui m’inquiète, si loin de
des églises américaines » ap- se perd sans contrôle, la colère la simple aide immédiate ? quelque chose avec les Haïtiens ceux que j’ai laissés en Haïti,
pelant les Haïtiens au rejet du qui explose contre le pouvoir L’énormité de la tâche, bien — ceux-là sont les premiers à avec qui je vécus ce tremble-
vaudou, coupable de tous les en place et contre les étran- sûr. Mais pas seulement. Le dénoncer, ou à regretter, cette ment de terre, et qui comme
maux — et, au-delà, de tout ce gers, tenus pour responsables journaliste, voyageant dans « République des ONG ». Car moi entendent bien remonter
qui avait fait la force de ce pays du choléra — par un mons- un avion rempli d’humanitai- il y a un obstacle, et chacun bientôt à Port-au-Prince une
à travers les siècles : son imagi- trueux renversement, dirait- res, décrivait des hommes et le voit bien : c’est qu’entre une nouvelle édition d’Etonnants
naire. Rien ne serait pire, rap- on, qui fait de ceux venus por- des femmes « cherchant déses- société civile haïtienne, d’une Voyageurs : la faillite de l’aide,
pelait-il encore à Saint-Malo, ter secours les responsables de pérément un sens à leur propre énergie, d’une invention, d’un qui ouvrirait la voie aux déma-
au printemps : ce serait, pour la catastrophe. Je sens, autour vie », en quête d’aventures ou courage qui force l’admiration gogues exploitant les colères
le coup, accepter la mise sous de moi, ici, en France, monter en quête d’avancement — et si l’on s’ouvre à elle et l’aide in- pour un nouveau cycle de mal-
tutelle de l’île proposée par l’incompréhension : c’est toute plus tard, sur place, il dénon- ternationale, pour que celle-ci heurs, dans le rejet aveugle de
certains ! Les écrivains haï- leur gratitude ? çait une « République des ONG trouve à se traduire en projets « l’étranger », et avec celui-ci
tiens présents, en ces journées, Et certes les Haïtiens, plus » ne rendant de comptes à per- effectifs, s’appuyant sur une de ce qui fut et reste par-delà
ne disaient pas autre chose : que jamais, ont besoin de toute sonne, constatait que nombre adhésion de tous, devenant du les erreurs, l’expression de la
la reconstruction ne serait pas l’aide possible. Mais il y a aide d’entre elles ne connaissaient coup acteurs de leur redresse- simple, et nécessaire, frater-
seulement une question d’ar- et aide. Et cela je le sais, né en- rien à l’île, ne cherchaient pas ment, et que du foisonnement nité humaine — un deuxième
gent, de moyens techniques, fant pauvre en Bretagne, com- à connaître et à comprendre des initiatives et des désirs séisme, qui, pour reprendre
mais passerait d’abord par la me certaines aides peuvent les Haïtiens. Quelques jours naisse une volonté générale, il Frankétienne, serait cette fois
reconstruction de soi. Et tous être comme des gifles, vous hu- après j’entendais sur une radio manque l’engrenage essentiel, comme un effondrement cen-
en avaient donné un bel exem- milient, vous nient comme per- Lyonel Trouillot marteler que l’opérateur nécessaire, l’em- tral de l’être, une faille ouverte
ple, au lendemain du séisme sonne. Où étaient les gens, les l’échec de la « communauté brayage, en somme : un appa- dans les tréfonds de l’âme hu-
: n’est-ce pas eux, par leurs simples gens, dans les reporta- internationale » tenait à ce reil d’Etat. maine.
textes, qui submergèrent la pa- ges hollywoodiens des premiers qu’elle n’avait pas « traité les C’est bien, je crois, l’enjeu Rien ne se fera sans recon-
role des journalistes avides de jours sur l’aide internationale Haïtiens en tant que sujet par- des élections. Et au-delà : sans quête de soi.
Corps et corps
Avin
Je proclame: la question est peur de Danube pour s’agglu- pellent Barbecue. Ont-ils oublié nière que nos voix étaient de-
avant tout celle du corps. tiner à tous ces êtres parlants, que Barbecue est le seul mot venues inaudibles.
J’accuse réception : « … émettant, à l’unisson, ce sim- de notre vocabulaire qui soit Ainsi : (ici, je plagie, Ainsi,
du corps vivant, pas du corps ple mot : hôpital. Laissez-moi passé dans toutes les langues, c’est le titre d’une chanson de
mort, objet de la physiologie », rire; depuis quand les hôpi- dans toutes les cultures ? Barbe- Gérard Dupervil) : j’étais allé
dit un sémiologue. taux étaient si efficaces dans et-cul, disaient nos boucaniers. vers Danube, ainsi, j’étais reve- www.lenouvelliste.com
Je nuance (manière à moi cette ville ? Il faut aussi les mettre en garde nu à la première ruelle Jérémie Complexe Promenade
de dire que je ne sais pas si je Tecky : je n’ai jamais com- contre cette bouillie grossière sans mes femmes qui allaient Angle rues Grégoire et Moïse
suis d’accord) : des lectures, pris ce prénom. Il annonce un agrémentée d’essence de va- mourir, ainsi, j’avais retrouvé Pétion-Ville, Haïti
B.P. 1316, Port-au-Prince, Haïti
peut-être un peu bâclées, me projet qui n’arrive pas à se dé- nille baptisée jus, jus de l’arbre. Tecky au milieu de ces hom-
Tél.: 3782-0905 / 2941-4646
confortent dans l’idée que mon voiler, c’est peut-être la raison Si elles ne s’en distancent pas, mes qui mixaient le jus de l’ar- Email: redaction@lenouvelliste.com
corps dans sa poussée s’appro- pour laquelle mon ami Domi- elles deviendront énormes bre. Elle était assise dans la rue info@lenouvelliste.com
prie tous les autres corps, vi- nique n’a trouvé, pour rendre comme des sagouines. » avec la même tristesse dans ses
vants ou morts, qui se trouvent hommage à sa porteuse, que Rendez-vous manqué : la yeux. Eux, ils étaient morts,
dans sa sphère. ce jeu de mots banal : Tecky, réunion, c’était pour la fête puisqu’ils étaient enveloppés
Me voilà avec suffisamment Tecke. Dérive éthylique ? En d’anniversaire de Tecky. Qui dans des draps, bien envelop-
d’éléments pour établir un dé- tout cas, aucun de nous n’a inviter ? Encore Dominique, pés et bien ficelés.
cor initial, fondateur, c’est-à- aimé. On aurait préféré, par Syto, le chanteur Woolly Saint- Depuis ce jour-là, des corps
dire mythologique. exemple, qu’il fît référence à Louis Jean… Il fallait la placer n’arrêtaient pas d’occuper les
Au commencement était ses yeux où s’effeuille toute la samedi au lieu de vendredi, rues. Ils gonflaient comme
moi, sans je. Moi dans son mélancolie de la terre. Pour- pour éviter un clash avec la des mangeurs de Barbecue.
« magma ». Vaste comme ce quoi, ce jour-là, cette obses- partie de Paul Dubois. On C’étaient, bien sûr, des morts,
carrefour dit de l’aéroport. sion soudaine de retrouver le emmènerait Tecky chez Paulo mais je me voyais les embras-
Et puis, ce monument dont je corps de Tecky, pardon ! de le vendredi, et le lendemain on ser, les absorber avec leur pu-
ne connais pas le prénom : le localiser ? Après l’hôpital, où serait ensemble chez Danube tréfaction pour pouvoir ali- Direction Nationale
monument d’Aristide. Mais, la besogne consistait à dépo- avec toute la bande à Tecky, menter mon magma. du Livre (DNL)
Angle rues Martin Luther King
contrairement à ses habitudes, ser mes femmes sur le trottoir ces filles de seize ans… Mais Perspective : cette année,
et Chériez
le temps ne s’était pas écoulé, déjà débordé, il fallait aller on ne pouvait plus continuer on fêtera l’anniversaire de Port-au-Prince, Haïti
il s’était donné comme objet vers son lieu. à discuter : la génératrice Paulo le vendredi 14 janvier. Tél : 2813-0890
massif, non fragmentable, mé- Détour par le pervers : d’à côté venait de repartir, Avec Dominique et Patricia, je directionnationaledulivre@yahoo.fr
nageant suffisamment d’es- mon ami Georges, grand c’étaient ces vendeurs de jus chanterai et danserai, comme
pace au sang. Ô le règne du amoureux de Gessica Géneus, de l’arbre. Tonnerre de Dieu ! promis, I will survive et Hotel Ca-
sublime ! Quel sang est plus décrète : « Il faut avertir les Ça c’est du propre ! les pa- lifornia ; le 15, chez Danube, ce
beau que celui de ces femmes actrices haïtiennes du danger rents de Tecky ne pouvaient sera le tour de Tecky, et le poète
qui rêvent leurs enfants com- de ce poulet pourri jeté par les pas trouver un autre endroit Dominique, descendant du hé-
me des soleils farouches terras- Américains sur le marché na- où loger ? A chaque nouveau ros Batraville et des Bretons du
sés par un dieu rétrograde ? Et tional et que, sans respect pour client, la machine se remet- dix-neuvième siècle, interpré-
mon corps qui transite par la notre histoire, les Haïtiens ap- tait à vrombir, de telle ma- tera son tube : Sensible.