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Mais faisons un pas de plus, car, dans le cas d’une œuvre littéraire, traduire le sens des mots est

insuffisant, comme l’a rappelé André Gide : « Le traducteur a bien peu fait, qui n’a rendu d’un texte que
le sens. » La forme d’une œuvre littéraire n’est pas qu’une simple enveloppe. Elle est elle-même
génératrice de sens. Le traducteur doit aussi chercher le sens dans la forme même des œuvres.
J’aimerais maintenant illustrer cette réalité capitale par un cas précis de traduction-annexion. La
traduction est une des nombreuses formes du discours social. Dans chaque société, la manière de
traduire est historiquement déterminée. Grâce à la traduction, une société peut, par exemple, se servir
de l’Autre pour définir sa propre identité. Ce fut le cas au Québec comme l’a démontré une de mes
collègues à l’Université d’Ottawa en procédant à une étude du théâtre joué sur les scènes du Québec
entre 1968 et 1988 (Brisset, 1990). Au cours de ces vingt ans, le théâtre a été au Québec le genre favori
de traduction littéraire. L

Pour déterminer si une traduction est réussie (terme préférable à fidèle), il ne s’agit pas de chercher à
savoir si tous les mots de l’original ont été rendus et encore moins leur étymologie. Ce serait là
s’adonner à un travail d’apothicaire plus ou moins utile, car par essence, traduire consiste à dire autre
chose autrement. Traduire dans la poétique suppose que ce n’est plus la langue qu’on traduit, mais du
discours. Une traduction n’est pas non plus une reproduction photographique d’une œuvre, mais sa
représentation. C’est pourquoi il peut y avoir plusieurs traductions réussies d’une même œuvre, tout
comme plusieurs interprétations d’une œuvre musicale sont possibles. Les notes sur les portées sont
pourtant toujours les memes

L’idéal auquel il faut viser est de réaliser une traduction-œuvre, une traduction-recréation, et on ne peut
y parvenir qu’en réalisant un acte d’écriture, travail à la fois linguistique et littéraire. À elle seule, la
linguistique appliquée ne réussit pas à théoriser la traduction-œuvre, même si les points de départ et
d’arrivée de l’opération sont linguistiques. C’est ce qu’a bien vu encore Choi Mikyung: « L’imbrication de
la forme dans la construction du sens est telle que, dans le texte traduit, celle-ci [la forme] doit aussi
servir le sens; cette imbrication doit être restituée » (Choi, 2006 : 525-526). Henri Meschonnic a eu cette
formule heureuse pour exprimer la même idée : « Un texte est le sens de ses formes autant que le sens
de ses mots » (Meschonnic, 1973 : 420). C’est pourquoi seule une poétique de la traduction est vraiment
apte à juger du succès ou de l’échec des traductions littéraires. Traduire une œuvre littéraire c’est, par
une secrète alchimie, la réinvestir d’une nouvelle subjectivité, d’une nouvelle historicité. On exige du
traducteur autant de talent que d’un écrivain. Il est à part entière l’auteur du texte traduit, à défaut
d’être l’auteur du texte original. Il n’est plus le caniche de l’auteur, il est son égal. « Du traducteur et de
l’auteur, il n’y a que le nom qui diffère », affirmait Vassili Trediakovski, au XVIIIe siècle.

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commente à sa façon le réel ou la fiction. En visant à donner des informations sur
desévénements, il peut raconter donc la suite d’événements passés ou fictifs dans une chronologi
e
cohérente. Du point de vue de la technique narrative, ces événements doivent s’inscrire dans
undéroulement temporel et causal. Pour le texte, un acte d’énonciation (manière de narrer
quelquechose) et la succession d’événements sont nécessaires.
 
Dès que l’auteur exprime sous la forme d’un texte publié pour le lecteur, il n’aura aucundroit d’y
ajouter quelque chose. Il s’ensuit que sa liberté se termine par la remise du livre aulecteur,
autrement dit par son édition. Jusqu’à présent, il est le souverain
de son texte mais pas
du livre, parce que l’écrivain ne produit pas des livres mais des textes.
3. 2. Deuxième stade
 
Dans ce stade, nous comprenons un énoncé produit et accompli de différents points devue. Dès à
présent, c’est le critique et/ou le lecteur qui reconstruit l’univers sémantique, avecson point de
vue, mais en partant toujours des structures déictiques du texte dont il s’agit. Pour l’acquisition
des mécanismes du langage et de la communication littéraire nous nous adressonsà la lecture
parce qu’elle joue un rôle essentiel dans la relation à la langue et à la culture. C’estle texte écrit
qui crée le concept du lecteur. Autrement dit, un individu devient
le lecteur 
en
face d’un texte produit. De même, le mot
texte
existe par la lecture. Il y a une relation
réciproque entre ces deux termes. On peut parler donc d’un texte quand le sujet qui le litconstruit
le sens de ce texte ou bien quand il lui donne une signification à la fin d’un acte delire. Ainsi
l’acte d’écrire est toujours suivi par l’acte de lire. “Le texte est lu après un délai quisuit le
moment de sa rédaction (éloignement dans le temps), que ce délai soit de quelquesminutes ou
heures (une note de service, une article d’actualité) ou de plusieurs siècles...”(Schmitt, Viala
1988:14). Dans ce cas le lecteur se trouve toujours en face d’un texte déjà produit, et il est
toujours le consommateur d’un texte, produit avant la lecture.Le lecteur décode la signification
du texte. Il doit analyser la disposition des composantsd’un texte.
 
“La reconnaissance du statut privilégié des langues naturelles n’autorise pas leur réification en
tant que lieux du «sens construit»: la signification est d’abord une activité (ou uneopération de
traduction) avant d’être son résultat” (Greimas, Courtés, 1979:398). Nous savonsque chaque
composant du texte peut être défini par rapport à la signification de l’ensemble dutexte. Par
conséquent, la structure des textes littéraires est formée par la réalité de l’auteur, maisaussi par la
représentation et l’imagination du lecteur. “En posant le problème de la place du
lecteur dans tout texte, Umberto Eco rappelle que la lecture exige toujours un travail
d’actualisation de la part du destinataire” (
Cité par 
Ryngaert, 1991:5). Le texte a noué desrelations complexes que le lecteur essaie de démêler. A la
fin de ces explications, du point devue de la perception du texte littéraire, nous voyons que le
lecteur a plus de fonctions quel’auteur. Lui aussi, il doit analyser et lire, étap par étap, ceux
qu’écrit, encode, énonce l’auteur.
 
 
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Quel est le but de l’acte de lire: construire, produire et/ou consommer? Le but de lalecture est de
mettre en évidence les sens d’un texte, de décrire systématiquement un texte etses structures. Au
cours de cet acte, le lecteur essaie de produire un sens par l’activité destructuration, c’est
-
à
-
dire de mise en rapport de signes les uns avec les autres. Pour l’acte delire il s’agit de “suivre les
instructions d’un texte, (...) [d’]établir des relations entre desconnaissances préalables
 
et une expérience nouvelle, [et d’]anticiper sur la base d’un savoir, pour vérifier ensuite pas à
pas des hypothèses” (Adam 1990:41). Celui qui établit ces
relations pourra être, le plus souvent, un personnage hors du texte ou un narrataire dans le texte. I
lcherche la construction qu’il produit lors de la lecture. Il en ressort que le lecteur est
un producteur de sens de ce texte donné, et doit faire toujours quelque chose pour le
comprendre. Néanmoins il est un consommateur du texte déjà produit par l’auteur, parce qu’il ch
erche àdéchiffrer toujours un texte écrit et produit auparavant. “Le lecteur perçoit le texte en
fonction
de son comportement habituel dans la communication ordinaire: un texte non figuratif sera
reconstitué, rationalisé comme figuratif” (Riffaterre, 1981:149). Le lecteur ne cherche pas
deséléments hors de l’univers créé par l’auteur. Mais puisque la symbolisation dépend
desinterprétations qui varient d’un sujet à l’autre (Todorov, 1980:180), la difficulté de la
traduction provient de
s interprétations personelles. Chaque traducteur se limite à transmettrel’univers sémantique
construit par lui
-
même.
 Le lecteur-traducteur 
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lit d’abord le texte publié dans la langue de départ. Avant de letraduire, il essaie de construire un
monde imaginaire, parfois différent de celui de l’auteur 
 propre de ce texte. A la fin de sa construction, il essaie de traduire, de transformer son monde
imaginaire dans une autre culture. Par conséquent, il est d’abord un consommateur (du
texte produit par l’auteur dans la langue de départ), puis producteur du monde imaginé par
l’auteur etensuite un créateur (traducteur) de ce monde imaginé dans une autre langue et une
autre
culture.
3. 2. 1. Relation entre les deux stades (premier et deuxième)
 
 Nous savons que chaque texte littéraire porte “un savoir, plus ou moins vaste, plus oumoins
explicite, plus ou moins convaincant, plus ou moins subversif, etc.” (Dumortier,
Plazanet1980:12). Le texte ne nous donne pas donc le renseignement sur la vie réelle, mais il
nous
don
ne le savoir propre à l’auteur. Clement distingue la vérité du savoir de la manière suivante:“la
vérité est un rapport qui nous est barré; le savoir est le rapport indirect qui nous est acquis”
1Dans ce stade, nous nommons cette personne
lecteur-traducteur
, parce qu'il lit d'abord le texte, mais
ensuite il essaie de traduire ce texte dans une autre langue. Par conséquent, c'est au cours de
latraduction qu'il est un traducteur. Avant la traduction il est un lecteur et après cette opération
ilserait probablement un lecteur quelconque encore. Dans le deuxième stade, nous l'appelerons
comme lecteur-traducteur, mais dans le
troisième stade, traducteur 
-
auteur simulacre. En vérité,

 
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(1981:129). Par conséquent, le lecteur ne cherche pas la vérité dans le texte littéraire, mais
lesavoir parce que le texte de l’auteur n’exprime pas la vérité, mais donne surtout un ensemble
de processus textuels. En tout cas nous pouvons accepter que la réalité peut être le contexte dans
leschéma communicatif du texte littéraire. “Parler de la vérité ou de la non
-
vérité d’un tel texten’a aucune pertinence: nous ne pouvons pas l’expliquer qu’en évaluant son
degré de conformitéau sysytème verbal, en nous demandant s’il obéit aux conventions du code
ou s’il letransgresse” (Riffaterre, 1981:149). Le lecteur est à la suite du “repérage et de
l’interprétationde réseaux de sens, par une série artificiellement séparées qu’il emporte de
combiner”(Ryngaert 1991:127). Le lecteur ne cherche pas la vérité qui est un rappor 
t entre cause et sujet
ou bien entre sujet et objet. Il cherche le plus souvent le savoir qui est “une
appropriationconstitutive de la vérité (...) le rapport indirect qui nous est acquis: la science, dans
ce savoir,consiste dans la réduction de l’imaginaire qui offusque tout le symbolique” (Clement,
1981:128-
129). Précisons ici que le savoir peut exprimer la vérité ou non. Pour le lecteur celan’a pas une
valeur nécessaire ou importante.
 La fonction du lecteur-traducteur est remarquable: en lisant le tex
te de l’auteur, ilimagine un univers fictif et il traduit à la fois le système linguistique et le
système littéraire dela langue de départ en langue d’arrivée. Ýl s’ensuit qu’il n’est pas un lecteur
quelconque et il se
distingue du lecteur-
modèle dans la langue de départ, parce qu’il vise à faire accepter sonmonde imaginaire au
deuxième lecteur dans la langue d’arrivée.
 Durant la lecture, le lecteur-traducteur est un lecteur attentif qui recherche la
signification du texte littéraire, les causes et les effets des phénomènes littéraires. Mais iciaussi,
il est attentif parce qu’il vise à refléter ces causes et effets dans la langue d’arrivée.
 
3. 3. Acte de traduire
C’est l’étap du processus d’interprétation du texte par le traducteur. L’opération detraduire est de
trouver les équivalents dans la langue d’arrivée, les unités linguistiques, lesvaleurs culturelles de
la langue de départ par l’intermediaire du traducteur qui a pour but deformer un texte dans la
langue d’arrivée. C’est cette traduction qui d
onne le sens du texte dans
une autre langue. Il faut affirmer que parallèlement aux facteurs linguistiques, les
facteursindividuels et sociaux favorisent beaucoup la compréhension du message aussi bien que
auniveau de la communication intralinguale qu’à celui de la communication interlinguale. Il
nousfaut dire que les connaissances du traducteur de deux langues doivent être parfaites. En plus,
letraducteur doit avoir des qualités et des capacités nécessaires, si bien qu’il vise à voir et à lire
entre les lignes.
lecteur-traducteur ou traducteur-
auteur simulacre sont la même personne. C'est sa fonction qui
change.

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