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10 L'UNIVERS

11 Bienvenue en Kémi
12 Quelques précisions préliminaires
14 L'histoire de Kémi
17 La préhistoire de l'Égypte
18 La période prédynastique
19 La période protodynastique
21 La période thinite
22 L'Ancien Empire
26 La Première Période Intermédiaire
29 Le Moyen Empire
31 La Deuxième Période Intermédiaire
32 Le Nouvel Empire
48 Un don du Nil
49 Deux terres pour une nation
50 Le Nil, source de vie
52 Les déserts, terres de Seth
53 Les oasis
54 Les mers
56 Les richesses naturelles de l'empire égyptien
61 Le climat
62 La Nubie
63 Quelques cités de l'Égypte de Touthmès III

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70 Les visages du pouvoir
71 En quête d'harmonie et de justice : Maât
72 Le roi-dieu Pharaon
77 Le Palais Royal Per-aâ
78 Le Tjaty, bras droit de Pharaon
79 Les grands départements de l'administration centrale
80 Le temple, centre de vie
82 L'armée
83 L'administration provinciale
84 La Vice-Royauté de Koush
86 Sous le regard des dieux
88 Mille dieux pour une vérité
89 La création du monde
90 Mythes et légendes
93 Le temple, demeure du dieu
97 Les serviteurs du dieu
99 Le culte divin
101 Dieux et déesses de Kémi
110 La magie Héka
114 La mort et la promesse de l'au-delà
115 La nature de l'être
116 Survivre à la mort
124 Vivre en Kémi
125 La société

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130 L'économie
135 Le savoir
146 Art sacré et artisans
149 Le maintien de l'ordre
152 Villes, villages et habitations
155 La famille
157 Alimentation
158 Vêtements et parures
159 Hygiène et cosmétique
161 Loisirs et divertissements

164 LE JEU

165 "Que vive son Ka"... Qu'est-ce que c'est ?


172 Les règles du jeu
173 Jouer un rôle
198 Les personnages
202 Djéserka
204 Nakhtamon
206 Minkhat
208 Sora
210 Mère Sati
212 Horep
214 Le Contact du groupe
220 Que vive son Ka
221 L'aventure commence ici...
222 Ouaset, la Cité d'Amon
228 Les célébrités de Kémi

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230 Pour commencer
231 L'histoire en deux mots
231 Les dessous de l'intrigue
235 Acte 1 : Troubles dans les ateliers
239 Acte 2 : Sur la piste de Nétihor
246 Acte 3 : Dernier sur la liste
251 Acte 4 : La vérité éclate
266 Acte 5 : la folie de Mérymès
276 Épilogue
278 Récompenses
279 Les personnages de ce scénario

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Crédits
Illustration de couverture : Pascal Quidault
Illustrations des personnages : Guillaume Fioleau
Images : Jeff Dahl, Captmondo, Beshoy Samir, Rüdiger Stehn, Metropolitan Mu-
seum of Art, Kalvin Sainz

Unsplash, Pexels, Freepik.

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Remerciements
Kémi et le roman Sennefer qui est associé à ce livre-jeu ont valu aux personnes qui
me sont les plus proches de subir plus que de raison mes divagations égyptiennes.
Diffuser aujourd'hui les deux autres parties de ce projet, la description de l'uni-
vers et un jeu complet rejoignant le roman Sennefer, est une manière d'honorer le
contrat initial et donner un peu de substance à ce serpent de mer resté lové contre
moi pendant des années. Le verbe égyptien était performatif et magique, que ces
quelques pages puissent rendre vie, santé et force à toutes celles et ceux qui ont
subi mes piles de notes inachevées et mes atermoiements. Je les remercie d'avoir
cru en ce projet interminable et de m'avoir tant encouragé.

Merci à Sébastien Emasabal pour ce mail séminal reçu en 2004 et pour avoir lancé
avec enthousiasme Dartkam, à Archéon et Caravelle pour avoir également porté
Kémi et à Hicham, de Matagot, pour avoir cru en le roman.

À Pascal Quidault pour cette couverture vespérale et Guillaume Fioleau, leurs illus-
trations ont longtemps été le seul élément concret de cette entreprise.

Merci à l'équipe 3802 de Voiron, aux Chantelouviens de Lyon et autres éminentes


figures pour avoir, avec une passion inoxydable, ouvert avec moi tant de portes
inconnues.

À mes parents pour qui la locution soutien indéfectible semble avoir été formée.

À ma petite Maât et mon Eben.

Pour Fred, qui fut Horep et tant d'autres. Pour lui, juste de voix, les Champs d'Ialou.

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Sennefer, le roman dans l'univers de Kémi

Le jeune scribe Sennefer est rattaché au service des inventaires du port fluvial de
Thèbes, la cité aux Cent Portes, capitale du Double Pays. Alors que la ville attend
avec fébrilité la crue et la nouvelle année, une étrange erreur administrative
retient son attention. Il ne se doute pas qu’il vient de mettre le doigt dans un
engrenage infernal qui va changer sa vie à jamais. Accompagné de son ami Pahy,
vétéran des guerres d’Asie, son enquête le mène des maisons d’embaumement
aux montagnes du Grand Désert de l’Est et le confronte à une machination qui
porte les ténèbres au cœur même du royaume.

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Avant-propos
Le projet de Kémi est né en 2004, lorsque Sébastien Emasabal lança une collec-
tion de livres hybrides, roman, univers et jeu de rôle, visant à conjuguer immersion
ludique, pédagogie et exploration de thématiques historiques ou littéraires en un
format clé en main, accessible à tous. La renaissance actuelle du jeu de rôle et les
nombreuses et excellentes initiatives en faveur de sa large promotion conduisent
le public à redécouvrir l'incroyable pouvoir évocateur de la narration et du jeu, don-
nant plus que jamais raison à cette initiative destinée à un jeune public.

La familiarité traditionnelle que nous entretenons avec la civilisation égyptienne,


quand bien même cette relation est teintée de romantisme et de clichés tenaces, a
rapidement conduit à envisager ce contexte comme terrain de découverte et de jeu.
Malgré toute la retenue conférée par une approche humble et pragmatique de sa
culture et de son histoire, l'Égypte ancienne reste une formidable machine à rêver.
La passerelle était évidente : lire, apprendre, imaginer.

La volonté de conserver un équilibre entre la documentation et la fiction et de faire


preuve de la plus grande honnêteté à l'égard des mythes populaires attribués à
l'Égypte fut au cœur de cette entreprise. Pour cette raison, ce livre comprend une
première partie, l'Univers, décrivant le contexte historique due jeu et du roman où
les ajouts fictifs sont clairement identifiés. Le Jeu propose à la suite de cette pré-
sentation un scénario prêt à jouer accompagné de règles très simples et de person-
nages à destination des rôlistes débutants souhaitant plonger dans une intrigue
secouant la ville de Thèbes. C'est ici que commence l'aventure et où une certaine
idée de l'Histoire se mêle aux péripéties et mystères du jeu de rôle.

Vos personnages vous attendent. Bonne lecture, bon jeu.

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L’univers
10
Bienvenue en Kémi

L
’Égypte, accrochée aux rives du Nil qui lui a donné naissance, a laissé une
empreinte indélébile dans l’esprit des hommes. La fascination qu’elle nous
inspire prolonge, des dizaines de siècles plus tard, le respect et l’admira-
tion qu’elle suscitait déjà chez ses antiques voisins. Alors que les royaumes d’orient
ancien se faisaient et se défaisaient au gré des guerres et des conquêtes, l’Égypte
se dressait, cimentée par une culture unique que ses adversaires victorieux préfé-
raient adopter plutôt que détruire.

L’exemplaire longévité de cette civilisation, qui semble s’arracher à la préhistoire


sous sa forme définitive pour perdurer quasiment en l’état pendant près de 4000
ans, est le fruit d’une quête permanente de stabilité et d’éternité. Repousser le
chaos Noun qui bouillonne aux frontières de la nation-monde égyptienne, pro-
mouvoir l’harmonie cosmique de Maât pour enfin se soumettre au jugement des
dieux et renaître dans l’au-delà... Autant de préoccupations métaphysiques fonda-
mentales qui façonnèrent le visage de l’Égypte et transparaissent avec force dans
des domaines aussi variés que la religion, la politique, l’économie, l’écriture, l’art,
l’éthique... C'est en bâtissant un empire immortel dirigé par un dieu vivant que ce
peuple amoureux de la vie, de son fleuve et de sa terre s'efforça de répondre à ses
plus profondes interrogations.

Bienvenue dans le pays des dieux, la Terre Noire bénie par les crues du Nil.

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Quelques précisions préliminaires
Points Jeu et véracité historique

Vous trouverez au fil de votre lecture des encadrés intitulés « Point Jeu ». Contraire-
ment au reste du texte, ces paragraphes présentent une version romancée de la réa-
lité destinée à combler les lacunes de nos connaissances historiques ou à vous pro-
poser des pistes de scénarios. Bien que tous les encadrés « Point Jeu » s'attachent
à mettre en valeur un aspect réel de la vie en Égypte ancienne, il s'agit de libres
interprétations des données historiques ou d'informations parfaitement fictives à
exploiter dans le cadre de vos parties.

Termes égyptiens

Dans la mesure du possible, les termes égyptiens sont conservés en l'état. La trans-
cription que nous proposons ne respecte pas strictement les usages qui ont cours
dans le milieu de l'égyptologie française car nous avons opté pour un compromis
entre une certaine fidélité à ce que nous savons de la prononciation de la langue
égyptienne et la facilité de lecture. Toutes les lettres se prononcent et le son kh est
un r guttural, semblable à la jota espagnole ou au h allemand.

La mention (Gr.) qui suit parfois un terme égyptien signifie que nous vous en pro-
posons la transcription grecque, souvent beaucoup plus connue que l'originale.
C'est le cas de Khoufou (Gr. Khéops), où Khéops est le nom attribué par les grecs au
pharaon Khoufou (RH-oufou). Dans certains cas, le terme arabe contemporain suit
la version grecque.

Dates

Sauf mention contraire, toutes les dates mentionnées dans le texte sont antérieures
à l’an 0 de notre ère.

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13
L’histoire de Kémi

14
B
ien que ce concept fût étranger aux anciens Égyptiens pour qui l'existence
est un éternel recommencement, l'histoire du Double Pays nous appa-
raît comme un monument aussi colossal qu'insaisissable dans son inti-
midante totalité. Immense, elle est également incomplète et souvent trompeuse,
écrite par des rois soucieux de préserver leur pouvoir et de plaire aux dieux, ou
voilée par les mythes et le manque de sources fiables.

Malgré les inévitables zones d'ombre et les divergences d’opinion sur la question,
les égyptologues sont parvenus à proposer une chronologie stable de l'histoire
égyptienne dont les dates sont raisonnablement admises. Elle se fonde sur les listes
royales consignées par les scribes auxquelles elle superpose un système d'empires
décrivant les grandes périodes d'unité qu'a connues l'Égypte. En partie arbitraire,
cette classification n’a d’autre prétention qu’offrir une vision simplifiée de l’his-
toire de Kémi et c’est ce système que nous utiliserons pour décrire l’évolution de la
civilisation égyptienne jusqu'au Nouvel Empire.

••  Période prédynastique (5000-3400)


••  Période protodynastique (3400-3185)
••  Période thinite (1re et 2e dynasties ; 3185-2715)
••  Ancien Empire (3e à 6e dynastie ; 2735-2195)
••  Première période intermédiaire (7e à 11e dynastie ; 2195-2064)
••  Moyen Empire (11eet 12e dynasties ; 2064-1797)
••  Deuxième période intermédiaire (13e à 17e dynastie ; 1797-1543)
••  Nouvel Empire (18e à 20e dynastie ; 1543-1078)
••  Époque du jeu Kémi : 1454 avant notre ère.
••  Troisième Période Intermédiaire (21e à 24e dynastie ; 1078-747)
••  Basse Époque (24e à 30e dynastie ; 747-332)
••  Époque Ptolémaïque (304-30)

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Vous remarquerez que le rappel historique que nous vous proposons s'interrompt
au début du Nouvel Empire, en 1454 av. J.-C., pendant le règne glorieux du grand
Touthmôsis III, sixième souverain de la 18e dynastie. Cela est tout à fait normal. Le
jeu Kémi se déroulant pendant cette période, nous avons choisi de ne pas traiter
dans cet ouvrage les époques postérieures afin d'éviter d'accumuler des informa-
tions sans utilité immédiate pour le maître de jeu. Par ailleurs, le conservatisme
égyptien a ceci de commode qu'à condition de nous placer sur un point représen-
tatif de son histoire, il nous permet d'embrasser d'un seul regard les grands traits
qui caractérisent cette civilisation et d'en ressentir les fondements. La date que
nous avons choisie est située au cœur d'une époque florissante où s'expriment les
thèmes les plus célèbres et les plus significatifs de l'Égypte ancienne : un puissant
empire méditerranéen, africain et asiatique sillonné de routes commerciales fruc-
tueuses, des contrées lointaines en cours d'exploration, une armée glorieuse, un
clergé d'Amon aussi solide que les innombrables temples divins qui éclosent sur
les berges du Nil, un roi-prêtre dont dépend le sort du monde placé à la tête d'une
administration dévouée...

Nous rappelons que cet exposé, bref et partiel, a pour but de faciliter la compréhen-
sion de la situation de l'Égypte sous le règne de Touthmôsis III en la replaçant dans
la longue histoire du pays. Il ne prétend évidemment pas à l'exhaustivité et nous
avons parfois effectué des choix ou réalisé des simplifications afin de ne pas verser
dans des débats que nous réservons aux égyptologues. Pour une information plus
détaillée sur les événements décrits ci-dessous et pour connaître la suite de l'aven-
ture égyptienne au-delà de la 18e dynastie, nous vous recommandons à nouveau de
vous référer aux nombreux sites web et ouvrages de vulgarisation égyptologique.

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Fuir le désert, refluer vers le Nil

La préhistoire de l’Égypte
Poussés par la sécheresse, les chasseurs-cueilleurs des savanes
sahariennes gagnent la vallée du Nil.

Il y a 90 000 ans, bien avant que la vallée du Nil ne devienne la colonne vertébrale de
la nation égyptienne, les populations humaines paléolithiques profitent des condi-
tions climatiques relativement clémentes du Sahara. Les pluies régulières dont
bénéficie cette région lui confèrent un visage que nous ne lui connaissons plus :
dotées d’une flore variée et d’une faune abondante, irriguées par des rivières et de
nombreux points d’eau, les savanes sahariennes constituent un habitat de choix
pour les premiers chasseurs-cueilleurs qui les préfèrent au Nil, ce large fleuve ma-
récageux et insalubre.

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À partir du 8e millénaire, un assèchement général de la région saharienne contraint
ces populations à rechercher un habitat moins aride. En quête d’eau et de nourri-
ture, elles se tournent vers le Nil que le bouleversement climatique a rendu plus
accueillant : son niveau a baissé et les marécages qui le bordent ont partiellement
disparu. Les hommes s’établissent non loin du cours du fleuve, dans son delta ou
dans les savanes avoisinantes.

La période prédynastique
5000-3400

Les peuples du Nil s’organisent autour des crues du fleuve et acquièrent


peu à peu une conscience collective.

Vers 5000, plusieurs groupes de populations nilotiques ont développé des agglomé-
rations où l’on pratique la poterie, la vannerie, la céramique et le travail du cuivre.
Les hommes, devenus pasteurs, perpétuent la pêche et la chasse mais domestiquent
également bovins, porcs, moutons, chèvres, ânes et chiens. Innovation capitale,
l’agriculture devient une activité vitale des peuples du Nil qui coordonnent leurs
efforts pour maîtriser les crues du fleuve, irriguer et fertiliser leurs terres. Malgré
l’absence d’un gouvernement central et d’une culture commune, le Nil se révèle être
le premier véritable facteur unificateur de l’Égypte. Voie de communication favo-
risant les échanges, indispensable ressource dont l’exploitation requiert un effort
concerté, le fleuve et ses crues jettent les bases d’une identité partagée.

Vers 4500, les villages deviennent des villes, le commerce prospère et les échanges
continuels entre les différentes populations qui ont élu domicile sur les berges
du Nil favorisent l'adoption de conceptions politiques, funéraires et religieuses
communes (culte de dieux à têtes d’animaux, célébration de la crue, croyance en
l’au-delà) . Sans pour autant constituer une nation unifiée, l’Égypte est désormais
fédérée par une culture qui lui est propre.

18
La période protodynastique
3400-3185

Soutenus par la cohérence culturelle de l’Égypte, les Horus de la


Dynastie 0 ont les moyens de réaliser l’unification politique du pays.

Au cours de cette obscure période de transition entre le Néolithique et l’histoire,


plusieurs grandes cités du sud s’organisent en royaumes et étendent leur influence
sur la Haute Égypte (la portion méridionale du pays, essentiellement composée
d'une mince bande de terre fertile suivant le cours du Nil au cœur du désert). Une
riche élite dirigeante administre ces vastes villes aux fortifications de briques et
gère la production agricole à l’échelle de la vallée. Alors que la société égyptienne
se complique, la figure du roi domine la scène politique et religieuse : à l'image
des dieux tutélaires des cités (Horus, Seth, Neith…), le souverain local devient une
institution, un symbole de la puissance du peuple qu’il représente.

À la fin du 4e millénaire, l’unité culturelle de l’Égypte est déjà effective et les rois
de Haute Égypte, à la tête d'une puissante fédération de cités, peuvent envisager
l’unification politique de l’ensemble du pays, depuis le delta du Nil jusqu’au désert
de Nubie. Ces monarques portent le titre d’Horus (Horus Iry-Hor, Horus Ka, Horus
Scorpion…), en référence au dieu faucon représenté à côté du serekh où est inscrit
leur nom. Ces premières inscriptions marquent également l’apparition de l’écri-
ture ainsi que la définition d’un style artistique très conventionnel qui évoluera
peu.

Enfouis dans les nécropoles d’Abdou (Gr. Abydos), ces mystérieux souverains ont
sans aucun doute œuvré à la constitution d’un pays unique mais leur histoire est
empreinte de légendes difficiles à percer. C’est dans cette période de conflits entre
cités qu’il faut chercher les origines de plusieurs mythes fondateurs de la religion
égyptienne, tels que la lutte entre Seth et Horus et le funeste destin d’Osiris.

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Narmer, roi du Sud victorieux et unificateur du pays

Point jeu • Le retour de l’Horus Vautour


La vérité sur les premiers Horus se perd dans les brumes de l’histoire mais un bruit enfle
dans les bas quartiers de Mennefer : un roi des temps anciens se préparerait à surgir du
passé pour réclamer son dû. Cette rumeur insensée est alimentée par les caravaniers li-
byens qui prétendent qu’un grand chef de guerre arborant le serekh et les insignes royaux
rassemblerait ses forces au delà des oasis de l’ouest pour conquérir le delta. Il ne fait nul
doute que ce pharaon qui se nomme lui-même l’Horus Vautour n’est qu’un brigand et qu’il
exploite la crédulité du peuple. Pourtant, sa connaissance des traditions et des termes
anciens est plus que surprenante. Quelle sorte de malfrat peut revendiquer l’héritage des
premiers rois ? Un lettré déchu, un prince étranger ?

20
La période thinite
1re et 2e dynasties ; 3185-2715

L’Égypte des premiers Pharaons affine l’écriture, l’administration, la


religion et le dogme royal. Les traditions accumulées pendant la période
prédynastique sont formalisées et strictement codifiées.

La période thinite tire son nom de la ville de Téni (Gr. Thinis), choisie par les pre-
miers Pharaons comme capitale de l’Égypte unifiée en raison de sa position cen-
trale. En réalité, les rois lui préfèrent Ineb-Hedj (Gr. Memphis ; « le Mur Blanc »),
dans le delta, où ils élisent résidence et la proche nécropole de Saqqarah se substi-
tue rapidement à la cité funéraire d’Abdou.

L’administration, distinctement divisée entre nord et sud, comprend de nombreux


fonctionnaires et une cour de conseillers directement soumis à l’autorité de Pha-
raon. La gestion des provinces, dont le découpage est hérité des domaines néo-
lithiques, est confiée à une nouvelle catégorie de hauts dignitaires : les nomarques,
des gouverneurs provinciaux responsables de la production agricole de leur terri-
toire aidés dans leur tâche par un conseil de fonctionnaires avisés, la djedjet.

Le nom officiel de Pharaon – la titulature royale – subit plusieurs évolutions qui
traduisent l’étendue de son rôle. Au nom d’Horus qui atteste la nature divine du
souverain s’ajoutent le nom Nebty et le nom Nesout-biti. Le nom Nebty, qui signifie
« les deux maîtresses », évoque Ouadjet, déesse cobra du Nord, et Nekhbet, déesse
vautour du Sud. Le nom Nesout-biti désigne les symboles de la Haute et de la Basse
Égypte (respectivement l’abeille Biti du delta et le jonc Sout). Ces adjonctions in-
diquent la volonté de Pharaon de constituer l’indispensable lien entre le Nord et le
Sud et de garantir la stabilité du Double Pays.

L'artisanat de la pierre atteint son apogée, les ateliers de Pharaon produisent les
premières statues royales et c'est à cette époque que l'écriture hiéroglyphique est
finalisée.

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Quelques grands noms de la période thinite

Méni (Gr. Ménès) : selon les légendes égyptiennes, le roi Méni serait l'unificateur du
Double Pays, premier pharaon de son histoire et fondateur de la cité d'Ineb-Hedj.
La réalité est beaucoup plus floue et Méni est souvent assimilé à l'Horus Aha ou au
fameux roi Narmer.

Narmer : la plus ancienne représentation d'un souverain de Haute et de Basse


Égypte fait figurer ce roi dont le nom signifie « Poisson-chat ». On le considère ha-
bituellement comme le premier pharaon d'une nation politiquement unifiée.

L’Ancien Empire
3e à 6e dynastie ; 2735-2195

Âge d’or de la civilisation égyptienne, l’Ancien Empire est une ère pai-
sible et harmonieuse qui exprime avec majesté les règles et les conven-
tions élaborées par les dynasties thinites. L’âge des grandes pyramides
restera dans la mémoire des Égyptiens comme une période bénie des
dieux et empreinte d’une antique sagesse.

Connu sous le nom d'Âge des Pyramides, l’Ancien Empire offre un superbe pro-
longement à la période thinite dont il reprend et parachève tous les éléments fon-
dateurs (art, religion, culte royal). Définitivement implantés à Ineb-Hedj, les puis-
sants Pharaons de cette époque maintiennent la paix et l’harmonie pendant plus de
500 ans et se permettent d’entretenir des relations pacifiques et commerciales avec
leurs voisins de Syrie-Palestine et de la Mer Rouge. Des expéditions militaires sont
dirigées vers la Nubie, la Libye et le Sinaï afin de renforcer le prestige du roi mais à
aucun moment Kémi n’est directement menacée.

Pharaon est plus que jamais le cœur de l’Égypte. Garant de l’harmonie et de la jus-
tice, il est la vivante incarnation du lien entre le ciel et la terre, le Nord et le Sud,
et dirige une imposante administration. Le monarque est entouré d’une cour de

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hauts fonctionnaires dont le plus important est le Tjaty, ou vizir, premier ministre
aux responsabilités étendues chargé de l’assister dans la gestion courante des af-
faires du pays. C’est au sein de sa propre famille que Pharaon choisit les plus hauts
dignitaires de son gouvernement tels que les nomarques, les prêtres et les chefs
militaires avant que ces fonctions ne deviennent héréditaires et échappent pro-
gressivement à son contrôle.

Incarnation d’Horus, Pharaon se distingue également du commun lors de sa mort


en entreprenant un voyage dans l’au-delà qu’il est le seul à pouvoir accomplir. Se-
lon la tradition du clergé solaire d’Iounou (Gr. Héliopolis), le roi défunt traverse le
ciel pour rejoindre son père Rê et ses aïeux, aidé dans son périple par les formules
magiques inscrites sur les parois de sa tombe.

Les nécropoles deviennent de vastes cités funéraires où sont érigés les immenses
tombeaux royaux qui se substituent aux mastabas de brique des périodes anté-
rieures : les pyramides. Ces vaisseaux de pierre, manifestations solides et éter-
nelles d’un rayon de soleil, permettent au souverain de réaliser son ascension vers
Rê et d’acquérir l’immortalité. Les textes des Pyramides les qualifient « d’escalier
du ciel », forme qu’affecte la première d'entre elles, la pyramide à degrés de Djoser,
construite à Saqqarah par le génial architecte Imhotep. Cet édifice unique, pre-
mier bâtiment de pierre de l'histoire de l'humanité engendrera d'illustres héritiers :
les gigantesques pyramides du plateau de Gizeh, bâties par les rois Khoufou (Gr.
Khéops), Khafrê (Gr. Khéphren) et Menkaourê (Gr. Mykérinos).

La destinée post mortem de Pharaon ainsi que l’introduction d’un nouveau terme
dans la titulature royale (Sa-rê, « Fils de Rê ») traduisent l’importance grandis-
sante de la religion solaire d’Iounou. Afin de manifester clairement cette vision, les
temples solaires construits à Abousir et non loin de Gizeh synthétisent le mythe de
la création du monde sous la forme d’une enceinte à ciel ouvert et d'une pyramide
tronquée surmontée d’un obélisque : ils représentent physiquement l'émergence
du soleil sur la butte primordiale qui domine les flots du chaos.

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Point Jeu • Les mystères de l'architecte
Les immenses pyramides de la nécropole de Mennefer attirent des milliers de curieux et
de pèlerins. Le vieux savant Nebnefer, architecte au service du clergé de Rê, à Iounou, est
fasciné par la perfection de leur construction et caresse le rêve de comprendre les mé-
thodes de ses illustres ancêtres. Il affirme que ce secret est gravé sur les parois de la tombe
de Hékamaâtrê, un des architectes de Khafrê, héritier des connaissances d'Imhotep. Neb-
nefer est prêt à tout pour découvrir les instructions qui détaillent le secret des pyramides,
même s'il doit bafouer Maât et profaner le sépulcre de Hékamaâtrê. Bien sûr, le vieil
architecte a besoin d'hommes de confiance pour mener à bien cette mission sacrilège.
Les personnages répondront-ils à l'appel et le tombeau de Hékamaâtrê recèle-t-il les
révélations escomptées ?

Réservé à un usage officiel (culte royal, divin et funéraire), l’art de l’Ancien Empire
atteint une qualité inégalée. La finesse des bas-reliefs, la subtilité de la peinture et
la force de la statuaire inspireront des générations d’artisans. Parallèlement, les
premiers moralistes cherchent à transmettre à la postérité leurs enseignements
sous la forme de contes et d’aphorismes.

Cette période d’harmonie cédera la place à une violente confusion lorsque les gou-
verneurs de province auront acquis suffisamment de pouvoir et d’autonomie pour
faire vaciller l’autorité royale.

Quelques grands noms de l'Ancien Empire

Djoser (2680-2660) : également nommé Horus Nétjérierkhet, le premier Pharaon


de l'Ancien Empire est célèbre pour son formidable tombeau, la pyramide à degrés
de Saqqarah. Il a déplacé la capitale du royaume vers Ineb-Hedj afin de surveiller
le Delta.

Imhotep : Vizir et architecte royal, Imhotep constitue aux yeux des Égyptiens un
symbole de connaissance et de sagesse. La pyramide qu'il a élaborée pour Djoser
semble bien être le premier bâtiment de pierre qu'ait connu l'humanité.

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La pyramide à degrés de Djoser

Snéfrou (2630-2609) : Pharaon guerrier et bâtisseur dont le règne brillant inaugure


la 4e dynastie, Snéfrou est à l'origine de la politique de construction monumentale
qui accouchera notamment des gigantesques pyramides de Gizeh.

Khoufou (Gr. Khéops ; 2605-2580), Khafrê (Gr. Khéphren ; 2570-?) et Menkaourê (Gr.
Mykérinos ; 2535-2515) : ces trois descendants de Snéfrou illustrent la formidable
puissance des rois de la 4e dynastie. Les trois grandes pyramides qui ont abrité leur
corps voué à l'immortalité traduisent la place centrale qu'ils occupaient dans la so-
ciété égyptienne.

Ptahhotep : auteur des enseignements qui portent son nom, ce Vizir de Djedkarê
Isési à la fin de la 5e dynastie a laissé de nombreux textes sous forme de conseils
et d'instructions morales. Des siècles plus tard, ses écrits constituent toujours un
corpus de référence en matière d'édification personnelle.

25
La Première Période Intermédiaire
7e à 11e dynastie ; 2195-2064

L'affaiblissement du pouvoir royal au profit des des princes provinciaux


que sont devenus les nomarques précipite l'Égypte dans le chaos. Il faut
plus d'un siècle pour que les rois de Thèbes réunifient un pays profondé-
ment meurtri par une révolution dévastatrice et bouleversé par le renver-
sement des valeurs traditionnelles.

L'Ancien Empire s'achève dans la confusion à l'issue du règne exceptionnellement


long du Pharaon Pépi II. Épuisé par 96 années d'exercice du pouvoir, le vieux roi
se montre incapable de maîtriser la montée en puissance des hauts fonctionnaires
qui gouvernent ses provinces, les nomarques. Depuis la 5e dynastie, ces notables,
dont la charge est désormais héréditaire, accumulent les privilèges et prennent
leurs distances avec l'autorité centrale. Au mépris du dogme royal, ils s'attribuent
le mérite de la bonne gestion de leur juridiction et, choix ô combien symbolique,
préfèrent se faire enterrer sur leurs terres plutôt qu'auprès de Pharaon.

Vers 2180, le pouvoir royal, affaibli, ne peut empêcher une terrible révolution popu-
laire de déchirer le pays. Profitant du désordre, les Bédouins du Sinaï envahissent
le delta et les pharaons des 7e e et 8e dynasties se succèdent sans réussir à rétablir
l'ordre. Ces monarques ne parviennent à faire respecter leur autorité que dans la
seule région de Mennefer (le nouveau nom d'Ineb-Hedj) et ils ne peuvent empêcher
le morcellement de l'Égypte en une mosaïque de petits royaumes indépendants.

À Khenen-Nesout (Gr. Héracléopolis), non loin du Fayoum, les princes Khéti se pro-
clament rois de Haute et Basse Égypte en 2160 et fondent les 9e et 10e dynasties.
Ces anciens sujets de Pharaon s'imposent à Mennefer, chassent les Asiatiques du
delta et ambitionnent d'étendre leur domination sur les provinces du sud mais
ils se heurtent à la farouche résistance des Antef, seigneurs de la ville de Ouaset
(Gr. Thèbes, Louxor) qui règnent alors sur la Haute Égypte. Vers 2060, après plu-
sieurs décennies d'affrontements, le roi thébain Mentouhotep II vainc définitive-

26
ment les princes de Khenen-Nesout et réunifie le pays, faisant de Ouaset une cité
de première importance.

Sans gouvernement central pour soutenir des projets d'envergure ni entretenir


le savoir-faire des artisans, l'art et l'architecture de la première période intermé-
diaire ont connu une rapide décadence caractérisée par des œuvres malhabiles et
dépourvues d'ambition. En revanche, la littérature nous fournit des textes parti-
culièrement touchants, mélancoliques et pessimistes, qui transcrivent de ma-
nière vibrante les angoisses de leurs auteurs. Et pour cause : ce siècle de troubles
et de famine est vécu comme une véritable déchéance par le peuple égyptien. Les
repères habituels de la royauté et de l'harmonie sont bouleversés et le mal et l'in-
justice semblent pouvoir s'épanouir en toute impunité dans une Égypte désertée
par les dieux. La négation de toutes les valeurs chères aux Égyptiens conservateurs
transparaît clairement dans les écrits qui relatent les affres de cette période et les
monarques thébains devenus Pharaons font, a posteriori, figure de sauveurs offrant
enfin la paix et la stabilité à l'Égypte.

Un grand nom de la Première Période Intermédiaire

Ouahankh Antef II (2121-2072) : dans la lutte qui oppose Ouaset aux princes de
Khenen Nesout, Antef II offre une avancée décisive à son peuple en repoussant
vigoureusement les forces héracléopolitaines. Ses descendants, Antef III et surtout
Mentouhotep II, bénéficieront de ses victoires qui scelleront la domination des sei-
gneurs thébains sur leurs ennemis du nord.

27
Montouhotep II, roi de Ouaset

Point Jeu • Le harpiste perdu


Khenti, prêtre d'Amon a découvert dans les archives de sa Maison de Vie une version par-
ticulièrement raffinée et superbement illustrée du Chant du Harpiste, un célèbre conte du
Moyen Empire. Il comptait confier le papyrus à ses supérieurs lorsque la police du temple
a fait irruption dans sa demeure et lui a sommé d'expliquer la présence de ce document
rare dans ses affaires : le texte en question appartient au Premier Prophète d'Amon, Ha-
pouséneb, en personne. Qui a placé ce papyrus volé dans les mains de Khenti ?
Le jeune scribe est un homme sans histoire... Sauf si l'on considère qu'on lui a confié il y a
quelques semaines la responsabilité de réaliser une liste commentée des rois de Ouaset.
S'il s'agit d'un jaloux qui souhaite saper la belle progression de Khenti, comment a-t-il pu
avoir accès à cette copie du Chant du Harpiste ? Espérons que les personnages pourront
tirer Khenti de ce mauvais pas car Hapouséneb est furieux.

28
Le Moyen Empire
11e et 12e dynasties ; 2064-1797

Artisans du renouveau égyptien, les pharaons thébains multiplient les


réformes administratives afin de restaurer l'autorité royale et renforcer
la cohésion des provinces. Grâce aux richesses issues de nombreuses ex-
péditions militaires et commerciales, l'Égypte connaît une période faste
qui puise son inspiration dans le modèle de l'Ancien Empire.

Après la défaite des princes de Khenen-Nesout, les rois de Ouaset règnent sur un
pays fragile dont la structure doit être profondément repensée. Face à la menace
des administrations locales, Mentouhotep II et ses successeurs de la 11e dynastie
replacent Pharaon au centre de la nation et le rétablissent dans ses attributions
initiales : désormais entouré d'une cour de fonctionnaires et non plus de membres
de sa famille, il est la source de toute autorité et c'est de lui seul que ses sujets,
nomarques compris, tiennent leur propre pouvoir. Suivant un système calqué sur
celui de l'Ancien Empire, l'état engage une active campagne de construction pour-
suivie par les pharaons de la 12e dynastie et notamment Amenemhat I qui établit
la nouvelle résidence royale à Itj-Taouy, aux portes du Fayoum. Mennefer voit son
statut de capitale officielle confirmé tandis que Ouaset devient le centre du culte du
dieu Amon que révèrent les rois thébains.

Les grands projets du Moyen Empire traduisent la capacité des pharaons à fédérer
de nouveau la nation égyptienne mais leur mise en œuvre nécessite d'importantes
ressources. Le gouvernement pourvoit ainsi aux besoins grandissants du pays en
adoptant une une politique militaire et commerciale particulièrement volontaire.
Au sud, l'Égypte annexe la Haute Nubie et s'assure l'accès à ses richesses en y édi-
fiant de nombreuses forteresses. Au nord-est, la même stratégie de fortification
des frontières permet au pays d'organiser sa défense contre d'éventuels envahis-
seurs asiatiques et d'intensifier l'exploitation des mines de cuivre et de turquoise
du Sinaï. Assuré de la sécurité du territoire, le gouvernement développe des rela-
tions commerciales pacifiques et fructueuses avec la Palestine et multiplie les expé-
ditions dans le pays de Pount (en Afrique Noire, au sud de la Nubie).

29
Sur le plan religieux, la première période intermédiaire a été marquée par l'éclate-
ment de la figure royale et Pharaon ne bénéficie plus du privilège exclusif de l'im-
mortalité. À la destinée solaire du monarque succède la conception populaire selon
laquelle tout homme peut prétendre renaître dans l'au-delà en marchant sur les pas
d'Osiris, maître du royaume des morts. Bien que la tombe constitue encore symbo-
liquement une offrande royale accordée à un sujet méritant, les notables n'ont plus
besoin d'autorisation pour se faire construire de superbes hypogées.

La production artistique, amoindrie pendant la guerre civile, retrouve force et élé-


gance. Après la renaissance de l'architecture monumentale, la sculpture retrouve
une certaine assurance tandis que l'orfèvrerie atteint des sommets. Mais c'est
surtout la qualité de la littérature, l'éclosion de genres nouveaux et la finesse de la
langue qui marquent cette période. Les chefs d'œuvre de cet âge classique, forte-
ment influencés par les souffrances des siècles passés, s'adressent directement aux
hommes et les exhortent avec sincérité à mener une vie tempérée par la justice et
l'éthique, dans le respect de l'harmonie cosmique Maât. Ces textes aux styles variés
et subtils, tour à tour moralistes ou satiriques, mélancoliques ou humoristiques de-
viendront des modèles maintes fois recopiés ou réutilisés par les scribes du Nouvel
Empire.

Quelques grands noms de l'Ancien Empire

Mentouhotep II (2064-2013) : victorieux de la dynastie héracléopolitaine, ce roi de


Ouaset est à l'origine d'une nouvelle période d'unité qu'il fonde sur une profonde
réforme de l'administration et une politique de sécurisation des frontières.

Amenemhat I (1994-1964) : fondateur de la 12e dynastie, Amenemhat poursuit le tra-


vail de refonte bureaucratique initié par ses aînés mais réhabilite les nomarques et
la noblesse. Il offre à ses successeurs un pays prospère et pacifié.

30
La Deuxième Période Intermédiaire
13e à 17e dynastie ; 1797-1543

Profitant des négligences de la 13e dynastie, les Hyksôs venus d'Asie


conquièrent le delta et soumettent une grande partie du pays avant d'être
chassés par les nomarques de Ouaset.

La désagrégation du pouvoir royal sous la 13e dynastie se traduit dès le début du


18e siècle par une diminution de la pression militaire aux frontières. Alors que les
soldats implantés en Nubie jouissent de plus en plus d'autonomie, les fortifications
élevées dans le Sinaï contre les populations asiatiques (le Mur du Prince) sont peu à
peu abandonnées. Les nomades sémites profitent de cette opportunité pour s'ins-
taller en Égypte qu'ils savent être une terre riche et prospère. Peu à peu, cette mi-
gration se mue en invasion sous l'impulsion des Heka-Khasout, les « rois des Pays
Étrangers » dont le nom fut déformé en « Hyksôs » à Basse Époque. Dépeints par
la tradition comme de terribles guerriers, les Hyksôs ont sans doute vécu pacifi-
quement plusieurs décennies en Égypte et y ont acquis une influence grandissante
avant de prendre effectivement le pouvoir dans le delta et d'y fonder leur capitale :
Avaris.

Bien intégrés à la culture égyptienne, les rois d'Avaris se nomment eux-mêmes


Pharaons et tolèrent plusieurs dynasties parallèles auxquelles ils réclament néan-
moins un tribut (dans le delta et à Ouaset). Malgré la terrible réputation dont leurs
adversaires victorieux les gratifieront après coup, les Hyksôs se montrent respec-
tueux des usages locaux et les enrichissent de leurs connaissances techniques et
militaires (la roue, le char de guerre, armes et armures).

Vers 1550, le neuvième roi de la 17e dynastie thébaine, Sekenenrê-Taâ, parvient à


fédérer les royaumes de Haute Égypte et initie une guerre de libération contre les
envahisseurs asiatiques. Tué au combat, il cède la place à ses fils Kamès puis Ahmès
qui poursuivent la campagne de leur père. En prenant Avaris et en repoussant les
Hyksôs en Asie, Ahmès redonne à l'Égypte son unité et offre à nouveau le trône aux
rois de Ouaset.

31
Premier roi de la 18e dynastie et du Nouvel Empire thébain, Ahmès installe le Double
Pays dans une dynamique qui lui était jusqu'alors inconnue : porter la guerre hors
de ses frontières pour s'assurer paix, richesse et prospérité.

Le Nouvel Empire
18e à 20e dynastie ; 1543-1078

Avec les rois guerriers de la 18e dynastie l'Égypte inaugure la plus glo-
rieuse période de son histoire. Le Double Pays repousse ses frontières par
les armes et forme un immense empire qui s'étend de la Nubie à la Méso-
potamie. Considérée comme la plus puissante nation d'orient, l'Égypte
jouit d'une richesse sans précédent.

Après avoir limité sa politique militaire à quelques expéditions ponctuelles et à une


stratégie globalement défensive, l'Égypte menée par les pharaons de la 18e dynastie
se mue en une machine de guerre violemment expansionniste qui cherche à dé-
truire à la source toute menace potentielle. Une fois réunifié par Ahmès, le Double
Pays lance ses armées au nord et au sud, conquiert la Nubie jusqu'à la cinquième
cataracte et place sa frontière septentrionale à la hauteur de l'Euphrate, en Méso-
potamie. Grâce au courage et à la vigueur des rois guerriers de Ouaset, les tributs et
les prises de guerre de tout l'empire affluent en Égypte et lui confèrent une richesse
exubérante.

Incarné par une bureaucratie omniprésente que domine sans ambiguïté la figure
de Pharaon, le gouvernement transforme l'ancienne Kémi, paisible et isolée, en une
puissance éblouissante qui rayonne dans le monde entier.

32
Statue osiriaque d'Amenhotep I

La 18e Dynastie : l'âge d'or des pharaons conquérants

Ahmès, libérateur et et réunificateur du Doubvle Pays


1543-1518
Fils de Sekenenrê-Taâ, Ahmès (Gr. Ahmôsis ;« La lune l'a mis au monde ») poursuit
la guerre contre les Hyksôs initiée par son père et parvient à faire tomber Avaris. Il
traque les envahisseurs asiatiques jusqu'en Canaan et massacre la population de la
cité de Sharouhen, attestant son implacable volonté de voir l'Égypte durablement
débarrassée de ses adversaires. Au sud, il soumet la Nubie jusqu'à la troisième ca-
taracte et consacre trois campagnes à la mise au pas du turbulent pays de Koush,
désormais soumis à l'autorité d'un haut fonctionnaire égyptien : l'or nubien sur
lequel s'appuie la politique économique égyptienne coule à nouveau à flot.

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Une fois le pays unifié et stabilisé, Ahmès rétablit les relations commerciales que
l'Égypte a toujours entretenues avec la Syrie-Palestine et réorganise efficacement
sa bureaucratie : dieu vivant garant de la justice et de la bonne marche du Double
Pays, le roi est placé au sommet d'une administration tout entière dévouée à la
cause nationale. Grâce à cet effort, l'Égypte est à nouveau maîtresse de ses res-
sources et de ses institutions. La richesse retrouvée de Kémi ouvre la voie à une
réelle reconquête artistique qui se concrétise par la construction de nombreux mo-
numents de Bouhen, en Nubie, à Mennefer dans le delta.

En matière de religion, Ahmès n'oublie pas d'attribuer au dieu thébain Amon ses
propres succès et le place au cœur du culte royal. Il finance généreusement son
clergé dont l'importance ne cessera de croître au cours du Nouvel Empire. Les pha-
raons de Ouaset se placeront tous sous la protection d'Amon dont ils revendiquent
la filiation et le dieu, autrefois mineur, éclipsera rapidement les autres divinités
locales.

L'histoire se souvient d'Ahmès comme étant le fondateur de la 18e dynastie. Il est


vénéré à Ouaset et à Abdou, où il est enterré.

Amenhotep I, roi bâtisseur d'une Égypte pacifiée


1517-1497
Amenhotep I (Gr. Aménophis ; « Amon est satisfait ») succède à son père Ahmès et
règne sur une Égypte déjà forte et unie. En l'an 8 de son règne, il effectue une cam-
pagne en Nubie, acheminant ses troupes par bateaux, et y conforte la domination
égyptienne. Il officialise et renforce les prérogatives du haut fonctionnaire chargé
de superviser la région et fait de ce « Vice-roi de Koush » l'un des personnages les
plus puissants de l'empire. Il réprime également une révolte libyenne et conserve
des relations paisibles avec l'Asie où il étend son influence jusqu'à l'Euphrate. Mal-
gré l'émergence au nord de la Palestine du belliqueux royaume du Mitanni, la situa-
tion est suffisamment sûre pour que les Égyptiens reprennent le chemin des mines
du Sinaï auxquelles ils n'avaient plus accès depuis le Moyen Empire.

34
Amenhotep est un bâtisseur actif qui relance l'exploitation de plusieurs carrières
et fait ériger de nombreux temples et monuments dans toute la Haute Égypte. Il
s'attache plus particulièrement à Ouaset où il développe considérablement le grand
complexe religieux de d'Opet-Isout (Karnak) dédié à Amon-Rê.

Après vingt années d'un règne sans difficultés majeures, Amenhotep est le premier
pharaon à être enterré dans une sépulture séparée de son temple funéraire. Il inau-
gure ainsi la nécropole thébaine, placé sur la rive ouest du Nil, et occupe avec sa
mère Ahmès-Néfertary le premier hypogée de la Vallée des Rois.

Touthmôsis I, le roi dont l'épée touche les deux extrémités du monde


1496-1483
Sans descendance masculine, Amenhotep cède le trône à un fils illégitime,
Akhéperkarê Touthmès (Gr. Touthmôsis I ; « Thot l'a mis au monde »). Malgré un
règne court, Touthmès n'a de cesse d'agrandir l'empire égyptien. Il bâtit une for-
teresse au niveau de la troisième cataracte et atteint la cinquième où il fait placer
une stèle témoignant de son influence dans la région. En Asie, il effectue des raids
dirigés vers la Syrie et franchit l'Euphrate, provoquant les premières frictions avec
le Mitanni.

Strict continuateur de l'œuvre de ses pères, il se consacre également à la réorga-


nisation intérieure de l'Égypte et apporte sa contribution au temple d'Opet-Isout
auquel il ajoute ses premiers obélisques. Il fonde sur la rive occidentale de Ouaset
le village des artisans (actuellement nommé Deir el-Medineh) dont les habitants,
des professionnels hautement qualifiés, travaillent aux tombes et aux temples fu-
néraires de la nécropole.

Comme Amenhotep I, Touthmès I n'a que des filles de son mariage avec la princesse
Ahmès, mais il engendre la remarquable Hatshepsout qui révélera quelques années
plus tard l'ampleur de son ambition. Reconnaissant en elle une jeune femme forte
et compétente, il émet le vœu qu'elle lui succède et la proclame « roi » lors de sa
deuxième année de règne.

35
Touthmôsis II et l'ascension de la grande Hatshepsout
1483-1480
Malgré le souhait de Thoutmès I, c'est un fils qu'il a eu avec son épouse secondaire
Moutnéferet qui accède au trône après sa mort. Akhéperrenrê Touthmès (Gr. Touth-
môsis II) est un adolescent lorsqu'on le marie à sa demi-sœur Hatshepsout afin de
légitimer son pouvoir. Considérant le statut d'Hatshepsout à cette époque, le jeune
pharaon est rapidement éclipsé par la personnalité de sa femme qui voile à peine
ses prétentions. Sur les monuments dédiés au culte royal se multiplient des qualifi-
catifs qui n'ont aucune ambiguïté à son sujet : elle est la « Dame de la terre entière,
maîtresse du Double Pays ». Officiellement, Hatshepsout n'est pas encore Pharaon
mais après des années passées au côté de son père Touthmès I, elle maîtrise parfai-
tement les rouages du pouvoir et continue d'assumer de très importantes respon-
sabilités.

Hatshepsout, pharaon
36
Touthmès II profite de son court règne (trois ans) pour faire réprimer dans le
sang une révolte en Nubie. Sur le plan intérieur, il se concentre sur l'édification
de temples et poursuit le développement d'Opet-Isout. La plupart des projets qu'il
initie sont achevés par la reine Hatshepsout qui ne manque pas d'y faire figurer
ostensiblement son nom.

La prise de pouvoir d'Hatshepsout, la femme Pharaon


1479-1457

Le 4e jour du premier mois de la saison de shemou voit arriver sur le trône le très
jeune Menkhéperrê Touthmès (Gr.Touthmôsis III). Ce fils illégitime de Touthmès
II (une fois de plus) est destiné à devenir le plus grand pharaon de l'histoire égyp-
tienne, un combattant avisé qui conférera au Double Pays un prestige sans égal.
Mais la route est longue avant cet accomplissement et l'enfant roi devra attendre
vingt-deux longues années avant de pouvoir exercer seul le pouvoir qui lui revient
de droit. Vingt-deux années qui appartiendront à Hatshepsout.

En effet, Touthmès III n'a que six ans lorsque son père meurt et il est logiquement
placé sous la tutelle de sa tante et belle-mère Hatshepsout. Dans les faits, il s'agit
moins d'une régence que d'une véritable prise de contrôle de l'administration égyp-
tienne et la reine accède enfin au rôle que son père avait voulu pour elle. Une fois à
la tête du pays, elle sait qu'elle ne cédera pas facilement le pouvoir auquel elle aspire
depuis plus de quinze ans et elle s'approprie le règne de son jeune neveu sans pour
autant le priver officiellement de ses futures fonctions. Le vieil Inéni, intendant des
greniers d'Amon résume fort bien la situation lorsqu'il évoque la mort de Touthmès
II : « Son fils installé à sa place comme roi des Deux Terres régna sur le trône de ce-
lui qui l'avait engendré, tandis que sa sœur Hatshepsout, l'épouse du dieu, s'occu-
pait des affaires du pays, les deux terres étant sous son gouvernement. On accepta
son autorité, la vallée était soumise. »

Il ne faut pas attendre longtemps avant qu'Hatshepsout, jusqu'ici « simple » épouse


divine, ne franchisse une nouvelle étape, décisive, vers la confirmation de son auto-
rité. En l'an 3 du règne de Touthmès III, et du sien de fait, elle adopte une titulature
royale complète et se fait couronner « roi ».

37
Elle est maintenant un pharaon engendré par Amon-Rê : Maâtkarê Khene-
met-Imen-Hatshepsout, Celle dont les ka sont puissants, dont les années rever-
dissent et dont les apparitions sont divines, le ka de Rê est Justice, celle qu'em-
brasse Amon, la première des femmes.

Point Jeu • Le fruit de la douleur


Une vieille femme se remémore le sacre d'Hatshepsout, cette reine belle et forte qui a fait
la fierté de tous les habitants de Kémi. C'était il y a bientôt 25 ans mais le souvenir est en-
core frais dans sa mémoire, tout comme celui de cet homme aviné qui a profité de la liesse
pour abuser d'elle et lui donner un fils. L'enfant, nommé Hapou, est devenu un homme
et sa mère vient de lui apprendre son origine honteuse. Il est prêt à tout pour retrouver
son père et, du moins le pense-t-il, lui infliger le châtiment qu'il mérite. Son seul indice
est également un sérieux problème : le coupable n'était autre qu'un jeune noble de Nubie
confié au harem royal le temps de parfaire son éducation. Il est aujourd'hui un vieillard
respecté qui enseigne la médecine à Abou...

Les grandes réalisations du Roi Hatshepsout

Hatshepsout est officiellement devenue l'égale de Touthmès III avec qui elle par-
tage, en tant que co-régente, la responsabilité de diriger l'Égypte. De toute évi-
dence, c'est elle qui tient les rênes du pouvoir mais, malgré une manœuvre qui
pourrait s'apparenter à une usurpation, il faut accorder à la femme Pharaon que
jamais elle ne tenta d'écarter son neveu du trône. Manifestement sûre de son aval
sur Touthmès et de ses nombreux appuis politiques, elle ne remet pas en cause la
légitimité du jeune homme qu'elle associe toujours à ses propres décisions et dont
elle n'amoindrit pas les mérites. Elle ne prétend jamais être la seule maîtresse du
Double Pays, quelles que soient la grandeur et l'audace de ses réalisations.

Une des initiatives les plus remarquables d'Hatshepsout est d'ailleurs l'expédition
qu'elle organise à destination du mythique « Pays du Dieu », le pays de Pount, loin
au sud de la Haute Nubie. N'ayant pas opté pour une politique militaire, la reine

38
s'enorgueillit de ce voyage épique qu'elle considère comme l'un des grands exploits
de son règne ; c'est elle qui a « ouvert la voie » vers Pount.

Le faste de cette période doit également beaucoup au renouveau artistique et archi-


tectural que promeut la reine. Son temple de la rive ouest de Ouaset, le Djéser-djé-
serou, en est le plus brillant exemple. Commencé sous le règne de Touthmès I, ce
bâtiment tout en largeur est adossé aux hautes falaises d'un cirque calcaire et ses
trois terrasses superposées, reliées entre elles par des rampes, sont rythmées par
d'élégants piliers carrés décorés de scènes vigoureuses et colorées. Le Djéser-djé-
serou est empli d'une force classique qu'il emprunte au Moyen Empire et exprime
la profonde inventivité de son architecte : Senenmout. En effet, le grand temple de
Deir el-Bahari (son appellation contemporaine) est voué au culte d'Hatshepsout, de
son père et d'Amon, mais il comporte des scènes inattendues, presque personnelles
qui s'éloignent des formules conventionnelles que l'on retrouve habituellement
dans ce type d'édifice. Hatshepsout souhaite justifier son accession au pouvoir et
elle y mentionne ses propres origines divines en faisant figurer l'union charnelle
entre sa mère Ahmès et le dieu Amon incarné dans son père de sang Touthmès I.
Ailleurs, elle consacre de nombreuses scènes à la description historique des hauts
faits de son règne tels que l'expédition à Pount ou ses nombreuses contributions au
complexe d'Opet-Isout.

Plus largement, la soif de construction et de restauration de la reine gagne toute


la vallée du Nil qui voit fleurir de nombreux temples. Hatshepsout a conscience
de l'ampleur des efforts qu'elle déploie et elle entend bien le faire savoir, comme
le confirme cette inscription sur la façade du temple rupestre de la déesse Pakhet :
« J'ai fait cela de ma propre initiative ; je ne me suis pas endormie dans la négli-
gence ; j'ai restauré ce qui était en ruine ; j'ai relevé ce qui était écroulé depuis que
les Hyksôs occupaient Avaris, dans le delta »... « Fermement établie sur le trône de
Rê, j'ai été proclamée pour de nombreuses années « Celle qui est née pour régner »,
étant maintenant l'Horus femelle unique tandis que l'Uræus lance le feu contre mes
ennemis. »

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Le voyage à Pount
En l’an 9, cinq navires et de nombreux soldats quittent Ouaset avec à leur tête le messa-
ger royal Néhésy. Malgré la difficulté de la tâche, les équipages parviennent à franchir
les cataractes qui troublent le cours du Nil, s’enfoncent profondément en Afrique et
atteignent enfin le pays du roi Paréhou et de la reine Aty dont ils ramènent des richesses
extraordinaires. À son retour, Néhésy présente à Hatshepsout un trésor à la hauteur de
ses attentes : de l’or, des défenses d’ivoire, des pierres précieuses, du bois d’ébène, des
peaux de bête, des animaux sauvages, des esclaves et, surtout, des arbres à encens que la
reine fait fièrement planter dans l’enceinte du temple d’Opet-Isout.

L'entourage de la reine

Il est évident que le règne exceptionnel d'Hatshepsout doit beaucoup aux qualités
personnelles de la reine, à son intelligence, sa créativité ainsi qu'à un indéniable
courage qui lui ont permis de s'affranchir du poids des traditions, mais elle a éga-
lement été activement soutenue par plusieurs hauts fonctionnaires qui ont rapi-
dement reconnu sa grande valeur. Le premier d'entre eux était l'architecte Senen-
mout, concepteur du temple Djéser-djéserou, et que la reine choya au point que
de nombreuses rumeurs circulent encore quant à la véritable nature de l'intimité
qui les unissait. Notons également parmi les puissants partisans d'Hatshepsout
le Premier Prophète d'Amon Hapouséneb, Djéhouty, superviseur des travaux du
Djéser-djéserou et d'Opet-Isout, Néhesy, messager devenu chancelier après son
glorieux voyage à Pount, le Vice-roi de Koush Inebni et le Tjaty Ouseramon. Plu-
sieurs de ces dignitaires poursuivront leur activité après le retrait d'Hatshepsout et
l'avènement de Touthmès III.

Le retrait d'Hatshepsout et le règne glorieux du plus grand pharaon


d'Égypte : Touthmôsis III
1457-1424
Le premier mois de la saison de Peret, après avoir passé vingt-deux ans au pouvoir,
Hatshepsout prend une décision capitale : elle se retire totalement de la vie poli-
tique et laisse la voie libre à son neveu Menkhéperrê Touthmès, maintenant âgé

40
Touthmès III

de vingt-huit ans. D'innombrables explications ont été avancées afin de justifier le


retrait d'Hatshepsout et l'on a même invoqué la possibilité de sa mort. En réalité,
la vérité nous est inconnue mais le jeu Kémi retient une version présentée au para-
graphe L'ombre d'Hatshepsout.

Touthmès attendait ce moment depuis longtemps car à peine deux mois après le
départ d'Hatshepsout, il entame la première des dix-sept campagnes militaires
qu'il mènera en Asie afin d'y d'y imposer sa loi. Le roi est un guerrier hors pair, un
conquérant, et il souhaite offrir au Double Pays le rayonnement international qu'il
mérite et qu'Hatshepsout semble avoir négligé. Le spectre de l'invasion Hyksôs
plane toujours sur le pays et Touthmès ne permettra pas que les nations asiatiques
constituent une faiblesse dans le flanc de l'empire égyptien en l'exposant aux as-
sauts du Mitanni. La révolte qui gronde en Réténou (Palestine) signifie d'ores et
déjà qu'il est grand temps d'agir.

41
Décidé à régler définitivement le problème, Touthmès part de Mennefer avec son
armée, et arrive au poste-frontière de Tjarou, entre Iounou et Avaris, le 25e jour du
4e mois de Peret. À la date anniversaire de son avènement, le 4e jour du premier
mois de Shemou, il arrive à Gaza qu'il quitte le lendemain pour marcher sur le Rété-
nou. Onze jours plus tard, le 16, Touthmès convoque ses généraux à Yéhem, au pied
de la chaîne montagneuse du Carmel, afin de convenir de la stratégie à adopter.
Pharaon sait qu'il est opposé à une alliance des pays du Levant qui avaient autrefois
accepté l'autorité égyptienne. Cette fédération est menée depuis la cité de Megiddo
par le prince de Qadesh qui menace déjà les troupes royales en poste dans la ville de
Sharouhen. La révolte ne nécessite pas une simple démonstration de force et c'est
à une véritable guerre que se prépare Touthmès pour lequel l'indépendance des
nations asiatiques ne constitue même pas une option.

Malgré les recommandations de son état-major, Pharaon décide de fondre sur


les troupes ennemies à Megiddo en employant le chemin le plus direct : la route
d'Arouna, un défilé rocheux si étroit et encaissé qu'il contraint son armée à for-
mer une longue file et la vulnérabilise considérablement. Protégé par Amon-Rê,
Touthmès marche en tête et mène ses hommes sans encombre jusqu'à la vallée de
Megiddo. Ses ennemis sont stupéfaits par la nouvelle de cette improbable arrivée
car ils étaient convaincus que leur adversaire n'oserait pas opter pour un itinéraire
aussi périlleux. Pourtant, le 20, les troupes de Pharaon achèvent de se déverser au
sud de Megiddo et la bataille s'engage le lendemain.

Les techniques de combat héritées des envahisseurs Hyksôs et la force de frappe de


la charrerie offrent à Touthmès une victoire éclatante mais l'avidité de ses troupes,
qui préfèrent se livrer au pillage plutôt que pousser leur avantage, lui interdit de
prendre Megiddo dans la foulée. Malgré ce revers, la ville se rend après sept mois de
siège et Pharaon proclame haut et fort sa domination sur toute la région. Les tributs
d'or, d'argent, de pierres précieuses et de bétail affluent en Égypte et Touthmès a
la sagesse de préserver soigneusement les régimes politiques des villes asiatiques
où il appointe des chefs qui lui sont favorables. Il a conscience que les richesses du
Réténou – et des nombreux pays qui se soumettent à lui après cette mémorable
bataille – sont plus importantes que la simple satisfaction de contempler leurs cités
en ruines.

42
Cette première expédition est la plus importante car elle établit les fondements des
relations qu'entretient l'Égypte avec ces contrées soumises : une exploitation éco-
nomique bien comprise qui exclut, dans la mesure du possible, toute intervention
militaire superflue. Les territoires asiatiques constituent également une base stra-
tégique sur laquelle Pharaon basera ses campagnes ultérieures et qui lui permettra
d'étendre l'influence égyptienne jusqu'en Mésopotamie.

Un simple combattant ?

La grandeur de Touthmès III ne se limite pas à ses nombreuses prouesses guer-


rières et le chef militaire cache un homme lettré et curieux, passionné de calligra-
phie, de littérature, d'histoire et de sciences naturelles. De retour de la campagne
de Megiddo, en 23, il décide d'ailleurs de faire bâtir à Karnak l'Akh-Ménou, un su-
perbe ensemble de chapelles dédié à ses ancêtres et à Amon dont l'une des salles est
consacrée à la représentation des nombreuses espèces animales et végétales qu'il a
découvertes lors de ses voyages en Réténou.

En 25, il a déjà lancé la construction de plusieurs temples en Nubie mais, accaparé


par ses opérations militaires, il en confie la supervision à son ancien lieutenant
Néhy, nommé Vice-roi de Koush en 23.

Aujourd'hui, l'An 25 du règne de Menkhéperrê Touthmès

Les personnages du jeu Kémi débutent leurs aventures à Ouaset en l'an 25 et ont la
chance de vivre sous la divine protection du grand Menkhéperrê Touthmès. Depuis
son réel avènement il y a trois ans, le roi quitte chaque année son palais pour livrer
bataille en Asie, maintenir la mainmise sur les richesses du Réténou et avancer tou-
jours plus loin en direction de la Mésopotamie. Au sud, les ressources inestimables
de la Nubie sont solidement tenues par le Vice-roi de Koush, Néhy, qui réside en
son palais de Miam. Le reste de la population égyptienne, égrenée en centaines
de villes et de villages le long du Nil, est épargnée par les conflits qui font rage aux
frontières du pays et la vie s'écoule paisiblement au gré des crues du fleuve, des
semailles et des moissons.

43
Le temple d'Hatshepsout, Djéser djéserou

En l'absence de Pharaon, le vieux Tjaty Ouseramon gère les affaires du pays et les
régiments de scribes que son administration supervise veillent consciencieuse-
ment à ce que tous les habitants de Kémi œuvrent dans l'intérêt de la communau-
té. Le pays est bien sûr placé sous le patronage des dieux et le Premier Prophète
d'Amon, Hapouséneb, incarne leur plus respectable serviteur après le roi. À la tête
de son tout-puissant clergé, il est responsable des milliers de prêtres qui rendent
le culte à Amon-Rê et contribuent à attirer sur le Double Pays les faveurs divines.
Ces scènes se répètent à Khmounou, à Mennefer, à Iounou où des temples à peine
moins importants participent activement à faire régner l'harmonie cosmique et à
repousser le chaos.

Mais l'Égypte n'est pas seulement faite de soldats, de prêtres et de fonctionnaires


zélés... Dans les ruelles ombragées, loin des hautes sphères du pouvoir, les étals
colorés des paysans qui se font marchands côtoient les ateliers des vanneurs et des

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potiers. On peut y voir un musicien aveugle jouer quelques notes de flûte à l'inten-
tion d'une belle jeune fille de bonne famille tandis que des enfants observent en
riant le manège d'un petit singe qui chaparde les pains du boulanger. Cette Égypte
vivante et discrète n'est pas moins réelle que les monuments de pierre et les im-
menses tombes de la nécropole de Ouaset. C'est aussi cette Égypte que les person-
nages de Kémi s'apprêtent à découvrir.

Hatshepsout selon Kémi : l'ombre de la reine

Dans le cadre du jeu Kémi, Hatshepsout n'est pas morte et elle n'a pas été chassée
du pouvoir à l'issue d'une quelconque fronde de l'administration ou d'une mani-
gance de Touthmès : au terme d'une profonde réflexion, elle a délibérément choisi
de céder le trône à son neveu.

Âgée de cinquante ans, elle estime avoir assez fait pour l'Égypte et considère que
le monde dispose de suffisamment de témoignages de sa valeur pour que son nom
soit honoré pour l'éternité. Bien que directive et autoritaire, Hatshepsout n'en est
pas moins une femme juste et elle a décidé qu'il était temps que Touthmès apporte
sa contribution à son œuvre en assumant pleinement, et seul, ses responsabilités.
Elle le croit suffisamment fort et avisé pour engager le pays dans une direction
qu'elle avait choisie d'ignorer jusqu'à ce fatidique an 22 : après avoir assuré la splen-
deur intérieure du pays, elle confie au jeune homme la tâche de faire respecter
l'Égypte à l'extérieur de ses frontières et le conforte dans ses velléités guerrières.

Ainsi, le retrait d'Hatshepsout est le fruit d'un accord tacite avec Touthmès et son
administration mais il ne faut jamais perdre de vue qu'il a été voulu par la reine et
qu'il constitue en soi un ultime signe de son autorité. C'est elle seule qui a décidé de
son propre destin et de celui de son gendre.

Après vingt-deux ans d'attente, Touthmès accède enfin à la dignité qui lui revient
de droit mais au vu des qualités de monarque d'Hatshepsout et des conditions de
cette passation de pouvoir, le défi est particulièrement difficile à relever. Secrète-
ment taraudé par la frustration et l'angoisse, le Pharaon craint de ne pouvoir égaler

45
celle qui lui a tout appris et il se lance à corps perdu dans la bataille afin de montrer
à une Égypte circonspecte qu'il est le digne successeur de sa belle-mère. En com-
battant avec rage les armées des princes du Réténou et du Mitanni, c'est également
l'ombre bien vivante d'Hatshepsout qu'il compte repousser et il espère ainsi recon-
quérir une crédibilité qui, à ses yeux, lui fait cruellement défaut.

Puis le courageux Touthmès accumule les succès militaires, l'Égypte devient une
puissance crainte et respectée devant laquelle tous les rois du monde s'inclinent et
la réussite de Pharaon se mue en gloire. Il prend peu à peu conscience de l'homme
qu'il est et, constat ô combien plus cruel, il imagine l'homme qu'il aurait pu être
si son règne lui avait entièrement appartenu. Cette pensée douloureuse chemine
pendant les vingt années que Touthmès consacre à ses campagnes asiatiques puis
il arrive à une conclusion non moins pénible : acclamé comme étant le plus grand
roi que l'Égypte ait connu, le personnage qu'il représente ne peut s'accommoder
d'une jeunesse si peu glorieuse, dérobée par... une femme. Sacrifiant au poids de
la tradition et mu par une rancœur diffuse dont il n'a jamais totalement réussi à se
débarrasser, Touthmès décide que l'Égypte devra retenir qu'il est le seul artisan de
son exceptionnelle réussite : Hatshepsout doit disparaître des mémoires.

Malgré les exhortations des Prophètes d'Amon, Touthmès ne peut pas se résoudre
à se livrer à cette abomination du vivant d'Hatshepsout. Bien que la vieille reine lui
renvoie en permanence l'image de sa propre honte, il éprouve un profond respect
pour cette mère écrasante, ce modèle implacable qui l'a toujours conservé à ses cô-
tés là où d'autres l'auraient à jamais privé de l'opportunité de monter sur le trône.
Déchiré entre un amour complexe et la nécessité politico-religieuse de faire oublier
au monde la parenthèse humiliante que représente Hatshepsout, le roi craint éga-
lement la réaction de la reine qui l'impressionne toujours et il attend sa mort, en 42,
pour faire disparaître son nom de tous les bâtiments qu'elle a fait édifier.

Contraint par l'histoire et ses propres sentiments, c'est avec amertume qu'il écha-
faude le plus grand mensonge de l'histoire égyptienne et annihile toutes les chances
de survie d'Hatshepsout dans le monde des morts. Un crime qui va bien au-delà de
ce que l'on peut infliger à un vivant.

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47
Un don du nil

48
L
'identité pharaonique s'est forgée au contact de la nature et il ne fait aucun
doute que l'environnement profondément paradoxal et contrasté du pays a
contribué à définir ses fondements politique et religieux. Nord et sud, vie
et mort, jour et nuit... Comment ne pas voir dans cette fascination pour la dualité
la profonde influence des réalités physiques de l'Égypte, déchirée entre fleuve et
désert, vallée et delta, fertilité et stérilité.

Deux terres pour une nation


L'Égypte est un pays linéaire et isolé, défini par le cours du Nil qui étire sa vallée
verdoyante au milieu du désert sur près de 1000 km avant de former un large delta
marécageux en approchant de la Mer Méditerranée. Elle peut être divisée en deux
régions.

La Haute Égypte couvre au sud l'étroite bande de terre fertile formée par le par-
cours du fleuve entre la cité d'Abou (Gr. Éléphantine, Assouan), aux portes de la Nu-
bie, et Mennefer (Gr. Memphis), à l'entrée du delta. Ce long ruban de végétation qui
sinue entre les déserts libyque et arabique est la patrie de Seth, dieu des tempêtes,
et de Nekhbet, la déesse-vautour. Les symboles de cette terre sont le roseau sout et
sa plus célèbre cité est Ouaset, l'actuelle capitale de Kémi.

Le nom égyptien de cette région, Shémaou, est représenté par un hiéroglyphe en


forme de canaux d'irrigation et traduit l'importance de la gestion des crues dans
une zone très menacée par la sécheresse. Le limon apporté par le Nil, élément vital à
la fructueuse agriculture de la vallée, est la « terre noire », Kemet ou Kémi, à laquelle
les Égyptiens sont si attachés qu'ils en ont fait un des noms de leur nation. Ils lui
opposent le terrible Desheret, la « terre rouge » du désert, hostile, stérile et peuplée
de nomades étrangers et menaçants.

Après des centaines de kilomètres de voyage, le Nil forme au delà de Mennefer


une étendue marécageuse de 180 km de longueur sur 280 km de largeur : la Basse
Égypte. Aux yeux des habitants du sud, habitués à un univers minéral, la « terre du

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nord » ou Taméhou est une véritable mer intérieure avec ses canaux et ses nom-
breux lacs. La région est placée sous la protection de la déesse-cobra Ouadjet et ses
symboles sont le papyrus qui y abonde et l'abeille bit. Mennefer fut longtemps la
capitale du Double Pays et reste en l'An 25 du règne de Touthmès III la plus grande
ville de toute l'Égypte.

Le Nil, source de vie


Le Nil permet à l'Égypte d'exister, pas moins. Il est son artère et sa colonne ver-
tébrale, l'élément fédérateur et incontournable dans lequel tous les Égyptiens se
reconnaissent. Source d'eau et de nourriture, moyen de transport, clé du rythme
saisonnier, le fleuve est une bénédiction que tous craignent et révèrent (Voir Le fruit
de la Terre Noire).

Le Nil s'écoule vers le nord sur plus de 6 000 km après avoir été nourri par les pré-
cipitations d'Éthiopie et d'Afrique centrale. À la hauteur du Soudan, il trace de
larges méandres en traversant le massif de Nubie dont les affleurements rocheux
forment les cataractes, terme quelque peu exagéré pour décrire ces passages chao-
tiques encombrés de blocs de pierre. Les Égyptiens comptent six cataractes princi-
pales depuis Abou, à la frontière nubienne, jusqu'à Khartoum, au Soudan. Les deux
premières sont nommées « Puits inférieur » et « Puits supérieur » en référence au
mythe selon lequel les crues jailliraient de ces formations minérales. Le Nil traverse
ensuite la Haute Égypte selon un axe nord-sud
relativement rectiligne, donne naissance à la
grande oasis du Fayoum, puis se sépare en plu-
sieurs bras dans le delta où il étale ses alluvions
avant de se jeter dans la Mer Méditerranée.

L'abondance et la régularité des crues du Nil


constituent l'une des clés de la réussite de la
civilisation égyptienne et c'est autour de ce
phénomène vital que le Double Pays s'est na-

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turellement bâti. Chaque année, les eaux gonflées par les pluies d'Afrique orientale
submergent la vallée et y déposent une épaisse couche de limon, inondant les terres
sur 1 000 mètres de largeur, parfois plus dans des régions telles que Ouaset. Cette
saison, nommée Akhet (inondation), dure quatre mois, de juillet à novembre, et
prive les agriculteurs de leur activité habituelle. C'est pendant Akhet que cette main
d'œuvre est susceptible de participer aux grands projets nationaux décidés par
Pharaon. L'hiver marque le retrait des eaux et la période de labour et de semailles.
C'est la saison de Peret, la germination, qui court de novembre à mars. Pendant la
saison de Shemou (la moisson), la sécheresse revient et les champs de céréales et de
légumineuses peuvent être récoltés.

Acteur sacré de la vie égyptienne, le Nil est le cordon ombilical qui alimente et réu-
nit toutes les régions de l'Égypte et leurs habitants. Il joue finalement un rôle très
similaire à celui de Pharaon qui réalise cette tâche sur le plan politique en assurant
la cohésion du Double Pays, et sur le plan métaphysique en se plaçant comme l'in-
termédiaire entre les hommes et les dieux (Voir Le Roi-dieu Pharaon) De nombreux
éléments de la pensée religieuse égyptienne font plus ou moins explicitement allu-
sion au Nil et à ses propriétés symboliques. Le « grand fleuve », Ioter Aa, est ainsi
paré de multiples attributs divins qui le mettent en relation avec les forces cos-
miques présidant à la création du monde, notamment l'océan primordial Noun qui
encercle la création.

Bien qu'il ne soit pas divinisé en tant que tel, le fleuve héberge le génie Hâpy, une
créature bisexuée qui déclenche les crues depuis sa caverne de Nubie. En Haute
Égypte, Hâpy prend la forme de Hap-Renet et est coiffé de fleurs de lotus tandis
que son équivalent du delta, Hap-Meht est orné de papyrus. C'est de sa jarre que
jaillissent les flots du fleuve sous la forme d'un long serpent qui gagne la mer avant
de retourner à sa source en un cycle sans fin.

Le fleuve constitue enfin une exceptionnelle voie de communication et des milliers


de bateaux, depuis la barque de papyrus des chasseurs de canards au lourd navire
chargé de blocs de granite, profitent de son courant orienté vers le nord et des vents
qui soufflent vers le sud.

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Point Jeu • La colère de Sobek
Les pêcheurs d’un village situé au nord de Ouaset ne peuvent plus fournir le quota de
poissons que l’administration exige d’eux. La raison en est simple : c’est la troisième fois
en deux mois que leurs embarcations de papyrus sont attaquées par un énorme crocodile.
Les anciens du village jugent que le dieu-crocodile Sobek est en colère et qu’il est néces-
saire de multiplier les offrandes. Peut-être serait-il utile de faire un sacrifice -humain
s’entend- afin de calmer le monstre, comme aux temps anciens. Il convient d’intervenir
rapidement afin d’éviter que bêtes sauvages et superstitions ne continuent de faire couler
le sang.

Les déserts, terres de Seth


Le miracle des crues du Nil ne doit pas faire oublier que l'Égypte est essentielle-
ment composée de déserts et il suffit de s'écarter de quelques centaines de mètres
du fleuve pour tomber dans le domaine du grand Seth.

À l'ouest, le Désert Libyque (ou Occidental) forme un plateau d'environ 200 m d'al-
titude d'où émergent ça et là quelques pics rocheux avant de céder la place à la
Grande Mer de Sable, tandis qu'à l'est se dressent les « Monts de la Mer Rouge », un
massif particulièrement tourmenté dont les sommets peuvent atteindre 2 000 m
(le Désert Arabique, ou Oriental). Ces deux géants de pierre et de sable qui en-
serrent la vallée sont sillonnés par les lits escarpés d'anciens cours d'eau, les ouadi,
dont le plus célèbre est le Ouadi Hammamat (Vallée de Rohanou en égyptien), une
longue trouée qui traverse le Désert Arabique d'est en ouest depuis la ville de Ge-
btou en Haute Égypte jusqu'à la Mer Rouge. Au sud, c'est le désert du Soudan qui
étreint les méandres nubiens du Nil et n'oublions pas, loin au nord-est, le désert
asiatique du Sinaï à nouveau contrôlé par les troupes de Pharaon.

Les déserts égyptiens sont riches de contradictions. Réputés dangereux pour leur
impitoyable climat, les bêtes sauvages qui les hantent et les nomades belliqueux qui
convoitent les richesses de la vallée, ils sont néanmoins intensément exploités pour

52
leurs ressources minérales et la résine de térébinthe. Même s'il est la terre rouge de
Seth, Desheret, l'antithèse de la paisible Kémi et que son appellation la plus com-
mune, Semt, signifie également « nécropole », le désert est un mal nécessaire. On
se réfère également à lui sous le nom de Khaset, c'est à dire « pays montagneux »
ou « pays des étrangers » et on retrouve ici la notion chère aux Égyptiens selon
laquelle ces étendues désolées sont un lieu hors du monde, en relation étroite avec
les ténèbres et la mort.

Les oasis
À l'ouest du Nil, au cœur du Désert Libyque se trouve la région des Sept Oasis,
nommées Ouhat par les Égyptiens. Ces vastes îlots de verdure sont depuis long-
temps habités par une population à la mentalité hybride, partagée entre le modèle
sédentaire pharaonique et le nomadisme auquel invite la proximité du désert.

L'alliance du Nil et du désert


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Les oasis sont des bases stratégiques de choix pour les caravanes et les détache-
ments militaires qui parcourent l'Égypte occidentale et auxquelles les « Oasiens »,
ou Ouhatyou, fournissent d'excellents guides.

Si les oasis de Dakhla et de Kharga (« L'Île des Bienheureux ») sont les plus vastes
avec plusieurs centaines de kilomètres carrés, l'une des plus célèbres est très cer-
tainement « l'oasis du Sel », Sekhet-hemat, dont les riches dépôts de natron (du
carbonate de sodium) entrent dans le processus de momification.

Une mer au milieu du désert : le Fayoum


La région du Fayoum, bien qu'elle soit alimentée par un bras du Nil, peut également
prétendre au statut d'oasis. Lovée dans une profonde dépression du désert occidental à
quelques dizaines de kilomètres du delta, cette enclave luxuriante est nommée Pa-Yom
(la région de la mer) ou To-She (le Pays du Lac), en référence au grand lac autour duquel
s'épanouit une faune et une flore particulièrement riches. Sa proximité avec le delta lui
permet d'entretenir une forte activité économique basée sur la pêche et le gibier d'eau au
point que le pharaon Amenemhat en fit le centre du royaume au Moyen Empire et y mit
en place un système d'irrigation perfectionné employant canaux et écluses. Le Fayoum
est aujourd'hui un véritable concentré de Nil et il fait aisément oublier qu'il est, lui aussi,
encerclé par le désert. Placé sous la protection du dieu-crocodile Sobek, il est connu pour
être un des terrains de chasse favoris de Pharaon.

Les mers
L'Égypte est en contact avec deux mers, la Mer Méditerranée et la Mer Rouge,
toutes deux utilisées comme routes commerciales. Pendant le Nouvel Empire, la
Mer Méditerranée permet à l'Égypte de rallier facilement la Palestine et surtout la
cité libanaise de Keben (Gr. Byblos) d'où sont importées d'importantes quantités de
bois de cèdre.

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La Mer Rouge est moins naviguée que la Mer Méditerranée. Son principal port est
Saou et l'on y accède depuis Gebtou, au nord de Ouaset, en empruntant la piste de
Rohanou à travers le Désert Arabique. C'est un important point de départ pour les
mines du Sinaï au nord et pour les côtes des mystérieuses contrées africaines au
sud, dont le fameux pays de Pount. En fait, malgré son exotisme et sa réputation,
Pount n'est qu'une destination parmi d'autres et les rivages de la Mer Rouge ont
donné naissance à de nombreuses légendes de pays merveilleux que les naviga-
teurs évoquent à mots couverts sous le nom énigmatique de Terres Divines ou de
Khétyou niou Antyou : les Échelles de l'Encens.

Notons enfin l'impressionnant canal qui relie le delta à la pointe nord de la Mer
Rouge. Il fut excavé sur ordre du dernier roi de l'Ancien Empire, Pépi II, puis son
état se dégrada pendant la première période intermédiaire au point de le rendre
inutilisable. Les pharaons de la 12e dynastie entamèrent sa restauration et les na-
vires du roi Touthmès l'utilisent aujourd'hui régulièrement pour rallier la Mer
Rouge et emprunter la route des Terres Divines.

Point Jeu • Les Échelles de l'Encens


Malgré la menace des pirates, les navigateurs égyptiens de la Mer Rouge poursuivent avec
constance l'exploration des côtes africaines et arabes. Ils y découvrent des peuples aux ap-
parences et aux coutumes surprenantes et parviennent à ramener au péril de leur vie des
trésors qui leur valent régulièrement les félicitations de Pharaon ou de son administra-
tion. Prendre le bateau et partir à l'aventure en quête de nouvelles cultures et de richesses
insoupçonnées est sans doute l'un des plus sûrs moyens de se couvrir de gloire... ou d'y
laisser la vie. Les personnages de Kémi doivent ressentir le puissant attrait qu'exerce sur
la population ces contrées exotiques dont on ne comprend pas la géographie. La simple
évocation des Échelles de l'Encens suscite un mélange de crainte et de fascination et
alimente d'innombrables conversations plus ou moins fantaisistes. Tout le monde connaît
un ami dont le cousin a parlé avec un membre d'équipage qui a vu ces terres lointaines et
les bavards sont nombreux à faire miroiter à leur auditoire des révélations exclusives sur
ce que l'on trouve là-bas en échange d'un pot de bière.
Il appartient aux personnages de découvrir la vérité : le port de Saou et ses vénéneuses
promesses attendent celui qui veut faire taire les affabulations et appartenir à l'histoire.

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Les richesses naturelles de l'empire égyptien
Pierres, métaux et autres minéraux

L'Égypte est une culture de la pierre, matériau qu'elle utilise abondamment et sous
des formes diverses pour bâtir les constructions et les statues qu'elle souhaite pré-
server des assauts du temps. L'une des roches les plus exploitées par les architectes
est le calcaire que l'on trouve près de Mennefer et dans les montagnes environnant
Ouaset, région également riche en grès. Les granites rose, rouge, gris et noir sont
trouvés à Abou et dans les îles du Nil, au niveau de la première cataracte. La région
de Hat-Noub (« le Château d'Or »), en Moyenne Égypte, est la principale source
d'albâtre et la Montagne Rouge de Iounou, non loin du delta, fournit le quartzite
rouge des statues. Des carrières de marbre sont situées à trois jours de marche de
Gebtou, dans la vallée de Rohanou, et c'est aussi dans cette zone que l'on extrait la
superbe pierre sombre de Bekhen.

Le cuivre, utilisé depuis des milliers d'années, provient aujourd'hui des mines du
Sinaï reconquises par les souverains du Nouvel Empire. Il entre dans la compo-
sition du bronze que les Égyptiens fabriquent en l'alliant à de l'étain importé de
Syrie.

L'or est une ressource emblématique du pays et constitue le fondement de sa puis-


sance économique extérieure. On le trouve dans le Désert Oriental, sur les rives de
la Mer Rouge et, surtout, en Nubie (« Nubie » vient du mot Noub, qui signifie « or »).
Les orfèvres égyptiens distinguent de nombreux types d'or en fonction de sa qua-
lité et de son origine géographique mais toutes ces formes conservent une dimen-
sion mystique : il est la chair des dieux qui brille comme le soleil et on l'utilise pour
sa valeur esthétique ou rituelle. Plus rare, l'argent est également plus précieux. Il
est considéré comme une variété d'or auquel et on le trouve parfois mélangé à ce
dernier sous forme d'électrum (djam).

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Le fer est une ressource peu exploitée que les Égyptiens trouvent sous sa forme mé-
téoritique. Utilisé à des fins religieuses, il est nommé biat et est associé au monde
céleste.

Les pierres précieuses les plus prisées sont la malachite (sehmet) et la turquoise (ma-
faket) des mines du Sinaï. Leur couleur, respectivement vert et bleu-vert, évoquent
la renaissance ainsi que le ciel et l'eau purifiés par le soleil. Ces symboles très posi-
tifs sont associés à la déesse de la joie et de l'amour Hathor et les Champs de Ma-
faket sont l'une des heureuses destinations qui attendent les défunts dans l'au-de-
là. Les autres pierres de valeur sont extraites des montagnes du Désert Occidental :
émeraude, calcédoine, améthyste, lapis-lazuli...

Le sel alimentaire provient de l'évaporation de l'eau de mer dans les zones peu
profondes du rivages méditerranéen et est également trouvé sous forme de dé-
pôts dans le désert. Enfin, nous avons déjà évoqué le natron que l'on trouve à vingt
mètres sous le niveau de la mer dans l'oasis de Sekhet-hemat.

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Le désert asiatique et ses nombreuses mines
Point Jeu • L'homme qui aimait les pierres
Setaou n'est pas un simple mineur. Il a un véritable don pour flairer les veines de belle
pierre et les filons de métal précieux. Son talent unique lui vaut le respect et l'amitié de ses
pairs qui sont régulièrement récompensés par le responsable des mines de la région de
Gebtou. Malheureusement, une maladie affecte sa vue depuis plusieurs mois et il dépérit
chez lui, démoralisé à l'idée de ne plus pouvoir travailler. Ses collègues et son chef de
chantier ont ainsi décidé qu'il fallait trouver un remède au mal qui le frappe. Qui aidera
Setaou à retrouver la vue ? Quel secret portant sur l'origine de son don confiera-t-il à ses
sauveurs afin de les remercier ?

Faune

L'Égypte bénéficie d'une faune abondante et variée, source de nourriture, d'énergie


mais également d'inspiration dans les domaines intellectuel et religieux.

Les marais de la vallée du Nil abritent de nombreux crocodiles, hippopotames,


chats sauvages, caméléons, loutres et mangoustes. Le cobra djet prospère dans cet
environnement et le danger mortel que représente sa morsure en a fait le symbole
des forces négatives domestiquées et dirigées contre l'adversité. Le cobra dressé
iaret (Gr. Uræus) est placé sur la couronne des pharaons pour qu'il foudroie de son
souffle brûlant les ennemis du pouvoir. Ce serpent est fréquemment repris dans
l'iconographie et l'écriture hiéroglyphique : il est, entre autres, la déesse Ouadjet de
Basse Égypte ainsi que l'œil perdu de Rê qui, une fois retrouvé, fut placé sur le front
du soleil pour le protéger.

Le désert est le domaine des hyènes, des chiens errants, des gazelles et des anti-
lopes. On y trouve de grands félins comme le lynx, le guépard ou le lion tandis que
lièvres, porcs-épics, sangliers et renards vivent aux abords des terres cultivées.
N'oublions pas les innombrables rongeurs, rats et souris, qui prolifèrent partout,
au grand dam des agriculteurs.

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L'Égypte compte plusieurs centaines d'espèces d'oiseaux dont la plus connue est
certainement le faucon harou dans lequel s'incarne le dieu Horus. Il partage le ciel
avec d'autres rapaces tels que les les vautours et les chouettes. La chasse aux oi-
seaux est très pratiquée dans les régions les plus humides où l'on trouve flamants
roses, hérons, grues, oies et canards. On y rencontre aussi l'ibis, oiseau au long bec
recourbé consacré à Thot, dieu de l'écriture et de la pensée. Dans le désert, c'est l'au-
truche niou que l'on chasse pour ses belles plumes. Aux abords du Nil, les hommes
partagent de mauvais gré leurs champs et leurs jardins avec les moineaux nedjes et
de nombreux autres passereaux affamés.

Les poissons, très abondants dans le Nil, les lacs et les marais, constituent une res-
source alimentaire primordiale dont le séchage est devenu une industrie nationale.
Malgré son abondance, le poisson tombe sous le coup de diverses restrictions ri-
tuelles qui en régulent voire interdisent la consommation à certaines dates et en
certains lieux. Les poissons occupent en effet une place ambiguë dans l'imaginaire
égyptien qui en fait tour à tour des créatures maléfiques au service de Seth, respon-
sables d'avoir avalé le sexe d'Osiris après sa mort, ou de précieux auxiliaires de Rê
dont ils conduisent la barque, le préservant des assauts du serpent Apophis (Voir
Mythes et légendes).

Plus discrètes mais non moins communes, les mouches afef harcèlent hommes et
animaux tandis que les sauterelles senhem et les fourmis menacent les récoltes,
s'ajoutant à la liste déjà longue des nuisibles. On retrouve jusque dans les habi-
tations des puces et des scorpions. Grâce au miel qu'elle produit, l'abeille bit s'est
attirée les faveurs du peuple égyptien : elle est le symbole de la Basse Égypte et c'est
une abeille d'or que les militaires méritants reçoivent en guise de distinction. Le
scarabée kheprer est l'une des images les plus familières du bestiaire sacré égyptien
et on retrouve partout des amulettes représentant ce bousier. Profondément inté-
gré à la religion par le clergé d'Iounou, il incarne le devenir de l'être et le lever du
soleil sous sa forme Khepri.

59
L'élevage offre une source de nourriture complémentaire à l'agriculture ainsi
qu'une inestimable force motrice : les bœufs et les ânes, fidèles compagnons de tra-
vail, côtoient moutons, chèvres, vaches et porcs dont on tire de la viande, du lait et
de nombreux produits destinés à la fabrication d'objet de la vie courante. Les basse-
cours égyptiennes comptent de nombreuses espèces de volatiles : canards, tourte-
relles, pigeons, grues, cygnes et surtout les célèbres oies du Nil, réputées pour leur
agressivité au point qu'elles sont également utilisées pour garder les propriétés.

Flore et végétation

Confirmant la dualité naturelle qui caractérise la terre égyptienne, la végétation


luxuriante de la vallée du Nil et du delta côtoie étroitement des étendues arides et
inhospitalières. Alors que les déserts ne voient pousser que quelques plantes épi-
neuses et de rares térébinthes dont on extrait la résine sonter, les papyrus, les lotus
et les joncs couvrent les berges du Nil

La terre fertile de la vallée accueille de nombreuses variétés d'arbres qui forment


un massif épais et ombragé. Les acacias et les palmiers-dattiers sont les plus abon-
dants : le médiocre bois des premiers est utilisé dans la construction de petites
embarcations tandis que les seconds sont très prisés pour leurs fruits. On trouve
également des tamarins, des nepeca et les fameux sycomores qu'affectionnent les
déesses Hathor et Isis. De nombreuses essences ont été importées et introduites
dans les cours des temples, dans des vergers ou de vastes jardins que les Égyptiens
les plus fortunés entretiennent à grand frais. C'est dans ces lieux calmes et repo-
sants, ornés de fleurs multicolores, que s'épanouissent figuiers, grenadiers, citron-
niers et oliviers.

Si le raffinement de ces cultures ornementales est indéniable, l'Égypte a d'autres


besoins et elle manque cruellement de bois de qualité. C'est essentiellement d'Asie
et notamment du Liban via le port de Keben que proviennent les essences destinées
aux grands navires, aux mâts, aux charpentes et aux portes des temples : conifères,
érables, ormes et frênes. Plus faibles, les importations de Nubie et du pays de Pount
fournissent l'ébène et les prestigieux arbres à encens nehat.

60
Le climat
Bien que le climat de l'Égypte fût sensiblement plus humide aux époques préhis-
toriques et que la Basse Égypte ait pu encore connaître des épisodes pluvieux au
cours de l'Ancien Empire, le ciel de la 18e dynastie ressemble fort à celui de notre
siècle. À Mennefer, dans le delta, la température oscille entre 15 et 25°C avec des
pointes à 35°C au début de la saison d'Akhet (mois de juillet). En Haute Égypte,
Ouaset connaît un climat beaucoup plus sec qui rend sa chaleur supportable mal-
gré des températures variant entre 15 et 35°C et des maximales à 45°C. Toujours
plus au sud, la Nubie peut se transformer en véritable fournaise et dépasser 50°C.
Ces quelques données nous permettent de comprendre aisément les choix vesti-
mentaires du peuple égyptien (Voir Vêtements et parures).

61
Le papyrus, plante emblématique du fleuve
La Nubie
La Nubie est un territoire situé au sud de la cité d'Abou et de la première cataracte
qui s'inscrit dans la continuité de la vallée du Nil et offre à l'Égypte un accès direct
aux richesses de l'Afrique. C'est pour cette raison que les souverains de Kémi y ont
multiplié les expéditions militaires afin d'alimenter leur économie en or, en ivoire,
en ébène, en peaux de bêtes et autres denrées précieuses.

L'aride pays de Ouaouat constitue la Basse Nubie, comprise entre la première et la


deuxième cataracte, tandis que le pays de Koush désigne la Haute Nubie dont la
frontière méridionale, aux terres riches et bien irriguées, correspond approxima-
tivement au point de confluence du Nil Blanc et du Nil Bleu. Ces territoires sont
solidement tenus par les rois du Nouvel Empire qui y ont renforcé leurs positions
et y ont construit une succession de forteresses capables de réprimer un éventuel
soulèvement. Les places fortes de Faras, de Miam et de Bouhen en Ouaouat, ainsi
que celles de Kerma et de Kawa au cœur du pays de Koush permettent au pouvoir
central et au Vice-Roi d'exploiter sans risque les mines d'or du désert nubien et
de profiter d'un immense réseau commercial entretenu depuis des siècles par la
population locale.

Point Jeu • Traîtrise en Nubie


La Nubie, terre exotique et incomprise, longtemps rebelle à la domination égyptienne
avant de baisser la tête devant la puissance des rois du Nouvel Empire ? C'est un constat
pour le moins rapide. Nombreux sont les chefs tribaux fidèles à leurs traditions qui
souhaitent voir les troupes égyptiennes hors de leurs terres mais cela est plus surprenant
de la part d'un natif du delta. Après avoir terminé ses études à Per Bastet, le jeune scribe
Menkhaou a été envoyé en Nubie et il y a découvert les méthodes de l'armée et de l'admi-
nistration de son propre pays. Profondément dégoûté par la politique menée par ceux
en qui il croyait, il a choisi de soutenir les rebelles dans leur lutte contre l'hégémonie de
Pharaon. Il projette aujourd'hui rien moins que l'assassinat de Néhy, le Vice Roi de Koush.
Après tout, qui soupçonnerait ce prêtre d'Amon, discret et poli ?

62
Quelques cités de l'Égypte de Touthmès III
Per Ouadjet (Gr. Bouto)
Capitale des provinces du Bouclier du Sud, du Bouclier du Nord et de la Montagne du
Taureau
Capitale de la Basse Égypte avant l'avènement des premiers pharaons, Per Ouad-
jet est une cité sainte baignée de mythes et de légendes. Elle est la demeure de la
déesse à tête de cobra Ouadjet, la traditionnelle maîtresse du delta, et fut opposée
à la cité du sud de Nekhen avant l'unification du pays. Cette ville très ancienne
occupe une place privilégiée dans le cœur des Égyptiens qui y voient l'origine de
la légende d'Horus, de Seth et d'Osiris. Sous le règne de Touthmès III, elle est un
important lieu de pèlerinage et son oracle est particulièrement réputé.

Djédou (Gr. Busiris)


Capitale de la province d'Andjiti
Djédou, ou Per Osir Neb Djed (« Demeure d'Osiris, le Seigneur du Pilier ») est la
cité du dieu Osiris et de sa femme Isis. Le dieu des morts y est révéré depuis la pré-
histoire et contribue grandement à la célébrité de cette ville sans réelle influence
politique.

Per Bastet (Gr. Bubastis)


Capitale de la province de l'Enfant Royal
Lieu de culte de la déesse chat Bastet, visage paisible de la lionne Sekhmet. Elle
accueille chaque année une grande fête dédiée à cette divinité et draine à cette oc-
casion des milliers de fidèles.

Iounou (Gr. Héliopolis)


Capitale de la province du Seigneur en Bonne Santé
Sise sur un bras du Nil, au bord du delta, la ville sacrée d'Iounou se consacre depuis
près de 2 000 ans au culte du dieu solaire Rê, divinité fondatrice de la mythologie
égyptienne dont elle a fait le créateur du monde (Voir La création du monde). Pen-
dant l'Ancien Empire, les prêtres de Rê étaient les gardiens de la religion royale

63
officielle et c'est à eux que Pharaon devait la justification de sa nature divine. Au-
jourd'hui, le clergé d'Iounou n'a rien perdu de son prestige et ses superbes temples
redoublent d'activité depuis que le dieu Amon, géniteur des rois, a été assimilé au
soleil sous la forme d'Amon-Rê.

Mennefer (Gr. Memphis)


Capitale de Basse Égypte et de la province du Mur Blanc
À la charnière de la Haute et de la Basse Égypte, l'immense Mennefer (« Stable et
belle ») est la ville la plus peuplée de Kémi (près de 100 000 habitants). Elle fut fon-
dée à la lisière du delta du Nil par le mythique pharaon Méni et fut longtemps la
capitale du Double Pays sous le nom d'Ineb-Hedj, le Mur Blanc, en référence aux
épais remparts de la forteresse qui la couronne. Bien qu'elle ne soit plus aujourd'hui
la première résidence des rois, Mennefer reste le centre administratif de la Basse
Égypte et le cœur économique du pays. C'est une ville commerciale riche et active
qui profite de la proximité de l'Asie et joue un rôle stratégique de défense contre le
Réténou et le Mitanni.

Le dieu tutélaire de Mennefer est Ptah et le grand complexe qui lui est consacré
est l'un des centres intellectuels et religieux les plus renommés d'Égypte. Le très
respecté clergé de Ptah se distingue par la profondeur et la complexité de ses in-
vestigations théologiques et son influence récente sur la pensée pharaonique est
fondamentale (Voir La création du monde).

Les énormes nécropoles royales établies en périphérie de Mennefer abritent les


corps des souverains de l'Ancien Empire et sont placées sous la protection du dieu
Sokaris. Elles sont réputées dans tout le pays pour leurs pyramides et notamment
les tombeaux colossaux et mystérieux de Khoufou, Khafrê et Menkaourê (Khéops,
Khéphren et Mykérinos).

Khmounou (Gr. Hermopolis Magna)


Capitale de la province du Lièvre
Khmounou est avec Iounou et Mennefer l'un des trois grands centres de religieux
de Kémi. Cette ville baignée de sagesse est la patrie de Thot, dieu de la connaissance

64
65
et des écrits sacrés. Son clergé est connu pour l'étendue de son savoir et développe
depuis des siècles une théologie rivale de la cosmogonie héliopolitaine. On vient de
loin pour consulter les vastes collections de papyrus conservés dans les temples de
Khmounou et espérer être initiés aux secrets du dieu à tête d'ibis.

Ipou (Gr. Khemmis Panopolis)


Capitale de la province de Min
Ipou est le principal lieu de culte de Min, dieu de la fécondité et protecteur des
pistes du Désert Oriental. Cette ville verra naître des personnages célèbres, tels que
Néfertiti et Toutankhamon.

Téni (Gr. Thinis)


Capitale de la province de la Grande Terre
Cette cité fut choisie par le légendaire roi Méni pour devenir la première capitale
de l'Égypte dynastique avant de céder sa place à Ineb-Hedj (Mennefer). Elle est fa-
meuse pour sa nécropole d'Abdou qui abrite les corps de nombreuses personnalités
de Kémi.

Abdou (Gr. Abydos)


Cité de la province de la Grande Terre
Abdou, aussi nommée « l'Île des Justes », est depuis l'époque thinite la cité des
morts par excellence. Cette accumulation de temples funéraires et de tombes où
sont ensevelis rois, reines et courtisans est la terre du dieu de l'au-delà Osiris dont
la tête momifiée reposerait quelque part sous les innombrables sépultures. C'est
pour cette raison que la cité est censée améliorer les chances d'accéder à l'immorta-
lité pour les défunts qui y sont inhumés.

Abdou est activement soutenue et honorée par les pharaons de Ouaset qui assure-
ront sa prospérité pendant tout le Nouvel Empire.

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Gebtou (Gr. Coptos)
Capitale de la province des Deux Faucons
Cette cité riche et prospère est un carrefour commercial qui contrôle le trafic ca-
ravanier de la vallée de Rohanou jusqu'à la Mer Rouge et le port de Saou. Elle est le
point de départ des expéditions à destination des mines et des carrières du Désert
Oriental. On y trouve des temples dédiés à Min, Isis et Horus ainsi qu'à Geb, grand
dieu de la terre et des roches.

Noubet (Gr. Ombos ; Nagada)


Cité de la province des Deux Faucons
Encore plus ancienne que Nekhen et Abdou, la ville de Noubet accueillit les pre-
miers rois de Haute Égypte, les fameux Horus de la Dynastie 0. La proximité de
la vallée de Rohanou qui menait aux mines d'or lui valut son nom signifiant« la
Dorée ». La ville est depuis ses origines dédiée à Seth et la guerre mythique qui op-
posa le dieu des tempêtes à Horus trouve son origine dans l'antique conflit entre
Noubet et le delta, opposition entretenue plus tard par Nekhen et Per Ouadjet. Sous
le règne de Touthmès, le sulfureux clergé de Seth y honore toujours son dieu.

Ouaset (Gr. Thèbes ; Louxor)


Capitale du Double Pays, de Haute Égypte et de la province du Sceptre Ouas
Ouaset, la cité d'Amon-Rê est présentée dans le scénario qui figure dans la partie
consacrée au jeu de rôle.

Iouni (Gr. Hermontis),


Province du Sceptre Ouas
C'est de cette cité dédiée au dieu guerrier Montou que sont originaires les premiers
rois du Moyen Empire. Elle était la capitale de la province du Sceptre jusqu'à ce que
les pharaons thébains prennent le pouvoir et fassent de Ouaset la première ville de
Haute Égypte.

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Nekhen (Gr. Hierakonpolis)
Cité de la Région Sauvage
Première grande ville de Haute Égypte dont elle fut la capitale avant la réunifi-
cation du pays, Nekhen est aussi vieille que son ancienne adversaire du delta Per
Ouadjet. Malgré son passé prestigieux et le rôle que joua la ville de l'Horus Scorpion
et de Narmer dans la constitution d'une Égypte fédérée, Nekhen n'est plus qu'une
cité d'importance mineure qui a du s'incliner devant la concurrence de sa voisine
Nekheb. Elle reste néanmoins un centre emblématique de l'histoire de la Haute
Égypte et abrite un temple dédié à la déesse-vautour Nekhbet, symbole du sud tou-
jours associé (ou opposé) à Ouadjet, la déesse-cobra du nord.

Nekheb (Gr. Eileithyiaspolis ; El Kab)


Capitale de la Région Sauvage
Située sur la rive orientale du Nil, Nekheb a pris le pas sur sa sœur Nekhen en de-
venant la capitale de la province dès l'Ancien Empire. Elle est la ville d'origine de la
déesse Nekhbet et de nombreux dignitaires de l'administration égyptienne choi-
sissent encore d'y faire construire leurs hypogées.

Djeb (Gr. Apollinopolis ; Edfou)


Capitale de la province du Trône d'Horus
Comme Per Ouadjet et Nekhen, Djeb fut le théâtre des péripéties divines d'Horus,
Seth et Osiris. C'est une ville-étape en perpétuel mouvement d'où partent plusieurs
pistes à destination des mines du Désert Oriental et de la Mer Rouge. Elle est placée
sous la protection d'une version locale d'Horus : le dieu-faucon de Behedet.

Abou (Gr. Elpéhantine ; Assouan)


Frontière de l'Égypte, capitale de la province de l'Arc
Fondée à l'extrême sud du territoire égyptien sur une île du Nil, la forteresse d'Abou
est la porte de l'Afrique. Cette cité fortifiée est le point de départ des expéditions
militaires à destination de la Nubie et connaît une intense activité commerciale,
notamment sur la rive droite du fleuve où le quartier de Souénou (Gr. Syène ; As-
souan) accueille les caravanes chargées des précieux produits de Ouaouat et de
Koush. Abou est consacrée à Khnoum, dieu-bélier des cataractes considéré comme
le créateur du monde par le clergé local.

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69
Les visages
du pouvoir
70
P
haraon, incarnation vivante d'Horus, a reçu des dieux la terre d'Égypte. Il
la possède littéralement, ainsi que tout ce qui s'y trouve, mais il est égale-
ment responsable de sa prospérité et de sa sécurité. Source de toute au-
torité, il est le maître incontesté d'une administration pyramidale et hautement
hiérarchisée qui assure la cohésion politique et économique du pays en faisant de
chaque citoyen un fonctionnaire au service de la communauté.

Le pouvoir s'exprime au travers d'une bureaucratie omniprésente chargée de veil-


ler à ce que les ressources nationales soient efficacement exploitées. Sans cette ar-
mée de scribes, du simple agent administratif chargé de la comptabilité au haut
fonctionnaire à la tête d'un « ministère », l'Égypte ne serait pas parvenue à coor-
donner l'immense effort que requiert l'irrigation des terres, la rationalisation de
l'agriculture et l'approvisionnement équitable de toutes les régions du pays. C'est
cette organisation rigoureuse, parfois lourde et formaliste, qui a permis à l'Égypte
d'accomplir le destin que nous lui connaissons. Loin d'être considérée comme in-
humaine et arbitraire, cette société centrée sur la notion d'état est simplement l'in-
carnation politique d'une certaine idée de l'harmonie : Maât.

En quête d'harmonie et de justice : Maât


Maât est l'un des plus profonds fondements de la pensée égyptienne qui ne conçoit
pas la nécessité d'en distinguer les facettes religieuse, politique et sociale. Il s'agit
d'un idéal de justice et de stabilité cosmique, une règle supérieure et universelle
mêlant les notions de vérité, de morale, de rectitude et d'honnêteté. La bureaucra-
tie est investie par Pharaon de la mission divine de promouvoir Maât et ses repré-
sentants sont conscients de leurs responsabilités vis à vis de la création. Quelle que
soit leur tâche, ils s'emploient à fournir aux hommes un monde sûr et pacifié où
règne l'ordre naturel voulu par les dieux. Les éventuels manquements à ces devoirs,
qui dépassent de simples obligations professionnelles, sont perçus par la popula-
tion comme une dangereuse injure faite aux divinités. Il suffit pour s'en convaincre
de se rappeler les traumatismes suscités par l'effondrement du pouvoir central

71
pendant les périodes intermédiaires : autant que la famine et les souffrances du
corps, c'est l'angoisse métaphysique de voir l'ordre des choses bafoué qui meurtrit
le peuple et le convainc que les dieux l'ont abandonné.

Le roi-dieu Pharaon
Aussi vital que le Nil ou le soleil, le roi d'Égypte est une figure complexe qui cu-
mule les fonctions temporelles de chef d'état et les attributions sacrées d'un dieu
sur terre.

Dieu incarné, gardien de Maât, clé de l'unification

La théocratie égyptienne est fondée sur l'affirmation que le roi ne jouit pas sim-
plement des faveurs des dieux : il est l'un d'entre eux, produit de l'union charnelle
entre l'épouse royale et Amon-Rê, le dieu caché de Ouaset. C'est au cours de la cé-
rémonie d'intronisation que le prince exprime pleinement les potentialités divines
héritées de son géniteur : devenu Pharaon, il est investi par l'esprit d'Horus dont
il devient une manifestation vivante et incarne le lien existant entre les hommes
et les dieux. Cette métamorphose a d'importantes conséquences politiques car le
roi a désormais le pouvoir de réconcilier symboliquement les royaumes rivaux de
Haute et de Basse Égypte et de les réunifier sous son autorité : il est le maître des
Deux Terres.

Pharaon doit à son ascendance divine le privilège et la responsabilité suprêmes de


servir et de faire régner Maât, le principe d'ordre et d'équilibre qui fait de l'Égypte
un lieu où la vie est possible. En respectant Maât, le roi devient le vecteur d'une
force vitale et constructrice, une passerelle vers la sphère céleste dont il canalise
la puissance afin de préserver une oasis organisée au cœur des forces hostiles. Il
est celui qui réunit ce qui était scindé et qui restaure l'intégrité là où régnait la
dissension.

72
Si Pharaon devait s'éloigner des préceptes de Maât, le chaos qui rugit aux frontières
de l'Égypte submergerait le pays. Le soleil ne se lèverait plus, les crues du Nil ne
fertiliseraient plus les terres, les étoiles s'immobiliseraient, le nord et le sud s'af-
fronteraient et les institutions s'effondreraient.

Afin de prévenir ces catastrophes, le roi doit rester fort et vigilant mais les années
érodent inévitablement la puissance magique que la cérémonie du couronnement
lui a conférée et il est alors nécessaire de renouveler le pouvoir qui lui fait défaut.
C'est le but de la fête jubilaire heb sed qui intervient trente ans après le couronne-
ment de Pharaon et lui permet de renaître symboliquement afin de confirmer son
autorité à la fois spirituelle et politique. Héritage du temps où le souverain trop âgé
pour régner était mis à mort, la fête heb sed est l'une des plus importantes cérémo-
nies de la vie politique égyptienne.

Pharaon, roi et dieu sur Terre


73
Après avoir officié sur terre, le roi n'est pas destiné à une mort commune. Elle est
pour lui un accomplissement, une transformation au terme de laquelle, devenu
Osiris, il s'envole dans le ciel pour rejoindre son père Rê et l'accompagner pour
l'éternité dans ses pérégrinations. Futur dieu du monde céleste, Pharaon prépare
de son vivant le culte qui lui sera dédié en se faisant construire dès son couron-
nement une tombe et des « temples de millions d'années », à la fois chapelle d'of-
frandes et sanctuaire divin. Se sachant promis à l'immortalité, les rois du Nouvel
Empire n'attendent pas la fatidique échéance de leur trépas pour honorer leurs
propres statues et rendre un culte au dieu qu'ils s'apprêtent à devenir. (Voir La mort
et la promesse de l'au-delà).

Les fonctions de Pharaon : prêtre, cœur du pouvoir


central et combattant

La relation privilégiée que Pharaon entretient avec les dieux fait de lui leur unique
interlocuteur qualifié, le seul véritable intermédiaire entre les mondes terrestre
et céleste. Théoriquement, personne d'autre que lui n'est habilité à effectuer les
offrandes quotidiennes nécessaires au maintien de l'harmonie. Dans les faits, les
nombreuses affaires qui retiennent son attention ne lui permettent pas de réali-
ser en personne tous les rituels qu'implique son statut, aussi doit-il déléguer cette
tâche à un clergé abondant et influent. C'est au nom du roi que les prêtres rendent
un culte aux divinités qui vivent dans le secret des temples. (Voir Les serviteurs du
dieu et Le culte divin).

Au delà de sa fonction cosmique et religieuse, Pharaon est un monarque en charge


de l'administration concrète de son empire, c'est à dire le monde entier. Il est le
chef suprême de toutes les institutions égyptiennes et les mots qu'il prononce sont
autant d'oudjnesou, des décrets divins parfaitement indiscutables. L'idéal d'infail-
libilité et d'omnipotence que la culture égyptienne prête à son roi s'accommode
mal, là encore, des limitations imposés par sa condition humaine. Loin d'être un
souverain solitaire, Pharaon est épaulé par une élite de fonctionnaires loyaux et
compétents : le Palais, qui représente le cœur de l'autorité centrale, est ainsi placé
au centre d'un réseau complexe de structures administratives sans lequel le pou-
voir royal ne pourrait se manifester.

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S'il subsiste une fonction que le roi répugne à déléguer, c'est bien celle de chef des
armées. Pharaon aime marcher en personne à la tête de ses troupes et il participe
au combat sur son char de guerre afin de prouver sa vaillance. Les représentations
de Pharaon et les textes qui lui rendent gloire ne manquent pas d'insister sur la
force et l'adresse surhumaines grâce auxquelles il foule au pied les ennemis de
l'Égypte. Cet aspect de la figure royale est particulièrement mis en valeur au Nouvel
Empire et Touthmès III constitue très certainement le plus fameux exemple de roi
combattant qu'ait connu le Double Pays.

Les attributs du roi

Lors de son intronisation, Pharaon reçoit cinq noms qui officialisent sa prise de
fonction et lui confèrent sa puissance magico-religieuse : la titulature royale. Le
« nom d'Horus » est le premier et le plus ancien, il évoque explicitement le fait que
Pharaon est l'incarnation terrestre du dieu-faucon, fils d'Osiris. Le second est le
nom « des Deux Déesses » (Nebty en égyptien). Il précise la vertu unificatrice du
roi en invoquant les déesses de Haute et de Basse Égypte, Nekhbet et Ouadjet. Le
troisième terme de la titulature est « Horus d'Or » (ou Noubti) qui commémore
la victoire d'Horus sur Seth. Le quatrième est le prénom ou nom Nesout-biti qui
signifie « Roi de Haute et de Basse Égypte » et le cinquième est le nom de « Fils
d'Horus », que nous utilisons le plus couramment. Les deux derniers noms de la
titulature sont représentés dans des cartouches (shenou, du verbe sheni, entourer),
des formes ovales allongées figurant une corde nouée, symbole de « tout ce que le
soleil entoure » c'est à dire du monde que possède Pharaon.

Le roi arbore également des sceptres qui attestent son pouvoir, tels que ceux qu'il
emprunte au dieu Osiris : la crosse héqa et le fouet nekhekh, symboles de protection
du peuple dont il est le bon pasteur. Notons également le sceptre de puissance ouas,
symbole de la ville de Ouaset.

Les coiffes diverses que porte Pharaon, invariablement ornées du cobra iaret en
guise de protection, sont d'importants insignes de son statut. Les plus connues
sont les couronnes, considérées comme des entités douées de conscience et

75
Premier prêtre du pays, interlocuteur des dieux

imprégnées de pouvoir divin : la mitre blanche de Haute Égypte hedjet et le casque


rouge de Basse Égypte deshret, une fois unies, forment la double couronne sekhemty
(ou pschent), symbole de l'union des deux terres. Parmi ses autres parures, l'une
des plus courantes est le némes, cette célèbre pièce de tissu rayé qui retombe sur les
épaules. Porté seul ou sous les couronnes, son usage est strictement réservé au roi.

Pharaon est enfin le seul à pouvoir porter une queue de taureau à la ceinture de son
pagne et ne partage qu'avec quelques rares dignitaires l'honneur de pouvoir arbo-
rer la barbe postiche, symbole divin par excellence et attribut viril.

76
Le Palais Royal Per-aâ
L'institution la plus étroitement liée au souverain est le Palais Per-aâ, appellation
générique qui désigne à la fois la résidence du roi, son administration rapprochée,
le harem et la foule de serviteurs et de notables aux titres variés qui composent sa
cour. Sous le règne de Touthmès III, le terme de « Palais »vient à englober la per-
sonne royale elle-même et sert à qualifier l'autorité centrale dans son acception la
plus large.

La cour est une instance politique, protocolaire et administrative en contact direct


avec le roi. Son personnel est chargé de satisfaire les exigences quotidiennes du
souverain et de son entourage. C'est à la cour qu'évoluent les plus proches colla-
borateurs de Pharaon, partagés entre les titulaires de charges purement honori-
fiques et des fonctionnaires hautement qualifiés auxquels le roi accorde toute sa
confiance. En dehors du souverain et des chefs de départements amenés à la fré-
quenter, le plus haut responsable de la cour est le Grand Intendant de la Maison du
Roi qui supervise l'ensemble de l'activité du Palais et gère ses finances.

Le harem (opet en égyptien) est un quartier de la résidence royale réservé aux


femmes. C'est un lieu de vie où elles peuvent se livrer à leurs activités tout en se
préservant du tumulte de l'existence commune. Loin d'être recluses, les femmes
du harem composent une alternative féminine à la cour officielle avec laquelle elles
ont toute la liberté d'interagir. Elles peuvent convier sans restriction les nobles de
leur choix à les rejoindre dans l'Opet pour s'y entretenir. Dominé par la grande
épouse royale et la mère de Pharaon, l'Opet est également un organe du pouvoir
qui, sous une apparence paisible, joue un rôle non négligeable dans les affaires du
Palais. C'est au sein du harem que les enfants du roi et des monarques étrangers
soumis à l'Égypte reçoivent leur éducation et c'est à lui qu'incombe la responsabili-
té de diriger le pays lorsque Pharaon est trop jeune pour régner.

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Point Jeu • Le scribe sans nom
Un messager Oupout envoyé par le Tjaty Ouseramon a disparu alors qu'il était en mission
dans une petite ville de Haute Égypte située à quelques kilomètres d'Abdou. Chargé d'en-
quêter sur le maire et son entourage, soupçonnés de corruption, le messager a surpris par
hasard une bande de pilleurs de tombes en pleine action aux portes de la cité. Après l'avoir
roué de coups, les malfrats ont obtenu l'identité du messager et l'on laissé pour mort. Le
pauvre homme fut recueilli et soigné par une famille de paysans puis s'éveilla au bout de
dix jours, totalement amnésique.
Aux yeux de l'administration, l'affaire est claire: le maire a fait disparaître le messager
qui allait révéler quelque scandale. Plausible mais faux... L'enquêteur sans passé vit
désormais dans un minuscule village où il compte exercer les talents de scribe qu'il vient
de se découvrir. Le maire ne comprend rien à cette affaire et se montre particulièrement
irrité par d'éventuelles accusations. Les pilleurs de tombeaux comptent bien passer du
bon temps dans la cité en profitant de leur butin... Bien malin qui pourra rassembler les
différentes pièces du puzzle.

Le Tjaty, bras droit de Pharaon


Tous les départements de l'administration civile sont placés sous l'autorité du Tjaty
ou vizir, le plus haut dignitaire de la bureaucratie égyptienne. Soigneusement choi-
si par Pharaon pour ses grandes compétences, sa fidélité et sa probité, le vizir est
un « savant entre les savants », un ministre à tout faire aux attributions si impor-
tantes qu'elles font de lui le véritable gestionnaire du pays : il est le Second du Roi, le
Cœur du Seigneur, les Yeux et les Oreilles du Souverain, celui qui réalise la volonté
de Pharaon.

L'accession au poste de Tjaty est une distinction suprême qui demande une énergie
exceptionnelle car la liste des responsabilités est longue. C'est lui qui supervise le
recensement des ressources du pays, la comptabilité des récoltes et la collecte des
taxes ; il veille à la bonne gestion des archives colossales produites par le fonction-
nement de l'administration ; il gère l'attribution des terres et règle les litiges asso-
ciés à leur usage, il dirige la police, recrute l'armée, prend en charge la sécurité de

78
Pharaon, reçoit les rapports des autorités provinciales dont il contrôle le gouverne-
ment ; second juge du pays après le roi, il examine les plaintes qui lui sont adressées
et ordonne des enquêtes ; c'est lui qui choisit les fonctionnaires destinés à occuper
des postes d'importance, prépare les cérémonies dédiées aux dieux, coordonne les
grands chantiers publics tels que la construction de temples ou le percement de
canaux... Il serait possible de continuer ainsi longtemps.

De toute évidence, la vie du Tjaty se rapproche d'un sacerdoce administratif au


service de l'état mais il peut fort heureusement compter sur une équipe de fonc-
tionnaires qui assument avec lui ce fardeau, sans oublier les milliers de scribes et
de messagers Oupout qui contribuent partout dans le pays à faire entendre et ap-
pliquer ses décisions.

Sous le règne de Touthmès III, un second Tjaty, moins influent, administre la


Basse Égypte.

Les grands départements de


l'administration centrale
La gestion des finances du pays est supervisée par le Porteur du Sceau, chargé de
contrôler la collecte des tributs et la perception de l'impôt prélevé dans les pro-
vinces. Le Superviseur des Greniers coordonne quant à lui la production agricole
et a pour rôle d'assurer à la population un approvisionnement constant en céréales,
principale ressource alimentaire de Kémi. Ces deux personnages occupent des
postes vitaux et le Tjaty, conscient de leur valeur, voit en eux des collaborateurs
plutôt que des subordonnés.

La gestion des produits de l'élevage est confiée au Superviseur du Bétail tandis que
les grands travaux sont du ressort du Superviseur des Travaux Publics. Notons
que les ateliers des orfèvres royaux, la Maison de l'Or, sont directement sous la res-
ponsabilité du Tjaty.

79
Étant l'une des plus parfaites manifestations de Maât, la justice, qui découle natu-
rellement de Pharaon, occupe une place particulière dans l'administration égyp-
tienne. Le traitement courant des affaires judiciaires est confié aux qenbet, des as-
semblées temporaires de fonctionnaires, qui instruisent et organisent les procès
civils et criminels en s'efforçant de respecter les principes fondamentaux d'impar-
tialité, d'écoute et d'équité de Maât. Lorsque l'affaire le requiert, le Tjaty intègre la
qenbet et il peut également être sollicité en personne par n'importe quel citoyen qui
estime être la victime d'un crime ou d'une injustice. Il est important de souligner
que la qenbet, avant d'être un tribunal, désigne un conseil corporatif de fonction-
naires et les litiges sont bien souvent réglés à ce niveau local (le temple, le village)
avant d'être portés devant de plus hautes instances. (Voir Le maintien de l'ordre).

Le temple, centre de vie


Depuis le début du Nouvel Empire, les temples consacrés aux dieux et à Pharaon
sont devenus bien plus que des lieux de culte : ils sont au cœur de la vie écono-
mique, sociale et politique de la cité. Les clergés bénéficient des largesses du pou-
voir central qui leur accorde de nombreuses terres et les exempte d'impôts, aussi
les prêtres se retrouvent-ils à la tête de puissantes institutions dont ils gèrent libre-
ment les immenses ressources. Loin de s'opposer à la volonté du souverain (pas en-
core en tout cas...), le temple est au contraire un prolongement de l'autorité royale,
un relais local du gouvernement qui contribue à structurer la vie de la population.

Le fonctionnement des domaines divins est très similaire à celui des terres qui
dépendent de la bureaucratie civile. Les clergés organisent la production agricole,
gèrent de vastes cheptels de bétail, procèdent à la collecte de l'impôt sur leur terri-
toire, stockent des provisions et des produits manufacturés, rendent la justice, su-
pervisent les constructions religieuses et funéraires... Outre le personnel religieux,
les temples mobilisent des dizaines de milliers de scribes, d'ouvriers, de paysans
et d'artisans et possèdent rien moins que le tiers de la surface de terre cultivable
de tout le pays. En somme, les prêtres assument de nombreuses responsabilités
du ressort de l'état et il est de plus en plus fréquent que les temples, du fait de leur

80
Temple d'Horus à Djeb

richesse et de leur autonomie, soit amenés à se substituer complètement à l'admi-


nistration de Pharaon.

Vu qu'il n'existe pas « d'église » centralisant l'activité religieuse de Kémi, le pouvoir


des temples est éclaté entre les nombreuses cités abritant un clergé organisé. Le
plus puissant d'entre eux est le clergé d'Amon-Rê, à Ouaset, et son Premier Pro-
phète, Hapouséneb, est un personnage de tout premier plan qui parle d'égal à égal
avec le Tjaty Ouseramon. Quatre siècles après le règne de Touthmès III, le clergé
d'Amon aura acquis suffisamment de pouvoir pour supplanter les gouverneurs de
province et constituer une dynastie de rois-prêtres qui régnera sur l'Égypte pen-
dant plus de cent ans.

La vocation religieuse du temple et l'organisation de son clergé sont développées


dans la section consacrée à la religion.

81
L'armée
Avant l'invasion des Hyksôs, l'Égypte ne concevait pas la nécessité de former des
combattants professionnels et se contentait des milices provinciales ou procédait
à des levées de troupes lorsque le besoin s'en faisait sentir. Forts de la douloureuse
expérience d'une occupation étrangère, les pharaons du Nouvel Empire ont esti-
mé que la sécurité et l'expansion du pays ne pouvaient pas se passer d'une armée
forte et structurée. Le pouvoir central est arrivé à ses fins en mobilisant d'énormes
ressources financières et logistiques : l'armée égyptienne est aujourd'hui la plus
puissante que l'orient ait connu.

Pharaon est le commandant suprême des armées mais il confie parfois cette res-
ponsabilité à l'un des membres de sa famille (ce fut le cas de Touthmès III qui mena
les troupes d'Hatshepsout et devint un général émérite). Le Tjaty est censé assurer
la gestion logistique, l'entretien et le recrutement des troupes, tâche volontiers dé-
léguée au Général en Chef des armées de Pharaon qui coordonne également l'acti-
vité des garnisons régionales et des forces postées dans les énormes forteresses de
Nubie et du Sinaï. À l'image de l'administration civile, l'armée stationnée en Égypte
est divisée en deux contingents (nord et sud) dirigés par deux Lieutenants. Les
troupes sont encadrées par une hiérarchie d'officiers et de scribes civils et sont or-
ganisées en divisions, compagnies et pelotons, mêlant fantassins, archers et chars
de guerre (Voir Le maintien de l'ordre).

En temps de paix, l'armée peut être réquisitionnée pour assurer la sécurité des ex-
péditions commerciales ou minières. Les troupes sont alors placées sous l'autorité
du fonctionnaire chargé de la mission.

82
L'administration provinciale
Avant son unification, l'Égypte était divisée en territoires tribaux identifiés par des
étendards où figuraient les symboles totémiques du clan dominant. Une fois inté-
grés à l'Égypte pharaonique, ces domaines sont devenus des provinces (sepat, Gr.
Nome), des circonscriptions politiques et économiques soumises à l'autorité cen-
trale tout en conservant un fort attachement à leur héritage primitif. Le découpage
du Double Pays en provinces respecte la distinction traditionnelle établie entre le
nord et le sud : on compte 22 nomes en Haute Égypte et 20 dans le Delta. Chaque
nome possède une capitale (nyout) un temple qui héberge le dieu tutélaire du nome,
résurgence de la divinité tribale des origines (le het netjer, ou Château du Dieu) et un
palais réservé au gouverneur, le héka het, ou Château du Seigneur.

Les provinces sont dirigées par les nomarques (ou gouverneurs), de hauts fonc-
tionnaires appointés par le pouvoir central. Aux origines de l'Égypte, leur fonction
consistait à veiller au bon entretien des digues et des canaux, condition indispen-
sable à la réussite des récoltes. Ils jouissaient d'un pouvoir et d'une indépendance
tels qu'ils devinrent de véritables princes provinciaux, suffisamment puissants
pour défier le Palais et finalement faire chuter les institutions royales.

Les privilèges des nomarques ont été revus à la baisse par les rois du Nouvel Empire.
Les gouverneurs sont désormais strictement intégrés à l'administration et sont
soumis à l'autorité directe du Tjaty auprès duquel ils doivent régulièrement jus-
tifier la bonne marche économique, administrative et religieuse de leur domaine.

83
Point Jeu • Pour ses beaux yeux...
Le gouverneur de la province du Sceptre, Ipoui, est dans l'embarras. Son plus jeune fils
Nebséni est régulièrement châtié par ses professeurs du Palais Royal pour son manque
d'assiduité et son insolence. En plus d'être fort peu doué pour les études, il s'endort
pendant les leçons d'écriture, contredit ses professeurs ou disparaît pendant des jour-
nées entières. Cela ne présage rien de bon pour l'avenir de Nebséni et toute la famille du
vénérable Ipoui craint que les frasques du cadet ne dégénère en scandale et porte atteinte
à sa réputation. En vérité, Nebséni n'est pas le cancre que l'on croit mais il est tombé sous
le charme vénéneux d'une femme superbe qui prétend l'aimer. C'est elle qu'il retrouve
chaque soir, c'est pour elle qu'il se rebelle contre ses maîtres et qu'il s'encanaille dans les
tavernes en dissimulant son identité. Il ne sait pas que sa dulcinée est une ancienne pros-
tituée de Gebtou employée par un rival d'Ipoui pour déstabiliser sa famille et fragiliser sa
position.

La Vice-Royauté de Koush
Le Vice-Roi de Koush, ou Fils Royal de Koush, est le plus important représentant de
l'administration civile après le Tjaty. Comme son titre l'indique, ce haut fonction-
naire choisi personnellement par Pharaon dirige l'ensemble des territoires nubiens
intégrés à l'Égypte, c'est à dire les pays de Ouaouat et de Koush. Il supervise le com-
merce avec l'Afrique (ébène, ivoire, encens, bétail...) et surtout la production des
mines d'or dont dépend la puissance économique égyptienne.

Grâce à la présence de massives forteresses établies le long du Nil entre Abou et le


lointaine cité de Karou, le temps des guerres incessantes avec les princes locaux est
achevé et la Nubie est devenue une véritable province de l'empire en cours « d'égyp-
tianisation ». Sous le règne de Touthmès III, les usages anciens disparaissent, les
enfants de la noblesse locale sont éduqués au palais de Miam, demeure du Vice-Roi,
tandis que les soldats nubiens forment sont régulièrement employés par la police
et l'armée égyptiennes. Le Vice-Roi Néhy peut ainsi exercer ses fonctions avec plus
de sérénité que ses prédécesseurs et se pose en administrateur d'une colonie paci-
fiée (ou du moins censée l'être).

84
85
Sous le regard
des dieux
86
L
es hommes et les femmes de Kémi évoluent dans un monde profondément
symbolique et perméable aux influences divines qui lui ont donné nais-
sance. Le sacré est partout : il imprègne l'ordre naturel, transparaît dans
l'agencement de la société, prend corps dans les temples et les tombes. Aux yeux
des Égyptiens, l'univers matériel et temporel n'est qu'un aspect de la réalité : toute
la création exprime le dessein des dieux et c'est à travers elle qu'ils se manifestent.
Consciente de la dualité intrinsèque de l'existence, la culture égyptienne cherche
à en réconcilier les dimensions profane et sacrée grâce à une tradition religieuse
ancienne et complexe.

À vrai dire, le terme de religion traduit mal la pensée pharaonique : il ne s'agit pas
pas d'une simple croyance accompagnée de rites formels mais d'un acte collectif
et magique orienté vers les dieux qui permet de maintenir l'ordre et la stabilité du
monde. En cela, les innombrables visages de la religion égyptienne partagent un
socle commun et inébranlable : Maât, concept fondamental dans lequel fusionnent
vérité, équilibre et justice. Elle est la règle primordiale qui structure l'univers et
incarne la volonté du dieu créateur lorsqu'il repoussa le chaos pour donner nais-
sance au monde. Servir Maât, c'est répéter inlassablement cette « première fois »,
cet instant qui permit de passer du néant à l'être.

En reconnaissant les désirs et le pouvoir des dieux, en leur faisant de constantes


offrandes et en respectant les préceptes éthiques induits par Maât, Pharaon et son
peuple érigent un rempart contre les forces destructrices et permettent à l'uni-
vers de perdurer (Voir En quête d'harmonie et de justice : Maât). Quels que soient les
mythes et les légendes, c'est finalement l'histoire de la lutte éternelle entre l'ordre
et le chaos que nous conte la religion égyptienne.

87
Mille dieux pour une vérité
Un des aspects les plus marquants de la religion égyptienne est la vertigineuse
abondance des dieux, ou netjerou, auxquels elle fait référence. Ils sont des cen-
taines, près d'un millier dit-on, et aucun système théologique ne justifie une fois
pour toutes cette cohabitation. Cette profusion un peu désordonnée où chaque
ville, chaque province et chaque corps de métier est susceptible d'être placé sous
la protection d'une divinité spécifique est un héritage du passé préhistorique de
l'Égypte : les dieux de l'époque pharaonique ne sont rien d'autre que des formes
évoluées des très anciens totems locaux que révéraient les populations des pre-
mières agglomérations.

Cette foule de dieux, nécessairement disparate, est caractérisée par une grande va-
riété de formes et d'attributs empruntés aux animaux, aux végétaux ou aux objets

Sekhmet, un des nombreux exemples de la fkuidité des


conceptions religieuses égyptiennes

88
du monde des hommes. Leurs traits distinctifs, représentés avec force et origina-
lité, sont autant d'éléments symboliques qui rappellent la fonction de la divinité et
sa sphère d'influence : la tête de lionne de la déesse Sekhmet évoque le danger et la
violence, la débonnaire déesse vache Hathor est associée à la douceur, à la vie et à
l'amour tandis que le calame de Thot indique qu'il est le gardien des écrits sacrés.

Contrairement aux apparences, les Égyptiens ne sont pas un peuple polythéiste.


Les propriétés incarnées par les dieux dessinent en réalité les contours d'une force
plus profonde et abstraite, un principe divin unique dont il est impossible d'em-
brasser d'un seul regard l'immensité des possibilités : le Netjer. Tous les Netjerou
ne sont ainsi que des facettes de la réalité absolue et indivisible du Netjer, des éclats
incomplets qui reflètent une partie seulement de la vérité.

De ce fait, en admettant que la pluralité des approches religieuses conduit toujours


à mieux saisir le Netjer, il n'était pas nécessaire de développer une religion unifiée
et dogmatique. Selon les lieux et les époques, les mythes qui relatent la création du
monde mêlent allègrement dieux locaux et nationaux, modifient leurs attributs,
procèdent à des interversions ou des fusions. Peu importent les noms et les appa-
rences tant que les thèmes abordés offrent un éclairage original sur le mystère du
monde.

La création du monde
Les Égyptiens ne voient aucun paradoxe dans le fait que plusieurs dieux soient,
indépendamment, les créateurs du monde. Ce nouvel exemple de la souplesse de la
pensée religieuse égyptienne peut nous paraître illogique mais il n'a pas empêché
la plupart des cités dotées d'un clergé constitué de développer une version locale de
la genèse de l'univers faisant bien sûr la part belle à leur divinité tutélaire.

La plus ancienne tradition revient au clergé solaire d'Iounou qui décrit un océan
primitif et chaotique, Noun, dont émerge le dieu soleil Atoum-Rê. Ce dernier crée
une butte au milieu de l'immensité liquide et y érige la pierre Benben, modèle de

89
l'obélisque, avant de cracher ou de se masturber et de donner naissance à Shou, l'air
et à Tefnout, l'humidité. L'union de ces deux premières divinités donne naissance
à la terre Geb et au ciel Nout. La troisième génération est constituée des célèbres
Osiris, Isis, Seth et Nephtys. Cette famille de neuf divinités (ou « ennéade ») traduit
la volonté du clergé d'Iounou de proposer un mythe cohérent intégrant à la fois le
dieu soleil et la légende d'Osiris. D'autres ennéades parallèles y sont d'ailleurs ajou-
tées afin de confier un rôle à des dieux de moindre importance

À Khmounou, c'est Thot qui génère à partir du Noun quatre couples de dieux sous la
forme de serpents et de grenouilles. Ces huit divinités (ou « ogdoade ») décrivent
les différents aspects du chaos et veillent sur l'œuf que Thot a déposé sur une éléva-
tion de terre au milieu de l'océan primordial. Puis le soleil jaillit de cet œuf (rempla-
cé dans certains textes par une fleur de lotus), s'élève dans le ciel et crée le monde.

Plus complexe et plus récente, la cosmogonie du clergé de Mennefer accorde à Ptah


le rôle du démiurge. Le dieu conçoit la création en son cœur et par la pensée puis il
la manifeste par le verbe, parfois assisté dans sa tâche par les huit autres dieux de
l'ennéade.

Il existe de nombreux autres mythes de création locaux, comme à Abou où


Khnoum-Rê a façonné le monde sur son tour de potier, ou à Saïs où Neith a pro-
noncé sept mots pour donner naissance à l'univers.

Mythes et légendes
Les cosmogonies élaborées par les prêtres sont des constructions érudites qui s'ef-
forcent de synthétiser plusieurs mouvements de pensée. Elles ne peuvent toutefois
pas rendre compte de la grande variété des légendes et des traditions populaires
qui décrivent les hauts faits des dieux et l'histoire mythique du Double Pays. Ces
légendes constituent le plus souvent le visage commun de la religion égyptienne
auprès de la population et mêlent concepts philosophiques et considérations ma-
giques.

90
Les voyages de Rê

De très nombreux mythes mettent en scène l'acteur principal de la tradition égyp-


tienne, le dieu solaire Rê, source de toute vie et démiurge par excellence. Pendant
la journée, il parcourt la voûte céleste dans sa barque avec son cortège de suivants
et subit plusieurs transformations : le matin, il est le scarabée Khepri ; à midi il
est Horakhty et le soir, il est avalé par Nout sous la forme d'Atoum. La nuit, Rê
poursuit sa progression dans le monde inférieur de la Douat où il subit les assauts
du serpent maléfique Apophis, incarnation de l'entropie, et connaît de nouvelles
métamorphoses qui le préparent à sa renaissance quotidienne.

D'autres histoires content les relations houleuses qu'entretenait Rê avec les


hommes et ses propres enfants quand il occupait le trône d'Égypte et dirigeait
le monde. Profitant de son âge avancé, les hommes se révoltèrent contre Rê qui
dut pour les punir leur envoyer son œil sous la forme de la terrible déesse lionne
Sekhmet. Le massacre fut terrible et Rê versa de la bière couleur sang dans le Nil
pour que Sekhmet, après s'y être abreuvée, sombre dans le sommeil et cesse le
carnage. Après cet épisode sanglant, la lassitude et la déception conduisirent Rê
à quitter la sphère terrestre pour rejoindre la sphère divine, signifiant la scission
définitive entre le monde des hommes et celui des dieux.

L'œil de Rê est un « personnage » récurrent de la mythologie solaire qui met en


valeur la puissance destructrice et l'agressivité du dieu. Personnifié, l'œil prend la
forme de déesses redoutables dont le démiurge se sépare temporairement pour
exercer sa colère. À l'issue de l'un de ces périples, Shou et Tefnout ramenèrent l'œil
à son propriétaire mais ce dernier l'avait remplacé. Accablé de chagrin, l'œil versa
des larmes qui donnèrent naissance aux hommes et Rê le prit en pitié : il transfor-
ma son œil en cobra iaret (Gr. Uræus) et le plaça sur son front pour repousser ses
ennemis.

Une autre fable célèbre décrit comment Isis profita de la faiblesse du démiurge
pour lui dérober un peu de salive et l'utilisa pour façonner un serpent de terre qui
mordit Rê lui-même. En échange de sa guérison, Isis parvint à soutirer à Rê son
nom secret, source de sa puissance magique.

91
Mort et renaissance, la légende d'Osiris

Fils de Nout, Osiris succède à son père Geb sur le trône d'une Égypte mythique
précédant l'histoire des pharaons humains. Inventeur de l'agriculture, il est le pro-
totype du roi juste et civilisateur et bénéficie de l'assistance de son épouse Isis et de
Thot, tandis que Seth et Nephtys règnent sur le désert.

Seth, cadet d'Osiris, jalouse secrètement la réussite de son frère et le convie à un


banquet grandiose au cours duquel il lui offre un magnifique sarcophage. Seth af-
firme que le cercueil est parfaitement ajusté à la taille d'Osiris et invite ce dernier à
l'essayer. Alors que le roi est allongé, Seth et ses sbires referment le sarcophage et le
précipitent dans les eaux du Nil.

Isis part en quête de son mari et retrouve son cadavre sur la côte phénicienne de
Kében, protégé par un cèdre qui a poussé autour de son sarcophage. Elle fait usage
de ses talents magiques pour le ramener temporairement à la vie et avoir un en-
fant de lui, Horus, puis dissimule sa dépouille dans le delta du Nil, non loin de Per
Ouadjet. Seth finit par découvrir la cachette d'Osiris et profite de l'absence d'Isis
pour profaner la sépulture de son frère : il déchiquette son corps en quatorze mor-
ceaux avant de les disperser dans toute l'Égypte. Isis constate ce nouveau méfait et
part à la recherche des restes d'Osiris, reconstitue son corps et procède à la toute
première momification à l'aide d'Anubis. Elle enterre ensuite chacun des morceaux
momifiés du cadavre d'Osiris à l'endroit où elle l'a découvert mais ne retrouve ja-
mais le phallus de son mari, dévoré par un poisson.

Une fois adulte, Horus part en guerre contre Seth pour venger son père et faire
reconnaître son héritage. Le combat qui fait rage entre l'oncle et le neveu est achar-
né mais Horus remporte finalement la victoire et obtient réparation du tribunal
des dieux. Il est enfin considéré comme « juste de voix », c'est à dire apte à régner,
et Osiris est restauré dans sa fonction royale qu'il n'exerce plus parmi les vivants,
mais dans le monde des morts.

92
Horus, Osiris et Isis

Le temple, demeure du dieu


Le temple divin est un élément central de la cité égyptienne. Il est à la fois une ins-
titution religieuse, intellectuelle, économique et administrative gérée par le clergé
(Voir Le temple, centre de vie) et un ensemble physique de constructions qui abrite
pour l'éternité le dieu local.

Bien qu'il soit au cœur d'une importante activité profane et qu'il côtoie de nom-
breuses structures utilitaires (bureaux, ateliers, Maisons de Vie, greniers, loge-
ments...), le temple constitue un espace sacré dont l'accès est strictement régle-
menté et certaines sections sont totalement interdites au commun des mortels.

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Microcosme de pierre...

Tous les temples du Nouvel Empire obéissent à des règles de construction précises
dictées par leur vocation religieuse et respectent un schéma architectural « stan-
dard ». La description générale que nous vous proposons ci-dessous peut ainsi être
appliquée à la plupart des temples divins du pays.

La première caractéristique du temple est son matériau de construction : la pierre.


Alors que tous les autres édifices de la ville, y compris le palais royal, sont bâtis en
brique et s'exposent aux ravages du temps, le temple est voué à traverser l'éterni-
té. Ce choix s'inscrit dans un projet symbolique plus vaste qui fait du temple une
synthèse immortelle de l'univers. Ses différents éléments constitutifs, ainsi que les
textes et les scènes qui figurent sur ses parois, résument, illustrent et incarnent
physiquement les grands mythes fondateurs de la religion égyptienne. Le bâtiment
représente un enseignement en soi, un document architectural qui nous décrit la
création et la géographie du cosmos.

Le temple est habituellement orienté selon un axe est-ouest, correspondant à la


course du soleil et son entrée est dirigée vers le Nil. Le quai encombré d'embar-
cations et de marchandises est prolongé par une allée, fréquemment bordée de
sphinx, qui mène à une épaisse enceinte de briques. Une grande porte perce ce
premier rempart physique et symbolique contre les forces néfastes du chaos.

Dans l'alignement de l'allée se dresse le temple par lui-même. Son entrée est proté-
gée par le pylône : une impressionnante construction constituée de deux tours qui
encadrent la porte menant à l'intérieur du bâtiment et en gardent l'accès. Le pylône
représente deux montagnes entre lesquelles se lève le soleil et sont assimilées à Isis
et Nephtys, déesses protectrices de l'espace sacré. Il est peint, sculpté et flanqué de
statues colossales du roi, d'obélisques et de mâts au sommet desquels flottent des
oriflammes.

94
Après avoir franchi cette porte monumentale, on débouche sur une cour à ciel ou-
vert, vaste et lumineuse, entourée de colonnes colorées. Dernière partie du temple
accessible à la population, ce lieu de vie symbolise le monde profane et son effer-
vescence.

On accède à l'étape suivante en empruntant une rampe en pente douce qui dé-
bouche sur une salle à colonnes aux formes végétales plongée dans la pénombre.
L'élévation du sol et l'abaissement du plafond symbolisent à la fois la « montée »
sur la butte primordiale où est apparu le soleil et l'entrée dans l'intimité des secrets
du monde divin. Les colonnes forment une forêt qui jaillit du sol et s'élance vers le
ciel, signifiant les notions de fertilité et de renaissance. Réservée aux prêtres et à
Pharaon, c'est la salle des cérémonies royales et des rituels de purification.

L'étape suivante marque l'entrée dans le demeure du dieu : le sanctuaire, où seuls


les prêtres les plus hauts placés et le roi ont le droit de se rendre. Cette petite salle
comprend un autel d'offrandes et le naos, ou tabernacle, dans lequel est placée la
statue du dieu.

... et forteresse de Maât

Aux yeux des Égyptiens, le temple n'est pas seulement un outil « pédagogique »
où sont consignées les croyances religieuses du clergé. Il s'agit d'un point de
contact réel avec le monde divin par le biais duquel le dieu du naos peut mani-
fester sa puissance bienfaisante. Si le dieu est correctement alimenté par les
offrandes des prêtres et qu'il bénéficie des rituels le maintenant en bonne
santé, le temple devient une véritable place forte spirituelle qui repousse les in-
fluences négatives du chaos et entretient l'acte initial de création. En somme,
le temple est une « machine à faire régner Maât »et sa structure de pierre est
censée lui permettre d'accomplir cette fonction primordiale pour l'éternité.

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Les plus grands domaines divins de kémi
Ouaset (Amon), Iounou (Rê), Khmounou (Thot), Abdou (Osiris), Mennefer (Ptah), Iounet
(Hathor), Djeb (Horus), Nekheb (Nekhbet), Abou (Khnoum).

Les Maisons de Vie

L'activité intellectuelle de Kémi est concentrée dans les temples et plus précisément
dans les Maisons de Vie. Ces structures placées sous la surveillance des prêtres sont
non seulement des centres d'enseignement religieux où sont copiés et composés
les textes sacrés, mais plus largement des lieux où s'élaborent et se transmettent les
connaissances littéraires et scientifiques de la culture égyptienne. Les Maisons de
Vie jouent ainsi le rôle d'université, de bibliothèque et de laboratoire.

96
Les serviteurs du dieu
Le roi est le seul véritable médiateur entre les hommes et les dieux mais il lui est
impossible de se déplacer en personne dans les centaines de temples et de chapelles
dédiées aux Netjerou. C'est donc au personnel du temple, les prêtres, que revient
l'honneur de substituer à Pharaon pour réaliser les rites en son nom (Voir Les fonc-
tions de Pharaon).

Autrefois informels et peu organisés, les clergés divins se sont fortement structu-
rés depuis que le pouvoir royal les comble de terres et de richesses. Tous partagent
une organisation similaire, quels que soient le temple et le dieu révéré.

Le sommet de la hiérarchie est tenu par un conseil de prêtres en charge de l'admi-


nistration du temple et de ses possessions : les « Prophètes » ou hem-Netjer, c'est à
dire « serviteur du dieu ». Ce haut clergé est placé sous l'autorité du Premier Pro-
phète, notable très influent choisi par Pharaon pour le représenter personnelle-
ment auprès du dieu. Accaparé par ses responsabilités politiques, le Premier Pro-
phète délègue fréquemment ses fonctions religieuses aux autres membres du haut
clergé et notamment à son plus proche collaborateur, le Deuxième Prophète.

Le bas clergé comprend plusieurs catégories de prêtres plus directement impli-


qués dans la réalisation des rites et l'entretien du temple. Les prêtres ouabou (les
« Purs ») procèdent à la purification du bâtiment et des objets de culte dont ils ont
la responsabilité et sont chargés de veiller chaque jour sur la précieuse statue du
dieu. Ils sont dirigés par le Grand Prêtre ouab qui supervise la bonne tenue du culte
quotidien. Les prêtres lecteurs, ou kériou-hébet, prononcent la litanie et scandent les
hymnes qui accompagnent les cérémonies, sous la surveillance de leur supérieur,
le héri-tep. Les dates et heures des rituels sont fixées par les prêtres Horologues
dont les observations et les calculs astronomiques complexes déterminent les jours
fastes et néfastes.

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Les prêtres du haut et du bas clergé sont répartis en quatre groupes, les phylé, qui
assument à tour de rôle la gestion du temple pendant un mois : ils n'officient ainsi
qu'un trimestre par an. Lorsqu'ils ne sont pas en service, les prêtres mènent une
existence parfaitement semblable à celle de leurs concitoyens laïcs et assument fré-
quemment des fonctions dans la société civile, comme scribe ou médecin. Le clergé
ne constitue donc pas une caste distincte de la population et, en théorie, n'importe
qui peut accéder à la prêtrise pour peu qu'il rassemble les qualités personnelles re-
quises (notamment être lettré) et qu'il observe rigoureusement les prescriptions
rituelles visant à préserver la pureté de son corps pendant la durée de son office
(circoncision, corps totalement rasé, ablutions régulières, abstinence sexuelle et
interdits alimentaires). Dans les faits, cette charge est habituellement héritée du
père mais elle peut également être achetée ou attribuée par Pharaon à la personne
qu'il estime digne de servir les dieux.

Les femmes sont également présentes dans les temples. Comme les hommes, elles
sont réparties en groupes, endossent le rôle de prêtresses pures, les ouabouit, et sont
soumises à une autorité suprême en la personne de la reine, également nommée
Épouse Divine d'Amon.

Point Jeu • La nuit porte conseil


Mahou est un prêtre du temple de Mout, dans le complexe d'Opet Isout. En tant que prêtre
Ouab, il est versé dans les secrets de la liturgie et on prétend même qu'il dispose de talents
de guérisseur. Sous ces airs de respectabilité se cache pourtant un être retors qui vanda-
lise depuis plusieurs mois l'un des murs du temple en cours de réfection pour se venger du
chef des sculpteurs avec lequel il a un vieux compte à régler. Le chantier n'avance pas et la
police ne trouve évidemment pas le coupable qui agit pendant l'office nocturne. Alors qu'il
se livrait à ses observations astronomiques, un jeune prêtre horologue nommé Améni a
été témoin des exactions de Mahou mais le doute le taraude : le Premier Prophète de Mout
veut un coupable et Améni sait que ce ne sera pas Mahou mais un innocent.

98
Le culte divin
La statue qui repose dans le naos est un réceptacle matériel dans lequel le dieu s'in-
carne chaque matin et grâce auquel il exprime sa puissance, protège la région et
fait régner Maât. Considérée comme une créature vivante, la statue fait l'objet d'un
culte quotidien visant à assurer l'efficacité du Netjer qui y a élu domicile.

Les rites quotidiens

À l'aube, les prêtres Ouabou pénètrent dans le sanctuaire en réalisant des fumiga-
tions et en prononçant des formules destinées à faciliter l'incarnation du dieu dans
la statue. Ils procèdent ensuite à l'ouverture du naos et déposent des offrandes de
nourriture sur l'autel du sanctuaire. Une fois que leur force vitale est absorbée par
le dieu, les offrandes sont présentées à d'autres divinités de moindre importance
puis collectées par le personnel du temple. Après ce « repas », la statue est extraite
du tabernacle pour être lavée, ointe, parfumée, fardée et, enfin, rhabillée. Le dieu
est alors prêt à accomplir sa mission et est replacé dans le naos que l'on scelle après
fermeture. Des cérémonies plus sommaires réalisées à midi et le soir entretiennent
la puissance de la divinité et permettent de s'assurer qu'elle reviendra prendre pos-
session de sa statue le lendemain matin.

99
Les fêtes

Parallèlement au culte secret et journalier, la vie religieuse de Kémi est rythmée par
de nombreuses manifestations publiques qui sont l'occasion pour la population de
se rassembler dans la liesse autour de ses dieux. L'exubérance de ces fêtes contraste
avec la quiétude du temple : on danse, on chante, on boit et l'on assiste à d'ambi-
tieuses représentations théâtrales qui retracent les temps forts de la mythologie
locale.

Les cérémonies les plus importantes sont les processions au cours desquelles le
peuple est autorisé à contempler la statue extraite du naos. Placé dans une barque
somptueuse, le Netjer est porté par des prêtres Ouabou et exhibé à la foule qui suit
son parcours entre les différents lieux saints de la cité. La « belle fête d'Opet », qui se
déroule à Ouaset, est la plus célèbre d'entre elles car c'est Pharaon en personne qui
se rend au temple d'Opet-Isout pour y chercher Amon-Rê, Mout et Khonsou. Onze
jours durant, la capitale de Kémi vit au son des tambours et des sistres pendant
que des sacrifices et des offrandes considérables sont réalisés en l'honneur du dieu
Amon.

100
Dieux et déesses de Kémi
Amon

Apparence commune : un homme coiffé d'une couronne à deux plumes de faucon et por-
tant les sceptres Ouas et Ankh (puissance et vie).

L'un des plus célèbres dieux de Kémi était autrefois une simple
divinité de l'air et des bateliers de la région de Ouaset. Le clergé
de Khmounou en fit l'un des huit membres de l'ogdoade créée par
Ptah avant que les prêtres de Ouaset ne le révèrent comme dé-
miurge sous la forme d'Amon-Rê, entouré de son épouse Mout et
de son fils Khonsou. Le succès des pharaons thébains du Moyen et
du Nouvel Empire plaça ce dieu local sur le devant de la scène reli-
gieuse et sa prééminence théologique alla de pair avec la montée en
puissance politique de la cité. Il est aujourd'hui le dieu dynastique
officiel attaché à l'exercice du pouvoir, géniteur du roi et créateur
du monde.

Malgré sa renommée, Amon reste un dieu mystérieux. Son nom signifie « Le ca-
ché » et la multiplicité de ses qualités en interdit toute représentation précise : il
est asha renou, le « riche de noms », dieu primordial invisible et secret qu'aucun
hiéroglyphe ne décrit directement.

La reconnaissance d'Amon se manifesta également par le développement spectacu-


laire de son clergé qui joue désormais un rôle capital dans la vie du pays depuis l'im-
mense temple d'Opet-Isout, situé au nord de Ouaset. Les prêtres d'Amon jouissent
d'une influence et d'une fortune entretenues par Pharaon qui a besoin de toute
sa légitimité pour exercer son pouvoir sur les hommes : n'oublions pas que c'est
Amon-Rê qui s'accouple à l'épouse Divine et qui désigne le futur roi.

101
Anubis (Inpou)

Apparence commune : un homme à tête de chien noir.

Fils adultérin d'Osiris et de Nephtys, Anubis est le dieu de la mort


et de l'embaumement qui accompagne le défunt dans l'au-delà
et protège les tombeaux. Il est devenu le patron de la momifica-
tion et des embaumeurs pour avoir su reconstituer et préserver le
corps d'Osiris déchiré par Seth.

Atoum

Apparence commune : un homme portant la double couronne de


Haute et de Basse Égypte et le sceptre Ouas.

Selon le clergé d'Iounou, il est le démiurge qui émergea du Noun


puis créa les dieux et l'univers des hommes. En tant que divinité
primordiale, il est « ce qui est et ce qui n'est pas ». Son temple
principal se situe à Iounou.

Hathor

Apparence commune : une femme coiffée de cornes de vache suppor-


tant le disque solaire. Elle tient fréquemment un sceptre en forme de
papyrus.

Archétype de la divinité féminine, Hathor est une puissance po-


pulaire et bienveillante qui engloutit et protège le soleil la nuit
venue. Elle incarne la douceur maternelle, préside aux accouche-
ments et représente la gestation qui précède la renaissance du
défunt dans l'au-delà. Les connotations bénéfiques et joyeuses
d'Hathor en font une divinité particulièrement appréciée de la
population et elle dispose d'un temple important à Iounet (Gr.
Tentyris ; Dendera), cité située au nord de Gebtou.

102
Horus

Apparence commune : un homme à tête de faucon.

Le dieu-faucon Horus est une figure centrale de la religion égyp-


tienne qui concentre les caractéristiques de nombreuses divini-
tés locales associées au soleil et au ciel. Fils d'Osiris et d'Isis, il doit
vaincre son oncle Seth pour reconquérir le pouvoir qui lui revient
de droit et rétablir une monarchie stable et bienveillante dans le
Double Pays. Il est le prototype du roi solaire triomphant qui s'in-
carne dans le corps de Pharaon pour lui conférer sa puissance et lutter contre les
forces maléfiques du chaos représentées par Seth. C'est pour cette raison que le
premier terme de la titulature royale est le nom d'Horus (Voir Les attributs du roi).

Il est vénéré depuis des siècles dans tout le pays sous des formes variées mais l'Ho-
rus de Behedet fait l'objet d'un culte particulier à Djeb en tant que divinité guer-
rière.

Isis (Iset)

Apparence commune : une femme coiffée d'un trône.

Fille de Geb et de Nout, Isis est la maîtresse des arts magiques qui
ressuscita temporairement son époux Osiris et donna naissance
à Horus. Comme Hathor à laquelle elle est parfois assimilée, Isis
est une divinité maternelle, féconde et protectrice aimée de tous.

103
Khnoum

Apparence commune : un homme à tête de bélier.

Dieu à tête de bélier originaire d'Abou, Khnoum est le maître


des crues du Nil qui, selon la tradition, prennent naissance dans
la région de la Première Cataracte. Il est le garant de la fertili-
té des terres de Kémi et apparaît également sous la forme de
Khnoum-Rê qui créa le monde sur son tour de potier. Khnoum
est vénéré à Abou et en Nubie.

Khonsou

Apparence commune : un enfant au crâne rasé, enveloppé de bande-


lettes et tenant les sceptres d'Osiris et de Ptah.

Ancien dieu de Ouaset associé à la lune, Khonsou « le Voyageur »


est maintenant le fils d'Amon et de Mout. Il représente également
une version rajeunie de son père et a le pouvoir de provoquer et
de guérir les maladies en invoquant ou bannissant les esprits ma-
léfiques qui les suscitent. Il dispose d'un temple à Ouaset.

Mout

Apparence commune : une femme coiffée d'un vautour et de la double


couronne de Haute et de Basse Égypte.

Déesse originaire de Ouaset, Mout est la figure féminine de la


triade thébaine en tant que mère de Khonsou et épouse d'Amon.
Divinité solaire et bénéfique apportant la crue, elle est également
considérée comme l'une des dangereuses filles de Rê et prend
parfois la forme d'une lionne. Son temple se trouve à Ouaset, ac-
colé au complexe d'Opet-Isout.

104
Nephthys (Nebet Het)

Apparence commune : une femme coiffée du hiéroglyphe signifiant


«  maison ».

Selon la mythologie d'Iounou, Nephthys ou « Dame du Château »


est l'épouse et la sœur de Seth. Elle se détourna de son mari pour
venir en aide à Isis dans sa quête pour retrouver Osiris et lui re-
donner la vie. C'est une divinité à connotation funéraire qui veille
sur les cercueils et les vases canopes. Seth ne lui a pas donné d'en-
fant mais elle aurait eu un fils d'Osiris : Anubis.

Osiris (Ousir)

Apparence commune : un homme à la peau verte, enveloppé de ban-


delettes, portant le sceptre héqa et le fouet nekhekh. Il est coiffé de la
couronne de Haute Égypte ornée de deux plumes d'autruche.

Osiris est le dieu emblématique de la religion égyptienne. Adoré


dans tout le pays et pendant toute la période pharaonique, il était
initialement associé à la fertilité et au cycle naturel de la végéta-
tion avant que la légende qui lui est dédiée n'en fasse un symbole
de renaissance après la mort. Osiris est semblable à la graine qui
donne la vie après avoir été enfouie dans les profondeurs de la terre et ses attributs
végétaux traduisent cette notion de transformation, d'être en devenir qui doit su-
bir les affres du trépas pour connaître l'éternité dans l'au-delà.

Lui-même ressuscité par la magie d'Isis puis consacré comme souverain du monde
des morts à l'issue du combat d'Horus contre Seth, Osiris préside à la destinée fu-
néraire des hommes et des femmes de Kémi. C'est lui qui juge les défunts et leur
accorde, ou non, l'accès à son royaume. Cette autorité et ce pouvoir font écho au
fait que Pharaon, vivant et en pleine possession de ses moyens, est une incarnation
d'Horus et qu'il se transforme en Osiris au moment de sa mort, conservant pour
l'éternité ses prérogatives royales.

105
Le mythe raconte qu'Osiris fut déchiqueté par Seth mais Isis, aidée d'Anubis et de
Nephthys, parvint à offrir une sépulture aux restes de son époux. De nombreuses
cités de Kémi affirment ainsi abriter un morceau du corps sacré d'Osiris. C'est le
cas de Djédou dans le delta qui conserverait sa colonne vertébrale et surtout d'Ab-
dou où serait enfouie sa tête. La renommée d'Osiris est telle qu'Abdou organise
chaque année une grande fête qui retrace la vie, la mort et la renaissance du dieu et
accueille une foule de pèlerins.

Anubis, dieu de l'embaumement


106
Ptah

Apparence commune : un homme enveloppé de bandelettes coiffé d'une


calotte et tenant un sceptre composite ankh, ouas et djed

Ptah est le démiurge de Mennefer, ancien des dieux des arts et des
artisans. Selon la cosmogonie memphite, il est le « Sculpteur de
la terre » qui a généré le monde par le verbe et est rapproché de
Khnoum avec lequel il partage la roue du potier comme outil de
création

Son vaste temple de Mennefer est placé sous l'autorité du Premier Prophète de Ptah
connu sous le nom de Grand Maître de l'Art (our kherp hemat).

Apparence commune : un homme à tête de bélier ou à tête de faucon


coiffé du disque solaire.

Rê est un dieu ancien qui représente le soleil et l'ensemble de


ses propriétés. Le clergé d'Iounou le choisit comme démiurge au
cours de l'Ancien Empire et il fut associé à la monarchie en de-
venant le père du roi. Toujours activement adoré à Iounou, Rê
incarne la source de vie primordiale qui parcourt le ciel dans sa
barque et lutte la nuit contre les forces maléfiques. Son nom est
souvent associé à celui des dieux dont on souhaite exalter la puissance créatrice,
comme Amon-Rê ou Khnoum-Rê.

107
Sekhmet

Apparence commune : une femme à tête de lionne.

Épouse de Ptah et mère de Nefertoum, Sekhmet « la Puissante »


est une dangereuse manifestation des rayons brûlants de son
père Rê. Cette déesse guerrière originaire de Mennefer défend la
création contre les assauts de Seth et d'Apophis mais peut éga-
lement se montrer dangereuse à l'égard de l'humanité en l'acca-
blant de maladies. Sekhmet possède par ailleurs des talents de
magicienne et de guérisseuse qui lui valent d'être la déesse des médecins.

Seth (Sutekh)

Apparence commune : un homme à la tête de chien hybride, doté de


grandes oreilles et d'un museau allongé.

Seth est un personnage ambigu de l'ennéade héliopolitaine. De


prime abord, ce dieu du sud, patron des tempêtes et des éten-
dues désertiques, apparaît comme une puissance négative et
chaotique qui met en péril l'ordre de Maât et compromet les ef-
forts de Pharaon incarné dans la mythologie par Osiris et Horus.
Pourtant, Seth est considéré par ailleurs comme l'indispensable visage destructeur
de la puissance royale : il est un impitoyable guerrier qui fait usage de la violence
naturelle du soleil pour repousser Apophis et les ennemis de la nation. Si certains
rois ont choisi de s'approprier le caractère agressif de Seth pour rehausser leur
puissance (comme Peribsen au cours de l'Ancien Empire), on ne retiendra à Basse
Époque que les aspects négatifs et maléfiques du dieu.

108
Thot (Djéhouty)

Apparence commune : un homme à tête d'ibis portant le calame du


scribe.

Thot est le dieu de la sagesse, de l'écriture et du langage, grand


magicien, patron des scribes et des scientifiques. Il est le dé-
miurge de la cosmogonie hermopolitaine et les clergés de Men-
nefer et d'Iounou le considèrent comme la langue de Ptah et de
Rê. C'est lui qui consigne les années de règne des pharaons sur l'arbre Ished et qui
enregistre les décisions d'Osiris lorsque ce dernier juge les âmes des défunts. Ce
dieu lunaire de la connaissance et du temps est tout spécialement vénéré à Khmou-
nou.

109
La magie Héka
Inextricablement liée à la religion, la magie égyptienne place l'homme au cœur
d'un univers baigné d'influences divines qu'il peut percevoir et manipuler. Pour les
Égyptiens, le monde possède une cohérence invisible, tissée de liens de causalité
sur lesquels il est possible d'exercer sa volonté en utilisant le pouvoir du verbe et de
l'image. En effet, toute opération magique et religieuse est fondée sur la conviction
que ce qui est écrit ou figuré est doté d'existence. C'est la raison pour laquelle les
temples, les tombes et les papyrus sacrés se montrent si bavards : ils ne sont pas là
pour témoigner mais pour agir et rendre réels les objets, les êtres et les situations
qu'ils invoquent. Par extension, toute chose possède un nom secret (ren en égyp-
tien) qui recèle l'essence même de son propriétaire. Si l'on manipule ce nom, que ce
soit en le prononçant ou en l'écrivant, on reproduit l'acte créateur du démiurge et
on intervient directement sur l'objet concerné. C'est selon ces principes magico-re-
ligieux que le roi et les prêtres officient afin de satisfaire les dieux et maintenir
l'ordre de Maât.

La magie Héka, du nom du dieu qui la représente, n'est pas réservée aux seuls ri-
tuels et cérémonies pratiqués par le clergé, bien au contraire. Certes, la maîtrise
des noms,des signes et des images sacrées exige la plupart du temps que le magi-
cien soit un lettré (prêtre-lecteur, médecin, scribe), mais les applications de cette
science touchent à des domaines aussi variés que la protection contre les morsures
de serpent, la survie dans l'au-delà ou le bannissement des démons.

Les pratiques magiques

La magie de protection, la plus ancienne et la plus répandue, dérive directement


des rites religieux qui repoussent les forces du chaos. Elle vise à détourner toutes
les formes d'influences négatives et est très utilisée pour se protéger des animaux
dangereux,des maladies, des peuples ennemis, des esprits maléfiques et des reve-
nants. Pour ce faire, on fait appel à la puissance du verbe (en récitant prières et
incantations), de l'écrit (en utilisant des papyrus comprenant des formules ma-

110
giques, en buvant l'eau qui s'est écoulée sur les hiéroglyphes chargés de pouvoir
d'une divinité bienfaisante) et de l'image (en utilisant des amulettes représentant
des dieux ou des animaux aux vertus bénéfiques).

La magie de création a pour objectif de conférer une réalité au contenu de textes


hiéroglyphiques ou à des scènes peintes, gravées ou sculptées. C'est grâce à cette
forme de magie que les représentations d'offrandes nourrissent réellement les
dieux, que les statues funéraires hébergent le ka des défunts et que les vœux décrits
sur les parois des tombes prennent vie (Voir Survivre à la mort).

111
Oudjat, amulette visant à protéger l'intégrité physique
Il existe enfin une magie populaire teintée de superstition, faite de charmes, de
philtres et d'envoûtements. Il s'agit du visage dévoyé et distordu de la magie of-
ficielle pratiquée par les savants des temples et des Maisons de Vie. Bien que les
médecins et les prêtres puissent parfois y avoir recours, elle est surtout le fait de
jeteurs de sorts et de charlatans qui prétendent tirer avantage des forces occultes.
Les rituels maléfiques qu'utilisent les sorciers pour porter atteinte au corps et à
l'esprit d'autrui appartiennent à cette catégorie de magie vulgaire et dénuée d'am-
bition spirituelle.

Point Jeu • Le dilemme de Ouadjmès


Les forces armées de Touthmès sont bien implantées en Réténou et sa campagne asiatique
de l'an 25 s'annonce comme une simple formalité. Pourtant, on ne plaisante pas avec la
sécurité du roi et les orfèvres de la Maison de l'Or ont créé avec l'assistance du Premier
Prophète de Ptah un magnifique pectoral magique (large bijou placé sur la poitrine) desti-
né à le protéger pendant son périple. Le problème est que le pectoral est... maudit. Un des
orfèvres, Ouadjmès, a en effet été contraint d'inclure dans la masse de l'objet le cadavre
d'un lézard à deux queues, le rendant vulnérable aux charmes maléfiques d'un sorcier de
Mennefer. L'affaire est commanditée par une coalition secrète de marchands mitanniens
qui comptent attirer des démons sur Pharaon et le faire succomber à la maladie en pleine
expédition. C'est en faisant pression sur la famille de l'orfèvre que les conspirateurs mi-
tanniens sont parvenus à pousser Ouadjmès à cet acte terrible. Heureusement, un jeune
apprenti des ateliers royaux se doute de quelque chose...

112
113
La mort
et la promesse
de l'au-delà
114
L
a fascination du peuple égyptien pour la mort n'a rien d'une obsession mor-
bide. Au contraire, les habitants de Kémi chérissent la vie plus que tout et
la perspective de la perdre est inacceptable. Heureusement, les Égyptiens
savent que l'anéantissement n'est pas une fatalité et que même la mort peut-être
vaincue. Il est possible de prolonger éternellement son existence si l'on respecte de
son vivant un certain nombre de règles morales et que l'on prépare correctement
les rites magico-religieux qui président à la renaissance dans l'au-delà.

Au même titre que Maât, la quête d'éternité occupe une place capitale dans la
culture pharaonique et la mort s'invite constamment dans le monde des vivants.
Évidemment, cette notion imprègne profondément la religion égyptienne qui dé-
cline à l'infini le thème de la résurrection et a trouvé en Osiris son symbole le plus
éloquent, mais les exigences de la survie dans l'au-delà (offrandes dédiées aux dé-
funts, préparation de la tombe, momification...) en font également une préoccu-
pation concrète, souvent coûteuse et contraignante, mais indispensable pour qui
aspire à l'éternité.

La nature de l'être
La possibilité de renaître dans l'au-delà s'appuie sur une conception très particu-
lière de l'être humain que les Égyptiens voient comme le produit de composantes
matérielles et spirituelles.

Le djet ou khet est le corps physique, support matériel de l'existence. Sa conserva-


tion est nécessaire à la survie du défunt. C'est la raison pour laquelle il subit le pro-
cessus de momification qui le transforme en Sah, capable d'héberger le ka. Ses sens
sont éveillés avant l'inhumation définitive par le Rituel d'Ouverture de la Bouche
(Voir Les funérailles).

Le cœur ib est un organe particulier car il est le siège de la pensée et des émotions.
Il est placé dans la balance de Thot lors du jugement divin afin de rendre compte
du sens moral de son propriétaire. Contrairement aux autres organes, le cœur n'est
pas ôté du corps pendant la momification.

115
L'akh est l'esprit, ou fantôme, c'est à dire un principe extérieur au corps de chair et
de sang qui appartient au monde céleste. L'akh est un double éthéré que l'on rejoint
à l'heure de sa mort.

Le ka est formé en même temps que le djet et représente l'énergie et la puissance


vitales d'un être. Le ka doit être alimenté par des offrandes de nourriture dont il ex-
trait les principes vitaux et a besoin d'un support physique pour survivre, tel qu'une
momie ou une statue.

Le ba se rapproche de notre conception de l'âme et synthétise la personnalité d'un


individu. Mobile et indépendant du corps, le ba est représenté sous la forme d'un
oiseau à tête humaine.

Le shouyt, ou khaibat, est une ombre à forme humaine qui accompagne le ba.

Le ren est le vrai nom d'un homme, le secret mot de pouvoir qui définit son essence
et son identité. Une des conditions pour que le défunt vive éternellement est que
son nom soit régulièrement lu ou prononcé. Cela explique la cruauté du sort réser-
vé par Touthmès à la reine Hatshepsout : en faisant disparaître son nom des monu-
ments, il « tue » la défunte une seconde fois (Voir L'ombre d'Hatshepsout).

Survivre à la mort
La mort a pour effet de dissocier les principes qui composent l'être humain. Ainsi
disloqué, le défunt s'expose au néant mais les rituels funéraires permettent de ré-
unir ces différents éléments et d'accorder au mort une seconde existence dans le
royaume d'Osiris. Cette préparation est une entreprise de longue haleine et si une
seule de ses étapes venait à faire défaut, le dernier voyage du défunt s'en trouverait
compromis.

116
La cérémonie d'ouverture de la bouche

La demeure d'éternité

En premier lieu, le défunt doit disposer d'une demeure qui abritera son corps et
son ka. Cette maison funéraire prend au Nouvel Empire la forme de l'hypogée, c'est
à dire une tombe creusée dans la roche et divisée en deux parties.

La première est la chambre sépulcrale où est entreposé le sarcophage qui contient


le corps momifié. Cette pièce scellée et inaccessible aux vivants est située au fond
d'un puits ou loin de l'entrée pratiquée dans la falaise. Les vertus créatrices du
verbe et de l'image sont constamment invoquées lors de la construction et de l'amé-
nagement du tombeau : on trouve sur ses murs des scènes idéalisées de la vie que
le défunt espère connaître après sa mort et des textes magiques qui l'aideront à
franchir les étapes de son voyage vers l'éternité. On y place du mobilier, des vête-
ments et des objets de la vie courante afin que le mort ne manque de rien lorsqu'il

117
reviendra prendre possession des lieux. On lui fournit même des statuettes oushebti
qui s'animeront pour le servir dans l'au-delà. La tombe s'efforce ainsi de recréer
magiquement un monde accueillant et familier dans lequel évoluera le défunt.

La deuxième partie du tombeau, accessible au public, est la chapelle funéraire qui


comprend une table d'offrandes, une ou plusieurs statues représentant le mort et,
éventuellement, une stèle. C'est ici que la famille ou les prêtres funéraires réalisent
les rites et déposent les offrandes de nourriture. Une fausse porte placée dans la
chapelle permet au ka de « sortir au jour » et de consommer la nourriture qui a été
déposée à son intention.

Chez les pharaons, la tombe et le lieu de culte sont dissociés et leurs dimensions
sont à la hauteur de leur royale fonction. L'hypogée est un méandre de couloirs pro-
fondément creusés dans les flancs de la Vallée des Rois tandis que la chapelle prend
la forme d'un imposant temple funéraire placé non loin du Nil, très semblable dans
son architecture et son fonctionnement à un temple divin. Dans ce « Temple de
Millions d'Années », le clergé funéraire honore et sert le dieu-pharaon métamor-
phosé par la mort en Osiris, qui trône pour l'éternité dans le monde céleste.

La momification

Le corps du défunt doit être consciencieusement préservé afin qu'il puisse héberger
les principes spirituels dispersés au moment du décès. Les Égyptiens ont développé
à cet effet une technique de conservation inspirée du phénomène de dessiccation
que l'on peut observer dans le désert : la momification.

La momification est réalisée par les prêtres out, des embaumeurs professionnels
placés sous le patronage du dieu Anubis. Ce processus long et coûteux débute par
l'extraction du cerveau à l'aide d'un crochet introduit par une narine puis on ôte les
viscères en pratiquant une incision dans le flanc gauche du cadavre. La cavité ab-
dominale est nettoyée à l'eau de vie de dattes et emplie de plantes parfumées tandis
que les organes sont lavés et placés dans des vases arborant le visage du défunt.
Une fois purifié, le corps est recouvert pendant 70 jours de morceaux de natron,

118
un sel qui dessèche les tissus et stoppe leur putréfaction. À l'issue de cette période,
le cadavre est lavé puis entièrement enveloppé de bandelettes de lin imprégnées
de gomme. Au cours de cette étape, les prêtres placent de nombreuses amulettes à
des endroits précis du corps afin que leur pouvoir bénéfique améliore les chances
de survie du défunt. On place enfin sur le visage du mort un masque qui reproduit
ses traits, on le drape dans un linceul puis on le dépose dans un sarcophage de bois
qui épouse sa forme.

Au delà de son aspect technique, la momification est une opération magique dont
chacune des phases bénéficie de l'assistance d'un prêtre lecteur qui prononce les
formules rituelles adaptées. Ainsi protégé par des mots et des objets de pouvoir,
le corps momifié, nommé sah, est désormais prêt à endurer le passage des siècles.

Les funérailles

Après avoir été livré par les prêtres out, le sarcophage rejoint une procession funé-
raire qui franchit le Nil pour se rendre jusqu'à la nécropole, sur la rive occidentale.
Chez les familles les plus riches, des pleureuses professionnelles et des prêtres se
joignent au cortège de parents en deuil. L'attroupement s'arrête ensuite devant la
tombe au milieu des lamentations et des volutes d'encens, et les prêtres exécutent
sur le sarcophage le Rituel de l'Ouverture de la Bouche qui rend au corps momifié la
capacité de se nourrir, de parler et de se servir de ses sens dans l'au-delà.

On place enfin le sarcophage dans la chambre sépulcrale où est disposé le mobilier


funéraire puis on en scelle l'entrée avant de participer à un dernier banquet dédié
au cher disparu.

119
Inégaux devant l'immortalité
Le prix du processus de momification décrit ci-dessus le réserve aux Égyptiens les plus
aisés. Les familles modestes choisissent une prestation plus sommaire qui se résume à la
dissolution des viscères par une injection de substances végétales, un rapide séjour dans
le natron et un emmaillotage de médiocre qualité. Les plus pauvres se contentent quant à
eux de confier le corps à l'aridité d'une fosse creusée dans le désert.
De même, les funérailles que nous évoquons concernent un public privilégié qui a les
moyens de s'offrir une tombe sur la rive occidentale de Ouaset. Le faste des cérémonies
est remplacé chez les plus démunis par le recueillement de la famille et les offrandes se
bornent à quelques objets usuels placés dans une tombe de fortune voire une fosse com-
mune située à l'extérieur de la ville.

La pesée du cœur par Anubis et la menace de l'anéantissement


120
Le voyage dans l'au-delà

Maintenant que les préparatifs sont achevés, que le corps bardé de protections ma-
giques repose dans l'obscurité de la tombe close et que des offrandes attendent le
ka du défunt, le plus difficile reste à faire : traverser l'au-delà pour y réclamer l'im-
mortalité.

L'âme du disparu est aux portes de la Douat, royaume nocturne des morts situé
entre le ciel et la terre. Le voyage qui s'annonce est périlleux car la Douat est un
monde hostile et complexe, peuplé de génies agressifs et de féroces gardiens. Heu-
reusement, le défunt peut compter sur un véritable « guide de survie dans l'au-delà  
qu'il a pris soin d'emporter avec lui : le Livre des Morts.

À la fois recueil de formules, de rituels et d'informations vitales sur la géographie


de la Douat, le Livre des Morts, ou Livre de la Sortie au Jour, est une compilation
hétéroclite de textes magiques rédigée sur du cuir ou du papyrus et placée auprès
de la momie. Grâce à ce précieux bagage, le défunt peut retrouver son chemin dans
la Douat, vaincre les créatures qui s'opposent à lui et se remémorer les règles parti-
culières qui régissent le monde des morts.

D'après ces documents, la terre qu'il doit parcourir ressemble fort à l'Égypte des vi-
vants, traversée par un grand fleuve et divisée en douze régions qui correspondent
chacune à une heure de la nuit. On y retrouve des nomes, des capitales et des dieux
locaux ainsi que toute une population d'esprits et de génies dont beaucoup s'ef-
forcent d'égarer voire de détruire l'âme du défunt.

Après avoir échappé à Apophis, aux serpents et aux démons, après avoir franchi des
rivières en ébullition et des marécages grouillant de singes vindicatifs, le mort par-
vient enfin au terme de son périple. Il est arrivé en Amenti, le « Bel Occident » situé
dans la région de la cinquième heure, et c'est ici que l'attend son ultime épreuve :
comparaître devant le tribunal divin présidé par Osiris.

121
Anubis accueille le défunt et le guide jusqu'à une salle où se tiennent Osiris, Isis et
Nephthys ainsi que les 42 juges qui assisteront à l'audience. La balance de justice
trône au milieu de la pièce et le cœur ib du mort est placé sur l'un de ses plateaux
tandis que la plume de Maât est déposée sur l'autre. Pendant qu'Anubis manipule
la balance, Thot, calame en main, se tient prêt à consigner par écrit les résultats
du jugement. Le défunt peut maintenant défendre son cas et justifier sa requête
d'immortalité. Il affirme avoir mené une vie honnête en accord avec les principes
de Maât et énonce en une longue litanie les nombreuses fautes qu'il s'est gardé de
commettre au cours de son existence terrestre : c'est la confession négative.

« Je n'ai pas infligé de souffrances aux hommes, je n'ai pas commis de crime, je
n'ai pas été injuste, je n'ai pas blasphémé... » affirme-t-il à Osiris en répétant avec
soin les formules du Livre des Morts. Il se tourne ensuite vers les 42 assesseurs
auxquels il s'adresse directement pour attester sa droiture morale. À cet instant,
la force bénéfique des textes magiques, des amulettes et des paroles des prêtres
peut faire toute la différence entre la vie éternelle et une deuxième mort. En effet,
s'il s'avère que le défunt essaie de dissimuler ses méfaits et que ses protections ma-
giques sont insuffisantes, son cœur chargé de pêchés fait basculer le plateau de la
balance et son indignité éclate au grand jour. Il est alors dévoré par la monstrueuse
Ammout, la « Mangeuse de Cœurs », une créature hybride mêlant crocodile, lion et
hippopotame.

Si les deux plateaux de la balance restent équilibrés, le mort est reconnu maa kherou,
« juste de voix », et il est autorisé à vivre dans la paix pour l'éternité. Pendant la jour-
née, il pourra retrouver le monde terrestre et profiter de l'existence rieuse décrite
sur les parois de sa tombe. La nuit, il accompagnera Rê dans sa barque solaire et
connaîtra la douceur des champs d'Ialou, une terre riche et fertile qui n'est autre
qu'une version paradisiaque de la campagne égyptienne.

122
Point Jeu • Le spectre du Parc aux Iris
Depuis la mort du vieux jardinier Mérêrouka, les voisins du superbe Parc aux Iris qui
agrémente un quartier cossu de Ouaset ne trouvent plus le sommeil. On dit que toutes les
nuits, une forme fantomatique s'immisce dans le jardin pour prendre soin des fleurs, tail-
ler les bosquets et nettoyer les bassins à carpes. Selon les rumeurs, il s'agirait de Mérêrou-
ka, mais pourquoi le vieil homme n'a-t-il pas gagné le Bel Amenti malgré une inhumation
dans les règles ? Pourquoi poursuit-il son travail dans le monde des vivants ? Quel secret
veut-il faire éclater ?
L'affaire prend une nouvelle tournure lorsque les anciens maîtres de Mérêrouka dé-
couvrent une gerbe d'iris sur le pas de leur porte et reconnaissent le style caractéristique
de leur serviteur défunt. Le recours à un prêtre ou un sorcier semble être la seule option
pour se débarrasser de l'esprit indésirable... jusqu'à ce qu'un des fils de la maison découvre
dans le jardin des traces de pas suspectes... et parfaitement réelles.

Reproduire la vie dans la tombe pour accompagner le défunt


123
Vivre en Kémi

124
La société
L'Égypte a donné naissance à une société hautement structurée et hiérarchisée
dont le fonctionnement est en grande partie déterminé par son économie collecti-
viste et étatique et le statut divin de Pharaon.

Bien que la mentalité égyptienne n'ait jamais soutenu un système de castes ou de


classes sociales rigides, il est néanmoins possible de diviser la population en plu-
sieurs catégories : la force de travail et de production essentiellement composée
de paysans ; les citadins, artisans, commerçants et autres ouvriers spécialisés ; les
scribes, éléments de base de l'administration et la noblesse qui compte prêtres,
militaires et hauts fonctionnaires évoluant dans l'ombre de Pharaon. Il convient
d'ajouter à ces divisions sommaires le clergé et l'armée qui forment des corps trans-
versaux dont les représentants peuvent appartenir à plusieurs des classes énoncées
plus haut.

Dans les campagnes

Les sehetiou, « Ceux des champs », représentent l'immense majorité des quatre mil-
lions de personnes que compte l'Égypte de Touthmès III. Illettrés, strictement sou-
mis à l'administration à laquelle ils paient régulièrement un impôt en nature, les
paysans sont considérés comme des némehi ou huru c'est à dire des « faibles » ou des
« pauvres » contraints au respect des conditions de travail imposées par la bureau-
cratie. Conformément au modèle étatique égyptien, ils ne possèdent pas la terre
qu'ils exploitent mais peuvent en jouir à leur guise à condition qu'ils s'acquittent
des taxes annuelles. Lors de la crue du Nil, les paysans exécutent les corvées re-
quises par le pouvoir central et participent aux projets nationaux tels que le perce-
ment de canaux ou la construction de grands monuments. En cela, les paysans sont
le socle de la puissance économique et de la stabilité égyptiennes et représentent sa
frange la plus dévouée et industrieuse.

125
Dans les cités

Les artisans et divers ouvriers spécialisés que l'on trouve dans les villes et les vil-
lages occupent une place intermédiaire dans l'échelle sociale mais se hissent très
nettement au-dessus de la masse des sehetiou. Ils sont, comme les paysans, soumis
à la constante surveillance du pouvoir et l'artisanat égyptien semble condamné à
l'anonymat. Toutefois, la qualité de leur production peut leur permettre de se dis-
tinguer et d'obtenir quelque faveur de la part de l'administration. Les meilleurs
d'entre eux et les chefs d'équipe ou d'ateliers bénéficient ainsi de conditions de vie
largement supérieures à la moyenne, recevant notamment des avantages en nature
(nourriture, logement, bijoux, voire une tombe).

Le scribe, rouage de l'administration

Les scribes sont le symbole de la bureaucratie égyptienne et constituent la char-


pente de l'administration. Ces lettrés, privilégiés par leur maîtrise de l'écriture et de
l'arithmétique, sont chargés de superviser et de gérer la production nationale sans
jamais toutefois y participer directement. Les scribes jouissent ainsi d'un grand
prestige au sein de la population et ont conscience de la supériorité de leur statut :
ils sont les représentants du pouvoir central et font respecter sa voix, qu'il s'agisse
de prélever l'impôt, comptabiliser le bétail ou assister un haut fonctionnaire.

Beaucoup de postes sont transmis de père en fils mais la carrière de scribe est ac-
cessible à tout Égyptien qui souhaite pouvoir un jour gravir les échelons de l'admi-
nistration. En Égypte, bureaucratie rime avec méritocratie et il est possible, même
pour un fils d'ouvrier ou de paysan, de s'extraire de sa condition et d'accumuler
les responsabilités jusqu'à devenir un notable riche et respecté, comme maire, no-
marque ou même Tjaty.

126
Le pouvoir sait reconnaître l'importance cruciale des scribes dans le bon fonction-
nement de Kémi et cette infime minorité de fonctionnaires instruits (moins de
1 % de la population) forme une élite qui jouit d'avantages substantiels : outre le
fait qu'il n'a pas à se livrer à des activités physiques contraignantes, le scribe reçoit
de l'état un salaire confortable selon son grade et ses mérites (éventuellement des
terres, des serviteurs et un tombeau).

Le sommet de la pyramide

Les termes de noblesse ou d'aristocratie décrivent cette classe de notables très pri-
vilégiés récompensés par Pharaon pour les services que leur famille a rendus à l'état
depuis des siècles. Les Grands (ur en Égyptien) occupent des positions élevées dans
l'administration, l'armée et le clergé ou administrent de vastes domaines pour le
compte du roi. Malgré leur renommée et leur autorité politique, les familles nobles,
et notamment les gouverneurs de province, ont vu leur autonomie amoindrie par
les rois du Moyen et du Nouvel Empire afin de limiter les risques de rébellion. C'est
la raison pour laquelle certaines charges ne sont plus héréditaires. Néanmoins, les
grandes familles implantées dans les hautes sphères du pouvoir depuis plusieurs
générations conservent une grande influence et savent l'entretenir.

Les nobles sont destinés à des carrières prestigieuses, aussi reçoivent-ils un en-
seignement de scribe dans les Maisons de Vie ou, pour les plus hauts placés, dans
l'Opet du Palais Royal (Voir Le Harem).

Au sommet de cette aristocratie se trouvent enfin les imakhou, c'est à dire les plus
proches collaborateurs de Pharaon, amis du roi et membres de la cour dont le statut
personnel se mesure à la proximité du souverain.

127
La vie rêvée de la noblesse égyptienne

L'armée et le clergé

L'armée et le clergé forment des groupes parallèles à la société civile dont les
membres bénéficient de la générosité des rois du Nouvel Empire. Du fait de leur
formation de scribe et de la spécificité de leurs charges, les prêtres et les officiers
sont des citoyens particulièrement respectés et sont rémunérés en conséquence.
Dans les deux cas de figure (quoique les carrières militaires soient tout particuliè-
rement considérées par les rois guerriers de Ouaset), ces positions constituent un
excellent tremplin pour les ambitieux qui recherchent le pouvoir, la richesse et la
gloire. Les notables de ces deux institutions cumulent d'ailleurs fréquemment des
charges et des titres dans les domaines civil, religieux et militaire.

128
L'esclavage

Contrairement à une idée solidement ancrée, la puissance de l'Égypte ne s'est pas


bâtie sur l'esclavage : tous les citoyens de Kémi sont théoriquement libres et égaux
aux yeux de la loi. Certes, les paysans soumis au paiement de l'impôt et aux corvées
annuelles ainsi que les soldats du rang mènent une vie difficile et leurs options sont
réduites mais le droit de posséder des biens et de disposer de leur propre personne
ne leur est jamais dénié. Nourris, logés et rémunérés par l'état, les ouvriers qui bâ-
tissent les temples et les tombes sont même plutôt favorisés et la vision de pyra-
mides édifiées sous la menace des coups de fouet est une illusion hollywoodienne.

Il existe toutefois en Égypte un état servile que partagent les prisonniers de guerre
(fort nombreux en l'An 25 du fait des victoires de Touthmès sur les pays d'Asie), cer-
tains condamnés et les personnes dont la pauvreté ou les dettes n'offrent aucune
autre alternative que de se vendre à un maître ou à une institution. Mais même
dans cette situation, le « serviteur » conserve des droits irréductibles, comme celui
de se marier ou de posséder des biens et il lui est toujours possible, si les conditions
lui sont favorables, de devenir à nouveau un homme libre à part entière.

A contrario, les déserteurs et les criminels condamnés aux travaux forcés n'ont plus
aucun droit et leurs éventuelles tentatives de fuite sont sanctionnées par la mort.

Une société multiraciale

L'Égypte est un mélange d'ethnies issues du brassage entretenu depuis des millé-
naires dans la vallée et le delta du Nil. Il n'existe pas de « race égyptienne » dotée
de caractéristiques physiques propres et on rencontre en Kémi un large éventail
de profils mêlant les types méditerranéens et négroïdes : cheveux lisses ou crépus,
peaux claires, mates ou noires... Contrairement à l'appartenance à un groupe so-
cial ou géographique, le type racial ne revêt en Égypte aucune importance. À titre
d'exemple, lorsque l'on parle des « Noirs », il s'agit simplement d'une manière com-
mode de désigner les Nubiens.

129
L'économie
Pharaon étant propriétaire de la terre d'Égypte, l'économie nationale est presque
intégralement gérée par l'administration qui a mis en place un système collectiviste
au sein duquel les richesses produites par les paysans, les éleveurs, les pêcheurs, les
artisans et les ouvriers sont rigoureusement recensées, prélevées et redistribuées
sous le contrôle de l'état.

Force est de reconnaître qu'en l'absence de guerres et de conditions climatiques


extrêmes, la planification de l'économie « à l'égyptienne » est une réussite. Ce mo-
dèle étatique et centralisé atteint son objectif de mettre le peuple à l'abri du besoin
tout en autorisant le développement d'un commerce de proximité qui facilite les
échanges en marge du système officiel.

Le fruit de la Terre Noire

La société et l'économie égyptiennes se sont construites autour d'un impératif mil-


lénaire : rendre accessible à tous les ressources issues de l'agriculture. L'exploita-
tion de la terre fertile déposée par le Nil est une entreprise colossale qui mobilise
plus de 90 % de la population et requiert toutes les capacités de gestion et d'organi-
sation de la bureaucratie. C'est pour cette raison que les crues du fleuve rythment
la vie du pays et qu'elles sont à l'origine du calendrier égyptien, constitué de trois
saisons de quatre mois (voir également Le Nil, source de vie).

À la fin du mois de juin, la crue du Nil marque le début de la nouvelle année et de la


saison d'Akhet, c'est à dire la saison de l'Inondation. Les terres étant sous les eaux,
les paysans sont réquisitionnés pour la réalisation de grands travaux publics ou
commandés par les temples. Pendant ce temps, l'administration évalue la produc-
tion agricole à venir en se fondant sur la hauteur de la crue et calcule les quantités
de céréales et autres légumineuses qu'elle exigera des sehetiou (voir l'impôt bakou,
plus loin).

130
En novembre, le retrait des eaux permet aux paysans de procéder aux semailles et
aux labours : c'est la saison de Peret. Il s'agit d'une phase critique où la prévoyance
de l'administration est mise à l'épreuve. En effet, si le réseau d'irrigation (digues,
canaux) n'a pas été correctement entretenu, si la montée des eaux n'a pas été suffi-
samment planifiée ou si les scribes ne contrôlent pas consciencieusement le travail
des agriculteurs, les récoltes ne seront pas à la hauteur des attentes et le pays risque
la disette.

La saison des Moissons, ou Shemou, débute en avril. L'orge, le blé, le lin, la vesce et
autres produits provenant des potagers sont récoltés, transportés, conditionnés et
entreposés dans les greniers de la ville ou du domaine divin. Toutes ces opérations
sont réalisées sous l'étroite surveillance des scribes qui consignent par écrit la na-
ture et la quantité des denrées collectées.

L'impôt bakou

La répartition des richesses en Égypte n'est pas fondée sur le commerce mais sur
un système de taxes prélevées par l'état. Cet impôt, nommé bakou, prend géné-
ralement la forme de ponctions en nature sur les produits de l'agriculture et de
l'élevage, mais également de corvées annuelles dont sont redevables les sehetiou
désœuvrés pendant la saison d'Akhet. Ce schéma est répété dans tous les corps de
métier susceptibles de produire ou de fabriquer des biens (mineurs, pêcheurs...),
ainsi que chez les artisans dont les travaux sont collectés par l'administration ou
par les temples.

L'énorme masse de denrées alimentaires (céréales, fruits, légumes, viande, pois-


sons, bétail...), de matériaux bruts (or, minéraux, bois...) et d'objets manufacturés
issue de la redevance est comptabilisée et stockée par les nombreux représentants
du département des finances avant d'être redistribuée à la population selon les be-
soins et le statut de chacun. Cette tâche complexe requiert un important contingent
de fonctionnaires lettrés chargés du recensement et de divers contrôles. L'image
quelque peu caricaturale du scribe procédurier et tatillon qui nous est parvenue
trouve son origine chez ces employés de Pharaon qui entretiennent des rapports
fréquents et parfois conflictuels avec la population.

131
Il est à noter que les domaines divins sont le plus souvent exemptés d'impôt par
l'état grâce aux chartes d'immunité et qu'ils peuvent réclamer des taxes à la popu-
lation qui exploitent leurs terres.

Un peuple au service de l'état

Finalement, qu'il s'agisse de l'agriculteur qui remplit les greniers de sa cité ou du


superviseur de la Maison de l'Or d'où sortent de somptueux bijoux destinés aux
nobles et à Pharaon, tous les Égyptiens contribuent à la bonne santé de l'état. Ils
forment un peuple de fonctionnaires soudés par un solide sentiment national et
sont pour la plupart conscients que leurs efforts bénéficient à l'ensemble de la col-
lectivité.

Par voie de conséquence, la théorie veut que le peuple ne possède rien. Il n'est qu'un
usager des terres, des demeures et des biens mis à disposition par Pharaon : la pro-
priété privée n'existe pas et les exigences de la vie quotidienne doivent être satis-
faites, soit par une production personnelle (c'est le cas des sehetiou qui consomment
le fruit de leur propre travail, des artisans qui utilisent les objets qu'ils fabriquent),
soit par les rémunérations en nature attribuées par l'administration.

La réalité est moins rigide et il est admis au Nouvel Empire que les biens confiés
par l'administration ou acquis par ailleurs sont la propriété de leur utilisateur. C'est
d'ailleurs ce qu'attestent les nombreuses dispositions légales permettant aux Égyp-
tiens de gérer leurs possessions (contrats de mariage, héritages...) ainsi que le dé-
veloppement d'un commerce local qui envahit les rues et les places des cités.

132
Scènes de moissons pendant la saison de Shemou

Le commerce

Pilier du rayonnement international et de la richesse de l'Égypte, le commerce


extérieur est une activité entièrement gérée par le gouvernement et confiée à des
marchands officiels nommés par l'administration. Les marchés sont conclus au
nom de Pharaon et toute initiative privée en la matière est prohibée. La domina-
tion militaire qu'exerce actuellement Touthmès III sur ses voisins, notamment
l'Asie et la Nubie, change quelque peu la donne des échanges commerciaux et les
transactions qui étaient jusqu'alors fondées sur le troc évoluent vers le prélèvement
d'un tribut sur les nations conquises. Pharaon sait toutefois qu'il n'a aucun intérêt
à saigner les pays sous protectorat égyptien et il cherche à entretenir un équilibre
qui concourt à enrichir l'Égypte tout en préservant la stabilité politique de l'empire.

133
L'Égypte importe d'Asie du bois de construction, du cuivre et des pierres précieuses
et semi-précieuses provenant des mines du Sinaï. Les pistes caravanières qui des-
servent les territoires asiatiques via la côte méditerranéenne ou par l'intérieur des
terres sont jalonnées de puits et de forts construits par les rois du Moyen Empire
afin de lutter contre les nomades. Elles sont nommées « le Chemin d'Horus ». Il est
également possible de gagner le port de Keben sur la côte du Réténou par navire.

Ouverte sur l'Afrique, la Nubie fournit à l'Égypte de de grandes quantités d'or, du


cuivre, de l'ébène, des peaux de bêtes, des animaux et des parfums. Le Nil consti-
tue un excellent moyen de transport des marchandises depuis la Basse Nubie
mais au-delà de la première cataracte, il est beaucoup plus aisé d'utiliser les pistes
qui longent le fleuve et s'enfoncent au sud en direction de Ouaouat et du Pays de
Koush. Ici aussi, les routes commerciales sont solidement tenues par les forces
égyptiennes qui stationnent dans d'imposantes forteresses de briques, comme
celle de Bouhen.

Les expéditions en Mer Rouge à destination des Pays du Dieu (ou Échelles de l'En-
cens) rapportent de la myrrhe, des peaux de léopard, de l'or, de l'encens et de l'ivoire.

Dans ce dernier cas, la monnaie d'échange utilisée par les Égyptiens se limite à des
objets manufacturés sans grande valeur mais l'essentiel des exportations de Kémi
est constitué d'or et, surtout, de céréales destinées à la Nubie et à ses voisins asia-
tiques. (Voir également Les richesses naturelles de l'empire égyptien).

Le commerce intérieur est relativement limité du fait du rôle central que joue l'état
dans la répartition des richesses. Néanmoins, il constitue un moyen sûr et rapide
d'échanger des biens de consommation courante au niveau local, essentiellement
des surplus proposés par les artisans, les paysans et les éleveurs. Toutes les cités
et les villages disposent de marchés où sont négociés du grain, des légumes, des
animaux, du vin, de l'huile ainsi que des bijoux, des vêtements, des parfums, des
amulettes...

134
L'argent n'existe pas en Égypte mais le troc traditionnel s'appuie sur un système
de tarification abstrait qui sert à quantifier et clarifier les échanges. En associant à
chaque objet à vendre une valeur mesurée en deben, c'est à dire un poids standard
de métal de 91 grammes, ou en kit (un dixième de deben), il est possible de réaliser
des transactions (a priori) transparentes et incontestables. On distingue des deben
de cuivre, d'argent et d'or de valeur croissante qui prennent la forme de fils de mé-
tal repliés ou d'anneaux mais ils ne constituent pas une monnaie au sens où nous
l'entendons : il faudra attendre quelques siècles avant que les deben puissent être
directement échangés contre des marchandises.

Ce marché parallèle, inspiré par les pratiques des marchands asiatiques, complète
le système promu par l'état en offrant à l'ensemble de la population un espace de
liberté qui permet à chacun d'améliorer son ordinaire.

Le savoir
L'écriture

Il faut remonter à la période prédynastique pour trouver les premières traces du


système de « signes-images » élaboré par les Égyptiens : l'écriture hiéroglyphique,
dont l'usage était cantonné aux documents commémoratifs et funéraires. Elle était
alors déjà reconnue, au même titre que la parole, comme un formidable outil d'évo-
cation magique qui permettait de mettre l'homme en relation avec les dieux.

En effet, ces signes gravés dans la pierre, les médou netjer (ou « mots des dieux ») ont
le pouvoir de manifester ce qu'ils désignent, qu'il s'agisse de foudroyer l'ennemi ou
d'offrir la renaissance à l'âme du roi défunt. À la différence de la parole qui s'éva-
nouit dès que les mots ont été prononcés, les hiéroglyphes sont figés dans la ma-
tière et leur puissance perdure par-delà les siècles. La longévité du roc associée au
pouvoir sacré des médou netjer explique l'omniprésence de textes hiéroglyphiques
sur les parois des monumentaux édifices de pierre produits par l'architecture égyp-
tienne (Voir La magie Héka, Le temple, demeure du Dieu et La demeure d'éternité).

135
L'écriture hiéroglyphique est une combinaison de plusieurs systèmes de représen-
tation. Ses éléments de base sont de très anciens idéogrammes (animaux, végétaux,
parties du corps humain, objets de la vie courante) dans lesquels transparaissent
la fascination du peuple égyptien pour la nature qui l'entoure et son sens aigu de
l'observation. Les signes qui composent le vocabulaire graphique de la langue ex-
priment directement ce qu'il représentent, que ce soit un objet, un être vivant ou
une action : le dessin d'un disque désigne le soleil, celui d'un archer agenouillé si-
gnifie « armée ».

Mais les idéogrammes montrant rapidement leurs limites lorsque l'on souhaite
traduire des notions abstraites, l'écriture évolua vers un système qui exploite la
valeur phonétique des hiéroglyphes. Les signes furent alors utilisés indépendam-
ment de leur signification première et combinés sous formes de « rébus » pour
former de nouveaux mots. Chaque hiéroglyphe utilisé en tant que phonogramme
correspond à une, deux ou trois consonnes et ne donne aucune indication quant à
la prononciation des voyelles, à l'instar de l'arabe ou de l'hébreu contemporains. Un
même signe ou assemblage de signes peut ainsi avoir des sens différents que l'on
distingue grâce au contexte de la phrase ou par le biais d'un symbole spécial placé
à la fin du mot et qui en précise la catégorie lexicale : le déterminatif. On considère
qu'un scribe accompli connaît au moins 750 signes de base et ce nombre augmente
chez les prêtres qui doivent retranscrire fidèlement les concepts les plus pointus de
la philosophie égyptienne.

La composition graphique des textes et leur articulation autour des grandes figures
gravées ou dessinées sur les murs des tombes et des temples sont le produit d'une
véritable mise en scène symbolique et esthétique guidée par la recherche d'une
forme d'harmonie visuelle. Les hiéroglyphes peuvent s'écrire en colonnes, de haut
en bas ; ou en lignes, de droite à gauche et de gauche à droite, le sens de lecture
étant indiqué par la direction vers laquelle sont tournés les symboles (Voir Art sacré
et artisans).

136
Sous le règne de Touthmès III, les médou netjer sont plus que jamais utilisés à des
fins rituelles dans les monuments religieux, sur les stèles et les statues, et leur fonc-
tion magique restera inchangée jusqu'en l'année 394 de notre ère, date à laquelle
les derniers textes hiéroglyphiques seront gravés sur les murs du temple d'Isis, à
Philae.

Le hiéroglyphique, complexe et très codifié, a rapidement donné naissance à une


écriture plus souple d'emploi nommée hiératique. Cette écriture cursive, simpli-
fiée et abrégée est couramment utilisée par les scribes pour rédiger des textes lit-
téraires, religieux, juridiques, scientifiques ou administratifs. On écrit l'hiératique
de droite à gauche à l'aide d'un stylet de jonc ou de roseau nommé « calame » pré-
alablement trempé dans de l'encre noire ou rouge stockée et délayée dans les go-
dets d'un longue palette de bois ou d'ivoire qui fait également office de plumier.
Les supports les plus courants du hiératique sont les ostraca (éclats de poterie et de
pierre), le cuir, le bois et surtout les célèbres rouleaux de papyrus (medjat en égyp-
tien) fabriqués à partir du cœur fibreux de la plante.

Les mots des dieux


137
Point Jeu · Cambriolage littéraire
La maison du noble Néferhotep a été cambriolée en pleine journée par un groupe d'in-
connus. Le plus étrange est que peu d'objets de valeur ont été dérobés et c'est avant tout la
bibliothèque qui semble avoir été visée : de nombreux papyrus copiés ou composés par le
grand scribe et poète local Penmaât ont disparu. S'agit-il d'un vol ordonné par un collec-
tionneur... ou un rival du célèbre écrivain ?

De la même manière que l'hiéroglyphique entretient un jeu subtil entre texte et


image, les nombreuses combinaisons et jeux de mots permis par l'écriture égyp-
tienne offrent à la littérature une vaste gamme de nuances symboliques et de mul-
tiples niveaux de lecture. Alors que l'Ancien Empire nous a essentiellement fourni
des textes funéraires, des biographies et des enseignements philosophiques et mo-
raux, les temps troublés de la première période intermédiaire ont donné naissance
à une littérature variée et tourmentée dont le lyrisme pessimiste s'exprime notam-
ment dans le Chant du Harpiste. Composés pendant le Moyen Empire, le Conte
de Sinouhé et le Conte du Naufragé constituent de superbes exemples de cet âge
classique qui s'illustre par ses « romans » fantastiques, ses récits mythologiques et
son goût de la satire (Voir La Première Période Intermédiaire et Le Moyen Empire). Le
Nouvel Empire prolonge et développe les genres des siècles passés au travers d'une
production très diversifiée : hymnes, poèmes, chansons, prophéties, qui illustrent
bien l'exceptionnelle vitalité du peuple égyptien.

Les sciences

Les surprenantes réussites techniques de la civilisation égyptienne peuvent laisser


penser qu'elles s'appuient sur des théories scientifiques sophistiquées et éprou-
vées. Il n'en est rien. Les « chercheurs » de Kémi sont avant tout des érudits et des
artisans qualifiés en quête de résultats concrets et non d'explications profondes
quant aux mécanismes qui régissent notre monde. Les connaissances empiriques
qu'ils ont accumulées s'avèrent parfois étonnamment pertinentes (en astronomie,
en architecture, en mathématiques...) mais elles sont partielles et fréquemment
mêlées à des conceptions religieuses traditionnelles.

138
Les mathématiques et la géométrie sont nées avec la nécessité pratique de compta-
biliser le produit des recensements, de mesurer la surfaces des parcelles agricoles,
de calculer le volume des greniers, d'attribuer les salaires, de tracer le plan des mai-
sons et des édifices de pierre... Parfaitement adaptées à leur objectif utilitaire, ces
disciplines s'appuient sur des opérations simples (base 10 dépourvue de 0, addi-
tion, multiplication en base 2, fractions...) que les architectes et les comptables de
la bureaucratie ont poussées dans leurs retranchements pour élaborer des outils
particulièrement puissants. Il ne fait nul doute que la connaissance des élévations
et des racines carrées, de l'aire du cercle, des angles et même d'une approximation
de Pi furent de toute première utilité dans un chantier comme celui des pyramides.

Bien qu'elle soit fondée sur une observation rigoureuse et méthodique de la voûte
céleste, l'astronomie n'a pas la prétention de décrypter les rouages de la mécanique
cosmique. Ses applications concernent essentiellement la sphère religieuse et les
prêtres horologues postés sur les toits des temples s'en servent chaque nuit pour
déterminer les heures et les jours fastes et néfastes, choisir le meilleur moment
pour réaliser les rites ou définir l'orientation des monuments sacrés.

L'élaboration d'une cartographie céleste, le calendrier stellaire, la division de la nuit


en heures et le repérage nocturne des points cardinaux constituent les grands ac-
complissements de cette science qui a également su identifier les constellations les
plus communes (Orion, Cassiopée...) et différencier les étoiles fixes et « Indestruc-
tibles » des planètes, mouvantes et « Infatigables ». Le soleil et la lune échappent à
ce type d'analyse et sont toujours considérés comme des entités divines.

Le calendrier et les unités de mesure du temps découlent directement des observa-


tions des cycles solaire et lunaire. L'année égyptienne compte 12 mois de 30 jours
auxquels on rajoute cinq jours « épagomènes » (soit un total de 365 jours). Le début
de l'année est marqué par le lever de l'étoile Sepedet (Gr. Sothis, Sirius) qui coïncide
avec la crue du Nil et permet de superposer à ce système astronomique le vieux
calendrier agraire, célèbre pour ses trois saisons de quatre mois : Akhet, Peret et
Shemou (Voir Le Nil, source de vie et Le fruit de la Terre Noire ).

139
Les jours et les nuits sont divisés en douze heures de durée variable selon l'époque
de l'année et leur écoulement est mesuré à l'aide de clepsydres à eau (invention
du Nouvel Empire), de cadrans solaires (dont certains sont portatifs) ou de ces
étonnantes tables stellaires à l'aide desquelles deux personnes peuvent connaître
l'heure en se fiant à la seule position des astres.

Poids, longueur, temps et autres mesures


L’unité de longueur utilisée en architecture est la coudée royale meh nesout (52,3 cm), di-
visée en 7 paumes shesep (environ 7,5 cm), soit 28 doigts djeba (environ 1,9 cm). Dans la vie
courante on utilise la petite coudée de 43 cm qui contient 6 paumes.
100 coudées royales constituent un khet (52,3 m). Les grandes distances sont exprimées en
iterou, soit 20 000 coudées (environ 10,5 km). Il existe d’autres unités mais elles sont peu
usitées (l’épaule remen de 5 coudées, la main de 5 doigts djeba.
L’unité de surface est le setshat (de 100 coudées royales de côté, soit 2735 m²). On utilise
également le meh ta (10 coudées de côté, soit environ 27 m²) et le « millier » qui compte 10
setshat et représente 2,7 hectares. Les subdivisions sont l’épaule remen, keseb et sa (respec-
tivement la moitié d’un meh ta, le quart et le huitième).
Les unités de capacité sont nombreuses et dépendent de la substance à mesurer. Les plus
courantes servent à quantifier les volumes de grain en heqat (4,8 litres) dont on utilise des
multiples tels que le double-heqat (9,6 l), l’ipet (4 heqat, soit environ 20 l) et le khar (16 heqat,
soit environ 80 l). Les autres produits disposent d’unités dédiées comme le pot des pour
les liquides courants (environ un demi litre), les jarres aat pour la graisse d’oie et autres
paniers, caisses ou jarres.
Il existe deux types d’unités de poids. Les premières servent à représenter la masse réelle
d’un produit mais on leur substitue habituellement les unités de volume. Les secondes
ne sont utilisées que pour quantifier la valeur d’un produit en lui associant un « équiva-
lent-poids» de métal. Prenant la forme de cônes, de sphères, d’anneaux ou de statuettes,
les poids d’or, d’argent ou de cuivre ne sont ainsi considérés que pour leur valeur « moné-
taire » qui permet de réaliser des échanges équitables. Le deben de 91 grammes, divisé en
10 kit est la base de ce système. (Voir Le commerce).

140
Selon la géographie égyptienne, le monde se résume à un disque de terre traversé
de part en part par le Nil et entouré d'un immense océan. Au centre de cet unique
continent se trouve Kémi, la terre fertile et civilisée qui longe le cours du fleuve.
Les déserts qui enserrent la vallée sont le domaine des nomades réputés pour leur
férocité puis l'on trouve les nations barbares que les Égyptiens nomment les « Neuf
Arcs » (pesedjet padjaout). Au sud se situe la Nubie, nommée Noub, et les pays de
Koush et de Ouaouat. À l'ouest, le désert et la côte méditerranéenne abritent les
libyens Téhénou et les étranges Téméhou, des hommes blonds aux yeux bleus qui
ne sont autres que les ancêtres des Berbères. Au-delà des montagnes escarpées du
désert oriental se trouve la Mer Rouge qui mène aux mystérieuses Échelles de l'En-
cens. Au nord, la Crète (Keftiou) qui trône au cœur de la « Grande Verte » (la Mer
méditerranée) est en contact régulier avec l'Égypte tandis qu'au nord-ouest, Kémi
s'ouvre sur l'Asie. C'est dans cette dernière région que le pays compte ses plus nom-
breux et plus influents voisins (Voir Les nations asiatiques).

Carte des mines du Sinaï


141
Les navigateurs et les caravaniers utilisent des cartes sommaires mais efficaces
qui leur permettent de s'orienter près des côtes et dans le désert. Les explorateurs
utilisent et enrichissent régulièrement ces documents de papyrus où figurent les
repères susceptibles de les guider lors de leurs voyages : profil des reliefs, monts,
vallées, puits, mines...

Les nations asiatiques


Les Égyptiens nomment « Archers », « Porteurs de pagnes » ou « Coureurs du désert » les
peuples nomades du Sinaï et du sud de la Palestine. Ils les désignent également sous le
terme générique d’Aamou. Plus au nord, dans le pays de Réténou, (Canaan), les Aamou
côtoient les tribus d’Apirou auxquels on attribue parfois la paternité du peuple hébreu.
Les marchands et les ambassadeurs de Kémi connaissent fort bien les richissimes ports
de la côte phénicienne avec lesquels ils commercent depuis de nombreux siècles. Sous le
règne de Touthmès III, toute la zone (Keben, Arvad, Béryte, Ougarit, Sidon...) est placée
sous protectorat égyptien. Non loin des montagnes du Caucase, le tout jeune état du
Mitanni ne cache pas son hostilité envers l’Égypte et recherche l’affrontement depuis
plusieurs années. En l’An 25, la situation est très tendue entre les forces égyptiennes et les
troupes mitanniennes mais les premières batailles ne feront rage que dans quelques an-
nées pour se solder par la victoire de Touthmès et l’établissement de fructueuses relations
diplomatiques entre les deux pays.
Les obstacles naturels et politiques qui existent entre Kémi et les autres états mésopota-
miens (Assyrie et Babylonie) limitent grandement leurs relations. Il en est de même pour
le peuple Hittite d’Anatolie qui est isolé de l’empire égyptien par le Mitanni et semble se
satisfaire de cette situation. En l’an 30, le coup d’éclat de Touthmès contre les Mitanniens
convaincra les Hittites d’accepter eux aussi la domination égyptienne.

142
Les maladies et les accidents n'épargnent aucune couche de la population égyp-
tienne et les médecins de Kémi ont développé de nombreuses méthodes afin de sou-
lager leurs patients. On peut globalement distinguer deux types de médecine.

La première est une discipline rationnelle, fondée sur des connaissances empi-
riques qui s'appuient sur des millénaires d'observation consignées dans une lit-
térature abondante et en constante évolution. Ses praticiens, les médecins sounou,
procèdent à un examen détaillé du patient et confrontent ses symptômes aux
textes de référence. Une fois le diagnostic établi, les sounou prescrivent un traite-
ment adapté sous la forme de bouillies, boissons, cataplasmes, onguents et autres
décoctions fabriquées à partir de substances naturelles (plantes, graines, résine,
minéraux) dont les propriétés sont peu à peu établies par l'usage. Des instructions
précises sont fournies en cas de blessures, de fractures, de luxations, de tumeurs et
recommandent parfois la chirurgie que les médecins pratiquent à l'aide de bistou-
ris malgré des lacunes notables en anatomie et en physiologie.

La seconde approche de la médecine avance que la plupart des maladies qui af-
fectent les hommes sont d'origine surnaturelle et que seule la magie peut les guérir.
On voit ainsi de nombreux sorciers saou, des exorcistes et des prêtres spécialisés
recourir à des incantations et des formules afin de chasser du corps du malade les
démons ou les esprits malfaisants à l'origine de son affliction. De même, les prêtres
Ouabou de Sekhmet imputent certaines maladies à la colère de leur déesse et usent
de rituels religieux pour en libérer leurs patients.

Ces deux visions ne s'opposent pas mais se complètent et lorsque l'état des connais-
sances médicales ne permet pas d'identifier une maladie ou que les remèdes préco-
nisés par les textes se révèlent inefficaces, les médecins optent pour une hypothèse
surnaturelle.

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démons et remèdes
Cataracte, gastro-entérite, rhume, bilharziose, malaria, trachome, petite vérole, choléra,
rougeole, tuberculose, lèpre, silicose, pneumonie, tumeurs, arthrite, tétanos...
Ail et oignon : asthme et affections pulmonaires, maux de dents, prévention contre les
grippes
Coriandre : problèmes digestifs et urinaires
Noix d'acacia : brûlures
Mandragore du Réténou : aphrodisiaque
Huile de castor, figues et dattes : laxatifs
Henné : calvitie
Cannabis : antalgique
Miel, graisse et viande crue : plaies ouvertes
Galène et malachite : en ornement autour des yeux, bactéricide

Le scarabée funéraire de Hatnefer, superbe exemple d'artisanat égyptien


144
Les sounou apprennent leur art de leur père et peuvent se perfectionner dans les
Maisons de Vie où sont conservés et recopiés de nombreux textes fondateurs de
la science médicale. Presque tous les médecins sont spécialisés dans un domaine
particulier, comme les yeux, les « organes du corps cachés » ou les « liquides dis-
sous dans les humeurs » et les généralistes sont particulièrement respectés pour
l'étendue de leurs connaissances. Sur le plan social, les médecins ne jouissent pas
d'un statut privilégié et leur condition dépend directement du milieu dans lequel
ils officient : au yeux de l'administration, un médecin ne mérite pas un meilleur
traitement que les paysans qu'il soigne.

Gigantesque, subtile, équilibrée, organique. Les mots manquent pour qualifier


l'architecture égyptienne, véritable prodige technique et artistique où se ren-

contrent tous les aspects du génie de cette civilisation. La virtuosité avec laquelle
sculpteurs et architectes parviennent à exploiter les possibilités offertes par la
pierre est tout simplement confondante et suffit amplement à assurer au Double
Pays une renommée éternelle.

L'Égypte est en proie à une perpétuelle frénésie de construction et des milliers d'ou-
vriers, manœuvres, artisans qualifiés, scribes et superviseurs des travaux s'activent
sur les chantiers des temples funéraires et divins, hypogées, mastabas et autres édi-
fices sacrés auxquels est réservé l'usage de la pierre. Malgré leurs dimensions par-
fois colossales et la complexité de leur conception, les édifices de granite et de cal-
caire que les architectes destinent à l'immortalité sont construits avec des moyens
étonnamment rudimentaires : outils de pierre et de bronze, traîneaux, cordages,
principes mathématiques et géométriques de base.

Les bâtiments civils et militaires étant dépourvus de fonction magique, leur réali-
sation est plus sommaire et ils ne sont pas construits pour durer : les blocs de pierre
y sont remplacés par des briques d'argile séchée mêlée à de la paille (voir Villes et
habitations).

145
Art sacré et artisans
Les objets produits par les artistes de Kémi répondent à des exigences qui dé-
passent la simple recherche esthétique. En accord avec la pensée égyptienne, les
statues, les sculptures, les peintures et les monuments destinés à un usage officiel
assument une fonction à la fois magique et utilitaire en servant l'ordre politique et
religieux établi par Pharaon.

Pour mieux comprendre cette notion capitale, souvenons-nous que les temples
sont des « machines » à repousser le chaos, tout comme les pyramides sont des
« vaisseaux » construits pour assurer la renaissance du roi. Ces appareils spirituels
sont alimentés grâce à la puissance magique du verbe et de l'image et il appartient
aux artisans de respecter les immuables règles de construction dont dépend leur
bon fonctionnement. Ces règles sont fixées depuis la période thinite sous la forme
d'un ensemble de conventions symboliques et esthétiques, un canon auquel il est
impossible de déroger sous peine de nier la fonction sacrée de l'art et de le priver
de son efficacité.

Le profil égyptien
Dans une scène représentée sur le mur d'un temple, l'image se doit d'être parfaitement
intelligible, tout comme doit l'être le texte hiéroglyphique qui lui répond. C'est une condi-
tion indispensable à son efficacité magique. Aussi, l'usage de la perspective est proscrit
car ce procédé traduit une vision humaine, subjective et périssable incompatible avec le
message d'éternité que véhiculent les œuvres des artisans. C'est pour que la lisibilité du
message ne soit jamais troublée par les contingences de la réalité que les visages et les
bassins de profil se conjuguent à des yeux et des épaules représentés de face.

146
En cela, l'artiste se confond avec l'artisan car la fonction première d'une œuvre
n'est pas d'être vue ou appréciée pour sa beauté propre ou sa qualité d'exécution.
Ceci étant, les artisans les plus compétents parviennent à s'affranchir du cadre ri-
gide des conventions artistiques pour insuffler à leurs travaux une partie de leur
propre sensibilité.

Au Nouvel Empire, les artisans sont regroupés dans des ateliers privés et très
hiérarchisés qui travaillent collectivement pour le Palais Royal, la noblesse ou les
temples. Ils forment des confréries soudées qui occupent des quartiers précis de la
ville et sont représentés par des chefs d'ateliers et des superviseurs fort respectés et
proches des puissants. Ce fut le cas du grand architecte, médecin et mathématicien
Imhotep qui offrit à l'humanité son premier monument de pierre.

Les artisans jouissent d'un statut en rapport avec les tâches qui leur sont confiées
et les équipes qui travaillent sur les tombes royales ou les temples sont spéciale-
ment privilégiées. Ils sont néanmoins nombreux à travailler indépendamment des
commandes officielles et à livrer des objets de qualité aux particuliers qui ont les
moyens de se les offrir : tombes, statues funéraires, bijoux, décoration des habita-
tions...

Comme dans de nombreux autres domaines, les techniques ancestrales du métier


sont transmises de père en fils et l'apprenti complète parfois sa formation dans
les Maisons de Vie ou sur les places d'enseignement où il apprend à lire et à écrire.

147
Travaux préparatoires du visage de Senenmut, fidèle serviteur d'Hatshepsout

L'art égyptien s'exprime au travers de volumes, de couleurs et de formes qui com-


posent des ensembles si cohérents qu'il est parfois difficile d'établir une limite
franche entre peinture, sculpture et architecture. Fondamentalement, c'est dans
le dessin préparatoire que toute création artistique puise son sens et son homo-
généité car l'esquisse tracée sur le papyrus concentre déjà toutes les normes et les
lois esthétiques qui s'exprimeront dans l'œuvre finale. La forme initiale obéit à un
canon de proportions que les peintres et les sculpteurs suivent scrupuleusement
en traçant un quadrillage sur le support à travailler. Dans le cas d'un bas-relief ou
d'une peinture, les contours provisoires placés sur la grille de construction sont
éventuellement corrigés, puis la phase d'incision ou de mise en couleur peut dé-
buter.

148
La sculpture est une extension en trois dimensions des principes formels décrits
plus haut. Elle se décline sous des formes variées, notamment en architecture, mais
la statuaire est son visage le plus saisissant. Animés par les outils du sculpteur
qui est « celui qui donne la vie », le grès, le calcaire, l'albâtre, le schiste, l'or, le bois
ou l'ivoire accouchent de corps idéalisés qui serviront de supports matériels au ka
d'un défunt ou à l'essence d'un netjer. Malgré une évidente stabilité dans la concep-
tion, la production de statues est infiniment riche tant dans les thèmes abordés que
dans le style employé. Alors que l'intimité des tombes privées abrite des effigies des
défunts aux traits touchants de réalisme, le Nouvel Empire affirme son goût pour
le spectaculaire et les immenses représentations des rois et des dieux quittent la
pénombre des sanctuaires pour dominer le visiteur de toute leur masse.

Mentionnons enfin, la joaillerie et l'orfèvrerie, des disciplines dans lesquelles les


artistes de la 18e dynastie sont passés maîtres (Voir Parures et vêtements).

Il est important de noter que l'art et sa dimension magico-religieuse ne constituent


qu'un aspect de l'artisanat égyptien. Les rues sont emplies d'ateliers où officient
avec autant de sérieux et de dévouement que leurs prestigieux confrères une foule
d'artisans aux métiers plus communs mais néanmoins indispensables : forgerons,
charpentiers, maçons, ouvriers, tisserands, tailleurs, potiers, souffleurs de verre,
brasseurs, vanniers, boulangers, pâtissiers, fabricants de meubles et d'instruments
de musique... Tous pourvoient aux besoins essentiels de la population et contri-
buent à améliorer son séjour terrestre là où leurs collègues peintres, sculpteurs et
architectes traitent avec les arcanes du monde sacré.

Le maintien de l'ordre
La sécurité du pays est assurée depuis le début du Nouvel Empire par une armée
composée de soldats de métier et de nombreux mercenaires d'origine étrangère
(bédouins du désert, archers nubiens, guerriers libyens...).Les troupes sont orga-
nisées en divisions d'environ 5 000 hommes, dont 4 000 fantassins et 1000 soldats
affectés à la charrerie. Chacune de ces divisions est composée de 10 bataillons de
500 soldats, répartis en compagnies, pelotons et enfin escouades de dix hommes.

149
L'armement des soldats a connu une progression spectaculaire depuis l'invasion
Hyksôs qui a introduit en Égypte l'usage du bronze et du char de guerre. Les fantas-
sins utilisent couramment de courtes lances, des poignards, des dagues ainsi que
les traditionnelles massues à tête de pierre ou de métal. Leur arme de prédilection
est la hache asiatique à lame étroite qui perce armures et boucliers et remplace
avantageusement le modèle à longue lame tranchante. Les épées à lame de bronze
sont également répandues, sous leur forme droite ou recourbée (le fameux cime-
terre khépesh que porte le roi).

Le combat à distance est dominé par l'arc composite importé d'Asie qui tend à se
substituer à l'arc égyptien classique. Les fantassins utilisent encore fréquemment
des javelots de bois à pointe de bronze et des frondes. Les Nubiens sont réputés
pour leur grande maîtrise de l'arc à double courbure et des bâtons de jet.

Les soldats vont au combat pieds nus, vêtus d'une simple pagne renforcé d'une
pièce de cuir qui protège le ventre. Le bouclier traditionnel est un large panneau de
bois et de cuir à base rectangulaire. Il en existe une version de taille beaucoup plus
modeste, en cuir de crocodile, que l'on fixe sur l'avant-bras.

Les prestigieux chars de guerre tirés par deux chevaux embarquent un conducteur
et un archer. Ces équipements fort coûteux qui ont offert à Pharaon ses plus écla-
tantes victoires sont réservés à une élite fortunée et lettrée, souvent issue de la no-
blesse, qui incarne la puissance militaire égyptienne.

En temps de paix, tous les équipements militaires sont stockés dans les armureries
royales.

L'ordre public et le respect de la loi sont l'affaire de la police qui comprend deux
corps distincts. Le premier est celui des nouou, des policiers affectés à la surveil-
lance du désert qui parcourent les étendues désolés avec leurs grands chiens et
surveillent les déplacements des tribus nomades. On trouve dans leurs rangs les
meniou tjesenou chargés d'escorter les caravanes qui transportent l'or des mines de
Nubie, bientôt remplacés par les célèbres gendarmes nubiens : les medjaï.

150
Quant à la police urbaine, elle veille à la régularité des échanges commerciaux, ré-
prime les fraudes et punit les citoyens qui ne paient pas l'impôt. En plus de cette
fonction de contrôle économique gérée par les officiers du fisc Sa-per, la police joue
un rôle judiciaire. Ses représentants mènent des enquêtes, procèdent à des arresta-
tions et sont étroitement impliqués dans le fonctionnement de la justice.

Point Jeu • Raid dans le désert


Depuis plusieurs mois, une tribu de nomades harcèle un poste avancé d'exploration
minière dans le Désert Oriental. Malgré les efforts des Nouou de Nekheb, les criminels
restent introuvables et les pertes s'accumulent tant dans les rangs des mineurs que chez
les soldats chargés de les protéger. Le chef de la police locale, Paneb, suspecte que les
nomades se dissimulent dans un réseau de cavernes creusées dans les montagnes mais le
gouverneur du nome de la Région Sauvage refuse d'employer l'armée pour l'instant. Cela
fait une semaine qu'aucun messager n'est revenu du campement et le chef de la police sait
que des hommes sont en danger : outrepassant ses droits, il décide de monter une expédi-
tion pour venir en aide aux mineurs.

Parce que Maât est une règle universelle et incontournable, n'importe quel ci-
toyen est susceptible de tomber sous le coup de la loi et d'en subir les douloureuses
conséquences. Les fautes et les crimes punis par les tribunaux égyptiens sont nom-
breux : vol, falsification de documents officiels, abus de pouvoir de la part des fonc-
tionnaires ou des militaires, refus d'obéir à un représentant de l'état en mission,
corruption et tentative de corruption, parjure, fausses accusations et faux témoi-
gnages, violences, dégradation des biens publics, profanation des tombes ou des
lieux sacrés et autres injures faites aux dieux et à la personne royale. Les peines
ordonnées par les juges à l'issue du procès sont variées : bastonnade, emprisonne-
ment dans les geôles des temples, du palais ou de la police, confiscation (ou plutôt
restitution) des biens, amendes, travail forcé, mutilations voire même la peine de
mort pour les assassins et les traîtres.

151
Villes, villages et habitations
Des milliers de villages et des dizaines de cités se sont développés sur les berges du
Nil, de la Nubie jusqu'au delta. Un certain souci d'organisation transparaît dans la
structure même des agglomérations : si les modestes demeures de terre des villa-
geois sont simplement alignées de part et d'autre d'une rue principale, les grandes
cités suivent un plan orthogonal où de larges avenues se croisent à angles droits et
se ramifient en ruelles secondaires, définissant des îlots d'habitations. Les rives du
fleuve sont aménagées en quais et en bassins artificiels où stationnent des barges
de transport, des navires militaires, des bateaux de plaisance et une multitude de
barques légères employées par les pêcheurs et les chasseurs.

La masse compacte et enchevêtrée des bâtisses de briques, de bois et de roseaux des


quartiers populaires est divisée en districts qui reflètent l'occupation profession-
nelle de leurs occupants et dans une certaine mesure leur statut social. Les nobles et
les hauts fonctionnaires goûtent la quiétude des quartiers résidentiels, dans d'im-
menses propriétés desservies par de larges rues dégagées.

Élément incontournable des grandes cités, le domaine divin est une véritable ville
intérieure dominée par ses obélisques, ses oriflammes et l'énorme masse de ses
temples de pierre. Même au cœur de l'agglomération, l'espace sacré est protégé par
d'imposants remparts de briques percés de hautes portes auxquelles on accède par
des allées pavées et bordées de sphinx. Les domaines divins sont souvent dotés de
petits ports et de bassins navigables connectés au Nil par des canaux.

À l'image des temples et des demeures des notables, les bâtiments qui abritent les
institutions publiques sont placés à l'abri de murs défensifs qui facilitent leur sur-
veillance. Le plus imposant d'entre eux est bien sûr l'immense complexe architec-
tural du Palais Royal que l'on retrouve dans les villes de première importance, telles
que Mennefer, Ouaset ou Itj-Taouy. Vue de l'extérieur, la résidence de la famille
royale et les nombreux bâtiments que requiert son fonctionnement s'apparentent
d'ailleurs plus à un fort militaire qu'à un palais traditionnel.

152
Les maisons du peuple forment d'étroits appartements de plain pied accolés les
uns aux autres. D'une surface variant entre 50 et 100 m², elles accueillent toute la
famille dans une succession de pièces disposées en enfilade. La porte d'entrée,qui
donne directement sur la rue, s'ouvre sur une petite salle de réception placée en
contrebas puis quelques marches permettent d'accéder au séjour soutenu par une
ou plusieurs piliers de bois. Cette pièce dispose d'une banquette, de braseros et
d'une alcôve où sont placées des statues divines et des représentations des ancêtres
auxquelles la famille fait des offrandes. On trouve ensuite la chambre à coucher,
éventuellement une cave, puis un couloir qui mène à une cuisine à ciel ouvert. C'est
ici que l'on cuit le pain et que l'on stocke les principales provisions du foyer (grain,
eau...). Les maisons des citoyens appartenant aux classes moyennes comportent
souvent deux ou trois étages, un petit jardin clos et même des toilettes.

153
Les notables occupent de véritables petits palais construits au cœur de parcs pri-
vés où s'exprime toute la science des jardiniers égyptiens. Ces luxueuses villas de
plusieurs centaines de mètres carrés comptent fréquemment jusqu'à 30 pièces et
disposent de nombreuses dépendances : quartiers des serviteurs, écurie, étable,
greniers.

Le mobilier des maisons les plus communes est réduit : la chaise du chef de fa-
mille, un ou deux coffres, des paniers un lit de bois, quelques lampes à huile et une
vaisselle de terre cuite pour le stockage des denrées et les repas. Quant aux appar-
tements privés des dignitaires, ils surprennent par la richesse de leur décoration
et le raffinement des objets usuels : tables à manger ou à jouer, tabourets sculptés,
chaises de bois ouvragées, recouvertes de tissu ou de cuir, coffres d'albâtre ou de
bois travaillé.

Modèle de grenier avec ses travailleurs

154
La famille
La culture égyptienne tient la famille en haute estime et la représente souvent
comme un idéal social d'harmonie et de stabilité. Elle est bâtie selon un modèle
moderne et regroupe dans un même foyer père, mère, enfants et parfois quelques
proches.

Largement dépeint et encouragé dans la poésie et les chansons, le mariage est une
union privée, informelle et librement consentie par les deux époux qui éprouvent la
plupart du temps des sentiments sincères. L'amour est en effet une valeur centrale
en Égypte et les jeunes gens bénéficient d'une liberté sentimentale peu commune
qui leur permet de fonder une famille sans contrainte. En cas de difficulté majeure,
le divorce peut être demandé par l'un ou l'autre des époux et les biens sont parta-
gés, éventuellement avec l'assistance d'un représentant de la loi.

Compte tenu des critères de l'époque, la femme bénéficie d'une très grande auto-
nomie et de nombreux droits, notamment celui de posséder des biens propres, d'en
disposer comme bon lui semble et de participer à la gestion des possessions de la
famille. Elle est associée aux décisions de son mari qu'elle conseille et épaule. Par
ailleurs, les femmes ont accès à l'éducation et bien qu'il faille reconnaître qu'elles
sont le plus souvent monopolisées par des tâches domestiques, il arrive assez cou-
ramment que des épouses de notables ou des femmes instruites obtiennent des
postes d'intérêt dans l'administration.

Les enfants sont considérés comme le plus beau cadeau que la vie puisse faire à
un chef de famille et la venue d'un fils assure au père que son culte funéraire sera
accompli. Ils vivent dans la demeure familiale jusqu'à ce qu'ils soient en âge d'ap-
prendre un métier et qu'ils atteignent leur majorité, marquée chez les garçons par
la circoncision.

Les parents sont en grande partie responsables de l'éducation de leurs enfants.


Ils leur enseignent les principes éthiques qui sous-tendent la société égyptienne

155
Le Senet, un jeu de société très prisé

et leur proposent des jeux physiques, d'adresse et de réflexion afin de développer


leurs capacités. Les garçons héritent la plupart du temps de la profession de leur
père et les jeunes filles tendent à restent au foyer jusqu'à leur mariage. Une instruc-
tion plus approfondie est néanmoins accessible à tous et il n'est pas rare que des
enfants d'artisans, voire de sehetiou, suivent les cours de lecture, d'écriture, de mo-
rale et d'arithmétique dispensés par des maîtres dans la rue ou dans les Maisons de
Vie. Dans un pays où l'écriture est synonyme de pouvoir, ce difficile apprentissage
ouvre de nombreuses portes, notamment celles de l'administration, si les étudiants
parviennent à endurer les longues récitations, les heures passées à copier les textes
classiques ainsi que les brimades des enseignants, réputés pour leur sévérité.

156
Alimentation
Le pain et la bière sont à la base du régime alimentaire égyptien et font partie du sa-
laire habituel que reçoivent les citoyens de Kémi. Le premier est fabriqué à partir de
farine de blé, d'orge ou de millet et l'on y ajoute du beurre, de l'huile, des fruits, des
graines ou du miel afin d'en rehausser le goût. Quelle que soit sa forme, il est consi-
déré comme un symbole universel de la générosité de Kémi à l'égard des hommes.

La bière heqet est issue de la fermentation des mêmes céréales que celles employées
dans la confection du pain. Cette boisson épaisse et peu alcoolisée, chérie des
Égyptiens, est produite en très grande quantité dans les brasseries royales, dans
les domaines divins ou chez les particuliers. La ration quotidienne habituelle est
de l'ordre de deux jarres de deux litres chacune. La bière est présente à tous les
repas, dans les champs et sur les chantiers. On la boit fraîche si cela est possible et
on la préfère à l'eau du Nil ou des canaux, source de nombreuses maladies. Le vin
erpi est lui aussi largement répandu et il est consommé en toute occasion : sur le
lieu de travail, comme la bière, mais également au cours des repas chez les familles
aisées ou pendant les fêtes. La majeure partie des vignobles se trouve dans le delta.
Les Égyptiens ne dédaignent pas les boissons très alcoolisées comme le snedhou,
qui dérive du vin, et l'eau de vie de dattes dont les embaumeurs se servent pour
nettoyer les cadavres.

En plus du pain et de la bière, les plus pauvres consomment couramment des oi-
gnons, des figues, des dattes, du poisson séché (si sa consommation est autorisée
dans la province concernée) et parfois un canard ou une oie. Les tables des notables
comprennent des légumes secs ou frais, de la volaille en quantité, des fruits et des
gâteaux au miel et aux graines de caroubier. Le mets le plus apprécié reste la viande
de bœuf, plat typique de l'aristocratie.

157
Vêtements et parures
Les vêtements égyptiens sont adaptés au climat chaud et sec du pays. Les femmes
portent des robes de lin blanc, moulantes et dotées de bretelles, qui descendent
aux chevilles et dévoilent ou dissimulent la poitrine et les épaules selon la mode du
moment. Ce vêtement est également employé par les hommes qui portent par ail-
leurs un long pagne plissé, bouffant ou doublé d'une couche de tissu transparent,
que l'on complète parfois d'une chemise ou d'un manteau. Les paysans emploient
de simples ceintures de fibres végétales ou des robes sommairement taillés. Ceux
qui travaillent dans les marais vont nus, tout comme les enfants avant qu'ils n'at-
teignent l'adolescence.

Les Égyptiens marchent pieds nus et les sandales, symbole de richesse et d'hono-
rabilité, ne sont employées que dans les maisons et en des occasions particulières.
Les notables les utilisent lors de réceptions ou pour affirmer leur statut. Le reste du
temps, elles sont confiées au très officiel « porteur de sandales », dont la charge est
enviée de tous les serviteurs. Du fait des longues marches qu'ils effectuent dans le
désert, les soldats et les voyageurs peuvent en porter pour des raisons plus prag-
matiques.

Parce que la pensée égyptienne mêle étroitement la réussite sociale, la rectitude


morale, la richesse et la beauté, les habitants de Kémi aiment manifester leur sta-
tut en faisant usage d'un très large choix de bijoux et de parures. Bracelets d'or,
d'argent, d'électrum ou d'ivoire incrustés de pierreries ; bagues à fil simple, double
ou triple pourvues d'un sceau ou ornées de pierres, boucles d'oreille destinées aux
hommes et aux femmes, amulettes de métal, de pierre ou en pâte de verre, cein-
tures d'or, pendentifs : le luxe et le raffinement presque excessifs des bijoux portés
par les dignitaires du Nouvel Empire traduit l'immense puissance de l'Égypte et
l'incomparable maîtrise de ses orfèvres et de ses joailliers.

158
Hygiène et cosmétique
Le soin du corps est une préoccupation quotidienne des Égyptiens, qu'ils soient
issus d'un milieu modeste ou privilégié. Ils se lavent chaque matin en s'aspergeant
d'eau ou en se baignant, nettoient consciencieusement leurs vêtements de lin et
utilisent un savon parfumé à base de cendres ou d'argile. Chez les plus riches, les
pots et les cuvettes destinés à la toilette sont remplacés par une véritable salle de
bains.

Les hommes sont rasés de près par le barbier qui prend également soin des cheveux
de ses clients en leur appliquant des onguents destinés à les faire boucler ou les
renforcer. Les hommes choisissent fréquemment de se faire raser le crâne pour des
raisons esthétiques et sanitaires, voire religieuses dans le cas des prêtres Ouabou.

159
Les femmes prennent également grand soin de leur chevelure qu'elles parfument
et décorent de bijoux. Les jeunes garçons sont rasés tandis que les petites filles et
les princes conservent une mèche tressée sur le côté de la tête.

Traitées à la cire, abondamment huilées et parfumées, les perruques de fibres ou


de cheveux humains sont indifféremment utilisées par les hommes et les femmes
et leur forme varie selon les modes. On peut les porter pour des raisons religieuses
mais elles servent plus habituellement à exhausser la beauté ou l'autorité de leur
propriétaire, à dissimuler sa calvitie ou à le protéger du soleil.

Le maquillage est lui aussi utilisé par les deux sexes, notamment le mélange de ga-
lène et de malachite broyée que l'on applique sur les paupières pour ses propriétés
désinfectantes et magiques. Les femmes emploient des fards blancs et noirs ainsi
que de l'ocre pour les joues et les lèvres. On s'enduit le corps d'huiles, d'onguents
et de pommades destinés à assouplir et protéger la peau, en gommer les imper-
fections et faire disparaître les odeurs de transpiration. Pour procéder à cette pré-
paration longue et minutieuse, les femmes fortunées utilisent un vaste éventail
d'ustensiles : miroirs de métal, vases et pots de parfums, boîtes et palettes à fard
finement ouvragées...

Comme le montrent les exemples présentés plus haut, les parfums occupent une
place privilégiée dans les usages cosmétiques Égyptiens. Ils s'agit, pour la plupart
d'entre eux, de mélanges complexes de substances végétales (résine de térébinthe,
genièvre, lys, rose, cannelle, safran...) associés à de l'huile, de la cire ou de la graisse.
L'encens de Pount et des Pays du Dieu est un produit luxueux exclusivement réser-
vé à l'élite ou aux temples.

160
Loisirs et divertissements
L'omniprésence de l'administration ne doit pas donner l'impression que l'Égypte
a donné naissance à une société austère et policée, bien au contraire. Pauvres et
riches cherchent à profiter de la vie sous toutes ses formes même si les moyens
diffèrent.

Certains plaisirs sont accessibles à tous, comme celui de se promener librement


dans la campagne égyptienne, le long des canaux, dans les jardins ou à l'ombre de la
végétation généreuse qui pousse sur les berges du Nil. Les jeux sont pratiqués dans
toutes les couches de la société et dès le plus jeune âge, qu'ils soient purement phy-
siques (sauts, courses), martiaux (lutte, combat au bâton, javelot) ou intellectuels
(divers jeux de plateau évoquant les dames ou le jeu de l'oie).

L'une des joies les plus communes de l'existence et de se rassembler entre proches,
de palabrer et de partager un repas dans la bonne humeur. Les plus humbles se
retrouvent chez eux ou dans les nombreuses tavernes que comptent les villes et
les villages pour se raconter des histoires, rire et chanter. Les riches donnent de
somptueux festins où les convives sont divertis par les danses acrobatiques de
jeunes filles vêtues seulement de quelques bijoux et par la musique entraînante
des sistres, des tambourins, des flûtes et des harpes. Malgré le protocole complexe
qui régit les réceptions mondaines, l'alcool coule à flot et, comme le montrent plu-
sieurs textes hiéroglyphiques, rien ne distingue le noble du paysan lorsque l'ivresse
se saisit d'eux.

Les nombreuses festivités qui jalonnent l'année sont autant de prétextes à de tur-
bulentes réjouissances. La famille fête les naissances, les mariages, les décès et le
pays entier s'anime pour célébrer le passage des saisons, les différentes étapes du
calendrier agricole ou le nouvel an. L'intronisation d'un pharaon et son jubilé sed
suscitent un engouement national et les multiples fêtes religieuses dédiées aux
dieux locaux plongent les capitales de province dans l'effervescence pendant plu-
sieurs jours. Le peuple raffole de ces grandes manifestations qui l'associent dans
la joie au destin de son pays et lui rappellent les valeurs fondamentales de Kémi.

161
Du fait de l'organisation de l'agriculture, la chasse n'est plus une priorité vitale en
Égypte mais elle est un divertissement prisé des notables. Ils traquent crocodiles
et hippopotames dans les marais et y capturent de nombreux oiseaux. La chasse
la plus spectaculaire est celle qui se déroule dans le désert en quête d'antilopes, de
gazelles et de lions. Pharaon aime à faire montre de son courage, de sa force et de
son habileté au cours de ces « safaris » qui prennent des allures d'expéditions mi-
litaires, avec leurs troupes armées pour le combat et leurs pisteurs professionnels
accompagnés de grands chiens. Moins prestigieuse, la pêche est également prati-
quée comme loisir.

Les Égyptiens apprécient la compagnie des animaux, notamment des singes


(babouins et cercopithèques originaires d'Afrique noire) qu'ils hébergent volontiers
dans leurs propres demeures, ainsi que les chats et surtout les chiens. Les étangs
artificiels qui agrémentent les jardins sont peuplés de poissons et de poules d'eau
et les domaines royaux abritent des animaux exotiques tels que des autruches, des
ours, des girafes, des éléphants ou des rhinocéros. Les hyènes et les guépards, une
fois apprivoisés, sont parfois utilisés pour la chasse. Le cheval est un héritage ré-
cent de l'invasion de l'Égypte par les Hyksôs. Limité à un usage militaire, il est la
plupart du temps associé aux chars de guerre.

162
163
Le jeu
164
"Que vive son Ka"... Qu'est-ce que c'est ?
Il s'agit d'un scénario interactif, une histoire à laquelle participe un groupe de
joueurs qui, le temps de la partie, interpréteront le rôle de personnages vivant en
Égypte ancienne.

Le but du jeu est d'inventer une histoire ?

Oui, mais pas n'importe comment. Un des participants est appelé conteur ou
conteuse (la suite du texte emploiera les termes conteuse et joueurs ). C'est elle qui
raconte l'histoire aux joueurs et est la seule à connaître toutes les ficelles du scéna-
rio. Le·la conteuse peut être comparée à un réalisateur de cinéma et les joueurs sont
ses acteurs principaux... qui improvisent leur rôle à chaque instant.

Mais comment improviser si l'histoire est déjà écrite ?

L'histoire n'est pas totalement définie à l'avance et elle n'évolue pas toute seule. Les
joueurs réagissent à ce que leur narre la conteuse, « comme s'ils y étaient », et ils
choisissent leur voie dans l'aventure comme bon leur semble. À la différence d'un
jeu vidéo ou d'un livre dont vous êtes le héros, la liberté est totale, il n'y a pas de
solution figée.

Alors les joueurs font ce qu'ils veulent ?

Pas exactement, le scénario est une trame qui guide leurs actions. Il comprend une
situation de départ, des embûches et un dénouement. Le scénario est écrit de telle
sorte que la conteuse puisse cadrer les joueurs et les plonger dans l'intrigue. Vous
trouverez au fil du texte de « Que vive son Ka » de nombreuses indications à l'inten-
tion de la conteuse.

165
De plus, les règles du jeu présentées plus loin servent à préciser ce que peuvent rai-
sonnablement faire les personnages. Les règles permettent de rendre les situations
du jeu plausibles. Impossible de voler dans les airs ni de briser un mur d'un coup
de poing dans Kémi !

Et qui est le vainqueur ?

Il n'y a pas de vainqueur ni de perdant car il n'y a pas de compétition entre les
joueurs. Les personnages doivent au contraire collaborer, faire appel aux talents
de chacun pour parvenir ensemble à résoudre les défis imposés par l'histoire. De
même, la conteuse n'est pas l'adversaire des joueurs. Cela lui serait trop facile et
sans grand intérêt : l'objectif est de plonger dans l'histoire, de s'imaginer en Égypte
ancienne, pas d'empêcher les personnages d'arriver à leurs fins.

Assez de théorie, je veux organiser une partie et être la


conteuse. Que dois-je faire ?

Lisez les règles du jeu et le scénario en entier puis organisez la partie. Invitez trois à
six personnes dans un local calme et agréable. Prévoyez boisson et nourriture car la
partie durera plusieurs heures. N'oubliez pas non plus de vous munir de quelques
dés à six faces, de crayons, de gommes et des fiches de personnages spécialement
créées pour le scénario (vous pouvez les télécharger sur le site web www.sethmes.
com).

166
Tout le monde peut jouer ?

Oui, vous pouvez inviter vos amis, frères, sœurs, parents, enfants. L'âge n'a pas
d'importance du moment que l'on souhaite s'amuser, interpréter un personnage et
découvrir les mystères de l'histoire.

J'ai trouvé des joueurs mais certains me disent ne rien


connaître au jeu, ni à l'Égypte ancienne. C'est grave ?

Non, bien au contraire. Les joueurs sont là pour découvrir l'Égypte pharaonique
et aucune connaissance préalable n'est requise. Par ailleurs, le principe du jeu est
finalement très naturel : jouer à être quelqu'un d'autre, comme au théâtre. Une fois
leur fiche de personnage en main, les joueurs comprendront très vite qu'ils inter-
prètent un caravanier du désert de l'ouest, un sculpteur du temple d'Amon-Rê ou
une diplomate du Réténou.

Je suis un peu intimidé·e. Le rôle de la conteuse semble


très important.

C'est vrai, vos tâches peuvent paraître nombreuses. C'est à vous de dérouler l'his-
toire au fur et à mesure que les personnages des joueurs avancent : vous serez leurs
yeux et leurs oreilles. C'est également vous qui superviserez la partie technique du
jeu, c'est à dire l'utilisation des règles.

Mais rassurez-vous, le scénario « Que vive son Ka » est adapté aux joueurs et aux
conteuses débutants, et les règles de Kémi sont très simples.

167
C'est le grand jour. J'ai lu les règles, le scénario et la partie
documentaire sur l'Égypte ancienne. Mes joueurs sont
devant moi. Que dois-je faire ?
Expliquez-leur le principe du jeu. Invitez-les à imaginer qu'ils vivent dans un loin-
tain passé, il y a plus de 3 500 ans, sur les berges du grand fleuve Nil. Ils sont Égyp-
tiens et habitent dans la capitale de l'empire, Ouaset, la ville d'Amon-Rê et de Pha-
raon... Présentez-leur rapidement le monde dans lequel ils vont évoluer en vous
appuyant sur ce que vous avez lu dans la partie « Univers ». Proposez-leur alors
de choisir leur personnage parmi les six fournis dans le livre. En les lisant, ils en
sauront plus sur leur rôle.

Je n'ai pas six joueurs mais quatre. Le scénario est com-


promis ?

Pas du tout. Certains rôles prévus ne seront pas joués mais aucun n'est indispen-
sable au bon déroulement de l'histoire.

Nous pouvons commencer. J'explique aux joueurs ce


qu'ils doivent faire, je lis un texte ?

Non, et c'est maintenant que votre mission débute réellement. Le scénario com-
mence par une scène d'introduction qui permet de réunir les personnages (ils sont
convoqués chez Nesamon). Il s'agira de votre premier échange avec vos joueurs,
l'instant où leurs personnages prennent vie. Vous leur décrirez où ils se trouvent et
ce qu'ils font au moment où ils sont contactés par le messager de Nesamon. C'est
désormais à eux de jouer, de parler au jeune homme qui vient les mander, de dé-
crire leurs actions et à vous de leur répondre.

Ce jeu de descriptions, de questions, de réponses et de dialogue est au cœur du jeu


de rôle.

168
Par ailleurs, ne leur en dites pas plus que ce que leurs actions leur permettent d'ob-
tenir. Vous ne devez pas leur dévoiler l'intrigue du scénario, vous gâcheriez le plai-
sir de la découverte. C'est aux personnages des joueurs de tirer des conclusions des
indices que vous leur fournissez. Ils sont les héros de l'histoire après tout.

Les joueurs sont censés parler comme leur personnage ?


Doit-on se costumer ?

Il n'y a pas de décor, pas de répliques à apprendre par cœur et le pagne n'est pas de
rigueur, heureusement. Kémi est un jeu qui fait appel à notre imagination et tout
passe par la parole, les gestes et, éventuellement, quelques dessins ou documents
pour illustrer le scénario. Quant à parler comme son personnage le ferait... Cer-
tains joueurs sont doués pour la comédie et prendront beaucoup de plaisir à adop-
ter des intonations ou des expressions particulières. Ce n'est absolument pas une
obligation et d'autres préféreront peut-être employer la tournure indirecte.

C'est toute la différence entre « Parle, serviteur d'Anubis, ou je te traîne devant le


chef de la police du quartier ! » et « Je menace l'embaumeur de le dénoncer à la po-
lice s'il ne répond pas à mes questions. »

169
Et si je ne connais pas la réponse à une question des
joueurs ? Et s'ils ne font pas ce qui est prévu ?

Le scénario propose une trame et détaille de nombreux éléments qui intéresseront


probablement les personnages mais... vous n'êtes pas à l'abri de voir vos joueurs
emprunter des chemins de traverse ou s'orienter vers des pistes inattendues ou
dont vous savez qu'elles ne mènent nulle part.

La réponse est simple : improvisez.

Adaptez-vous, inventez une réplique percutante ou imaginez en direct à quoi pour-


rait ressembler cette taverne dans laquelle les personnages ont décidé de rentrer. Il
vous faut accompagner les joueurs dans leur pérégrinations, ne pas leur faire sentir
trop clairement qu'ils s'écartent du fil conducteur de l'intrigue.

Toutefois, si le sentiment de liberté est important, il vous incombe également de


remettre vos joueurs sur la piste si leur enquête piétine et de les diriger vers les
événements incontournables du scénario. N'acceptez pas qu'un personnage décide
de passer ses journées au lit. L'intérêt de la partie est de résoudre les défis qu'elle
offre aux joueurs, pas de les éviter.

L'important est que ni vous ni vos joueurs ne vous ennuyez parce que l'histoire
n'avance plus. C'est pour cela que l'on dit parfois que la conteuse « anime » une
partie de jeu de rôle.

Je m'occupe déjà de l'histoire, des descriptions... Il faut


aussi que je joue le rôle des personnages qui inter-
viennent dans l'histoire ?
Oui, et c'est souvent un moment très agréable pour la conteuse qui peut jouer un
rôle d'une manière très similaire aux autres joueurs. En plus, vous aurez l'embar-
ras du choix car vous interpréterez tous les personnages secondaires, qu'il s'agisse
d'alliés ou d'ennemis des joueurs.

170
Et les règles ?

Vous êtes un athlète complet ! En plus de piocher dans le répertoire du narrateur


et du comédien, vous êtes également un arbitre. C'est vous qui décidez quand in-
terviennent les règles et quand les joueurs doivent lancer le dé pour résoudre une
action importance.

Lancer le dé ?

Ce n'est pas parce qu'un joueur affirme que son personnage fait quelque chose... que
cela réussit. Qu'un soldat entraîné parvienne à escalader la muraille d'un temple est
acceptable, mais cela sera beaucoup moins évident pour un scribe au corps fluet.
Les règles existent pour décider de la réussite, ou non, des actions entreprises par
les joueurs. Elles ne sont utilisées que lorsqu'il est impossible au maître du jeu de
déterminer simplement le résultat d'une action. Grâce aux règles, il est possible de
savoir si un personnage parvient à éviter le coup de poing que lui adresse un mal-
frat, s'il est capable de jouer un air de musique ou s'il aperçoit un indice dans un
recoin sombre. Les réussites et les échecs des actions des personnages contribuent
grandement à façonner l'histoire et à lui donner toute sa crédibilité.

Oui, mais... le dé ?

Un personnage qui entreprend une action dont l'issue est incertaine fait un Test.
Cela signifie qu'il lance un dé à six faces auquel il ajoute un score noté sur la fiche
qui décrit ses compétences. Plus le résultat total est élevé, plus le personnage est
performant. Vous comprendrez ainsi facilement l'intérêt pour un personnage
d'avoir beaucoup de scores élevés. Cela signifie qu'il est doué, entraîné dans de
nombreux domaines et qu'il est susceptible de réaliser des actions difficiles.

Toutes les règles de Kémi sont fondées sur ce principe très simple et nous allons
maintenant les examiner un peu plus en détail.

171
Les règles du jeu

172
Jouer un rôle
Dans le cadre du jeu, un personnage est un homme ou une femme inventé pour
les besoins de l'histoire et dont un joueur interprète le rôle au cours de la partie. Le
personnage est l'alter ego égyptien du joueur et on retrouve toutes les informations
le concernant sur la fiche qui lui est dédiée.

Le dessin vous indique à quoi le personnage ressemble et vous remarquerez qu'il


possède un nom, un métier, un tempérament particulier, une histoire personnelle.
Vous pouvez même savoir ce qu'il pense des autres membres du groupe.

Mais en plus de ces informations qui lui confèrent une identité, la fiche fait figurer
des textes accompagnées d'un chiffre. Il s'agit des Attributs.

Les Attributs décrivent l'éventail des talents, des connaissances et des savoir-faire
du personnage. Ils sont associés à une valeur qui traduit le « niveau » du person-
nage dans le domaine concerné. Plus elle est élevée, plus le personnage est compé-
tent, fort ou savant... et il sera ainsi mieux disposé face aux épreuves de l'aventure.

Il existe deux types d'Attributs. Les Attributs principaux décrivent les capacités de
base d'un individu, bien souvent innées, telles que la force, la mémoire ou la rapidi-
té. Les Attributs secondaires sont des compétences et des connaissances acquises
au cours de la vie, par l'apprentissage et l'expérience.

173
Les Attributs principaux

Physique : c'est la force, la puissance et la résistance physique. On s'en sert pour


soulever, tirer, pousser, arracher, tordre, défoncer, supporter la fatigue, un exer-
cice physique prolongé, résister à un choc violent, lutter contre les infections, les
maladies, les poisons…

Agilité : c'est la rapidité, la finesse, la souplesse et la vivacité. On s'en sert pour


esquiver, se déplacer avec précision ou discrétion, sauter, grimper, manipuler des
objets avec soin…

Perception : c'est l'acuité visuelle, l'attention, la capacité d'écoute et d'observation,


l'empathie. On s'en sert pour fouiller un lieu, remarquer un indice, un bruit sus-
pect, une attitude étrange, déceler une émotion, reconnaître une personne...

Charisme : c'est la capacité d'expression et de communication, la présence, l'aura.


On s'en sert pour charmer, séduire, convaincre, rassurer, impressionner, comman-
der, enthousiasmer…

174
Les Attributs secondaires

Artisanat : C'est la connaissance et la maîtrise pratique d'un art, tel que la sculpture,
la peinture, la joaillerie, la menuiserie... On s'en sert pour connaître les conventions
artistiques, dessiner, peindre, sculpter le bois, l'ivoire ou la pierre, réaliser des bi-
joux ou même concevoir des édifices...

Bureaucratie : C'est la connaissance du fonctionnement de la bureaucratie égyp-


tienne. On s'en sert pour évoluer dans les méandres de l'administration, connaître
les personnages influents de Kémi, les institutions, les lois et l'étiquette, obtenir
des dérogations et des passe-droit, employer le vocabulaire des scribes, embobiner
un policier, être au courant des alliances politiques et des jeux de pouvoir...

Connaissance du monde : C'est la connaissance du monde antique et de tout ce qui


est extérieur à l'Égypte. On s'en sert pour connaître l'histoire, les usages et les lan-
gues des nations extérieures (Libye, Nubie, Réténou, Keftiou), leur géographie,
leurs relations avec Kémi...

Culture égyptienne : C'est la connaissance de la civilisation égyptienne. On s'en sert


pour connaître les traditions, les croyances et les usages égyptiens les plus com-
muns, commercer, maîtriser les bases de la géographie locale, l'histoire du Double
Pays et de ses rois...

Érudition : Ce sont les connaissances pointues et livresques des savants. On s'en


sert pour maîtriser la science des lettrés, savoir lire et écrire l'écriture cursive hiéra-
tique et l'hiéroglyphique, connaître les subtilités de la religion égyptienne, sa sym-
bolique et ses mythes, la littérature et la morale ainsi que les sciences telles que les
mathématiques ou l'astronomie...

175
Médecine : C'est l'art et la manière de soigner les hommes. On s'en sert pour iden-
tifier les maladies à l'aide des papyrus de référence, préparer des remèdes, réduire
des fractures, soigner des blessures et attirer la bénédiction de Bastet sur les per-
sonnes souffrantes, reconnaître les plantes bénéfiques et les poisons...

Voyage : Ce sont les connaissances et les techniques qui permettent de réaliser de


longs trajets à travers le pays. on s'en sert pour connaître les pistes qui sillonnent le
désert et l'art de naviguer, trouver sa position aux étoiles, monter une expédition,
trouver de quoi se nourrir hors de la vallée du Nil, savoir lire les changements de
temps et comprendre le comportement des animaux...

Combat : C'est la capacité à mettre un adversaire hors d'état de nuire. On s'en sert
pour affronter un adversaire au corps à corps, avec ou sans arme

Tir : C'est la capacité à frapper une cible à distance. On s'en sert pour viser un enne-
mi ou un animal, avec n'importe quelle arme de jet ou de trait.

Comment savoir si un personnage est doué ou


expérimenté ?

En un coup d'oeil, vous pouvez savoir si un personnage est un spécialiste dans un


domaine donné ou si, au contraire, il est particulièrement incompétent. Il vous suf-
fit de conserver à l'esprit les équivalences suivantes.

Score de l’Attribut Le niveau du personnage est :

0 Très faible
2 Moyen
4 Élevé
6 Exceptionnel

176
Ainsi, avec un score de 4 en Bureaucratie, le scribe Nakhtamon connaît très bien le
fonctionnement de l'administration tandis que le sculpteur Minkhat, avec un score
de 0 ignore presque tout des lois de son pays. De même, le personnage de Mère
Sati, avec 4 en Médecine, sait soigner de nombreuses affections et son talent est re-
connu. Par contre, son score de 0 en Artisanat signifie qu'elle serait bien dépourvue
si on lui demandait de faire un dessin.

Comment se sert-on de ces Attributs ?

Chaque fois qu'un joueur souhaite que son personnage réalise une action dont l'is-
sue est incertaine, la conteuse lui demande de faire un Test qui lui permet de savoir
si le personnage atteint son objectif ou échoue.

Pour cela, la conteuse choisit un Attribut qui correspond à l'action entreprise par le
personnage et fixe une Difficulté à cette dernière.

Le joueur effectue son Test en lançant un dé à six faces et en ajoutant le résultat au


score de l'Attribut choisi par la conteuse. Pour que le personnage réalise son action
avec succès, la somme du résultat de son dé et de l'Attribut doit être supérieure ou
égale à la Difficulté définie par la conteuse. Si la somme du dé et de l'Attribut est
inférieure à la Difficulté, c'est un échec.

Difficulté Score à atteindre

Facile 4
Moyen 6
Difficile 8
Très difficile 10

177
Exemple

La conteuse (aux joueurs) : Vous êtes devant la petite maison du policier Nedjem. Il fait nuit
et la ruelle semble déserte. Nedjem devrait bientôt avoir terminé son service, vous n'avez pas
beaucoup de temps. Que faites-vous ?

Lucie (qui interprète le sculpteur Minkhat) : Il faut absolument que nous fouillions la de-
meure de Nedjem avant son retour. C'est le seul moyen de savoir s'il a bel et bien touché des
pots de vin de la part des prêtres du temple de Sobek.

Cédric (qui interprète le scribe Nakhtamon) : Vous n'avez qu'à entrer discrètement, je sur-
veillerai les alentours pendant ce temps.

La conteuse : Ca devrait être facile. La maison de Nedjem est dans une rue étroite pleine
d'ombres et de recoins où tu peux te cacher.

Pierre (qui interprète le garde Djéserka) : Moi, je pousse prudemment la porte.

La conteuse : Elle est fermée.

Lucie : Nous n'avons pas une seconde à perdre, j'escalade la façade et essaie de gagner le toit
de la maison.

La conteuse : Fais un Test d'Agilité. La maison fait tout de même deux étages, la Difficulté
est de 7.

Lucie lance son dé et obtient 5. Elle y ajoute son Score d'Agilité, à savoir 3, et obtient un total
de 8. C'est une réussite car elle a obtenu un résultat supérieur à la Difficulté.

La conteuse : En t'agrippant aux briques, tu parviens à te hisser sur le toit. Tu domines la


ville et tu vois l'escalier qui mène à l'intérieur de la maison.

Lucie : Je descends dans la maison pour ouvrir la porte à Djéserka qui attend dans la rue.

178
La conteuse : Il y fait noir comme dans un four. Fais moi un Test de Perception.

La conteuse décide qu'il n'est pas facile de se déplacer dans l'obscurité d'une maison inconnue
et il impose un Test de Perception. La Difficulté est de 6. Lucie obtient 3 sur son dé et sa Per-
ception ne vaut que 2. Avec un résultat total de 5, le Test est un échec et la conteuse en décrit
les conséquences.

La conteuse : Malheureusement, tu trébuches sur un tabouret et tu t'effondres sur le sol dans


un grand fracas. Autour de toi, des poteries éclatent en mille morceaux. Pierre, tu entends un
bruit de chute à l'intérieur de la maison.

Pierre : Bon sang ! Nedjem saura que nous sommes passés, il n'est plus nécessaire d'être
discrets. Je défonce la porte !

La conteuse : D'accord. Tu t'élances, épaule en avant contre la porte de bois. Fais un Test de
Physique, la Difficulté est de 5.

Pierre lance son dé et obtient un 4 auquel il ajoute son Physique de 5 : 9. C'est une large réus-
site pour le puissant Djéserka.

La conteuse : Tu arraches littéralement la porte qui se brise sur le sol. Tu découvres Minkhat
à quatre pattes au milieu des tessons de poteries, trempé d'huile et de vin.

Pierre : Debout ! Nous devons passer en revue chacune des pièces tant qu'il n'est pas trop
tard.

Il est prévu dans le scénario que Nedjem retourne chez lui, accompagné de deux de ses
hommes. Tenant compte des précautions prises par Cédric, la conteuse décide que Nakhta-
mon a la possibilité d'apercevoir le policier avant qu'il n'arrive à la porte de sa demeure s'il
réussit un Test de Perception dont la Difficulté est de 5.

La conteuse : Cédric, tu es toujours caché dans l'ombre. Fais un Test de Perception.

La conteuse ne révèle pas la Difficulté à l'avance. Ainsi, le joueur ne sait pas s'il a réussi ou

179
échoué et cela permet à la conteuse de ménager ses effets. Cédric lance son dé et obtient un
score total de 8. Il réussit sans problème.

La conteuse : Tu déglutis avec difficulté quand tu reconnais la silhouette de Nedjem à moins


de cinquante mètres de l'endroit où tu te caches. Il se dirige bien sûr vers sa maison... accom-
pagné de deux hommes armés.

Si Cédric avait échoué, la conteuse ne l'aurait pas dit ouvertement mais il aurait considéré
que Nakhtamon ne voyait pas arriver Nedjem. Le policier aurait surgi à quelques pas de sa
porte et aurait découvert l'effraction. Nakhtamon n'aurait pas eu le temps de réagir. Heureu-
sement pour le groupe de personnages, ce n'est pas le cas.

Cédric : S'ils découvrent Nakhtamon et Djéserka, le combat est inévitable... Comment faire ?
Je sais ! Je me lève, prends un air très sérieux et marche d'un pas décidé en direction de Ned-
jem.

Pierre (soupirant) : Je suis dans la maison... Je ne suis pas censé voir dans quel pétrin Nakh-
tamon est en train de se fourrer.

Les personnages de Pierre et de Lucie sont affairés à fouiller la maison. Si les joueurs savent
que les policiers arrivent (ils ont entendu ce que la conteuse a dit à Cédric), ce n'est pas le
cas de leurs personnages. Les joueurs doivent faire comme s'ils n'étaient pas au courant de
cet événement. Pour éviter cette situation et renforcer l'intensité dramatique de la scène, la
conteuse peut également choisir de s'isoler quelques secondes avec Cédric afin de lui livrer
l'information à laquelle Minkhat et Djéserka n'ont pas accès. Ainsi, joueurs et personnages
seront aussi surpris les uns que les autres.

La conteuse (à Cédric) : Tu arrives à la hauteur de Nedjem et des deux autres policiers. Tous
trois portent de longs pagnes de lin et de solides matraques à la hanche. Ils s'arrêtent devant
toi, l'air interrogatif.

Cédric : Salut à vous, policiers de Ouaset. Je tiens à signaler un vol, un inconnu a pénétré

180
dans ma demeure et m'a dérobé plusieurs sacs de grain ainsi que des documents très impor-
tants.

La conteuse (interprétant Nedjem) : Nous n'avons pas le temps, laisse-nous passer.

Cédric : Je me campe fermement devant Nedjem et lui explique que je travaille pour le compte
du Grenier et que l'on m'a subtilisé une partie de la comptabilité des taxes en cours de prélè-
vement dans le quartier. J'essaie de lui faire comprendre que s'il ne m'aide pas, lui aussi aura
de gros problèmes.

La conteuse : Bien vu. Fais un test de Bureaucratie pour utiliser les arguments adminis-
tratifs les plus percutants et lui faire entrevoir les blâmes et les châtiments qu'il risque s'il
n'accomplit pas sa mission de gardien de l'ordre.

Cédric obtient un score total de 8 alors que la conteuse avait fixé au Test une Difficulté de 6.
C'est une réussite.

La conteuse : À l'écoute de tes menaces à peine voilées, Nedjem devient mal à l'aise. Il accepte
finalement de t'accompagner sur les lieux du vol.

Lucie : Et nous avons le temps de procéder à la fouille des lieux...

Pierre : Oui ! Au moins jusqu'à ce que Nedjem et ses deux brutes se rendent compte qu'on
leur a menti.

181
Je vois également des points de vie sur la fiche. Qu'est ce
que c'est ?

Les points de vie représentent l'état de santé d'un personnage. Lorsqu'il est blessé,
lors d'une chute ou au cours d'un combat, par exemple, le personnage perd des
points de vie. Quand il n'en a plus (son nombre de points de vie tombe à 0), il est
très mal en point. Il risque même de mourir s'il n'est pas rapidement soigné.

Les combats représentent alors vraiment un risque. Com-


ment se déroulent-ils ?

Quand deux personnages s'affrontent au corps à corps, on jette un dé pour chacun


d'eux et on y ajoute leur score respectif de « Se battre ». Le personnage qui obtient
le résultat total le plus élevé blesse l'autre et lui inflige des dommages, ce qui se
manifeste par la perte de points de vie.

On appelle cet échange de coups un Tour et on estime qu'il dure très approxi-
mativement une dizaine de secondes. Une fois le Tour terminé, il est possible de
prolonger le combat en entamant un nouveau Tour et relancer le dé pour les deux
adversaires. Le combat s'arrête lorsqu'un des deux adversaires est inconscient ou
souhaite interrompre l'affrontement.

La plupart du temps, les combats ont lieu entre les personnages des joueurs et des
adversaires interprétés par la conteuse. La conteuse n'a pas besoin de faire de jets
de dé pour un combat entre des personnages secondaires de l'histoire, il lui suffit
de décrire la scène et d'en choisir l'issue.

182
Et si les deux combattants obtiennent le même score ?

En cas d'égalité, les deux adversaires se sont blessés mutuellement et on leur ôte à
chacun des points de vie.

Comment sait-on combien de points de vie il faut enlever


à un personnage blessé ?

Tout dépend de la nature de l'attaque : une épée provoque des dégâts plus graves
qu'un simple coup de poing. Chaque arme est définie par un score de Dommages,
c'est à dire le nombre de points de vie que l'on ôte à un personnage qui a été blessé
par l'arme en question.

Armes Dommages

Poing, pied, tête, fouet 2

Couteau, poignard, dague, gourdin, masse 3

Épée, hache à lame, masse nubienne, lance 5

Grande hache, épée courbe Khepesh 7

183
Et ça s'arrête quand ?

Quand le combat se prolonge sur plusieurs Tours et que les dés ont été jetés plu-
sieurs fois, il peut arriver qu'un personnage perde tous ses points de vie et sombre
dans l'inconscience. Dans ce cas, le combat s'arrête pour des raisons bien compré-
hensibles.

Heureusement, il est possible à tout moment d'interrompre un combat et de


prendre la fuite (si le personnage n'est pas coincé dans un cul de sac par son ad-
versaire !).

Je vois que certains personnages disposent d'une protec-


tion. À quoi sert-elle ?

Une protection est une « armure » qui réduit le nombre de points de vie perdus chez
le personnage qui la porte. Le score de la protection est soustrait aux Dommages
infligés lors d'une attaque réussie.

Il arrive parfois que la protection d'un personnage victime d'une attaque soit su-
périeure aux Dommages de l'arme utilisée. Cela signifie que le personnage ne perd
aucun point de vie, quand bien même il a été correctement touché par son adver-
saire.

Protection Score de protection

Pagne, robe 0

Protections de cuir 1

Plastron de cuir 2

Plastron de cuir renforcé de bronze 3

Armure d'écailles en métal 5

184
Mais alors le combat peut être sans fin !

Non, car un personnage qui obtient un 6 sur le dé inflige la totalité des Dommages
de son arme sans tenir compte de la protection. Un 6 signifie que l'attaquant a trou-
vé le défaut de la protection de son adversaire.

Et avec un bouclier ?

Le bouclier est une protection particulière qui offre une seconde chance à un per-
sonnage qui le porte. Si vous êtes doté d'un bouclier et que vous êtes touché par
votre adversaire (c'est à dire que la somme du dé et de votre score de « Se battre »
est inférieure à la somme obtenue par votre opposant), vous avez le droit de relan-
cer le dé et de refaire un Test. Si vous obtenez un résultat supérieur ou égal au total
de votre adversaire, ce dernier ne vous touche pas : votre bouclier a dévié le coup
et vous ne perdez aucun point de vie (mais vous n'en faites pas non plus perdre à
votre assaillant).

Comment faire quand on est seul contre plusieurs adver-


saires ?

Il n'est possible de se battre efficacement que contre un seul adversaire. Tous les
personnage en plus du premier n'ont qu'à réussir un Test de Se battre de Difficulté
5 pour toucher leur cible solitaire. Le pauvre combattant en question ne peut se
consacrer qu'à un seul opposant à chaque Tour de combat.

185
Exemple

Les investigations de Nakhtamon, Djéserka et Minkhat les ont menés au cœur du désert de
l'ouest, sur la piste d'un marchand corrompu réfugié dans une oasis. Sur le trajet, les person-
nages sont attaqués par des nomades et Djéserka est aux prises avec un guerrier.

Djéserka possède une protection de cuir (1) et une solide dague (4), il possède 15 points de vie
et son score de « Se battre » est de 5. Son adversaire n'a aucune protection et utilise une hache
(5). Il possède 13 points de vie et son score de « Se battre » est de 2.

À première vue, l'avantage semble allez vers Djéserka qui est plus résistant et plus habile au
combat. Pierre lance son dé et obtient 1 et la conteuse, qui interprète le nomade, un 5. Le score
total de Djéserka est de 6 (1+5) et celui du nomade est de 7 (5+2). Vu que son score est supérieur
à celui de Djéserka, le nomade parvient contre toute attente à blesser le personnage de Pierre
qui perd immédiatement 4 points de vie (5 points de Dommages de la hache auxquels est sous-
trait 1 point, grâce aux protections de cuir). Djéserka se retrouve avec 11 points de vie (15-4). Le
Tour est terminé et Pierre souhaite bien montrer au nomade qui est le plus fort.

C'est le deuxième Tour de combat, Pierre et la conteuse lancent les dés. 3 pour Djéserka et 6
pour le nomade, soit une égalité avec un score total de 8. Au cours de cette passe d'armes, les
deux hommes se blessent mutuellement. Djéserka inflige 4 points de dommages au nomade
dont le nombre de points de vie passe à 9 (13-4) mais il est lui aussi touché. Sévèrement même !
En effet, avec un 6, le nomade ne tient pas compte de la protection de Djéserka et inflige l'in-
tégralité des 5 points de Dommages de sa hache. Djéserka se retrouve à 6 points de vie (11-5)
dès le deuxième Tour. La situation est tendue...

Parallèlement, Minkhat (Se battre 3, 12 points de vie, pas de protection) se bat contre un jeune
garçon (Se battre 1, 12 points de vie, pas de protection). Le sculpteur d'Amon est muni d'une
épée (5) et d'un bouclier tandis que son adversaire utilise une lance (5).

Lucie lance le dé pour Minkhat et obtient un 2, soit un total de 5. La conteuse, qui gère le jeune
nomade, obtient un résultat de 6 (5 sur le dé) et remporte ce tour. Normalement, Minkhat

186
devrait perdre 5 points de vie mais son bouclier lui permet de relancer son dé. Il obtient alors
4 et y ajoute son score de « Se battre », atteignant un total de 7. C'est une égalité avec le score
du nomade : Minkhat pare le coup et ne perd aucun point de vie. Ce Tour-ci, personne n'est
blessé.

J'ai lu que les Égyptiens utilisaient des arcs et des bâtons


de jet...

Il ne s'agit plus de combat au corps à corps mais d'attaques à distance. Elles se


règlent comme un Test normal. Le joueur lance un dé et ajoute son score de Tir : il
doit obtenir un résultat total supérieur ou égal à une Difficulté. La Difficulté de ce
Test dépend de la distance de la cible comme le montrent les équivalences ci-des-
sous.

Distance Difficulté

À bout portant (moins de 3 m) 3

Courte portée
5
De 3 à 10 m pour une fronde, de 3 à 20 m pour un arc

Moyenne portée
7
De 10 à 20 m pour une fronde, de 20 à 50 m pour un arc

Longue portée
9
De 20 à 30 m pour une fronde, de 50 à 80 m pour un arc

Très longue portée


11
Au-delà de 30 m pour une fronde, au-delà de 80 m pour un arc

Comme vous le constatez, les portées sont relatives à l'arme utilisée et les distances
données sont indicatives.

187
Comme les armes utilisées au contact, les armes à distance infligent des Dom-
mages.

Armes Dommages

Pierre lancée à la main 1

Pierre lancée avec une fronde, bâton de jet 2

Dague, grand bâton de jet 3

Lance 5

Flèche tirée avec un arc simple 4

Flèche tirée avec un arc puissant


Arc à double courbure nubien ou un arc composite asia- 6
tique.

Les protections fonctionnent-elles contre les


attaques à distance ?

Oui, les protections sont soustraites aux Dommages infligés à un personnage qui
a été touché. Toutefois, comme pour le combat au corps à corps, la protection est
totalement ignorée si le tireur obtient un 6 sur son jet de Tir.

Un bouclier ne diminue pas les dommages mais augmente la Difficulté du Test du


tireur. On rajoute ainsi 1 point à la Difficulté du tir si la cible porte un petit bouclier
et 3 points s'il s'agit d'un grand bouclier.

188
Exemple

Djéserka, le personnage de Pierre, s'est finalement débarrassé de son adversaire et il aperçoit


au loin Nakhtamon menacé par un homme. Djéserka se jette sur un arc tombé à terre, en-
coche une flèche et tire sur l'assaillant du scribe.

La conteuse considère que la cible de Djéserka est à portée moyenne. La Difficulté de son Test
de Tir est donc de 7. Pierre obtient 4 avec le dé et ajoute son score de Tir (3). 7 pile ! L'agresseur
de Nakhtamon est touché par la flèche de Djéserka qui lui ôte 5 points de vie (c'est un arc
simple).

Les combats peuvent laisser un personnage en piteux


état. C'est grave, docteur ?

Heureusement, les personnages peuvent être soignés, c'est à dire récupérer les
points de vie qu'ils ont perdus. Pour cela, le joueur qui porte assistance à un per-
sonnage blessé fait un Test de Médecine. Le résultat total est le nombre de points
de vie que le bénéficiaire des soins gagne sur le champ.

Un personnage soigné ne peut pas dépasser son nombre initial de points de vie,
quel que soit le résultat du personnage qui le secourt. Un « soigneur » ne peut faire
qu'un jet pour un personnage donné jusqu'à ce que ce dernier soit de nouveau bles-
sé. Si plusieurs personnages soignent un blessé, on n'additionne pas les résultats
des Tests de Médecine mais on ne retient que le score le plus élevé.

Ainsi, si le personnage devait être à nouveau soigné par la suite, il ne récupérerait


des points que si son second « soigneur » réalisait un meilleur résultat que le pre-
mier et seule la différence serait comptabilisée.

Une fois qu'un personnage a été soigné, il récupère 1 point de vie par jour (il guérit)
jusqu'à ce qu'il soit à nouveau blessé, auquel cas la guérison s'arrête et il peut à
nouveau être soigné. Un personnage blessé qui n'a pas été soigné ne regagne pas
de points de vie.

189
Un personnage peut se soigner lui même (sauf s'il n'a plus de points de vie ) mais le
résultat de son Test de Médecine est diminué de 2 points. S'il aboutit à un score nul
ou négatif, il a échoué à se soigner et il est dans la même situation qu'un person-
nage qui n'aurait reçu aucun soin.

Lorsqu'un personnage n'a plus de points de vie, nous avons vu qu'il était in-
conscient. S'il n'est pas soigné rapidement (disons dans l'heure), il meurt. Ses bles-
sures étaient trop graves.

Exemple
Après avoir mis les nomades en fuite, la petite équipe de personnages prend le temps de panser
ses blessures. Nakhtamon soigne Djéserka tandis que Minkhat essaie de s'occuper d'un no-
made laissé pour mort et dont il espère bien tirer des informations une fois qu'il sera conscient.

Cédric, qui interprète Nakhtamon, obtient un score de 5 sur son Test de Médecine (4 du dé + 1
en Médecine). Djéserka récupère ainsi 5 points de vie et en a désormais 8 (il était tombé à 3 à
la fin du combat). Il n'est pas encore au mieux de sa forme (son nombre maximum de points
de vie est de 15) mais il se sent nettement mieux.

Lucie obtient quant à elle un score de 3 à son Test de Médecine. Le nomade n'ayant plus aucun
point de vie passe à 3 et reprend peu à peu conscience. Sans l'intervention de Minkhat, il serait
mort.

D'ailleurs, ce dernier tente ensuite de se soigner seul (il a perdu 4 points de vie) mais Lucie
n'obtient que 2. Vu que Minkhat se soigne lui-même, il diminue son résultat de 2 points et
obtient... 0. Minkhat n'est pas parvenu à améliorer son état.

Le lendemain, tout le monde est de retour à Ouaset. Djéserka, qui a été soigné avec succès,
gagne 1 point de vie et passe à 9. Même traitement pour le nomade captif qui a désormais 4
points de vie mais, ironie du sort, Minkhat stagne douloureusement à 8.

Heureusement, Mère Sati, médecin dans les ateliers d'orfèvrerie, accueille les blessés dans

190
sa demeure et prodigue des soins à tous. Matthieu, qui interprète Sati, obtient un score de 7
alors qu'il s'efforce de soigner Djéserka. Le résultat de Sati est supérieur de 2 points à celui de
Minkhat (qui avait obtenu 5 la veille). Djéserka gagne donc immédiatement 2 points de vie
supplémentaire mais ni Minkhat si Sati ne peuvent à nouveau tenter de soigner ces mêmes
blessures. La femme médecin s'occupe ensuite de Minkhat et obtient 8. Toutefois, Minkhat ne
passe pas à 16 points de vie (8+8) mais « seulement » a 12 car il ne peut en avoir plus. C'est la
valeur maximum notée sur sa fiche et ce n'est déjà pas si mal !

Et les points de Maât ?

Les points de Maât représentent la bienveillance des dieux à l'égard des person-
nages. Ils leur permettent de réaliser, de temps en temps, une action exceptionnelle
ou de sauver leur vie dans une situation désespérée. Les points de Maât sont rares
et précieux et il n'est possible d'en gagner que lorsque l'on se montre respectueux
de l'harmonie cosmique qui sous-tend la création et permet à l'Égypte de repousser
le chaos. Si certains de vos joueurs se montrent altruistes, généreux et tempérés,
qu'ils honorent les dieux, prononcent régulièrement des prières à l'intention des
défunts de leur famille, vous pouvez leur offrir un point de Maât. En fait, vous pou-
vez également en donner aux joueurs particulièrement impliqués dans l'histoire,
qui interprètent leur personnage avec conviction, font preuve d'astuce et d'imagi-
nation ou, plus simplement, contribuent à la bonne ambiance de la partie.

Mais attention, pas question de distribuer les points de Maât à la légère car leur
effet est particulièrement puissant : lorsqu'un joueur décide de dépenser un point
de Maât, il a le droit de lancer deux dés au lieu d'un seul pour un Test. Il peut addi-
tionner les résultats des dés et y ajouter le score de l'Attribut, comme d'habitude.

191
Exemple
Nakhtamon est seul face à un des notables les plus en vue de la capitale, peut-être même de
tout le pays. Kaouab, Premier Prophète de Mout.

Le clergé de Mout retient Djéserka et Minkhat en détention car ces derniers ont été surpris
au cœur du temple divin, dans la salle hypostyle, à quelques pas de la statue du dieu. Outre
le fait que la présence de ces intrus est un sacrilège qui souille la pureté des lieux, Kaouab est
convaincu que les personnages de Pierre et d'Lucie sont des voleurs. Le verdict du jugement
sera sans appel : ils seront exécutés ou, au mieux, mutilés.

Nakhtamon est parvenu à obtenir une audience auprès de Kaouab et il n'a que quelques mi-
nutes pour convaincre cet homme sage et influent que ses deux amis poursuivaient un assas-
sin (ce qui est vrai) et qu'ils souhaitaient préserver à tout prix la demeure du Nétjer, pas la
profaner. Cette explication est très difficile à avaler, surtout par un grand prêtre. La conteuse
décide que Nakhtamon doit effectuer un Test de Charisme dont la Difficulté est 11.

Désespéré, Cédric tente le tout pour le tout et dépense un point de Maât. Il lance ainsi deux
dés et obtient un total de 9 (4 et 5). Il ajoute son sscore de Charisme de 2 et arrive à 11. Contre
toute attente, le véhément plaidoyer de Nakhtamon ne laisse pas le prêtre insensible. Kaouab
accepte de rencontrer Minkhat et Djéserka dans leur geôle afin qu'il leur expose en personne
leur version des faits. Nakhtamon vient sans doute de leur sauver la vie.

192
J'ai encore besoin de quelques conseils. Nous sommes en
pleine partie et un des joueurs conteste mes décisions.
Que faire ?
Vous êtes la conteuse et vos décisions sont sans appel. Les joueurs doivent accep-
ter le résultat des dés, comprendre vos refus et ne pas négocier chaque fois que
quelque chose de leur convient pas. Soyez ferme, juste et veillez à respecter la cré-
dibilité de l'univers de Kémi. N'accédez pas aux requêtes fantaisistes d'un joueur,
même s'il se montre insistant. Toutefois, sachez rester à l'écoute et si, à la réflexion,
la remarque d'un joueur vous paraît justifiée, revenez sur l'action litigieuse et cor-
rigez-la. Vous n'êtes pas un tyran.

Mon groupe de personnages s'est séparé pour suivre des


pistes différentes.

C'est un cas de figure esquissé dans l'exemple présenté plus tôt, lorsque Nakhta-
mon est dans la rue alors que Minkhat et Djéserka fouillent la maison du policier.
Afin de gagner du temps, les joueurs souhaiteront peut-être se séparer et couvrir
plus de terrain, plus de pistes. Dans ce cas, vous devrez vous consacrer tour à tour à
un groupe puis à l'autre. Comme dans un roman ou au cinéma, les actions des deux
groupes sont simultanées mais pour des raisons pratiques, vous n'avez d'autre
choix que de vous occuper d'un groupe puis de l'autre. Cette situation occasionne
un ralentissement du jeu et lorsque vous vous adressez à l'un des groupes, l'autre
attend son tour et peut se démobiliser.

Ainsi, si les personnages sont séparés, alternez leurs actions à un rythme soutenu
afin que personne ne s'ennuie. De plus, sans les contraindre à former obligatoire-
ment une équipe parfaitement soudée et solidaire, faites comprendre aux joueurs
que c'est ensemble qu'ils doivent arriver au terme de l'aventure.

193
Les personnages s'affrontent entre eux...

Les disputes ou les taquineries entre les personnages peuvent être une manière
d'enrichir la partie. Vous remarquerez d'ailleurs en lisant les fiches de personnages
fournies plus loin que certains ne s'apprécient guère. Cela dit, ce n'est pas une rai-
son pour en venir aux mains. Un combat entre personnages traduit souvent une
baisse d'intérêt de la part des joueurs pour le déroulement de l'histoire. Ils ont en-
vie d'un peu d'action et tous les prétextes peuvent être bons pour déclencher une
rixe. Si vous sentez la tension monter entre deux personnages, faites diversion :
inventez une rencontre inattendue voire même un personnage exécrable que les
joueurs au sang chaud pourront haïr de concert. Tout est bon pour ressouder le
groupe, même une bagarre dans une taverne si besoin est, du moment que les dif-
férends les plus vifs disparaissent face à l'adversité. Si les personnages semblent
toutefois déterminés à se battre, appelez au calme et ne recourez pas tout de suite
aux règles de combat. S'ils insistent malgré vos recommandations, effectuez un ou
deux Tours d'affrontement et rappelez-leur à quel point cette attitude n'a rien de
constructif.

Dans la mesure du possible, évitez toujours qu'un personnage en tue un autre. Cela
serait vraiment néfaste à l'ambiance de la partie car cette mort inutile frustrerait le
joueur de la victime.

194
Justement, un des personnages vient de mourir, le crâne
brisé par un guerrier nubien. Que fait le joueur qui l'inter-
prétait ?
Les chemins de l'aventure sont jalonnés de dangers et il peut arriver qu'un person-
nage y laisse la vie. Quand cela arrive, le joueur qui l'interprétait ne peut plus s'en
servir et il appartient aux autres personnages de disposer de la dépouille du mal-
heureux (ce qui en Égypte ancienne serait la moindre des choses). Ayez conscience
que la mort d'un personnage signifie l'arrêt du jeu pour le joueur qui ne peut plus
participer à l'aventure. Soyez donc compréhensif et n'hésitez pas à « tricher » un
petit peu si le joueur s'est montré impliqué dans l'histoire. Et si cette mort n'était
qu'un coma ? Et si un vieux villageois versé dans la connaissance des herbes et des
esprits pouvait ramener le défunt du royaume d'Osiris, même plusieurs heures
après son décès apparent.

S'il est impossible d'offrir au personnage une telle possibilité pour des raisons de
réalisme (la victime a été écrasée par un bloc de pierre de quatre tonnes...), lais-
sez au joueur la possibilité d'interpréter un nouveau personnage qui se joindra aux
autres et participera à l'aventure. Si certains des personnages fournis sont libres,
vous pouvez confier l'un d'eux au joueur en question.

Nous avons terminé. L'énigme est résolue, les coupables


démasqués. Et maintenant ?

Nous espérons que votre voyage en Égypte ancienne vous a plu et que tout le
monde, joueurs et conteuse, a apprécié la partie. Le scénario « Que vive son Ka » est
maintenant achevé mais la vie des personnages ne s'arrête pas pour autant.

L'un des intérêts de Kémi, et de tout jeu de rôle, est de voir les personnages évoluer,
se lancer dans de nouvelles aventures, découvrir des mystères insoupçonnés, dé-
jouer des complots... Vivre, en somme !

195
Au-delà de cette première histoire, les personnages sont appelés à mener une exis-
tence palpitante qui leur permettra d'essayer d'atteindre les objectifs qu'ils se sont
fixés. Peut-être s'agit-il de gravir les échelons de l'administration, de devenir un
général renommé, un commerçant riche et influent, un savant dont les écrits font
autorité ? Tout dépend de vous.

Les personnages qui ont survécu à « Que vive son ka »peuvent être réutilisés pour
de nouvelles parties, fidèles à eux-mêmes mais enrichis par l'expérience qu'ils ont
acquise ensemble. Chaque personnage qui est arrivé au terme du scénario gagne,
au choix du joueur, un point de Maât ou un point à ajouter à n'importe lequel de
ses Attributs.

Un joueur peut également endosser le rôle d'un nouveau personnage si celui qu'il
interprétait est mort ou qu'il ne lui convient pas. Il suffit pour cela de télécharger
les personnages prêts à l'emploi sur le site internet de Kémi et découvrir l'Égypte de
Touthmès III à travers de nouveaux yeux.

196
197
Les personnages

198
N
ous incluons dans ce scénario six personnages prêts à l'emploi : il s'agit
des rôles qu'endosseront les joueurs au cours de la partie. Vous trouve-
rez plus loin toutes les informations les concernant, qu'il s'agisse de leur
nom, de leur personnalité, de leur activité ou de leurs caractéristiques chiffrées
utiles pour le jeu.

Un septième personnage nommé Nesamon est détaillé. Il s'agit du « Contact » du


groupe, du commanditaire des personnages, l'autorité hiérarchique dont ils dé-
pendent et pour le compte duquel ils réaliseront leur première mission. Cette fi-
gure capitale du scénario ne peut pas être interprétée par un joueur et sa gestion
incombe à la conteuse et à elle seule. C'est par le biais de Nesamon que les joueurs
plongeront dans l'aventure, comme vous le découvrirez plus loin.

Sur la fiche...
Chaque personnage dispose d'une fiche où figurent les informations qui le carac-
térisent.

La description présente l'apparence physique du personnage, son attitude, la ma-


nière dont il s'habille. Chaque joueur doit décrire son personnage aux autres lors
de leur première rencontre afin que tous aient une image précise des différents
protagonistes de l'histoire.

La carrière correspond au métier du personnage et permet de le situer dans la so-


ciété. La carrière donne également une indication sur les centres d'intérêt et les
compétences du personnage.

L'histoire personnelle est le passé du personnage et il explique, ente autre, comment


il en est venu à se rapprocher de Nesamon. Dans certains cas, l'histoire personnelle
tisse des relations entre les personnages avant même le début de la partie de jeu.

199
C'est le cas, par exemple, de Djéserka et de Sora qui se connaissent déjà. Ce passé
commun offre ainsi aux joueurs qui interprètent Sora et Djéserka la possibilité de
réagir de manière originale et surprenante et susciter des questions intéressantes
chez les autres personnages. L'histoire personnelle est toujours un bon moyen de
conférer épaisseur et crédibilité à un personnage.

Comme son nom l'indique, l'équipement regroupe les objets notables auxquels le
personnage a accès.

Les Attributs détaillent les aptitudes et les connaissances des personnages sous
forme chiffrée, comme nous l'avons vu dans la section consacrée aux règles du
jeu. Les différences de profil sont bien visibles et il suffit de comparer les scores
de Combat et de Culture Générale respectifs de Djeserka et de Nakhtamon pour
comprendre que le premier est un soldat peu éduqué et le second un lettré à peine
capable de tenir une arme.

Enfin, la dernière section présente les relations qu'entretient le personnages avec


les autres membres du groupe.

Présentez en quelques mots ces différents personnages à vos joueurs et évoquez


sommairement leurs domaines d'intervention (Djéserka est un combattant bour-
ru, Sati est un médecin au grand coeur, Nakhtamon est un scribe tatillon et perfec-
tionniste...). Lorsque les joueurs ont choisi le rôle qu'ils comptent endosser, don-
nez-leur la fiche correspondante après l'avoir photocopiée ou téléchargée sur notre
site web www.sethmes.com.

200
201
Djéserka
Garde personnel de Nesamon

Description - Je suis un homme d'une trentaine d'années, trapu, musclé, au visage


rond et au regard sombre. Je suis célibataire et je vis dans le quartier des serviteurs
de Nesamon avec mon vieux père.

Carrière - Garde personnel de Nesamon

Histoire personnelle - Originaire d'un village proche de Ouaset, j'ai servi pendant
près de 10 ans dans la police de Pharaon, multipliant les affectations et gravissant
lentement les échelons de ma hiérarchie. Après avoir connu la surveillance des
quais de Ouaset, le contrôle des marchés puis le maintien de l'ordre dans le quartier
administratif de la capitale, j'ai tiré mon épingle du jeu deux ans plus tôt en met-
tant en fuite à moi tout seul trois malfrats qui agressaient une conseillère du haut
fonctionnaire Nesamon (Sora). Ce dernier me convoqua à l'issue de ce haut fait et,
convaincu de ma valeur, décida de faire de moi son garde du corps après avoir ob-
tenu l'accord de l'administration. Un profond respect mutuel nous lie, Nesamon et
moi, et malgré la brièveté et l'apparent laconisme de nos échanges, nous en savons
plus l'un sur l'autre que nous ne voulons bien l'admettre.

Équipement - une longue dague (Dommages 4), une matraque (Dommages 2), des
protections de cuir (Protection 1)

Attributs - Physique 5 ; Agilité 3 ; Perception 2 ; Charisme 0


Artisanat 0 ; Bureaucratie 0 ; Connaissance du Monde 2 ; Culture égyptienne 1 ;
Érudition 0 ; Médecine 1 ; Voyage 2 ; Se battre 5 ; Tir 3

Points de vie : 15 Point de Maât : 1

202
Ce qu'il pense de...

Nakhtamon - Cette moitié d'homme ne cesse de se plaindre du ventre, de la tête,


des dents mais mon maître apprécie sa compagnie. Avec le temps, j'ai fini par sai-
sir que son corps malingre cachait un esprit puissant et savant. Si Nesamon ne se
lasse pas de lui, peut-être Nakhtamon pourra-t-il m'expliquer sa science de scribe.
En échange, je le ferai courir un peu et manier le bâton. Voilà qui ne pourra pas lui
faire de mal.

Minkhat - Je ne nie pas que ce garçon sait donner vie au bois et à la pierre. Peut-être
même trop bien pour son âge, et il le sait. Il finira par comprendre que le monde
n'est pas à ses pieds et s'il le faut, je m'en chargerai, tout artisan des ateliers d'Amon
qu'il est.

Sora - J'ai du mal à en parler. Qu'on la croit amante de


mon maître m'arrange et me torture tout à la fois. Et
si cela devait arriver...

Mère Sati - Comment ne pas aimer cette femme


pleine de vie. C'est aussi une combattante à sa
manière.

Horep - J'ai servi quelque temps dans l'armée


avant de rejoindre la police de Ouaset. Je sais ce
dont sont capables les bédouins et je ne com-
prends pas ce qui a pu pousser un Égyptien à
se mêler à eux, un ancien soldat comme moi, de
surcroît. Je me méfie de cet Horep comme d'un
scorpion.

Nesamon : J'ai juré de le protéger et de le servir.


J'accomplirai mon devoir quel qu'en soit le prix
car mon engagement honore Maât et les dieux.

203
Nakhtamon
Scribe du Double Grenier

Description - Je suis un homme de petite taille à la peau pâle. Je porte la plupart du


temps une courte perruque pour me protéger du soleil que je supporte mal ainsi
que de multiples amulettes de pierre et de bois. J'ai l'air constamment concentré
et préoccupé.

Carrière - Scribe affecté à la comptabilité des greniers de la rive orientale de Oua-


set. 25 ans. Je suis marié et j'ai une fille de 4 ans.

Histoire personnelle - Fonctionnaire appliqué et consciencieux issu d'une famille


modeste de Iouni, je suis depuis plusieurs années en charge du recensement des
récoltes de la très fertile rive orientale de Ouaset. Grand habitué des procédures ad-
ministratives et amoureux de la précision, je connaissais bien le fils de Nesamon,
Hemaka, malheureusement décédé en Nubie il y a quelques mois. Contre toute
attente, cette épreuve nous a rapproché, Nesamon et moi. Le père d'Hémaka m'ap-
précie pour ma grande droiture, ma fiabilité et mon amour de l'harmonie de Maât
et il n'hésite pas à faire appel à moi pour le conseiller dans ses
affaires commerciales ou administratives les plus délicates.

Équipement - Matériel d'écriture (encre, tessons de poterie,


papyrus, calames et palette), perruque et amulettes.

Attributs - Physique 2 ; Agilité 2


Perception 4 ; Charisme 2
Artisanat 1 ; Bureaucratie 4 ; Connaissance
du Monde 2 ; Culture égyptienne 3 Érudition 3
Médecine 1 ; Voyage 0 ; Se battre 0 ; Tir 0

Points de vie : 12 Point de Maât : 1

204
Ce qu'il pense de :

Djéserka - Il parle peu et mange beaucoup. Je pourrais détester ce genre de brute


vindicative mais il n'existe nul homme aussi honnête et sincère que ce garde en qui
sommeille un lion. Je crois qu'il aimerait que je lui apprenne à lire mais il n'ose pas
me le demander.

Minkhat - En voilà un à la langue bien pendue qui parle avec le même aplomb à ses
compagnons d'ateliers qu'aux femmes mariées du quartier noble. Il découvre avec
délice le monde dans lequel l'a invité Nesamon mais il ne devrait pas oublier qu'ici,
au milieu des prêtres et des fonctionnaires, un joli sourire et le sens de la répartie
sont des armes que tous manipulent.

Sora - J'avoue ne pas comprendre ce que fait cette femme auprès de maître Nesa-
mon et je n'aime pas quand elle parle avec lui dans l'horrible langue du Mitanni.
Djéserka sait quelque chose, j'en suis sûr, mais il est trop fidèle à son maître pour
m'en parler.

Mère Sati - Je suis parfois embarrassé par les effusions de cette femme dont chaque
apparition est à la fois un spectacle et un grand moment de joie. Quelle voix, quelle
ampleur... et quelle sensualité !

Horep - Je n'ai guère confiance en cet Égyptien qui aurait vécu parmi les nomades.
Il a adopté la moitié de leurs coutumes et distordu l'autre moitié des nôtres. J'es-
père ne jamais avoir à le suivre dans le désert avec sa mule idiote.

Nesamon - Cet homme est bien seul maintenant que sa femme et son fils ont rejoint
le Bel Occident. Parfois, je sais qu'il n'a pas réellement besoin de mes services, ses
scribes sont tout aussi capables que moi de régler ses problèmes de comptabilité
ou ses interrogations juridiques. Je pense qu'il aime nos discussions sur la poésie,
les dieux et les mystères de notre monde. Peut-être était-ce ainsi qu'il s'entretenait
avec son fils Hémaka ?

205
Minkhat
Sculpteur du temple d'Amon

Description - Je suis un bel homme aux cheveux courts, noirs et frisés. La vigueur
que j'investis dans mon travail m'a rendu mince et musclé et mon sourire enjô-
leur fait des ravages parmi les femmes de mon quartier. Je porte un gros pendentif
d'albâtre en forme de scarabée dont je ne me sépare sous aucun prétexte. Cadeau
de mon père, je lui accorde de puissantes propriétés magiques. J'ai 19 ans, je suis
célibataire, je vis avec ma famille au sein du domaine d'Amon.

Carrière - Sculpteur au service du temple d'Amon-Rê.

Histoire personnelle - Je suis sculpteur dans les ateliers du temple d'Amon, comme
mon père, mon grand-père, et ainsi de suite sur cinq générations. Toute ma famille
travaille au sein du grand complexe d'Opet-Isout et est respectée pour son dévoue-
ment au dieu thébain qui remonte au Moyen Empire. J'ai réalisé la statue funéraire
du père de Nesamon, le Prophète Hapou. Touché par la gravité et la prestance de la
représentation de son père, Nesamon a tenu à rencontrer l'artiste qui en était l'au-
teur et m'a commandé d'autres travaux. Une relation de confiance s'en est ensuivie
et je suis de temps en temps invité aux réceptions données par mon « mécène ».

Équipement - matériel de sculpture dans son atelier, un


burin effilé pouvant faire office d'arme (Dommages 3),
quelques textes religieux.

Attributs - Physique 2 ; Agilité 3 Per-


ception 2 ; Charisme 3
Artisanat 4 ; Bureaucratie 0 Connais-
sance du Monde 1 Culture égyptienne 3
Érudition 2 ; Médecine 0 Voyage 1 ; Se
battre 3 ; Tir 0

Points de vie : 12 Point de Maât : 1

206
Ce qu'il pense de :

Djéserka - Il faudrait que ce rustaud se rappelle que je suis un invité de son maître
et qu'il cesse de me traiter comme un intrus. Je n'y suis pour rien s'il ne sait rien
faire d'autre qu'obstruer les portes en prenant un air désagréable. Hélas, ce garçon
qui n'a l'air ni malin ni vraiment méchant est un mal nécessaire.

Nakhtamon - Tout ce que fait Nakhtamon semble si sérieux et important. Ne voit-il


pas que la vie lui tend les bras ? Du vin, de la musique et quelques aventures dans les
mauvais quartiers de Ouaset le dérideraient un peu. Je l'aime bien, et comme je suis
persuadé que c'est réciproque, je devrais bientôt pouvoir l'encanailler.

Sora - Une femme mystérieuse à l'accent délicieux. Un cœur à conquérir aussi. Je


ne voudrais froisser personne mais si Nesamon ne se décide pas, je me verrai obligé
de la laisser choir dans mes bras. Certes, elle ne le sait peut-être pas encore, mais
avec le temps...

Mère Sati - C'est difficile à admettre mais je crois qu'elle me connaît mieux que je
ne le souhaiterais. Il lui suffit d'un sourire, d'un regard et je comprends qu'elle voit
l'enfant angoissé qui est en moi, qui veut rendre son père fier, faire honneur à son
maître et plaire au monde entier. Je la remercie chaque jour de ne pas user de sa
perspicacité contre moi.

Horep : Il appartient à un autre monde et pour cette raison, je me sens à l'aise avec
lui. Il n'y a pas de concurrence, de vanité mal placée ni de jeu de dupe entre nous.
Parfois, j'envie sa liberté.

Nesamon - C'est grâce à lui que je fréquente un milieu qui m'était jusqu'ici interdit.
J'apprends vite et bien et j'espère qu'il comprendra que je peux être bien plus qu'un
artisan doué. J'adore ce que je vois, la richesse, les femmes, le pouvoir et je crois
qu'il peut me guider vers les sommets.

207
Sora
Conseillère et diplomate

Description - Frêle jeune femme à la peau claire et aux longs cheveux noirs et bou-
clés, je ne trompe personne : mon visage décidé et mon regard perçant traduisent
toute ma détermination et mon intelligence. Vêtue à l'égyptienne, je porte des bi-
joux rappelant mes origines asiatiques. Je suis divorcée et j'ai un fils de 6 ans.

Carrière - Diplomate, interprète et conseillère.

Histoire personnelle - Fille d'un commerçant du Réténou (Palestine), je me suis in-


tégrée très tôt au peuple de Kémi en recevant une éducation égyptienne dans la cité
de Sharouhen. Mes qualités relationnelles m'ont rapidement permis d'assumer un
rôle d'interprète et de diplomate, à Mennefer dans un pre-
mier temps, puis à Ouaset, sur ordre de ma hiérarchie.
Je suis aujourd'hui une médiatrice de choix pour toutes
les tractations entre négociants égyptiens et asiatiques,
raison pour laquelle Nesamon a fait de moi sa conseil-
lère. Il apprécie mon sens de la mesure et de la négo-
ciation. Peut-être plus, ose-t-on dire parmi les servi-
teurs du notable...

Équipement - Matériel d'écriture de base, un poignard


(Dommages 3), une liste de commerçants du Réténou
présents sur les marchés de Ouaset.

Attributs - Physique 1 ; Agilité 2


Perception 4 ; Charisme 3
Artisanat 0 ; Bureaucratie 3 ; Connaissance du Monde
3 ; Culture égyptienne 3 ; Érudition 3
Médecine 0 ; Voyage 1 ; Se battre 0 ; Tir 0

Points de vie : 11 Point de Maât : 1

208
Ce qu'elle pense de :

Djéserka - Il m'a sauvé la vie et je suis heureuse que Nesamon ait accepté de le
prendre comme garde personnel. Avec lui, je sais que nous sommes en sécurité et
il est plus attentif et prévenant que son apparence pourrait le laisser croire. C'est
un excellent ami et je m'inquiète pour lui. Ces derniers temps, il m'a parue quelque
peu tourmenté.

Nakhtamon - Ce scribe est persuadé que le monde se résume à la capitale de Kémi


et il me le fait bien comprendre. Il est froid, procédurier mais efficace. Je n'ai pas
grand chose en commun avec lui.

Minkhat - Un beau jeune homme que Nesamon a rencontré dans les ateliers du
temple d'Amon-Rê. J'ai remarqué les regards qu'il posait sur moi et je dois admettre
mon trouble. Il est drôle, intelligent, compétent mais j'ignore ce qui se cache der-
rière cette perfection.

Mère Sati - C'est une personnalité incontournable de la maison de Nesamon. Elle


est pour moi une amie et une confidente. C'est elle qui soigne ma famille.

Horep - Je partage avec lui le sentiment d'être étrangère à cette terre malgré mes
fonctions et mon statut. Parfois, pour rire, nous échangeons quelques mots dans
les langues du Réténou et nous évoquons ensemble la beauté de l'Asie. Je suis heu-
reuse de partager ces moments avec lui tant il me semble perdu ici, au bord du
fleuve.

Nesamon - Il est mon père, mon frère, mon guide, mon inspiration. C'est déjà beau-
coup. Je lui dois de me sentir bien à Ouaset alors que mon coeur est toujours à
Sharouhen. Évidemment, on fait de moi son amante mais le souvenir de sa défunte
femme, que je n'ai pas connue, est encore trop fort pour qu'il pense sérieusement à
nous. Je n'attends rien de lui, je crois que tout est mieux ainsi.

209
Mère Sati
Médecin

Description - Femme forte et généreuse, je suis également prompte à une certaine


exubérance que j'affiche volontiers en portant des tissus colorés, des bijoux voyants
(bien que peu coûteux) et, parfois, des perruques d'une taille impressionnante. J'ai
31 ans et je suis veuve.

Carrière - Médecin Sounou en charge des manutentionnaires de la Maison de l'Or

Histoire personnelle - Formée par mon père, j'appartiens aux Sounou, des méde-
cins qui privilégient une approche empirique et concrète de leur discipline. Après
avoir longtemps officié sur les chantiers de la rive ouest, notamment auprès des
ouvriers qui creusent les hypogées, j'ai demandé a être affectée à un autre poste.
En effet, le souvenir de l'effondrement d'une galerie et de mon incapacité à sauver
toutes les victimes m'était devenu insupportable. Pourtant, nombreux sont les arti-
sans à savoir qu'ils me doivent la vie et ils affirment que je ne me suis jamais ména-
gée pour soulager leurs souffrances, qu'elles soient physiques ou psychologiques.
Je bénéficie toujours de cette réputation chez les manutentionnaires de la Maison
de l'Or qui travaillent sous les ordres de Nesamon. L'affection que les ouvriers me
portent me vaut d'ailleurs le surnom affectueux de « Mère Sati » et cette notoriété
n'a pas manqué de parvenir aux oreilles de Nesamon.

Équipement - Instruments chirurgicaux, plantes, onguents et matériel médical


permettant d'intervenir sur des maladies communes et des blessures ouvertes,
quelques papyrus de référence (j'en ai beaucoup plus dans mon office, au sein des
entrepôts de la Maison de l'Or).

Attributs - Physique 2 ; Agilité 1 ; Perception 4 ; Charisme 3


Artisanat 0 ; Bureaucratie 1 ; Connaissance du Monde 2 ; Culture égyptienne 2 ;
Érudition 2 ; Médecine 5 ; Voyage 2 ; Se battre 0 ; Tir 0

Points de vie : 12 Point de Maât : 1

210
Ce qu'elle pense de :

Djéserka - Un gaillard solide et droit quoiqu'un peu bougon. C'est un miracle que
personne n'ait remarqué son attirance pour Sora.

Nakhtamon - Ce pauvre petit oiseau tombé du nid fait peine à voir... jusqu'à ce qu'on
l'entende parler. Il est persuadé que sa fonction le contraint à la dureté et il joue ce
jeu à merveille. C'est parfois effrayant.

Minkhat - Ce n'est qu'un gosse prétentieux mais attachant. En vérité, il est terrifié
par les opportunités que lui offre Nesamon et son joli minois ne l'empêchera pas de
recevoir quelques retours de bâtons dont la vie a le secret.

Sora - Beaucoup lui reprochent d'essayer de prendre la place de la femme de Nesa-


mon. Ils se trompent, cette belle Asiatique ne recherche pas le pouvoir.

Horep - Destin complexe et tourmenté que celui d'Horep. Il n'est pas le traître
à la solde des bédouins que certains voient en lui mais, au contraire, le reflet de
nos propres peurs à l'égard de ce que nous ne connaissons pas. Ne
montre-t-il pas chaque jour sa loyauté en menant les caravanes
de Nesamon dans les gouffres et les montagnes de l'Est ?

Nesamon - Depuis peu, il m'a choisie comme médecin


attitré et me recommande auprès de ses amis. Je suis
honorée, d'autant que Nesamon est un homme bon
et compréhensif, mais qu'il ne se méprenne pas : ma
place est auprès de ceux qui souffrent, je ne veux
pas être enfermée dans une belle demeure pour
y voir défiler de riches patients, malades d'avoir
trop mangé et trop bu.

211
Horep
Caravanier au passé trouble

Description - Je suis un homme d'une trentaine d'année, de petite taille, aux che-
veux poivre et sel, aux membres noueux.Mon visage buriné par le désert est un lacis
de rides où brillent mes yeux attentifs. Je suis vêtu d'un épais pagne de lin beige et,
lors de mes expéditions, je porte une chemise de laine, des sandales et un bâton. J'ai
une femme, quelque part dans les montagnes de l'Est.

Carrière - Guide des caravanes de Nesamon

Histoire personnelle - Fils de paysan, j'ai rejoint les troupes de Pharaon comme soldat
dans l'infanterie à l'âge de 16 ans et j'ai participé à la bataille de Megiddo. Quelques se-
maines plus tard, mon détachement fut attaqué par une tribu nomade dans la vallée de
Rohanou. Je survécus et les bédouins choisirent de me conserver comme otage. J'ai dé-
couvert que les hommes que je considérais comme des barbares sanguinaires avaient
des femmes, des enfants, une langue, un art. D'otage, je devins objet de curiosité puis
ami. Mon destin est depuis lié à celui de ce peuple mal aimé que les hommes de la vallée
redoutent et mon cœur est partagé entre l'amour de la Terre Noire et celui des grands
espaces. D'un commun accord avec ma famille d'adoption, j'ai retrouvé le fleuve il y a
peu et j'ai été rapidement engagé par Nesamon pour guider ses caravanes nubiennes.
Je connais les pièges du désert et les convois que j'accompagne ne sont jamais attaqués.
C'est pour ces raisons que Nesamon, même s'il soupçonne que je cache un secret, res-
pecte mes silences et apprécie mes conseils.

Équipement - Cartes des pistes du désert oriental, sandales, vêtements chauds pour
les rudes nuits dans le désert, dague bédouine (Dommages 3), un âne nommé Dja-
dao.

Attributs - Physique 4 ; Agilité 3 ; Perception 3 ; Charisme 0


Artisanat 1 ; Bureaucratie 0 ; Connaissance du Monde 2 ; Culture égyptienne 1 ;
Érudition 0 ; Médecine 1 ; Voyage 4 ; Se battre 3 ; Tir 2

Points de vie : 14 Point de Maât : 1


212
Ce qu'il pense de :

Djéserka - Le monde est plus vaste qu'il ne le croit et les dieux prennent des visages
qu'il pense être ceux de démons. Je ne le blâme pas. C'est ainsi que l'on nous a tous
éduqués.

Nakhtamon - Lui aussi me voit comme un pillard corrompu par Seth. Il pense que je
vais lui trancher la gorge dès qu'il aura le dos tourné. Il oublie que je suis un fils du
fleuve, comme lui. Je n'ai pas l'intention de le convaincre, à quoi bon ?

Minkhat - Il est un pur fils de notre époque, orgueilleux, arriviste, séducteur, ma-
nipulateur, mais avec moi, il sait se taire. Son coeur n'est pas entièrement confit
dans le miel de la civilisation et je sens qu'une partie de lui aspire à plus de sérénité.

Sora - Pas tout à fait Égyptiens, pas tout à fait étrangers, nous nous comprenons.
Je sais qu'elle plaide ma cause auprès de ceux qui se méfient de moi et je lui dois
certainement d'avoir échappé à quelques ennuis par le passé.

Mère Sati - Elle s'est plus d'une fois occupée des blessures que me
valent mes nombreux voyages. Cer-
tains la trouvent trop bruyante mais
elle est à mes yeux comme une oa-
sis dans le désert, tendre et apai-
sante.

Nesamon - Il a eu le courage de me
confier des responsabilités alors
que tous pensaient que j'allais
m'empresser d'attirer ses convois
dans des traquenards. Le fait que ce soit
un Égyptien parfaitement respectable qui se
soit rendu coupable de ce forfait me fait ricaner
aujourd'hui (voir le roman Sennefer, les Larmes de
Kémi).

213
Le Contact du groupe
Kémi est une nation ancienne en quête d'éternité et d'unité. Une des conséquences
bien connues de cet ambitieux projet national est la forme même de la société pha-
raonique : une machine conservatrice et bien huilée dont chaque membre occupe la
place qui lui revient, dans l'intérêt de la collectivité. Telle est la règle de Maât.

Contrairement à d'autres contextes de jeux de rôle, l'Égypte antique laisse peu de


place aux initiatives strictement personnelles car aucun de ses citoyens ne peut
se soustraire impunément à l'influence de son environnement quotidien : sa hié-
rarchie professionnelle, l'administration, les temples, sa propre famille... Il lui est
impossible de renoncer aux contraintes de la civilisation sans en perdre les avan-
tages et tourner le dos à son statut d'Égyptien.

Il est ainsi peu vraisemblable que les personnages puissent un beau jour choisir
d'abandonner leurs activités respectives, quitter leurs proches et former un groupe
pour se lancer à l'aventure. Ils auraient tôt fait d'être considérés comme des parias
voire des brigands : en un mot, ils n'auraient plus leur place en ce monde. Pourtant,
les personnages de Kémi jouissent d'une liberté rare et connaissent une existence
hors du commun et ce, pour une raison simple : choisis entre tous pour leurs quali-
tés personnelles, ils agissent pour le compte d'une instance supérieure représentée
par le Contact du groupe.

Le Contact du groupe est une personne bien implantée dans la haute société qui
connaît et estime suffisamment les personnages pour leur demander de lui rendre
quelques « services » voire de travailler pour elle (éventuellement en secret dans le
cas d'affaires sensibles dont les autorités ne doivent pas avoir connaissance). La
culture égyptienne étant plus attentive à la valeur d'un individu qu'à son rang, il
n'est pas exceptionnel que des serviteurs efficaces se voient confier des missions
qui semblent sans rapport direct avec leur fonction. Les plus méritants peuvent
même être propulsés à des postes importants malgré une origine modeste.

214
Commanditaire, mécène, supérieur hiérarchique, conseiller, indicateur, complice,
le Contact est la raison d'être du groupe qu'il fédère sous son autorité et auquel il
donne ses directives. Il entretient une relation privilégiée avec chacun des membres
de l'équipe qu'il a consciencieusement composée pour servir ses intérêts et ceux
de la faction qu'il représente. Il n'est pas nécessaire que tous les personnages se
connaissent avant d'être convoqués par le Contact, aussi ce dernier est-il parfois
le seul lien entre des individus qui n'auraient à priori aucune raison de se côtoyer.

Bien qu'étant une incarnation du pouvoir (bureaucratique, religieux, militaire, in-


tellectuel...), le Contact du groupe n'est pas un chef ou un maître au sens habituel
du terme. Il existe une connivence entre les membres du groupe et leur Contact,
une relation précieuse en marge de la hiérarchie conventionnelle qui peut, dans
certains cas, devenir franchement amicale. Quoi qu'il en soit, l'arrangement infor-
mel entre le Contact et ses discrets collaborateurs devrait être placé sous le signe de
la confiance mutuelle, sans considération d'origine ni de statut : le groupe s'efforce
de satisfaire son commanditaire dans la mesure de ses possibilités et des risques
qu'il est prêt à courir et le Contact se doit de les récompenser et de les protéger.

À la manière des personnages mis à disposition des joueurs, nous vous proposons
un Contact prêt à l'emploi. Vous le connaissez déjà si vous avez lu le roman Senne-
fer, les Larmes de Kémi : il s'agit du haut fonctionnaire Nesamon. Comme vous l'avez
remarqué à la lecture de leurs fiches, les personnages entretiennent tous des re-
lations privilégiées avec Nesamon et bénéficient de sa confiance. La première en-
quête qu'il leur confie (et le premier scénario de Kémi) constitue pour lui un moyen
d'évaluer les compétences et la loyauté de ses « protégés ». Espérons que les joueurs
ne le décevront pas.

215
Nesamon
Haut fonctionnaire de la Maison de l'Or

Le Contact est un artifice commode pour le maître de jeu : il lui fournit un prétexte
plausible de réunir les personnages interprétés par les joueurs et de guider leur
premiers pas dans l'aventure qui s'offre à eux. D'une certaine manière, Nesamon
est l'alter ego de la conteuse, un élément moteur susceptible de renseigner les per-
sonnages, les encourager ou les sanctionner s'il est nécessaire de leur signaler leurs
maladresses.

Description - Il s'agit d'un homme d'une quarantaine d'années, grand, presque


maigre dont les lèvres pleines et la peau mate semblent indiquer des origines mé-
ridionales. Son crâne est consciencieusement rasé et il porte sur sa belle robe de lin
blanc de superbes bijoux d'or qui rappellent sa fonction. Il parle à ses interlocuteurs
d'une voix grave et posée, la tête penchée sur le côté et les yeux mi-clos, comme s'il
cherchait à les préserver du soleil, une vieille habitude qu'il a conservée de trop
nombreux voyages dans le désert. Passée une première impression d'austérité, Ne-
samon se montre profondément honnête et bon, des qualités que la récente perte
d'un fils dissimule trop souvent sous un voile de mélancolie et d'amertume.

Carrière - Fonctionnaire du Trésor, Superviseur des approvisionnements de la


Maison de l'Or.

Histoire personnelle - Ancien commerçant officiel de Pharaon, Nesamon a long-


temps arpenté les pistes caravanières reliant Ouaset à la Nubie. À l'âge de 22 ans, il
a participé à la fameuse expédition vers Pount voulue par Hatshepsout en qualité
d'assistant de Néhésy sur les questions de communication et de commerce avec
les autochtones. À son retour, la réussite de la mission et ses aptitudes lui valurent
d'être recommandé pour un poste de supervision du trafic caravanier dans les ré-
gions aurifères situées entre Abou et la Mer Rouge. Après quelques années de tra-
vail en Basse Nubie, Nesamon fut muté à Ouaset et obtint en l'an 22, à l'occasion de
l'accession de Touthmès au trône, la responsabilité de veiller sur les approvision-

216
nements de la Maison de l'Or. Depuis trois ans, il multiplie les déplacements entre
Ouaset et Abou et gère les aspects techniques, logistiques et humains de l'achemi-
nement de l'or provenant d'une demi-douzaine de mines nubiennes.

Il est également à noter que le fils de Nesamon, Hémaka, est mort quelques mois
plus tôt dans des circonstances tragiques. Il fut en effet victime d'un assassinat
alors que son père l'avait envoyé en mission d'observation à Abou (voir le roman
Sennefer, les Larmes de Kémi).

Équipement - L'équipement personnel de Nesamon n'a pas grande importance car


les personnages le rencontreront la plupart du temps dans sa belle demeure du
quartier aisé de Ouaset et il est peu vraisemblable qu'il les suive en personne dans
leurs pérégrinations. Il doit à son statut des richesses non négligeables (domaine,
terres, serviteurs, bétail, navire...) et il a accès à nombre d'objets, documents et se-
crets qui sont encore hors de portée des joueurs. Bien que les personnages puissent
faire appel aux ressources de Nesamon, prenez garde à ne pas faire de lui une
« boutique » où il serait possible de s'approvisionner jour et nuit en toute impunité.
Toute demande auprès du Contact doit être justifiée, argumentée et réaliste. Enfin,
bien que Nesamon soit un notable aux yeux des personnages, il n'est finalement
qu'un modeste représentant de la haute société de Ouaset et il lui sera, par exemple,
très difficile d'obtenir une entrevue avec Pharaon s'il n'est pas soutenu par de puis-
sants appuis politiques ou religieux.

Attributs - Nesamon n'est pas censé partir en mission avec les personnages étant
donné qu'il en est le commanditaire. Nous vous proposons néanmoins ses caracté-
ristiques chiffrées à titre indicatif au cas où les personnages l'entraîneraient dans
des situations imprévues.

Physique 3 ; Agilité 2 ; Perception 5 ; Charisme 3


Artisanat 2 ; Bureaucratie 6 ; Connaissance du Monde 4 ; Culture égyptienne 5
Érudition 4 ; Médecine 1 ; Voyage 3 ; Se battre 2 ; Tir 1

Points de vie : 13

217
Ce qu'il pense de :

Djeserka - Encore quelques années et je lui confierai ma vie les yeux fermés. J'ap-
précie tout particulièrement son dévouement silencieux et son humilité.

Nakhtamon - Ce jeune scribe est l'un des hommes les plus sérieux et rigoureux que
j'ai eu l'occasion de rencontrer. Mais il aussi un cœur et son témoignage de sym-
pathie lors de la mort de mon fils m'a particulièrement touché. Il m'a promis de
m'assister en toute chose si je le lui demandais, en mémoire d'Hémaka. Il est temps
que je le prenne au mot.

Minkhat - Fier, beau et sûr de son fait, Minkhat peut se montrer arrogant au pre-
mier abord. Il s'agit en réalité d'un garçon travailleur et débrouillard, très à l'aise
dans de nombreux milieux. Sa place dans les ateliers du temple d'Amon me semble
être un excellent moyen d'obtenir des informations sur les activités du clergé.

Sora - Ah, Sora. Comment ne pas alimenter les rumeurs qui courent sur notre pos-
sible liaison... Ses origines étrangères et sa beauté ombrageuse nous intriguent
tous mais c'est pourtant pour son excellente connaissance du commerce et de l'Asie
que je me suis attaché ses services. J'admets qu'elle constitue un atout important
pour faire fléchir certains de mes collaborateurs mais les méthodes de Sora lui ap-
partiennent et je ne veux rien en savoir.

Mère Sati - Cette femme est la générosité même et elle réserve le même traitement
aux paysans qu'aux Imakhou de la cour de Pharaon. Voilà un bel exemple de justice
et d'honnêteté. Son caractère entier m'a plu dès que je m'y suis frotté... Sa gentil-
lesse lui ouvre de nombreuses portes auxquelles je n'aurais pas accès seul.

Horep - Quelque chose en Horep m'est totalement inaccessible. Je me demande


quelles horreurs il a pu connaître ou de quels secrets il est le dépositaire pour sem-
bler ne jamais être véritablement parmi nous. Mais il est loyal et a la capacité de
repousser les dangers autour de mes caravanes. Il est un atout indéniable dans mes
entreprises et il me rappelle parfois mon garde Djéserka, même si cette comparai-
son ne ferait sans doute plaisir à aucun des deux hommes.

218
219
Que vive son Ka

220
L'aventure commence ici...

L
e scénario que nous vous proposons se déroule dans la ville de Ouaset, plus
connue aujourd'hui sous le nom de Louxor. Nombre de lieux évoqués dans
la très rapide description de la cité fournie ci-dessous vous sont peut-être
familiers : l'Opet-Isout est bien sûr le temple de Karnak, l'Opet-Reset est le temple
de Louxor, le site de Deir el-Bahari abrite le Djéser-djéserou d'Hatshepsout et les
temples de Millions d'Années de Touthmès III et de Mentouhotep II... Toutefois,
il est important de rappeler que la reconstitution sommaire que nous vous livrons
est fondée sur une interprétation de la réalité : nous ne savons pas réellement où se
situait le quartier des artisans ni à quoi ressemblaient les bâtiments administratifs
où se décidait le destin du pays. C'est à cet instant que nous mettons l'imagination
au service de la découverte et du plaisir de jouer. Sachant qu'une armée d'égyptolo-
gues ne parviendrait pas à nous fournir une image parfaitement fidèle de la confi-
guration et de l'activité de Ouaset, il est parfois utile de combler les vides et d'in-
venter des réponses plausibles aux questions que l'archéologie nous pose encore.
En cela, Kémi est un jeu voué à une perpétuelle évolution car chaque découverte
scientifique nous permettra d'affiner notre vision de l'Égypte ancienne, celle dans
laquelle vivent vos personnages.

Si vous souhaitez participer à l'aventure en tant que joueur, il est important que
vous interrompiez dès à présent votre lecture. Les informations qui suivent sont
réservées à la conteuse. Si vous preniez connaissance des secrets de l'intrigue, tout
le plaisir de la partie s'en trouverait sérieusement compromis, comme si l'on vous
racontait la fin d'un roman que vous venez à peine d'entamer.

Par ailleurs, si vous n'avez pas lu le roman Sennefer, les Larmes de Kémi, plusieurs
éléments décrits plus loin révèlent des aspects mportants de son intrigue.

221
Ouaset, la Cité d'Amon
Nommée Nout-Amon (la Cité d'Amon) ou Het-Amon (le Château d'Amon), Ouaset
est la capitale politique et religieuse de Kémi choisie par les rois de la 18e dynastie.

Ancien chef-lieu de la province du même nom (la province du Sceptre), en Haute


Égypte, Ouaset bénéficia des succès des princes Antef qui restaurèrent l'unité du
pays après les affres de la première période intermédiaire, vers 2100. Son dieu
Amon, jusqu'ici méconnu, fut étroitement associé à l'exercice du pouvoir et son
clergé, soutenu par les rois du Moyen Empire, acquit rapidement un poids poli-
tique et économique considérable. Le déplacement de la capitale vers Itj-taouy par
Mentouhotep n'altéra en rien le prestige de la cité où résidait le dieu qui engendrait
les rois.

Après la période de désunion provoquée par l'occupation Hyksôs, le prince de Oua-


set, Sekenenrê-Taâ, et ses fils Kamès et Ahmès se posèrent comme libérateurs de
l'Égypte en chassant les envahisseurs asiatiques et réalisèrent à nouveau l'unifi-
cation du double pays aux alentours de 1540. Ouaset en devint naturellement la
capitale.

En l'an 25 du règne de Touthmès III, Ouaset est plus que jamais une cité flam-
boyante, jalousement protégée et constamment embellie par ses rois pour lesquels
elle incarne l'alliance parfaite entre la prospérité matérielle et la rectitude reli-
gieuse.

Cœur politique, administratif et spirituel d'un immense empire qui s'étend de la


Nubie aux portes du Mitanni, elle abrite les plus importants organes de l'état, tels
que le palais royal, les principaux services de la bureaucratie et l'immense domaine
d'Amon dont les éminents Prophètes officialisent et légitiment l'autorité des rois.

Bien qu'elle ne puisse rivaliser avec Mennefer sur le plan commercial, Ouaset est un
centre économique de première importance où transitent d'inestimables richesses.

222
Chaque jour, ce sont des dizaines de navires et de caravanes qui y convergent pour
déposer leurs lourds chargements de bois, de pierre, d'épices, de métaux précieux,
de viande, de poissons ou de toute autre ressource produite au sein de l'empire ou
prélevée comme tribut chez les nations soumises.

Tout le dynamisme de Kémi s'exprime dans cette superbe capitale dont la beauté ne
manque jamais de stupéfier quiconque la découvre pour la première fois : cette fo-
rêt de navires qui occupe les quais de pierre et les vastes bassins artificiels creusés
dans les berges du Nil, la masse colossale des temples multicolores dont le parfait
équilibre géométrique s'impose comme une évidence, la blancheur immaculée des
vastes demeures palatiales noyées au cœur de luxuriants jardins, ces interminables
allées pavées et bordées de sphinx qui découpent des droites éclatantes au cœur
des ruelles grouillantes de vie, l'immensité émeraude des terres cultivées quadril-
lées de canaux qui enserrent et nourrissent la ville... Qu'il découvre la cité à dos
d'âne depuis les hauteurs montagneuses de la rive occidentale ou au détour d'un
méandre du Nil, sur le pont d'un bateau, le nouveau venu comprend d'un simple
regard, teinté d'émerveillement et de respect, ce que signifie la prestige de la nation
égyptienne.

223
Les quartiers de Ouaset

Ouaset est le produit de l'agrégation de plusieurs bourgs situés de part et d'autre


du Nil. On distingue la rive droite, à l'est, principal centre de peuplement, et la rive
gauche, à l'ouest, traditionnellement associée au monde des morts.

La rive droite

La rive droite est un amoncellement serré d'habitations de briques émaillé de pal-


meraies, de jardins et de places encombrées où débouchent les grandes voies de
circulation orthogonales de la cité. Étalée sur plus de 6 kilomètres du nord au sud,
la ville est bordée à l'ouest par le Nil et ses longs quais où transitent de nombreux
navires de transport, des barges, des barques de pêcheurs ainsi que des nefs d'agré-
ment où nobles et hauts fonctionnaires jouissent d'un confort insolent. Des cen-
taines de manœuvres y assurent le déchargement et l'embarquement des marchan-
dises qui approvisionnent et quittent en masse les entrepôts de la ville. Non loin,
les formes fuselées de futurs navires prennent corps sous les mains des artisans qui
travaillent sans relâche dans les grands ateliers à ciel ouvert des armateurs.

En quittant les berges du Nil, les cris des manutentionnaires et les innombrables
tavernes, on retrouve les quartiers populaires dont les ruelles sinueuses marquées
par l'infinie succession de portes de bois et de fenêtres étroites s'ouvrent ça et là
sur un marché en pleine effervescence. C'est ici, au milieu des cochons et des ânes,
que s'échangent les poissons, les épices, les filtres magiques, les amulettes et tous
les produits d'un petit artisanat de proximité ainsi que des œuvres d'art âprement
négociées par une clientèle peu fortunée.

Mais rapidement, c'est l'incroyable complexe d'Amon-Rê et ses 70 hectares de


temples colossaux, d'obélisques étincelants, de statues monumentales qui captent
le regard et rappellent au visiteur son insignifiance face à la puissance de Kémi.
Cette aire sacrée, reliée au Nil par un canal, est divisée en deux enceintes protégées
par de hauts murs de briques.

224
La première et la plus notable est le « lieu élu », Opet-Isout, le domaine d'Amon
à proprement parler dont les fortifications dessinent un trapèze d'environ 500
mètres de côté. Il recèle le spectaculaire temple d'Amon, un labyrinthe de colonnes,
de chapelles, de lacs artificiels et de cours articulées autour de l'inaccessible sanc-
tuaire où repose le dieu. Montou, fils d'Amon et de Mout, dispose d'un enceinte
qui lui est consacrée au nord d'Opet-Isout mais sa taille est bien plus modeste : 150
mètres de côté.

À l'autre bout de la ville, accolé au Nil se trouve Opet-Reset (le « harem du sud »)
qu'une immense avenue bordée de sphinx connecte à Opet-Isout. Faisant égale-
ment office de résidence royale, il s'agit d'un temple secondaire où une grande pro-
cession de prêtres et de notables conduit chaque année, sous les cris de la foule en
liesse, la statue d'Amon (il s'agit de la fête d'Opet).

Les instances du pouvoir royal et de la bureaucratie égyptienne sont rassemblées


non loin du domaine d'Amon en un quartier bien ordonné dont les grandes bâ-
tisses, malgré leur prestance, semblent presque faire preuve de retenue face à la
démesure architecturale des temples du dieu de Ouaset. Le palais royal est l'en-
semble le plus remarquable, vaste domaine fortifié aux murs d'un blanc éclatant
qui multiplie les résidences à étages, les parcs et les dépendances. C'est en ce lieu
que se trouvent la cour, le harem ainsi que les bureaux où officient les plus hauts
fonctionnaires du pays comme le Tjaty. Autour du palais s'est développée une vé-
ritable cité administrative où travaillent les centaines de scribes qui gèrent l'im-
pressionnante masse d'informations collectées dans tout le pays et orientées vers
le pouvoir central. Ce quartier est placé sous la surveillance constante de la police
de la ville qui ne manque jamais de houspiller les mendiants et les indésirables qui
gêneraient dans leur tâche les meilleurs bureaucrates de la nation.

225
Cette visite de la rive droite se poursuit avec le quartier de la classe privilégiée où
de vastes et confortables demeures, isolées des habitations du peuple au milieu
de jardins ombragés, sont desservies par de larges rues pavées. Enfin, n'oublions
pas le quartier des artisans où les hommes les plus talentueux de Kémi forgent,
façonnent, peignent, cisèlent et sculptent les superbes objets destinés aux temples
et au domaine royal. Les plus compétents reçoivent de Pharaon des maisons spa-
cieuses dont le confort tout en simplicité n'a parfois rien à envier aux petits palais
nobles.

La rive gauche

Il suffit de quelques minutes en barque pour accéder à la paisible rive occidentale


que domine la grande montagne pyramidale de Ouaset, Meret-Seger, « celle qui
aime le silence ». La rive gauche apparaît de prime abord comme une très large
bande de terre cultivée, percée de nombreux canaux, qui s'étend jusqu'au pied des
contreforts rocheux du désert libyque.

La rive gauche est le plus ancien site d'occupation de la ville et on y trouve quelques
belles maisons, des quartiers d'habitation et plusieurs villages de paysans. Cette
partie de Ouaset n'a pourtant rien de commun avec la cité trépidante qui s'agite de
l'autre côté du fleuve. Nous sommes ici dans le domaine des morts et il y règne une
atmosphère étrangement calme et recueillie malgré la présence d'un important
personnel religieux et de nombreux cultivateurs.

C'est pour éviter le pillage de leurs tombeaux que les pharaons de la 18v dynastie
décidèrent de se faire enterrer en un lieu discret et difficile d'accès : la Vallée des
Rois, un ouadi reculé qui s'enfonce profondément dans le massif montagneux. Les
hypogées royaux sont ainsi creusés à flanc de falaise et sont surveillés en perma-
nence par des équipes de gardiens qui en contrôlent tous les accès. La plupart du
temps, seuls les prêtres et les artisans qualifiés qui participent à la confection et
la décoration des tombes sont autorisés à les approcher. À l'époque de Touthmès
III, nombre de notables ont fait construire leurs tombes dans les flancs des mon-
tagnes occidentales non loin des sépultures des rois et la rive gauche se mue peu

226
à peu en nécropole, à l'image d'Abdou. C'est pour cette raison que des processions
de familles endeuillées traversent fréquemment le fleuve pour saluer une dernière
fois leurs proches ou réaliser les offrandes et les rites qui assurent leur survie dans
l'au-delà (voir La mort et la promesse de l'au-delà).

Une autre innovation importante alla de pair avec le creusement des hypogées dans
la Vallée des Rois : le temple funéraire était désormais détaché de la tombe et les
rois de Ouaset les placèrent face au Nil, orientés vers le soleil levant. Le site le plus
célèbre est situé dans un impressionnant cirque de pierre dont les hautes falaises
abritent le Djéser-djéserou, temple de Millions d'Années de toute beauté dédié à
Hatshepsout. Orné de parcs et de bassins, entretenu par des centaines d'employés
et de prêtres, le temple d'Hatshepsout côtoie au cœur de la même enceinte sacrée
le petit temple de Mentouhotep II dont il est inspiré. Plus proche du fleuve, le chan-
tier du grand temple funéraire de Touthmès III se dresse dans la plaine, à quelques
pas de la zone inondable, et fait face aux portes d'Opet-Isout que l'on aperçoit au
loin. Il est bâti non loin du temple d'Amenhotep et d'Ahmès-Néfertary où un clergé
assidu rend un culte à ces grandes figures du début du Nouvel Empire.

227
Les célébrités de Kémi
Les hautes sphères de la hiérarchie égyptienne sont dominées par des personnalités
d'envergure dont le nom est connu de tous. Vous trouverez ci-dessous les hommes
et les femmes les plus influents de Kémi en l'an 25 du règne de Touthmès III.

Ouseramon
Tjaty, Maire de Ouaset, Grand Trésorier

Ce prêtre d'Amon fut choisi comme Tjaty par le jeune roi Touthmès en l'an 5 de
son règne et de celui d'Hatshepsout avant d'être écarté temporairement par cette
dernière au profit d'Hapouséneb, l'actuel Premier Prophète d'Amon. Lui-même fils
du Tjaty mtou, Ouseramon dut attendre le retrait de la reine pour être investi à
nouveau de la charge que lui avait initialement confiée Touthmès. Il est l'homme le
plus puissant d'Égypte après Pharaon et il s'accommode avec grande difficulté de
son rival de toujours, l'incontournable Hapouséneb.

Hapouséneb
Grand Prêtre d'Amon-Rê

Fils d'un Prêtre Lecteur d'Amon et d'une nourrice royale, Hapouséneb fut Tjaty
sous le règne d'Hatshepsout et Premier Prophète d'Amon-Rê. En tant que « Direc-
teur de tous les Serviteurs du Nétjer », il incarne la toute puissance politique du
clergé d'Amon auxquels sont inféodés les autres temples. Il fut un fervent partisan
de la reine qui le lui rendit bien. Sous le règne de Touthmès, Hapouséneb a cédé la
charge de Tjaty à son vieil adversaire, Ouseramon.

228
Néhy
Fils royal, Vice-Roi du pays de Koush

Prêtre Lecteur d'Amon, Néhy fut nommé Vice-Roi du pays de Koush dès l'arrivée
de Touthmès au pouvoir, succédant à Seny. Il est un fidèle de longue date du roi et
administre les possessions du sud de l'empire depuis la cité de Miam.

Néferouben
Tjaty du Nord

Frère d'Ouseramon et fils de mtou, Néferouben administre le Delta depuis l'im-


mense cité de Mennefer.

Menkhéperrêséneb
Deuxième Prophète d'Amon

Ce fils d'une nourrice royale, promis à la succession d'Hapouséneb, est un ami


proche de Touthmès.

Amenemhat
Intendant de la maison du Tjaty Ouseramon, administrateur de
tous ses biens.
Ce scribe subtil est le serviteur dévoué d'Ouseramon, un secours fidèle dans le trai-
tement des innombrables affaire courantes dont le Tjaty a la charge.

Méritrê-Hatshepsout
Grande Épouse Royale

Fille de Touthmès II et d'Hatshepsout, elle est la première Grande Épouse de


Touthmès III. C'est grâce à cette princesse de sang royal que Touthmès III a pu
légitimer son accession au trône, lui qui n'est que le fils d'une femme secondaire
de Touthmès II.

229
Pour commencer
Il est temps pour vous de découvrir l'histoire que vous allez présenter à vos joueurs.
Comme vous pourrez le constater, un scénario de jeu est présenté de manière as-
sez différente d'un texte classique et il est capital que vous le conceviez comme
une trame dont chacune des étapes offre des choix aux joueurs. Votre mission est
d'exposer clairement les situations auxquelles les personnages sont confrontés
sans leur en révéler d'emblée les secrets ni leur dévoiler la nature des options qui
s'offrent à eux. C'est aux joueurs d'imaginer les scènes que vous leur présenterez et
d'y évoluer comme s'ils y participaient réellement.

Afin de gérer cet équilibre subtil entre la narration et le jeu de questions/réponses


entre vous et les joueurs, de nombreuses indications « techniques » vous sont four-
nies au fil du texte. La plupart d'entre elles commencent par « Si les personnages...
font ceci ou cela ». Cette formulation traduit le fait que nous avons envisagé pour
vous un certain nombre de possibilités, c'est à dire les actions que les joueurs sou-
haiteront vraisemblablement entreprendre en fonction des données dont ils dis-
posent. Rappelez-vous que ces mentions signifient qu'il s'agit d'une possibilité, pas
nécessairement d'un passage obligé. Elles ont pour seul but de vous accompagner
dans le scénario en fonction des orientations probables des joueurs. Il s'agit de
guides, de garde-fous scénaristiques qui vous permettront de limiter le recours à
l'improvisation et ainsi de mener votre aventure dans les meilleures conditions.

Les mentions « Information Clé » indiquent des données importantes pour la suite
du scénario. Si les personnages ne les obtiennent pas, ils risquent fort d'être consi-
dérablement ralentis dans leur progression. N'oubliez donc pas de les fournir aux
joueurs s'ils posent les questions appropriées et réussissent les Tests demandés.
Si certaines des ces « Informations Clés » devaient être durablement ignorées par
les joueurs, donnez leur un coup de pouce en leur soufflant quelques conseils ju-
dicieux tels que « Avez-vous bien vérifié les alentours du sarcophage ? » ou « Il est
possible que les habitués de la taverne aient entendu quelque chose cette nuit ».
N'abusez pas de ces indices, il appartient aux joueurs de décrire correctement leurs
actions et de vous poser spontanément les questions qui les feront avancer.

230
Si les joueurs suivent les indices que vous leur fournissez, proposent des actions
suffisamment claires et pertinentes pour obtenir les informations qu'ils re-
cherchent et réussissent les Tests que vous leur soumettez (les plus importants
sont clairement indiqués), il ne fait nul doute que leur première aventure sera une
réussite. Fort heureusement, les choses ne déroulent jamais aussi aisément et vous
serez étonné de constater à quel point les difficultés que rencontreront vos joueurs,
loin d'être agaçantes ou décourageantes, stimuleront leur créativité et contribue-
ront à l'ambiance unique qui caractérise une partie de jeu de rôle. L'essentiel n'est
pas d'arriver au terme du scénario dans les plus brefs délais, mais d'y parvenir de
la manière la plus plaisante, ludique, épique ou héroïque qui soit, avec la satisfac-
tion d'avoir été confronté à des tâches qui paraissaient insurmontables aux person-
nages mais dont ils ont finalement su s'acquitter avec courage et inventivité.

L'histoire en deux mots...


Confrontés à une étrange affaire de vandalisme au cœur des ateliers de Ouaset, les
personnages découvrent que plusieurs artisans ont disparu ou ont été violemment
agressés au cours des dernières semaines. Leur point commun : tous ont participé
plusieurs années plus tôt à une inhumation interdite, défiant ainsi la justice de
Pharaon.

Les dessous de l'intrigue


Il y a cinq ans de cela, en l'année 20 du règne de Touthmès III et d'Hatshepsout (soit
1459 avant notre ère), la famille de Néferka jouit de tous les privilèges traditionnel-
lement accordés à la noblesse. En souvenir de l'indéfectible soutien qu'elle accorda
au roi Ahmès lors de l'expulsion des Hyksôs, elle bénéficie toujours, un siècle plus
tard, d'une belle propriété au sud-est de Ouaset, de terres généreuses et tous ses
membres sont d'ores et déjà assurés d'être inhumés dans de superbes hypogées.
Plusieurs de ses patriarches ont occupé des postes à responsabilité au sein du gou-
vernement et le père de Néferka fut lui-même Prophète de Ptah, à Mennefer, sous
le règne de Touthmès I.

231
À cette époque, Néferka est un diplomate apprécié du Tjaty et ses missions en Asie
ont entretenu le prestige de sa lignée, suffisamment pour qu'on lui prédise une
glorieuse carrière sacerdotale et, pourquoi pas, l'accession au Haut Clergé d'Amon.
Néferka est prêt à accepter cette lourde charge mais il pressent qu'il ne pourra
la supporter longtemps : il est en effet très malade et bien qu'il soit fort discret
quant à son affliction, il a annoncé que son fils Nebmaâtrê hériterait de cette haute
fonction dès qu'il sera en âge de l'assumer. Le problème est que le jeune frère de
Néferka, Mérymès, convoite ardemment ce poste et enrage secrètement qu'il soit
destiné, à terme, à son neveu. Pour le moins dénué de scrupule, Mérymès projette
d'éliminer Nebmaâtrê afin d'avoir la voie libre. En se montrant proche de son frère
et attentionné pendant cette terrible épreuve, Mérymès est certain que Néferka le
considérera comme son plus fidèle soutien et le choisira comme « successeur » en
lieu et place de son fils défunt.

Mérymès, trop angoissé et paranoïaque pour s'attacher les services de profession-


nels, décide de liquider lui-même Nebmaâtrê au cours d'une de ses promenades
dans le parc de la propriété familiale mais il ne parvient qu'à le blesser sans tou-
tefois être démasqué. Le scandale menaçant d'être retentissant, Mérymès fait ac-
cuser un scribe logé dans le domaine, Paser, et contraint un jardinier à témoigner
contre lui. Si les manigances de Mérymès sont finalement un échec, au moins
sauve-t-il sa tête et c'est Paser qui est jugé pour tentative d'assassinat. Ce dernier
est condamné à mort et privé de sépulture, punition particulièrement douloureuse
car elle l'empêchera de renaître dans l'au-delà.

232
Pourtant, malgré les apparences et le verdict d'un tribunal présidé par le Tjaty en
personne, certains amis de Paser refusent d'admettre sa culpabilité et organisent
le détournement du corps après son châtiment : ils lui offrent des funérailles se-
crètes —et parfaitement illicites — afin que le malheureux puisse connaître la vie
éternelle ou, au moins, échapper à l'anéantissement total. Un orfèvre fabrique son
masque, un menuisier façonne son sarcophage, un peintre orne sa modeste tombe,
un prêtre préserve son corps, invoque la clémence des dieux et prononce les for-
mules adaptées. Grâce à leur confiance, Paser bénéficie d'un enterrement décent...
et survit à l'oubli.

Cinq ans plus tard (nous sommes en l'an 25), cette tentative d'assassinat relève de
l'histoire ancienne pour Mérymès qui a compris à quelle point sa manœuvre était
grossière et risquée et il préfère aujourd'hui gravir les échelons de la hiérarchie
en multipliant les alliances et les promesses plutôt qu'en se débarrassant physi-
quement de ses concurrents. Il n'est maintenant un secret pour personne que Né-
ferka est sur le point d'être nommé Prophète d'Amon et cette promotion immi-
nente confirme les craintes qui ont motivé le geste inconsidéré de Mérymès : le roi
Touthmès et le Premier Prophète d'Amon Hapouséneb ont accepté que Nebmaâtrê
succède rapidement à son père au cas où ce dernier viendrait à décéder prématu-
rément.

Pourtant, l'aigreur et la convoitise ne sont plus de mise pour Mérymès qui doit faire
aujourd'hui face à une situation aussi terrifiante qu'inattendue. Depuis plusieurs
mois, des événements étranges se succèdent dans la demeure de Néferka et Mé-
rymès semble en être le seul témoin, pour ne pas dire la victime. Il se sent observé,
traqué, persécuté par une présence terriblement oppressante. Au fil des semaines,
Mérymès s'est persuadé que son passé douteux refaisait surface et il a finalement
acquis une troublante certitude : un fantôme le hante, et pas n'importe lequel. Celui
de Paser.

Cela est impossible car le scribe condamné à tort n'est pas censé avoir reçu de sé-
pulture et il ne devrait pas pouvoir fréquenter le monde des hommes, même sous
une forme immatérielle. Il lui faudrait... une tombe.

233
Néanmoins, les manifestations inexplicables se multiplient. Objets déplacés, mur-
mures nocturnes, apparitions incertaines... La santé mentale déjà fragile de Mé-
rymès est mise à rude épreuve et il craint que le fantôme de Paser ne finisse par
faire éclater la vérité au grand jour avant d'égarer son âme. Mérymès ne dort plus,
sursaute au moindre bruit, bref, il glisse lentement vers l'épuisement et la folie.

Mais Mérymès n'est pas le genre d'homme à se rendre sans combattre et il profite
de ses insomnies pour enquêter sur Paser et ses proches. Après quelques semaines
de recherches compulsives, il fait une découverte capitale et apprend enfin de l'or-
fèvre Héfat que Paser a été inhumé dans un lieu tenu secret en dépit du jugement
prononcé par le Tjaty. Voilà comment le condamné revient réclamer réparation.
Consumé par la rage, Mérymès n'hésite pas à tuer le vieil homme après lui avoir
fait révéler l'identité des personnes qui ont permis à Paser de survivre à la mort...
et d'exercer sa vengeance. Désormais, l'existence de Mérymès est partagée entre la
terreur du fantôme de Paser et la traque impitoyable des « conspirateurs ». Après
Héfat puis le peintre Menkharê, deux semaines plus tard, il compte bien retrouver
tous les acteurs de ce complot, leur faire payer leurs actes et découvrir l'emplace-
ment de la tombe de Paser afin de la détruire une bonne fois pour toutes.

Les amis de Paser


Ils sont quatre à avoir osé braver la justice en offrant une sépulture à leur ami Paser :
l'orfèvre Héfat, le prêtre embaumeur Houni, le menuisier Nétihor et le peintre Menkharê.
C'est grâce à Héfat que Mérymès a découvert l'identité des trois autres conspirateurs (6 se-
maines avant le début de l'aventure). Il y a un mois, Menkharê a été retrouvé par Mérymès
qui n'est pas parvenu à lui arracher la localisation de la tombe mais lui a néanmoins crevé
les yeux afin qu'il ne puisse plus jamais exercer son métier.
Au cours de ce scénario, les personnages seront confrontés à la disparition de Nétihor et
à la sauvage agression du vieux prêtre Houni. C'est à eux de stopper Mérymès et de com-
prendre ses motivations.

234
Acte 1 : Troubles dans les ateliers
En ce doux matin du dernier mois de Shemou (juillet, c'est à dire la période de
sécheresse qui précède l'inondation), tous les personnages des joueurs vaquent à
leurs activités habituelles dans la grande cité de Ouaset. Djéserka effectue sa tra-
ditionnelle ronde de surveillance dans le parc de la propriété de Nesamon, Nakh-
tamon supervise le remplissage des greniers à quelques pas de là, Minkhat dessine
l'ébauche d'une statue de sphinx à tête de bélier dans son atelier d'Opet Isout, Sora
est en visite auprès d'un associé de Nesamon et Sati examine le fils d'un artisan des
ateliers royaux qui a fait une mauvaise chute.

Tous (du moins les personnages qu'interprètent les joueurs) sont contactés par un
messager de Nesamon, un jeune serviteur d'une quinzaine d'années, qui leur de-
mande de les accompagner jusqu'à la propriété de son maître. C'est une requête
prioritaire justifiée par un papyrus rapidement rédigé par Nesamon et portant son
sceau. Compte tenu du caractère officiel de ce document et du statut de Nesamon,
la hiérarchie des personnages ne s'opposera pas à une absence temporaire. Une
fois arrivés aux portes de la demeure de Nesamon (une belle maison de dix pièces
dotée d'un agréable jardin planté de sycomores et de palmiers), ils sont guidés
jusqu'à une salle de réception privée où ils découvrent leur Contact en compagnie
d'un homme trapu aux mains épaisses comme des battoirs : Ikéni, superviseur des
menuisiers des ateliers nord.

Après les avoir salués et remerciés de s'être déplacés, Nesamon expose aux per-
sonnages une affaire apparemment fort simple : les artisans des ateliers nord ont
retrouvé très tôt ce matin les restes d'un superbe sarcophage qu'un certain Nétihor
était sur le point de terminer. Il ne fait aucun doute que l'objet a été détruit volon-
tairement et on ne trouve nulle trace de l'artisan en question. Ikéni explique que les
menuisiers des ateliers sont particulièrement choqués par ce méfait. Le sarcophage
était d'une grande valeur et sa destruction est un indicible sacrilège. Les rumeurs
vont bon train et les esprits s'échauffent depuis que l'on évoque la possibilité que
le coupable soit lui-même un menuisier, peut-être même un collègue de Nétihor.

235
Nesamon souhaite que le calme soit rétabli dans les ateliers car il connaît bien Iké-
ni et il sait que ce dernier ne veut que le bien de ses hommes. Il confie donc aux
personnages leur première mission : découvrir qui a détruit le sarcophage et où se
trouve Nétihor. Selon lui, l'affaire ne mérite que quelques heures d'investigation et
il a toute confiance en la perspicacité de ses collaborateurs. Bien sûr, si les résultats
de l'équipe sont satisfaisants, Nesamon saura s'en rappeler, de même qu'Ikéni qui
pourrait ainsi devenir un allié non négligeable dans le rude quartier des artisans.

Z Cette convocation constitue un test en vraie grandeur pour les personnages qui vont ainsi
avoir l'occasion de prouver à Nesamon leur qualité et leur capacité à travailler ensemble. Pour
cette première « évaluation »,Nesamon a choisi une mission qu'il pense être sans difficulté,
sans se douter de ses complexes ramifications.

Z Il va sans dire que les personnages ne sont pas censés négocier cet « ordre ». Ils devraient
comprendre qu'une telle sollicitation est une chance et une profonde marque de confiance.

Le mystère du sarcophage

Les ateliers nord, coincés entre l'allée de sphinx qui traverse Ouaset et le palais
royal, forment un quartier animé qui s'éveille à l'aube pour s'assoupir fort tard dans
la nuit. Le son des outils y résonne en permanence et il est difficile pour un profane
de retrouver son chemin dans ce dédale d'entrepôts, de bâtiments surchauffés et
de ruelles encombrées de billes de bois et de rocs à peine dégrossis. Des dizaines
d'artisans y travaillent sous la supervision de maîtres intransigeants, regroupés en
structures indépendantes, et alimentent la noblesse et la bourgeoisie locales en bi-
joux, statues, vêtements et en meubles destinés à leurs superbes demeures.

Ikéni accompagne les personnages et les introduit dans l'atelier des menuisiers
dont il a la charge, une succession de longs bâtiments de briques au sol couvert de
sciure où l'on manie avec dextérité la hache, la scie, le rabot et le forêt dans un va-
carme presque ininterrompu. À leur arrivée, les artisans marquent un temps d'ar-
rêt puis reprennent leurs activités comme si de rien n'était.

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Z Un Test réussi de Perception (5) [cette notation signifie qu'il s'agit d'un Test utilisant l'At-
tribut Perception est dont la Difficulté est de 5] indique aux personnages que presque tous les
menuisiers se montrent particulièrement attentifs à leurs faits et gestes. Ils ont bien compris
qu'une enquête était en cours, ce qui n'est pas pour les rassurer.

Ikéni emmène sans attendre les personnages à l'endroit où travaillait Nétihor. On y


trouve un vaste plan de travail, de nombreux outils, des plans et des dessins tracés
au charbon sur le sol de terre battue ou sur des tessons de poterie, des chutes de
bois et surtout... un sarcophage terriblement mutilé, brisé en plusieurs morceaux.

Les bâtiments étant largement ouverts sur l'extérieur et presque dépourvus de cloi-
sons intérieures, les personnages devront veiller à rester discrets s'ils ne souhaitent
pas que leurs conclusions se répandent comme une traînée de poudre dans tout le
quartier.

Z Avec un Test de Perception (5) réussi, un personnage découvre que les lieux ont été le théâtre
d'une lutte entre au moins deux hommes mais cela n'explique pas l'état de délabrement du
sarcophage qui semble avoir été victime d'un indéniable acharnement. Si un personnage
réussit ce Test avec un résultat de 7 ou plus, il peut comprendre qu'un lourd maillet a été utilisé
contre le sarcophage et qu'il n'est plus présent sur les lieux.

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Z Si un personnage inspecte le sarcophage, un test d'Artisanat (6) réussi montre que l'objet
était presque terminé et qu'il allait être de toute beauté. Des scènes mythologiques finement
sculptées en ornent l'intérieur et le couvercle, désormais disloqué en une dizaine de morceaux,
offrait une splendide représentation d'Hathor protégeant de ses bras écartés une représenta-
tion idéalisée du défunt. Nétihor est sans aucun doute un artiste particulièrement talentueux,
ce que confirment la diversité et l'inventivité des schémas tracés sur le sol. Un test d'Érudition
(5) confirme par ailleurs les bonnes connaissances religieuses de Nétihor qui semble avoir
laissé libre cours à son inspiration en plusieurs points de sa composition.

Z S'ils interrogent Ikéni, les personnages auront la confirmation que Nétihor est un homme
très doué, apprécié de sa hiérarchie, sans histoire ni ennemi connu. Le chef des menuisiers
n'a guère plus d'informations à fournir si ce n'est l'adresse de la famille de Nétihor et le desti-
nataire du sarcophage, un notable du nom de Ouadj qui n'aura pas d'importance dans cette
histoire.

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Z Les artisans se montrent plus réticents à communiquer mais ils peuvent concéder à Minkhat
(solidarité entre artisans oblige, un autre personnage devant réussir un test de Charisme (6))
que cette affaire est très mauvaise pour leur réputation. Si les personnages abordent le sujet,
l'un des menuisiers évoquera également que le don de Nétihor excitait certaines jalousies,
notamment celle du vieux Nebitka qui ferait un coupable plausible pour la destruction du
sarcophage. Toutefois, cela n'explique pas la disparition du jeune surdoué et il s'agit de toute
manière d'une fausse piste. Ce Nebitka, malgré son air bougon et une pointe d'envie à l'égard
du disparu, n'y est strictement pour rien. Par ailleurs, les artisans pourront indiquer que
Nétihor est resté à l'atelier cette nuit. Il semblait particulièrement absorbé par son travail.

Information Clé : des empreintes de pas sont visibles près du sarcophage et mènent dans
une ruelle - En cherchant des traces de fuite, un test de Perception (6) permet de dé-

couvrir des empreintes de pas assez distinctement visibles dans l'épaisse couche de
sciure qui couvre le sol. Elles mènent vers les entrepôts situés à l'arrière des ateliers,
là où sont stockées les pièces de bois provenant d'Asie et de Nubie, et disparaissent
dans la rue.

Acte 2 : Sur la piste de Nétihor


À ce stade, les personnages doivent certainement se demander qui a pu détruire
le chef d'œuvre de Nétihor. Un concurrent, un déséquilibré qui s'est introduit en
pleine nuit dans les ateliers, Nétihor lui-même ? Bien sûr, Mérymès est au cœur de
cette affaire.

Après avoir échoué à faire parler le pauvre Menkharê un mois plus tôt, Mérymès
est parti en quête de Nétihor et a remarqué que le menuisier travaillait fréquem-
ment la nuit, totalement absorbé par les finitions d'une de ses plus belles pièces, le
fameux sarcophage de Ouadj. Fermement décidé à se venger et à connaître l'em-
placement de la tombe grâce à laquelle Paser pouvait le tourmenter, Mérymès s'est
introduit dans les ateliers mais n'y a pas trouvé Nétihor qui était parti se rafraîchir
dans une proche taverne. Le sarcophage étant à sa portée, Mérymès posa les yeux
sur le maillet de Nétihor et son esprit confus succomba à la tentation. Alors que
l'assassin mettait le sarcophage en pièces, Nétihor fit irruption dans les ateliers et

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une lutte s'ensuivit entre les deux hommes. Fort de son passé de soldat, Mérymès
parvint à fuir par les entrepôts et à se cacher dans un jardin où il trouva le moyen
d'assommer à coup de maillet le menuisier qui le pourchassait. Craignant qu'on ne
le surprenne, Mérymès ne s'attarda pas sur les lieux et abandonna Nétihor après
lui avoir brisé les mains. Au petit matin, une famille de pêcheurs découvrit le corps
inanimé de Nétihor et le ramena dans sa modeste demeure du sud de Ouaset où
elle entreprit de le soigner.

Z Dans la rue étroite où mènent les pas de Mérymès et Nétihor, les personnages peuvent
remarquer une petite taverne dont les artisans savent qu'elle est ouverte très tard dans la
soirée. La vieille femme qui la tient, Atet, peut certifier qu'elle a entendu des cris cette nuit et
a aperçu deux hommes qui détalaient à toute vitesse. Elle a pensé à un vol mais n'étant pas
en très bons termes avec la police, elle n'a pas souhaité ébruiter l'incident. Si les personnages
font comprendre à Atet que la situation est grave, que quelqu'un est peut-être en danger (ou
qu'ils réussissent un test de Charisme (7)), elle admettra que l'un des deux hommes semblait
poursuivre l'autre en lui hurlant qu'il « allait le payer ». Il s'agit bien sûr des menaces de Néti-
hor à l'encontre de Mérymès mais les personnages n'ont pas encore la possibilité de connaître
tous ces détails.

Information Clé : cette nuit, deux hommes ont filé dans un jardin proche - Un habi-
tué de la taverne, ivre à longueur de journée pourra ajouter qu'il a vu les hommes
bondir au-dessus d'un muret que l'on aperçoit à quelques dizaines de mètres et
s'enfoncer dans un des nombreux jardins de la ville.

Le jardin où se sont engagés Nétihor et Mérymès la nuit passée ne fait que quelques
dizaines de mètres carrés mais l'ombre rafraîchissante de ses palmiers dattiers est
une bénédiction alors que le soleil monte dans le ciel. Une partie en est occupée par
les étals de marchands qui y vendent des fruits, des légumes et des vêtements de
piètre qualité dans les cris et les rires.

Z Un premier test de Perception (5) permet de découvrir le maillet dont s'est servi Mérymès,
au pied d'un arbre. Il est taché de sang et un test de Médecine (6) indique que le coup a été

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porté quelques heures plus tôt. En réussissant un deuxième test de Perception (7), les person-
nages découvrent une petite effigie brisée représentant la déesse Hathor. Il n'en subsiste que
la moitié. Les artisans d'Ikéni confirmeront qu'il s'agit des restes d'un pendentif que Nétihor
porte habituellement autour du cou.

Information Clé : un homme blessé a été recueilli dans le jardin par une famille de
pêcheurs - En questionnant les marchands qui ne manqueront pas d'essayer de

vendre leurs denrées aux personnages, ces derniers finiront par apprendre qu'un
jeune garçon a été vu tôt ce matin avec le pendentif de Nétihor. Il s'agit du fils d'un
pêcheur qui habite au sud de la ville dans un modeste village au bord du Nil, nom-
mé le Berceau d'Isis. Si les personnages n'ont pas retrouvé le pendentif brisé — ou
qu'il s ne le montrent pas aux commerçants — mais qu'ils reviennent plus tard
dans ce jardin, ils pourront rencontrer un vieux marchand qui leur affirmera avoir
vu un couple emporter un homme inanimé aux premières heures du jour. Il s'agit
bien sûr des parents de Bénou qui ont ramené chez eux le pauvre Nétihor (voir
ci-dessous).

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Le village du Berceau d'Isis

Nétihor a eu la chance d'être découvert très tôt ce matin par un couple de villageois
venus avec leur fils Bénou installer leur étal dans le petit marché où se trouvent
actuellement les personnages. La cité étant encore endormie et l'état du menuisier
semblant fort préoccupant, le couple décida de transporter cet inconnu jusqu'à son
village afin de lui administrer les premiers soins. En quittant le jardin, le pendentif
de Nétihor, brisé au cours de la lutte contre Mérymès glissa et Bénou le ramassa
discrètement.

En l'absence de ses parents, Bénou resta un moment au marché, arborant fière-


ment sa trouvaille, puis fit le tour des grandes rues de la cité dans l'espoir de vendre
quelques produits du jardin.

Z Si les personnages se trouvent dans le jardin où Nétihor a été agressé en fin de matinée
ou début d'après-midi, ils y verront l'enfant dont les ses parents lui ont assuré qu'ils revien-
draient dès que possible. À la vue du pendentif qu'il porte autour du cou (la partie manquante
de celui de Nétihor bien sûr), les personnages ne manqueront pas de le questionner et Bénou
en sera quitte pour une grosse frayeur. Il craint en effet qu'on ne l'accuse du vol du pendentif
et il a du mal à se justifier. Si les joueurs se montrent calmes, posés et rassurants et lui ex-
pliquent qu'ils souhaitent simplement retrouver le propriétaire de ce bijou de bois, Bénou leur
avouera que ses parents l'ont trouvé ce matin, inanimé, et l'ont amené auprès de sa grand-
mère, la vieille Kherset. Il peut même les y guider.

Z Si les personnages n'ont pas suivi la piste du pendentif et ont pour seul indice les dires du
vieux marchand qui a assisté au départ matinal des parents de Bénou avec leur surprenant
fardeau, ils devront trouver eux-mêmes le Berceau d'Isis et réussir un test de Voyage (9) pour
ne pas errer deux ou trois heures dans les champs avant de trouver le bon village.

En suivant Bénou, les personnages quittent rapidement les rues de la capitale et


s'engagent sur les sentiers ombragés qui longent le Nil. Après avoir suivi chemins
et canaux en direction du sud pendant une grosse demi-heure, ils arrivent à des-
tination : un minuscule village comme il en existe des milliers sur les berges du

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fleuve, regroupement de quelques habitations de palmes et de boue séchée au cœur
des papyrus et des champs prêts à recevoir les eaux de la crue. Leur présence dans
le Berceau d'Isis suscite la curiosité de tout le voisinage, surtout s'ils se présentent
comme des envoyés de l'administration de Pharaon, et ils sont suivis par une nuée
d'enfants qui chuchotent et rient dans leur dos, à la fois intimidés et fascinés par
ces citadins.

Il suffit de poser quelques questions aux pêcheurs en train réparer leurs barques
ou aux femmes nourrissant les oies qui s'ébattent librement sur la place centrale
pour trouver l'endroit où est abrité Nétihor, le « blessé », comme le nomment déjà
les gens d'ici. Personne ne semble se faire de souci pour lui. Est-ce à cause d'une
certaine animosité de la population locale à l'encontre des « gens de la ville » ou
parce que Nétihor est entre de bonnes mains ? Difficile à dire. En tout cas, tous
les villageois diront aux personnages que Nétihor est chez Kherset, la grand-mère
de Bénou, une très vieille femme connue dans les environs pour ses talents de
guérisseuse.

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Lorsque les personnages pénètrent dans la rudimentaire maison de Kherset, ils
sont accueillis d'un geste doux par sa propriétaire qui ne semble pas surprise de
leur visite. Nétihor, allongé sur une simple natte de papyrus, est inconscient, fié-
vreux et prononce dans son délire des mots difficilement compréhensibles. La
vieille femme explique aux personnages que sa fille et son gendre lui ont amené
cet homme ce matin. Elle avait déjà préparé une couche et de l'eau au cours de la
nuit car elle savait qu'elle aurait bientôt à exercer ses talents (cette prémonition
est impossible à confirmer, les voies des sages de Kémi sont impénétrables). Elle
prodigue à Nétihor des soins attentifs depuis plusieurs heures mais les blessures
du menuisier sont sérieuses : il doit rester ici encore quelques jours et est intrans-
portable pour le moment.

Z Un test de Médecine (8) permet de se convaincre que Kherset a parfaitement raison. Les
mains de Nétihor sont brisées et la blessure violacée qui orne sa tempe est inquiétante.

Z Questionnée à ce sujet, Kherset dira qu'elle a entendu Nétihor prononcer plusieurs noms
dans son délire : Paser, Menkharê et Houni. Selon le résultat d'un test de Perception, les per-
sonnages peuvent identifier ces noms par eux-mêmes : sur un résultat de 4 et 5, quiconque
prête l'oreille aux gémissements de Nétihor capte le nom de Houni, sur un résultat de 6,7 et
8, il obtient également Paser et sur un score supérieur ou égal à 9, il comprend les trois noms.

Z Si les personnages souhaitent sauver la vie de Nétihor, ils doivent fournir à Kherset des
remèdes végétaux adaptés. Suivant ses consignes, ils pourront les trouver dans une Maison de
Vie ou sur un marché (ce qui risque de prendre beaucoup de temps et de faire courir de grands
risques à Houni comme vous le verrez par la suite) ou de cueillir les plantes en question sur
les berges du Nil. Il faut compter une heure de recherche et un test réussi de Médecine (7),
Érudition (8) ou, éventuellement,Voyage (11). Si Sati fait partie du groupe de personnages,
elle peut assister Kherset et se rendre compte que la vieille femme est une intarissable source
de connaissances. Il y a beaucoup à apprendre d'elle et si les personnages prennent le temps
de discuter avec elle, elle leur donnera un paquet d'herbes qui offrira un bonus de 2 points au
Test de Médecine de celui qui les utilisera.

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Information Clé : les personnages apprennent l'existence de Houni, Menkharê ou Pa-
ser et, éventuellement, l'adresse de Houni - Forts des informations fournies invo-

lontairement par Nétihor, les personnages peuvent décider d'obtenir des éclair-
cissements sur la mystérieuse association Houni-Menkharê-Paser. Dans ce cas,
Ikéni pourra leur confirmer qu'un certain Houni venait de temps en temps rendre
visite à Nétihor aux ateliers. Il s'en rappelle car cet homme à l'allure sévère était un
embaumeur et il n'appréciait guère de le voir traîner auprès de ses artisans. Cette
piste n'est pas très facile et les personnages devront longuement questionner le
voisinage et réussir quelques tests de Charisme (6) et de Culture égyptienne (7)
(notamment pour repérer les différents emplacements des maisons d'embaume-
ment) avant d'apprendre enfin que Houni est toujours en activité dans le quartier
du Lièvre. En ce qui concerne Menkharê et Paser, Ikéni n'est au courant de rien.

La famille de Nétihor

Au cas où les personnages s'orienteraient vers la famille de Nétihor (après avoir


obtenu son adresse d'Ikéni) qui habite à proximité des quais, au cœur de Ouaset, ils
découvriraient sa femme, Hedjekénou, et ses deux enfants, terriblement inquiets.
Hedjekénou décrit son mari comme un homme bon, passionné par son travail et
ignore tout de l'enterrement de Paser. Elle peut toutefois signaler qu'il semblait
troublé depuis plusieurs semaines (depuis la mort d'Héfat en fait, six semaines
plus tôt) et qu'il s'était fréquemment absenté au cours des derniers jours (il allait
au chevet du pauvre Menkharê dont le sort était incertain après que Mérymès lui
ait crevé les yeux).

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Information Clé alternative : les personnages obtiennent l'adresse de Houni - Si les
personnages parlent de Houni, Hedjekénou sait qu'il s'agit d'un vieil ami de son
mari mais elle le connaît à peine. Elle croit se rappeler qu'il est scribe et prêtre em-
baumeur mais elle ne l'apprécie guère. Les embaumeurs sont fréquemment décon-
sidérés par la population mais dans le cas présent, cette méfiance va plus loin :
elle le suspecte d'avoir essayé d'entraîner son époux dans une affaire louche il y
a plusieurs années. Et pour cause, il s'agissait des préparatifs de l'inhumation de
Paser. Elle pense qu'on peut le trouver dans les maisons d'embaumement est, dans
le quartier du « Lièvre ». Les noms de Paser et de Menkharê ne lui disent rien.

Acte 3 : Dernier sur la liste


Houni est le prêtre embaumeur qui s'est occupé de la momification du corps de
Paser et a réalisé les rituels funéraires lors de son inhumation. Il est le dernier de
ses amis à ne pas avoir été « visité » par Mérymès et, connaissant le triste sort de
Héfat et de Menkharê, il se montre particulièrement vigilant. Il ne sait pas encore
que Nétihor a lui aussi été agressé et il quittera la ville précipitamment s'il devait
en être averti. En attendant, le prêtre a demandé à deux de ses neveux de monter
la garde devant sa maison afin de repousser les intrus et il a obtenu un congé de sa
hiérarchie depuis deux semaines.

Houni a raison de prendre de telles précautions car il est en grand danger. Mé-
rymès est dans un état de fébrilité incontrôlable depuis qu'il s'est battu la veille avec
Nétihor et il croit avoir aperçu plusieurs fois au cours de la nuit le fantôme de Paser
qui le narguait. De moins en moins cohérent, il a essayé de dormir chez lui, sans
succès, et est reparti en chasse au cours de l'après-midi. Sa cible : Houni.

À ce stade de l'aventure, plusieurs options s'offrent à vous, conteuse :

Z Si les personnages n'ont pas trop traîné dans les ateliers, chez Kherset ou dans la famille de
Nétihor, ils arriveront suffisamment tôt chez Houni pour assister à l'attaque de Mérymès et,
peut-être, sauver la vie du prêtre.

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Z Si vous estimez que les personnages ne se sont pas suffisamment impliqués dans l'histoire
ou qu'ils arrivent chez Houni dans la soirée, considérez que le mal est déjà fait : Mérymès a
déjoué la vigilance des neveux et a tué le prêtre d'un coup de dague après lui avoir fait avouer
l'emplacement de la tombe de Paser... et tranché la langue.

Z Si les personnages n'étaient même pas au courant de l'existence de Houni (c'est à dire qu'ils
ont manqué les Informations Clés), que ce soit grâce aux délires de Nétihor, au témoignage de
sa femme ou à leurs propres recherches, ils pourraient apprendre la funeste nouvelle d'Ikéni :
ce dernier leur signalera lors de leur prochain passage aux ateliers qu'un proche de Nétihor
vient d'être assassiné dans des circonstances terribles. Il pense que cette information pourrait
leur être utile dans le cadre de l'enquête. Sautez ainsi directement à la conclusion de cet acte et
n'hésitez pas à faire sentir aux joueurs qu'ils ont manqué une scène importante du scénario et
qu'ils ont échoué à sauver une des cibles de l'assassin.

Mais revenons à Houni, la dernière cible de Mérymès. Malgré son métier, Houni
est connu dans le quartier du Lièvre pour sa gentillesse et sa capacité d'écoute, aus-
si les personnages n'auront-ils aucune difficulté à retrouver sa maison dont le petit
potager est ceint d'un mur de briques : tous ses voisins le connaissent et l'appré-
cient. Sa demeure est située à quelques encablures des maisons d'embaumement et
donne sur une étroite allée plantée d'arbres qui serpente jusqu'au fleuve.

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Dans le cas où les personnages arriveraient avant l'agression, ils se heurtent aux
deux neveux d'Houni, de grands gaillards discrètement armés de gourdins qui re-
fusent de les laisser entrer. Les personnages auront beau affirmer être en mission
pour le compte du notable Nesamon, ils n'arriveront à rien sans une preuve écrite
de la main de leur commanditaire et il est souhaitable qu'ils aient préalablement
pris la précaution de demander à leur Contact un document officialisant leur mis-
sion. Quelle que soit la tournure de la conversation, c'est au cours de ces tractations
qu'un hurlement retentit dans la maison : Mérymès a profité de la distraction des
gardiens pour se glisser dans la demeure du prêtre.

La scène qui s'ensuit est violente et désordonnée : un des deux neveux bondit dans
la maison tandis que l'autre s'efforce de repousser les personnages tout en appelant
la police à l'aide. Il suffit à un personnage de réussir un Test d'Athlétisme (5) pour
échapper à la mêlée et foncer dans la maison à la rescousse d'Houni.

Quelques minutes plus tard, une patrouille de police débouchera sur les lieux et
s'emploiera à maîtriser toutes les personnes présentes hors de la maison mais il
est très probable que la confusion et l'incompréhension envenimeront les choses  :
les neveux croient que les personnages veulent attenter à la vie de leur oncle, les
policiers essaient de rétablir l'ordre à coups de bâtons tandis que Mérymès assaille
violemment Houni dans sa chambre. L'échauffourée devrait donner lieu à quelques
échanges de coups bien sentis qui vous permettront de pratiquer les règles de com-
bat. Toutefois, les policiers ne sont pas des brutes et ils ne s'acharneront pas sur
une personne qui cherche manifestement à coopérer.

Z Si un personnage est parvenu à s'introduire dans la maison dès le début de l'altercation


(ou même avant, peut-être parce qu'il est parvenu à déjouer la vigilance des neveux en se
glissant dans le jardin et en réussissant un Test d'Agilité (8)), il surprend Mérymès en plein
tentative d'assassinat et a tout juste le temps de voir une silhouette s'échapper par une fenêtre
(il est important que Mérymès ne puisse être ni capturé, ni identifié à ce stade de l'aventure).
Cette intervention inespérée permet au prêtre d'avoir la vie sauve mais son état est plus que
préoccupant : Mérymès lui a presque tranché la langue. Les personnages les plus perspicaces
peuvent commencer à comprendre que le mystérieux agresseur mutile les parties du corps de

248
ses victimes dont elles ont le plus besoin dans le cadre de leur métier : les mains d'un menui-
sier, la langue d'un prêtre. Il ne fait nulle doute que cette intuition sera renforcée lorsqu'ils
rencontreront Menkharê, le peintre aux yeux crevés.

Z Si les personnages ont préféré se jeter dans la bataille et régler leur compte aux neveux (et
éventuellement aux policiers), les conséquences sont désastreuses : il y a de fortes chances pour
qu'ils n'en sortent pas indemnes, les policiers ne manqueront pas de les jeter dans les geôles
royales et ils n'auront pas sauvé Houni. En effet, le prêtre sera retrouvé la gorge et la langue
tranchées et un de ses neveux grièvement blessé. L'intervention de Nesamon sera vraisem-
blablement nécessaire pour les sortir de ce mauvais pas et ils en seront quitte pour un sermon
vigoureux sur le respect de la loi, de Maât et du simple bon sens.

Z Au cas où les personnages arriveraient trop tard et manqueraient cet épisode, les conclu-
sions seraient les mêmes que ci-dessus : Mérymès tue Houni après l'avoir fait parler et blesse
grièvement son neveu. Apprenant les détails du carnage ou en se rendant sur les lieux, ils
pourront déduire à l'aide d'un Test de Se battre (8) qu'ils ont affaire à un combattant très
expérimenté, ce que pourront leur confirmer les embaumeurs qui prendront en charge le ca-
davre de Houni.

Information Clé : la femme de Houni parle du « complot » et fournit de nouvelles pistes,


Paser, Menkharê et Néferka - Le dénouement de cet acte est entre les mains de la
femme de Houni, Neith. Vu que les événements ont atteint une ampleur inaccep-
table et que son époux est soit sérieusement blessé (et donc incapable de parler ou
d'écrire), soit mort, elle consent à dévoiler ce qu'elle sait.

Cette révélation est douloureuse mais, elle suspecte son mari d'avoir commis il y
a cinq ans de cela un acte interdit avec l'assistance de plusieurs de ses amis, dont
Nétihor et Menkharê. Elle ne sait pas précisément de quoi il s'agit mais elle craint
un sacrilège qui ait attiré sur eux la colère des dieux, peut-être un rituel de sorcelle-
rie ou pis encore. Comme Nétihor, Houni était nerveux ces derniers temps mais il
refusait de se confier. La seule chose qu'il lui ait dite un soir où le désespoir le ron-
geait est que « Paser méritait ce qui lui avait été offert mais qu'il n'aurait pas pensé
que le prix à payer fût aussi lourd ». Et le seul Paser que Neith connaît est un scribe

249
condamné à mort cinq ans plus tôt, un proche de Houni et de son cercle d'amis.
Elle pressent que toute cette affaire a un lien avec ce Paser mais ne souhaite pas en
savoir plus, de peur que les dieux ou les mauvais esprits ne s'intéressent à elle. Par
contre, elle peut confier aux personnages où Paser travaillait à l'époque, à savoir
l'adresse de Néferka... et de Mérymès. De même, elle croit savoir où il est possible
de trouver Menkharê : dans un village d'artisans funéraires de la rive gauche dont
elle dévoile l'emplacement aux personnages.

Z Notez que Neith ne parlera de Nétihor, de Menkharê et de Paser que si les personnages
abordent le sujet. Si vos joueurs manquent un peu d'imagination et qu'ils ne pensent pas à
questionner correctement Neith, celle-ci pourra glisser dans ses lamentations quelques allu-
sions au « passé qui a rattrapé son époux ».

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Acte 4 : La vérité éclate
Nous nous approchons de la fin de l'aventure et les événements se précipitent.
Qu'ils aient ou non sauvé la vie de Houni, les personnages devraient désormais
savoir que les victimes ont en commun un acte suspect, une « conspiration » qui
les lie à un certain Paser condamné à mort cinq ans plus tôt. Les situations pré-
sentées ci-dessous ne suivent pas un ordre chronologique précis. Reportez-vous
aux paragraphes correspondant aux pistes que vos joueurs privilégieront et tâchez
de garder correctement en mémoire les actes de votre groupe de joueurs. En effet,
cette phase du scénario est la plus délicate à gérer car elle requiert un soupçon d'im-
provisation et une bonne vue d'ensemble des options accessibles aux personnages.
N'hésitez pas à lire ces quelques paragraphes plusieurs fois.

Menkharê : le peintre aux yeux vides

Choisi parmi de nombreux candidats pour travailler dans les tombes des nobles
de la rive gauche, Menkharê est l'un des meilleurs peintres de Ouaset. Ou plutôt,
il l'était avant que Mérymès ne croise sa route un mois plus tôt... et ne lui crève les
yeux à défaut de pouvoir lui arracher l'emplacement de la tombe de Paser.

En suivant les indications de la femme de Houni (ou de celle de Paser s'ils sont
d'abord passés chez Néferka), les personnages retrouveront aisément le peintre
aveugle sur la rive gauche. Il suffit pour cela de franchir le fleuve (de nombreux
passeurs et des bateaux mis à disposition par les grandes familles de la cité font
la navette) puis de naviguer sur un des canaux bordés d'immenses champs de blé
et d'orge qui s'enfoncent dans les terres (ils n'ont qu'à recourir aux services d'un
des nombreux passeurs qui assurent les navettes entre les deux rives). Malgré son
récent handicap, Menkharê a choisi de rester auprès de ses amis de toujours et
il vit seul dans une minuscule maison accolée aux nombreuses autres demeures
identiques qui composent son petit village d'artisans, tout entier dévoué à la cause
des défunts.

251
Quand les personnages arrivent chez Menkharê (ils ont pu obtenir l'adresse exacte
auprès d'un passant par exemple), ils découvrent un homme d'une quarantaine
d'années, assis sur le toit de sa maison qui fait office de terrasse. Ses yeux sont
bandés et il manipule un stylet dont il fait machinalement courir la pointe sur
une pierre plate, comme s'il dessinait. Il semble étrangement calme et résigné et
lorsque les personnages l'interrogent, il admet que le temps est venu de parler de
toute cette affaire. Menkharê demande alors aux personnages de le guider à l'écart
du village, là où le désert débute et où le silence est presque total.

À l'est, le Nil coule paisiblement au cœur d'un large sillon de verdure tandis qu'à
l'ouest, la silhouette déchiquetée de la montagne Meret-Seger se détache abrupte-
ment sur le ciel. Après avoir tourné le visage vers le somptueux temple d'Hatshep-
sout dont on aperçoit les colonnades et les jardins au pied des falaises, comme s'il
le voyait encore, il raconte son histoire d'une voix incertaine.

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Il explique que Paser était un ami proche d'Héfat, de Nétihor, de Houni et de lui-
même et que l'annonce de son procès fut un véritable choc. Connaissant Paser et
son respect sincère de Maât et de Kémi, il était strictement impossible qu'il fût
coupable de la tentative de meurtre dont on l'accusait. Lorsque le verdict tomba,
l'incompréhension était totale et sous l'impulsion de Houni, les quatre hommes
décidèrent de sauver ce qui pouvait encore l'être en accordant une véritable céré-
monie funéraire au malheureux. Nétihor s'occupa du sarcophage, Houni parvint à
détourner secrètement le corps, Héfat fabriqua son masque tandis Menkharê réha-
bilitait une vieille tombe abandonnée de la rive gauche et la décorait des formules
et offrandes traditionnelles. Les quatre hommes jurèrent d'emporter ce secret
dans la mort et pendant cinq ans, le monde ignora que Paser avait trouvé le chemin
d'Amenti et que la justice de Pharaon avait été remise en question.

Mais il y a de cela six semaines, Héfat fut tué, puis ce fut au tour de Menkharê d'être
agressé. Le secret avait été révélé car l'assassin qui creva les yeux du peintre n'avait
qu'une idée en tête : découvrir l'emplacement de la tombe de Paser.

Information Clé : la condamnation de Paser repose sur le témoignage du jardinier de


Néferka - Si les personnages questionnent Menkharê sur sa conviction selon la-
quelle Paser était innocent, il rappellera que son ami était un homme droit et que
l'issue du procès reposait sur les épaules d'une seule personne : le jardinier Mon-
touhotep, unique témoin de la tentative d'assassinat, étant donné que Nebmaâtrê
n'avait pas eu le temps de voir son agresseur.

Z En ce qui concerne le meurtrier qui l'a assailli, Menkharê pressent qu'il reviendra très
bientôt terminer ce qu'il a commencé. Il ne sait rien de son identité mais il pourra souffler
aux personnages que ce mystérieux assassin est soit quelqu'un qui souhaite que leur secret ne
soit jamais divulgué, soit un homme qui a à souffrir du fait que Paser ait reçu une sépulture.
Cette dernière hypothèse est d'autant plus crédible que l'obsession de l'assassin était, selon
ses propres mots, de connaître l'emplacement de « la tombe de Paser, ce chien maudit qui le
poursuit ».

253
Laissez les personnages spéculer et ils arriveront peut-être à la conclusion, à l'aide
d'un jet de Culture égyptienne (8) ou d'Erudition (6), que les morts peuvent se ven-
ger des vivants s'ils disposent d'une tombe. Et si Paser tourmentait celui qui l'avait
fait accuser, cela signifierait sans doute que l'assassin n'est autre que l'instigateur
du faux témoignage en personne et donc... l'homme qui a tenté de tuer Nebmaâtrê.

Ainsi, même si l'énigme de l'inhumation de Paser est désormais résolue, le mystère


reste entier quant aux motivations de l'assassin et seule une visite chez Néferka
fournira aux personnages les indices nécessaires pour saisir tous les tenants et
aboutissants de cette histoire.

La famille de Paser

Que ce soit par l'intermédiaire de Nebmaâtrê ou Menkharê, les personnages


peuvent retrouver la veuve de Paser, Hori, dans un quartier mal famé en bordure
de la cité de Ouaset. Depuis la condamnation de son époux, elle survit tant bien que
mal avec ses trois enfants, reniée par sa famille et méprisée par son entourage. Elle
rêve de quitter Ouaset pour n'importe quel village de Haute Égypte mais la rumeur
concernant le crime de son mari semble la précéder partout où elle va.

Brisée par cette épreuve et par les souffrances qu'elle endure au quotidien, Hori est
méfiante, crue, voire agressive à l'encontre des personnages. Elle pense qu'ils ne
souhaitent la rencontrer que pour mieux la railler et raviver son chagrin.

Information Clé alternative : la condamnation de Paser repose sur le témoignage


du jardinier de Néferka - Si les personnages lui affirment sans détour qu'ils sont

persuadés que Paser était innocent et qu'il a servi de bouc émissaire, Hori laisse
tomber le masque et fond en larmes. Elle attend ces mots depuis cinq ans. Elle
qui a toujours été convaincue de l'innocence de son mari, voici que des inconnus
viennent lui redonner espoir. Une fois en confiance, elle leur déclarera que le jar-
dinier Montouhotep a été acheté d'une manière ou d'une autre car pas une fois
depuis ces tristes événements l'accusateur, visiblement consumé par la honte, n'a
pu soutenir son regard.

254
Information Clé alternative : Hori livre l'adresse de Menkharê - Si les personnages
révèlent à Hori que des amis de Paser sont parvenus à l'inhumer en secret, elle ne
se montrera que partiellement surprise. Elle évoque à ce sujet la visite nocturne
que lui a un jour rendue le prêtre Houni, ami de son époux : cet homme lui avait
alors assuré sans plus de précision qu'elle n'avait pas à s'inquiéter pour Paser. Par
ailleurs, le peintre Menkharê est venu plusieurs fois lui apporter de la nourriture et
des biens de première nécessité alors qu'elle était dans le besoin. Elle ne sait pas où
réside Houni (de toute manière, les personnages le savent déjà) mais elle peut leur
indiquer que Menkharê vit dans un village d'artisans de la rive gauche (voir plus
haut, Menkharê : le peintre aux yeux vides),

Chez Néferka

La famille de Néferka occupe une superbe propriété dans le quartier aisé de Ouaset,
non loin du palais royal. Un vaste parc clos de plusieurs milliers de mètres carrés
abrite de nombreuses dépendances (une chapelle, les quartiers des serviteurs, des
entrepôts, des greniers) et des vergers parfumés, peuplés de chats, de petits singes
et d'oiseaux, ainsi qu'un bassin couvert de fleurs s'étendent devant la terrasse de la
bâtisse qui doit compter au bas mot un trentaine de pièces. Néferka est un homme
de pouvoir malgré sa discrétion et la prudence est de mise chez un personnage
aussi important et notoirement plus influent que Nesamon.

Le problème est évidemment de trouver une bonne raison d'obtenir une audience.

Z Tout d'abord, si les personnages n'ont pas d'éléments sérieux concernant un éventuel faux
témoignage du jardinier ou la tentative d'assassinat de Nebmaâtrê et qu'ils souhaitent sim-
plement se renseigner sur Paser, Néferka ne les recevra pas. La réponse sera sans appel. Ils
doivent disposer de plus d'informations pour espérer l'intéresser et il leur sera indispensable
d'apprendre le rôle du jardinier de la bouche de Menkharê ou de Hori.

255
Z La méthode la plus sûre pour être reçu chez Néferka est de convaincre Nesamon que la des-
truction du sarcophage de Nétihor a débouché sur une affaire bien plus sombre et compliquée
qu'il n'y paraissait initialement, une affaire qui est liée à la tentative d'assassinat de Neb-
maâtrê cinq ans plus tôt. Si les personnages exposent clairement leur point de vue (au risque
de révéler que Nétihor, Héfat, Menkharê et Houni ont commis un acte illégal en enterrant
Paser), Nesamon enverra immédiatement un messager à Néferka afin de lui annoncer l'ar-
rivée des personnages et de lui demander de bien vouloir écouter ce qu'ils ont à lui dire. Cela
implique que les joueurs ont une vision à peu près claire de l'intrigue et qu'ils ont sans doute
rencontré Menkharê et/ou la veuve de Paser.

Z Si les personnages n'ont pas choisi la voie « officielle », ils pourront essayer de convaincre
les gardiens de signaler leur présence au maître des lieux. Eu égard au statut de Néferka, ils
ont intérêt à être particulièrement convaincants et réussir un Test de Charisme (8) ET de Bu-
reaucratie (7). Dans le cas contraire, les gardiens sont susceptibles d'en venir aux mains et de
faire appel à la police qui fait des rondes régulières dans ce quartier sous haute surveillance.

Z Si un personnage se pose des questions sur Néferka, un Test de Culture égyptienne (8) ou
de Bureaucratie (6) réussi lui apprendra que ce notable est un ancien diplomate de Pharaon,
proche de la cour et du Tjaty. On murmure d'ailleurs qu'il pourrait bientôt assumer la fonc-
tion de Prophète d'Amon. En ce qui concerne son frère Mérymès, il est nécessaire de réussir
un test de Culture égyptienne (10) ou de Bureaucratie (8) pour savoir qu'il s'agit d'un ancien
militaire dont la carrière stagne depuis plusieurs années. Il n'a pas de réelle perspective per-
sonnelle, indépendamment des activités de son frère.

256
Z Si les personnages choisissent d'agir en secret et de s'introduire sans autorisation dans la
propriété, en escaladant les murs par exemple, ils s'exposent à de très graves ennuis. S'ils
insistent, ils doivent réussir chacun un Test d'Agilité (9) pour ne pas être repérés (Difficulté
11 si la scène se déroule en plein jour). Une fois sur place, les personnages remarqueront sim-
plement les allées et venues des serviteurs et des gardes, rien de très probant. Pénétrer dans le
petit palais de Néferka sans éveiller l'attention est impossible. Dans le meilleur des cas, s'ils
restent un moment à errer en pleine nuit dans le parc, ils finiront par remarquer une forme
pâle entre deux sycomores. Cette silhouette immobile semble les observer depuis de longues
minutes puis disparaît derrière un fourré et il n'est plus possible de la retrouver. Un person-
nage particulièrement perspicace pourra remarquer que cette effrayante silhouette se tenait
face à une fenêtre. Celle de la chambre de Mérymès.

Nous renouvelons notre mise en garde : cette entrée par effraction est très risquée. Faites com-
prendre à vos joueurs que l'endroit est bien gardé et qu'ils courent le risque d'être découverts
et traités comme des malfrats. Ce n'est pas un moyen très rentable d'élucider les mystères de
cette intrigue.

Une fois leur accès dans le domaine de Néferka garanti (s'ils ne pénètrent pas par
effraction, bien sûr), les personnages sont accueillis par une poignée de jeunes ser-
viteurs aux manières délicates et attentionnées, un traitement inhabituel mais loin
d'être désagréable. Après avoir été écoutés par plusieurs intermédiaires de rangs
croissants, ils sont finalement installés dans un salon privé et reçus par le conseiller
de Néferka qui n'est autre que... Mérymès.

257
Face à Mérymès

Mérymès, froid et impatient, fera tout pour savoir ce que recherchent les person-
nages. Dans le cas où ils auraient obtenu un rendez-vous en privé avec Néferka, il
s'efforcera de les faire parler avant leur entrevue en jouant de son statut : « faites-
moi part de votre requête, je pourrai certainement trouver les mots pour vous at-
tirer les faveurs de mon frère... » ou « nous sommes du même sang et je sais tout
ce qu'il sait, dites m'en plus sur l'affaire qui vous amène ». Sa curiosité maladive
pourra d'ailleurs sembler suspecte aux joueurs.

Z Si les personnages admettent qu'ils souhaitent rencontrer le jardinier ou évoquent l'affaire


Paser, un Test de Perception (8) permet de déceler le trouble de Mérymès. Par ailleurs, un Test
de Médecine (7) indique que cet homme est épuisé, aux abois.

Z Si les personnages se montrent particulièrement imprudents et confient à Mérymès qu'ils


pensent que Paser n'est pas le vrai coupable de la tentative d'assassinat à l'encontre de son
neveu, l'homme feint tant bien que mal l'indignation et balaie leurs allégations de la manière
la plus simple qui soit : par le déni et en ridiculisant leur version des faits. Selon lui, Paser
était un serviteur qui avait toute sa confiance, ainsi que celle de Néferka. Son crime est une
ignominie qu'il a justement payée de sa vie, conformément à l'incontestable décision du Tjaty
Ouseramon.

Z Quoi qu'il en soit, si les personnages semblent en savoir trop (sur Paser, sur le témoignage
douteux du jardinier Montouhotep, sur sa propre carrière...), Mérymès n'attendra pas un
instant pour gagner la rive gauche et procéder à la destruction de la tombe de Paser dont il
connaît maintenant l'emplacement (rappelez-vous que Houni le lui a révélé). Il s'éclipsera
discrètement, emmènera avec lui quelques gardes acquis à sa cause et ne reculera devant rien
pour arriver à ses fins. Espérons que les personnages découvriront sa culpabilité à temps pour
le rattraper. Cette scène constitue le cinquième et dernier acte du scénario que vous trouverez
plus loin.

258
Z Dans l'éventualité (fort improbable, nous le souhaitons) où les personnages accuseraient
ouvertement Mérymès sans preuve, ce dernier les ferait jeter dehors par ses gardes mais
n'ébruiterait pas l'esclandre. Il serait particulièrement malvenu que ces accusations fantai-
sistes éveillent des soupçons. Toutefois, une des priorités du militaire sera de supprimer les
importuns en leur envoyant ses hommes de main avant de filer en direction de la tombe de
Paser.

Le fils de Néferka, Nebmaâtrê

Effacé, lunaire, distant et distrait, voici autant de qualificatifs qui conviennent


à Nebmaâtrê, le fils de Néferka que les personnages pourront apercevoir dans le
jardin ou déambulant dans les pièces de la demeure familiale. Il est possible d'ap-
procher le jeune homme à condition de détourner l'attention de Mérymès qui ne
souhaite pas que des inconnus lui parlent seuls.

Z Si les personnages questionnent Nebmaâtrê sur la tentative d'assassinat dont il a fait l'ob-
jet, il prétend n'en avoir aucun souvenir précis et rappelle que son agresseur l'a attaqué de dos
(la cicatrice qui orne ses reins confirme ses dires). Il sait que cet événement a profondément
affecté son père qui a alors demandé au Tjaty d'infliger une sanction exemplaire au coupable.

Il est difficile de le faire parler au sujet de Paser. Il se montre évasif, affirmant que
c'est de l'histoire ancienne. Si un des personnages insiste et réussit un Test de Cha-
risme (5), Nebmaâtrê laissera échapper qu'il n'en veut ni à Paser, ni à sa famille.
D'ailleurs, s'il est consciencieusement interrogé, il pourra même révéler que le sort
de cette dernière n'a rien d'enviable et qu'il sait précisément où elle se trouve, à
savoir dans un quartier miteux du sud de Ouaset (ce qui permet de trouver Hori et
d'obtenir les informations fournies plus haut, dans La famille de Paser).

Z Interrogé au sujet de Mérymès, Nebmaâtrê est laconique mais un test de Perception (7)
indique une certaine froideur à son endroit. Il décrit à demi-mots, sans jamais le formuler
clairement, un homme creux, dépassé et sans avenir.

259
Z Quant à son père, Nebmaâtrê le respecte profondément et il est honoré qu'il l'ait déjà choisi
pour assumer la charge de Prophète d'Amon, même s'il n'est personnellement pas convaincu
de faire l'affaire. Le jeune homme laissera entendre non sans une certaine ironie que c'est une
tâche qui conviendrait sans doute mieux à son oncle Mérymès...

Z Si les personnages suivent discrètement Nebmaâtrê dans ses pérégrinations (il faut pour
cela réussir un Test d'Agilité (7)), ils découvriront ses appartements, là où se joue peut-être
tout le mystère des apparitions de Paser. En cas d'échec au Test d'Agilité, les personnages qui
suivent Nebmaâtrê seront repérés par des serviteurs qui les enjoindront à regagner la partie
de la maison accessible aux invités. En cas de récidive ou de résistance, les serviteurs appel-
leront les gardes et ces maladroites indiscrétions fâcheront fort Néferka et mettront la puce à
l'oreille de Mérymès.

Z Si les personnages ont l'idée de se faufiler dans les appartements de Nebmaâtrê en son
bsence et qu'ils ne se font pas repérer (un nouveau test d'Agilité (8) est requis), ils découvriront
peut-être des indices particulièrement troublants et décisifs pour la compréhension de l'his-
toire (voir l'encadré « Fantôme ou manipulation ? »).

260
Néferka accorde une audience

Pour toucher au cœur du problème, les personnages doivent faire parler le jardinier
Montouhotep et sans l'aval de son maître, cela est fort compliqué (voir « Le faux té-
moignage de Montouhotep »). Aussi les joueurs doivent-ils s'efforcer d'obtenir une
audience auprès de Néferka, que ce soit en recourant au soutien de Nesamon ou
en faisant preuve de ténacité face aux nombreux intermédiaires qui se dresseront
devant eux (dont Mérymès). Une fois qu'ils sont reçus par le notable, les person-
nages ont tout intérêt à se montrer humbles, directs et honnêtes. Ils ont affaire
à un homme puissant et avisé qu'ils ne peuvent espérer tromper facilement. S'ils
ont été précédés par un messager de Nesamon ou s'ils sont eux-mêmes porteurs
d'un document où figure le sceau de leur commanditaire, Néferka est disposé à les
écouter calmement. Toutefois, il n'hésitera pas à les congédier s'ils lui paraissent
incohérents ou hésitants.

Néferka a fort mal vécu la tentative d'assassinat de son fils et la culpabilité de Paser
reste pour lui un mystère, encore aujourd'hui. Sa confiance totale en le jugement
du Tjaty lui a néanmoins permis de retrouver la paix après cette épreuve et la pers-
pective d'exhumer cette douloureuse histoire n'a rien de plaisant. Les personnages
ont très peu de temps pour se montrer convaincants.

Après voir attentivement écouté leur histoire, Néferka reprendra tous les éléments
un par un, y cherchant des contradictions ou des incertitudes, confrontant les pro-
pos des différents personnages. C'est un moyen pour lui d'être absolument certain
de saisir tous les tenants et les aboutissants de l'affaire (et pour vous de vous assu-
rer que les joueurs ont bien compris l'intrigue). Il est important que les joueurs se
rendent compte du poids de leurs accusations et de leurs conséquences : la justice
de Pharaon aurait failli, des hommes auraient détourné un cadavre pour l'enterrer
contre l'avis des autorités, un assassin serait en liberté et cet homme... pourrait être
celui qui a essayé de tuer Nebmaâtrê.

261
Ces révélations, nombreuses, troublantes, sont néanmoins plausibles (si les per-
sonnages ont correctement présenté les choses en tout cas) mais si Néferka est prêt
à croire les personnages, il est encore incertain sur la conduite à tenir. Sur le plan
politique, dévoiler le fait qu'un innocent a été condamné par le Tjaty revient à affai-
blir le pouvoir royal. Sur le plan humain, révéler la conspiration des amis de Paser
les expose à une sanction exemplaire alors qu'ils avaient peut-être vu juste et qu'ils
avaient simplement souhaité rétablir Maât. Enfin, son fils Nebmaâtrê est peut-être
encore en danger. Et que dire de la famille de Paser qui vit dans la pauvreté depuis
ces tristes événements ?

Z Néferka se fonde sur les éléments que lui fournissent les personnages pour prendre une déci-
sion. Il devient de plus en plus clair que la clé du mystère réside en Montouhotep, le jardinier
qui a permis à Mérymès de se tirer d'affaire. Si vous estimez que les personnages ont livré
un récit clair et sincère, Néferka ordonne qu'on lui amène le jardinier afin de l'interroger. Ce
dernier, confronté à la colère de son maître, finira par avouer ce qu'il sait et ce qu'il a fait. Les
détails de son histoire sont abordés dans le paragraphe qui lui et consacré.

Z Si les personnages n'ont pas d'éléments probants, s'ils se contentent de demander un entre-
tien avec le jardinier Montouhotep sans préciser qu'ils le suspectent d'avoir accusé Paser à tort
et d'avoir couvert l'assassin qui rôde dans Ouaset, Néferka ne sera pas convaincu. Il ne voit
pas le rapport entre les meurtres de ces hommes et son jardinier. Bien sûr, Néferka cherchera
à approfondir le sujet et vous pouvez, par son intermédiaire, pousser les personnages à en dire
plus qu'ils ne le souhaiteraient : quel est le lien entre Paser et les victimes ? Que le jardinier
pourrait-il apporter de nouveau dans cette histoire ? Admettant que les cibles de l'assassin ont
enterré Paser en toute illégalité, pourquoi leur assassin est-il lié au jardinier ? Ces personnes
étaient convaincues de l'innocence de Paser et contestent la véracité du témoignage du jardi-
nier Montouhotep : qui a pu le pousser à mentir en ce cas ? L'assassin ? Ainsi, les personnages
parviendront peut-être à reformuler leur histoire et justifier l'interrogatoire de Montouhotep.

262
Le faux témoignage du jardinier Montouhotep

Montouhotep est un vieil homme, esseulé et taciturne, qui vit dans le quartier des
serviteurs, une des nombreuses dépendances de la propriété. Il travaille pour Né-
ferka depuis près de vingt ans, autant dire qu'il fait partie de la famille et que son
témoignage contre Paser n'a éveillé aucun soupçon à l'époque de cette tragique af-
faire. Mais les temps ont changé et les personnages ont selon toute vraisemblance
la ferme intention de lui faire avouer la vérité.

Z Même sans l'autorisation de Néferka, retrouver Montouhotep dans le parc ou chez lui est
très simple : il suffit de demander aux serviteurs. Ce qui l'est moins, c'est de le faire discrète-
ment et un Test d'Agilité (5) est requis. En cas d'échec, quelqu'un remarque la conversation et
Montouhotep est assigné à résidence sur ordre de Mérymès tandis que les personnages sont
invités à s'expliquer. Si ces derniers souhaitent passer outre cette interdiction, ils doivent à
nouveau se montrer très discrets (il faut réussir un autre Test d'Agilité (7) pour déjouer l'at-
tention des gardes qui surveillent le parc) afin de rejoindre sans encombre le jardinier dans
sa demeure. En cas d'échec, Néferka les fera mettre dehors après que les gardes leur ont admi-
nistré une généreuse bastonnade (rien de très grave bien sûr, mais quelques tours de combat
et la perte d'une poignée de points de vie devraient suffire à leur faire comprendre leur erreur)
et cela compliquera considérablement les négociations à venir.

Z Si les personnages ont déjà fait part de leurs soupçons à Néferka et que ce dernier les a
écoutés, Montouhotep sera convoqué dans une salle d'audience privée. Là, ils pourront lui
poser toutes les questions qu'ils souhaitent sous la surveillance attentive de Néferka. Les in-
formations que le jardinier s'apprête à révéler compromettent Mérymès et celui-ci l'a compris
dès qu'il a vu Montouhotep emmené sans ménagement dans les quartiers de son frère. C'est à
cet instant, alors que les personnages obtiennent enfin les réponses à leurs interrogations, que
Mérymès rassemble précipitamment quelques affaires, emmène avec lui trois gardes et décide
de gagner la rive gauche pour détruire la tombe de Paser, quelle que soit l'heure du jour ou de
la nuit. Il devine qu'il aura beaucoup de comptes à rendre et de mensonges à proférer dans les
jours qui viennent et il compte se débarrasser dès maintenant de son immatériel tortionnaire.

263
Information Clé : Mérymès a acheté son faux témoignage à Montouhotep - Devant Né-
ferka, Montouhotep parlera sans trop d'hésitation. Si les personnages sont seuls
avec lui, la peur qui habite le jardinier devra être tempérée par de constantes pa-
roles d'apaisement et de nombreuses promesses de protection. C'est une entreprise
difficile, il faut lui proposer une manière crédible de se faire oublier dans les mois
à venir et réussir un Test de Charisme (10).

Voici l'histoire de Montouhotep. Le jardinier a un fils nommé Ankhmarê, un


homme de près de trente ans aujourd'hui qui servit dans l'armée de Pharaon mais
n'en supporta pas les contraintes. Il déserta en l'an 19, parvint à informer son père
de son acte puis disparut pendant plusieurs mois. Un matin, Montouhotep fut in-
formé par un fonctionnaire de justice que son fils avait été capturé non loin de
Per Bastet et condamné aux travaux forcés pour désertion. Le jardinier put voir
son fils une dernière fois à Mennefer avant qu'il ne fût emmené dans les mines de
turquoise du Sinaï. Le père acquit une certitude au cours de cette ultime entrevue :
Ankhmarê ne survivrait pas longtemps à ce traitement.

Six mois plus tard, un autre événement bouleversa le vieil homme : le fils de son
maître faillit périr en sa propre demeure, poignardé par un inconnu. Heureuse-
ment, les services du Tjaty se mirent rapidement sur la piste du criminel et com-
mencèrent les interrogatoires. C'est alors que tout bascula. Un ou deux jours après
l'ouverture de l'enquête, quelqu'un proposa abruptement à Montouhotep d'effacer
les crimes de son fils et de le libérer afin qu'il refasse discrètement sa vie. C'était
une opportunité unique, inespérée, la seule manière d'éviter une mort honteuse et
douloureuse à son seul enfant et Montouhotep accepta la contrepartie qui lui fut
demandée : accuser le scribe Paser de la tentative de meurtre contre Nebmaâtrê et
témoigner devant le tribunal du Tjaty. A l'époque, le jardinier se douta bien que ce
faux témoignage visait à dissimuler des faits terribles mais ce contrat ne pouvait
être refusé, d'autant qu'il émanait de quelqu'un dont la capacité à l'honorer ne pou-
vait être mise en doute. Un militaire de carrière, connu dans les hautes sphères de
Kémi... Mérymès.

264
Voilà enfin dévoilée l'identité de l'homme qui a fait tuer Paser pour disculper le
véritable assassin. Mais par delà la mort, Paser semble l'avoir poussé à se révéler,
érodant peu à peu sa santé mentale jusqu'à lui faire commettre une erreur. Ceux
qui voient dans cette affaire la vengeance post mortem d'un innocent ne peuvent que
conclure à son succès.

Les personnages soupçonnaient peut-être la culpabilité de Mérymès (les victimes


ont été tuées par un authentique combattant, la carrière de l'homme est au point
mort, son neveu représente un obstacle...) mais la stupéfaction de Néferka est to-
tale. Dans un mélange de fureur et de froide détermination, il appelle la garde et or-
donne la capture de son frère. Alors que la demeure de Néferka grouille d'hommes
en armes et de serviteurs apeurés, le dernier acte du scénario peut débuter.

265
Acte 5 : La folie de Mérymès
Cet acte décrit la course éperdue de Mérymès vers la rive gauche et la tombe de
Paser. L'objectif pour vous, conteuse, est de faire de cette dernière partie du scé-
nario un moment palpitant et mouvementé dont la paroxysme est l'arrestation de
Mérymès ou un combat désespéré contre ses sbires.

L'assassin révélé

Comme nous l'avons vu, la fuite de Mérymès peut être déclenchée de deux ma-
nières : soit les personnages lui ont donné de bonnes raisons de penser qu'ils sus-
pectent de graves irrégularités dans le procès de Paser (voir le paragraphe Face à
Mérymès ) ; soit ce dernier comprend que le jardinier Montouhotep va être interro-
gé et que ses révélations peuvent le placer dans une situation extrêmement délicate
(voir Le faux témoignage).

Dans les deux cas, Mérymès estime que la menace représentée par
Paser est plus urgente que celle de se voir accusé de meurtre
et de subornation de témoin, aussi décide-t-il de quitter sur
le champ la propriété pour la rive des morts en s'efforçant
d'échapper aux poursuites que ne manqueront pas de pro-
voquer les accusations qui pèsent contre lui. Après avoir
récupéré quelques affaires dans ses appartements (no-
tamment une dague et une épée), Mérymès emmène
avec lui trois gardes qui lui sont dévoués et quitte
le domaine au pas de course sous le regard des
serviteurs médusés. Son premier objectif est
de gagner la rive du Nil où il empruntera une
barque avec ses hommes.

266
Z Si les personnages assistent à la fuite subite de Mérymès sans en connaître les motifs
précis, cela signifie qu'ils n'ont pas encore obtenu de réponses du jardinier. Ils peuvent décider
de se lancer à sa poursuite. Les personnages doivent tous réussir un test d'Agilité (5) pour
le suivre discrètement. Ce test est inutile s'ils décident de le stopper par la contrainte et un
combat débute immédiatement. N'oubliez pas qu'à ce stade de l'histoire, rien n'incrimine of-
ficiellement Mérymès et les personnages ne se fient qu'à leur propre jugement. Mérymès peut
tout à fait appeler à l'aide ou demander à ses serviteurs de trouver la police pour repousser les
assauts des personnages qu'il essaie de faire passer pour de vulgaires malfrats. Son objectif
est de gagner suffisamment de temps pour atteindre la tombe de Paser. Il fuira donc hors de
la propriété à la moindre occasion.

Z Si les personnages ont participé à l'interrogatoire de Montouhotep, ils ont obtenu des élé-
ments accablant Mérymès et il est de leur devoir d'intervenir. Néferka leur confère immédia-
tement toute autorité pour poursuivre et capturer son frère et ils bénéficieront de l'aide d'une
demi-douzaine de gardes bien entraînés dont deux Nubiens particulièrement compétents. Ils
sont ainsi dans leur bon droit.

Dès lors, nous admettrons que les personnages essaient d'intercepter Mérymès
que ce soit directement ou après une phase de filature. Selon que les personnages
ont agi sur leur propre initiative ou qu'ils ont reçu un ordre de Néferka, la course
poursuite peut se dérouler de deux manières différentes (notez que Nebmaâtrê ne
doit pas participer à la course poursuite).

La course poursuite : les personnages sont seuls

Dans le premier cas énoncé plus haut, les personnages suivent Mérymès alors qu'ils
n'en ont pas reçu l'ordre et que l'alerte n'a pas été donnée par Néferka. Ils peuvent
ainsi essayer de traquer discrètement l'assassin et ses trois gardes à travers la cité
jusqu'à sa destination, c'est à dire, dans un premier temps, les quais du Nil. Tous
les personnages qui participent à cette filature au pas de course doivent effectuer
un autre Test d'Agilité (6) pour suivre Mérymès sans se faire remarquer. En cas
d'échec, leur cible fuit en direction du fleuve et ordonne à ses acolytes de les mettre
hors d'état de nuire : Mérymès compte profiter du combat pour s'échapper.

267
Si certains personnages souhaitent rompre le combat pour poursuivre Mérymès,
ils doivent réussir un Test de Combat (7). En cas d'échec, les personnages en ques-
tion sont bloqués dans les étroites ruelles de la cité et doivent poursuivre le combat
jusqu'au tour suivant.

Si, malgré ces embûches, certains d'entre eux écourtent leur participation au com-
bat et se jettent sur les traces de Mérymès, ils le trouveront sur les quais, au mi-
lieu des entrepôts et des navires, en train de détacher une barque pour traverser
le fleuve. Ils doivent comparer le résultat d'un Test d'Agilité au résultat du Test de
Perception de Mérymès, soit 1 dé+2. Si Mérymès obtient un score supérieur ou égal
à celui de l'un des personnages, il le repère et se précipite sur lui, épée à la main.
Si les personnages ne cherchent pas à approcher discrètement le militaire, ces jets
sont évidemment inutiles et le combat commence sans autre préambule.

Au cas où les personnages seraient durablement bloqués par les gardes (c'est à dire
qu'aucun d'entre eux n'est parvenu à rompre le combat pour partir à la poursuite
de Mérymès en 4 Tours de combat), Mérymès a le temps de mettre sa barque à l'eau
et de filer vers l'ouest.

Enfin, il est possible que les personnages aient suivi Mérymès et les gardes sans les
alerter. Ils les retrouveront alors sur les quais, en train de charger du matériel sur
une barque, et devront réussir la confrontation Agilité contre Perception présentée
plus haut pour ne pas être repérés.

La course poursuite : les personnages bénéficient de l'appui de Néferka

Si les personnages ont interrogé Montouhotep en présence de Néferka (second


cas), Mérymès aura une précieuse avance sur eux mais il sera alors pourchassé par
toute la garde et la police sera alertée. C'est un moment intense car les hommes en
armes courent en tous sens dans les ruelles de Ouaset, bousculent les passants, ren-
versent les étals en décrivant Mérymès à d'éventuels témoins de son passage. Bien
sûr, les personnages devraient faire de même et un test réussi de Perception (6)
leur permettra d'apercevoir un des gardes de Mérymès se diriger en courant vers

268
les quais. Un test de Physique (7) est requis pour tenir le rythme. Si tous les person-
nages échouent à ce stade, Mérymès aura déjà filé sur le Nil lorsqu'ils arriveront sur
les quais (voir « Dernière confrontation »). Ceux qui auront réussi ces jets pourront
rattraper le criminel sur la berge.

Cette phase du jeu doit se dérouler dans l'urgence, la précipitation. Les joueurs
doivent sentir que Mérymès peut leur échapper en profitant de la confusion. Pous-
sez-les à décrire leurs actions rapidement, sans trop réfléchir, et n'hésitez pas à leur
aboyer dessus par personnages interposés lorsqu'ils montrent des hésitations. Ils
doivent courir, fouiller tout le quartier et retrouver l'assassin. Par tous les moyens.

Normalement, les personnages devraient maintenant être arrivés aux quais. Ils
doivent être prêts à tenir tête à Mérymès.

269
Une mystérieuse apparition

Un événement étrange et inquiétant va donner une saveur toute particulière à cette


folle épopée dans les rues de Ouaset. Les personnages vont en effet apercevoir le
« spectre » qui terrorise Mérymès.

Z Si les personnages suivent discrètement Mérymès, ils l'observeront au bout de quelques


minutes interrompre brutalement sa progression dans les ruelles, figé à l'angle d'un mur.
Après avoir poussé un cri de peur et de surprise, l'homme fera précipitamment demi-tour
sans remarquer les personnages, les yeux hagards. Si les personnages prennent quelques se-
condes pour s'aventurer dans la petite rue que Mérymès a évité d'emprunter, ils apercevront
dans la pénombre une forme rigide, une silhouette drapée de blanc, portant une perruque
cérémonielle et deux beaux bracelets d'or aux poignets. L'apparition disparaît une fraction
de seconde plus tard et les personnages ne peuvent pas déterminer si elle s'est littéralement
évaporée ou si elle s'est plus prosaïquement enfoncée dans les profondeurs de la cité.

Z Une scène analogue se produira si les personnages sont activement aux trousses de Mé-
rymès. Au cours de la cavale, ils l'entendront pousser un hurlement et l'apercevront, épée
brandie, en train de balayer l'air tout en criant à un agresseur invisible de le « laisser tran-
quille ». Mérymès poursuivra sa course en titubant quelques instants, manifestement choqué.
Si les personnages jettent un oeil dans la ruelle où semblait se trouver le mystérieux adver-
saire de Mérymès, ils apercevront la silhouette décrite plus haut.

Cette apparition devrait corroborer l'explication surnaturelle pour laquelle les


joueurs ont pu opter : la chose qui terrorise Mérymès ne peut qu'être le fantôme
de Paser. Il existe toutefois une autre explication, détaillée plus loin dans le para-
graphe Fantôme ou manipulation ?. À sa lecture, vous comprendrez pourquoi Neb-
maâtrê ne doit pas être visible pendant cette scène.

270
Dernière confrontation

Nous voilà au dénouement du scénario, l'opposition finale entre les personnages


et Mérymès qui constitue la conclusion logique et la plus probable de cette his-
toire. Nous partons du principe que les personnages ont suivi la trace de Mérymès
jusqu'au Nil et qu'ils comptent l'intercepter. Quelques pistes alternatives vous se-
ront présentées afin de gérer d'éventuelles situations imprévues.

Afin que la scène soit aussi poignante et dramatique que possible, l'idéal serait que
les personnages soient seuls face à Mérymès et à ses gardes lorsqu'ils parviendront
aux quais. S'ils ont agi sans l'autorisation de Néferka, cela sera vraisemblablement
le cas. Cela dit, même si les personnages agissent sur ordre de Néferka et qu'ils
sont épaulés par plusieurs gardes, arrangez-vous pour qu'ils arrivent les premiers
sur les lieux en expliquant que leurs renforts sont encore dans les rues de Ouaset.
Il est important que les joueurs prennent conscience du risque que courent leurs
personnages en se frottant à un homme aussi dangereux et déraisonnable.

Qu'il les ait repérés lors de leur arrivée sur les quais (voir l'opposition Agilité/
Perception présentée dans « La course poursuite ») ou que les personnages
aient décidé de se manifester spontanément, la réaction de Mérymès
sera la même : il est hors de question que ces insignifiants trublions
se mettent en travers de son chemin. Il se lancera, lui et ses
hommes (si ces derniers n'ont pas été neutralisés plus
tôt), contre les personnages et le combat com-
mencera.

La folie et la terreur qui se sont saisies


de Mérymès transparaissent clairement
dans son regard halluciné. Il n'hésitera pas
à faire usage de son épée et il frappe pour
tuer, quelles qu'en soient les conséquences.
Même les gardes qui le protègent, armés de
matraques, semblent surpris par la haine dévo-

271
rante qui l'anime. Faites comprendre à vos joueurs que Mérymès jette ses dernières
forces dans la bataille, comme s'il se savait déjà condamné. Il sera malheureuse-
ment impossible de le raisonner pendant tout le temps que durera le combat (vous
utiliserez pour cela les caractéristiques de Mérymès et de ses hommes fournies en
fin de scénario).

S'il est grièvement blessé et qu'il ne peut plus poursuivre le combat, il livrera aux
personnages un discours incohérent, leur demandant de l'achever tout en mau-
dissant Nebmaâtrê, Néferka et Paser. Ce serait un moment parfait pour l'arrivée
des gardes de Néferka (si les personnages agissent sur son ordre) ou de la police
(alertée par le raffut du combat).

Les conséquences de la capture ou de la mort de Mérymès sont traitées dans l'épi-


logue.

Et si ça ne se passe pas comme prévu ?

L'imagination de vos joueurs peut vous placer dans nombre de situations délicates
et vous éloigner quelque peu de la conclusion que nous avons envisagée. Nous
vous rappelons que vous avez à tout moment la possibilité de ramener subtilement
vos joueurs dans le chemin de l'intrigue en décourageant l'exploration de pistes
stériles, à moins bien sûr que ces digressions et contretemps ne contribuent à la
bonne ambiance de la table de jeu (interprétation des personnages, questions sur
la civilisation égyptienne...). Nous vous faisons néanmoins quelques suggestions
pour traiter cette dernière scène d'une manière adaptée aux actions de vos joueurs :

Z Si les personnages attaquent Mérymès dans le domaine de Néferka, sans l'autorisation de


ce dernier et en se fondant uniquement sur des présomptions, leur imprudence peut leur coû-
ter très cher. Peu importe ce qu'ils pensent être vrai ou justifié, la réalité est qu'ils s'attaquent
à un notable, chez lui, sans justification officielle ni même le prétexte de la légitime défense.
Objectivement, il s'agit d'une agression pure et simple , raison pour laquelle Mérymès pour-
ra faire appel à tous les gardes de Néferka et à la police. Les personnages encourent de très
lourdes peines s'ils ne parviennent pas à convaincre que leur action « précipitée » était motivée

272
par la volonté de jouer les redresseurs de tort. En tout cas, ces arguments restent difficile-
ment recevables car il n'appartient pas à de simples citoyens de rendre la justice. Il s'agit
d'une prérogative irréductible de Pharaon et des représentants qu'il juge dignes d'assumer
cette fonction. Si les joueurs choisissent cette option, cela peut signifier l'échec pur et simple
de leur mission car ils n'auront pas l'occasion de faire éclater le scandale et seront désavoués
par Nesamon.

Z Si les personnages suivent Mérymès et ses hommes dans la plus grande discrétion jusqu'aux
quais et qu'ils décident de ne pas les intercepter, ils assisteront au départ de leur cible vers la
rive gauche. Ils peuvent bien sûr décider de poursuivre leur filature sur le Nil mais ils doivent
pour cela emprunter une barque sans se faire remarquer — c'est à dire réussir un Test d'Agili-
té (6) — puis s'engager sur les flots. La vigilance de Mérymès est difficile à prendre en défaut
et tout l'équipage des personnages devra réussir un nouveau Test de Voyage (6), sans quoi ils
sera repéré et Mérymès, une fois sur la terre ferme, s'emploiera à l'éliminer.

Vous l'aurez compris, il sera extrêmement difficile de suivre Mérymès jusqu'à sa


destination sans déclencher le combat final. Si malgré tout, cela devait se produire
(et les joueurs devraient vous avoir proposé des stratagèmes convaincants, pas
seulement jeté des dés pour réussir des tests d'Agilité), les personnages glisseront
longuement sur les canaux envahis de papyrus cheminant entre les digues de la
rive occidentale puis marcheront en direction du désert libyque pendant plus d'une
heure. Mérymès gravira alors un talus caillouteux dominé par une haute falaise
isolée et s'attachera à exhumer à mains nues un petit monument, à peine visible
sous une couche de sable et de cailloux. Il mettra rageusement à jour la structure
d'une minuscule tombe creusée dans le roc et en dégagera l'entrée de son épée. Si
personne n'intervient, Mérymès en extraira un sarcophage qu'il jettera au sol dans
un cri de joie démente puis le brisera pour en sortir le corps de Paser. A ce stade,
même ses hommes sont interloqués et, finalement, ils tenteront de maîtriser leur
maître avant qu'il ne débite la momie de Paser en morceaux. Espérons que les per-
sonnages, conscients de l'atrocité de cet acte et de l'insulte faite à Maât, prendront
les choses en main.

273
Z Il est également possible que les personnages aient perdu la trace de Mérymès. Cela se
produira s'ils ne tiennent pas compte de sa disparition, s'ils échouent à la suivre dans les rues
de Ouaset alors qu'il se dirige vers les quais ou qu'ils sont occupés à combattre ses gardes pen-
dant au moins quatre tours. Dans ce cas, Mérymès leur échappera et à leur arrivée aux quais,
soit sa barque aura disparu dans l'obscurité (si la scène se passe la nuit), soit elle sera mêlée
au flot d'embarcations qui grouillent entre les deux rives de Ouaset. Si vous êtes d'humeur
conciliante ou que vous sentez que cet échec risque de frustrer vos joueurs, accordez-leur un
test de Perception (10) et ils apercevront presque fortuitement leur cible en cas de réussite, leur
permettant de reprendre la chasse.

Z Oui, les personnages peuvent... ne pas poursuivre Mérymès. Peut-être trouvent-ils que cela
est trop risqué, inutile. Pire, ils peuvent avoir choisi de nuire à Néferka pour une raison obs-
cure voire même chercher à soutenir Mérymès dans sa quête. Dans ce dernier cas, Mérymès
refusera leur assistance pour l'instant mais sera susceptible de faire appel à eux ultérieure-
ment et, pourquoi pas, devenir leur Contact, se substituant ainsi à Nesamon. Si c'est le cas,
la vie des personnages risque de prendre un bien sombre tournant et les joueurs doivent s'at-
tendre à plonger dans les méandres les moins avouables de la société égyptienne.

274
Fantôme ou manipulation ?

Tout au long de cette histoire, un point reste en suspens, ambigu et insaisissable :


qu'en est-il réellement du fantôme de Paser ? Certes, Mérymès semble affecté par
une force extérieure et les personnages ont remarqué une présence suspecte dans
les rues de Ouaset ou dans le jardin de Néferka mais s'agit-il de coïncidences, du
délire d'un homme fragile ou de réels indices d'une activité « fantômatique » ?

L'explication finale est laissée à votre appréciation afin que vous puissiez moduler
la dimension surnaturelle de ce scénario. Notre intention est que ce point puisse
rester dans le flou, susciter des interrogations et des débats afin que les person-
nages sceptiques concluent à une explication rationnelle tandis que les croyants
choisiront l'option métaphysique. En laissant les personnages (et donc les joueurs)
dans l'incertitude, vous traduisez le fait que la population égyptienne intégrait ses
croyances et ses mythes à tous les aspects de sa vie courante et qu'il n'était pas
nécessaire pour elle d'obtenir des réponses pragmatiques alors que la religion et la
tradition apportaient des solutions évidentes.

Pour les joueurs les plus curieux et insatisfaits, nous livrons ici des éléments en fa-
veur d'une explication rationnelle (totalement optionnelle, nous vous le rappelons).
Selon cette version, Nebmaâtrê a depuis longtemps des doutes quant à l'intégrité
de son oncle Mérymès et, plusieurs mois avant le début de cette histoire, il est par-
venu à obtenir des éléments décisifs de Montouhotep, à l'occasion d'une soirée très
arrosée. Montouhotep a laissé échappé que Paser était innocent et Nebmaâtrê a
rapidement vu ses soupçons confirmés : en reconstituant l'histoire de ces cinq der-
nières années et remis en perspective le comportement de son oncle à son égard et
à celui de son père, il comprit finalement que Mérymès avait tenté de l'assassiner.

Le procès ayant déjà eu lieu et le coupable condamné, Nebmaâtrê jugea plus pru-
dent de faire éclater cette affaire de manière insidieuse, en poussant Mérymès à
se révéler tout en exerçant une vengeance aussi cruelle que discrète. Connaissant
les difficultés psychologiques de son oncle, il s'employa — et prit plaisir — à le
tourmenter en se faisant passer pour le fantôme de Paser. Pendant des semaines,

275
Nebmaâtrê endossa le rôle du défunt et se posta devant les fenêtres de Mérymès,
le frôla dans l'obscurité des couloirs de la maison, déplaça des objets et lui laissa
de nombreux indices inquiétants. La supercherie fonctionna, peut-être même trop
bien car Mérymès, convaincu d'être tourmenté par Paser, chercha à comprendre
comment cela était possible et retrouva les quatre conspirateurs auxquels il attri-
bua ses maux. Nebmaâtrê est désolé que sa manoeuvre ait entraîné de nouveaux
meurtres mais il est également secrètement satisfait d'assister à la descente aux
enfers de son oncle dont les exactions ont fini par être remarquées et punies.

Ainsi, les personnages sont indirectement les instruments de la vengeance de Ne-


bmaâtrê.

Note : Si les personnages parviennent à fouiller la chambre de Nebmaâtrê, ils y trouveront


son matériel, du fard blanc et des vêtements identiques à ceux que portait Paser lors de son
procès.

Épilogue
Si les personnages ont neutralisé Mérymès sur ordre de Néferka, la situation et
claire : ils ont obéi à un supérieur hiérarchique et ont rempli avec succès la mission
qu'il leur a été confiée. Si Mérymès a survécu à cette aventure, il avouera tout à son
frère : la tentative de meurtre de Nebmaâtrê, le faux témoignage, le retour de Paser,
les assassinats des conspirateurs puis sa tentative désespérée de réduire Paser au
silence. Les personnages ne seront pas inquiétés par les autorités car Nesamon et
Néferka couvriront leurs actes : en fin de compte, ils ont rétabli la vérité et permis
à Néferka de voir clair dans le jeu de son frère et c'est une inestimable, quoique
douloureuse, révélation. Au cas où Mérymès périrait dans l'affrontement, les per-
sonnages devront convaincre Néferka que son frère ne leur a pas laissé le choix,
version que ses sbires ou d'éventuels témoins pourront confirmer.

Au cas où les personnages auraient neutralisé Mérymès de leur propre initiative,


nous retrouvons la situation décrite au début de Et si ça ne se passe pas comme prévu ?

276
et il sera capital qu'ils se justifient en recourant aux témoignages de Montouhotep,
des hommes de Mérymès (qui admettront que leur chef leur avait donné pour ordre
d'abattre les importuns) et éventuellement de Nebmaâtrê.

Si Mérymès échappe aux personnages, ces derniers manqueront une occasion de


s'illustrer et de faire forte impression à Nesamon. Néanmoins, s'ils ont accompli
avec succès leur mission initiale (retrouver Nétihor et comprendre les raisons de sa
disparition), Nesamon sera satisfait et il les félicitera tout en regrettant que le fond
de l'histoire n'ait pu être élucidé.

Dans tous les cas, si Mérymès est vivant et que les éléments apportés par les per-
sonnages ont permis d'établir sa culpabilité et de le faire passer aux aveux, Néferka
décidera de ne pas ébruiter cette affaire, remerciera discrètement les personnages
et leur demandera de ne plus se mêler de cette histoire. Les personnages seront
peut-être choqués par cette décision mais Nesamon leur expliquera que Néferka
ne peut pas prendre le risque de remettre ouvertement en cause le jugement du
Tjaty. En fait, quelques jours après la conclusion de ce scénario, les personnages
apprendront de Nesamon que Mérymès est mort chez lui dans des circonstances
inconnues. La justice a finalement été rendue : Néferka aura sans doute autorisé
son frère à se suicider... à moins que le fantôme de Paser n'ait eu raison de son vieil
ennemi.

277
Récompenses
Évoluer dans les hautes sphères de la société de Ouaset est une entreprise risquée
où le moindre faux pas mène au discrédit, à la prison ou à la mort. La rétribution
des personnages en cas de réussite se doit d'être à la hauteur des risques qu'ils ont
pris. Compte tenu de la sensibilité politique de cette intrigue et du choix de Né-
ferka de traiter l'affaire en « interne », les personnages ne peuvent pas s'attendre
à une reconnaissance officielle de leur talent ou à une progression sensible dans
la hiérarchie ou la société égyptienne. Pourtant, ils auront convaincu Nesamon de
leur valeur qui les considérera comme des alliés de poids. Dès lors, les personnages
sont devenus ses hommes de confiance et le notable fera appel à eux chaque fois
que les circonstances le demanderont. De manière plus concrète, les personnages
bénéficieront d'une modeste récompense en nature (nourriture, mobilier, bijoux)
et il accédera à toute requête raisonnable des personnages.

À l'issue de cette aventure, les personnages gagnent un point de Maât ou dans un


Attribut de leur choix. Lors du prochain scénario, ils bénéficieront ainsi directe-
ment des fruits de leur expérience et pourront relever des défis encore plus exi-
geants.

Nous espérons vous revoir très bientôt sur la terre de Touthmès III.

278
Les personnages de ce scénario
Vous trouverez ci-dessous des précisions sur les personnages importants de ce scé-
nario ainsi que leurs principales caractéristiques.

Mérymès, militaire à la retraite, arriviste et assassin

Description : Mérymès est un homme trapu et musculeux d'une quarantaine d'an-


nées aux manières rudes et au regard fiévreux. Il est vêtu d'une robe blanche fonc-
tionnelle et porte les cheveux courts.

Attributs : Agilité 4 ; Physique 6 ; Perception 2 ; Charisme 0


Artisanat 2 ; Bureaucratie 2 ; Se battre 6 ; Culture égyptienne ; 4 ; Érudition 2 ;
Médecine 0 ; Voyage 2 ; Tir 4.
Points de vie : 18
Équipement : une dague (4), une épée (6)

Néferka, ambassadeur de Pharaon rongé par la maladie

Description : Néferka est un homme d'environ 45 ans, grand et maigre, à la peau


parcheminée par la maladie mais au regard toujours vif et perçant. Il porte de
grandes robes blanches et de lourds bijoux d'or et de pierres précieuses. Il est fré-
quemment accompagné de son médecin personnel.

Attributs : Agilité 2 ; Physique 0 ; Perception 6 ; Charisme 6


Artisanat 2 ; Bureaucratie 6 ; Se battre 2 ; Culture égyptienne 4 ; Érudition 4 ; Mé-
decine 0; Voyage 2 ; Tir 0.
Points de vie : 9

279
Nebmaâtrê, fils de Néferka et fantôme occasionnel

Description : ce beau jeune homme d'une vingtaine d'années au visage encore


enfantin ne semble pas réellement mesurer les responsabilités qui l'attendent. Il
passe beaucoup de temps dans le jardin à observer fleurs et animaux et à discuter
avec les serviteurs.

Attributs : Agilité 2 ; Physique 2 ; Perception 4 ; Charisme 4


Artisanat 2 ; Bureaucratie 2 ; Se battre 2 ; Culture égyptienne 4 ; Érudition 4 ; Mé-
decine 0; Voyage 2, Tir 0.
Points de vie : 12

Les neveux de Houni

Description : ces deux garçons solidement bâtis n'ont qu'un objectif : protéger leur
oncle des intrus. Ils échoueront malheureusement dans leur tâche.

Attributs : Agilité 2 ; Physique 4; Perception 2 ; Charisme 0


Artisanat 4 ; Bureaucratie 0 ; Se battre 4 ; Culture égyptienne ; 2 ; Érudition 0 ;
Médecine 0; Voyage 2, Tir 2.
Points de vie : 15
Équipement : un gourdin (3)

280
Les policiers

Description : ces hommes qui se déplacent en patrouilles de deux ou trois agents


se montrent inflexibles et parfois arrogants. Ils interviendront contre les person-
nages dès que ces derniers troubleront l'ordre public.

Attributs : Agilité 4 ; Physique 2; Perception 4 ; Charisme 2


Artisanat 0 ; Bureaucratie 2 ; Se battre 4 ; Culture égyptienne 2 ; Érudition 0 ;
Médecine 2 ; Voyage 2, Tir 2.
Points de vie : 16
Équipement : matraque (4), protections de cuir (2)

Les sbires de Mérymès

Description : ces gardes à l'air patibulaire sont d'anciens soldats placés sous les
ordres de Mérymès. Ils ne portent qu'un simple pagne de lin laissant apparaître
leurs corps couturés de cicatrices.

Attributs : Agilité 4 ; Physique 6; Perception 2 ; Charisme 0


Artisanat 0 ; Bureaucratie 0 ; Se battre 4 ; Culture égyptienne 2 ; Érudition 0 ;
Médecine 2 ; Voyage 4, Tir 4.
Points de vie : 16
Équipement : matraque (3), longue dague (4) , protections de cuir (1)

281

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