Vous êtes sur la page 1sur 6

Les Inconsolés ou la noirceur lyrique du désir Frédéric Pouillaude

Quelques notes sur des larmes

Est-ce que ce que vous entendez est joli ? ou beau ? ou légal ? dre par Les Inconsolés)4. Là encore, il s’agit d’un trio
ou tolérable dans la société polie ou aucune autre ? Ce que masculin, mais cette fois d’une fratrie dont les deux aînés
vous entendez est, par-delà toute computation, musique sont morts prématurément durant la Seconde Guerre
sauvage et dangereuse et meurtrière à tout équilibre de la mondiale et au sein de laquelle le cadet, encore adoles-
vie humaine telle que la vie humaine est ; et rien ne peut cent, tente difficilement de survivre. Bref, encore une his-
égaler le viol que la musique opère sur toute cette mort ; toire de deuil, de fraternité masculine et d’inconsolation.
rien sauf n’importe quoi, – n’importe quoi dans l’existence
ou le rêve, n’importe où grossièrement perçu vers sa dimen- Cette manière de brouiller les pistes alors même qu’on
sion vraie. fait explicitement référence à un texte littéraire faisant
office de livret – mais alors un livret déconstruit, épar-
James Agee, Louons maintenant les grands hommes,19411 pillé aux quatre coins de la pièce, sous forme d’éclats et
de micro-histoires imperceptibles, un livret devenu infra-
narratif –, cette manière de déconstruire une tradition
Thème A. Retours à… ? ancestrale de la danse scénique occidentale au moment
Que faire, aujourd’hui en danse, de la douleur et de la vio- même où pourtant on y revient, peut également se repé-
lence, du désir et des pleurs, du deuil et de la honte ? Et rer dans la réactivation des différents codes et outils
que pouvait-on bien en faire, au mitan des années 2000, habituels du théâtre et de la scène : « Les Inconsolés
lorsqu’à l’apogée d’une danse dite conceptuelle et marquent une rupture dans mon parcours artistique.
réflexive à laquelle il avait lui-même plus que participé, Je suis sorti de l’espace du white cube, l’espace blanc et
Buffard nous gifla de ses Inconsolés ? Le caractère haute- minimaliste des galeries d’art contemporain, pour reve-
ment transgressif des Inconsolés ne tient pas, ou du nir à la black box du théâtre, avec toutes ses ressources
moins pas seulement, à la représentation crue de l’homo- d’éclairage, d’illusion. Il en résulte pourtant un objet
sexualité masculine sur le plateau. Il tient surtout à la spectaculaire non identifiable qui, tout en retrouvant des
radicalité et à la précision de la réponse apportée à une genres ancestraux comme le masque ou le théâtre d’om-
question : comment, après l’ascèse et les différents vœux bres, me semble échapper à ces traditions5. » Buffard
de pauvreté du mouvement conceptuel, faire en sorte que reprend bien dans Les Inconsolés tous les artifices tradi-
la danse soit à nouveau capable de prendre en charge sur tionnels du théâtre. Et pourtant, les reprenant, il les
la scène ce qu’il faut bien appeler des « émotions », des déconstruit, les éparpille et, surtout, les fait fonctionner
« affects » ou des « larmes » ? Et comment le faire sans délibérément « à vue ».
pour autant opérer un retour réactionnaire aux formules
les plus éculées du spectaculaire, à la manipulation Thème B. Les larmes.
cachée des tripes du spectateur ? De la parole au chant, de l’Erlkönig (Le Roi des Aulnes) de
Goethe à celui de Schubert, de la déclamation du poème
Tout d’abord, Buffard assume une source littéraire ayant par Georg von Buchloh à la reprise du lied par Georgette
fonction de quasi-livret : « Pour la première fois je suis Dee lors de son concert au Deutsche Oper de 1999, telle
parti d’une source littéraire, un roman de James Purdy, est la boucle affective et lyrique dans laquelle Buffard a
Chambres étroites2, histoire d’une relation triangulaire choisi d’insérer ses Inconsolés. Entre ces deux termes,
entre deux frères et un adolescent, dans le sud des États- des bouts de corps, un théâtre d’ombres, et l’après-coup
Unis3. » Chambres étroites est un roman d’une rare vio- d’un trauma. Un pendu, aussi. Et un chant à vous tirer des
lence et d’une puissante étrangeté, s’achevant en forme larmes. Peut-être faut-il parfois s’en tenir aux hypothèses
de conte fantastique particulièrement noir et macabre : les plus simples. Et si Les Inconsolés, tout orientés vers
Sidney entame une relation amoureuse avec Gareth ; l’un ce chant final, visaient en fait à simplement nous autori-
et l’autre sont sous l’emprise physique, morale et symbo- ser à pleurer, en conscience, sans mièvrerie, sans complai-
lique d’un troisième personnage, Roy ; Sidney a tué son sance, et sans consolation ? Tel est le chemin que je
précédent amant, Brian, plus ou moins sur ordre de Roy ; suivrai ici, en hommage à Alain Buffard et Alain Ménil6.
Gareth est quant à lui responsable d’un accident de voi-
ture dans lequel son père et ses deux frères sont morts, et Thème A. Triolisme et parcellisation des corps.
là encore, tout laisse à penser que c’est Roy lui-même qui Comme le dit fort bien Miossec dans Évoluer en troisième
a manigancé l’accident. L’emprise de Roy sur les deux division, chanson tirée de son premier album Boire,
autres personnages ne fait que s’accroître et culmine en « c’est con les jeux de balles quand on est à trois, y en a
une scène finale dont l’horreur et le morbide sont assez toujours un qui touche que dalle… ». On pourrait discuter
difficiles à soutenir : Roy oblige Sidney à le crucifier sur la longtemps des avantages et des inconvénients de l’inté-
porte d’une grange (pour de vrai, avec de vrais clous), ressante pratique du triolisme. Outre sa dimension très
exige qu’il aille déterrer le cadavre de Brian pour l’amener légèrement transgressive, elle permet surtout à Buffard
à ses pieds, lui-même agonisant crucifié sur la porte. Puis de résoudre une difficulté tout à la fois artistique et tech-
la police s’en mêle et tout le monde meurt à la fin. nique. Si « le problème posé au départ par le roman de
James Purdy était comment montrer deux hommes, voire
Tel est l’arrière-fond textuel explicitement nommé par trois, faire l’amour sur un plateau7 », on comprend que le
Buffard, et l’on peut retrouver bien des éléments directe- choix du trio, et non du duo, libère immédiatement la
ment passés du livre à la scène : un trio sadomasochiste représentation de la sexualité de toute forme de complé-
exclusivement masculin, la forme récurrente de l’emprise, tude ou de fusion. Faire l’amour à trois, c’est entrer dans
de la domination et de la persuasion plus ou moins mal- une instabilité constante des rôles et des positions, dans
veillante – thème explicite de Persuasion des Throbbing toutes les coalitions et variantes possibles du « 2 + 1 », et
Gristle repris au milieu du spectacle –, et enfin l’omnipré- dans un échange permanent des places de dominant et
sence de la thématique du trauma, de l’après-coup de dominé. Ce que démontre magistralement la première
impossible à vivre et, donc, de l’inconsolation. partie de la pièce.

Pourtant, dans cette référence massive et explicite à L’autre solution, technique et artistique, consiste dans la
Purdy, Buffard s’est immédiatement employé à brouiller parcellisation des corps ainsi que dans le masque et les
les pistes, puisque le titre même du spectacle est ombres : « Je voulais évoquer la complexité de certaines
emprunté, non pas à Chambres étroites, mais à la traduc- relations affectives et sexuelles. Pour créer une distance
tion française d’un autre roman de Purdy, Mourners mais aussi faire voir les choses, j’ai composé des parti-
Below (que l’on pourrait sauvagement et littéralement tions de mouvement non pour les corps tout entiers, mais
traduire par « endeuillés ci-dessous » et que la traduc- pour des parties de corps, et j’ai recouru aussi aux ombres
212 trice française a choisi, non sans bonnes raisons, de ren- et aux masques : il en résulte une indifférenciation des per-
sonnages, on ne sait plus très bien qui est qui, qui fait
quoi, ce qui permet de proposer une autre vision des
choses, y compris des situations violentes et très crues8. »

Thème B. Fantômes et hallucinations.


En lien avec sa teneur même, et notamment sa deuxième
partie (celle du théâtre d’ombres), Les Inconsolés possède
un étrange pouvoir hallucinatoire et fantasmatique. Par
deux fois, je me suis surpris à me souvenir de choses dans
la pièce qui n’y étaient absolument pas, et à y croire dur
comme fer jusqu’à ce que des discussions prolongées avec
les créateurs finissent par me convaincre de mon erreur.

Première hallucination. Dans mon souvenir de la perfor-


mance de 2005, j’étais persuadé que, lors de la scène
finale de pendaison, un pantin avait été substitué à l’inter-
prète et qu’une pendaison réelle avait effectivement lieu,
et non pas seulement le simple geste de passer la corde
autour du cou. Autrement dit, le dernier vers de
Goethe/Schubert/Georgette Dee, « In seinen Armen das
Kind war tot 9 », avait suffi, par la puissance irrévocable de
sa fin, pour activer l’image mentale d’une mort effective.
Et tout le dispositif scénique, dramaturgique et chorégra-
phique avait été là pour préparer, pour rendre possible,
une telle hallucination.

Seconde hallucination, sur vidéo cette fois. Visionnant et


revisionnant récemment une captation vidéo de 2005, j’ai
cru déceler, toujours dans la scène finale, une tombe et
une croix à jardin, en regard du pendu à cour. Il ne s’agis-
sait vraisemblablement que d’un accident de la vidéo, ou
encore d’un élément technique mis à nu par la descente
finale des pendrillons concomitante de la montée inéluc-
table de la corde. Toujours est-il que cette croix et cette
tombe, je les ai vues. Elles n’y sont pas, mais je les ai
vues. Avec le pendu, je me projetais déjà dans l’histoire
de la danse du XXe siècle et ne manquais pas d’activer la
référence au Jeune Homme et la Mort de Roland Petit
(1946) et d’halluciner Jean Babilée traversant le plateau10.
Autant dire qu’avec la croix et la tombe, j’étais aux
anges ! J’avais ma Giselle. Une Giselle queer et postpunk
qu’auraient chantée les Throbbing Gristle dans Persua-
sion, une Giselle d’après la déconstruction, sous acide,
vraisemblablement lesbienne, alcoolique et obèse, mais
une Giselle tout de même, où il est bien question de
mourir d’amour et de mourir de danser après l’amour
perdu. La scène de la folie de l’acte I, comme la variation
de Albrecht à l’acte II, c’est tout ce que l’on veut sauf une
histoire mièvre pour petites filles aimant bien le ballet.
Ou, plutôt, disons que Giselle a l’immense mérite d’ap-
prendre assez tôt aux petites filles (comme aux petits
Les Inconsolés, Centre Georges Pompidou, mars 2005, photos
garçons) que la princesse est une folle et que le prince
Bertrand Prévost
est un con (et un lâche). Bref, avec la tombe et la croix, je
remontais jusqu’à l’emblème absolu du ballet roman-
tique et retraçais une histoire qui, à l’évidence, n’existait
pas. Et, pourtant, je ne peux m’empêcher de penser que
cette référence – obvie – a dû traverser l’esprit de Buffard
à un moment ou un autre et qu’il avait, de manière
consciente ou non, logé suffisamment d’indices dans sa
pièce pour autoriser le spectateur à l’y projeter.

Telle est la force hallucinatoire des Inconsolés.

Thème A. Universalité latente de la noirceur.


Les Inconsolés sont assurément une pièce queer sur l’ho-
mosexualité masculine. Mais d’une queerness si radicale-
ment noire, tragique et désespérée qu’elle finit par en
subvertir les codes imaginaires. Comme le fait très juste-
ment remarquer Anne Pellus : « Avec Les Inconsolés, Alain
Buffard quitte une représentation devenue normative de
l’homosexualité masculine, le camp et sa théâtralité exu-
bérante, pour un univers profondément tragique. Les
Inconsolés, c’est la face sombre du queer irrécupérable
par l’idéologie dominante. C’est le queer sans le fun et le
carnavalesque, et ce n’est pas rassurant11. » 213
Je pousserais volontiers l’argument plus loin encore en Nous nous retrouvons tous quelques semaines plus tard,
soutenant que, depuis ce tragique et cette noirceur en juin 2012, pour les obsèques d’Alain Ménil au Père-
mêmes, la sexualité des Inconsolés, aussi particulière Lachaise, obsèques qu’Alain Buffard avait organisées
qu’elle puisse paraître, s’adresse bel et bien à l’ensemble comme une immense fête, une performance raffinée et
de la communauté humaine, qu’elle soit homosexuelle, foutraque, très longue, très belle et tout ce que l’on veut
bisexuelle, hétérosexuelle, asexuelle, etc. Il y a dans la sauf sobre. Nous nous regardons, mon vieux maître Ber-
pièce comme un passage en force vers l’universel, qui nard Pautrat et moi, et nous nous disons l’un à l’autre,
opère grâce au détour par deux figures extrêmes : l’enfant d’un même mouvement : « C’est comme cela que je veux
et le monstre. L’enfant, avec Erlkönig bien sûr, avec la qu’on fasse quand je crèverai ! »
ritournelle du Promenons-nous dans les bois chantonnée
ou murmurée à plusieurs reprises, avec tous ces jeux Ce que m’ont appris cet épisode nîmois et son contre-
(colin-maillard, corde à sauter, etc.) qui finissent par coup parisien – lors desquels j’espérais ne pas retrouver
dégénérer… Et le monstre, avec Erlkönig encore, avec le la maladie et la mort, et me les suis finalement reprises
loup de Promenons-nous dans les bois, avec les figures en pleine face – , c’est qu’on ne guérit d’un deuil que par
monstrueuses du théâtre d’ombres très proches de l’ex- un autre deuil, et que le mal ne se soigne jamais que par
pressionnisme allemand, avec les masques aux yeux, le mal. L’intelligence de la survie consiste à simplement
semble-t-il, crevés, avec aussi Le Roi des Aulnes de Michel bien les choisir et à ne pas pleurer ce qui n’en vaut pas
Tournier, auquel Buffard ne fait pas référence mais qui la peine.
ne pouvait pas ne pas faire partie de sa bibliothèque de
création, même si le monstre de Tournier est un monstre Coda
plutôt rassurant et protecteur, « pédophore » plutôt que La sexualité des Inconsolés n’est ni solaire, ni rayonnante,
pédophile… ni épanouie. Elle est blessante, elle est blessée. Elle
ignore la frontière entre séduction et prédation, entre
Avec ces deux figures de l’enfant et du monstre, qui sont caresses et coups, entre jeu et humiliation. Comme celle
l’une et l’autre au-delà de toute norme et de tout code, des enfants et des monstres, elle semble être par-delà
c’est en définitive l’instabilité, l’indétermination et le bien et mal. Pourtant elle n’ignore rien de la honte. Elle
trouble de toute, absolument toute, sexualité humaine recherche désespérément une égalité des positions et des
que Buffard nous donne à éprouver. Et les masques par- rôles, mais elle ne bande que pour l’asymétrie des rela-
ticipent également de cette stratégie d’universalisation tions. Elle est impossible, elle est chacun d’entre nous.
et d’effacement de l’individuel depuis la plus haute par- De cette noirceur sexuelle, Buffard a tiré le plus beau des
ticularité. chants. Et moi, avec des larmes et quelques notes, j’ai
tenté une sonate en hommage12.
Thème B. Nîmes et Baron Samedi.
J’avais pourtant bien dit à François Frimat que, non, vrai- 1 James Agee et Walker Evans, Let Us Now Praise Famous Men,
ment non, je ne viendrais pas à Nîmes. Même pour la Boston : Houghton Mifflin Company, 1960 [1941] ; Louons main-
création de Baron Samedi. Ma mère y avait vécu les cinq tenant les grands hommes, trad. de l’américain par Jean Queval,
dernières années de sa vie, faisant le deuil de mon père, Paris : Plon, 1972, p. 33.
et elle venait de mourir en mai 2011. J’avais tout juste 2 James Purdy, Narrow Rooms, New York : Harbour House, 1978 ;
vidé et vendu la maison du chemin d’Engance, sur la Chambres étroites, trad. de l’américain par Léo Dilé, Paris : Le
route d’Uzès, avec l’aide de l’ami et collègue Laurent Serpent à plumes, 1995 [1983].
Pichaud, et je m’étais bien promis de ne plus jamais 3 Alain Buffard, entretien sur Les Inconsolés, journal-programme
remettre les pieds dans cette ville qui n’évoquait plus du festival C’est de la danse contemporaine proposé par le Cen-
pour moi que le deuil, la maladie, la solitude et la mort. tre de développement chorégraphique Toulouse/Midi-Pyrénées
Alors, non, vraiment non, François, je ne viendrais pas à du 16 janvier au 17 février 2006, p. 10.
Nîmes, même pour Alain. 4 James Purdy, Mourners Below, New York : The Viking Press,
1981 ; Les Inconsolés, trad. de l’américain par Claire Malroux,
Et, bien sûr, je suis venu. C’était le 24 avril 2012. Je me Paris : Albin Michel, 1984. Je remercie Anne Pellus d’avoir attiré
sentais extrêmement mal de retrouver cette ville trop tôt, mon attention sur cet autre texte de Purdy et renvoie pour une
impréparé, et finalement contre mon gré. Dès que j’ai description plus détaillée du roman au remarquable chapitre «
rejoint François à l’Imperator, nous avons descendu une Danse, théâtre et arts plastiques : la scène psychique des Incon-
bouteille de champagne, seuls dans le magnifique patio, solés » dans sa thèse de doctorat Politique(s) de l’hybride dans
espérant me/nous donner du courage, faisant semblant la danse contemporaine française, université de Toulouse 2-
de blaguer, profitant du printemps et nous préparant à la Jean Jaurès, 2016, p. 323-331.
dureté de ce qui allait suivre. Et puis nous nous sommes 5 Alain Buffard, entretien sur Les Inconsolés, art. cit., p. 10.
doucement mis en chemin vers le théâtre. 6 Pour une analyse précise et détaillée de la pièce dans son
ensemble, je me permets de renvoyer à nouveau au chapitre déjà
Nous avons bu à nouveau un coup avec l’équipe avant le cité dans la thèse d’Anne Pellus.
spectacle, en terrasse face au théâtre. L’atmosphère était 7 Alain Buffard, entretien sur Les Inconsolés, art. cit., p. 10.
déjà saturée par la maladie et la mort imminente d’Alain 8 Ibid.
Ménil. Je ne faisais pas partie des intimes. J’étais un peu 9 « Dans ses bras, l’enfant était mort. »
trop jeune. J’avais une immense admiration pour l’œu- 10 Jean Babilée est mort en 2014 à l’âge de quatre-vingt-dix ans. Il
vre d’Alain Buffard, mais je dois avouer qu’il me faisait n’est donc pas impossible qu’il ait vu Les Inconsolés. Toujours
un peu peur. Je ne connaissais Alain Ménil que de nom, en lien avec Babilée, il convient de rappeler que Les Morts
par le double canal de la danse et du petit milieu norma- pudiques de Rachid Ouramdane, pièce qui sans le veto de
lien et philosophique. Le spectacle se passe. Surchargé Roland Petit aurait dû s’intituler La Mort et le Jeune Homme,
de fantômes, de zombies, de résurrections, de rites vau- furent créées en 2004, quelques mois seulement avant Les
dous et de Kurt Weill. Je n’en ai à peu près aucun souve- Inconsolés.
nir. Fin du spectacle, applaudissements et pot de 11 Anne Pellus, Politique(s) de l’hybride…, op. cit., p. 330.
première. On reboit un coup. Et je rencontre alors Alain 12 Une ultime note pour remercier Anne Pellus pour l’aide qu’elle
Ménil, déjà en fauteuil roulant, qui prend un quart m’a apportée à travers nos échanges téléphoniques et sa thèse
d’heure pour me dire toute son estime pour le livre que de doctorat, ainsi que Laurent Sebillotte pour sa grande
j’ai commis sur la danse. Et nous parlons, et nous bla- patience et son soutien. Les erreurs et les extravagances me
guons, sur la philosophie, sur la danse, sur le petit demeurent évidemment intégralement imputables.
milieu, sur tout et n’importe quoi… Je sors de cette soi-
214 rée bouleversé.
Les Inconsolés, or the lyrical darkness of desire by Frédéric Pouillaude
A few notes on some tears

Is what you hear pretty? or beautiful? or legal? or acceptable ring to a literary text that acts as libretto – a deconstructed
in polite or any other society? It is beyond any calculation one for that matter, scattered across the room, frag-
savage and dangerous and murderous to all equilibrium in mented in broken bits and imperceptible micro-stories, a
human life as human life is; and nothing can equal the rape libretto that became infra-narrative –, the way in which the
it does on all that death; nothing except anything, anything age-old tradition of Western scenic dance is undone yet
in existence or dream, perceived anywhere remotely toward reverted to all at once, this is also identifiable in the reacti-
its true dimension. vation of the various codes and usual devices of stage
and theater: “Les Inconsolés marks a break in my artistic
James Agee, Let Us Now Praise Famous Men, 19411 career. I exited the white cube space, the white minimalis-
tic space of contemporary art galleries, to come back to
the theater’s black box complete with all its resources for
Theme A. Return to…? lighting and illusion. What follows, however, is a spectac-
What is to be made, in dance today, of pain and violence, ular, unidentified object which, whilst getting back to
desire and tears, grief and shame? And what was to be ancient genres such as masks and shadow puppets,
done therewith, in the middle of the 2000s, when at the seems to me as if escaping those traditions.”5
peak of a so-called conceptual, reflexive dance of which Indeed in Les Inconsolés, Buffard makes use of all the
he himself was a keen participant, Buffard knocked us out traditional theater tricks. And yet, whilst using them, he
with his Inconsolés? The piece’s highly transgressive deconstructs them, scatters them and most of all, pur-
nature does not stem, or at least not only, from the crude posefully operates them “on sight”.
representation of male homosexuality on stage. It is
mainly due to the radical and precise answer given to one Theme B. Tears.
question: after asceticism and the various vows of From speaking to singing, from Goethe’s Erlkönig (the
poverty within the conceptual movement, how to make it Elf-King) to Schubert’s, from Georg von Buchloh’s decla-
so that dance be capable once more of taking on what mation of the poem to Georgette Dee’s rendition of the
must indeed be called “emotions”, “affects” or “tears”? lied during her concert at the Deutsche Oper in 1999: such
And how to do it without actually making a reactionary is the lyrical and affective loop that Buffard chose to fit his
return to the same old hackneyed ingredients of specta- Inconsolés into. In between the two, bits of flesh, shadow
cle, to the hidden manipulation of the audience’s guts? puppets, and the afterwardsness of trauma. A hanged
man, too. And a heart-wrenching song. Perhaps some-
First of all, Buffard puts forward the literary source which times are the simplest assumptions also the best ones.
virtually served as libretto: “For the first time, I started What if the Inconsolés, wholly directed towards this final
from a literary source, a novel by James Purdy called Nar- song, were in fact just aiming to allow us to cry, in good
row Rooms,2 the story of a triangular relationship conscience, without sentimentality, without complacency,
between two brothers and a teenage boy in the South of and with no consolation? Such is the path I will now be
the US.”3 Narrow Rooms is a novel of rare violence, pow- following, in tribute to Alain Buffard and Alain Ménil.6
erfully eerie, which ends in some sort of particularly dark,
macabre fantasy tale: Sidney and Gareth begin a love Theme A. Threesome and the fragmentation of bodies.
story; both of them are under the physical, moral and As French singer Miossec so aptly puts it in his song
symbolic influence of a third character, Roy; Sidney has Évoluer en troisième division, a song from his first album
killed his previous lover, Brian, more or less on Roy’s Boire, “ball games are silly when three is company,
command; as for Gareth, he is responsible for a car crash there’s always one who gets squat…”7 We could debate
which resulted in the death of his father and two broth- for some time about the pros and cons of engaging in a
ers, and yet again everything suggests that Roy himself threesome. Besides a very slightly transgressive aspect,
has plotted the accident. Roy’s hold over the other two it mostly enables Buffard to solve a difficulty, both artistic
characters only increases to reach its climax during the and technical. If “the initial problem raised by James
last scene, a hardly bearable display of horror and mor- Purdy’s novel was to show two men, three even, having
bidness: Roy forces Sidney to crucify him on the door of a sex on stage,”8 then we understand that choosing a trio
barn (for real, with real nails), demands that he digs up instead of a duo instantly releases the representation of
Brian’s corpse in order to bring it to his feet, whilst he sexuality from any kind of completeness or fusion. Three
himself is dying, crucified on the door. Then the police people making love implies a constant instability of roles
gets involved and everybody dies in the end. and positions, all the coalitions and possible variations of
“2+1”, and a continuous trading of places between the
Such is the textual background explicitly pointed out by dominant and the dominated. The first part of the play
Buffard, and many identifiable elements from the book brilliantly demonstrates this.
are directly featured on stage: an all male sadomasochist
trio, the recurring form of more or less malicious hold, The other solution, technical and artistic, lies in the frag-
domination and persuasion – unequivocally, the tune of mentation of bodies, as well as the masks and shadows.
Persuasion, by the Throbbing Gristle, is played mid- “I wanted to conjure up the complexity of some affective
show –, or ultimately the pervasive theme of trauma, of and sexual relationships. In order to create distance, but
the afterwardsness when impossible to go through and also to show things, I composed movement scores not for
consequently, of disconsolation. the whole bodies, but for parts of the body, and I also
resorted to shadows and masks: as a result, the characters
Yet, in this massive, outright reference to Purdy, Buffard are indistinguishable, we can no longer really tell who is
immediately sets out to confuse the matter further, since who, who does what, and this enables to provide a differ-
the very title of the show is not borrowed from Narrow ent mindset for things, including violent, extremely crude
Rooms but from another novel by Purdy, Mourners situations.”9
Below. The book was translated in French, with good rea-
son, as “Les Inconsolés”.4 Here too, there is an all male Theme B. Ghosts and hallucinations.
trio, but this time two of the siblings have died before With regards to its very essence, and especially its second
their time, during the Second World War; their youngest half (the shadow puppets sequence), Les Inconsolés is char-
brother, a teenager still, tries to survive with difficulty. In acterized by a strange, hallucinatory and eldritch power.
other words, it is yet another story of grief, brotherhood Twice, I have found myself remembering things in the play
and disconsolation. that were definitely not there, and wholeheartedly believing
that they were, until some lengthy discussions with the cre-
The way in which tracks are covered whilst explicitly refer- ators would end up convincing me that I was mistaken. 215
First hallucination. As I recall, in the 2005 performance, I
could have sworn that during the ending scene, that of the
hanging, a dummy was acting in the stead of the performer
and that an actual hanging had taken place, as opposed to
the sole gesture of tying a rope around one’s neck. In other
words, the last verse of Goethe/Schubert/Georgette Dee,
“In seinen Armen das Kind war tot”,10 was enough to stir the
mental image of actual death, out of its irrevocable ending
power. And the whole scenic, dramaturgical and choreo-
graphic device had been there to make way for such a hal-
lucination, to make it possible.

Second hallucination, on tape this time. I was recently


watching and rewatching a video recording of 2005 when
I thought I spotted, again in the ending scene, a grave and
a cross stage right facing the hanged man stage left. In all
likelihood, it was in fact just an accident on video, or even
a technical element unveiled by the final curtain, as the
rope inescapably rises at the same time. The fact remains
that I have seen this cross and this grave. They are not
there, yet I have seen them. With the hanged man, I was
now being propelled into the history of 20th century
dance, and I did not fail to trigger the reference to Roland
Petit’s Le Jeune Homme et la Mort (1946) as well as a hal-
lucination of Jean Babilée walking across the stage.11 Suf-
fice to say that along with the cross and the grave, I was
beside myself with joy! I had my own Giselle. A queer,
post-punk Giselle sung by the Throbbing Gristle in Persua-
tion, a post-deconstruction Giselle, a Giselle on acid,
probably a lesbian, alcoholic and overweight, but a
Giselle still, one who is indeed all about dying for love
and dying of dance after love lost. The madness scene in
Act I – like the Albrecht variation in Act II – is anything but
a soppy story for little girls who enjoy ballet. Or rather, let
us say that Giselle deserves full credit for teaching little
girls (little boys too, in fact), early enough, that the
Les Inconsolés, Les Subsistances, Lyon, janvier 2005, photo Marc
princess is a nutcase and the prince an idiot (and a cow-
Domage.
ard). All in all, along with the grave and the cross, I was
going back to the ultimate emblem of the romantic ballet
and recounting a story which, evidently, did not exist. And
yet, I cannot help thinking that this – obvious – reference
must have crossed Buffard’s mind at some point or the
other and that he, consciously or not, has left enough
clues in his play in order to let the viewer see it there.

Such is the hallucinatory power of Les Inconsolés.

Theme A. Underlying universality of darkness.


Doubtlessly, Les Inconsolés is a queer play on male
homosexuality. But the queerness here is so radically
dark, tragic and desperate that it ends up subverting the
latter’s imaginary codes. As Anne Pellus so aptly points
out: “With Les Inconsolés, Alain Buffard is leaving behind
a representation of homosexuality turned normative, with
camp aesthetics and showy theatrality, and instead faces
a profoundly tragic world. Les Inconsolés is the dark side
of queer, no longer recuperable by the dominant ideol-
ogy. It is queer without the fun and carnivalesque spirit,
and it is not comforting.”12

I would like to push the argument further and contend


that, because of this very tragedy and because of this very
darkness, Les Inconsolés’ sexuality – as peculiar as it may
seem – is in fact aimed at the whole of the human com-
munity, whether homosexual, bisexual, heterosexual,
asexual, and so on. The piece features a forcing through
towards universality, brought about by the resort to two
extreme figures: the child and the monster. The child, with
the Erlköning of course, the nursery rhyme “Promenons-
nous dans les bois” hummed or whispered on several
occasions, all these games (blind man’s bluff, skipping
rope, and so forth) that get out of hand… And the mon-
ster, again with the Erlköning, with the wolf in the nursery
rhyme, the monstrous silhouettes of shadow puppets bor-
216 dering on German expressionism, masks with eyes seem-
ingly gouged out; Michel Tournier’s Erl-King as well, the line between seduction and predation, between a
though not explicitly referenced by Buffard, could not caress and a blow, between some game and some humili-
have escaped his creative library, even if Tournier’s mon- ation. Just like that of children and monsters, it seems to
ster is rather reassuring and protective, a “pedophore” be beyond good and evil. However, it is fully aware of
rather than a pedophile… shame. It desperately seeks equality of positions and
roles, but only gets hard when relationships are asym-
With the two figures of the child and the monster, both metrical. It is impossible; it is each and everyone of us.
above and beyond the norms and the codes, Buffard ulti- Out of the depth of such sexual darkness, Buffard has
mately provides us with feelings of instability, indetermi- pulled the most beautiful song. And I, along with some
nation and trouble that concern every kind, absolutely tears and a few notes, in tribute, made an attempt at a
every kind, of human sexuality overall. And the masks sonata.13
also take part in this strategy of universalization and era-
sure of the individual, from the highest particularity. 1 James Agee and Walker Evans, Let Us Now Praise Famous Men,
Boston : Houghton Mifflin Company, 1960 [1941].
Theme B. Nîmes and Baron Samedi. 2 James Purdy, Narrow Rooms, New York : Harbour House, 1978.
Still. I expressly told François Frimat that no, really, I 3 Alain Buffard, interview on Les Inconsolés, brochure of C’est de
would not come to Nîmes. Even for the creation of Baron la danse contemporaine festival, organized by the Centre de
Samedi. My mother had been living there for the last five développement chorégraphique Toulouse/Midi-Pyrénées from
years of her life, mourning my father, and she had just January 16 to February 17, 2006, p. 10.
passed away in May 2011. I had only finished emptying 4 James Purdy, Mourners Below, New York : The Viking Press,
and selling the house on Engance lane, on the road to 1981 ; Les Inconsolés (Claire Malroux, Trans.), Paris : Albin
Uzès, with the help of my friend and colleague Laurent Michel, 1984. I want to thank Anne Pellus for bringing this
Pichaud, and I had sworn to myself that I would never other text by Purdy to my attention, and for a more detailed
again set foot in this city, which for me had become syn- description of the novel, I would refer to the remarkable chapter
onymous with grief, illness, loneliness and death. So no, « Danse, théâtre et arts plastiques : la scène psychique des
really no, François, I won’t come to Nîmes, even for Alain. Inconsolés » as part of her PhD thesis Politique(s) de l’hybride
dans la danse contemporaine française, University of Toulouse
But of course I did come. It was April 24, 2012. I was feel- 2 Jean Jaurès, 2016, p. 323-331.
ing extremely bad about getting back to this city too early, 5 Alain Buffard, interview on Les Inconsolés, art. cit., p. 10.
unprepared, and ultimately against my will. As soon as I 6 For a precise and detailed analysis of the overall play, I am tak-
caught up with François at the Imperator, we knocked back ing the liberty, again, to refer to the aforementioned chapter of
a bottle of champagne, alone in the beautiful patio, hoping Anne Pellus’ thesis.
to give me/us some courage, pretending to joke, enjoying 7 In French: « c’est con les jeux de balles quand on est à trois, y en
spring and preparing ourselves for the harsh reality to fol- a toujours un qui touche que dalle… »
low. And then, we slowly headed towards the theater. 8 Alain Buffard, interview on Les Inconsolés, art. cit., p. 10.
9 Ibid.
We had another drink with the crew before the show 10 “In his arms, the child was dead.”
started, outside, in front of the building. The atmosphere 11 Jean Babilée died in 2014, aged ninety. It is therefore not
was already saturated with Alain Ménil’s disease and unlikely that he might have seen Les Inconsolés. Still in connec-
impending death. I was not among the close ones. I was a tion with Babilée, it is worth mentioning that the play by Rachid
little bit too young. I was a huge admirer of Alain Buffard’s Ouramdane called Les Morts pudiques which would have been
work, but I must confess that he was scaring me slightly. titled Death and the Young Man if not for Roland Petit’s veto,
I only knew Alain Ménil by name, through both dance was created in 2004, just a few months before Les Inconsolés.
and the small world of former École normale philosophy 12 Anne Pellus, Politique(s) de l’hybride…, op. cit., p. 330.
students. The show happens. Overloaded with ghosts, 13 One last time, I want to thank Anne Pellus for her help, through
zombies, resurrections, voodoo rites and Kurt Weill. I can our phone calls and her PhD thesis, as well as Laurent Sebil-
barely remember anything. End of the show, applause lotte for his great patience and support. Mistakes and exaggera-
and post-premiere drinks. We have another one. And so tions, obviously, remain all mine.
I meet Alain Ménil, already in a wheelchair by then, who
takes fifteen minutes of his time to let me know how Translation by Tresi Murphy
much he appreciated the book I wrote about dance. And
we talk, and we joke, about philosophy, about dance,
about the small world, about anything and everything…
I get out of there incredibly shaken.

We all see each other again a few weeks later, in June


2012, for Alain Ménil’s funeral, at Père Lachaise cemetery.
The funeral had been organized by Alain Buffard to
resemble a massive party, a refined and shambolic per-
formance, very lengthy, very beautiful and anything but
sober. My old teacher Bernard Pautrat and I were looking
at each other, and telling each other in one same motion:
“this is how I want it done, when I die!”

What the Nîmes episode and its Parisian aftermath have


taught me, as I was hoping to evade illness and death
whereas they were thrust in my face again, is that the
only way to heal after one loss is another loss, and that
one wrong can only find its cure in another wrong. The
intelligence of survival is merely about how to choose
them well, and about not crying over what is not worth it.

Coda
Sexuality, in Les Inconsolés, is neither radiant, nor bright,
nor beaming. It is a wounded offence. It knows nothing of 217

Vous aimerez peut-être aussi